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Points de vue - Page 4

  • Défendre l'Europe...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de David Engels, cueilli sur le site d'Academia Christiana et consacré à un plaidoyer en faveur de l'unification européenne, troisième voie entre le progressisme eurofédéraliste et le souverainisme régressif.

     

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    Défendre l'Europe

    L'Europe est depuis longtemps divisée entre une gauche eurofédéraliste et une droite souverainiste qui prennent en tenaille les dernières chances de survie de notre civilisation : la première parce qu'elle veut remplacer l'identité culturelle traditionnelle de l'Europe par un mondialisme désincarné, matérialiste et hédoniste ; la seconde parce que le retour à une trentaine d'États-nations risque de transformer le continent en échiquier des intérêts impériaux des autres grandes puissances du nouveau monde multipolaire. Il est grand temps pour les défenseurs de la véritable tradition européenne d'emprunter résolument la troisième voie de l'engagement patriotique pour une unification européenne qui ne repose pas sur la lutte contre les identités et les traditions, mais plutôt sur leur défense et leur prolongement : l'hespérialisme.

    Les élections européennes de 2024 pourraient être un moment décisif à cet égard : d'une part, une victoire des eurofédéralistes pourrait abolir les vetos nationaux et porter un coup décisif à la subsidiarité ; d'autre part, la droite sceptique de l'UE semble plus que jamais divisée sur ses choix idéologiques : christianisme ou sécularisme, européisme ou souverainisme, solidarité ou libertarisme.

    Réorientation politique générale

    Je propose donc pour ma part une réorientation politique générale, dans une perspective non pas nationale, mais résolument civilisationnelle. Car bien avant d'être divisée en Etats, l'Europe était déjà une unité politique, culturelle et surtout spirituelle, et les nations n'ont fait qu'exprimer (et parfois exacerber) des facettes choisies de cette unité. Cette unité culturelle sous-jacente est aujourd'hui plus que jamais menacée, tant de l'intérieur que de l'extérieur, et si nous voulons sauver ses composantes nationales, nous devons commencer par sauver l'ensemble du cadre de référence qui la définit et la garantit. Il est donc grand temps pour les défenseurs de notre identité et de nos traditions d'élargir leur horizon politique de la lutte pour l'autonomie de l'État-nation à la lutte pour la survie de notre civilisation tout entière.

    Bien sûr, il s'agit dans une certaine mesure d'une "idée régulatrice" qu'il faut sans cesse adapter aux conditions réelles, qu'elles soient culturelles, politiques, économiques ou nationales. Néanmoins, je suis fermement convaincu que nous avons besoin de l'étoile directrice du patriotisme européen pour guider les différents choix à venir. Ce patriotisme comporte bien sûr une composante spirituelle, comme nous le verrons, car si la séparation de l'Église et de l'État a toujours fait partie intégrante de notre culture européenne, elle n'implique en aucun cas une séparation de la foi et de la politique, bien au contraire : le véritable hespérialisme ne consiste pas à glorifier sans distinction tout et n'importe quoi, pourvu que cela soit recouvert d'une rouille historique suffisante, mais plutôt à examiner soigneusement les différentes strates de notre identité, en ne considérant comme réellement admirables et dignes d'être imitées que celles qui ont été placées sous l'étoile directrice d'une aspiration sincère à rattacher l'existence terrestre à la transcendance.

    Mais avant d'approfondir ce sujet, revenons sur cette "grande confusion" systématique de l'identité européenne qui, sous couvert de "déconstruction critique", a fomenté une terrible calamité qui, même dans le meilleur des cas, continuera de peser sur notre civilisation pendant de nombreuses décennies. La pensée critique n'est pas en soi une nouveauté dans l'histoire occidentale ; déjà au Moyen-Âge, prétendument "obscur", la "disputatio" comptait parmi les principales techniques d'acquisition du savoir de l'"universitas" et n'était pas non plus, et surtout pas, empêchée par l'Église, mais plutôt encouragée. Toutefois, ce processus de pensée se déroulait sous le postulat fondamental de l'existence de l'Un, du Vrai, du Bien et du Beau, tel qu'il nous a été révélé en Europe par le christianisme ; la déchristianisation des "Lumières", dont les racines remontent certes loin dans le passé, est en revanche marquée par une déconstruction progressive de ce postulat fondamental, d'abord vidé de son contenu dogmatique, puis également de son contenu ontologique, de sorte que l'examen critique et constructif n'est plus que relativisme et finalement nihilisme.

    Bien sûr, pendant un certain temps, l'accumulation purement empirique de connaissances scientifiques descriptives sur les faits et les techniques d'application a progressé, mais là aussi, ces dernières années, nous avons vu de manière significative non seulement une stagnation progressive, mais aussi les multiples effets du nihilisme philosophique.

    Au cours du dernier demi-millénaire, nous avons assisté à la destruction totale du sens de la transcendance, à la déconstruction du christianisme de l'extérieur comme de l'intérieur, à l'introduction massive d'une religion étrangère en Europe, à l’expension inquiétante de diverses formes d'ésotérisme et à la promotion de l'athéisme, du matérialisme et de l'hédonisme comme formes normales de l'existence humaine.  Dans le cadre de cette autodestruction idéologique, l'homme a également perdu sa dignité : d'abord mis à la place de Dieu en tant que prétendue "mesure de toute chose", l'envolée de l'auto-élevation a rapidement été suivie d'une chute brutale dans les formes les plus diverses de collectivisme et de déshumanisation, qui connaissent actuellement une triste apogée dans les théories trans- et posthumanistes les plus diverses. Il en a été de même pour la famille, la nation, l'idée de démocratie participative, la tradition, la beauté, l'économie et même la nature : partout, les communautés solidaires qui s'étaient développées au cours de l'histoire, ancrées dans le droit naturel et intimement liées aux enseignements de la Révélation, ont été volontairement détruites et remplacées d'abord par des ersatz rationalistes, puis par le seul nihilisme pur et simple, jusqu'à ce qu'il ne reste presque plus rien de ce qui avait défini l'Europe pendant des siècles.

    Notre identité européenne

    Afin d'asseoir le contre-projet d'une vaste reconstruction culturelle sur des bases historiques solides, nous devons tenter de démêler les différentes strates chronologiques de notre identité européenne, afin d'apprendre à séparer l'important de l'insignifiant, la racine du tronc, l'action de la réaction. Ainsi, nous devons tout d'abord constater que le Proche-Orient ancien, y compris la sphère de l'Ancien Testament, la Grèce antique, le monde méditerranéen romain, les traditions des Celtes, des Germains et des Slaves et, bien sûr, le christianisme primitif, encore entièrement marqué par l'hellénisme levantin, ne doivent être considérés que comme des précurseurs et non comme le noyau du cycle culturel occidental : ce n'est que par leur fusion au cours de ce que l'on appelle les "siècles obscurs" que s'est formée cette nouvelle culture qui débute spirituellement avec le concile d'Aix-la-Chapelle, politiquement avec la "Renovatio" de l'idée d'empire par Charlemagne et culturellement avec la Renaissance carolingienne, et qui se caractérise psychologiquement avant tout par cette fameuse pulsion "faustienne", qui nous distingue si fondamentalement du sentiment apollinien de l'homme antique, du patriarcalisme fataliste de la culture orientale, de la doctrine de la renaissance des Indiens ou de la piété xiaoïste des anciens Chinois.

    Dans une première phase, cette nouvelle culture était encore entièrement sous l'influence de l'idée d'unité métaphysique marquée par le christianisme occidental, qui a ensuite été remplacée dialectiquement par le déplacement de l'accent sur la multiplicité à partir du 16ème siècle : Dieu a été remplacé par l'homme, la foi par le doute, la contemplation par l'expansion, la théologie par la technologie, la morale par le machiavélisme, le "Sacrum Imperium" par les premiers États-nations, la culture par la civilisation, etc. Il ne fait aucun doute qu'en ce début de XXIe siècle, nous sommes arrivés au sommet - ou devrais-je plutôt dire au creux - de cette évolution, et la morphologie culturelle comparée suggère que l'achèvement de la déconstruction ne correspond pas (encore) à la fin de notre civilisation, mais qu'il faut s'attendre à une dernière et brève synthèse, que l'on ne peut pas appeler autrement qu'un retour conscient à la tradition, comme nous l'avons vu dans l'Antiquité sous le premier Empire romain, en Chine sous la dynastie Han, en Iran sous le règne de Chosroes I. ou en Inde sous les Gupta.

    Retour conscient à la tradition

    Mais que faut-il entendre par un tel "retour conscient à la tradition", qui, comme toutes les synthèses, semble d'abord être une sorte de contradiction interne en soi, puisqu'une tradition, si on la renouvelle consciemment et rationnellement après une rupture, n'est plus vraiment une tradition, même si un deuxième regard révèle qu'il ne s'agit pas en fait d'un retour naïf, mais d'une transcendance consciente de la situation de départ ? Il est évident qu'une telle synthèse doit partir du constat que l'hubris de la phrase "homo mensura", à laquelle toute civilisation est encore vouée, ne peut conduire qu'à l'éclatement de l'autodestruction, d'où découle logiquement le besoin spirituel d'une redécouverte de la transcendance, qui cette fois-ci n'est pas seulement ressentie instinctivement, mais également recherchée rationnellement. A cette fin, la société entière doit être placée à nouveau sous la primauté de l'unité et de l'au-delà, et ce sous la seule forme qui nous soit familière, possible et reconnue en tant qu'Européens, à savoir la tradition chrétienne.

    Il n'est pas du ressort d'un gouvernement de pousser les gens à la foi à l'aide de textes de loi, mais bien de laisser ses propres convictions intellectuelles et spirituelles s'intégrer dans les actions de l'État, dans le cadre des prescriptions formelles. Si l'on considère par exemple l'omniprésence actuelle de la diffamation non seulement de la foi chrétienne, mais aussi de toute forme de croyance en la transcendance par les médias, les établissements d'enseignement et les institutions politiques, il est clair que notre élite actuelle, avec sa prétendue "laïcité", a plutôt pour objectif clair d'empêcher autant que possible les gens d'accéder à Dieu sous le couvert du sécularisme. Il s'ensuit que l'objectif d'une nouvelle élite hespérialiste est plutôt d'ouvrir à nouveau largement cette voie, dont la fréquentation ne peut bien sûr être qu'individuelle, et de la rappeler à la conscience publique comme une possibilité et non comme une contrainte. Mais toutes les autres conséquences en découlent également : la restauration de la dignité humaine de la conception à la mort ; la sanctification de la famille naturelle, le rétablissement de la subsidiarité dans le cadre d'un nouvel ordre spatial européen, la restitution de la fierté de notre histoire, l'engagement explicite en faveur du vrai, du bien et du beau, la lutte pour une vie économique à proportions humaines et le respect de la magnificence de la création, et ce non pas dans le sens d'un panthéisme écolo-gauchiste, mais d’un théâtre où se joue la lutte de l'homme et de la société pour leur âme.

    Or, malheureusement, tous les idéaux doivent être réalisés dans un monde dont les nombreuses contraintes les obligent à des compromis et des ajustements qui sont loin d'être optimaux, car ils doivent s'adapter aux réalités politiques, économiques, spirituelles et culturelles concrètes qui constituent le contexte global de nos efforts. En effet, même avec la meilleure volonté du monde et dans des conditions politiques favorables, il ne suffira pas de modifier tel ou tel texte de loi à Bruxelles ou à Paris : c'est toute une civilisation en voie de désintégration volontaire qui doit être protégée de ses tendances à la dissolution et ramenée à la raison - et à la transcendance.

    Parmi les contraintes extérieures, on peut citer : les dangers de la multipolarité pour une Europe en déclin ; les défis de la migration de masse ; le risque d'un Etat de surveillance avec un système de crédit social et une urgence pandémique ; la dépossession des politiques nationales par les institutions internationales et le réseau mondialiste ; la destruction des classes moyennes par le socialisme des milliardaires ; la crise de la foi et des églises ; et enfin, et ce n'est pas le moins important, l'épuisement naturel de notre civilisation vieillissante.

    Aux XVIIIe et XIXe siècles, l'homme européen a pu se reposer sur sa supériorité technologique par rapport au reste du monde ; au XXe siècle, les hégémonies de la guerre froide ont pris le relais pour s'occuper de lui. L'effondrement de l'hégémonie américaine renvoie l'Européen à l'histoire, même si c'est à un moment où il semble le moins apte à en relever les défis, de sorte que la seule question qui se pose aujourd’hui est de savoir s'il veut continuer à subir sans broncher les mesures palliatives actuelles afin de supporter le moins douloureusement possible la descente aux enfers, ou s'il veut au contraire oser prononcer à nouveau un "oui" courageux à l’adresse de Dieu, de l'histoire et de notre responsabilité – et entreprendre les nombreuses réformes douloureuses et urgemment nécessaires à la survie de notre société.

    Quelles sont donc les conséquences pour l'avenir proche ?

    Il n'est pas question dans ces brèves réflexions de donner une analyse détaillée des prochaines élections européennes et autres, ni de tenter de prévoir les événements du futur immédiat, ni même de résumer les projets alternatifs que j'ai présentés en détail ailleurs. Il semble toutefois évident que nous allons tous devoir mener une lutte acharnée en Europe, car il est clair que les libéraux de gauche iront jusqu'au bout pour conserver leur pouvoir et leur influence sur la société - si ce n'est par la persuasion, du moins par l'intimidation.

    Les récents événements en Pologne en sont un exemple typique : depuis des années, un pays entier a été mis à mal, tant économiquement que mentalement, par le harcèlement médiatique, les sanctions et la diffamation, tandis qu'en coulisses, un gouvernement multipartite était forgé pour s'emparer du pouvoir au moment critique et, si nécessaire, créer un nouveau statu quo par la force.

    Les élections européennes vont très probablement entraîner un certain renforcement du camp conservateur, non seulement en Pologne mais aussi dans toute l'Europe. Mais elles obligeront les progressistes à renforcer également au niveau de l'UE leur idéologie du "cordon sanitaire", provoquant ainsi une résurgence (in)volontaire de la doctrine des "partis-blocs" telle qu'on la connaissait en RDA : tous les partis qui soutiennent le "système" actuel s'allieraient durablement entre eux sous la direction idéologique de l’écolo-gauchisme comme étant la force la plus progressiste, afin de "sauver" (soi-disant) la démocratie et d'empêcher un nouveau "fascisme". Il est bien sûr tout aussi évident qu'une telle lutte contre un autoritarisme de droite imaginaire par un autoritarisme de gauche bien réel doit tôt ou tard chavirer sous le poids de ses propres contradictions et conduire à la catastrophe, tout comme, théologiquement parlant, une victoire à long terme du "mal", c'est-à-dire de l'hubris du "non serviam" diabolique, est impossible, puisque ce principe ne peut justement que toujours conduire à la dissolution, et doit même y conduire en raison de ses hypothèses ontologiques fondamentales.

    Bien sûr, cela ne peut nous rassurer que très modérément, car même si la victoire ultime du bien dans le monde extérieur est tout aussi prédestinée que le repos en Dieu nous est accessible à tout moment, même à l'intérieur, les deux nécessitent une lutte acharnée, qui doit être menée avec une intensité jusqu'ici insoupçonnée, en particulier dans les années à venir. Comme nous l'avons souvent dit, nous devons nous engager sur plusieurs voies et ne jamais perdre de vue l'objectif final : dans le domaine politique, argumenter avec persévérance et sans compromis sur la base de nos propres convictions et, dans la mesure du possible, agir ; dans le domaine social, construire partout dès aujourd'hui les communautés et les structures exemplaires sans lesquelles toute résistance au mal ne peut que s'effondrer ; et au fond de nous-mêmes, ne jamais perdre de vue que le véritable combat est celui de notre âme et qu'aucun défi politique ne peut nous dispenser de l'obligation d'établir et de maintenir la proximité de Dieu d'abord en nous-mêmes.

    David Engels (Academia Christiana, 19 février 2024)

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  • Dans la tête de « Jupiter »...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Johan Hardoy, cueilli sur Polémia et consacré à l'absence de toute vision politique liée au bien commun chez Emmanuel Macron. Il s'inspire dans son analyse de l'essai de Thomas Viain intitulé La sélection des intelligences - Pourquoi notre système produit des élites sans vision (L'Artilleur, 2024).

     

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    Dans la tête de « Jupiter »

    Le 6 février dernier, sous le titre Des élites dirigeantes sans vision qui pensent comme ChatGPT, Polémia a publié une recension du livre stimulant de Thomas Viain, La Sélection des intelligences, qui critique le mode de pensée des élites issues des grandes écoles. L’auteur observe qu’Emmanuel Macron emploie une forme de langage, typique des « bêtes à concours », qui rappelle étonnamment celui d’une intelligence artificielle. Ce président « jupitérien » ne serait-il donc que le fils de son époque ? Se prévaloir d’un tel patronage n’est pourtant pas anodin, mais Marx nous a appris que l’Histoire se répétait une première fois comme tragédie et une seconde fois comme farce.

    Un bref détour par l’Agora

    Thomas Viain, qui est énarque, agrégé de philosophie et manifestement honnête homme, considère avec Socrate que le bien est à la source de toutes nos actions : « Nul ne fait le mal volontairement », mais par l’effet d’une passion déraisonnable qui n’a pour source que l’ignorance.

    Dans le Gorgias, Platon met en scène Socrate qui dénonce la rhétorique des sophistes comme un art du mensonge dépourvu de base solide. Ignorant délibérément ce qui est juste ou injuste et se faisant fort de soutenir une thèse et son contraire, ces rhéteurs se font fort de manipuler l’opinion, contrairement au philosophe qui consacre sa vie à rechercher le bien et l’excellence de l’âme en s’appuyant sur des éléments rationnels et cohérents.

    Dans ces dialogues, Calliclès refuse les arguments de Socrate en défendant une morale aristocratique opposant les forts et les faibles. Il affirme que l’homme fort doit donner libre court à ses passions en exprimant ses désirs conformément aux lois de la Nature, tandis que les philosophes se révèlent incompétents pour le gouvernement de la Cité et ne sont habiles que dans la formation des jeunes gens.

    Pensée classique et pensée IA

    Dans son livre, Thomas Viain définit la « pensée verticale » comme un mode de réflexion reposant sur des principes supérieurs hiérarchisés dont l’origine remonte à Platon et Aristote.

    A contrario, la « pensée horizontale », étrangère à l’héritage grec mais valorisée de nos jours par l’institution scolaire et les « élites », s’organise « en réseau » et sans hiérarchisation des concepts. Ce défaut d’articulation globale aboutit logiquement à employer, via une « façon très plate et uniforme d’argumenter », un type de langage qui ressemble trait pour trait à celui de l’intelligence artificielle.

    Emmanuel Macron et son projet

    Thomas Viain cite ainsi Emmanuel Macron et son fameux « en même temps » comme un exemple typique de la « pensée horizontale » des meilleurs élèves issus des grandes écoles.
    En dépit de ses études de philosophie, le Chef de l’État aurait tout simplement oublié les principes légués par les Grecs, ou du moins les cantonnerait à un niveau périphérique, contrairement à un Charles de Gaulle féru de culture classique et animé par l’idée directrice de la grandeur de la France.

    L’aptitude avérée du Président à dire une chose et son contraire dans un intervalle de temps très bref ne serait donc pas la marque d’un manque de conviction, ni, à l’instar des sophistes, d’une volonté de manipuler son auditoire, mais la conséquence d’un type de pensée reposant sur « une sorte de bric-à-brac de liens entre auteurs, sources, théories, arguments et contre-arguments permettant d’avoir un avis pondéré et informé sur tout ».
    Ses convictions se manifestent d’ailleurs dans son obstination, reconnue par ses opposants, à mettre en place un projet de société fondé sur une vision du monde globaliste et néo-libérale.

    Macron m’a tuer

    Pour le dire de façon lapidaire, nous pensons qu’Emmanuel Macron est animé par une farouche volonté de puissance individuelle qui le rend étranger à toute notion de bien commun. Pour celui qui estime qu’il existe une diversité de culture dans notre pays et non une culture française, tout en participant activement à la vente d’Alstom à General Electric, que peut bien vouloir signifier une France forte et souveraine ?

    Ses orientations politiques erratiques découlent essentiellement de l’obligation de récompenser ceux qui l’ont fait roi, à savoir tels ou tels établissements financiers ou cabinets de conseil anglo-saxons, combinée avec le soin de conserver les faveurs de ceux qui pourraient lui permettre, un jour prochain, d’occuper un poste prestigieux au sein des institutions européennes.

    Depuis le début de sa présidence, il a pu exprimer pleinement les sentiments et les principes sur lesquels repose sa conception du monde, cocktails d’hédonisme électro (peut-être sous l’influence de Dame Brigitte) et de ferveur plus ou moins partagée avec des footballeurs dans les vestiaires, conjugués à des formules méprisantes sur les « Gaulois réfractaires », « ceux qui ne sont rien » et autres « salariées illettrées ».

    De toute évidence, l’intéressé se révèle emblématique de la sécession des élites avec le peuple théorisée par Christopher Lasch.

    Un épigone « 2.0 »

    Compte tenu de sa formation philosophique, peut-on cependant lui attribuer une influence majeure qui lui servirait d’inspiration ou de figure tutélaire ?

    Ses mémoires d’étude ont été dédiés à deux penseurs politiques, Hegel et Machiavel, mais il paraît difficile d’admettre que ces deux philosophes, qui avaient assurément le sens de l’État, puissent constituer pour lui des références intellectuelles, sauf à envisager le machiavélisme dans son acception vulgaire désignant la seule volonté de conquérir et de conserver le pouvoir par tous les moyens. Une définition conforme à la pratique de notre Président mais de piètre intérêt philosophique et, surtout, peu originale dans le milieu politique.

    Écartons également son éventuelle adhésion à des thèses relevant du darwinisme social, qui ont certes promu les notions de « lutte pour la vie » et de « survie des plus aptes » comme moteur du « progrès », mais dont l’attention pour la puissance collective restait essentielle dans la perspective des rapports de force internationaux.
    Nous nous souvenons dès lors du fameux Calliclès et de son apologie des « forts », qui donnent libre court à leurs passions sans se soucier de la morale commune.
    Bien que son immaturité patente le desserve, accueillons donc notre Jupiter parmi les avatars post-modernes du rhéteur grec…

    Imaginons un instant que Socrate puisse rencontrer Macron dans les rues d’Athènes. Le philosophe n’aurait simplement qu’à l’écouter… En effet, pourquoi contredire un Macron ? Il est tellement plus simple d’attendre qu’il change d’avis !

    Johan Hardoy (Polémia, 23 février 2024)

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  • Ce n’est pas toujours la faute à Rousseau !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean Montalte, cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré à Rousseau.

    Pour aller plus loin dans ces réflexions on pourra se reporter :

    - à un article d'Alain de Benoist, intitulé «Relire Rousseau ? », publié dans la revue Études et recherches (n°7, 1989) ;

    - au dossier de la revue Éléments (n°143, avril 2012) consacré à Rousseau;

    - ou encore à un article d'Alain de Benoist , intitulé «Rousseau contre les Lumières », publié dans le numéro de Nouvelle École de l'année 2016.

     

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    Ce n’est pas toujours la faute à Rousseau !

    Littérature et politique. Maurras, à la fois penseur politique et critique littéraire, associait ces deux disciplines pour les fondre dans un même processus de pensée visant à dégager les lignes de force qui innervent le monde moderne. Dans son texte à la fois court et dense consacré à la Révolution et au Romantisme, il s’emploie à montrer l’étroite solidarité de la décadence littéraire et de la décadence politique. Il écrit, à rebours de Taine qui attribuait à l’esprit classique l’élaboration de l’esprit révolutionnaire : « Romantisme et Révolution ressemblent à des tiges, distinctes en apparence, qui sortent de même racine. » Sa critique porte principalement sur trois auteurs, à savoir Rousseau, Chateaubriand – faux allié de l’Ancien Régime, anarchiste authentique, toujours selon Maurras – et Victor Hugo, qui sema la zizanie en divinisant le mot, véritable invitation à la déclamation stérile, ignorante des chaînes logiques, garde-fous qu’impose l’esprit classique. Je vais me borner à examiner quelques aspects de la doctrine de Rousseau, eu égard aux griefs qui lui sont traditionnellement adressés. Il ne s’agit pas ici de soutenir que Maurras avait intégralement tort dans sa critique, mais d’apporter quelques nuances et contrepoints.

    Rousseau, le mauvais sauvage

    Parlant du rôle de Rousseau dans la Révolution, c’est-à-dire dans la subversion, Maurras écrit : « La gloire de la France et l’hégémonie de Paris furent employées à répandre les divagations d’un furieux. Ce sauvage, ce demi-homme, cette espèce de faune trempé de la fange natale, avait plu par le paradoxe et la gageure de son appareil primitif. » En somme, Rousseau est un barbare et il vient secouer le joug de la civilisation pour la faire régresser, critiquant les arts, les lettres, la tradition, le passé, la société, les institutions, la religion – « La profession de foi du vicaire savoyard » se passe bien d’une quelconque médiation ecclésiale –, et la morale hétéronome, qui ne jaillit pas directement de la conscience subjective, leçon que Kant retiendra à sa manière quelque peu rigide, sous la forme de l’impératif catégorique.

    Pour neutraliser les aspects corrosifs de la pensée de Rousseau, il fut de bon ton de considérer en lui le seul artiste. Le style de Rousseau est, certes, enchanteur. Il ne faudrait pourtant pas se laisser abuser par son éclat au point de masquer les qualités spécifiquement intellectuelles, qui, au-delà des habiles paradoxes dont il a le secret, font de Rousseau un dialecticien plus subtil qu’il n’y paraît. La finesse et la complexité de sa pensée ne sont pas celles d’un seul sensitif, d’un primitif mal dégrossi qui n’aurait su se dégager du « bourbier barbare » dont l’art de la dialectique a justement pour tâche, selon Platon, de nous extirper. Quant à faire de lui l’ennemi de toute civilisation, l’apôtre du bon sauvage, il n’est pas inutile de rappeler ce texte décisif où l’auteur évoque le passage de l’état de nature à l’état social, tiré du Contrat social, tant les préjugés ont la vie dure : « Quoiqu’il se prive dans cet état civil de plusieurs avantages qu’il tienne de la nature, il en regagne de si grands, ses facultés s’exercent et se développent, ses idées s’étendent, ses sentiments s’ennoblissent, son âme tout entière s’élève à tel point que si les abus de cette nouvelle condition ne le dégradaient souvent au-dessous de celle dont il est sorti, il devrait bénir sans cesse l’instant heureux qui l’en arracha pour jamais, et qui, d’un animal stupide et borné, fit un être intelligent et un homme. »

    Pour conclure sur ce point, Ernst Cassirer écrit dans son ouvrage Le problème Jean-Jacques Rousseau : « On s’est obstiné à l’accuser de vouloir détruire les sciences, les arts, les théâtres, les académies et replonger l’univers dans sa première barbarie, et il a toujours insisté au contraire sur la conservation des institutions existantes, soutenant que leur destruction ne ferait qu’ôter les palliatifs en laissant les vices et substituer le brigandage à la corruption. »

    Il faut cependant noter qu’il fut le premier à transporter la question classique de la théodicée, à savoir la présence du mal en dépit de la toute puissance et de l’infinie bonté de Dieu, dans le domaine social. En effet, niant que le mal tirât son origine de Dieu ou de l’homme, ce qui est l’alternative traditionnellement posée, il les dédouane tous deux pour accabler la société seule. Ce qui laisse une brèche ouverte à une critique de la société en tant que telle, jusque dans sa légitimité à exister. De là à en faire l’ancêtre des social justice warriors, c’est une audace herméneutique dont nous nous dispenserons. Il n’en reste pas moins que cette critique n’est pas le dernier mot de Rousseau sur cette question et que, s’il prête le flanc à des interprétations anarchisantes, c’est à condition d’occulter une part essentielle de sa pensée.

    La maître et ses (faux) disciples

    Goethe a cette fameuse formule : « Avec Voltaire un monde finit, avec Rousseau, un monde commence. » Rousseau, ayant conscience d’avoir pour tâche d’édifier sur les ruines éboulées à venir d’un monde qui chancelle, déroute par l’originalité de sa pensée. Ernst Cassirer, encore : « En morale, en politique, en religion, en littérature comme en philosophie, Rousseau renie et brise les formes inscrites qu’il y découvre – au risque de laisser le monde sombrer à nouveau dans l’état originaire et informel, l’état de “nature”, et ainsi de le livrer en un certain sens au chaos. Mais c’est au sein de ce chaos, qu’il invoque, que s’affermit sa propre force créatrice. »

    C’est ici que je risquerais une analogie avec la peinture de Tuner qui nous offrait une nouvelle vision du monde à l’ère romantique, dont l’apparent chaos n’était que le reflet d’une nouvelle naissance à son stade inchoatif. John Ruskin l’exprime en toute clarté par ces mots : « Au point de vue technique, toute la puissance de la peinture repose dans notre capacité à retrouver cet état que l’on pourrait nommer l’innocence de l’oeil, c’est une sorte de vision enfantine qui perçoit les taches colorées en tant que telles sans saisir leur signification – tout comme un aveugle les verrait si la vue lui était soudainement rendue. » Au fond, tout grand artiste devrait avoir pour ambition de nous faire assister à la naissance du monde. Et Rousseau fut l’exact contemporain de la gestation d’un nouveau monde. Quoi d’étonnant à ce que l’expression de sa pensée prenne des apparences embrouillées, contradictoires et chaotiques ? C’est une pensée en mouvement, une odyssée dans un monde dont les assises sont en passe d’être ébranlées, où le couchant se distingue malaisément du levant, comme dans tout crépuscule. Rousseau, malgré les tares d’humanité qu’il a lui-même documentées, était conscient de la nécessité d’une refondation. S’il a finalement échoué, et c’est la thèse du grand historien de la philosophie Alexis Philonenko, il n’en a pas moins contribué à exposer les forces contradictoires qui se livreraient bataille au cœur de la sensibilité moderne. Un travail de synthèse intellectuelle qui résorberait ces contradictions est toujours à accomplir. Un Hegel, un Musil n’y ont pas suffi et nous sommes toujours tributaires des apories soulevées par l’auteur de l’Émile, tant elles collent si bien à l’esprit moderne lui-même, dont nous n’avons pas loisir de nous déprendre si facilement, quand bien même le désir en serait vif.

    Il lui est souvent attribué des fautes qui incombent uniquement à leurs auteurs directs : d’avoir inspiré tour à tour le régime de la Terreur, d’être l’inspirateur des hippies et des libertaires ; pour d’autres d’avoir formulé avant l’heure une doctrine fasciste d’absorption de l’individu par l’État, d’avoir prôné une éducation laxiste, véritable forgerie en série d’enfants rois. Rousseau n’a-t-il pas écrit : « Savez-vous quel est le plus sûr moyen de rendre votre enfant misérable ? C’est de l’accoutumer à tout obtenir » ?

    Chesterton disait que le monde moderne était rempli de vertus chrétiennes devenues folles, le monde post-moderne est, lui, rempli de vertus modernes devenues débiles. Rendons grâce à Rousseau, entre autres mérites, d’avoir condamné par avance les fraudes idéologiques qui prétendent nous en imposer : « Défiez-vous de ces cosmopolites qui vont chercher loin dans leurs livres des devoirs qu’ils dédaignent de remplir autour d’eux. Tel philosophe aime les Tartares, pour être dispensé d’aimer ses voisins. »

    Jean Montalte (Site de la revue Éléments, 21 février 2024)

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  • Théorie et pratique, un divorce irrémédiable ?...

    Dans cette nouvelle vidéo, Ego Non nous fait découvrir la pensée d'August Wilhelm Rehberg, l’un des plus éminents disciples d’Edmund Burke en Allemagne, qui a affronté intellectuellement Kant et Fichte.

     

                                               

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  • Pourquoi l'oligarchie s'attaque-t-elle à la liberté d'expression ?...

     

    Pourquoi l'oligarchie s'attaque à la liberté d'expression

    L’union des oligarques contre la liberté d’expression

    L’Union européenne mène l’offensive contre les médias alternatifs : Twitter (X) et les réseaux sociaux, avec son règlement DSA, après avoir fait fermer les médias russes pour imposer le discours atlantiste et otanien sur la guerre en Ukraine.

    En France, les initiatives liberticides s’accumulent sous la présidence Macron : dissolution de mouvements identitaires, assimilation de la critique de l’immigration à un « discours de haine », interdictions préfectorales de manifestations ou de colloques, offensive du gouvernement des juges contre CNews, loi sur les dérives sectaires sanctionnant la contestation des politiques sanitaires…
    Pendant qu’à l’Assemblée nationale on ne débat plus mais on invective l’opposition à la macronie, accusée de collusion avec Poutine, avec le Hamas, ou de sortir de l’arc républicain.
    Pourquoi tant de haine de la liberté ?

    L’oligarchie a peur

    D’abord, l’oligarchie veut restreindre la liberté d’expression parce qu’elle a peur de la révolte des peuples.
    Les oligarques sentent bien que la situation est en train de leur échapper, que ce soit sur le plan mondial avec l’envol des BRICS et l’échec ukrainien, ou sur le plan européen, puisque notre continent est la principale victime de leurs folies.
    Les oligarchies voient bien que leur verbiage, leur propagande, a de moins en moins d’effets sur l’opinion. Cela se traduit notamment par l’usure de plus en plus rapide de l’image de marque des dirigeants, malgré la surprotection médiatique dont ils font l’objet. Sans même évoquer les manifestations périodiques de protestation qui secouent désormais les pays européens.

    Alors que les élections européennes se profilent, il devient urgent de diaboliser les thématiques des oppositions, pour tenter de les neutraliser une fois encore.

    Donc on s’attaque aux critiques des politiques migratoires (assimilées au racisme), des politiques sanitaires (assimilées à du complotisme sectaire), des politiques sociétales (assimilées à de l’homophobie ou à de la transphobie), de l’insécurité (assimilées à de la récupération d’extrême droite), ou encore du bellicisme européen (ce serait faire le jeu de Poutine).
    Ainsi l’oligarchie n’entend-elle pas débattre mais seulement invectiver ses contradicteurs et assimiler les opinions divergentes à des délits.

    La postdémocratie en marche

    Cette tactique basique s’inscrit dans un mouvement plus profond consistant à dénaturer le sens réel de la démocratie en Occident.
    À la suite de l’Américain Fareed Zakaria, le théoricien de l’illibéralisme, l’oligarchie veut en effet imposer l’idée que la démocratie se définirait non plus par l’exercice de la volonté majoritaire du peuple, mais par l’existence d’un juge « indépendant », supérieur au législateur et garant des « droits des minorités ».
    Voilà qui est bien commode quand on perd le soutien de la majorité du peuple ! Et voilà qui permet de gouverner contre le peuple en s’appuyant sur la dictature des minorités et des lobbies, sanctifiée par des juges non élus. C’est d’ailleurs bien comme cela que fonctionne désormais l’Union européenne.

    Voilà pourquoi nous entrons progressivement en Europe dans une postdémocratie totalitaire où les gouvernants proclament haut et fort leur volonté de ne pas prendre en compte la volonté populaire sous prétexte de respecter « l’État de droit », comme en matière d’immigration par exemple.

    La censure est dans les gènes de la gauche

    Ensuite, il faut se rappeler que la censure est dans les gènes de la gauche, donc de la bourgeoisie dirigeante qui a, depuis toujours, la haine du peuple et des identités nationales.
    « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté » : la formule terroriste de Saint-Just reste valable au temps de la gauche macronienne ralliée au néo-capitalisme mondialiste et qui fait du sociétal pour cacher le fait qu’elle sacrifie le social et le peuple qui va avec.

    La gauche dénonce l’extrême droite ou les médias du groupe Bolloré car elle ne supporte pas de perdre le monopole qu’elle exerçait sur l’information et la culture depuis la fin de la guerre froide.
    Elle prétend en effet incarner le camp du Bien, du Progrès et, désormais, de la Planète et ne saurait par conséquent s’abaisser à débattre avec les « salauds » sartriens qui ne partagent pas son idéologie.
    Elle ne conçoit donc la discussion que comme une mise en accusation et, si possible, une mise à mort médiatique du dissident, de préférence sans que celui-ci puisse se défendre, comme au temps de Fouquier-Tinville, l’accusateur public.
    Car la bourgeoisie de gauche (c’est un pléonasme en France) n’hésite jamais à envoyer sa police et ses juges contre le peuple récalcitrant : rien n’a changé depuis 1793, 1848 ou 1871.

    La censure, arme des nuls

    Enfin, la censure se développe en raison de la nullité croissante de notre classe gouvernementale.
    Nos élites dirigeantes se caractérisent en effet par une inculture abyssale, une profonde méconnaissance du monde réel et un mépris de classe total.

    Pour le président chinois, la culture doit « à la fois, à l’intérieur, arrimer le peuple au destin national et construire une communauté de destin à l’extérieur ». Pour Emmanuel Macron, la culture française n’existe pas car elle serait « diverse[2] ». On ne saurait mieux résumer l’insignifiance de nos élites dans cette approche opposée de la culture nationale.

    La plupart de nos dirigeants ne gouvernent pas car ils n’ont plus les moyens de gouverner : alors ils se bornent à communiquer – c’est-à-dire à mentir – devant des médias complices, donc sans contestation réelle. En outre, ils ne connaissent pas en général les secteurs qu’ils sont censés diriger : ils se bornent alors à réciter, avec plus ou moins de conviction, les fiches qu’on leur a préparées. Ou bien, tel Emmanuel Macron, ils ne tolèrent les questions des journalistes qu’à la condition de les avoir sélectionnées avant…

    Mais comment espérer s’imposer dans un vrai débat quand on ne connaît pas grand-chose aux questions évoquées et quand on ne défend plus des arguments rationnels. Qui peut en effet sérieusement de nos jours continuer d’affirmer, comme le font nos dirigeants, que l’immigration serait une chance pour la France, que la mondialisation serait heureuse, que l’UE nous apporterait la paix ou que l’économie française se porterait de mieux en mieux ? Et imagine-t-on comment tournerait un vrai débat sur la politique étrangère de la France avec le malheureux ministre Séjourné ?

    L’empire occidental du mensonge

    Nos oligarques censurent toute parole dissidente parce qu’ils savent bien au fond d’eux-mêmes que la raison n’est plus leur apanage : qu’au sens propre ils ont perdu la raison à force de mensonges et d’idéologie. Alors il ne leur reste que la répression, la censure et l’invective pour tenter de s’imposer.

    C’est pourquoi l’Occident devient de plus en plus, aux yeux du monde entier, l’empire du mensonge. L’empire du deux poids deux mesures permanent et des pseudo-valeurs, ajustables en fonction des intérêts nord-américains. Aristote définissait l’oligarchie comme une aristocratie qui avait perdu le sens de la vertu et du bien commun : une belle définition de la macronie ?

    Malheureusement pour l’oligarchie, la vérité finit toujours par triompher.

    Michel Geoffroy (Polémia, 20 février 2024)

     

    Notes :

    [1] Le Nouvel Économiste, Newsletter économie et politique du 9 février 2024.
    [2] Déclaration à Lyon lors de la campagne présidentielle de 2017.

     

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  • Relations Europe / Etats-Unis : de l’alignement stratégique au « découplage » économique...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Philippe Duranthon, cueilli sur Geopragma et consacré au jeu de dupes des relations Europe/États-Unis qui allie vassallisation politique et affaiblissement économique. Jean-Philippe Duranthon est haut-fonctionnaire et membre fondateur de Geopragma.

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    Relations Europe / Etats-Unis : de l’alignement stratégique au « découplage » économique

    Sur le dossier ukrainien, l’Union Européenne (UE), après quelques velléités de discours nuancé, a vite endossé les raisonnements et la stratégie des Américains ; au Moyen-Orient, après quelques ratages matamores d’Ursula von der Leyen, l’Europe s’est vite retirée du jeu, laissant les Etats-Unis seuls à essayer de calmer les ardeurs guerrières des uns et des autres ; en Afrique, après le départ des troupes françaises, l’Europe n’a plus guère d’influence et s’en remet aux Etats-Unis pour tenter de réduire les tensions internes et contrecarrer les immixtions russes ou chinoises. L’énumération pourrait continuer, et montre que, sur le plan géopolitique, l’UE, tout en revendiquant haut et fort son « autonomie stratégique », s’est totalement alignée sur les Etats-Unis, leader incontesté du « camp occidental ». Ce n’est bien sûr pas nouveau, voilà longtemps que l’Europe confie sa sécurité à une OTAN contrôlée par les Etats-Unis et accepte que ces derniers, grâce à l’extraterritorialité de leur droit, dressent la liste des pays avec lesquels elle-même a ou n’a pas le droit de commercer.

    Dans le domaine économique le contraste est au contraire flagrant entre des Etats-Unis qui connaissent une belle prospérité et une Europe qui essaie difficilement d’éviter une récession. Alors que le PIB des premiers a cru de 2,5 % en 2023, celui de la zone euro a stagné (1) et l’écart continuera à s’accroître en 2024 puisqu’on prévoit des augmentations de, respectivement, 2,1 % et 0,8 %. Le chômage a été ramené à 3,5 % aux USA mais à 6,5 % dans la zone euro (7,5 % en France). L’inflation, aujourd’hui, à peu près identique dans les deux zones, est montée aux USA à 6 % mais à près de 9 % en Europe. Au total, le PIB aura augmenté, depuis 2013, de 17 % dans la zone euro mais de 54 %, soit plus du triple, aux USA ; en conséquence le PIB des USA, qui excédait alors celui de la zone euro de 32 %, le dépasse aujourd’hui de 74 % : l’écart a plus que doublé (2).

    Bien sûr les causes de cette divergence, de ce « découplage » (3), sont multiples. Depuis 2002 la productivité par tête a cru de 43 % aux USA mais de seulement 10 % dans la zone euro. Les Américains, attirés par l’innovation et les ruptures technologiques, acceptent de prendre des risques et trouvent aisément les financements pour leurs projets novateurs ; les Européens, au contraire, font preuve d’un conformisme technologique, financier et social peu propice aux initiatives susceptibles de générer des gains de productivité. Rien d’étonnant, par conséquent, à ce que les investissements dans les nouvelles technologies, les dépenses pour la recherche & le développement et le nombre de brevets déposés soient bien supérieurs aux USA qu’en UE, que les magnificient seven (4) américaines n’aient pas d’équivalentes en Europe ou que l’IA générative et le new space aient prospérés plus vite de l’autre côté de l’Atlantique.

    Mais les décisions prises par l’Europe après le déclenchement du conflit en Ukraine expliquent aussi ce « découplage ». En obligeant les entreprises européennes à se retirer de Russie, où elles étaient bien plus nombreuses que les américaines, et en leur interdisant, par des « paquets » successifs de sanctions dont l’efficacité reste à démontrer, de commercer avec ce pays, l’UE leur a imposé des charges considérables dont le financement aurait pu être consacré à des investissements d’avenir et à la transition climatique. Les entreprises européennes ont dû, pour leur approvisionnement en gaz, remplacer la Russie par les Etats-Unis auxquels elles ont multiplié par trois leurs achats, faisant d’eux le premier exportateur mondial de GNL (5) ; elles ont de surcroît dû accepter que ce gaz leur soit vendu à des prix nettement supérieurs à ceux du marché intérieur américain, et de ce fait ont dû affronter la concurrence de leurs homologues en payant leur énergie trois fois plus cher. Compte tenu de l’absurde politique énergétique menée précédemment par l’UE sur la pression de l’Allemagne, reposant sur un mix gaz/ENR (6) excluant le nucléaire, ce bouleversement du mode d’approvisionnement en énergie a contribué fortement à aviver les tensions inflationnistes et dégrader la croissance en Europe. Par ailleurs, les Etats européens ont engagé une politique de réarmement mais la plupart d’entre eux ont préféré acheter du matériel américain plutôt qu’européen (et particulièrement français). Au total, les décisions prises par l’UE et ses membres ont pesé négativement sur les entreprises européennes et positivement sur les entreprises américaines.

    Les différences entre les politiques climatiques menées des deux côtés de l’Atlantique sont également frappantes. Alors que les USA cherchent à favoriser les technologies nouvelles susceptibles de contribuer à terme à la décarbonation de l’économie, l’Europe préfère agir en imposant des interdictions ou contraintes d’usage réduisant le recours aux énergies carbonées. Elle en détermine le calendrier d’application sans se préoccuper de savoir si elle dispose en interne des technologies alternatives, ce qui fait dire à certains (7) que les grands plans européens pourraient s’appeler Buy China Act. Elle pousse le paradoxe jusqu’à présenter son « excellence normative » comme un instrument de soft power. La comparaison entre les grands plans gouvernementaux (IRA (8) et Chips Act (9) aux Etats-Unis, Fit for 55, Green Deal et Net Zero Industry Act (10) en Europe) est éclairante. Les premiers sont décidés rapidement par une administration réactive alors que les seconds ne voient le jour qu’après un délai de prise de conscience, de fastidieuses concertations avec les groupes de pression et la « société civile » et enfin de longues procédures entre les Etats et les instances communautaires du Trilogue. Les dispositifs américains privilégient des aides financières rapides à mobiliser, en particulier les crédits d’impôt, alors que les européens préfèrent l’octroi de subventions qui nécessitent un long processus bureaucratique, l’accord de nombreuses instances puis la mise à disposition de fonds budgétaires dont on connaît la rigidité des procédures. La pression mise en Europe par les pouvoirs publics surprend compte tenu de ce que l’UE n’est à l’origine que de 6,7 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (11) (les USA de 11,2 %) et les diminue d’environ 1,5 % en moyenne par an (les USA de 0,4 %) (12).

    Le « découplage » économique entre les Etats-Unis et l’Europe est donc important. Est-il possible qu’à l’avenir l’écart se stabilise, voire se réduise ? La prospérité des USA recèle une fragilité bien connue : le déficit public. Mais cette fragilité n’est pas propre aux Américains. La planète entière, et particulièrement l’Europe, n’a fait face aux crises économiques récentes qu’en s’endettant massivement, grâce à la politique de quantitative easing menée par les banques centrales, la FED américaine comme la BCE européenne. Surtout, si la dette américaine est plus importante que celle de la zone euro (123 % du PIB contre 90 %) (13), le Trésor américain n’a aucune difficulté à se financer sur les marchés mondiaux parce que le dollar reste la seule monnaie de réserve mondiale ; le mouvement de « dédollarisation » est encore limité et ne profite pas à l’Euro, dont la part dans les réserves des banques centrales varie peu, mais à l’or, dont les banques centrales sont acheteuses nettes depuis 2010.

    Les menaces les plus importantes pèsent autant sur l’Europe que sur les Etats-Unis. Les montagnes de dettes qui conditionnent la prospérité économique de la planète peuvent à tout moment transformer la défaillance d’un acteur économique mineur en crise systémique mondiale. Rien ne garantit qu’on parviendra à maîtriser les conflits en cours, aujourd’hui en Ukraine ou au Moyen Orient, peut-être demain en Asie, susceptibles de s’étendre et de dégénérer, mettant en péril l’économie mondiale. La façon dont les pays gèrent le changement climatique relève davantage de l’affichage à court terme que de la volonté d’affronter réellement les défis à relever.

    Cependant se pose pour les Etats-Unis une question spécifique : leur futur président sera-t-il en mesure de gérer les crises déjà ouvertes et les nouvelles qui surviendront ? Pourra-t-il sauvegarder les conditions de la prospérité économique actuelle des Etats-Unis ? L’on ne peut qu’être inquiets, compte tenu de l’âge et de la personnalité des candidats probables.

    Jean-Philippe Duranthon (Geopragma, 19 février 2024)

     

    Notes :

    1. En rythme annualisé la croissance américaine a été de 3,3 % au dernier trimestre 2023 et la croissance européenne nulle. Le Royaume-Uni est officiellement entré en récession, l’Allemagne ne l’a évitée que de justesse.

    2. Source : FMI reprise dans https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_pays_par_PIB_nominal

    3. Le terme a plusieurs acceptions. On l’utilise ici pour illustrer le fait que les deux membres du « couple » formé par l’Europe et les Etats-Unis ont des évolutions économiques très différentes, voire divergentes.

    4. Appellation ironique, utilisant le titre originel du film Les sept mercenaires pour parler des Alphabet, Amazon, Apple, Meta, Microsoft, Nvidia et Tesla, qui tirent la croissance aux USA.

    5. Gaz naturel liquéfié.

    6. Energies renouvelables.

    7. Christian Saint-Etienne et Philippe Villin : https://www.lefigaro.fr/vox/economie/les-agriculteurs-sont-les-lanceurs-d-alerte-sur-le-declin-auto-impose-de-l-europe-20240204

    8. Inflation Reduction Act. Voir mon billet du 5 février 2023 : https://geopragma.fr/ce-que-lira-nous-dit/

    9. Crédit d’impôt en cas d’implantation aux USA d’usines de semi-conducteurs.

    10. Procédures accélérées pour l’octroi de subventions intéressant les technologies vertes produites en Europe.

    11. La France 0,8 %.

    12. https://www.touteleurope.eu/environnement/union-europeenne-chine-etats-unis-qui-emet-le-plus-de-gaz-a- effet-de-serre/

    13. Mais 112 % pour la France.

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