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Métapo infos - Page 6

  • Odin...

    Les éditions Kalopsia viennent de rééditer en un volume les deux tomes d'Odin, dessinés par Erwan Seure-Le Bihan et scénarisés par Nicolas Jarry, publiés initialement chez Soleil.

     

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    "Odin est le seigneur d'Asgard, père du panthéon scandinave. Poète, magicien, guerrier implacable, père aimant, amant passionné... Avant d'être un Dieu, Odin est un homme complexe et sombre, qui tenta jusqu'au bout de déjouer l'inéluctable destinée qui menait à Ragnarök, à la fin des temps. Ceci est l'histoire de celui que les Vikings nommaient le père des batailles..."

     

                                             

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  • Autopsie de la littérature...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Juan Asensio, essayiste et critique littéraire officiant sur le blog Stalker, cueilli sur le site de la revue Éléments. Juan Asensio, qui a collaboré aux revues Nouvelle École et Krisis, a notamment publié  Le temps des livres est passé (Ovadia, 2019) et Maudit soit Andreas Werckmeister ! (Ovadia, 2024).

     

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    Autopsie de la littérature: entrez dans la « zone » de Juan Asensio !

     

    Spécialiste de l’œuvre de Georges Bernanos (il a mené une thèse de doctorat sur la figuration du diable dans ses romans ainsi que ceux de Julien Green et de François Mauriac, abandonnée en cours de route), Juan Asensio a publié en 2007 son premier recueil de chroniques avec La Critique meurt jeune, consacrées à des auteurs tels que Dantec, Nabe, Dostoïevski ou ce même Bernanos. En 2019 a paru Le temps des livres est passé qui regroupe le meilleur de ses analyses littéraires parues sur son blog, dans lesquelles il célèbre les œuvres de Malcolm Lowry, Ernesto Sabato, Joseph Conrad, William Faulkner ou encore László Krasznahorkai. Son travail a fait découvrir des auteurs méconnus, Édouard Estaunié, Loys Masson, Guillaume Gaulène, d’autres encore, à travers des analyses profondes et minutieuses de leurs œuvres. Juan Asensio est également connu pour ses diatribes contre la littérature actuelle, les pseudo-écrivains et pseudo-critiques. 

     

     

    ÉLÉMENTS : De Joris-Karl Huysmans à Paul Gadenne, vous avez disséqué l’œuvre d’une multitude d’immenses écrivains. Quelle est la mise en valeur dont vous êtes le plus fier ?

    JUAN ASENSIO. Je ne saurais vous dire, tant mes notes ont pu s’accumuler de façon plus ou moins erratique au cours de ces désormais plus de 20 années d’exploration patiente et surtout méthodique de la Zone. Ce n’est bien sûr pas à moi de pointer telle ou telle étude pour ses qualités réelles ou supposées, mais j’éprouve toutefois une certaine fierté d’être parvenu à créer des rapprochements inédits, en parvenant par exemple à montrer que Le Transport de A. H. de George Steiner s’inspirait assez directement de Cœur des ténèbres de Joseph Conrad, comme Steiner en personne ne manqua pas de le reconnaître, ou bien lorsque j’ai souligné des parentés entre les images surprenantes employées par le génial et tonitruant Léon Daudet et Georges Bernanos, que j’ai rapproché encore le premier roman de ce dernier, Sous le soleil de Satan, de Moravagine de Blaise Cendrars ou que j’ai établi une filiation directe et, à ce jour, inédite, entre Le Grand Dieu Pan d’Arthur Machen et l’histoire de Mouchette telle qu’elle figure dans ce même premier roman qui marqua l’entrée fracassante du Grand d’Espagne sur la scène littéraire française, en 1926. J’ajoute, malicieusement, que c’est ce même rapprochement entre Machen et Bernanos qui me permet d’expliquer la mystérieuse mention de Paul-Jean Toulet qui traduisit en français l’œuvre la plus connue de Machen, dès la première ligne du roman Sous le soleil de Satan, mention sur laquelle plusieurs générations de bernanosiens se sont contentés de répéter de vagues truismes, affirmant que l’auteur du très inquiétant Monsieur du Paur, sorte de précurseur de Monsieur Ouine, était l’auteur de vers charmants, cette affligeante banalité figurant même, comme il se doit, dans l’apparat critique de la dernière édition, en deux volumes excusez-nous du peu, des romans de Bernanos dans La Pléiade, cette collection qu’allez savoir pourquoi, tous les ânes qualifient de « prestigieuse ». « Imbéciles ! », eût probablement dit Bernanos, pour caractériser la paresse intellectuelle de ces scribes méticuleux, capables d’ergoter sur la place d’une virgule dans un texte de plusieurs milliers de mots mais absolument pas fichus de voir ce qui pourtant s’étalait sous leurs yeux, et qu’ils n’auraient pu que très vite remarquer s’ils avaient lu plus loin que le bout de leurs lunettes ! Machen, Toulet, Bernanos, c’était pourtant une évidence, bon sang, non ?

    J’aime aussi faire revenir à la surface de bons vieux romans à peu près engloutis sous quelques millions de mètres cubes d’eau trouble, comme ceux de Loys Masson ou de Guillaume Gaulène, ne pas cesser de rappeler que Carlo Michelstaedter, Zissimos Lorentzatos ou encore Cristina Campo, Paul Gadenne, W. G. Sebald et Vincent La Soudière sont de grands penseurs, écrivains, épistoliers ; bien évidemment, je ne suis moi-même pas seul dans ce long travail d’excavation, d’exhumation de trésors littéraires, et je ne manque jamais de remercier publiquement ceux qui, au détour d’une simple phrase ou d’un propos plus ample, m’ont permis de découvrir tel ou tel nom. Je précise cela en ne manquant pas de faire un clin d’œil vers ceux qui, tout à coup, abandonnant soudainement leurs piètres lectures qui leur auront appris à ne pas savoir lire, se sont mis à ne plus citer que ces auteurs, en oubliant qu’ils n’en savaient strictement rien avant qu’ils ne croisent leurs noms dans la Zone ! Ainsi va la vie, me direz-vous…

    ÉLÉMENTS : Récemment vous avez mis en lumière – aidé en cela par un compagnon de route d’Éléments, le regretté Jean-François Michaud –, Les Français de la décadence d’un auteur totalement méconnu, André Lavacourt. Que pouvez-vous nous dire de cet auteur, de ce roman – malheureusement introuvable –, et pensez-vous qu’un jour Gallimard publiera des trésors qui dorment dans ses archives ?

    JUAN ASENSIO. Je regrette infiniment la disparition tragique de Jeff comme nous étions quelques-uns à l’appeler, qui m’a fait découvrir, en effet, Les Français de la décadence d’André Lavacourt, pseudonyme d’un certain Pierre Couturier, dentiste de son état, dont nous ne savons pas grand-chose, malgré quelques recherches d’un précédent lecteur qui fut, comme je l’ai été, frappé par la puissance phénoménale de ce roman monstrueux, et auquel je signale ma dette dans les deux articles que j’ai consacrés au texte de Lavacourt. Celui-ci est devenu introuvable depuis maintenant un grand nombre d’années, j’allais dire : depuis 1960 ou peu s’en faut, date de sa parution puisque lorsque Michel Déon le redécouvre quelques années plus tard, il se plaint déjà… de sa disparition ! J’ai remercié l’ami Jeff dans la préface que j’ai donnée (en fait, la réunion de mes deux notes parues dans la Zone) pour l’édition samizdat de ce roman qu’il a financée, et que nous sommes quelques-uns à posséder, à communiquer à de bons lecteurs (espérons-le du moins !), cet hétéroclite cercle de happy few réunissant une poignée de fanatiques qui se reconnaîtront.

    Ce texte me hante, c’est peu de le dire, cet auteur englouti me taraude, le terme n’est lui aussi pas trop fort, comme Benno von Archimboldi hantait et taraudait la poignée d’universitaires de différents pays que met en scène Roberto Bolaño dans 2666. J’ai poussé mes recherches tous azimuts, en essayant de retrouver la trace de la dernière personne ayant connu Lavacourt, mais son âge et la maladie neurodégénérative dont elle souffre l’éloignent hélas d’une demande d’entretien. Je me suis adressé à Gallimard, plusieurs fois, en commençant par tel sous-fifre qui ne m’a rien appris (moi, au moins, je lui ai appris l’existence d’un grand livre…) puis en envoyant une belle lettre de château à son grand manitou, Antoine Gallimard, qui m’a répondu brièvement par une série de monocordes évidences mais ne m’a jamais accordé la permission de fouiller dans ses archives, ne serait-ce que pour y découvrir un ou deux éléments qui ne sont quand même pas des secrets d’État et qui m’auraient permis de poursuivre mes recherches sur ce mystérieux météore qu’est presque toujours l’auteur d’un seul livre. J’ai tenté d’obtenir, par un ami lecteur, des informations en Algérie, où André Lavacourt a exercé plusieurs années ses talents de praticien dentaire, là encore sans grand succès et j’ai même contacté son Ordre, qui doit semble-t-il se réunir en mirifique conclave pour me livrer de rutilantes informations sur l’un des siens ! Autant vous dire que je n’avance pas du tout ! Mais il y aura du nouveau je l’espère, sous la forme d’un petit film qui est en cours de montage, suivant mes pérégrinations atrabilaires autour de ce livre et, il faut le souhaiter bien sûr, une réédition, car c’est véritablement un scandale que pareil roman ait tout bonnement disparu.

    J’espère quoi qu’il en soit ne pas quitter ce monde sans être parvenu, d’une façon ou d’une autre, à redonner vie à ce roman qui soutient la comparaison avec Les Décombres de Lucien Rebatet (qui salua le livre de Lavacourt de très belle façon, y reconnaissant sans doute un des siens !) et même – j’ose cette énormité en rappelant bien sûr que le seul et unique roman connu d’André Lavacourt comporte des défauts – avec le Voyage au bout de la nuit de Céline, ne serait-ce que par la puissance toute rabelaisienne de sa langue.

    ÉLÉMENTS : Dans vos articles et écrits publics, vous faites le constat d’un pays en état de quasi-mort cérébrale et de dégénérescence intellectuelle et littéraire. La décadence d’un pays est liée à la décadence de sa langue. Vous ne trouvez aucune qualité à Annie Ernaux, Le Clézio, ou Cécile Coulon ?

    JUAN ASENSIO. Non, en effet, je ne trouve aucune qualité à ces trois infâmes écrivassiers, si ce n’est la capacité à faire croire à tout un tas d’imbéciles, d’abord journalistiques, qu’ils ont l’ombre d’un quark de talent autre que celui de faire à la chaîne, comme on fait des boudins ou d’autres choses moins appétissantes, des rinçures.

    ÉLÉMENTS : Je n’ose vous demander ce que vous avez pensé de la rentrée littéraire…

    JUAN ASENSIO. Absolument rien, voilà ce que je pense de ces rentrées dites littéraires, et d’ailleurs je n’en lis pratiquement plus les produits, boudins et autres saucissons à l’aspect peu ragoûtant. Il me semble que je ne perds rien du tout d’ailleurs, si j’en juge par l’exemple très récent d’une bouse parfaitement sèche, sans même plus aucune mouche venant y pondre ses œufs, que l’équipe de Tocsin m’a mise sous le nez, me demandant de la renifler et même d’y effectuer quelques prélèvements, Le club des enfants perdus de Rebecca Lighieri faisant partie de la sélection du Goncourt des lycéens. C’est affreusement plat, y compris même lorsque surviennent des descriptions pornographiques donc cliniques, c’est incroyablement bête lorsque sont lâchés de consternantes conneries sur le monde tel qu’il ne va pas, c’est ignoblement accordé à l’air putride du temps par l’usage d’un peu d’écriture inclusive et autres bubons remplis de pus transgenre, mais surtout c’est très franchement tendancieux lorsque le message final clignote sous les yeux du lecteur, y compris, donc, ceux d’adolescents : « mes pauvres enfants si sensibles, suicidez-vous, comme Miranda, c’est encore ce qu’il vous reste de mieux à faire face à ces méchants adultes qui jamais ne vous comprendront ! ». On se désespère qu’une scène de rut ressemble à l’épopée gaillarde et invinciblement drôle telle qu’un José Lezama Lima a pu la figurer dans Paradiso (voir la première partie du chapitre 8, décrivant les prodigieux exploits sexuels de Farraluque) mais non, que nenni, c’est sujet-verbe-complément avec Rebecca Lighieri et encore, on sent que cette écrivassière a dû passablement se concentrer pour faire (comme on fait d’autres choses) une ligne maigre comme un filet d’eau déminéralisée. Tout cela, à de rarissimes exceptions qui finissent par se creuser un discret sillon, c’est de la merde lyophilisée, et j’essaie, en contenant une ou deux larmes de colère et de rage, de ne pas redonner vie artificielle à ces déjections.

    ÉLÉMENTS : À toutes les époques des critiques ont prétendu que la littérature était morte et que les romanciers de leur temps n’avaient aucun intérêt. Olivier Maulin, Thomas Clavel, Jean-Pierre Montal, Patrice Jean – parmi d’autres – n’atténuent-ils pas votre diagnostic ? Le temps des livres est-il vraiment passé ?

    JUAN ASENSIO. Bien sûr qu’il est passé, et les honnêtes exemples que vous citez, quoi que je pense par ailleurs de leurs qualités et défauts respectifs, ne diraient pas, m’est avis, le contraire, puisqu’ils ne font après tout que survivre, alors que prospèrent les petits profiteurs, les sales malins, les lamentables écrivants pullulant sur la charogne, comme celle de Baudelaire, les quatre pattes en l’air et fumant sous le soleil, de la littérature française ! Est-ce donc le nombre réellement extraordinaire de livres qu’un pays en fin de partie comme la France parvient, par fallacieuse prodigalité, à produire qui vous fait croire qu’il a encore quelque chose à dire ? En fait, ce n’est pas tant que l’époque des livres est passée, puisqu’elle l’était déjà lorsque Ernest Hello et Léon Bloy le constataient, que l’évidence selon laquelle notre pays, qui n’a plus d’horizon géopolitique – et que dire d’une perspective plus haute ! –, n’a strictement plus rien à dire, je le répète. N’ayant plus rien à dire du tout, les écrivains français, ou plutôt ce qu’il en reste, continuent d’écrire pour se lamenter, dans le meilleur des cas, de n’avoir rien à dire ce qui est, au mieux vous me l’accorderez, un très ironique quoique douloureux paradoxe, les plus honnêtes d’entre eux allant même jusqu’à évoquer et invoquer des morts plus vivants que bon nombre des indigents crétins qui se reproduisent comme des mouches de cul de vache sur les plateaux trapenardiens.

    ÉLÉMENTS : Très souvent, les critiques – quand ils lisent le livre – se cachent derrière un résumé du roman, qu’ils agrémentent d’adjectifs, sans dire réellement ce qu’ils ont pensé du livre, comme s’ils craignaient de se tromper. Vous faites partie des quelques derniers critiques littéraires « véritables », « à cran d’arrêt » et qualifiez la critique journalistique trapenardisée de « communauté de nains » et leurs pratiques de « léchage de fion germanopratin » ; vous avez la dent dure contre vos collègues !

    JUAN ASENSIO. Pardon ? Mes « collègues » ? J’ai dû mal lire car, s’il y a bien un raout auquel je m’honore de n’avoir participé que de très loin – quelques piges rendues à Valeurs actuelles, à l’époque où y officiait l’excellent Bruno de Cessole, et non l’affligeant Laurent Dandrieu –, c’est bien celui du journalisme, une année passée au CELSA m’ayant, en la matière, ôté toute trace d’illusion sur cette corporation plus corrompue que les lupanars de l’antique Babylone ! Que voulez-vous que je vous réponde de moins anecdotique, si ce n’est que, fidèles miroirs d’une société qui ne sait plus lire, les journalistes, qui en d’autres temps savaient séparer la piquette des grands crus, se bourrent la gueule de vinaigre tout en parvenant encore à nous faire croire que quelque élixir coule dans leur gueule ! Il est après tout logique que l’effondrement du niveau minimal de maîtrise de la langue française, que l’on constate chez les lecteurs comme les auteurs ou les éditeurs, à tous les étages de la société française à vrai dire, ait aussi été largement anticipé par les journalistes, qui mourraient plutôt que de subir l’accusation de passéisme : les voilà donc à la pointe du progrès, car ils évoquent dans un français de graffitis de pissotière des livres pas même dignes d’y être proposés en guise de rince-doigts.

    ÉLÉMENTS : Récemment, Ovadia a réédité votre court ouvrage Maudit soit Andreas Werckmeister ! qui mélange le pamphlet et la création littéraire, où vous imaginez le dernier homme confronté à la mort de la littérature. Vous tissez la métaphore d’une littérature devenue mer morte, considérée comme un trou noir, aspirant tout ce qui se trouve à sa proximité. Pouvez-vous nous en dire plus ?

    JUAN ASENSIO. Ce sont les grands romans qui ressemblent à des trous noirs, bien davantage que la « littérature devenue mer morte » qui, elle, n’est que le résidu, fantomatique, d’une évidence, j’allais parler, sur les brisées de George Steiner, d’une « réelle présence » ou d’une « pesanteur, avec Carlo Michelstaedter, l’une et l’autre à peu près acceptée par tous, sur lesquelles ne s’exerçaient pas encore les si patientes termites de la déconstruction derridienne. Les trous noirs, que les astronomes du XIXe siècle appelaient encore du beau nom d’astres occlus, un terme tout de même beaucoup plus poétique que l’appellation anglo-saxonne devenue hélas définitive, nous apprennent je crois bien des choses, ne serait-ce que d’un point de vue métaphorique, sur le fonctionnement de certains romans qui paraissent s’effondrer sous leur propre masse, et trouent alors le tissu de l’espace-temps. Ces astres pour le moins exotiques, tels que les astrophysiciens actuels en comprennent le fonctionnement, engloutissent de la matière comme de véritables ogres stellaires, la lumière elle-même ne parvenant pas à leur échapper. Tout ce qui tombe dans leur disque d’accrétion est ainsi inexorablement digéré au-delà de l’horizon des événements ou event horizon, qui a donné son titre à un film d’horreur spatiale ma foi assez réussi et surtout à un récent réseau de télescopes disséminés dans le monde entier, qui a naguère réussi la réelle prouesse technique de parvenir à en photographier deux d’entre eux. Mais, voyez, le mystère est que, de cette monstrueuse déglutition – nous ne savons rien de leur digestion, et encore moins de ce que devient la matière avalée après cette dernière ; réapparaît-elle dans quelque très conjecturel trou blanc ? – naissent des quantités prodigieuses d’énergie : de même les grands romans tels que je les entends, au centre desquels se tapit un Minotaure comme le pensait José Bergamín, et qui absorbent tout ce qui les entoure, comme une noria dont les colossales forces effriteraient, disloqueraient leur proche banlieue, mais qui n’en délivreraient pas moins quelque mystérieuse bouteille sauvée, ainsi que le narre le conte de Poe, du maëlstrom. Dans cette bouteille figure… le texte que l’on est en train de lire ! De quelles œuvres suis-je en train de parler ? J’en ai cité au moins une, Monsieur Ouine de Georges Bernanos, dernier roman du grand écrivain et roman terminal de l’Occident devenant de plus en plus bavard à mesure qu’il tombe dans l’aphasie, comme j’ai tenté de le montrer dans de nombreux textes, au sens où ce livre aussi déroutant que génial tente une plongée incomparable dans le puits sans fond du nihilisme annoncé par Jacobi, Dostoïevski ou encore Nietzsche. D’autres monstres romanesques figurent dans la partie que je leur ai consacrée dans Le temps des livres est passé.

    Juan Asensio, propos recueillis par Anthony Marinier (Site de la revue Éléments, 30 octobre 2024)

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  • Les mauvais fils...

    Les éditions La mouette de Minerve viennent de publier Les mauvais fils, un recueil regroupant la correspondance entre Patrice Jean et Bruno Lafourcade.

    Professeur de lettres, Patrice Jean a déjà publié plusieurs romans marquants, dont La France de Bernard (Rue Fromentin, 2013), Les structures du mal (Rue Fromentin, 2015), L'homme surnuméraire (Rue Fromentin, 2017), Tour d'ivoire (Rue Fromentin, 2019), La poursuite de l'idéal (Gallimard, 2021), Le parti d'Edgar Winger (Gallimard, 2022), Rééducation nationale (Rue Fromentin, 2022), Louis le magnifique (Cherche-Midi, 2022) ou dernièrement La vie des spectres (Le Cherche-Midi, 2024).

    Écrivain à la plume incisive, chroniqueur de la revue Éléments, Bruno Lafourcade a publié ces dernières années, plusieurs romans, L'ivraie (Léo Scheer, 2018), Saint-Marsan (Terres de l'ouest, 2019), Tombeau de Raoul Ducourneau (Léo Scheer, 2019) et Le Portement de la Croix (Jean-Dézert, 2022), trois pamphlets, Les nouveaux vertueux (Jean-Dézert, 2017), Une jeunesse, les dents serrées (Pierre-Guillaume de Roux, 2019), et La Littérature à balles réelles (Jean Dézert, 2021), un polar, Le Hussard retrouve ses facultés (Auda Isarn, 2019) et trois recueils de chroniques ou de pièces brèves,  Les Cosaques & le Saint-Esprit  (La Nouvelle Librairie, 2020), Sac de frappe (Jean Dézert, 2022) et L'Intervalle entre le marchepied et le quai (La Nouvelle Librairie, 2022).

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    " Nous sommes en 2017. Sur Facebook, un écrivain prend langue avec un autre. L’âge et les origines les rapprochent : ils ont cinquante ans et viennent d’un milieu modeste et provincial. S’ils ont publié quelques livres, l’un et l’autre viennent d’écrire celui qui pourrait les lancer. Ils s’appellent Patrice Jean et Bruno Lafourcade. Ils sont proches et différents, l’un moins emporté que l’autre, mais l’amitié est immédiate, alimentée par des centaines de lettres, où se lit une admiration mutuelle, et une commune « poursuite de l’idéal ».

    Dans ce choix de lettres, ce roman vrai de la condition de l’écrivain moderne, se succèdent, avec une drôlerie désabusée ou vacharde, les anecdotes et les réflexions sur le milieu de l’édition, les mutations du livre, les mutations sociales. On les suit, poussé par un ton ironique ou détaché, drôle ou violent, chez Gallimard ou Léo Scheer, dans les librairies ou les salons du livre ; on assiste à leurs échecs et à leur espoir, à leur joie et à leurs succès.

    « Notre génération réussira à proposer une alternative à la génération 68 qui a voulu la tuer. Les baby-boomers ont intronisé des écrivains qui ne leur faisaient pas d’ombre ; mais nous, nous sommes de mauvais fils. » "

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  • Julius Evola, la vie et l'œuvre d'un aristocrate de l'esprit...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Philippe Baillet à Ego Non dans lequel il évoque la figure, la vie et la pensée de Julius Evola, le penseur italien, auteur de Chevaucher le tigre, dont il a traduit l'essentiel de l’œuvre.

    Traducteur et essayiste, Philippe Baillet est notamment l'auteur de Pour la contre-révolution blanche - Portraits fidèles et lectures sans entraves,(Akribeia, 2010), de Le parti de la vie - Clercs et guerriers d'Europe et d'Asie (Akribéia, 2015), de L'autre tiers-mondisme (Akribeia, 2016) et de Piété pour le cosmos (Akribeia, 2017).

     

                                             

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  • Des ONG, bras armés des états...

    Le nouveau numéro de la revue Conflits (n°54, novembre - décembre 2024), dirigée par Jean-Baptiste Noé, vient de sortir en kiosque. Le dossier central est consacré aux ONG.

     

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    Au sommaire de ce numéro :

    ÉDITORIAL

    L'industrie de la bonne conscience, par Jean-Baptiste Noé

    CHRONIQUES

    LE GRAND ENTRETIEN

    La Révolution témoigne des déformations de mémoire. Entretien avec Emmanuel de Waresquiel

    IDÉES

    La guerre russe. Constantes et nouveautés, par Pierre Gonneau

    PORTRAIT

    Elon Musk : jusqu'où ne montera-t-il pas ?, par Michel Chevillé

    ENJEUX

    Après le terrorisme : les milices ?, par Daniel Dory

    Indonésie. Entre deux plaques tectoniques de l'islam, par Sylvain Dorlent

    Haïti : l'échec inavouable, par Helena Voukolsky

    BOULE DE CRISTAL

    Libye : l'harmattan apporte la démocratie, par Jean-Baptiste Noé

    L'HISTOIRE MOT À MOT

    « Never […] was so much owed by so many to so few » (1940), par Pierre Royer

    GRANDE STRATÉGIE

    La grande stratégie de l’Écosse, par Olivier Kempf

    HISTOIRE BATAILLE

    Tannenberg (août 1914). Revanche mémorielle et fiasco stratégique, par Pierre Royer

    DOSSIER

    ONG

     

    GÉOPOLITIQUE ET ENTREPRISE

    CARTE MAÎTRESSE

    EN ARMES

    REPORTAGE

    HISTOIRE

    ART ET GÉOPOLITIQUE

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  • Le RN ou le « parti du milieu » ?

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François Bousquet cueilli sur le Figaro Vox et consacré à l'électorat du RN.

    Journaliste, rédacteur en chef de la revue Éléments, François Bousquet a aussi publié Putain de saint Foucauld - Archéologie d'un fétiche (Pierre-Guillaume de Roux, 2015), La droite buissonnière (Rocher, 2017), Courage ! - Manuel de guérilla culturelle (La Nouvelle Librairie, 2020), Biopolitique du coronavirus (La Nouvelle Librairie, 2020) et Alain de Benoist à l'endroit - Un demi-siècle de Nouvelle Droite (La Nouvelle Librairie, 2023).

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    «Au cœur du vote RN, le sentiment tenace d'être lésé et de travailler pour les autres sans contrepartie»

    On n'en finit pas de buter sur la définition du populisme. La vérité, c'est qu'il y a une immense difficulté – et pour l'heure personne n'en est formellement venu à bout – à lui donner un sens clair et sans équivoque. C'est depuis toujours un phénomène politique ambivalent, à l'unité problématique. Sa labilité sémantique se prête à toutes les réinterprétations. Cela ne tient pas seulement à la polysémie du mot, mais à son indéfinition même. S'il y a néanmoins un dénominateur commun à la pluralité des populismes, sinon même un invariant, quel que soit le contenu idéologique, c'est la polarisation politique – clivante, conflictuelle, oppositionnelle – que la dynamique populiste porte avec elle. Eux et nous, les «petits» contre les «gros», le peuple contre les élites, etc. Le populisme ne s'épanouit vraiment que dans ces couples de contraires qui ont la propriété de clarifier le champ politique et de désigner l'ennemi sans détour. L'antagonisme du «producteur» et du «parasite» en fait partie.

    Il y avait la dialectique du maître et de l'esclave chère au philosophe Hegel, peut-être faudra-t-il compter à l'avenir avec celle qui se noue entre la morale du «producteur» et l'amoralité du «parasite». C'est un autre philosophe, contemporain lui, qui a mis le doigt dessus : Michel Feher, qui vient de publier un livre particulièrement stimulant : Producteurs et parasites. L'imaginaire si désirable du Rassemblement national  (La Découverte). En dépit d'un parti pris hostile, il renouvelle notre approche du populisme en plaçant en son centre la question du travail productif et de sa juste rétribution, mise à mal par la «plus-value imméritée», celle-là même que prélève la figure du «parasite» : en haut, les «accapareurs» ; en bas, les «fraudeurs», selon les termes de l'auteur.

    Dès lors, l'antagonisme moteur du populisme n'est pas entre le travailleur et le capitaliste, mais entre le «producteur» (ouvriers, employés, travailleurs indépendants, chefs d'entreprise, etc.) et le «parasite» qui détourne la richesse produite par le travail, soit parce qu'il ne s'acquitte pas de l'impôt, soit parce qu'il bénéficie de ses largesses. «Parasite» ? Le mot est fort et frappe délibérément les esprits. C'est manifestement un choix polémique de l'auteur, quelque peu effarouché par ce qu'il découvre en tirant le fil du «parasitisme». On imagine que c'est la raison pour laquelle il nazifie, un peu commodément, son sujet en brandissant la figure-repoussoir du «Volksschädling», le parasite du peuple sous le Troisième Reich. Pour ne pas être en reste, il aurait pu convoquer les «parasites sociaux» que l'Union soviétique assimilait à des dissidents et jetait dans des camps. Qu'à cela ne tienne, les oreilles trop délicates peuvent recourir à un concept plus neutre, familier des économistes et des sociologues : la théorie du «passager clandestin». Le passager clandestin est celui qui profite d'une ressource ou d'un bien sans en payer le prix ou en le sous-payant.

    La colère populaire, un impensé politique

    À notre connaissance, nul n'aime les resquilleurs qui vous doublent dans la file d'attente ou les mufles qui hurlent dans leur téléphone en mode haut-parleur. C'est la même chose ici. En ne payant pas leur dû à la société, les «passagers clandestins» entretiennent le foyer de la colère du peuple, frustré des fruits de son travail par une fiscalité confiscatoire, qui serait tolérée si les mécanismes de solidarité n'étaient pas dévoyés. La colère populaire, autre impensé politique ! C'est pourtant une passion qui a toute sa place dans la cité, nous apprend Aristote, qui, en amont (et à rebours) de notre tradition philosophique, s'est livré à un éloge non pas des emportements violents, mais de la juste colère, parce qu'elle fait ressortir un sentiment d'injustice réel et pose une demande légitime de réparation. C'est ce sentiment d'injustice et cette demande de réparation qui commandent nombre de comportements électoraux qualifiés de populistes, parmi lesquels il n'est pas interdit de ranger les «fâchés pas fachos», comme les a appelés Mélenchon, pour une fois inspiré.

    Ni racistes présumés, ni fascistes fantasmés donc. Voilà qui nous change des analyses condescendantes qui réduisent le vote populiste à ses seules dimensions protestataires ou démagogiques, sinon xénophobes, en le corrélant à un faible niveau d'études. Grave erreur, nous prévient Michel Feher : «On ne naît pas lepéniste, mais on le devient» – et on le devient au terme d'une démarche volontaire, réfléchie, objective. N'y voir qu'une réaction de type épidermique revient à occulter l'attractivité électorale du populisme en général et du lepénisme en particulier. Au cœur de ce vote, il y a le sentiment têtu, tenace, insistant, d'être lésé, de travailler pour les autres sans contrepartie et de voir ainsi la norme méritocratique foulée aux pieds.

    «Si quelqu'un ne veut pas travailler, qu'il ne mange pas non plus», morigénait Saint Paul dans sa deuxième épître aux Thessaloniciens. C'est là une sentence quasi universelle. Elle a pu ne pas s'appliquer dans les sociétés où il y avait une «classe oisive», comme l'a baptisée l'inclassable sociologue américain Thorstein Veblen (1857-1929), que Raymond Aron a contribué à faire connaître auprès du public francophone. L'étymologie du mot travail fait d'ailleurs écho à un monde où l'oisiveté de quelques-uns était rendue possible par la mobilisation de presque tous. Le travail était alors une punition, ce dont porte trace la racine du mot : tripalium, «instrument de torture». Mais en dehors de ces sociétés, où une aristocratie pouvait se livrer à la guerre, à la dépense inutile ou au loisir studieux (l'otium gréco-romain) – rendus possibles par l'esclavage –, le travail est la règle. Dès lors qu'une société cesse de végéter dans un état stationnaire, le «producteur» en est l'élément moteur (quitte à ce qu'il devienne ensuite esclave d'un travail aliénant – mais c'est là un autre sujet).

    Celui qui se soustrait à cette obligation – le «parasite», pour rester dans notre registre sémantique – est stigmatisé, parce qu'il bafoue les lois de justice et qu'il transgresse le principe de réciprocité qui veut que l'on reçoive à hauteur de ce que l'on donne. Que celui qui ne travaille pas ne mange donc pas. Sans cela, il prélève sur le travail des autres une plus-value indue. La sagesse populaire est intarissable sur le sujet : «Un prêté pour un rendu, œil pour œil…» L'historien Christopher Lasch en a eu l'intuition dans son chef-d'œuvre, Le seul et vrai Paradis (1991, pour l'édition originale), quand il rappelle combien la philosophie puritaine, qui a fécondé le très riche populisme américain, condamnait toute tentative d'obtenir quelque chose sans en payer le prix, assimilant ce gain abusif à une forme de fraude fiscale.

    Le RN comme «parti du milieu»

    Ainsi raisonne la morale majoritaire, car morale il y a ici. Michel Freher l'appelle de son nom savant, le «producérisme», francisation de l'anglais producerism dont on voit mal comment il pourrait s'imposer dans le débat public. Il fait remonter cette idéologie, pour s'en tenir au cas français, à l'abbé Sieyès et à son Qu'est-ce que le Tiers-État ?, qui ciblait à la veille de la Révolution française l'aristocratie d'origine franque (étrangère) qui ne participait pas à l'effort de production et n'était pas soumise à l'impôt, ce qui lésait l'autochtone gaulois (un débat alors assez vif). Dans cette histoire vieille de plus de deux siècles, Michel Feher détache un premier noyau programmatique : lutte contre les propriétaires absents, contre les rentes de monopole, contre les intermédiaires improductifs et contre les étrangers. Le néolibéralisme a considérablement élargi ce noyau initial, en faisant jouer le ressort du contribuable spolié. Ses cibles : le fonctionnaire surnuméraire, le chômeur volontaire, le bénéficiaire des programmes sociaux, le syndicaliste et les élites culturelles (songeons à Javier Milei, le président argentin). Mais les néolibéraux épargnent dans leur critique les «parasites» d'en haut. Ce qui n'est pas le cas des électeurs du RN.

    S'est développée chez eux une «conscience sociale triangulaire» brillamment analysée par le sociologue Olivier Schwartz, qui a montré comment la conscience sociale de cette France ne se construit pas seulement dans l'opposition à ceux d'en haut – les écolos, les citadins, les bobos, les riches, etc. –, mais aussi à ceux d'en bas, principalement les immigrés, mais aussi les «cassos», figure incontournable de la France rurale et pavillonnaire («cassos» pour «cas sociaux», à qui il est principalement reproché d'être des allocataires abusifs, sans entrer dans le folklore descriptif de cet univers).

    Pour toutes ces raisons (et non sans regret), Michel Freher voit dans le RN le «parti du milieu», ni droite ni gauche, ni l'individualisme des libéraux ni le collectivisme des marxistes, ouvrant une troisième voie, dont ce parti est la synthèse, au sens où les socialistes parlaient de synthèse. Ses électeurs appréhendent une libéralisation à tout crin qui transformerait le marché du travail en struggle for life, comme ils craignent un État panier percé qui distribuerait l'argent sans compter aux catégories non méritantes. Ils veulent des protections, pas des entraves ; des libertés, pas du laisser-aller. Se dessine ainsi un moyen terme entre employés et employeurs, où se lit le souci de transcender les clivages de classe, caractéristique des troisièmes voies, en veillant à ne pas brider la dynamique entrepreneuriale, tout en garantissant la demande de dignité salariale et de protection sociale, pour peu qu'elle ne soit pas «parasitaire».

    François Bousquet (Figaro Vox, 30 octobre 2024)

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