Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Points de vue

  • Que faire face à la décadence ? Pour une éthique du combat...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean Montalte cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré à la réponse à apporter à la décadence.

     

    Chevalier_épée.jpg

     

    Que faire face à la décadence ? Pour une éthique du combat

    À l’extrême pointe de la civilisation occidentale qu’on peut aussi appeler décadence, un point de jonction se fait avec la barbarie. Comme si le temps s’était mis à rebrousser chemin. On avait Blondin, les cafés parisiens, la virtuosité littéraire, puis plus rien. Les autrices ont débarqué, autrefois nommées bas bleus et nous nous retrouvons en plein salon du XVIIIe siècle au seuil du basculement d’un monde, le style en moins. Hegel : « La frivolité ainsi que l’ennui sont le signe de ce que quelque chose d’autre est en marche. » Les lettres deviennent prétextes à sensibilisation autour de la cause animale, de la dignité des courgettes et de la nécessité d’opérer sa transition sexuelle. Une myriade transcendantale d’absurdités déferle sans discontinuer et nous sommes sommés de valider ces arguties pitoyables. Et si c’était ça le fin mot du progrès ? Une confrontation directe avec ces nanosubstances que sont les idéologues du progrès à la sauce woke est un avilissement hors limites. On ne se bat pas avec le vent. Et c’est ici qu’intervient l’esprit hussard, en pleine barbarie de la déraison idéologique. Faire valser les idéologies pour refondre la substance humaine dans le creuset du concret et du réel. L’amitié, la camaraderie virile, l’insouciance et une bonne dose d’ironie sont les ingrédients phares du nouveau mode de vie auxquels sont contraints – certes avec quelle volupté ! – ceux pour qui ce monde ne fait plus sens. La dérision droitarde, face à l’esprit de plomb des donneurs de leçons de tout poil. Au fond, cette gauche antipathique qui puisait ses références dans l’anticléricalisme et le libertarisme s’est tiré une balle dans le pied en se convertissant au moralisme le plus étriqué. La rigidité cadavérique précède toujours la décomposition. Leur fanatisme est un signe sans ambiguïté : leur fin est proche.

    Le monde dans lequel nous vivons est saturée d’une idéologie néfaste : celle de la création de l’homme par lui-même, de l’extension illimitée de ses possibilités. C’est au fond une vieille histoire qui commence raisonnablement, en apparence, par la proclamation des droits de l’homme et qui aboutit aujourd’hui au délitement de la société par l’individu-roi, insatisfait des bornes imposées à sa nature. Le wokisme en est la locomotive actuellement. Un individu à la psyché torturée peut se proclamer Coréen non-binaire en arborant le physique d’un Caucasien à la barbe hirsute, et susciter l’attention de médias complaisants, alors qu’une thérapie serait de meilleur aloi. Et c’est à l’honnête homme, puisant dans une éthique traditionnelle les règles de sa conduite et de sa pensée qu’il est sommé de rendre des comptes sur sa nocivité congénitale. Nous en sommes rendus au temps des sophistes que combattait Socrate le sage mais avec une démesure prométhéenne sans précédent. L’individu se veut la mesure de toutes choses, le passé doit être aboli par la cancel culture quand il ne satisfait pas aux exigences de la société inclusive. Mais ce que cette société exclut c’est le bon sens, la morale et la structuration symbolique nécessaires au développement de la psyché. En somme, nous créons les conditions d’une rupture totale, d’une implosion de la société par prolifération d’individualités boursouflées et schizoïdes.

    Le chaos, remède ou maladie ?

    Ludwig Wittgenstein a écrit cette formule très belle, quelque peu inquiétante toutefois : « Être philosophe, c’est se situer au sein du chaos primordial et s’y sentir bien. » Voilà un programme peu réjouissant. Mais enfin, le chaos est notre lot à tous, pas seulement par l’inepte quotidien qui nous brasse en tous sens pour atteindre des objectifs dérisoires, mais parce qu’il fait partie de l’air qu’on respire, des émotions qui nous traversent et des pensées qui saccagent notre inconscient profané. Nul ne peut jouir d’une paix durable en ce monde, en dehors des contemplatifs purs. Et pourtant, c’est une aspiration fondamentale de l’être humain. Saint Augustin parlait de « la tranquillité de l’ordre ». Mais lorsque l’ordre n’est plus qu’un chaos absurde contenu de manière purement mécanique, la tranquillité prend le large et nous nargue depuis l’autre rive de la vie. Il faudrait convertir l’âme au chaos, la rendre capable d’y puiser un regain de vitalité, d’énergie et de force. Pour cela, il faudrait qu’elle se règle sur les linéaments tortueux du devenir, afin de doubler le temps dans sa course.

    Ma découverte du chaos et de l’ivresse créatrice qui en découle, lorsqu’on en triomphe, s’est faite très tôt. J’aimais sa manifestation brutale et brève, comme on décharge son agressivité pour se purifier d’une souillure. Il s’est révélé être le meilleur carburant de mon imagination. Il cingle encore toutes mes pulsions créatrices. Je sens sa violence se condenser dans l’air quand j’entends un propos hostile à notre culture. Je sais alors que c’est l’heure de sonner l’hallali. Sa forme la plus jubilatoire, je l’ai trouvée dans les livres de Céline, Bloy, Bukowski, Rimbaud, Nietzsche. Après ça, les gesticulations hybrides à la sortie des bars ne sont plus qu’entrechats de médiocres ballerines. Qu’un écrivain puisse, par la force de son esprit, avaler le monde, l’engloutir et le recracher sous une forme stylisée, voilà ce qui me donne à rêver. Un tel pouvoir n’a rien à envier à celui des plus vils dictateurs, fauteurs de guerre et autres néophytes du chaos, petites radicelles balbutiant des carnages dérisoires. Pascal voyait dans la pensée une force incomparablement plus grande que l’univers dans son immensité, parce que l’univers n’a aucune conscience de lui-même et du pouvoir qu’il a sur nous. Je rêvais d’une œuvre qui donnerait à l’univers cette conscience, une œuvre qui ferait naître le monde à lui-même. Tout y serait contenu, tragédie et bonheur, nature et artifice, chaque montagne, chaque fleuve, toutes les espèces animales crieraient leur présence et l’être serait élevé à son essence. Un rêve mallarméen, en fin de compte, et qui aboutit aux mêmes désillusions.

    J’ai, alors, laissé choir dans un désert de sons ma six-cordes pour empoigner tous les bouquins possibles qui m’apprendraient à voir, comprendre, décrire, déplorer la vie infecte que les temps postmodernes nacrés de rose nous imposent, dans son délire de cloisonnement mirifique des pauvres hères lavés de leur peau de péchés radieux, que nous sommes. Je suis revenu de ces expéditions livresques avec une conviction simple : la littérature est haïssable parce qu’elle est le témoin privilégié de la liberté, l’élément dissolvant du conformisme social dans sa contexture de mensonges. Déchirer les tissus du blabla, du bavardage plat, vaincre ce que Boutang appelle « la chute dans la banalité du dire », dynamiter les protubérances sonores anarchiques de l’emprise mondiale du mensonge, voilà la tâche que la littérature s’est assignée.

    Le Logos, le divin langage, c’est le cocher qui retient la cavalcade furibonde du chaos, la mate, la soumet, la met au service de ses propres fins. Par malheur, le français, cette langue noble adossée à la coupole arthritique de l’Académie, se putréfie sur place. Doublement mâchonnée par la sénilité académique et le sabir exogène, la langue se sédimente dans le néant. Instrument de communication blafard, compartimenté, conditionné, domestiqué, ou prurit pulsionnel spasmodique de galeux incultes, c’est une même agonie. Comme disait un pamphlétaire oublié du XIXe siècle : « Il faudrait des reins pour pousser tout cela. » Au commencement était le Verbe dit l’Évangile. D’accord mais à la fin qu’y a-t-il ?

    Un désir de synthèse et de totalité

    « Le vrai est le tout », affirmait Hegel de manière péremptoire, prussienne pour parler net. C’est aussi ce que je crois. Mais quand dans ce tout, il y a à la fois les chaussettes sales et Dieu – pour citer Georges Steiner évoquant l’oeuvre de Dostoïevski –, Charlie Parker qui fait vibrer son saxo en lévitation gracieuse et Jack l’éventreur, le tueur de prostituées, il y a de quoi se poser des questions. Le réel est si divers, si contradictoire. Je ne parle pas là seulement des oppositions si flagrantes entre le bien et le mal, le beau et le laid, le vrai et le faux, auxquelles notre époque de décadence se flatte de douter, par une espèce de snobisme à rebours, snobisme dépenaillé, snobisme de dépravé, snobisme de dégénéré, que sais-je encore… Non, je veux parler des mille petites choses qui ne s’imbriquent pas dans un tout cohérent, qui semblent si distinctes, si étrangères les unes aux autres que leur coexistence semble impossible, sur un plan métaphysique. Au cœur même d’un individu, ces contradictions sont plus troublantes encore. La passion d’Alex pour Beethoven dans Orange mécanique en est un exemple parfait. Freud a sondé l’âme humaine, certes avec un prisme d’égoutier, mais enfin il en a fourni une cartographie à peu près opérante. Le tiraillement incessant entre le moi, le ça, le surmoi, la personnalité profonde, les pulsions et les principes moraux. Le vrai est le tout ? Tout ce foutoir incompréhensible ? Et la tâche du philosophe, de l’artiste, serait d’y mettre bon ordre ? Ou bien de délirer bien au-dessus du délire de la réalité ? C’est toute la question. Peut-être est-il envisageable de tenir les deux bouts de la chaîne. Il y faudrait une puissance psychique et intellectuelle hors norme. Mais comme disait Spinoza : « Toute chose excellente est aussi difficile que rare. »

    Ranimer la flamme ou la mystique du feu

    Les splendeurs de la culture européenne semblent devenir aussi lointaines pour nos contemporains que les croyances Maya ou les rituels de divination chez les Romains sous l’Antiquité. Nécessité se fait jour de ranimer la flamme. Le feu, au-delà de l’élément classable parmi l’eau, l’air et la terre, est un principe poétique d’une portée rare sur l’imaginaire de l’homme. Les chansons d’amour l’évoquent, les prophètes, les poètes, les romanciers, les peintres, les cinéastes, les psychanalystes, les philosophes. Enfin tout le monde. Il suscite terreur, effroi, fascination, désir, amour. Son incandescence est polymorphe, sa substance mouvante une et multiple lui confère un statut privilégié au sein du grand drame de l’Être. Et si le monde n’était qu’un grand brasier dont les flammes se répandent tantôt avec l’ardeur d’un torrent, tantôt se sédimentent dans l’air par flocons ? On peut jouer avec ces idées, somptueuses ou ridicules, c’est selon. Et jouer avec le feu n’est pas chose recommandable. Mais qui n’a pas désiré de toute l’ardeur dont son cœur était capable, ranimer la flamme éteinte, spécialement lorsque l’être aimé se dérobe pour laisser place à l’absence, fut-il un continent entier ? C’est un jeu dangereux qui peut laisser sur le carreau, un pari qui entrelace les événements capricieux et l’esprit de volonté, qui n’y peut pas grand-chose la plupart du temps. Le feu est éternel, notre capacité à le mobiliser à notre avantage est chose rare. Il y faut une grâce spéciale, qui garde toujours le secret de son heure. Nous sommes, d’ores et déjà, ces guetteurs anxieux.

    L’éthique du combat

    L’initium du Hagakure, le guide des guerriers, tranche dans le vif, si je puis dire : « Je découvris que la voie du samouraï, c’est la mort. » Yukio Mishima constatait que la démocratie, le socialisme et le pacifisme à l’occidentale se situaient à l’extrême opposé de cette affirmation hardie. Les temps modernes privilégient la vie, en un sens vague d’ailleurs et n’importe quel parasite télévisuel peut s’attirer tous les suffrages en affirmant qu’il « aime la vie », avec une manière de défi, comme s’il proférait là la plus audacieuse profession de foi. Et cette petite nullité qui déglutit son narcissisme poitrinaire communie avec tous ses semblables dans une même orgie de bienveillance cosmique. Autrement dit, il inaugure l’ère de ce que feu Muray avait baptisée Festivus festivus. C’est ici que Yukio Mishima intervient pour casser l’ambiance. Il brandit son fameux slogan : « Au nom du passé, à bas l’avenir », se taille un physique d’athlète, dégaine son katana et saucissonne toutes les niaiseries pacifistes du monde fatigué d’après-guerre. Ce n’est plus l’Occident qui est « métaphysiquement épuisé », selon l’expression de Oswald Spengler, mais le monde entier, jusqu’à l’Extrême-Orient, comme la révolte héroïque de Mishima le prouve. Deux livres culminent, non pas en termes de valeur esthétique mais de force de témoignage, dans l’oeuvre de l’écrivain japonais : Le Japon moderne et l’éthique samouraï et Le Soleil et l’acier. Ils devraient figurer dans toutes les bibliothèques des insurgés contre l’empire du non-être. L’espèce de liquide amniotique qui imbibe la société matriarcale actuelle, les valeurs républicaines abstraites, l’atmosphère de faiblesse et de compromission du monde européen dévirilisé ne sont que des éléments de transition vers le chaos. Ils ne représentent aucun absolu, aucune vérité éternelle. En attendant, lire Mishima peut faire de nous des « hommes au milieu des ruines ». Et je me permets de le paraphraser. Si nous communions à son esprit, nous pourrons dire : « Au nom de l’avenir, à bas le présent » ! Il y a un adage médiéval qui affirme avec la netteté tranchante comme une épée qui caractérise cette époque : « Vita est milita super terram. » Ce qui se traduit dans notre langue moderne : « La vie est un combat sur la terre. » Il ne faudrait pas se méprendre, il ne s’agit nullement de résumer le combat à des joutes opposant des chevaliers, à des troupes de mercenaires prenant d’assaut une forteresse en pleine guerre de cent ans. L’âme aussi doit livrer bataille. Chaque pensée, chaque émotion est une plaie ouverte qui peut précipiter au fin fond de l’abîme comme elle peut ressusciter un être. La loi d’ici-bas veut le combat, c’est une nécessité de nature. Saurons-nous nous satisfaire d’une telle fatalité ? En faire notre ultime salut ? Les stoïciens affirmaient, en sus de cette loi, la voie de la guérison : l’amor fati ou amour du destin. Le combat est notre destin, aimer le combat c’est faire de ce destin une jubilation extatique, un orgasme furieux de la volonté. Certes, le glaive est béni, la terre ne se rassasie que du sang des hommes dont elle a soif. Sinon, pourquoi quémanderait-elle une ration supplémentaire de ce breuvage aussi souvent ? Mais n’oublions pas la supériorité de l’esprit sur la matière. Remporter le combat, ne serait-ce pas, aussi, lui refuser cette hémorragie pour embrasser les hautes sphères de l’esprit, son avènement au cœur du plérôme de l’être ?

    Jean Montalte (Site de la revue Éléments, 1er mars 2024)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Macron est-il un Président « normal » ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Nicolas Gauthier cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à l'état psychologique d'Emmanuel Macron...

     

    Macron_Esprit de défaite.jpg

    Le doute commence à gagner ses partisans : Macron est-il un Président « normal » ?

    Y aurait-il un problème Macron, psychologiquement s’entend ? On est en droit de se le demander, tant ça se murmure des comptoirs de bistrot jusque dans les colonnes du Figaro. Bref, grande est l’impression que le premier des Français a tendance à exercer le pouvoir dans une solitude grandissante et de plus en plus aléatoire.

    Ainsi, quand il s’adresse directement aux Français, lors du Salon de l’agriculture, c’est un peu comme s’il se parlait à lui-même. À ce détail près qu’en la circonstance, Emmanuel paraît contredire Macron, tel qu’en témoigne l’invitation lancée aux Soulèvements de la Terre, annulée au dernier moment pour éviter que le dialogue promis avec les syndicats paysans ne tourne à la foire d’empoigne.

    D’invitation officielle, il n’y aurait donc pas eu. Enfin si, tout de même un peu, cette association écologiste assurant l’avoir reçue ; ce qui est plus que plausible. De deux choses l’une : ou Emmanuel Macron a demandé à ses services d’envoyer ladite invitation ; et, du coup, il ment. Ou ces derniers l’ont fait sans le consulter, et cela ne fait pas très sérieux.

    Un perpétuel pas de deux

    La même remarque vaut pour ce qui est de savoir si le Rassemblement national fait partie ou non du fameux « arc républicain ». Pour Emmanuel, c’est oui. Mais pour Macron, c’est non, à en croire l’entretien accordé à L’Humanité, à l’occasion de la panthéonisation de Missak Manouchian ; tandis qu’histoire de faire bonne mesure, son Premier ministre, Gabriel Attal, affirme dans l’intervalle que le RN fait bel et bien partie de l’arc en question.

    Du coup, Patrick Vignal, député Renaissance de l’Hérault, avoue au Figaro : « Emmanuel Macron est un Président brillant, qui travaille beaucoup et dort peu. Mais il ne peut pas tout faire, être à la fois Président, ministre, parlementaire, maire et président de conseil départemental. Disons qu’il a un excès de générosité dans sa volonté de régler les problèmes. » Voilà qui est élégamment suggéré, mais qui laisse aussi entrevoir le malaise grandissant des proches du pouvoir, selon une source qui se réfugie dans l'anonymat : « Pour la première fois, dans des cercles macroniens, la question du comportement du Président est clairement posée. Il y avait un tabou et il est levé. »

    Il est vrai que la nomination de Gabriel Attal fut le fait du prince, alors que son premier cercle - Richard Ferrand, ancien président de l’Assemblée nationale, au premier chef - était vent debout contre. Il est tout aussi vrai que le remaniement ministériel y afférent fut un autre grand moment d’amateurisme, avec la nomination d’Amélie Oudéa-Castéra à l’Éducation nationale, avant de s’en faire débarquer quelques semaines plus tard.

    Et que dire d’une Valérie Hayer, catapultée en tête de liste du parti présidentiel, parfaite inconnue dont les premières interventions médiatiques seraient... comment dire... plus que balbutiantes ?

    Une politique internationale des plus brouillonnes…

    Mais encore ne s’agit-il là que d’affaires propres aux arrière-cuisines politiciennes. Car dans le domaine régalien, Emmanuel Macron s’est à deux fois surpassé. Tout d’abord en proposant la création d’une coalition internationale contre le Hamas, à la suite des événements du 7 octobre dernier, sans avoir au préalable consulté un seul de ses homologues. Résultat ? La France a été ridiculisée, tandis que le Quai d’Orsay était proprement consterné par une telle annonce.

    Puis cette autre sortie, lancée encore sans la moindre concertation avec les autres chefs d’État du bloc occidental, selon laquelle l’envoi de troupes au sol en Ukraine pourrait être une hypothèse à ne pas négliger.

    Une fois de plus, la France devient la risée du monde. Celle de Vladimir Poutine et des chefs d’État du « Sud global » ; soit ces nations représentant plus de la moitié de la planète. Mais également celle de nos alliés présumés : Allemagne, Italie, Royaume-Uni et même Pologne... c’est dire. Pire encore, ce sont les USA qui sifflent la fin de la récréation.

    D’où cette question qui doit tarauder les derniers de ses proches : cet homme est-il encore à la hauteur de sa fonction ? A-t-il aussi un problème d’ordre psychologique ? Est-il en proie à un sentiment de puissance allié à des troubles dysfonctionnels ? Cette question que personne n’osait poser, il y a encore quelques mois, devient donc de plus en plus insistante. Des voix se lèvent. Elles se lèvent d’autant plus fort que la prochaine échéance présidentielle est dans trois ans, que le résident de l’Élysée ne sera pas en mesure de se représenter et que la fidélité au « marcheur » se fait chaque jour plus relative. D’où, peut-être, ce comportement des plus désordonnés qui est en train de devenir sa marque de fabrique, la perspective de peut-être devoir remettre un jour les clefs du château à une certaine Marine Le Pen n’arrangeant rien.

    Outre-Atlantique, on appelle ça le « syndrome Barack Obama », obligé de léguer celles de la Maison-Blanche à Donald Trump. On serait survolté et dépressif à moins, surtout pour un homme pas tout à fait connu pour être né le jour de la Saint-Modeste.

    Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 6 mars 2024)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • De la déclaration des droits de l’homme à la décadence wokiste...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Eric Delcroix, cueilli sur Polémia et consacré au démantèlement des libertés publiques par les sectateurs des droits de l'homme...

    Juriste et ancien avocat, Eric Delcroix a publié notamment Le Théâtre de Satan- Décadence du droit, partialité des juges (L'Æncre, 2002), Manifeste libertin - Essai révolutionnaire contre l'ordre moral antiraciste (L'Æncre, 2005) et Droit, conscience et sentiments (Akribéia, 2020).

     

    Droits humains.jpg

     

    De la déclaration des droits de l’homme à la décadence wokiste

    Sous l’empire chancelant de l’Occident décadent et sous l’hégémonie socialement et sociétalement délétère des États-Unis, l’individu (l’« homme ») est sempiternellement appelé à revendiquer les droits de l’homme, sous ses multiples déclinaisons telles que produites par l’ONU, le Conseil de l’Europe ou l’Union européenne. Pour flatter le narcissisme de l’individu, il n’y a jamais saturation… À la source réside la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, moins détaillée et donc moins pernicieuse que celles qui s’ensuivront, au-delà et en surplomb de notre cadre national. Il n’en demeure pas moins que la Déclaration apparaît comme une référence philosophique utilisée de façon captieuse de nos jours par l’individualisme que fonde l’ordre moral anti-discriminatoire.

    La déclaration des droits de l’homme : naïveté et transcendance

    La Déclaration avait ses raisons d’être spécifiques, dans une France où nobles, clercs et bourgeois vivaient de plus en plus mal un pouvoir encore très arbitraire issu de l’absolutisme ; aussi en ce siècle des Lumières aspiraient-ils à leur émancipation et à ne plus nourrir de craintes pour leur liberté individuelle. Les Anglais n’avaient-t-ils pas l’habeas corpus depuis 110 ans (1679) ? Tel fut l’aspect circonstanciel d’un texte élaboré de façon un peu brouillonne par l’Assemblée nationale. Cette crainte de l’arbitraire explique l’inscription au titre « des droits naturels et imprescriptibles de l’homme [de] la résistance à l’oppression. » Tâtez donc un peu de cette résistance-là … chiche ?
    Mais naïvement, ses rédacteurs, qui se sentaient inspirés, y voyaient également un aspect transcendantal, puisque plaçant leur texte solennellement « sous les auspices de l’Être suprême », ne doutant pas qu’ils préparaient des lendemains radieux « pour le bonheur de tous » (énoncé dans l’exposé des motifs en préambule) et bien loin d’une future laïcité.

    Le fait est que cet instrument, porté déjà par une philosophie individualiste, énonçant des droits sans mettre en balance de devoirs, n’a jamais rempli les fonctions qui prétendaient être les siennes. Et pour cause :  même si on tend aujourd’hui à le nier, l’individu ne peut vivre que dans le cadre d’obligations, cadres sociaux naturels ou formels, famille, nation, ethnie, culture etc.
    Au demeurant, la Déclaration n’a pas empêché les pires errements qui vont s’en suivre, jusqu’à la Terreur. Mais, au surplus, ses dispositions strictement juridiques n’ont jamais été respectées par ceux-là même qui ne cesseront pas de l’invoquer comme la nouvelle Révélation ! Derrière le texte rédigé en 1789, il demeure un esprit qui relève de la morale, qui est donc ouvert aux ratiocinations de la casuistique (ici l’esprit de la loi plutôt que la loi) aux dépens d’une rationalité juridique promue par les Lumières et la lettre de la Déclaration.
    Mais cela ne détourne pas les sectateurs des droits de l’homme d’y tenir mordicus jusqu’à la déraison. Là réside l’approche superstitieuse du document, appuyé sur une transcendance floue, puisque orpheline de son être suprême fondateur.

    Dispositions juridiques formelles et leur contournement

    Bien sûr, et spécialement en ces temps d’États de droit – création allemande du XIXe siècle (« Rechtsstaat ») aux antipodes de la pensée de nos rédacteurs de 1789 qui mettaient au centre de tout la loi formelle « expression de la volonté générale (art. 6) –, la loi est désacralisée. Avec cet État de droit, une institution comme le Conseil constitutionnel peut faire un usage arbitraire du texte, en rejet de la loi (contra legem) et donc au-dessus du législateur, interprète devenu caduc de « la volonté générale ».  Aussi l’État de droit est-il, historiquement et en France, le contraire, l’antonyme d’État républicain.

    Les articles 10 et 11 de la Déclaration sont censés protéger les libertés de pensée, d’opinion et d’expression, mais l’illusion ne saurait survivre (et n’a jamais survécu) compte tenu de la rédaction même de ces articles : après avoir proclamés ces droits, leurs dispositions proclament de façon captieuse :

    Art. 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions … pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi»
    Art. 11 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme … sauf à répondre de cette liberté dans les cas déterminés par la loi » (soulignés par moi).

    Bref, la loi seule détermine ces libertés essentielles, faisant ici de la Déclaration un texte déclamatoire, pompeux mais vide de garanties positives objectivables. Ces articles 10 et 11 n’auraient certainement pas déplu à Staline lui-même.

    Voyons maintenant l’article 8 : « … nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. » Là, pas d’échappatoire pourrait-on croire à la toute-puissance du législateur, si l’on s’en tient à la lettre, sur la non rétroactivité de la loi pénale. Mais moralement l’esprit l’emportera grossièrement contre la lettre… Par exemple, Paul Touvier (1915-1996), ancien milicien (Milice française), sera condamné pour des faits réputés crimes, remontant à 1944, mais novés postérieurement en « crimes contre l’humanité » créés par l’Accord de Londres du 8 août 1945, crimes prescrits dans les années 1950, mais opportunément dé-prescrits par une loi tardive de 1964. On voit dans cette chronologie la flagrante transgression des dispositions de l’article 8 de la Déclaration. Pour les parangons des droits de l’homme, l’esprit (le leur) l’emporte sur la lettre (inopportune). Le souverain Bien ne saurait se perdre dans le juridisme. Droit et raison ne cohabitent plus.

    Casuistique et révocation de la philosophie du droit des Lumières

    D’une proclamation des droits de l’homme à l’autre, les casuistes sectateurs des droits de l’homme peuvent quand même se rabattre opportunément sur la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, même si elle n’a pas la valeur constitutionnelle qu’a conféré, en 1971, le Conseil constitutionnel à notre déclaration de 1789. Et nos casuistes ont ainsi trouvé un secours extérieur, puisé dans la tradition juridique anglo-américaine, hors donc de l’héritage rationnel des Lumières, pour écarter la non-rétroactivité des lois, comme on l’a vu dans les procès français pour crimes contre l’humanité.

    La Convention stipule certes dans son article 7-1 : « Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction … », mais renie ce propos incontinent avec larticle 7-2 : « Le présent article ne portera pas atteinte au jugement … d’une personne coupable d’une action ou omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d’après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées » (souligné par moi). Une concession opportuniste au droit coutumier américain et à ses procédés arbitraires puisés dans son héritage moyenâgeux (« dans les États despotiques, il n’y a point de lois : le juge est lui-même sa règle[i] » écrivait Montesquieu – ce qui définissait bien, avant la lettre, l’État de droit).

    En présence de magistrats rétifs, pour leur honneur, à cette violation grossière du principe de non rétroactivité de la loi pénale et donc de l’article 8 de la Déclaration, la Cour de cassation cassera l’arrêt de la chambre d’accusation de Paris, 27 octobre 1975 en faveur de Touvier, motif pris qu’elle aurait dû « examiner si [Touvier] … ne se trouvait pas exclu du bénéfice de la non-rétroactivité de la loi pénale, en vertu de l’article 7, alinéa 2 de la Convention européenne …[ii] » Un principe général, ici à rebours des Lumières, ça s’invente sans intervention du législateur, ravalé désormais à un rang subsidiaire. Ce point était (le sait-on ?) la doctrine juridique des nationaux socialistes allemands, indistinctement hostiles aux Lumières et à l’héritage du droit romain.

    L’individualisme des droits de l’homme conduit tout logiquement à l’anarchie, y compris (un comble) en matière de droit !

    Les libertés publiques contre les droits de l’homme

    La Déclaration universelle des droits de l’homme (ONU, 1948) et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (Conseil de l’Europe, 1959) ont cherché à pallier ces distorsions entre le texte et l’esprit du texte supposé. Avec l’invention d’un seul et même procédé, que définissent respectivement les articles 30 et 17 de ces documents. Cet article 17 étant de droit positif en Europe, en voici le texte : « Aucune des dispositions de la présente Convention ne peut être interprétée comme impliquant … un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés reconnus dans la présente Convention … » Bref, si votre propos n’est pas conforme à la philosophie individualiste et égalitariste de la Convention, on vous déniera les droits qu’elle énonce, même celui de vous exprimer. Comme avocat, j’ai connu l’application de ce principe qui n’est autre que celui proclamé par Saint-Just : « pas de liberté pour les ennemis de la liberté. »

    Français, nous avions acquis historiquement un haut niveau de libertés publiques et tout le monde affecte chez nous d’y être attaché. Ce n’est pas une question de droits de l’homme, d’individualisme ou d’idéologie (comme dans les traités internationaux moralisateurs), mais d’un certain sens de l’esthétique de vie et de conscience.

    Avec le militantisme actif des sectateurs des droits de l’homme, la République a démantelé les garanties qu’offrait la loi sur la liberté de la presse de 1881, obtenant la restauration des délits d’opinion, la constitution de délits de sentiment, contre la « haine » et donc implicitement pour l’Amour que prétend porter la puissance publique, avec les lois Pleven de 1972 ou Perben II de 2004 ou encore de blasphème avec la loi Fabius-Gayssot de 1990. Orwell avait prédit l’instauration d’un ministère de l’Amour, « qui veillait au respect de la loi et de l’ordre[iii] ».

    La restauration des libertés publique françaises passe par l’abolition des prétentieuses et captieuses Déclaration, Convention et Charte des droits de l’homme, produit de l’idéologie et non pas d’une aspiration aux libertés, qui ne peuvent exister qu’au pluriel et vécues plutôt que déclamées.

    Quant aux libertés de pensée, de recherche et d’expression, rappelons-nous la leçon de Montesquieu pour qui : « Les paroles ne forment point un corps de délit ; elles ne restent que dans l’idée[iv]. »
    Il convient de remettre le droit à sa modeste place de lubrifiant des rapports sociaux voire internationaux, mais non un moyen d’imposer l’Idéologie, droit aujourd’hui infecté par les scories d’un marxisme diffus et d’un puritanisme américain (wokisme inclus) dégoulinant de moraline post chrétienne. Le totalitarisme c’est ici et maintenant.

    Eric Delcroix (Polémia, 1er mars 2024)

     

    Notes :

    [i] L’esprit des lois, 1745.
    [ii] Jurisclasseur périodique, 1976, II, 18 435.
    [iii] 1984, Gallimard, 1950, page 15.
    [iv] L’Esprit des lois. op. cit.

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • L’hiver démographique est-il inéluctable ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Ferdinand Sudres, cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré à l'hiver démographique dans lequel est entré l'Europe...

    Hiver démographique 3.jpg

    L’hiver démographique est-il inéluctable ?

    Lors de sa conférence de presse fleuve du 11 janvier 2024, le président de la République a évoqué la nécessité d’un « réarmement démographique » du pays. Ces termes n’ont pas manqué de provoquer une petite polémique dans le landerneau parisien : les féministes accusant le chef de l’État de vouloir imposer aux corps des femmes des choix politiques et la droite rappelant à bon droit qu’Emmanuel Macron avait participé au gouvernement durant lequel la courbe démographique française avait entamé une descente vertigineuse.

    En 2023, l’Insee nous apprenait que la France avait enregistré son plus bas taux de natalité depuis 1946 avec moins de 700 000 naissances et un taux de natalité s’établissant à 1,6 enfant par femmes. Alors que la France disposait encore d’une natalité dynamique par rapport au reste de l’Europe, elle semble rentrer dans un hiver démographique de long terme, c’est-à-dire une baisse concomitante de ses naissances associée à un vieillissement de plus en plus important de sa population.

    Cet hiver démographique, phénomène bien connu en Italie ou au Japon, constitue en réalité un phénomène mondial qu’il appartient à tout acteur de la Cité d’appréhender. Si le défi écologique ou climatique est toujours en première ligne des préoccupations et de l’intérêt médiatique, le défi démographique, plus obscur, invisible par définition, constitue en réalité la plus grande menace pour l’équilibre de nos sociétés reposant largement sur une utilisation extensive du capital humain.

    Il nous faut ainsi établir les données du problème et identifier les causes aussi subjectives que matérielles qui concourent à ce vieillissement accéléré de l’ensemble de la population du globe et singulièrement de la population européenne. La démographie et le maintien d’une population active ne sont pas qu’une lubie économiste ou le dernier avatar d’une pensée chrétienne accrochée à la procréation. cette problématique doit être saisie comme centrale, car elle conditionne le futur et la stabilité socio-économique de nos pays et particulièrement du continent européen.

    L’hiver démographique arrive

    L’Europe et les pays fortement développés comme le Japon ou la Corée du Sud connaissent depuis la fin des années 1990 des niveaux démographiques alarmants. Pour la Corée du Sud, le point de non-retour semble déjà passé. Avec en moyenne 0,7 enfant par femme, il est désormais admis que la Corée du Sud perdra la moitié de sa population active d’ici 2050 et passera en dessous de 35 millions d’habitants d’ici la fin du siècle. Le Japon et l’Italie sont d’ores et déjà les pays les plus vieux du monde et leur atonie économique structurelle repose en partie sur cette situation démographique désastreuse.

    Néanmoins, si la situation alarmante des pays européens et des pays d’Asie du Sud-Est est déjà largement connue, on observe une baisse structurelle du taux de natalité dans la quasi-totalité des pays du monde et un vieillissement de certaines sociétés moins riches et moins développées. À ce titre, l’Amérique du Sud, connaissant désormais un taux faible de natalité, enregistre un vieillissement accéléré de sa population. Alors que les États-Unis d’Amérique avaient mis cinquante ans pour voir la part de leur population âgée de plus de 60 ans passer de 10 à 20 %, des pays comme le Pérou, la Colombie ou le Venezuela mettront moins de trente ans à passer cette limite déterminante avec un système de protection sociale moins performant, toutes proportions gardées, que le système américain.

    En Afrique, dont l’augmentation démographique est à juste titre une source d’inquiétude, particulièrement pour le Vieux Continent, on observe que nombre de pays africains connaissent une baisse démographique tendancielle de leur taux de natalité, malgré une démographie encore galopante en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. L’augmentation de la population mondiale résidera pour le siècle en cours essentiellement en Afrique qui conserve encore un taux de natalité important, à l’inverse du reste de la planète. Les pays du Maghreb ont d’ores et déjà terminé leur transition démographique et la natalité des grandes métropoles africaines est passée sous la barre du taux de renouvellement des générations.

    Dans le monde entier, depuis la Covid-19, les pays qui observent une augmentation de leur démographie se comptent sur les doigts d’une main. Seules la Mauritanie, l’Afghanistan et Israël affichent encore des taux de natalité croissants alors que la plupart des pays sont non seulement passés sous le seuil de renouvellement des générations, mais subissent également une baisse continue de leur taux de natalité.

    Selon l’ONU, le taux de natalité mondial s’établirait en 2023 à 2,2 enfants par femme. S’il est encore supérieur au seuil de renouvellement des générations, porté en partie par le déploiement de la démographie africaine, l’espèce humaine semble sur la voie d’une baisse structurelle de sa natalité. Les transitions démographiques rapides et désormais le vieillissement accéléré de la population constituent des phénomènes de plus en plus structurels non seulement en Europe où près de 30 % de la population aura plus de 60 ans en 2040, mais également dans d’autres parties du monde comme l’Amérique latine ou l’Asie du Sud-Est. Pour l’Empire du milieu, les effets de long terme de la politique de l’enfant unique, conjugués à une urbanisation et à un développement rapide, ont amené le pays à un taux de natalité à un enfant par femme, entraînant un vieillissement accéléré de la population chinoise réduisant ses chances d’hégémonie et de domination à long terme. Avant d’être riches, les Chinois seront vieux.

    Zeitgeist nullipare

    Le sujet de la démographie est un sujet complexe. Il se situe à l’intersection du privé et du public. Il concerne l’espace privé, ce que font les gens dans leur chambre à coucher, ou ailleurs, ce qui ne devrait pas normalement relever de l’examen de l’État ou des décideurs publics, mais il concerne surtout le collectif et le destin tout entier de la Cité. Si faire un enfant est une question intime, la natalité est une cause collective.

    Dans le monde occidental, cette baisse brusque de la natalité depuis la Covid-19 tient d’abord à une cause générationnelle. La génération dite Z (née entre 1997 et 2004) arrive peu à peu à l’âge de procréation. Génération socialisée par les écrans, déstructurée par le confinement, inquiète des évolutions du monde et d’un futur incertain, marquée par une solitude grandissante et une difficulté à s’engager, voire tout simplement à procréer, elle s’affirme comme une génération fortement nullipare (autrement dit : qui n’a jamais porté d’enfant ni accouché), où le projet d’enfant vient contrecarrer les aspirations individuelles. Dans un sondage récent paru dans Libération, l’IFOP estimait qu’un quart des jeunes Français de moins de 24 ans n’avaient pas pratiqué d’activités sexuelles dans les douze derniers mois, un chiffre record par rapport à la précédente enquête publiée en 2006. Par ailleurs, s’il y a une quinzaine d’années, la maternité était encore l’idéal de la quasi-totalité des Françaises (98 % en 2006), elle n’est plus aujourd’hui un rêve pour toutes : 13 % des Françaises âgées de 15 ans et plus (+11 points depuis 2006) expriment leur préférence pour une vie sans enfant, et leur nombre est trois fois plus élevé chez les femmes sans enfant en âge et en capacité de procréer (31 %). À l’inverse, la « famille nombreuse » (3 enfants et plus), qui était un idéal de vie pour près d’une femme sur deux il y a encore une quinzaine d’années (49 % en 2006), n’attire aujourd’hui plus qu’une Française sur trois (32 %).

    Le développement des réseaux sociaux explique en partie ce phénomène de non-natalité. Selon une étude récente de la Fondation de France, près de 25 % des jeunes Français sont en état de solitude aggravée, n’ayant plus ou peu d’interactions sociales avec autrui.Cette solitude moderne, paradoxale,car inscrite dans une absence de relation humaine réelle mais dans une surmobilisation et un surinvestissement de relations numériques éphémères, participe à un grand mouvement nullipare de la société.

    Parallèlement, la figure de la maternité et de l’enfant disparaît peu à peu de l’environnement des sociétés. Les grands ensembles urbains où vivent la majorité de la population sont de plus en plus rétifs à la présence des enfants. Les parcs, aires de jeux, ou autres infrastructures publiques dédiées à la présence enfantine, sont de moins en moins construits ou déployés.

    L’individu contre la famille

    Par ailleurs, les lieux de sociabilité et de rencontre, ferments de la civilisation européenne, comme les bars ou les cafés, tendent peu à peu à disparaître. Les boîtes de nuit, symbole de la jeunesse et de la sociabilité des années 1980 et 1990, subissent une désaffection profonde de la génération Z et ferment les unes après les autres.Selon le sociologue Jérôme Fourquet, un phénomène puissant de repli sur l’espace intime et l’intérieur irrigue désormais toute la société et particulièrement les plus jeunes. Cette civilisation du plaid, inquiète et adepte de safe space, souvent solitaire, semble devenir de plus en plus incapable de se projeter dans un avenir commun et particulièrement de troquer sa liberté de monade solitaire contre la charge de la parentalité.

    La baisse de la natalité en France et en Europe réside également dans la dégradation des conditions matérielles d’existence des jeunes. Le marché du logement, par exemple, constitue le frein le plus évident à la fondation d’une famille. L’exiguïté des lieux d’habitation comme l’instabilité structurelle dans leur occupation par l’impossibilité récente d’accès à la propriété découragent les couples à fonder une famille.

    De plus, l’évolution de la politique nataliste a eu un effet catastrophique sur la démographie française. Alors que le pays se félicitait d’associer un haut niveau d’accès à l’emploi pour les femmes et une natalité relativement dynamique, les réformes des allocations familiales, particulièrement sous le quinquennat Hollande, ont participé à enrayer ce qui était encore un atout déterminant de la France dans le concert européen. La fin de l’universalité des allocations familiales a entraîné une diminution de la natalité des couples de classes moyennes supérieures ou de la petite bourgeoisie. Si on ne fait jamais un enfant pour les aides, la perspective d’un soutien financier de l’État rassure quant à la possibilité de la conception d’un deuxième ou d’un troisième enfant. Des études ont ainsi exposé le lien mécanique entre la fin de l’universalité des allocations familiales, au mépris de la tradition historique de la gauche républicaine en faveur de toutes les familles, et le début de l’hiver démographique français.

    Par ailleurs, l’instabilité des économies occidentales, tertiarisées et flexibles, contribue à dissuader tout projet d’enfants. L’Italie constitue à ce titre un pays malheureusement exemplaire dans ce phénomène. Depuis 2000, la croissance italienne est nulle et son industrie est à la peine. Le baby-boom italien, situé dans les années 30 et non la fin des années 40, a pour conséquence tardive une impossibilité pour beaucoup de jeunes Italiens d’avoir accès à un emploi stable en dépit d’un haut niveau de formation universitaire. Le vieillissement de la société italienne a entraîné une sclérose tant du marché locatif que des possibilités professionnelles. Ainsi en 2023, 21 % des jeunes Italiens étaient au chômage contre 17,4 % des jeunes Français. Le marché locatif italien empêche également les jeunes de quitter le foyer familial. L’Italie affiche ainsi le triste record de 42 % de jeunes de 25 ans vivant encore chez leurs parents. Malgré les promesses du nouveau gouvernement de Giorgia Meloni, la natalité italienne ne repart toujours pas, lestée d’une situation économique, locative et sociétale particulièrement problématique et d’un manque criant d’infrastructures publiques pouvant concilier l’accueil d’un enfant et le maintien d’une vie professionnelle pour les parents, en particulier pour les mères.

    Des enfants de plus en plus tard

    Enfin, la baisse de la natalité trouve aussi sa cause dans la progression vertigineuse de l’infertilité des couples. Celle-ci s’explique par deux facteurs. En premier lieu, les femmes ont en moyenne leur(s) enfant(s) de plus en plus tardivement. En France, l’âge du premier enfant s’établit à 28 ans contre 22 ans en 1960 selon l’INSEE. Ce décalage constant de l’âge de conception de l’enfant repose dans une inadéquation entre l’âge de fertilité le plus élevé et l’entrée dans la vie professionnelle.

    En effet, les femmes sont les plus fertiles entre 20 et 30 ans, au moment de leur entrée dans le monde professionnel et où le besoin de faire ses preuves et d’être productif est le plus fort. Ainsi, et en notant un manque tangible d’éducation sexuelle du public féminin à ce sujet, l’âge du premier enfant se décale de plus en plus vers la trentaine au moment où les grossesses deviennent de plus en plus difficiles et où la femme comme l’enfant courent un risque accru.

    De plus, on observe également l’augmentation de l’infertilité masculine. La qualité du sperme de l’homme occidental n’a cessé de régresser. Selon Santé publique France en 2018, les études ont confirmé une altération globale de la santé reproductive masculine en France, depuis les années 1970, avec une baisse significative et continue de 32,2 % de la concentration spermatique entre 1989 et 2005. Les principales causes de cette crise sanitaire demeurent dans l’exposition constante des populations occidentales et européennes aux perturbateurs endocriniens. Malgré un plan de recensement et de lutte contre ces substances lancées par la Commission européenne et le gouvernement français en 2021, comme la mobilisation de parlementaires nationaux sur ce sujet, les populations européennes demeurent fortement exposées à ces substances issues de l’industrie chimique ou de traitements médicaux qui affectent fortement la capacité reproductive des couples. Ainsi, les troubles de l’infertilité concernent près de 3 millions de couples en France réduisant d’autant plus les capacités démographiques des populations.

    L’immigration, pharmakon contre la dépopulation

    Face à cet effondrement de la démographie européenne, certains, comme l’inénarrable démographe Hervé Le Bras ou une partie de la gauche, voudraient recourir à une immigration plus importante, capable d’apporter les forces vives et les naissances qui manquent désormais à un continent vieillissant.

    Il va sans dire que ce remède contre la dépopulation qui vient serait pire que le mal. Néanmoins il nous faut expliquer pourquoi l’immigration ne saurait en rien le moyen de régler le vieillissement démographique accéléré de nos sociétés.

    La dépopulation demeure encore un risque peu identifié, voire hypothétique pour beaucoup ; pourtant, les premiers effets de ce vieillissement démographique se font d’ores et déjà sentir par la dégradation des systèmes de soins aux populations reposant largement sur un capital humain à haute valeur ajoutée. Si les Français sont légitimement inquiets de la crise de l’hôpital public et de la disparition progressive dans de larges territoires de médecins généralistes ou spécialistes, peu identifient cette question comme le prolégomène de la crise démographique. En effet, le débat public circonscrit la cause de cette crise aux effets désastreux de l’application du numerus clausus lors des précédentes décennies. Il nous faut convenir que cette limite bureaucratique au nombre de médecins a fortement dégradé l’offre médicale. Néanmoins, de nombreux pays comme l’Allemagne ou le Canada n’ayant pas mis en place de tels mécanismes subissent également une baisse de la démographie médicale et un manque de bras et de médecins dans leurs hôpitaux. La cause ne résulte pas d’une décision bureaucratique, mais bel et bien des premiers effets de cette crise démographique et de la difficulté de trouver soit dans la population autochtone soit même parmi les populations immigrées des personnes disposant des qualités requises pour effectuer ses tâches.

    L’immigration ne sera pas ainsi la solution pour repeupler nos campagnes de médecins ou pour raccourcir les délais d’attente dans les urgences. En effet, l’immigration hautement qualifiée sera, dans les années à venir, une ressource rare et chère. Non seulement nous ne pouvons ni moralement ni politiquement vider les pays en développement de leur force vive, dont leurs médecins et leurs ingénieurs, mais, bientôt, beaucoup de pays pourvoyeurs d’immigration hautement qualifiée comme l’Asie ou l’Amérique seront dans l’incapacité de répondre à leurs propres besoins en raison du vieillissement démographique. Récemment, la Turquie a annoncé sa volonté de faciliter l’entrée de médecins d’origine d’Afrique noire pour pallier elle aussi au vieillissement accéléré de sa population et à un manque de personnels de santé.

    Par ailleurs, une immigration massive ne peut pas régler le problème structurel de la baisse de la natalité. On l’observe particulièrement en Amérique du Nord où le Canada comme les États-Unis subissent depuis de nombreuses années une immigration massive largement encouragée par les gouvernements libéraux et démocrates au pouvoir à Washington DC et à Ottawa. Au Canada par exemple, malgré l’entrée de près de 500 000 personnes par an depuis le début de l’ère Trudeau, la démographie canadienne a elle aussi atteint un stade critique, en dépit de l’apport de nombreux immigrés, avec 1,4 enfant par femme. De plus, comme l’a montré le même Hervé Le Bras, dans Le destin des immigrés, si les immigrés sont beaucoup plus féconds à leur arrivée sur le sol de leur pays d’accueil, dès la deuxième génération le taux de natalité s’adapte globalement à celui du pays d’accueil. Recourir à l’immigration serait donc, face au problème de la natalité, reculer pour mieux sauter… dans le vide.

    Enfin, face à ce vieillissement accéléré de la population et un risque d’hiver démographique en France et en Europe, miser sur l’immigration c’est réduire la stabilité ethnoculturelle des différents pays et ainsi saper un esprit communautaire, voire un simple esprit de redistribution entre tous les citoyens. La dépopulation et le vieillissement poseront à l’avenir des problèmes de grande ampleur, mêlant une charge de plus en plus intense sur les dépenses publiques et privées pour prendre en charge une population sénescente mais aussi altérant l’affectio societatis des collectivités par la rareté croissante d’un capital humain de haute qualité. Devant le vieillissement de la population, il faut ainsi rappeler que le maintien d’une unité ethnoculturelle est un préalable vital pour garantir la stabilité de nos pays.

    Aux bébés citoyens ?

    Retour au 11 janvier 2024. La gauche a fait feu de tout bois contre l’expression du président de la République de « réarmement démographique ». Si ce terme semble le concept central d’une simple opération de communication présidentielle forgée par un cabinet de conseils américain, il ne permet en rien d’appréhender le problème de l’hiver démographique et encore moins d’y apporter une solution.

    Il existe une constante dans l’étude des politiques de natalité : toute politique coercitive ou d’imposition morale faite aux femmes de faire des enfants, émanant d’une entité politique, est toujours une politique sans effet. Le moindre manuel scolaire publié sous la Troisième République alertait chérubins (et parents) de ce manque croissant d’enfants qui mettait à mal la capacité de défense et de prospérité du pays, particulièrement dans l’entre-deux-guerres, où une Allemagne revancharde accumulait les performances démographiques face à une France saignée à blanc et qui avait connu une transition démographique rapide sans commune mesure avec le reste de l’Europe. Les exhortations natalistes de tel ou tel gouvernement n’y ont rien fait.

    Il a fallu attendre le déploiement d’une politique familiale, dès 1942, sous le régime de Vichy, puis poursuivie par le Conseil national de la Résistance, le tout mêlé à un optimisme renouvelé des populations au sortir de la guerre, pour donner lieu au baby-boom. La politique nataliste doit ainsi reposer sur une volonté de l’État d’aider les couples à avoir des enfants et sur une politique réelle, appuyée sur des mécanismes financiers et administratifs qualitatifs, et non des injonctions moralisatrices ou patriotiques. À ce sujet, la Pologne comme la Hongrie donnent des exemples de mesures fiscales réelles pour soutenir et améliorer des taux de natalité très bas.

    Si la gauche veut réduire le problème de la natalité à une problématique purement individuelle et intime, elle en oublie que tout système socialisé repose sur une natalité dynamique. En effet la puissante armature sociale de l’État français, qui représente près de 700 milliards d’euros, est exclusivement financée par les prélèvements obligatoires des actifs et leur renouvellement.

    Le dernier mouvement social portant sur l’augmentation de l’âge à la retraite a démontré l’absolue irresponsabilité de la gauche Nupes au sujet de la natalité, s’enfermant dans des positionnements impolitiques et des postures morales, fortement éloignés des causes réelles de cette dégradation de la protection sociale pour les Français.

    Selon l’expression lumineuse de feu Patrick Buisson, cette réforme des retraites c’est le paiement des enfants que nous n’avons pas eus. Le système redistributif français ne peut reposer que sur une natalité dynamique et c’est cet impensé fondamental tant de nos gouvernants que d’une large partie du personnel politique, à l’exception notable du Rassemblement national et de Reconquête !, qui génèrent les drames sociaux actuels et futurs que vivront nos compatriotes. Sans une remontée de la démographie non pas à des niveaux délirants mais bien à un niveau moyen de 1,8 ou de 1,9 enfant par femme, la stabilité de notre système social est pour ainsi dire condamné.

    Quelles solutions reste-t-il alors pour le personnel politique ?

    L’hiver démographique menace. Néanmoins, une fois les données établies et les défis analysés, des solutions demeurent pour améliorer le taux de natalité marginale des Français.

    En premier lieu, le rétablissement d’une politique inconditionnelle d’allocations familiales universelles est un préalable obligatoire. Si, comme on l’a dit, l’argent public n’enfante pas, il permet en revanche d’augmenter la natalité marginale. Or, c’est bien ces quelques points supplémentaires qui permettront de sauver notre ordre social et préserver l’intégrité de notre pays.

    Par ailleurs, une réflexion d’ensemble doit être menée quant à la préparation de l’accueil et du suivi de l’enfant. Ainsi, la persistance de violences obstétricales terrifiantes sur certaines jeunes mères, mises en lumière par des collectifs féministes, participe malheureusement au grand dégoût de l’enfantement pour une large partie des jeunes femmes françaises. L’État doit ainsi reconstruire un cadre protecteur et accueillant pour les familles françaises en garantissant un suivi et une qualité de services dans tout le parcours de l’enfantement.

    À ce sujet, le manque de plus en plus criant de place en crèche constitue un jalon fondamental des politiques natalistes. Il conviendrait de mettre sur pied un plan de grande ampleur, centré sur les collectivités territoriales, à commencer par les municipalités, de façon à exiger des administrations publiques comme des acteurs du secteur privé qu’ils mettent en place des crèches professionnelles et de façon à ce qu’un véritable service public de la petite enfance décentralisé puisse voir le jour soit au niveau des communes soit au niveau des départements dans les zones rurales. Ainsi, un tel mouvement ne pourra être entrepris que par la revalorisation des métiers touchant à la petite enfance et à ses rémunérations.

    Par ailleurs, un grand plan de lutte contre l’infertilité passant par le recensement des perturbateurs endocriniens (et des entreprises fabricant les produits incriminés), couplé au développement de pratique médicalisée pour aider à l’enfance (que ce soit la FIV, soit la fécondation in vitro, sinon la PMA), pourrait contribuer à permettre à des couples ayant un désir d’enfant tardif, c’est-à-dire à plus de 30 ans, de l’obtenir. Il conviendrait de s’inspirer des pays nordiques, le Danemark en tête, qui ont été très tôt sensibilisés à la problématique de l’infertilité masculine et ont développé depuis de nombreuses années des dispositifs sociaux d’évaluation de la fertilité chez les jeunes et des soutiens financiers aux couples infertiles ou éprouvant des difficultés à enfanter pour répondre à leur désir d’enfants.

    Enfin, c’est bien un discours de réenchantement démographique qu’il faudra construire. L’image culturelle et médiatique de la maternité et de la paternité doit être revalorisée comme un moment de joie et d’accomplissement personnel, mais aussi comme une modalité réelle de réussite de l’individu, à l’heure où des vies professionnelles hachées et souvent dépourvues de sens réduisent l’homme au simple rang de producteur ou d’exécutant. L’éducation sexuelle doit aussi être renforcée, entre autres pour alerter les jeunes filles sur les risques d’une grossesse tardive et sur la réalité de la ménopause.

    La prise en charge politique réelle du problème démographique ne doit pas se fourvoyer dans un choix binaire : le déploiement d’un discours coercitif, voire patriotique, qui rebute les couples, ou la seule mise en valeur du choix individuel qui est à terme aussi dangereux et profondément impolitique. À cet égard, on ne peut que se lamenter du temps perdu dans de vains débats sur la natalité. La France, par son histoire, a été un pays où la politisation de cette question et le déploiement concomitant de mesures financières ou administratives réelles avaient su concilier une pleine liberté accordée aux couples et un État protecteur de l’enfance.

    Remarquons, au passage, que le tournant néolibéral a contribué à sortir de l’agenda public la question de la procréation, au moment même où les évolutions sociétales et migratoires rendaient ce sujet absolument central.

    L’hiver démographique n’est pas encore une fatalité pour la France ni même pour l’Europe. Si des causes structurelles et collectives concourent à cet esprit nullipare, le citoyen comme les pouvoirs publics doivent se mobiliser face à ce défi et promouvoir des réponses politiques visant à reconstruire un État protecteur des familles et des enfants, gages de notre avenir collectif.

    Ferdinand Sudres (Site de la revue Éléments, 28 février 2024)

     

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Défendre l'Europe...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de David Engels, cueilli sur le site d'Academia Christiana et consacré à un plaidoyer en faveur de l'unification européenne, troisième voie entre le progressisme eurofédéraliste et le souverainisme régressif.

     

    Europe-patrimoine.jpg

    Défendre l'Europe

    L'Europe est depuis longtemps divisée entre une gauche eurofédéraliste et une droite souverainiste qui prennent en tenaille les dernières chances de survie de notre civilisation : la première parce qu'elle veut remplacer l'identité culturelle traditionnelle de l'Europe par un mondialisme désincarné, matérialiste et hédoniste ; la seconde parce que le retour à une trentaine d'États-nations risque de transformer le continent en échiquier des intérêts impériaux des autres grandes puissances du nouveau monde multipolaire. Il est grand temps pour les défenseurs de la véritable tradition européenne d'emprunter résolument la troisième voie de l'engagement patriotique pour une unification européenne qui ne repose pas sur la lutte contre les identités et les traditions, mais plutôt sur leur défense et leur prolongement : l'hespérialisme.

    Les élections européennes de 2024 pourraient être un moment décisif à cet égard : d'une part, une victoire des eurofédéralistes pourrait abolir les vetos nationaux et porter un coup décisif à la subsidiarité ; d'autre part, la droite sceptique de l'UE semble plus que jamais divisée sur ses choix idéologiques : christianisme ou sécularisme, européisme ou souverainisme, solidarité ou libertarisme.

    Réorientation politique générale

    Je propose donc pour ma part une réorientation politique générale, dans une perspective non pas nationale, mais résolument civilisationnelle. Car bien avant d'être divisée en Etats, l'Europe était déjà une unité politique, culturelle et surtout spirituelle, et les nations n'ont fait qu'exprimer (et parfois exacerber) des facettes choisies de cette unité. Cette unité culturelle sous-jacente est aujourd'hui plus que jamais menacée, tant de l'intérieur que de l'extérieur, et si nous voulons sauver ses composantes nationales, nous devons commencer par sauver l'ensemble du cadre de référence qui la définit et la garantit. Il est donc grand temps pour les défenseurs de notre identité et de nos traditions d'élargir leur horizon politique de la lutte pour l'autonomie de l'État-nation à la lutte pour la survie de notre civilisation tout entière.

    Bien sûr, il s'agit dans une certaine mesure d'une "idée régulatrice" qu'il faut sans cesse adapter aux conditions réelles, qu'elles soient culturelles, politiques, économiques ou nationales. Néanmoins, je suis fermement convaincu que nous avons besoin de l'étoile directrice du patriotisme européen pour guider les différents choix à venir. Ce patriotisme comporte bien sûr une composante spirituelle, comme nous le verrons, car si la séparation de l'Église et de l'État a toujours fait partie intégrante de notre culture européenne, elle n'implique en aucun cas une séparation de la foi et de la politique, bien au contraire : le véritable hespérialisme ne consiste pas à glorifier sans distinction tout et n'importe quoi, pourvu que cela soit recouvert d'une rouille historique suffisante, mais plutôt à examiner soigneusement les différentes strates de notre identité, en ne considérant comme réellement admirables et dignes d'être imitées que celles qui ont été placées sous l'étoile directrice d'une aspiration sincère à rattacher l'existence terrestre à la transcendance.

    Mais avant d'approfondir ce sujet, revenons sur cette "grande confusion" systématique de l'identité européenne qui, sous couvert de "déconstruction critique", a fomenté une terrible calamité qui, même dans le meilleur des cas, continuera de peser sur notre civilisation pendant de nombreuses décennies. La pensée critique n'est pas en soi une nouveauté dans l'histoire occidentale ; déjà au Moyen-Âge, prétendument "obscur", la "disputatio" comptait parmi les principales techniques d'acquisition du savoir de l'"universitas" et n'était pas non plus, et surtout pas, empêchée par l'Église, mais plutôt encouragée. Toutefois, ce processus de pensée se déroulait sous le postulat fondamental de l'existence de l'Un, du Vrai, du Bien et du Beau, tel qu'il nous a été révélé en Europe par le christianisme ; la déchristianisation des "Lumières", dont les racines remontent certes loin dans le passé, est en revanche marquée par une déconstruction progressive de ce postulat fondamental, d'abord vidé de son contenu dogmatique, puis également de son contenu ontologique, de sorte que l'examen critique et constructif n'est plus que relativisme et finalement nihilisme.

    Bien sûr, pendant un certain temps, l'accumulation purement empirique de connaissances scientifiques descriptives sur les faits et les techniques d'application a progressé, mais là aussi, ces dernières années, nous avons vu de manière significative non seulement une stagnation progressive, mais aussi les multiples effets du nihilisme philosophique.

    Au cours du dernier demi-millénaire, nous avons assisté à la destruction totale du sens de la transcendance, à la déconstruction du christianisme de l'extérieur comme de l'intérieur, à l'introduction massive d'une religion étrangère en Europe, à l’expension inquiétante de diverses formes d'ésotérisme et à la promotion de l'athéisme, du matérialisme et de l'hédonisme comme formes normales de l'existence humaine.  Dans le cadre de cette autodestruction idéologique, l'homme a également perdu sa dignité : d'abord mis à la place de Dieu en tant que prétendue "mesure de toute chose", l'envolée de l'auto-élevation a rapidement été suivie d'une chute brutale dans les formes les plus diverses de collectivisme et de déshumanisation, qui connaissent actuellement une triste apogée dans les théories trans- et posthumanistes les plus diverses. Il en a été de même pour la famille, la nation, l'idée de démocratie participative, la tradition, la beauté, l'économie et même la nature : partout, les communautés solidaires qui s'étaient développées au cours de l'histoire, ancrées dans le droit naturel et intimement liées aux enseignements de la Révélation, ont été volontairement détruites et remplacées d'abord par des ersatz rationalistes, puis par le seul nihilisme pur et simple, jusqu'à ce qu'il ne reste presque plus rien de ce qui avait défini l'Europe pendant des siècles.

    Notre identité européenne

    Afin d'asseoir le contre-projet d'une vaste reconstruction culturelle sur des bases historiques solides, nous devons tenter de démêler les différentes strates chronologiques de notre identité européenne, afin d'apprendre à séparer l'important de l'insignifiant, la racine du tronc, l'action de la réaction. Ainsi, nous devons tout d'abord constater que le Proche-Orient ancien, y compris la sphère de l'Ancien Testament, la Grèce antique, le monde méditerranéen romain, les traditions des Celtes, des Germains et des Slaves et, bien sûr, le christianisme primitif, encore entièrement marqué par l'hellénisme levantin, ne doivent être considérés que comme des précurseurs et non comme le noyau du cycle culturel occidental : ce n'est que par leur fusion au cours de ce que l'on appelle les "siècles obscurs" que s'est formée cette nouvelle culture qui débute spirituellement avec le concile d'Aix-la-Chapelle, politiquement avec la "Renovatio" de l'idée d'empire par Charlemagne et culturellement avec la Renaissance carolingienne, et qui se caractérise psychologiquement avant tout par cette fameuse pulsion "faustienne", qui nous distingue si fondamentalement du sentiment apollinien de l'homme antique, du patriarcalisme fataliste de la culture orientale, de la doctrine de la renaissance des Indiens ou de la piété xiaoïste des anciens Chinois.

    Dans une première phase, cette nouvelle culture était encore entièrement sous l'influence de l'idée d'unité métaphysique marquée par le christianisme occidental, qui a ensuite été remplacée dialectiquement par le déplacement de l'accent sur la multiplicité à partir du 16ème siècle : Dieu a été remplacé par l'homme, la foi par le doute, la contemplation par l'expansion, la théologie par la technologie, la morale par le machiavélisme, le "Sacrum Imperium" par les premiers États-nations, la culture par la civilisation, etc. Il ne fait aucun doute qu'en ce début de XXIe siècle, nous sommes arrivés au sommet - ou devrais-je plutôt dire au creux - de cette évolution, et la morphologie culturelle comparée suggère que l'achèvement de la déconstruction ne correspond pas (encore) à la fin de notre civilisation, mais qu'il faut s'attendre à une dernière et brève synthèse, que l'on ne peut pas appeler autrement qu'un retour conscient à la tradition, comme nous l'avons vu dans l'Antiquité sous le premier Empire romain, en Chine sous la dynastie Han, en Iran sous le règne de Chosroes I. ou en Inde sous les Gupta.

    Retour conscient à la tradition

    Mais que faut-il entendre par un tel "retour conscient à la tradition", qui, comme toutes les synthèses, semble d'abord être une sorte de contradiction interne en soi, puisqu'une tradition, si on la renouvelle consciemment et rationnellement après une rupture, n'est plus vraiment une tradition, même si un deuxième regard révèle qu'il ne s'agit pas en fait d'un retour naïf, mais d'une transcendance consciente de la situation de départ ? Il est évident qu'une telle synthèse doit partir du constat que l'hubris de la phrase "homo mensura", à laquelle toute civilisation est encore vouée, ne peut conduire qu'à l'éclatement de l'autodestruction, d'où découle logiquement le besoin spirituel d'une redécouverte de la transcendance, qui cette fois-ci n'est pas seulement ressentie instinctivement, mais également recherchée rationnellement. A cette fin, la société entière doit être placée à nouveau sous la primauté de l'unité et de l'au-delà, et ce sous la seule forme qui nous soit familière, possible et reconnue en tant qu'Européens, à savoir la tradition chrétienne.

    Il n'est pas du ressort d'un gouvernement de pousser les gens à la foi à l'aide de textes de loi, mais bien de laisser ses propres convictions intellectuelles et spirituelles s'intégrer dans les actions de l'État, dans le cadre des prescriptions formelles. Si l'on considère par exemple l'omniprésence actuelle de la diffamation non seulement de la foi chrétienne, mais aussi de toute forme de croyance en la transcendance par les médias, les établissements d'enseignement et les institutions politiques, il est clair que notre élite actuelle, avec sa prétendue "laïcité", a plutôt pour objectif clair d'empêcher autant que possible les gens d'accéder à Dieu sous le couvert du sécularisme. Il s'ensuit que l'objectif d'une nouvelle élite hespérialiste est plutôt d'ouvrir à nouveau largement cette voie, dont la fréquentation ne peut bien sûr être qu'individuelle, et de la rappeler à la conscience publique comme une possibilité et non comme une contrainte. Mais toutes les autres conséquences en découlent également : la restauration de la dignité humaine de la conception à la mort ; la sanctification de la famille naturelle, le rétablissement de la subsidiarité dans le cadre d'un nouvel ordre spatial européen, la restitution de la fierté de notre histoire, l'engagement explicite en faveur du vrai, du bien et du beau, la lutte pour une vie économique à proportions humaines et le respect de la magnificence de la création, et ce non pas dans le sens d'un panthéisme écolo-gauchiste, mais d’un théâtre où se joue la lutte de l'homme et de la société pour leur âme.

    Or, malheureusement, tous les idéaux doivent être réalisés dans un monde dont les nombreuses contraintes les obligent à des compromis et des ajustements qui sont loin d'être optimaux, car ils doivent s'adapter aux réalités politiques, économiques, spirituelles et culturelles concrètes qui constituent le contexte global de nos efforts. En effet, même avec la meilleure volonté du monde et dans des conditions politiques favorables, il ne suffira pas de modifier tel ou tel texte de loi à Bruxelles ou à Paris : c'est toute une civilisation en voie de désintégration volontaire qui doit être protégée de ses tendances à la dissolution et ramenée à la raison - et à la transcendance.

    Parmi les contraintes extérieures, on peut citer : les dangers de la multipolarité pour une Europe en déclin ; les défis de la migration de masse ; le risque d'un Etat de surveillance avec un système de crédit social et une urgence pandémique ; la dépossession des politiques nationales par les institutions internationales et le réseau mondialiste ; la destruction des classes moyennes par le socialisme des milliardaires ; la crise de la foi et des églises ; et enfin, et ce n'est pas le moins important, l'épuisement naturel de notre civilisation vieillissante.

    Aux XVIIIe et XIXe siècles, l'homme européen a pu se reposer sur sa supériorité technologique par rapport au reste du monde ; au XXe siècle, les hégémonies de la guerre froide ont pris le relais pour s'occuper de lui. L'effondrement de l'hégémonie américaine renvoie l'Européen à l'histoire, même si c'est à un moment où il semble le moins apte à en relever les défis, de sorte que la seule question qui se pose aujourd’hui est de savoir s'il veut continuer à subir sans broncher les mesures palliatives actuelles afin de supporter le moins douloureusement possible la descente aux enfers, ou s'il veut au contraire oser prononcer à nouveau un "oui" courageux à l’adresse de Dieu, de l'histoire et de notre responsabilité – et entreprendre les nombreuses réformes douloureuses et urgemment nécessaires à la survie de notre société.

    Quelles sont donc les conséquences pour l'avenir proche ?

    Il n'est pas question dans ces brèves réflexions de donner une analyse détaillée des prochaines élections européennes et autres, ni de tenter de prévoir les événements du futur immédiat, ni même de résumer les projets alternatifs que j'ai présentés en détail ailleurs. Il semble toutefois évident que nous allons tous devoir mener une lutte acharnée en Europe, car il est clair que les libéraux de gauche iront jusqu'au bout pour conserver leur pouvoir et leur influence sur la société - si ce n'est par la persuasion, du moins par l'intimidation.

    Les récents événements en Pologne en sont un exemple typique : depuis des années, un pays entier a été mis à mal, tant économiquement que mentalement, par le harcèlement médiatique, les sanctions et la diffamation, tandis qu'en coulisses, un gouvernement multipartite était forgé pour s'emparer du pouvoir au moment critique et, si nécessaire, créer un nouveau statu quo par la force.

    Les élections européennes vont très probablement entraîner un certain renforcement du camp conservateur, non seulement en Pologne mais aussi dans toute l'Europe. Mais elles obligeront les progressistes à renforcer également au niveau de l'UE leur idéologie du "cordon sanitaire", provoquant ainsi une résurgence (in)volontaire de la doctrine des "partis-blocs" telle qu'on la connaissait en RDA : tous les partis qui soutiennent le "système" actuel s'allieraient durablement entre eux sous la direction idéologique de l’écolo-gauchisme comme étant la force la plus progressiste, afin de "sauver" (soi-disant) la démocratie et d'empêcher un nouveau "fascisme". Il est bien sûr tout aussi évident qu'une telle lutte contre un autoritarisme de droite imaginaire par un autoritarisme de gauche bien réel doit tôt ou tard chavirer sous le poids de ses propres contradictions et conduire à la catastrophe, tout comme, théologiquement parlant, une victoire à long terme du "mal", c'est-à-dire de l'hubris du "non serviam" diabolique, est impossible, puisque ce principe ne peut justement que toujours conduire à la dissolution, et doit même y conduire en raison de ses hypothèses ontologiques fondamentales.

    Bien sûr, cela ne peut nous rassurer que très modérément, car même si la victoire ultime du bien dans le monde extérieur est tout aussi prédestinée que le repos en Dieu nous est accessible à tout moment, même à l'intérieur, les deux nécessitent une lutte acharnée, qui doit être menée avec une intensité jusqu'ici insoupçonnée, en particulier dans les années à venir. Comme nous l'avons souvent dit, nous devons nous engager sur plusieurs voies et ne jamais perdre de vue l'objectif final : dans le domaine politique, argumenter avec persévérance et sans compromis sur la base de nos propres convictions et, dans la mesure du possible, agir ; dans le domaine social, construire partout dès aujourd'hui les communautés et les structures exemplaires sans lesquelles toute résistance au mal ne peut que s'effondrer ; et au fond de nous-mêmes, ne jamais perdre de vue que le véritable combat est celui de notre âme et qu'aucun défi politique ne peut nous dispenser de l'obligation d'établir et de maintenir la proximité de Dieu d'abord en nous-mêmes.

    David Engels (Academia Christiana, 19 février 2024)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Dans la tête de « Jupiter »...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Johan Hardoy, cueilli sur Polémia et consacré à l'absence de toute vision politique liée au bien commun chez Emmanuel Macron. Il s'inspire dans son analyse de l'essai de Thomas Viain intitulé La sélection des intelligences - Pourquoi notre système produit des élites sans vision (L'Artilleur, 2024).

     

    Macron_Sophiste.jpg

    Dans la tête de « Jupiter »

    Le 6 février dernier, sous le titre Des élites dirigeantes sans vision qui pensent comme ChatGPT, Polémia a publié une recension du livre stimulant de Thomas Viain, La Sélection des intelligences, qui critique le mode de pensée des élites issues des grandes écoles. L’auteur observe qu’Emmanuel Macron emploie une forme de langage, typique des « bêtes à concours », qui rappelle étonnamment celui d’une intelligence artificielle. Ce président « jupitérien » ne serait-il donc que le fils de son époque ? Se prévaloir d’un tel patronage n’est pourtant pas anodin, mais Marx nous a appris que l’Histoire se répétait une première fois comme tragédie et une seconde fois comme farce.

    Un bref détour par l’Agora

    Thomas Viain, qui est énarque, agrégé de philosophie et manifestement honnête homme, considère avec Socrate que le bien est à la source de toutes nos actions : « Nul ne fait le mal volontairement », mais par l’effet d’une passion déraisonnable qui n’a pour source que l’ignorance.

    Dans le Gorgias, Platon met en scène Socrate qui dénonce la rhétorique des sophistes comme un art du mensonge dépourvu de base solide. Ignorant délibérément ce qui est juste ou injuste et se faisant fort de soutenir une thèse et son contraire, ces rhéteurs se font fort de manipuler l’opinion, contrairement au philosophe qui consacre sa vie à rechercher le bien et l’excellence de l’âme en s’appuyant sur des éléments rationnels et cohérents.

    Dans ces dialogues, Calliclès refuse les arguments de Socrate en défendant une morale aristocratique opposant les forts et les faibles. Il affirme que l’homme fort doit donner libre court à ses passions en exprimant ses désirs conformément aux lois de la Nature, tandis que les philosophes se révèlent incompétents pour le gouvernement de la Cité et ne sont habiles que dans la formation des jeunes gens.

    Pensée classique et pensée IA

    Dans son livre, Thomas Viain définit la « pensée verticale » comme un mode de réflexion reposant sur des principes supérieurs hiérarchisés dont l’origine remonte à Platon et Aristote.

    A contrario, la « pensée horizontale », étrangère à l’héritage grec mais valorisée de nos jours par l’institution scolaire et les « élites », s’organise « en réseau » et sans hiérarchisation des concepts. Ce défaut d’articulation globale aboutit logiquement à employer, via une « façon très plate et uniforme d’argumenter », un type de langage qui ressemble trait pour trait à celui de l’intelligence artificielle.

    Emmanuel Macron et son projet

    Thomas Viain cite ainsi Emmanuel Macron et son fameux « en même temps » comme un exemple typique de la « pensée horizontale » des meilleurs élèves issus des grandes écoles.
    En dépit de ses études de philosophie, le Chef de l’État aurait tout simplement oublié les principes légués par les Grecs, ou du moins les cantonnerait à un niveau périphérique, contrairement à un Charles de Gaulle féru de culture classique et animé par l’idée directrice de la grandeur de la France.

    L’aptitude avérée du Président à dire une chose et son contraire dans un intervalle de temps très bref ne serait donc pas la marque d’un manque de conviction, ni, à l’instar des sophistes, d’une volonté de manipuler son auditoire, mais la conséquence d’un type de pensée reposant sur « une sorte de bric-à-brac de liens entre auteurs, sources, théories, arguments et contre-arguments permettant d’avoir un avis pondéré et informé sur tout ».
    Ses convictions se manifestent d’ailleurs dans son obstination, reconnue par ses opposants, à mettre en place un projet de société fondé sur une vision du monde globaliste et néo-libérale.

    Macron m’a tuer

    Pour le dire de façon lapidaire, nous pensons qu’Emmanuel Macron est animé par une farouche volonté de puissance individuelle qui le rend étranger à toute notion de bien commun. Pour celui qui estime qu’il existe une diversité de culture dans notre pays et non une culture française, tout en participant activement à la vente d’Alstom à General Electric, que peut bien vouloir signifier une France forte et souveraine ?

    Ses orientations politiques erratiques découlent essentiellement de l’obligation de récompenser ceux qui l’ont fait roi, à savoir tels ou tels établissements financiers ou cabinets de conseil anglo-saxons, combinée avec le soin de conserver les faveurs de ceux qui pourraient lui permettre, un jour prochain, d’occuper un poste prestigieux au sein des institutions européennes.

    Depuis le début de sa présidence, il a pu exprimer pleinement les sentiments et les principes sur lesquels repose sa conception du monde, cocktails d’hédonisme électro (peut-être sous l’influence de Dame Brigitte) et de ferveur plus ou moins partagée avec des footballeurs dans les vestiaires, conjugués à des formules méprisantes sur les « Gaulois réfractaires », « ceux qui ne sont rien » et autres « salariées illettrées ».

    De toute évidence, l’intéressé se révèle emblématique de la sécession des élites avec le peuple théorisée par Christopher Lasch.

    Un épigone « 2.0 »

    Compte tenu de sa formation philosophique, peut-on cependant lui attribuer une influence majeure qui lui servirait d’inspiration ou de figure tutélaire ?

    Ses mémoires d’étude ont été dédiés à deux penseurs politiques, Hegel et Machiavel, mais il paraît difficile d’admettre que ces deux philosophes, qui avaient assurément le sens de l’État, puissent constituer pour lui des références intellectuelles, sauf à envisager le machiavélisme dans son acception vulgaire désignant la seule volonté de conquérir et de conserver le pouvoir par tous les moyens. Une définition conforme à la pratique de notre Président mais de piètre intérêt philosophique et, surtout, peu originale dans le milieu politique.

    Écartons également son éventuelle adhésion à des thèses relevant du darwinisme social, qui ont certes promu les notions de « lutte pour la vie » et de « survie des plus aptes » comme moteur du « progrès », mais dont l’attention pour la puissance collective restait essentielle dans la perspective des rapports de force internationaux.
    Nous nous souvenons dès lors du fameux Calliclès et de son apologie des « forts », qui donnent libre court à leurs passions sans se soucier de la morale commune.
    Bien que son immaturité patente le desserve, accueillons donc notre Jupiter parmi les avatars post-modernes du rhéteur grec…

    Imaginons un instant que Socrate puisse rencontrer Macron dans les rues d’Athènes. Le philosophe n’aurait simplement qu’à l’écouter… En effet, pourquoi contredire un Macron ? Il est tellement plus simple d’attendre qu’il change d’avis !

    Johan Hardoy (Polémia, 23 février 2024)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!