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Points de vue

  • La philosophie du travail des GAFAM...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de César Cavallère cueilli sur le site de l'Institut Georges Valois et consacré à la philosophie du travail des GAFAM...

     

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    Corporate Memphis et la philosophie du travail des GAFAM

    Art vectorisé, aplats de couleur pop, formes courbes, silhouettes minimalistes, personnages distordus. Vous avez sûrement déjà aperçu ce style graphique, puisqu’il était omniprésent sur l’internet grand public de ces dernières années. Un style qui ne ressemble à rien, et qui ne parle (presque) à personne.

     

    I. La naissance d’un style sans visage

    En 2013, Apple commence à déployer des visuels avec des personnages de profil en 2D, faisant un premier pas dans l’appropriation du style postmoderne. En 2017, l’agence média Buck livre à Facebook un écosystème d’animation alors nommé « Alegria ». La commande visait à rajeunir l’esthétique du réseau en perte de vitesse, déjà en proie au vieillissement de sa base d’utilisateurs. Dans les mois et les années qui suivirent, des dizaines et des centaines de marques copièrent le style graphique Alegria, jusqu’à ce que partout où l’utilisateur se promène sur la toile il tombe sur ce style impersonnel. Le « Corporate Memphis » était né.

    Google, Facebook, Apple, Indeed, Hinge, Slack, Spotify, Uber, AirBnB. Vous avez forcément aperçu ces personnages grossiers aux épaules et aux mains exagérément volumineuses et aux têtes minuscules. Là où le style postmoderne est abstrait, le Corporate Memphis, appliqué à une fonction particulière, représente des objets. Dans les saynètes déconstruites du Memphis Corporate, la technologie semble permettre la réunion d’individus en des communautés heureuses. Ce lien indépassable entre technologie, travail et bonheur nous rappelle que tous ces produits proviennent directement de la Silicon Valley.

    Cette esthétique qui paraît absolument neutre, avec des personnages asexués et aux origines indéterminées, est porteuse d’une idéologie. Nous sommes heureux quel que soit le genre que nous avons choisi, notre sang est sans importance, et le travail rend heureux.

    Dans La Société du spectacle (1967), Guy Debord écrit que « [t]out ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation. » C’est ce que fait le Corporate Memphis : les personnages, les scènes de travail, les relations humaines ne représentent plus le réel. On ne cherche plus à figurer la vie ou les situations concrètes, mais à imposer une image : celle d’un monde sans conflit, éternellement pacifique.

    Et nous pensons tous à la même chose en voyant ce produit industriel apparaître sur les réseaux, comme une image rémanente se reproduisant jusqu’à la nausée derrière nos paupières. « Il n’y a pas d’alternative ». Il n’y a aucune échappatoire. Il n’y a pas d’alternative. C’est le récit de la réplication massive d’un mensonge que tout le monde sait faux, à moins d’être aliéné.

     

    II. L’utopie graphique et son idéologie cachée

    Avec cette esthétique, le but pratique recherché par les entreprises du privé est de combler des vides dans les diapositives, ou bien d’illustrer des documents internes et externes en utilisant une grammaire « positive ».

    Il se trouve que cette imagerie nous laisse une impression d’être sans âme et paresseuse, notamment parce que des entreprises grand public du secteur numérique (Adobe, Meta) proposent des générateurs de Corporate Memphis, qui ont permis sa large appropriation par les professionnels et les particuliers.

    Quel plaisir de travailler ! Nos personnages lisent des graphiques avec le sourire, préparent des diapo avec apaisement, le contentement général étant suggéré par une palette chatoyante. Il s’agit d’une tentative grossière de dépeindre un monde idéal, bien à l’opposé du monde qu’induit la vente massive des informations personnelles des utilisateurs des produits des GAFAM.

    Comme Nick Land l’anticipait, l’époque postmoderne est celle de la fusion de la culture et de l’économie : tout devient un contenu capitalisable. Le Corporate Memphis est une interface qui permet d’intégrer nos affects, notre parcours, nos pensées, et d’en faire un produit.

    Le Corporate Memphis est une promesse : celle d’un monde sans danger, sans conflit, dans lequel tous s’aiment et collaborent. Mais ce monde n’existe pas. Cette utopie graphique nous met mal à l’aise précisément parce qu’elle est une propagande qui ne dit pas son nom. Tous ces éléments visent à créer artificiellement une culture d’entreprise « positive ». Mais quelle culture, quelle identité pourrait émerger si toutes les entreprises se raccrochent aux mêmes valeurs et à l’exacte même imagerie générique ?

    Cette culture d’entreprise universelle était le parfait appeau pour les milléniaux (en principe progressistes) de classe moyenne-supérieure. Cette esthétique reprend les codes de la culture hipster : chemise à carreau, lunettes carrées, bretelles, pouf, baby-foot. Work hard and play hard. On sent d’ici le Starbucks et les chaises du bar branché d’afterwork pour cadres dynamiques faites en palettes. Le Corporate Memphis ne nous renseigne pas sur le produit vendu, mais seulement sur la sociologie visée par la marque : le millénial progressiste de classe moyenne-supérieure.

    Il croit à l’émergence de nouvelles formes de travail, il entretient un syndrome de Stockholm avec sa boîte malgré ses multiples burn out, il veut croire au mensonge qu’on lui sert, parce qu’il aime le reflet qu’il y voit, le récit qui justifie son salaire et son mode de vie. Les milléniaux sont une génération cobaye. Cobaye de l’idéologie du cool, de l’hyperconnexion, de l’injonction à l’inclusivité et de l’acceptation du bullshit job.

    Aujourd’hui, les marques les plus importantes ont purgé leur image de tout Alegria, tant le style est devenu impopulaire, et principalement auprès des zoomers.

    Inclusivité surjouée : l’imagerie de l’inclusion

    Cette dimension inclusive s’exprime par les proportions des personnages, qui sont volontairement distordues, avec une tête trop petite et un torse surdéveloppé. Nous pourrions dire que cette esthétique s’inscrit dans le « bodypositivisme » en mettant en valeur l’obésité et en déformant des personnages supposément normalement proportionnés au départ. Les personnes de toute ethnie ou race sont surreprésentées, mais les personnages peuvent être verts, jaunes ou violets. Il est souvent difficile de déterminer le sexe ou l’ethnie des personnages vus.

    Plusieurs critiques furent émises : saturation quant à l’omniprésence dans les contenus professionnels ou sur les réseaux sociaux. Ce style est aussi largement repris dans la bande dessinée marquée à gauche, notamment féministe et antiraciste. Cette utilisation accuse une collusion entre deux mondes : les GAFAM et la gauche libérale.

    L’inclusivité ne s’exprime pourtant pas vraiment dans les entreprises qui assurent avoir des « valeurs ». Par exemple, beaucoup ne garantissent pas de droit à la déconnexion, gardent d’importantes disparités salariales entre les postes, et sont peu enclins au dialogue social.

    Les « politiques d’inclusivités » sont d’ailleurs assez circonscrites sociologiquement. Ce n’est pas l’actionnariat qui va laisser la moitié des parts aux femmes, le paritarisme – quoiqu’on en pense par ailleurs – ne sera non plus jamais recherché pour la main d’œuvre non ou peu qualifiée, et enfin le PDG ne laissera pas sa place à une femme « pour le principe ». Seule la catégorie CSP+ sera concernée : il n’y aura pas de programme d’inclusivité pour le personnel de ménage.

    Cette proximité qui semblait évidente entre GAFAM et idéologie progressiste semble pourtant en reflux depuis quelques années, comme en témoignent les exemples de Musk et de Zuckerberg. Les marques affichent de moins en moins leur soutien au mois des fiertés, déjà devenu un vestige du passé. Le mouvement LGBT et le style Memphis sont tous les deux apparus pour le grand public vers 2016 et ont décliné ensemble dès l’aube de 2023.

    Réalisme capitaliste et recyclage du temps

    En 2009, Mark Fisher, professeur de philosophie britannique publie Le réalisme capitaliste. N’y a-t-il pas d’alternative ? Le terme d’abord forgé comme une parodie du « socialisme réaliste » a pris une autre consistance sous la plume de Fisher : « Le réalisme capitaliste tel que je le conçois ne peut être confiné à l’art ou au fonctionnement quasi propagandiste de la publicité. Il est plutôt une atmosphère généralisée, qui conditionne non seulement la production culturelle, mais aussi la réglementation du travail et de l’enseignement, et qui agit comme une sorte de frontière invisible contraignant la pensée et l’action. »

    Fisher dit encore : « Le réalisme capitaliste ne peut être attaqué que si l’on démontre d’une façon ou d’une autre son inconsistance ou son caractère indéfendable ; c’est-à-dire si ce qui est apparemment « réaliste » dans le capitalisme s’avère n’être rien de tel. » selon lui, le réalisme capitaliste est parvenu à imposer une pensée entrepreneuriale, qui s’étend à la société.

     

    III. LinkedIn : vitrine du capitalisme cool

    Ce n’est pas un hasard si LinkedIn a fait du Corporate Memphis l’horizon de son réseau social. Le Corporate Memphis et LinkedIn sont deux faces du même réalisme capitaliste : un présent perpétuel sans alternative, masqué par des images de bonheur et traversé par une injonction narcissique à afficher son contentement.

    Linkedin comme espace performatif

    Le CSP+ sous antidépresseur est content de se lever chaque matin à 5h30 pour donner une leçon de bullshit à ses collègues. La petite dinde diplômée est ravie de faire des teambuildings au lieu de passer du temps avec ses vrais amis ou avec sa famille. En tout cas le pensent-ils. C’est ce qu’ils disent sur LinkedIn, d’ailleurs.

    :emoji fusée : Chacun a une histoire de succès professionnel ou personnel inspirante (« avant j’étais en fauteuil roulant mais depuis j’ai réussi à me faire pousser de nouvelles jambes »). À la manière du Memphis Corporate, ce réseau a comme mot d’ordre le même principe qu’une règle implicite de LinkedIn : ne montrer que le positif. Les utilisateurs savent bien qu’ils doivent montrer au reste du panier de crabes à quel point ils sont des winners. Un profil LinkedIn vise à améliorer sa crédibilité vis-à-vis de ses collègues, et au regard des autres entreprises. Comment les utilisateurs pourraient être honnêtes alors même que le seul moyen pour se mettre en avant, c’est de travestir la réalité ?

    Alors ils publient, pour raconter à quel point leur motivation a fait la différence, combien ils ont travaillé dur, comment ils ont réussi à sacrifier leur vie personnelle et à ne prendre aucun temps de loisir. Un junior qui ne raconte pas sa success story à la pause midi a-t-il seulement sa place dans la boîte à bullshit ? Le rêve américain est devenu le quotidien du petit cadre du tertiaire, qui romantise sa carrière chaotique à coups de ChatGPT.

    Le narratif « girlboss » suit le même schéma : si une femme est dans une situation professionnelle précaire, alors c’est la faute au manque d’inclusivité. Si au contraire elle atteint une place enviable (fusse au titre de quotas et moyennant des politiques d’inclusivité), elle est la seule actrice de son succès. Et d’ailleurs, grâce à ces 5 conseils, toi aussi tu vas pouvoir atteindre tes objectifs comme moi.

    Le Cadre aura à peu ou prou le même discours que le « coach » perdu dans sa réorientation et sa cinquantaine après un burn out, ou de celui de l’influenceur vous vendant un obscur Ponzi. Tout le monde souhaite nous « accompagner vers la réussite » ; à se demander pourquoi tout ce beau monde nous harcèle plutôt que de réussir lui-même. Ces personnages de Houellebecq, d’une post-modernité qui implique de décréter le cool et de manifester son contentement en dépit des calmants ingérés, vivent pour et à travers leur travail, et ce en dépit de l’absence cruelle de sens.

    La fusion du privé et du professionnel :

    Plus inquiétant encore, les utilisateurs parlent maintenant de leur intimité : la maladie d’un proche, leur mariage ou l’arrivée d’un nouveau né… Le privé s’est invité dans un espace professionnel, brouillant encore la frontière entre les deux grandement, grandement fragilisée depuis le temps du confinement. Nick Land parlait de «fusion postmoderne de la culture dans l’économie ».

    La technologie est la pierre angulaire de cette intrusion, brouillant les habitudes, comme le capitalisme a pour habitude de brouiller nos repères temporels, comme a pu le faire remarquer justement Jameson. Nous utilisons les mêmes application pour prévenir d’un retard au travail que pour annoncer nos fiançailles sur le groupe familial. Refuser chaque pénétration insidieuse de l’environnement professionnel dans notre vie est suspect. Nous sommes supposés être amis si nous sommes collègues, non ? Et si l’on ne veut pas manger, jouer et dormir avec ses collègues, a-t-on vraiment sa place dans l’équipe ? Ça n’est pas la valeur de notre entreprise.

    L’idéologie managériale a intoxiqué les réseaux sociaux, au même titre que la pub. LinkedIn, par sa forme, la présentation des profils, des expériences professionnelles, est en lui-même porteur d’une idéologie. Le problème de l’utilisation de ce réseau ? La concurrence. Il faut générer de l’engagement, et ce régulièrement pour ne pas passer à la trappe. Comme s’il s’agissait d’une extension de notre travail.

    L’envers du décor : frustration et soumission

    Le travailleur ne vend plus seulement sa force de travail, mais devient lui-même marchandise. Il est une marque, avec un récit motivationnel aussi original qu’une lettre de motivation.

    Depuis quelques années, il est possible de remarquer une multiplications des comptes de « bots » et des publications par IA. En début 2024, la plateforme a supprimé 70 millions de faux comptes. Ce n’est pas sans rappeler la théorie de l’internet mort, qui postule qu’après avoir atteint un certain stade dans le développement des machines-outils, la plupart des actions seront menées par des robots. Aujourd’hui déjà, sur la plateforme, la plupart des interactions sont le fait de bots, et cela ne semble pas inquiéter, et le problème pourrait être facilement réglé. Ils font exactement ce qu’attend d’eux la plateforme, à savoir répliquer les schémas de publications, comme un utilisateur normal le ferait. L’IA standardise les contenus. Pourquoi utiliserais-je mon précieux temps pour écrire une publication inspirante alors même que ChatGPT peut faire une chimère des milliers de posts similaires ?

    En dépit de ce constat d’un fonctionnement absurde, le Cadre peut se sentir obligé d’assumer régulièrement ce masque social en postant régulièrement. Parce qu’il a déjà un compte, parce que c’est ce que fait sa classe, par peur de se retrouver sans rien, par compensation d’une vie personnelle sans intérêt.

    Cependant, ce Cadre aura rencontrera des difficultés pour moralement supporter la mise en concurrence avec les winners du monde entier, et encore plus après qu’ils aient très favorablement embelli leur histoire. De plus, il s’agit de se vendre soi-même dans une dimension intime. Cette auto-objectivisation a de quoi rendre dépressif plus d’un aliéné.

    Pour cette raison, Linkedin est tout à fait à l’image de l’idéologie actuelle du management.

    « Ici on est comme une grande famille »

    L’idéologie managériale s’exprime aussi par le refus de la verticalité. Le N+1 va se comporter comme l’égal de l’employé pour lui donner les directives de façon détournée. « ce serait bien que tu fasses ça », signifie « fais ça ». Ce qui est d’autant plus pernicieux. Le manager ne supporte pas d’assumer l’autorité, il est obligé d’être ton « pote » et de ramener des croissants pour le petit déjeuner (si tu n’es pas sage, seras-tu privé de goûter ?). Si tu travailles bien, peut-être auras-tu la chance de siroter une IPA avec lui après le travail. Les rapports de force semblent absents, mais ce n’est qu’en apparence. Ils existent réellement, et la domination n’en est que plus forte.

    Impossible de parler de LinkedIn sans parler de la sémantique et du vocabulaire. Certains mots jargonneux sont associés à une idée positive, même (et surtout) s’il ne veulent rien dire. Les mots sont utilisés pour l’apparence qu’ils donnent, comme un signe de reconnaissance. Si je dis être assertif, motivé, etc. Évidemment, les anglicisme sont des mets de choix, en particulier pour ceux qui ne maîtrisent pas la langue de Shakespeare. Lorsque le vocabulaire est français, il y a toujours le risque qu’on se rappelle que ça ne veut rien dire. Les anglicismes et les néologismes se transforment en jargon.

    Jameson l’avait bien vu dans Postmodernisme et société de consommation : « un monde dans lequel l’innovation n’est plus possible, [où] on ne peut plus qu’imiter des styles morts, parler avec des masques, en empruntant la voix des styles, dans le musée imaginaire ».

    Une bombe à retardement

    L’esthétique du Corporate Memphis et la rhétorique LinkedIn ne représentent pas la réalité, elles la masquent pour pacifier la conflictualité sociale. Mais cette idéologie, en étouffant toute colère, favorise-t-elle vraiment la résolution des conflits ? Les paroles et les représentations mielleuses sont supposément censées neutraliser l’accès de violence. Mais sans échappatoire à la frustration, elle ne peut que s’accumuler, jusqu’à l’explosion ou la folie.

    César Cavallère (Institut Georges Valois, 19 octobre 2025)

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  • Une question taboue posée par Julien Rochedy...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Yves Le Gallou consacré à l'ouvrage que Julien Rochedy vient de publier, Qui sont les Blancs - Généalogie d'une identité interdite (Hétairie, 2025).

     

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    Qui sont les Blancs ? Une question taboue posée par Julien Rochedy

    Une question taboue

    « Qui sont les Blancs ? » : avec ce nouveau livre, Julien Rochedy s’attaque à un tabou.
    Pour les décolonialistes et les « progressistes », la réponse est simple : ce sont des « salauds », coupables de la Shoah, de la colonisation, de l’esclavage, du réchauffement climatique. Pour beaucoup d’autres, les Blancs sont « cancellisés », niés. Ils n’existent pas, ou s’ils existent, il est plus prudent de n’en point parler ! Car l’essentialisation est recommandée pour les autres groupes humains, mais interdite pour eux.

    Et pourtant, quiconque prend le métro dans une grande ville d’Europe trouve vite la réponse à la question : « Qui sont les Blancs ? » — la nouvelle minorité. La « question blanche » se pose ici et aujourd’hui comme il y eut hier une « question noire » dans les périphéries urbaines américaines.

    Rochedy affronte le problème sans faux-semblants ni complexe, en commençant par l’origine : l’ethnogenèse lors de la préhistoire et de la protohistoire, c’est-à-dire la fusion de trois groupes de peuples très proches :

    • Les chasseurs-cueilleurs, artistes de la grotte Chauvet, à l’origine de nos « 30 000 ans d’identité » selon Dominique Venner, dont les caractères ont été sélectionnés par les exigences de l’âge glaciaire ;
    • Les agriculteurs anatoliens arrivés il y a 7 000 ans, porteurs de la révolution néolithique et des mégalithes ;
    • Et, il y a 5 000 ans, la grande vague des Yamnayas, issus eux aussi des chasseurs-cueilleurs, apportant les langues indo-européennes et une vision du monde fondée sur les trois fonctions que l’on identifie dans toute l’histoire européenne.

    Rochedy insiste sur l’unité biologique des Européens : du Portugal aux pays baltes, de l’Italie à l’Irlande, on retrouve les mêmes composantes génétiques d’origine — variables dans leurs proportions, mais marquant une grande homogénéité. Ce socle, absent chez d’autres peuples plus diversifiés, est resté inchangé et imperméable à toute immigration externe jusqu’à la seconde moitié du XXe siècle.

    Le récit civilisationnel : de la Grèce au nihilisme contemporain

    Après ce développement sur les origines, Rochedy passe au récit civilisationnel. De généticien pensif, il devient historien méditatif. Après les millénaires de la préhistoire glaciaire viennent les périodes historiques:

    • La rationalité, avec l’empreinte grecque — Grèce, Rome, Moyen Âge (Aristote et les thomistes), Renaissance, Lumières ;
    • Le pragmatisme, avec Rome et son droit : « pour schématiser, le monde grec imprime l’Être du Blanc, celui de Rome inspire son Faire » ;
    • La moralité, avec l’empreinte chrétienne ;
    • La force, avec l’empreinte germanique — le Moyen Âge y est vu comme un « sas de décompression avec l’origine orientale du christianisme » ;
    • L’individualisme, avec la Renaissance ;
    • Le sentimentalisme, avec les Lumières, perçu comme une « réponse à une bascule anthropologique tragique », substituant aux liens anciens des affects volatils et un altruisme abstrait ;
    • Le travail, avec l’empreinte industrielle ;
    • Le nihilisme, avec l’époque contemporaine.

    Pour Rochedy, les maux actuels — wokisme et transhumanisme — prolongent des tendances anciennes : le constructivisme social des XIXe et XXe siècles, mais aussi l’hybris grecque. Ce qui nous bouleverse aujourd’hui vient de loin, mais aussi de nous-mêmes. D’où la nécessité de retrouver des contrepoids : mesure, limites, héritage commun, continuité historique. Face à la déferlante démographique de l’immigration, il y aurait urgence.

    Un essai polémique dans la tradition des penseurs européens

    Ce livre s’inscrit dans une lignée d’ouvrages sur la civilisation européenne : La Formation de l’Europe de Gonzague de Reynold, Le Génie de l’Occident de Louis Rougier, L’Europe a fait le monde d’André Amar, ou Histoire et tradition des Européens de Dominique Venner.

    Rochedy s’en distingue par le choix du terme « Blanc », assumé, justifié par la minorisation démographique mondiale et par les apports récents de la génétique. Il soutient que la sélection naturelle des peuples européens sous le froid glaciaire a marqué durablement leur civilisation. Certains y verront un « matérialisme biologique » irritant pour les culturalistes.

    Des passages susciteront débat, notamment sur le christianisme, que Rochedy crédite d’un rôle moral, intellectuel et même eugénique — favorisant le brassage des familles et la faible consanguinité européenne. D’autres critiqueront son approche téléologique : chez lui, ce qui advient devait advenir, comme si l’urinoir de Duchamp se trouvait déjà au pied de la grotte de Lascaux.

    Il reconnaît cependant, dans sa conclusion, la part de l’imprévu : la démographie du Nigeria face à l’Europe pourrait « plier le match », mais il croit encore à un sursaut.

    Livre polémique, certes, mais solidement construit, Qui sont les Blancs ? relance un débat ancien sur l’identité et la continuité de la civilisation européenne. Rochedy, « loup solitaire » ardéchois, y apparaît aussi comme une chouette qui réfléchit — et nourrit le débat.

    Jean-Yves Le Gallou (Polémia, 17 octobre 2025)

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  • Démocratie et décivilisation ?...

    Dans cette nouvelle vidéo, Ego Non évoque les thèses du philosophe et économiste anarcho-capitaliste Hans-Hermann Hoppe, qu'il a développé dans son livre Démocratie, le dieu qui a échoué (John Galt, 2024). Ce dernier livre une critique détonante et radicale de la démocratie, allant même jusqu'à montrer que, s'il fallait vraiment un État, la monarchie serait une forme de gouvernement plus rationnelle et adaptée.

     

                                            

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  • Les morts gouvernent les vivants...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous,  sur Ligne droite, la matinale de Radio Courtoisie, la chronique du 28 octobre 2025 de Romain Petitjean consacrée à la place que nous devons réserver à nos morts au sein de la société.

    Romain Petitjean est coordinateur du développement de l'Institut Iliade.

     

                                            

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  • Raphaël Glucksmann, l’atlanto-mondialiste qui se rêve à l’Élysée...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Camille Galic, cueilli sur le site de Polémia et consacré au parcours de Raphaël Glucksmann, l'homme qui veut succéder à Macron en 2027...

     

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    Raphaël Glucksmann, l’atlanto-mondialiste qui se rêve à l’Élysée

    Le 7 octobre, en pleine crise gouvernementale, Raphaël Glucksmann, conducator de Place Publique, était reçu à Matignon par Sébastien Lecornu avec toute la pompe requise, à l’instar des autres chefs des « grands » partis (à l’exception de La France insoumise et du Rassemblement national, non invités car favorables à une nouvelle dissolution) et l’on évoquait sa présence à un poste prestigieux dans le gouvernement en formation. Au même moment, une avalanche de sondages sur le premier tour de la prochaine présidentielle lui prédisait 14 à 16 % des suffrages. Ce qui ferait de lui, certes très loin de Marine Le Pen ou de Jordan Bardella, crédités par tous les instituts de 33 à 35 % des voix, un sérieux candidat pour le second tour puisque, au premier, son score dépasserait celui de Bruno Retailleau et de Gabriel Attal et le placerait au niveau de Jean-Luc Mélenchon ou de l’ancien Premier ministre Édouard Philippe. Il lui suffirait donc de rameuter suffisamment de bobos, de gogos et même d’aristos et de cocos pour se poser en barrage contre le « fascisme », et l’emporter avec l’aide des médias qui lui sont tout acquis.

    Une Place Publique bien dépeuplée

    Mais qu’est donc Place Publique, dite PP et revendiquant dix mille adhérents ? Une resucée de « Nuit debout », mais propre sur elle et débarrassée de ses oripeaux et de ses arguments trop antifas. Selon son fondateur et ses groupies (Aziliz Gouez, Caroline Kamal, Jérôme Karsenti, Thierry Kuhn, Jo Spiegel, André Aahiud, etc.), le parti articulé « autour de quatre urgences : écologique, démocratique, sociale et européenne », a vocation à se structurer sur tout le territoire français et au-delà, à travers l’Europe, à multiplier les réunions publiques, à contrer les lobbies et à bouleverser le champ politique.

    Pour se consacrer à ce vaste programme, Raphaël Glucksmann avait, du reste, théâtralement renoncé, le 29 novembre 2018, à participer sur France Inter au Grand Face à face dont il était un habitué — et où il fut remplacé par Gilles Finchelstein.
    Néanmoins, pour ce qui est de bouleverser le champ politique, le but fut raté : associée au Parti socialiste, PP n’obtint que deux sièges lors des élections européennes de 2019, dont un, bien sûr, pour son leader. Auxquelles les élections européennes de 2024 ne furent guère plus favorables puisque, toujours associée au PS, seuls trois sièges lui furent attribués, malgré un indécent soutien médiatique. Dû essentiellement au copinage, mais aussi à son adhésion forcenée aux thèses ukrainiennes, à son refus de condamner les atrocités commises par Tsahal dans la bande de Gaza ou la colonisation à marche forcée de la Cisjordanie, et à ses positions ultralibérales sur la tsunamigration.

    Raphaël Glucksmann avait en effet défendu la création de voies d’immigration légales en Europe, proposant le développement de quotas basés sur les besoins économiques des États et la nécessité de « répondre à la pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs », quitte à faire baisser les salaires. Et tant pis pour les travailleurs européens, dont se fiche d’ailleurs l’État profond américain — initiateur du wokisme — dont Glucksmann est le commis-voyageur.
    Ce que pressent une partie de l’électorat, puisque Place Publique, bien que ralliée au Nouveau Front populaire, ne réussit à faire élire, aux législatives anticipées de juillet 2024, qu’un député, Aurélien Rousseau, éphémère ministre de la Santé dans le gouvernement Borne, après avoir dirigé l’Agence régionale de santé d’Île-de-France — alors même que son épouse Marguerite Cazeneuve bossait pour un laboratoire pharmaceutique, ce qui posait un problème d’éthique.

    Trois eurodéputés, deux sénateurs, un seul député national et 8 % seulement des voix le 28 septembre pour le candidat de Place Publique, éliminé lors de la législative partielle dans la 5e circonscription de l’étranger. Autant dire qu’en soi, ce parti ne pèse rien. Mais il peut compter sur la médiaklatura française comme anglo-saxonne pour faire mousser cet « aventurier des temps modernes » — cf. Courrier international.

    Petit-fils d’un agent de Staline

    Comme nul ne l’ignore, l’avantageux Raphaël est le fils du défunt maoïste puis néo-philosophe André Glucksmann, l’un des idéologues de Mai 68 avec ses acolytes Bernard-Henri Lévy, Alain Finkielkraut et Pascal Bruckner, avant de verser dans le néo-conservatisme à l’instar des trotskistes américains Richard Perle, Caspar Weinberger ou Paul Wolfowitz, les boutefeux des guerres contre l’Irak sous les deux présidences Bush.
    Et ses aïeux sont tout aussi intéressants. Sa grand-mère maternelle, la future philosophe Josette Colombel, issue d’une famille d’extrême gauche mais mariée à un militant de l’Action française qu’elle trompa allègrement, adhéra au Parti communiste en 1943 avant de créer, avec Jeannette Vermeersch, l’épouse de Maurice Thorez, l’Union des femmes françaises, puis quitta le PCF en 1968 pour se rapprocher de Jean-Paul Sartre et lancer le Secours rouge, rival vite oublié du Secours populaire.

    Quant à son grand-père paternel, Rubin Glucksmann, né austro-hongrois dans l’actuelle Ukraine et agent de renseignement du GRU (renseignement militaire soviétique), il gagna la France en 1935, mais continua ses activités pour le Komintern au sein de la Wostwag, qui livrait du matériel aux républicains espagnols. C’est d’ailleurs en l’honneur du Petit Père des peuples que ce stalinien d’élite donna Joseph comme premier prénom à son fils André.

    On comprend qu’issu d’une telle lignée, Raphaël proclame dans son pamphlet Génération Gueule de bois. Manuel de lutte contre les réacs (Allary Éditions, 2015) : « Nous sommes tous des flics juifs arabo-martiniquais, dessinateurs libertaires, prophètes clients de supérette kasher, Clarissa, Stéphane, Ahmed, Yoav ou Franck. » Et qu’il rêve du jour où « les communautés nationales, ethniques ou religieuses [vont] se dissoudre dans une acculturation planétaire émancipatrice, les individus se débarrasser des contraintes et des carcans, des églises et des partis, du temps et de l’espace, pour former une société globale libre et pacifiée » (1).

    C’est donc à bon droit que Le Monde pouvait écrire le 21 mars 2014, non sans cruauté : « La révolution, c’est son rayon […] À 34 ans, Raphaël Glucksmann a fait des soulèvements nationaux son fonds de commerce. Après la Géorgie, c’est en Ukraine qu’il conseille les leaders pro-Europe […] S’il devait définir sa fonction aujourd’hui, il dirait “consultant en révolution”. “Mais ça n’existe pas” […] Se mobiliser pour une cause française, ce serait déchoir ? “Ça ne m’a jamais fait vibrer de manifester pour les retraites”, répond-il. »
    Une phrase que l’intéressé regrette amèrement aujourd’hui…

    Mai 68, naissance de la société black-blanc-beur

    Né en 1979, le « fils Glucks » entre dans la carrière politique en 2004 en coréalisant avec quelques potes, dont David Hazan et Michel Hazanavicius (futur récipiendaire d’un Oscar pour le film The Artist), Tuez-les tous !, un documentaire frénétiquement antifrançais sur le Rwanda, où, à son initiative, l’Union des étudiants juifs de France organise dans la foulée des voyages d’études. L’année suivante, il lance de nouveaux voyages d’études, cette fois pour « sauver la culture tchétchène » menacée par le bulldozer russe. Voyages financés, selon l’AFP du 21 juillet 2005, par « des donations privées (Fondation Soros notamment) et subventions publiques (mairie de Paris, région Île-de-France) », car l’objectif est de « former une élite à la démocratie », comme l’ont fait les ONG américaines. Parallèlement, il contribue à la revue Le Meilleur des mondes, émanation du très atlantiste Cercle de l’Oratoire.

    Puis, avec son père, il signe Mai 68 expliqué à Nicolas Sarkozy (Denoël, 2008), où il proclame que, « sans son slogan le plus fou, “Nous sommes tous des juifs allemands !”, jamais [Nicolas Sarkozy] n’aurait pu être président de la République ». Dans Le Point, il confirme à ceux qui en douteraient que « 68 est une assomption du déracinement qui a donné la société “black-blanc-beur”, multiculturelle et ouverte dans laquelle nous vivons. Qu’est-ce qui symbolise mieux l’abolition des frontières que le juif errant ? »

    En Géorgie, Birkin arme absolue contre Poutine

    C’est justement pendant l’été 2008, quand le très américanolâtre président géorgien Mikheil Saakachvili lance une attaque contre l’Ossétie du Sud voisine, restée fidèle à Moscou, que la révolution devient réellement « son fonds de commerce ». Bernard-Henri Lévy le presse de partir, lui aussi, à Tbilissi, ce qui, dit-il, va « déclencher un virage radical dans [s]on existence ». Très bien accueilli par le gouvernement Saakachvili, formé de son propre aveu de « jeunes gens dont la double nationalité américaine, anglaise, fait ressembler Tbilissi à une Babel occidentale plantée au cœur du Caucase », il multiplie les initiatives pour narguer les Russes et ancrer les Géorgiens dans l’Occident. Par exemple, « un concert géant près de la frontière abkhaze avec Youssou N’Dour, MC Solaar et Jane Birkin, amie de la famille » — cf. Le Monde du 5 octobre 2011.
    Birkin contre Poutine, il fallait y penser !

    Mais il n’y a pas que la chansonnette et le rap dans la vie. Entre-temps, Raphaël Glucksmann, qui fréquente assidûment la jet-set tbilissienne, a épousé en 2009 une étoile de la nomenklatura locale, Ekaterina, dite Eka, Zgouladzé. Depuis 2004, Eka, qui a fait ses études outre-Atlantique, est au service de l’antenne géorgienne de la Millennium Challenge Corporation (MCC), un fonds de développement américain fondé par George W. Bush en 2002, conçu par le National Security Council et soutenu par sa directrice d’alors, Condoleezza Rice (plus tard patronne de la diplomatie états-unienne de 2005 à 2009, sous le second mandat du même Bush). Mais voici bientôt Mme Glucksmann bombardée vice-ministre de l’Intérieur de Géorgie, qu’elle travaille assidûment à faire intégrer à l’OTAN.

    Ukraine : grandeur et décadence d’une princesse

    Las, les élections législatives de 2012 puis la présidentielle de 2013 sont fatales au clan (ou au gang, tant la Géorgie est mise au pillage) de Saakachvili. Au grand dam de son conseiller spécial qui, dans Libération (du 20 avril 2015), reconnaîtra avec une certaine naïveté : « On n’a rien vu venir. On s’adressait aux citoyens comme à des actionnaires d’une entreprise nationale alors que nos adversaires parlaient à leur âme. »
    Toutefois, une nouvelle aire de jeux s’offre bientôt au couple : l’Ukraine, où se multiplient les manifs de l’Euromaïdan pour l’adhésion à l’Union européenne et contre le président en place Viktor Ianoukovitch, trop proche du Kremlin. Fin 2013, Raphaël se rue à Kiev où il devient l’intime et le conseiller politique richement rémunéré du maire Vitali Klitschko, un ancien boxeur, puis de la blonde Ioulia Timochenko, ancien Premier ministre. Son obsession : convaincre les oligarques ukrainiens que, « s’ils veulent prouver qu’ils sont devenus pro-européens, ils doivent aider les autres (Biélorusses, Russes, Géorgiens) à faire leur révolution », déclare-t-il dans Le Monde du 21 mars 2014.
    De son côté, son épouse renonce sans états d’âme à la nationalité géorgienne pour être à nouveau nommée vice-ministre de l’Intérieur… mais cette fois en Ukraine, dans le second gouvernement Iatseniouk !

    Ekaterina Zgouladzé, qui se décrivait elle-même dans Le Figaro du 20 juin 2011 comme une patriote géorgienne et, surtout, « une princesse au comportement impeccable », n’en est pas à une contradiction près. Elle qui avait juré, en prenant ses fonctions à Kiev, de se vouer corps et âme à la lutte contre la corruption est arrêtée en décembre 2015 à l’aéroport international de Kiev-Boryspil, avec des valises pleines de billets — entre dix et quatorze millions de dollars qui, selon Vasyl Gritsak, le chef des services secrets ukrainiens (SBU), auraient été détournés des sommes allouées à la réforme… de la police, dont elle était justement chargée !

    Léa Salamé : quel bonheur d’avoir un père (et une sœur) !

    Le scandale épargne Raphaël Glucksmann, divorcé en 2014, rentré seul à Paris et toujours très présent dans les médias, cette fois pour son idylle avec Hala, dite Léa Salamé, étoile montante de l’audiovisuel d’État croisée dans l’émission On n’est pas couché — ça ne s’invente pas.

    Mais ces deux-là étaient faits pour se rencontrer. Comme Raphaël est « fils de », Léa est « fille de », et tous deux appartiennent à la fine fleur du cosmopolitisme à la sauce ketchup.
    Par sa mère arménienne, la Beyrouthine Léa, évidemment inscrite gamine à l’École alsacienne, où elle côtoie tous les rejetons des membres du « Siècle », la côterie « au cœur du pouvoir » décrite par Emmanuel Ratier, est issue de la dynastie Boghossian, opulents diamantaires et joailliers ayant pignon sur avenue chic de Rio à Bruxelles, où la famille a racheté le château du baron Empain. Par son père Ghassan, de confession grecque-catholique, diplômé de multiples universités dont la Sorbonne et l’université américaine de Beyrouth, ministre libanais de la Culture de 2000 à 2003 dans le gouvernement du richissime Rafiq Hariri (logeur et bienfaiteur à Paris du couple Chirac après le double mandat de celui-ci), puis derechef à partir de janvier 2025 dans le gouvernement de Nawaf Salam, elle est introduite dans tous les cénacles internationaux.

    Professeur d’université, politologue et surtout lobbyiste d’élite, Ghassan Salamé, ancien Rockefeller Fellow en relations internationales, ancien guest scholar de la Brookings Institution de Washington (émanation du Council on Foreign Relations et lieu de rencontre des démocrates mondialistes), ancien conseiller spécial du Ghanéen Kofi Annan, alors président de l’ONU, puis envoyé spécial de l’ONU en Irak, ce diable d’homme trouve le temps d’enseigner au CNRS, à Paris-I et à Sciences Po Paris, où, rappelait Emmanuel Ratier, « il deviendra, en novembre 2008, le premier “joint professor” entre Sciences Po et la Columbia University dans le cadre du programme “Alliance”. Depuis septembre 2010, il dirige la Paris School of International Affairs de Sciences Po (financée par la Fondation MacArthur à hauteur de 80 000 dollars), où les cours sont dispensés en anglais et où la quasi-totalité des étudiants sont étrangers, car le programme ambitionne de former les élites mondialisées des pays émergents. »

    On ne s’étonnera donc pas de liens si étroits entre Salamé père et le multimilliardaire George Soros, que ce dernier l’imposa à la direction de l’Open Society, sa fondation prétendument humanitaire, très active désormais dans l’accueil aux migrants, et comme président du conseil d’administration de l’International Crisis Group, basé à Bruxelles. Lobby mondialiste où siégeaient notamment Javier Solana, ancien secrétaire général de l’OTAN, et le général Wesley Clark, né Kanne, commandant suprême des forces alliées de l’OTAN en Europe lors de l’agression contre la Yougoslavie au printemps 1999 — c’est à cet officier qu’on doit la fameuse phrase prononcée en 2004 : « Il ne doit plus y avoir de place en Europe pour les peuples non métissés. Les peuples non mélangés appartiennent aux idées du XIXe siècle. » Une prédiction hélas en bonne voie de réalisation.

    Et comme si cela ne suffisait pas, Louma, la sœur de Léa, a épousé en juillet 2011 le comte Raphaël de Montferrand, fils de l’ambassadeur de France Bernard de Faubournet de Montferrand, ce dernier ancien conseiller diplomatique du Premier ministre Édouard Balladur, puis directeur de cabinet du ministre de la Coopération Michel Aurillac, et bien évidemment membre, lui aussi, du Siècle.
    Après la « princesse » Eka Zgouladzé, la sœur d’une comtesse. On voit que Glucksmann choisit bien ses compagnes.

    “En marche”… vers la présidence ?

    Et quand ses amours avec la seconde font accéder le petit-fils d’un agent communiste à la haute aristocratie, puisque le beau-père de Louma préside depuis 2013 l’influente Société des Cincinnati de France, regroupant les nobles descendants du marquis de Lafayette et de ses amis venus, à partir de 1777, épauler les insurgents américains contre le colonisateur anglais, société qui refusa toujours d’intégrer le parvenu Valéry Giscard d‘Estaing, c’est encore plus profitable.
    Comme le sont, de l’autre côté du prisme, les gros titres des magazines people, très lus par « la ménagère de plus de 50 ans », consacrés à l’attelage Raphaël-Léa, si glamour. Surtout depuis que, heureux hasard, Salamé s’est vu offrir, en septembre dernier, par Delphine Ernotte, patronne de la télévision d’État, ce graal audiovisuel qu’est la présentation du journal vespéral de France 2. Où elle a d’ailleurs commencé en fanfare en confondant, à l’occasion du procès Sarkozy, Claude Guéant et Henri Guaino. Sans doute cette ancienne étudiante à l’université de New York connaît-elle mieux l’Establishment de la côte Est.

    La visibilité de sa compagne et son aura personnelle suffiront-elles à permettre au commis-voyageur de la nouvelle révolution permanente made in US de conquérir l’Élysée lors de la prochaine présidentielle ? C’est à l’évidence son objectif, mais ses électeurs potentiels feraient bien de méditer le jugement définitif porté sur lui par François Asselineau le 1er mai 2024 : « Glucksmann est le candidat quasi officiel de l’oligarchie euro-atlantiste. Il est mentionné tous les jours de façon très positive, alors que tout le monde sait que c’est un agent américain. […] Il a été le collaborateur de l’ancien président géorgien Mikheil Saakachvili, lui-même agent de la CIA, et qui est aujourd’hui en prison. Si cela ne vous suffit pas, il suffit d’écouter ce qu’il défend. Glucksmann soutient tous les intérêts géopolitiques américains. »

    Voici prévenu le peuple souverain. Si, par malheur, le « fils Glucks » succédait à Macron, la France, déjà protectorat américain grâce au « Mozart de la finance » qui brada tant de nos « pépites » industrielles à des trusts états-uniens, serait réduite à l’état de simple colonie.

    Camille Galic (Polémia, 15 octobre 2025)

     

    Note :

    (1) Comme beaucoup d’autres dans cet article, cette citation est tirée des remarquables portraits que le très regretté Emmanuel Ratier, disparu le 19 août 2015 à l’âge de 57 ans, consacra dans sa lettre confidentielle Faits et Documents à Raphaël Glucksmann (nos 408, 409, 414 et 420) et à sa compagne Léa Salamé (nos 389, 409, 413 et 416 de F&D). Dix ans après la disparition de notre confrère et ami, Faits et Documents reste, comme ses livres, dont les deux tomes de Au cœur du pouvoir, annuaire très commenté des membres du Siècle paru aux éditions Facta, une inestimable mine de renseignements pillée par tous les journalistes, quelle que soit leur couleur politique.

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  • Aux origines de l’aristocratie européenne...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte publié par l'Institut Iliade, issu du site de l'Instituto Carlos V* et consacré aux origines de l'aristocratie européenne.

    *L'Instituto Carlos V (Charles Quint) est le frère espagnol de l'Institut Iliade, qui a également, depuis quelques mois, un frère italien avec l'Istituto Eneide.

     

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    Aux origines de l’aristocratie européenne

    Le mot « aristocratie » provient de la racine grecque aristos (ἄριστος), dérivée du terme « areté » (ἀρετή) et fait référence à l’excellence ou à la vertu. En pratique, les aristoi (ἄριστοι) étaient ceux qui possédaient des qualités exceptionnelles qui les rendaient aptes à gouverner.

    Pour comprendre quelle était l’essence de cette supériorité, se pose alors naturellement la question suivante : dans quelle mesure étaient-ils meilleurs ?

    Cette question a été abordée par le biais de perspectives très différentes. Alors que certains mettent en avant une série de caractéristiques spirituelles, ou des qualités éthiques et intellectuelles, d’autres adoptent une vision critique et soupçonnent que l’emploi de cette terminologie répond davantage à un mécanisme de manipulation utilisé par les classes dominantes pour justifier leur pouvoir. Sans écarter ces interprétations, qui peuvent éclairer des aspects importants du phénomène, nous allons ici travailler sur une hypothèse différente en examinant s’il est possible d’envisager l’aristocratie comme une question de manipulation de la Nature et non du statut économique.

    Pour développer notre argumentation, nous devons d’abord remonter aux conditions qui ont précédé la forge de notre culture telle que nous la connaissons. L’archéologue et anthropologue Marija Gimbutas a démontré dans son livre The Gods and Goddesses of Old Europe, en se basant sur l’analyse de sociétés tribales contemporaines et sur des vestiges matériels de la préhistoire, qu’en « vieille Europe » (expression utilisée pour désigner les sociétés sédentaires, d’abord de chasseurs-cueilleurs puis agricoles, qui ont prospéré durant la période préhistorique du continent européen), la capacité procréatrice de la femme occupait une position de préférence, car il était considéré que les femmes étaient les conductrices des forces cosmiques qui produisent la fertilité. Cette croyance correspond également à l’institution de sociétés matriarcales et matrilinéaires, c’est-à-dire des communautés dans lesquelles les femmes détenaient le pouvoir politique et religieux, et où l’héritage se transmettait par voie maternelle.

    Les preuves archéologiques les plus anciennes de cet ordre de valeurs sont les nombreuses statuettes dédiées à la « Déesse Mère », ou « Grande Mère », qui ont au moins vingt-cinq mille ans d’ancienneté, comme la célèbre Vénus de Willendorf. Cette tendance s’est maintenue, et même s’est exacerbée à la suite de l’émergence de l’agriculture, durant la période néolithique. Nous pouvons corroborer cette hypothèse en examinant le site de Çatalhöyük, situé dans la péninsule d’Anatolie, où ont été découvertes des figures datant d’environ 6000 av. J.-C. représentant la Grande Mère. De même, la religion minoenne tournait également autour de divinités féminines, comme la Déesse Serpente, dont l’image a survécu jusqu’à nos jours grâce à une statuette datant de 1600 av. J.-C. trouvée dans le palais de Cnossos. De plus, la prolifération de ce type de divinités à travers le monde permet de théoriser qu’il s’agit d’un phénomène transculturel, caractéristique d’une époque où l’être humain était très vulnérable face à la Nature.

    Aussi, la période historique de l’Europe où le rôle de la femme était prépondérant coïncide avec un moment où l’humanité ne comprenait pas encore le fonctionnement de la gestation. Autrement dit, l’homme était incapable d’identifier sa propre participation à l’acte de procréation, ce qui l’amenait à attribuer la grossesse à un pouvoir spécial des femelles pour communiquer avec la Nature et assumer en elles-mêmes la puissance reproductive. Dans son livre The family among the Australian Aborigines. A sociological study, Bronisław Malinowski explique que les tribus qui ont maintenu un mode de vie préhistorique ignorent encore que la procréation a un lien de cause à effet avec l’acte sexuel. Quoi qu’il en soit, le contexte matriarcal qui a prospéré en Europe entre 7000 et 3500 av. J.-C. se caractérisait, selon Gimbutas, par une existence pacifique, coopérative et égalitaire.

    Cependant, cet ordre social n’a pas pu contenir l’élan des migrations indo-européennes, également appelées indo-aryennes, qui se sont étendues dans toutes les directions sur une période pouvant aller de mille à trois mille ans, et qui ont complètement changé non seulement la physionomie de l’Europe, mais aussi celle du reste du globe. Ces populations émergent dans l’Histoire en tant que cavaliers et pasteurs nomades formant des groupes stratifiés, hétéropatriarcaux et bellicistes. Gimbutas explique comment ces envahisseurs, des guerriers montés à cheval venant du sud de l’actuelle Russie, selon l’hypothèse des Kurganes qu’elle défend, ont dominé les sociétés agricoles à travers trois vagues migratoires qui se sont succédé entre 4000 et 1000 av. J.-C. Pour certaines intellectuelles affiliées au féminisme, comme par exemple l’auteure de Le calice et l’épée, Riane Eisler, l’émergence de la culture indo-européenne et patriarcale a signifié la propagation de la guerre, de l’inégalité, de l’aliénation et de la destruction de l’équilibre des écosystèmes, représentant un cataclysme dont nous devons nous lamenter. À ce stade de l’étude, inutile de s’arrêter sur cette polémique, nous poursuivons notre exposé pour revenir sur ce sujet à la conclusion.

    Pour que l’expansion soit rendue possible, les Indo-Européens ont utilisé des avancées techniques singulières (instruments comme les brides ou la roue) et, principalement, la domestication du cheval. En raison du flux migratoire intense, la religiosité des peuples qui gouvernaient désormais les populations indigènes des terres européennes s’est progressivement infiltrée dans la culture européenne, sur un substrat de spiritualité tellurique. En conséquence, les divinités associées à la Nature ont été reléguées au second plan, comme cela se produit en Grèce avec les divinités chthoniennes, ou avec les Vanir de la mythologie nordique. Le culte indo-européen, qui tournait autour de Deus Pater, avait un caractère céleste (un « esprit ouranien », selon la terminologie de Julius Evola) et n’était plus lié à la fertilité, mais aux valeurs culturelles d’une aristocratie guerrière en plein essor. De même, l’ordre familial a également été altéré, établissant un système patrilinéaire et patrifocal dérivé des observations sur le lien de parenté réalisées par les pasteurs indo-européens, qui démentaient le préjugé matriarcal fondateur selon lequel l’homme n’intervient pas dans le processus reproductif.

    Il est important de souligner que le phénomène décrit ne s’applique pas seulement à l’expansion indo-européenne. Au contraire, des dynamiques similaires se reproduisent sur tous les continents au fil de l’Histoire. Prenons l’exemple de la relation entre les peuples tutsi et hutu. Bien que la population native de l’actuel Rwanda soit constituée de Hutus, les Tutsis se sont érigés en une élite aristocratique qui a administré de manière parasitaire ce vaste territoire jusqu’au XXᵉ siècle, bien qu’ils ne représentent que dix-sept pour cent de la population. L’exemple de ces deux tribus a été analysé par Pierre van den Berghe dans Race and Racism : A Comparative Perspective (1967, 12), ce qui l’a amené à soutenir que les Tutsis ont développé par eux-mêmes toute une forme de pensée raciste qui revendique leurs traits physiques (nez aquilin, grande taille, constitution fine, etc.), tout en méprisant et définissant comme inférieurs les traits de ceux qu’ils soumettent.

    Des cas similaires se retrouvent par exemple en Chine, qui n’a pas été conquise uniquement par les Mongols, mais aussi par les Mandchous a posteriori. Ces deux groupes ethniques ont quelque chose en commun : leur origine en tant que pasteurs dans les montagnes du nord. De plus, les Mandchous, tout comme les Tutsis, ont imposé un système basé sur la discrimination raciale pour préserver leur culture et leurs traits génétiques, afin de ne pas être assimilés par la vaste population d’autochtones, comme cela était arrivé aux Mongols. Comme l’avait déjà pressenti l’historien arabe Ibn Khaldoun au XIVᵉ siècle, nous pouvons identifier une constante dans l’histoire de l’humanité : les peuples nomades conquièrent les sédentaires et imposent leur loi.

    Nous pouvons attribuer le succès de ces peuples, selon les théories énoncées par Costin Alamariu dans Selective Breeding and the Birth of Philosophy, à trois facteurs principaux : l’alimentation, la culture et l’environnement. Tout d’abord, l’alimentation des pasteurs-nomades est principalement basée sur la consommation de produits laitiers, de viande et de fruits, provenant des arbres éparpillés sur la géographie qu’ils traversent. La consommation de doses élevées de protéines, maintenue au fil des générations, produit des individus d’une taille supérieure et d’une constitution osseuse et musculaire bien plus robuste, ce qui est approprié pour mener des efforts militaires. Cette alimentation ne pourrait pas être plus différente de celle des communautés sédentaires, qui vivent attachées à la terre qu’elles cultivent. Ainsi, l’alimentation de ces dernières se basait sur des végétaux et des légumineuses, avec une consommation très faible de produits carnés.

    Deuxièmement, d’un point de vue culturel, la conquête correspond beaucoup mieux à la cosmovision d’un peuple de pasteurs, qui ne voit pas la terre comme une possession statique, mais qui est habitué à être propriétaire de son bétail. De plus, le bétail est un bien beaucoup plus facile à dérober, ce qui amène les pasteurs à développer une compétence supérieure pour exercer la violence. Enfin, le fait d’habiter des zones montagneuses conduit également à cultiver des valeurs étroitement liées à la guerre. Les régions montagneuses ont toujours été des scènes de conflits, que ce soit dans les Highlands écossaises ou dans les Balkans.

    Une fois que nous avons révélé les origines de l’aristocratie, nous sommes prêts à mieux comprendre la conception aristocratique du monde. D’abord, les preuves recueillies permettent de comprendre pourquoi les aristocrates ont toujours rejeté le travail manuel et les tâches agricoles. Par ailleurs, parmi l’aristocratie, il est récurrent de construire des résidences de campagne où la famille peut se retirer, comme si le sang les poussait hors des villes et leur demandait de se reconnecter avec l’esprit sauvage de leurs ancêtres. La pratique de la chasse et de l’équitation semble remplir une fonction similaire dans la préservation du contact avec la Nature.

    L’obsession pour le lignage peut également s’expliquer si nous revenons aux origines pastorales de l’aristocratie. En concentrant tous leurs efforts sur l’élevage, les pasteurs ont pu découvrir les rudiments de l’eugénisme, cherchant à faire en sorte que leurs spécimens se distinguent de ceux de leurs concurrents. Ce processus justifie évidemment l’un des principes de l’aristocratie : les ancêtres transmettent des caractéristiques à leurs descendants. Les pasteurs et éleveurs n’ont pas seulement découvert comment améliorer la qualité de leur bétail par le biais de la reproduction sélective (sélection des spécimens qui reproduiront des traits désirables chez leurs descendants), mais ils ont également appliqué ce principe à eux-mêmes et mis en œuvre de nombreuses procédures eugéniques, telles que des restrictions à l’union matrimoniale ou, à la manière de Sparte, des examens médicaux pour écarter les enfants faibles ou déformés, ainsi que des entraînements visant à améliorer les compétences des nouvelles générations.

    En résumé, lorsque les pasteurs devenus aristocrates pratiquaient certaines formes d’eugénisme, ils n’appliquaient rien d’autre qu’à l’homme ce qu’ils avaient observé en élevant leurs animaux. Par conséquent, l’aristocrate est celui qui pense qu’il est destiné à gouverner les autres, et il l’est non par hasard, mais en vertu de sa nature, qui est supérieure à celle des autres, tout comme d’autres personnes sont également destinées à servir en raison d’une inclination naturelle. Il ne faut pas chercher plus loin pour trouver ce type d’affirmations chez Platon et Aristote, qui reconnaissaient l’existence de différentes natures pour chaque être humain, une idée que l’ordre démocratique contemporain juge comme irrationnelle et inhumaine.

    Cependant, ces considérations resteraient stériles si nous ne tentions pas de distiller des conclusions qui font directement appel aux circonstances qui nous concernent. Après tout, nous ne pouvons ignorer que l’être humain ne peut être réduit à l’espèce. Comme le dirait Martin Heidegger, l’être humain n’est pas une substance fixe, mais un être-là (Dasein) en perpétuel devenir. En tenant compte de cette vision particulière, selon laquelle l’être humain ne peut être compris en tant que tel que dans le cadre qui lui est propre, c’est-à-dire dans l’espace-temps historique, certaines voix soulignent la nécessité de revenir à un paradigme similaire à celui des sociétés sédentaires et matrifocales. Mais comme le montrent les preuves historiques, les valeurs attribuées à ce type de sociétés, même si elles sont célébrées aujourd’hui, ont condamné la « vieille Europe » à être dominée par d’autres groupes humains mieux préparés au conflit. De plus, il convient également de prendre en compte dans quelle mesure l’égalitarisme de ces communautés lèse la capacité d’individuation de leurs membres.

    Bien qu’il soit vrai que le culte de la Déesse Mère de la préhistoire corresponde à la prolifération de populations régies par des principes matriarcaux, nous ne devons pas supposer que ces sociétés ont inspiré des concepts tels que celui de la liberté. Les philosophes écoféministes qui ignorent ce fait et aspirent à un retour à la Nature, supposant que cette restitution signifierait l’abolition de toute exploitation et souffrance, ne font que reproduire la croyance en la nécessité de sortir de l’Histoire, qui a à la fois une version eschatologique-religieuse et une version utopique-matérialiste. Mais il est vrai que, loin de représenter une alternative libératrice, les sociétés matrifocales étaient marquées par deux ingrédients que l’on tente de dissimuler : la rareté et l’impuissance face aux caprices des phénomènes naturels.

    D’autre part, en raison des processus naturels que doit suivre une économie agricole, la vie de ces êtres humains était monotone et, à long terme, incompatible avec les instincts des jeunes hommes. En conséquence, les sociétés sédentaires de la préhistoire inhibaient les jeunes hommes par des conventions sociales qui garantissaient une vie plus sûre. Comme le souligne James George Frazer dans Le Rameau d'or, l’homme primitif ignore la différence entre convention et Nature, puisque la loi non écrite lui semble aussi naturelle que les cycles de la terre et du soleil. En fin de compte, l’habitant des populations sédentaires préhistoriques n’était pas un sujet libre, comme l’imaginent les héritiers de Rousseau, mais l’homme le plus asservi qui ait jamais existé.

    Les jeunes hommes indo-européens, en revanche, ont fait de la vitalité leur plus grande vertu et ont formé l’aristocratie qui a fondé les cités-États de l’Âge du Fer. La constatation du pouvoir reproductif féminin, que les hommes primitifs attribuaient à une origine magique, a conduit les hommes à réaffirmer leur capacité créative, au-delà du corps, par le biais de la téchne (production ou fabrication matérielle). Grâce aux outils produits artificiellement, les êtres humains ont accru leur capacité d’agir sur la réalité, atténuant leur vulnérabilité face à la Nature. Évidemment, la fabrication d’outils, qui implique la capacité et le désir de transcender les limites de l’espèce et de fonder une seconde nature (la culture), constituait l’essence du genre Homo pratiquement depuis ses origines. Cependant, c’est en Europe, dans ce que Oswald Spengler appelle l’esprit faustien occidental, que : « la lutte entre la nature et l’homme, qui avec son existence historique se rebelle contre la nature, a été pratiquement menée à son terme. »

    L’expression artistique qui représente le mieux ce changement de tendance se retrouve dans les statues grecques connues sous le nom de Kuroi (κοῦροι), qui immortalisent de jeunes athlètes victorieux. À en juger par la transition esthétique citée, cette nouvelle société ne vénérait plus la Grande Mère, mais les valeurs liées à la jeunesse et à la beauté. La ville européenne qui se crée à partir de cette floue période préhistorique se définit par sa volonté de tenter de conserver, dans un environnement urbain, la liberté des peuples nomades et de la jeunesse barbare, exaltant les tendances d’un mode de vie qui a un impact positif sur les manifestations culturelles développées dans le contexte privilégié de la pólis. La clé de la civilisation européenne réside dans son refus d’essayer de supprimer les ambitions de la jeunesse, même si celles-ci peuvent sembler déstabilisatrices, mais dans leur exaltation et leur perfectionnement par le biais du gymnase, de la palestre et des autres expressions de l’ἀγών (le mot « agón » fait référence à la compétition, qu’elle soit sportive, artistique, militaire ou dialectique).

    Cela dit, la connaissance de ce processus de sélection et d’élevage pratiqué par les élites des sociétés « civilisées » depuis l’Antiquité soulève également des conséquences qui devraient nous amener à réfléchir. Après avoir domestiqué le monde vivant, les aristocrates ont pris en charge leur propre autodomestication, et cette souveraineté sur eux-mêmes leur a permis de se consolider en tant qu’élite et de domestiquer les masses. Autrement dit, l’articulation de sociétés hiérarchiques dépend de la relation qui s’établit entre les maîtres et les domestiqués, que ces derniers soient des natures inertes, comme la matière-énergie, ou des natures vivantes, comme les animaux ou d’autres êtres humains. À la lumière des événements survenus ces dernières années, nous prévoyons que la sophistication des techniques de domestication augure d’un avenir à court ou moyen terme où ces différences entre maitres et domestiqués ne feront que s’intensifier.

    Marcos G.

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