Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Points de vue - Page 2

  • Macron à l’ONU : le discours d’un roi fainéant...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Daoud Boughezala cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré à la reconnaissance par Emmanuel Macron, à la tribune de l'ONU, d’un État palestinien.

     

    Macron_ONU_palestine.jpg

    Macron à l’ONU : le discours d’un roi fainéant

    Too late. Le général MacArthur répétait que toutes les erreurs s’abreuvaient à la même source : trop tard. En revêtant ses habits de roi fainéant replié sur la scène internationale, Emmanuel Macron renouvelle la loi du genre. Sa reconnaissance d’un État palestinien fantomatique mardi à la tribune de l’ONU arrive soit trop tôt, soit trop tard. Trop tôt pour ceux qui ne veulent pas de la solution à deux États ; trop tard au goût des partisans d’un État palestinien qui voient la boucherie se poursuivre à Gaza et la colonisation s’intensifier en Cisjordanie. En diplomatie, le « en même temps » ne paie pas. Impuissant, notre monarque républicain est condamné à égrener les vœux pieux : il faudrait des territoires palestiniens débarrassés du Hamas, une bande de Gaza pacifiée et une Autorité palestinienne renforcée.

    Une contradiction majeure

    Louable dans son principe, cet effet d’annonce ne sera suivi d’aucun effet tangible. Certes, le président de la République peut se targuer du soutien d’une majorité écrasante de l’Assemblée générale des Nations-Unies. Mais ce vote ne reflète aucune réalité concrète, d’autant qu’Emmanuel Macron subordonne la reconnaissance pleine et entière du futur État palestinien à deux conditions : la libération des otages que détiennent le Hamas, le Jihad islamique et des familles à Gaza ; l’arrêt des combats dans l’enclave palestinienne. C’est là une première contradiction. Les soutiens inconditionnels de l’État hébreu auraient beau jeu de la relever : si l’Autorité palestinienne n’a rien à voir avec les massacres et les rapts du 7 octobre 2023, si le Hamas sera mis sur la touche du futur État, pourquoi conditionner sa reconnaissance à la libération de ces civils israéliens du reste parfaitement innocents ? À moins que l’éternelle pusillanimité du président Macron, plus proche de son immédiat prédécesseur qu’il ne veut bien l’admettre, le pousse à vouloir satisfaire tout le monde… au risque de ne contenter personne.

    Emmanuel Macron a déclaré que l’État palestinien n’existerait véritablement que le jour où son voisin – et actuel occupant – israélien le reconnaîtra. À la bonne heure. Il sait sans doute que Benyamin Netanyahou ne souhaite ni la libération des otages ni l’arrêt des opérations militaires à Gaza, l’une servant de prétexte à l’autre pour justifier son maintien au pouvoir en toute impunité. En violation quotidienne du droit international, le Premier ministre et ses alliés suprémacistes Ben Gvir et Smotrich (qui feraient passer les militants du Ku Klux Klan pour des colombes apprivoisées…) pratiquent le coup d’État permanent. Pilonner la population civile de Gaza, harceler les Palestiniens de Cisjordanie au nom d’une prétendue souveraineté juive sur la « Judée-Samarie », y étendre les blocs de colonies pour endiguer le moindre embryon de futur État palestinien : tout est bon pour faire avancer leur cause au mépris du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

    Mahmoud Abbas, le con écarté du dîner

    Face au règne de la force, la France et les pays qui se rangent derrière sa position approuvent le principe d’un État sans frontières reconnues (Gaza, Cisjordanie, Jérusalem-Est ?), sans population clairement définie (quid du droit au retour des Palestiniens de la diaspora ?) ni la moindre once de souveraineté. Aux yeux de la rue arabe, Mahmoud Abbas, injustement privé de visa par l’administration Trump, apparaît comme le con d’un dîner auquel il n’est même pas convié. Humiliation suprême. Abbas a beau respecter les accords de sécurité signés dans les années 1990, Israël ne lui accorde plus la moindre autonomie, sinon sur un périmètre de plus en plus restreint de la Cisjordanie qui ressemble à un bantoustan. Ayant explicitement condamné les attaques du 7 octobre dans son discours onusien prononcé depuis son bureau de Ramallah, l’ancien fidèle d’Arafat passe pour l’obligé de la puissance occupante. En guise de rétribution, le gouvernement israélien ne veut même pas entendre parler du retour de l’Autorité palestinienne dans la bande de Gaza si d’aventure la guerre s’achevait. On peut au moins reconnaître à Emmanuel Macron le mérite d’essayer de réanimer cette Autorité palestinienne corrompue, cacochyme et moribonde. On ne sait pas vraiment quelle alternative voudraient les actuels dirigeants d’Israël, dont les harangues jettent dans le même sac Hamas et Autorité palestinienne. Souhaitent-ils employer des mercenaires à leur botte, telle l’Armée du Liban-Sud (1982-2000) qui passa avec armes et bagages dans les coffres de Tsahal pour laisser place au Hezbollah ?

    L’argument de ceux qui n’en ont pas

    Reste l’argument massue de ceux qui n’en ont pas : l’antisémitisme. Reconnaître un État palestinien signifierait souhaiter l’effacement d’Israël, sinon son éradication, par des hordes déchaînées, dans une répétition à grande échelle du 7 octobre. À ce compte-là, la frange, certes minoritaire, mais active, des Israéliens favorables à deux États serait antisémite. Or, des personnalités patriotes aussi éminentes que les anciens ambassadeurs israéliens Nissim Zvili et Élie Barnavi se prononcent depuis longtemps pour la création d’un État palestinien. Dès 2014, Zvili me déclarait dans les colonnes de Causeur : « En accusant en permanence Mahmoud Abbas d’inciter à la violence, Israël commet une erreur à dessein : montrer qu’il n’y a pas de partenaire palestinien […] Au lieu de condamner les décisions des Parlements européens, je les encourage à reconnaître l’État palestinien car Israël doit comprendre qu’il ne vit pas isolé. Notre pays veut bien appartenir à la communauté internationale et en retirer tous les avantages, mais Israël est le premier à ne pas en respecter les décisions et les résolutions. »

    Reconnaître un cimetière

    Son homologue Élie Barnavi, autre figure de la gauche israélienne, appelle aujourd’hui à des sanctions contre le gouvernement israélien dont la guerre sans fin de Gaza n’obéit plus à aucune nécessité militaire. Antisémite, Élie Barnavi ? Tant les amis d’Israël que ceux de la Palestine devraient écouter l’avertissement qu’il a lancé dans les colonnes du Monde : si les exactions se poursuivent à Gaza, Emmanuel Macron finira par reconnaître un cimetière. Il faut faire taire les armes avant de se perdre en proclamations. Croire l’inverse serait prendre le problème à l’envers.

    Daoud Boughezala (Site de la revue Éléments, 24 septembre 2025)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Pourquoi l’OMS déclare la guerre au vin ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous la chronique de David Engels sur Ligne droite, la matinale de Radio Courtoisie, datée du 22 septembre 2025 et consacrée à l'offensive de l'OMS contre le vin...

    Historien, essayiste, enseignant chercheur à l'Instytut Zachodni à Poznan, à l'Institut Catholique de Vendée ainsi qu'au Mathias Corvinus Collegium de Bruxelles, David Engels est l'auteur de trois essais traduits en français, Le Déclin - La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013), Que faire ? - Vivre avec le déclin de l'Europe (La Nouvelle Librairie, 2024) et, dernièrement, Défendre l'Europe civilisationnelle - Petit traité d'hespérialisme (Salvator, 2024). Il a  également dirigé deux ouvrages collectifs, Renovatio Europae - Plaidoyer pour un renouveau hespérialiste de l'Europe (Cerf, 2020) et Aurë entuluva! (Renovamen-Verlag, 2023), en allemand, consacré à l’œuvre de Tolkien.

     

                                             

    Lien permanent Catégories : Multimédia, Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Culture de l’excuse : Robert Badinter, apôtre du laxisme judiciaire...

     

     

    Justice_laxisme.jpg

    Culture de l’excuse : Robert Badinter, apôtre du laxisme judiciaire

    Une vision aux conséquences graves

    La philosophie pénale de Robert Badinter, centrée sur la réinsertion et la compréhension des causes sociales de la délinquance, a profondément marqué la justice française contemporaine. Si elle se veut humaniste, cette approche est également à l’origine d’une culture de l’excuse, affaiblissant la responsabilité individuelle et la fonction dissuasive de la peine.

    Robert Badinter, figure emblématique du droit français, a durablement influencé la politique pénale par son engagement pour une justice tournée vers la réhabilitation plutôt que vers la répression. Ministre de la Justice de 1981 à 1986, il a porté une vision pénale inspirée par des idées progressistes, notamment celles de Marc Ancel et de son concept de Défense sociale nouvelle. Cette philosophie, qui met l’accent sur la réadaptation du délinquant et la compréhension des facteurs sociaux de la criminalité, a été saluée pour son humanisme, mais critiquée pour avoir contribué à un laxisme judiciaire perçu comme une menace pour l’ordre public. Cet article explore comment la pensée de Badinter, en s’appuyant sur des théories « humanistes », a désarmé l’appareil judiciaire en marginalisant la notion de responsabilité individuelle.

    Les racines de la pensée de Badinter : une justice centrée sur l’individu

    Robert Badinter s’enracine dans une vision humanitariste qui privilégie la réinsertion du délinquant à la punition pure. Dans son ouvrage L’Exécution (1973), il dénonce les excès d’une justice répressive, racontant l’expérience traumatisante du procès de Roger Bontems, condamné à mort malgré un rôle qu’il considère comme secondaire dans un crime. Ce texte, empreint d’émotion, illustre sa conviction que la peine doit viser à comprendre et à réhabiliter plutôt qu’à détruire. L’auteur donne ici la primeur aux sentiments et à l’émotion, alors que la matière juridique induit un formalisme rationnel.
    Dans Liberté, libertés (1976), Robert Badinter plaide pour une justice qui tienne compte des circonstances sociales et psychologiques du délinquant, arguant que la prison doit être un lieu de transformation, non de vengeance. Cette approche s’inscrit dans un courant plus large, celui de la Défense sociale nouvelle de Marc Ancel, qui prône une politique criminelle humanitariste. Badinter, en tant qu’avocat et ministre, a fait de ces idées un pilier de sa réforme du système pénal, cherchant à remplacer la logique punitive par une logique de réadaptation. Aujourd’hui, cette vision est unanimement partagée à gauche de l’échiquier politique.

    La Défense sociale nouvelle de Marc Ancel, source d’inspiration de Badinter

    Publiée en 1954, l’œuvre de Marc Ancel, La Défense sociale nouvelle, marque une rupture avec les conceptions classiques du droit pénal. Ancel y propose une approche centrée sur la réadaptation du délinquant, en s’appuyant sur une analyse des causes sociales et psychologiques de la criminalité.
    Selon lui, la société doit protéger à la fois le corps social et l’individu délinquant, en respectant sa dignité humaine. Cette doctrine, traduite en plusieurs langues et largement débattue à l’international, rejette la peine comme simple châtiment au profit de mesures éducatives et préventives. Ancel critique le légalisme rigide des philosophes du XVIIIe siècle, comme Beccaria, dont l’influence aurait retardé l’émergence de cette vision qu’il considère comme humaniste. Il souligne que des réformes fragmentaires, dès le XIXe siècle, avaient commencé à répondre aux préoccupations de la Défense sociale, mais c’est au XXe siècle, après les expériences des régimes totalitaires, que le mouvement prend son essor.
    La création de la Société internationale de défense sociale en 1949 et du Centre d’études de défense sociale en 1953 témoigne de cette dynamique. Cependant, l’analyse d’Ancel n’est pas sans nuance et il insiste toujours sur la nécessité d’un équilibre : la réadaptation ne doit pas sacrifier la protection de la société.

    L’influence de Badinter : une justice moins punitive, mais à quel prix ?

    En tant que ministre, Badinter a traduit ces idées en politiques concrètes, notamment à travers l’abolition de la peine de mort (1981) et la promotion de peines alternatives à l’incarcération. Son discours au Sénat en 1981, publié dans Contre la peine de mort (2006), illustre son rejet d’une justice fondée sur la vengeance : « La justice de la France ne peut être une justice qui tue. » Il défend une approche où la peine doit servir à réintégrer le délinquant dans la société, en s’attaquant aux causes profondes de la délinquance, comme la pauvreté ou l’exclusion. Cependant, cette attention portée au criminel et à ses motivations a conduit à une relativisation de la faute. En mettant l’accent sur les circonstances atténuantes, la pensée de Badinter a fini par justifier le crime par des facteurs externes, créant ce que certains critiques appellent une « culture de l’excuse », où l’on excuse les fautes des criminels en les justifiant par un contexte jugé criminogène (pauvreté, enfance difficile…).
    Cette approche a influencé les magistrats, qui désormais privilégient des peines légères ou des mesures de réinsertion au détriment de sanctions fermes.

    Une responsabilité individuelle affaiblie

    La principale critique adressée à la pensée de Badinter est qu’elle a sapé la notion de responsabilité individuelle. En insistant sur les déterminismes sociaux, cette philosophie tend à dédouaner le délinquant de ses choix. Or, comme le soulignent les néoclassiques, la peine a une fonction de prévention collective : en infligeant une souffrance proportionnée, elle dissuade les potentiels criminels et renforce le sentiment de justice dans la société. S’il admet que la peine-châtiment reste parfois nécessaire, celle-ci se perd dans l’application pratique des réformes qu’il a pu inspirer. La concentration sur la réadaptation a conduit à une justice moins sévère, où les peines d’emprisonnement sont souvent écourtées au profit de mesures alternatives. Cette évolution a alimenté un sentiment d’impunité parmi les délinquants et une frustration chez les victimes, qui estiment que la justice ne joue plus son rôle protecteur.

    Un laxisme judiciaire aux conséquences sécuritaires et morales dramatiques

    La « culture de l’excuse » attribuée à la pensée Badinter a des répercussions profondes sur le système judiciaire et la société. En réduisant la portée dissuasive de la peine, cette approche favorise la récidive. La justice, en cherchant à comprendre le délinquant, néglige les attentes des citoyens en matière de sécurité. La multiplication des aménagements de peine et des libérations conditionnelles, encouragées par les réformes de Badinter, a renforcé l’idée d’une justice « molle ». Si l’objectif était de favoriser la réinsertion, le manque de moyens pour accompagner ces mesures (suivi psychologique, programmes de formation) a souvent conduit à des échecs, laissant les délinquants livrés à eux-mêmes et les citoyens désabusés. Outre la conséquence sécuritaire, le sentiment de ne pas être protégé par la justice favorise par ailleurs le rejet de l’institution judiciaire.

    La pensée de Robert Badinter a cherché à humaniser la justice pénale en plaçant la réinsertion au cœur du système. Cependant, en marginalisant la responsabilité individuelle et la fonction dissuasive de la peine, elle a contribué à une situation de laxisme judiciaire. Pour répondre aux défis actuels, il est nécessaire de repenser cet équilibre : une justice humaniste doit aussi être humaniste pour les victimes et garantir la protection de la société tout en offrant des chances de rédemption. Les idées de Badinter, empreintes d’idéalisme et d’humanitarisme, ont finalement désarmé la justice face à la criminalité.

    Polémia (Polémia, 20 septembre 2025)

     

    Bibliographie
    Contre la peine de mort, Robert Badinter, 2006

    L’Exécution, Robert Badinter, 1973
    La Défense sociale nouvelle, un mouvement de politique criminelle humaniste, Marc Ancel, 1954
    Des délits et des peines, Beccaria, 1764
    https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/les-80/les-80-de-nicolas-demorand-du-jeudi-22-fevrier-2024-7416864
    https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/276987-abolition-peine-de-mort-1981-questions-robert-badinter
    https://www.philomag.com/articles/entretien-exceptionnel-avec-robert-badinter-comment-fonder-philosophiquement-labolition

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • François Bégaudeau : l'anarchisme et le vitalisme de la casse...

    Dans cette nouvelle vidéo, Ego Non, évoque l'idéologie défendue par François Bégaudeau, qui est aujourd'hui l'une des figures intellectuelles de gauche les plus en vue. Romancier et essayiste, Bégaudeau s'inscrit dans le courant anarchiste, tout en reprenant à son compte une bonne partie de la grille d'analyse marxiste. Voyant dans l'ensemble de l'ordre social des structures de domination insupportables, sa pensée conduit, au nom d'un pseudo-vitalisme, à la subversion radicale de toute institution et, partant, des fondements mêmes de la société.

    À partir du "cas Bégaudeau", Ego Non montre les impasses auxquelles conduisent les principes de la gauche. Contrairement à ce qu'estime Bégaudeau, l'ordre n'est pas un carcan qui amoindrit la "joie" et la puissance de vivre, mais le biotope qui augmente la puissance réelle.

     

                                               

    Lien permanent Catégories : Multimédia, Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Les assistés d’en haut...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Nicolas Degroote cueilli sur le site de la revue d’Éléments et consacré aux profiteurs des marchés financiers.

     

    Spéculation.jpg

    Les assistés d’en haut

    Commençons par une lapalissade économique, pourtant trop souvent oubliée : les petites et moyennes entreprises ne sont pas cotées en bourse. Cela signifie que l’écrasante majorité de la production et de l’emploi se passe parfaitement des marchés financiers. Les actionnaires ne sont donc pas indispensables à l’économie. Sont-ils parfois utiles ? Pour répondre, il faut comprendre en gros le fonctionnement de la bourse.

    Que se passe-t-il quand on achète une action, par exemple une action Tricatel ? On donne de l’argent à quelqu’un qui en possède une et consent à la vendre. C’est une vente entre lui et moi, la société Tricatel ne voit pas la couleur de cet argent, il n’y a pas d’investissement dans l’économie réelle. C’est ce que l’on appelle le marché secondaire, ou plus simplement la spéculation financière. Le seul cas où la société Tricatel reçoit de l’argent, c’est lorsqu’elle émet de nouvelles actions. Ceux qui y souscrivent donnent alors de l’argent à Tricatel qui l’utilisera pour se développer. C’est ce que l’on appelle le marché primaire, et c’est là qu’il y a investissement dans l’économie réelle.

    Une économie de la spéculation

    Le marché primaire c’est chaque année en gros 10 milliards d’euros de transactions. Le marché secondaire c’est 3 000 milliards. La finance c’est donc en gros 0.3 % d’investissement et 99.7 % de spéculation. Donc, dire que les actionnaires et la finance investissent dans l’économie, c’est faux à 99.7 %.

    Il faut même aller plus loin. Sous la pression des actionnaires, les entreprises versent des dividendes et rachètent leurs propres actions afin de gonfler les cours. Pour mesurer l’investissement réellement apporté par la bourse, il faut donc soustraire à l’argent reçu par les entreprises l’argent qu’elles reversent aux actionnaires. Le solde est franchement négatif : les capitaux levés sur les marchés financiers sont largement inférieurs au cash pompé par les actionnaires. L’année dernière en France, l’ensemble des sociétés cotées a récolté 11 milliards d’investissements par actions pendant que le seul CAC 40 a reversé 100 milliards à ses actionnaires. Le ratio moyen est de 12 euros de dividendes versés pour chaque euro de financement par action reçu. Les entreprises cotées ne sont rien d’autre désormais que des machines à produire de l’argent pour les marchés financiers. La bourse ne finance pas les entreprises, ce sont les entreprises qui financent la bourse.

    Les actionnaires ne sont pas indispensables, ils ne financent pas les entreprises. Mais il faut aller encore plus loin, et examiner les rapports entre la bourse et la fiscalité, entre la finance et les impôts.

    Entreprises et fiscalité

    Contrairement à ce qui est partout répété, les entreprises paient de moins en moins d’impôts depuis la mise en place d’une économie néolibérale dans les années 1980. L’impôt sur les sociétés était d’environ 50 % des bénéfices en 1980, 40 % en 1990, 30 % en 2010, 25 % aujourd’hui. Le taux français est dans la moyenne internationale. La part des entreprises dans les cotisations sociales s’est également effondrée : 45 % en 1970, 30 % en 2020. Ce sont les contribuables qui ont compensé, en particulier avec la CSG.

    Cela ne signifie évidemment pas que toutes les entreprises roulent sur l’or. Nul n’ignore que les temps sont durs pour les petites et moyennes entreprises. Mais il en va tout autrement pour les grandes. Depuis des décennies l’État néolibéral les aide financièrement par des subventions ou des exonérations fiscales, par exemple le CICE de François Hollande ou la Flat tax d’Emmanuel Macron. Ces aides étant assez mal connues, le Sénat a diligenté une commission d’enquête pilotée par Fabien Gay et Olivier Rietmann, enquête qui vient d’être rendue publique. Elle établit deux points stupéfiants.

    Premier point, le montant stratosphérique de ces aides aux grandes entreprises : 211 milliards par an ! C’est de très loin le premier poste budgétaire, loin devant l’Éducation Nationale (63 milliards par an) – sauf que c’est un poste invisible, puisque ce n’est pas de l’argent versé mais de l’argent non perçu. A titre de comparaison, la cour des comptes a estimé que le déséquilibre des caisses de retraite serait de 30 milliards en 2045.

    Second point : ces aides d’État ne sont soumises à pratiquement aucun contrôle, aucun suivi, aucune condition. Alors, ils se sont goinfrés. Depuis 2013 Auchan a reçu 2 milliards d’euros d’aides, ce qui ne l’a pas empêché de licencier 10 000 salariés et d’annoncer que ces licenciements allaient se poursuivre. En 2023 Valéo a touché 76 millions d’euros et a supprimé 1000 postes. Michelin a reçu 135 millions d’aides en 10 ans, a licencié à tour de bras, vient d’annoncer la fermeture de deux sites en 2026, et pendant ces 10 ans a multiplié par 7 les dividendes des actionnaires. LVMH en 2023 a reçu 275 millions d’euros d’aides, versé plus de 7 milliards de dividendes à ses actionnaires, et licencié 1200 employés – ceux-là même qui par leurs impôts avaient contribué aux aides.

    Ce que la commission du Sénat révèle, c’est qu’il y a 211 milliards d’euros d’aides d’État par an, payées par les contribuables, qui ne financent pas l’économie, qui ne créent pas d’emploi, qui ne servent qu’à enrichir les actionnaires. C’est le hold-up du siècle, qui permet aux entreprises du CAC 40 de verser à leurs actionnaires 100 milliards de dividendes chaque année : entre 2013 et 2019 Carrefour a reçu 2.3 milliards d’aides et a versé 2.8 milliards de bénéfices à ses actionnaires ; sur la même période Arcelor a touché 300 millions d’aides par an et reversé 200 millions de dividendes chaque année. Ces aides publiques sont toujours plus importantes et les dividendes progressent en moyenne de 14 % par an. De toute évidence, de l’argent il y en a dans les caisses du patronat, ou plutôt dans les caisses du grand patronat. Il y en a même beaucoup, et c’est le nôtre.

    Il ne suffit donc pas de constater que la bourse ne finance pas les entreprises. Non seulement ceux qu’on continue à appeler les investisseurs ne soutiennent pas l’économie, mais surtout ils la pillent. En effet, ces aides massives sont essentiellement financées par les impôts des classes moyennes – on a vu que les entreprises en paient de moins en moins. Mais ces impôts ne suffisent pas pour dégager 211 milliards par an. Alors l’État s’endette toujours plus, les services publics s’effondrent, la pauvreté explose, on demande aux contribuables de se serrer la ceinture, de payer plus d’impôts, de travailler plus et plus longtemps. Bref, l’État prend aux pauvres pour donner aux riches. L’État mobilise donc toute la société au bénéfice des seuls actionnaires, il ruine l’économie réelle, la vide de son sang pour nourrir les marchés financiers, lesquels ne servent à rien sinon à empiler sans fin des milliards et à remplir les poches de quelques-uns. Ces riches actionnaires et ces grands patrons tant vantés et si satisfaits sont en réalité à la charge de la société. Ils sont, selon l’heureuse formule de Rimbert et Rzepski, les assistés d’en haut.

    Nicolas Degroote (Site de la revue Éléments, 18 septembre 2025)

     

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Armin Mohler et la fidélité à un «style» différent...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Matteo Romano, cueilli sur Voxnr et consacré à Armin Mohler et à sa réflexion sur le style fasciste.

    On peut retrouver dans le numéro 42 de Nouvelle École (1985) un article d'Armin Mohler intitulé « Le "style" fasciste ».

     

    Mohler_Style fasciste.jpg

    Armin Mohler et la fidélité à un «style» différent

    « On est plus fidèle à un style qu’à des idées », écrivait Drieu La Rochelle, et sans aucun doute, on peut dire que c’est là le fil conducteur du court mais dense essai du philosophe et représentant de la Nouvelle Droite, Armin Mohler, intitulé Le style fasciste (éd. it.: Settimo Sigillo, 1987). Mohler, chercheur sur la révolution conservatrice allemande, qui fut déjà secrétaire d’Ernst Jünger durant l’après-guerre et correspondant d’Evola, est, comme nous l’avons déjà mentionné, surtout connu pour le dialogue qu’il a engagé avec la Nouvelle Droite et pour sa virulente critique du libéralisme.

    Dans cet opuscule, Mohler, à travers une description physiognomique de ce qu’il considère être « Le Style » – l’attitude du « fasciste » – tente d’identifier le noyau essentiel de cette expérience historique, politique et sociale. Le contexte, dans lequel ce court essai s’inscrit, peut être repéré dans un débat de l’époque entre plusieurs intellectuels de la nouvelle droite française, un débat basé sur l’ancien débat médiéval entre nominalisme et universalité ; ce débat avait été principalement alimenté par des articles et des publications dans la revue Nouvelle École, souvent signés par Mohler lui-même ou par Alain de Benoist. Ce sujet a également été repris plus tard par Aleksander Douguine, qui, dans la vision « nominaliste », voit la racine de l’individualisme libéral moderne.

    Pour Mohler, cependant, une vision qui recentre l’individualité et sa valeur existentielle (et que l’on pourrait qualifier de nominaliste) est précisément ce qui permet de récupérer le sens le plus authentique et aussi le plus brut de la vie, seul capable d’opérer une rénovation cathartique en dehors de toute conception vide de l’homme, abstraite, universelle et niveleuse. Ce fondement est celui du libéralisme moderne et de ses diverses formes d’internationalisme. Il en découle, pour revenir à notre étude, que l’approche choisie par Mohler pour définir « ce qui est fasciste » sera (justement, ajoutons-nous) essentiellement pré-politique, pré-dogmatique. Il suit ainsi la voie tracée par d’autres chercheurs qui se sont penchés sur le phénomène, comme Giorgio Locchi dans L’essence du fascisme.

    Mohler écrit : « En résumé, disons que les fascistes n’éprouvent en réalité aucun problème à s’adapter aux incohérences de la théorie, car ils se comprennent entre eux selon une voie plus directe : celle du style. » Et encore, en référence au discours de Gottfried Benn lors de la visite de Marinetti en Allemagne hitlérienne en 1934, Mohler écrit : « Le style dépasse la foi, la forme vient avant l’idée. »

    Pour Mohler, donc, le fasciste n’est pas tel parce qu’il adhère à un schéma idéologique, dogmatique ou politique. Il l’est parce qu’il a éprouvé en lui, dans sa plus profonde intimité, la faiblesse mortelle de tout mythe ou valeur dérivée des Lumières, illuministe (dit-on en Italie, ndt), rationaliste et démocratique. Tout cela implose devant les guerres, les révolutions, les crises économiques et sociales. Mais le fasciste y répond en recueillant ce qu’il y a de positif dans chaque crise, et devient porteur d’une volonté créatrice qui réaffirme les valeurs de l’esprit, de l’héroïsme et de la volonté sur la vie.

    Mohler cite Jünger : « Notre espoir repose sur les jeunes qui souffrent de fièvre, parce que la purulence verte du dégoût les consume. » Pour l’auteur, cela traduit « la nostalgie d’une autre forme de vie, plus dense, plus réelle. » Une vie plus dense, car plus complète, passant par une tragédie existentielle nue et renouvelante. Mohler parle d’un mélange entre « anarchie » et « style », entre destruction et renouveau. Et c’est justement cette mortification héroïque qui mène à une reconnexion avec la racine originelle et unitaire de la réalité et de la vie de l’individu : dans laquelle l’opposition entre vie et mort est dépassée dans une indifférence intérieure. Le renouveau, que le fasciste ressent en lui, à condition d’avoir pris pour tâche « la nécessité de mourir constamment, jour et nuit, dans la solitude ». Ce n’est qu’à ce moment-là, arrivé au point zéro de toute valeur (ce n’est pas un hasard si un chapitre est intitulé « Le point zéro magique »), puisant dans des forces plus profondes, façonné de manière virtuose par un style « non théâtral, d’une froideur imposante vers laquelle orienter l’Europe », qu’il pourra témoigner de la naissance d’une nouvelle hiérarchie. Un style objectif, froid et impersonnel.

    Et c’est précisément cette attitude que Mohler retrouve chez l’homme et dans le « style fasciste », car en lui, selon l’auteur, l’individualité et son expérience sont placées au centre. Alors que ce qui caractérise le plus le national-socialiste, c’est son accent mis davantage sur le « peuple », sur la « Volksgemeinschaft » et sur la rébellion sociale, ce qui le distingue encore plus de ce que Mohler appelle « l’étatiste », c’est son admiration pour ce qui fonctionne, pour ce qui n’est pas arbitraire, pour ce qui est bien intégré dans la structure d’un État parfois asphyxiant, qui ne lui permet pas de vivre tout le « tragique » propre au fasciste. Bien que les trois « types » aient pu se croiser dans l’histoire, Mohler souhaite ici, sur un plan théorique, souligner la caractéristique spécifique de ce qu’il qualifie d’ « homme fasciste ».

    Il s’agit de la nécessité primordiale d’un besoin d’affirmation existentielle, qui, selon Mohler, explique pourquoi le fascisme « manque d’un système préconçu, qui explique tout dogmatiquement et de façon livresque ». Dans ce caractère immanent, intime, individuel de la révolution que le fasciste accomplit avant tout, et qui l’anime, se manifeste une attitude intérieure, un comportement, ainsi qu’une dignité et une noblesse particulières, que l’on n’atteint qu’à travers une catharsis intérieure.

    En conclusion, on peut dire que si l’interprétation de Mohler peut paraître, à certains points, forcée, elle a le mérite de ne pas réduire l’expérience et le phénomène en question à quelque chose d’accidentel, de contingent ou de relégué à une appartenance partisane, à une doctrine politique ou économique. Au contraire, elle le place à un niveau plus profond et constitutif, c’est-à-dire dans ce qui, chez l’individu, est en communication avec la sphère de l’être.

    Matteo Romano (Voxnr, 16 septembre 2025)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!