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Points de vue - Page 3

  • Sur l’État profond...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alexandre Douguine  cueilli sur Euro-Synergies et consacré à l'Etat profond occidental.

    Théoricien politique influent, un moment proche d'Edouard Limonov, Alexandre Douguine est la figure principale du mouvement eurasiste en Russie. Outre L'appel de l'Eurasie (Avatar, 2013), le texte d'une longue conversation entre lui et Alain de Benoist, plusieurs  de ses ouvrages ou recueils de ses textes sont déjà traduits en français comme La Quatrième théorie politique (Ars Magna, 2012), Pour une théorie du monde multipolaire (Ars Magna, 2013), Le Front de la Tradition (Ars Magna, 2017), Les mystères de l'Eurasie (Ars Magna, 2018), Le retour des Grands Temps (Ars Magna, 2019), Conspirologie (Ars Magna, 2022), Théorie hyperboréenne (Ars Magna, 2023), Martin Heidegger - Philosophie d'un autre commencement (Ars Magna, 2024), Les fondamentaux de la géopolitique (Ars Magna, 2024) ou La dernière guerre de l'île-mondiale (Ars magna, 2024).

     

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    L’État profond

    Le terme « État profond » est de plus en plus utilisé aujourd’hui dans le discours politique, passant du journalisme au langage politique commun. Cependant, le terme lui-même devient quelque peu vague, avec l’émergence de différentes interprétations. Il est donc essentiel d’examiner de plus près le phénomène décrit comme « État profond » et de comprendre quand et où ce concept est entré en usage pour la première fois.

    Cette expression est apparue pour la première fois dans la politique turque dans les années 1990, décrivant une situation très spécifique en Turquie. En turc, « État profond » se dit derin devlet. Cela est crucial car toutes les utilisations ultérieures de ce concept sont d’une certaine manière liées à la signification originale, qui a émergé pour la première fois en Turquie.

    Depuis l’époque de Kemal Atatürk, la Turquie a développé un mouvement politique et idéologique particulier connu sous le nom de kémalisme. Il repose sur le culte d’Atatürk (littéralement, « Père des Turcs »), une laïcité stricte (rejet du facteur religieux non seulement en politique mais aussi dans la vie publique), le nationalisme (mise en avant de la souveraineté et de l’unité de tous les citoyens dans le paysage politique ethniquement diversifié de la Turquie), le modernisme, l’européanisme et le progressisme. Le kémalisme représentait, à bien des égards, une antithèse directe de la vision du monde et de la culture qui dominaient l’Empire ottoman religieux et traditionaliste. Depuis la création de la Turquie, le kémalisme était et reste largement le code dominant de la politique turque contemporaine. C’est sur la base de ces idées que l’État turc a été établi sur les ruines de l’Empire ottoman.

    Le kémalisme a ouvertement dominé pendant le règne d’Atatürk, et par la suite, cet héritage a été transmis à ses successeurs politiques. L’idéologie kémaliste s’appuyait sur une démocratie de type européen, mais le pouvoir réel était concentré entre les mains des dirigeants militaires du pays, en particulier du Conseil de sécurité nationale (CNS). Après la mort d’Atatürk, l’élite militaire est devenue la gardienne de l’orthodoxie idéologique du kémalisme. Le CNS turc a été créé en 1960 après un coup d’État militaire, et son rôle s’est considérablement accru après un autre coup d’État en 1980.

    Il est important de noter que de nombreux officiers supérieurs de l’armée turque et des responsables des services de renseignements étaient membres de loges maçonniques, mêlant ainsi le kémalisme à la franc-maçonnerie militaire. Chaque fois que la démocratie turque s’écartait du kémalisme – que ce soit vers la droite ou vers la gauche – l’armée annulait les résultats des élections et lançait un cycle de répressions.

    Cependant, le terme derin devlet n’est apparu que dans les années 1990, précisément au moment où l’islamisme politique se développait en Turquie. C’est là que, pour la première fois dans l’histoire de la Turquie, un conflit s’est produit entre l’idéologie de l’État profond et la démocratie politique. Le problème est apparu lorsque des islamistes, comme Necmettin Erbakan et son partisan Recep Tayyip Erdoğan, ont poursuivi une idéologie politique alternative qui remettait directement en cause le kémalisme. Ce changement concernait tout: l’islam remplaçant la laïcité, des liens plus étroits avec l’Est par rapport à l’Ouest et la solidarité musulmane remplaçant le nationalisme turc. Dans l’ensemble, le salafisme et le néo-ottomanisme ont supplanté le kémalisme. La rhétorique antimaçonnique, notamment celle d'Erbakan, a remplacé l'influence des cercles maçonniques militaires laïcs par des ordres soufis traditionnels et des organisations islamiques modérées, comme le mouvement Nur de Fethullah Gülen.

    À ce stade, l’idée d’État profond (derin devlet) est apparue comme une image descriptive du noyau militaro-politique kémaliste en Turquie, qui se considérait comme au-dessus de la démocratie politique, annulant les élections, arrêtant les personnalités politiques et religieuses et se positionnant au-dessus des procédures juridiques de la politique de style européen. La démocratie électorale ne fonctionnait que lorsqu’elle s’alignait sur la ligne de conduite de l’armée kémaliste. Lorsqu’une distance critique apparaissait, comme dans le cas des islamistes, le parti qui avait remporté les élections et même dirigé le gouvernement pouvait être dissous sans explication. Dans de tels cas, la « suspension de la démocratie » n’avait aucun fondement constitutionnel – l’armée non élue agissait sur la base d’un « opportunisme révolutionnaire » pour sauver la Turquie kémaliste.

    Plus tard, Erdoğan a lancé une guerre à grande échelle contre l’État profond de la Turquie, qui a culminé avec le procès Ergenekon en 2007, où presque tous les dirigeants militaires de la Turquie ont été arrêtés sous prétexte qu'ils préparaient un coup d’État. Cependant, plus tard, Erdoğan s’est brouillé avec son ancien allié, Fethullah Gülen, qui était profondément enraciné dans les réseaux de renseignement occidentaux. Erdoğan a rétabli le statut de nombreux membres de l’État profond, en formant avec eux une alliance pragmatique, principalement sur le terrain commun du nationalisme turc. Le débat sur la laïcité a été atténué et reporté, et surtout après la tentative de coup d’État manquée des gülenistes en 2016, Erdoğan lui-même a commencé à être qualifié de « kémaliste vert ». Malgré cela, la position de l’État profond en Turquie s’est affaiblie lors de la confrontation avec Erdoğan, et l’idéologie du kémalisme s’est diluée, bien qu’elle ait survécu.

    Principales caractéristiques de l’État profond

    De l’histoire politique moderne de la Turquie, nous pouvons tirer plusieurs conclusions générales. Un État profond peut exister et a du sens lorsque:

    1) Il existe un système électoral démocratique ;

    2) Au-dessus de ce système, il existe une entité militaro-politique non élue liée à une idéologie spécifique (indépendamment de la victoire d'un parti particulier) ;

    3) Il existe une société secrète (de type maçonnique par exemple) qui réunit l'élite militaro-politique.

    L’État profond se révèle lorsque des contradictions apparaissent entre les normes démocratiques formelles et le pouvoir de cette élite (sinon, l’existence de l’État profond reste obscure). L’État profond n’est possible que dans les démocraties libérales, même nominales. Dans les systèmes politiques ouvertement totalitaires, comme le fascisme ou le communisme, il n’y a pas besoin d’État profond. Ici, un groupe idéologiquement rigide se reconnaît ouvertement comme la plus haute autorité, se plaçant au-dessus des lois formelles. Les systèmes à parti unique mettent l’accent sur ce modèle de gouvernance, ne laissant aucune place à l’opposition idéologique et politique. Ce n’est que dans les sociétés démocratiques, où aucune idéologie dominante ne devrait exister, que l’État profond émerge comme un phénomène de « totalitarisme caché », qui manipule la démocratie et les systèmes multipartites à sa guise.

    Les communistes et les fascistes reconnaissent ouvertement la nécessité d’une idéologie dominante, rendant leur pouvoir politique et idéologique direct et transparent (potestas directa, comme l’a dit Carl Schmitt). Les libéraux nient avoir une idéologie, mais ils en ont une. Ils influencent donc les processus politiques fondés sur le libéralisme en tant que doctrine, mais seulement indirectement, par la manipulation (potestas indirecta). Le libéralisme ne révèle sa nature ouvertement totalitaire et idéologique que lorsque des contradictions surgissent entre lui et les processus politiques démocratiques.

    En Turquie, où la démocratie libérale a été empruntée à l’Occident et ne correspondait pas tout à fait à la psychologie politique et sociale de la société, l’État profond a été facilement identifié et nommé. Dans d’autres systèmes démocratiques, l’existence de cette instance totalitaire-idéologique, illégitime et formellement « inexistante », est devenue évidente plus tard. Cependant, l’exemple turc revêt une importance significative pour comprendre ce phénomène. Ici, tout est limpide comme un livre ouvert.

    Trump et la découverte de l’État profond aux États-Unis

    Concentrons-nous maintenant sur le fait que le terme « État profond » est apparu dans les discours des journalistes, analystes et politiciens aux États-Unis pendant la présidence de Donald Trump. Une fois de plus, le contexte historique joue un rôle décisif. Les partisans de Trump, comme Steve Bannon et d’autres, ont commencé à parler de la façon dont Trump, ayant le droit constitutionnel de déterminer le cours de la politique américaine en tant que président élu, a rencontré des obstacles inattendus qui ne pouvaient pas être simplement attribués à l’opposition du Parti démocrate ou à l’inertie bureaucratique.

    Peu à peu, à mesure que cette résistance s’intensifiait, Trump et ses partisans ont commencé à se considérer non seulement comme des représentants du programme républicain, traditionnel pour les politiciens et présidents du parti précédents, mais comme quelque chose de plus. Leur focalisation sur les valeurs traditionnelles et leur critique de l’agenda mondialiste ont touché une corde sensible non seulement chez leurs adversaires politiques directs, les « progressistes » et le Parti démocrate, mais aussi chez une entité invisible et inconstitutionnelle, capable d’influencer tous les processus majeurs de la politique américaine – la finance, les grandes entreprises, les médias, les agences de renseignement, le système judiciaire, les principales institutions culturelles, les meilleurs établissements d’enseignement, etc. – de manière coordonnée et ciblée.

    Il semblerait que les actions de l’appareil gouvernemental dans son ensemble devraient suivre le cours et les décisions d’un président des États-Unis légalement élu. Mais il s’est avéré que ce n’était pas du tout le cas. Indépendamment de Trump, à un niveau supérieur du « pouvoir de l’ombre », des processus incontrôlables étaient en cours. Ainsi, l’État profond a été découvert aux États-Unis même.

    Aux États-Unis, comme en Turquie, il existe indubitablement une démocratie libérale. Mais l’existence d’une entité militaro-politique non élue, liée à une idéologie spécifique (indépendamment de la victoire d’un parti particulier) et éventuellement membre d’une société secrète (comme une organisation de type maçonnique), était complètement imprévue pour les Américains. Par conséquent, le discours sur l’État profond pendant cette période est devenu une révélation pour beaucoup, passant d’une « théorie du complot » à une réalité politique visible.

    Bien sûr, l’assassinat non résolu de John F. Kennedy, l’élimination probable d’autres membres de son clan, de nombreuses incohérences entourant les événements tragiques du 11 septembre et plusieurs autres secrets non résolus de la politique américaine ont conduit les Américains à soupçonner l’existence d’une sorte de « pouvoir caché » aux États-Unis.

    Les théories du complot, populaires, ont proposé les candidats les plus improbables – des crypto-communistes aux reptiliens et aux Anunnaki. Mais l’histoire de la présidence de Trump, et plus encore sa persécution après sa défaite face à Biden et les deux tentatives d’assassinat pendant la campagne électorale de 2024, rendent nécessaire de prendre au sérieux l’État profond aux États-Unis. Ce n’est plus quelque chose que l’on peut ignorer. Il existe bel et bien, il agit, il est actif et il… gouverne.

    Council on Foreign Relations : vers la création d’un gouvernement mondial

    Pour expliquer ce phénomène, il faut d’abord se tourner vers les organisations politiques américaines du 20ème siècle qui étaient les plus idéologiques et cherchaient à fonctionner au-delà des clivages partisans. Si nous essayons de trouver le noyau de l’État profond parmi les militaires, les agences de renseignement, les magnats de Wall Street, les magnats de la technologie et autres, il est peu probable que nous parvenions à une conclusion satisfaisante. La situation y est trop individualisée et diffuse. Il faut d’abord et avant tout prêter attention à l’idéologie.

    Laissant de côté les théories du complot, deux entités se distinguent comme les plus aptes à jouer ce rôle: le CFR (Council on Foreign Relations), fondé dans les années 1920 par des partisans du président Woodrow Wilson, ardent défenseur du mondialisme démocratique, et le mouvement beaucoup plus tardif des néoconservateurs américains, qui ont émergé du milieu trotskiste autrefois marginal et ont progressivement acquis une influence significative aux États-Unis.

    Le CFR et les néoconservateurs sont tous deux indépendants de tout parti. Leur objectif est de guider la politique américaine dans son ensemble, quel que soit le parti au pouvoir à un moment donné. De plus, ces deux entités possèdent des idéologies bien structurées et claires: le mondialisme de gauche libéral dans le cas du CFR et l’hégémonie américaine affirmée dans le cas des néoconservateurs. Le CFR peut être considéré comme les mondialistes de gauche et les néoconservateurs comme les mondialistes de droite.

    Dès sa création, le CFR s’est fixé pour objectif de faire passer les États-Unis d’un État-nation à un « empire » démocratique mondial. Contre les isolationnistes, le CFR a avancé la thèse selon laquelle les États-Unis sont destinés à rendre le monde entier libéral et démocratique. Les idéaux et les valeurs de la démocratie libérale, du capitalisme et de l’individualisme ont été placés au-dessus des intérêts nationaux. Tout au long du 20ème siècle, à l’exception d’une brève interruption pendant la Seconde Guerre mondiale, ce réseau de politiciens, d’experts, d’intellectuels et de représentants de sociétés transnationales a œuvré à la création d’organisations supranationales: d’abord la Société des Nations, puis les Nations Unies, le Club Bilderberg, la Commission trilatérale, etc. Leur tâche consistait à créer une élite libérale mondiale unifiée qui partageait l’idéologie du mondialisme dans tous les domaines: philosophie, culture, science, économie, politique, etc. Les activités des mondialistes au sein du CFR visaient à établir un gouvernement mondial, impliquant le dépérissement progressif des États-nations et le transfert du pouvoir des anciennes entités souveraines aux mains d’une oligarchie mondiale, composée des élites libérales du monde, formées selon les modèles occidentaux.

    Par le biais de ses réseaux européens, le CFR a joué un rôle actif dans la création de l’Union européenne (une étape concrète vers un gouvernement mondial). Ses représentants – en particulier Henry Kissinger, le leader intellectuel de l’organisation – ont joué un rôle clé dans l’intégration de la Chine au marché mondial, une mesure efficace pour affaiblir le bloc socialiste. Le CFR a également activement promu la théorie de la convergence et a réussi à exercer une influence sur les dirigeants soviétiques de la fin de l’ère soviétique, jusqu’à Gorbatchev. Sous l’influence des stratégies géopolitiques du CFR, les idéologues soviétiques de la fin de l’ère soviétique ont écrit sur la «gouvernabilité de la communauté mondiale».

    Aux États-Unis, le CFR est un organisme strictement non partisan, qui regroupe à la fois des démocrates, dont il est un peu plus proche, et des républicains. Il fait office d’état-major du mondialisme, avec des initiatives européennes similaires – comme le Forum de Davos de Klaus Schwab – lesquelles sont comme filiales. À la veille de l’effondrement de l’Union soviétique, le CFR a créé une filiale à Moscou, à l’Institut d’études systémiques dirigé par l’académicien Gvishiani, d’où sont issus le noyau des libéraux russes des années 1990 et la première vague d’oligarques idéologiques.

    Il est clair que Trump a rencontré précisément cette entité, présentée aux États-Unis et dans le monde entier comme une plate-forme inoffensive et prestigieuse pour l’échange d’opinions entre experts « indépendants ». Mais en réalité, il s’agit d’un véritable quartier général idéologique. Trump, avec son programme conservateur à l’ancienne, l’accent mis sur les intérêts américains et la critique du mondialisme, est entré en conflit direct et ouvert avec elle.

    Trump n’a peut-être été président des États-Unis que pendant une brève période, mais le CFR a une histoire de plus d’un siècle qui détermine l’orientation de la politique étrangère américaine. Et, bien sûr, au cours de ses cent ans au pouvoir, le CFR a formé un vaste réseau d’influence, diffusant ses idées parmi les militaires, les fonctionnaires, les personnalités culturelles et les artistes, mais surtout dans les universités américaines, qui sont devenues de plus en plus idéologisées au fil du temps. Officiellement, les États-Unis ne reconnaissent aucune domination idéologique. Mais le réseau du CFR est hautement idéologique. Le triomphe planétaire de la démocratie, l’établissement d’un gouvernement mondial, la victoire complète de l’individualisme et de la politique de genre – tels sont les objectifs les plus emblématiques, dont il est inacceptable de s’écarter.

    Le nationalisme de Trump, son programme America First et ses menaces de « drainer le marais mondialiste » représentaient un défi direct à cette entité, gardienne des codes du libéralisme totalitaire (comme de toute idéologie).

    Tuer Poutine et Trump

    Peut-on considérer le CFR comme une société secrète? Difficilement. Bien qu’il privilégie la discrétion, il opère ouvertement, en règle générale. Par exemple, peu de temps après le début de l’opération militaire spéciale russe, les dirigeants du CFR (Richard Haass, Fiona Hill et Celeste Wallander) ont ouvertement discuté de la faisabilité d’un assassinat du président Poutine (une transcription de cette discussion a été publiée sur le site officiel du CFR). L’État profond américain, contrairement à l’État turc, pense à l’échelle mondiale. Ainsi, les événements en Russie ou en Chine sont considérés par ceux qui se considèrent comme le futur gouvernement mondial comme des « affaires intérieures ». Et tuer Trump serait encore plus simple – s’ils ne pouvaient pas l’emprisonner ou l’exclure des élections.

    Il est important de noter que les loges maçonniques ont joué un rôle clé dans le système politique américain depuis la guerre d’indépendance des États-Unis. En conséquence, les réseaux maçonniques sont étroitement liés au CFR et servent d’organismes de recrutement pour eux. Aujourd’hui, les mondialistes libéraux n’ont plus besoin de se cacher. Leurs programmes ont été pleinement adoptés par les États-Unis et l’Occident dans son ensemble. À mesure que le « pouvoir secret » se renforce, il cesse progressivement d’être secret. Ce qui devait autrefois être protégé par la discipline du secret maçonnique est désormais devenu un programme mondial ouvert. Les francs-maçons n’ont pas hésité à éliminer physiquement leurs ennemis, même s’ils n’en parlaient pas ouvertement. Aujourd’hui, ils le font. C’est la seule différence.

    Les néoconservateurs : des trotskistes aux impérialistes

    Le deuxième centre de l’État profond sont les néoconservateurs. À l’origine, il s’agissait de trotskistes qui détestaient l’Union soviétique et Staline parce que, selon eux, la Russie n’avait pas construit un socialisme international mais un socialisme « national », c’est-à-dire un socialisme dans un seul pays. En conséquence, selon eux, une véritable société socialiste n’a jamais été créée, et le capitalisme n’a pas été pleinement réalisé. Les trotskistes croient que le véritable socialisme ne peut émerger qu’une fois que le capitalisme est devenu planétaire et a triomphé partout, mélangeant de manière irréversible tous les groupes ethniques, peuples et cultures tout en abolissant les traditions et les religions. C’est seulement alors (et pas avant) que viendra le temps de la révolution mondiale.

    Les trotskistes américains en ont donc conclu qu’ils devaient aider le capitalisme mondial et les États-Unis en tant que porte-étendard, tout en cherchant à détruire l’Union soviétique (et plus tard la Russie, son successeur), ainsi que tous les États souverains. Le socialisme, pensaient-ils, ne pouvait être que strictement international, ce qui signifiait que les États-Unis devaient renforcer leur hégémonie et éliminer leurs adversaires. Ce n’est qu’une fois que le Nord riche aura établi une domination complète sur le Sud appauvri et que le capitalisme international régnera partout en maître que les conditions seront mûres pour passer à la phase suivante du développement historique.

    Pour exécuter ce plan diabolique, les trotskistes américains ont pris la décision stratégique d’entrer dans la grande politique – mais pas directement puisque personne aux États-Unis n’a voté pour eux. Au lieu de cela, ils ont infiltré les principaux partis, d’abord par l’intermédiaire des démocrates, puis, après avoir pris de l’ampleur, également par l’intermédiaire des républicains.

    Les trotskistes ont ouvertement reconnu la nécessité de l’idéologie et ont considéré la démocratie parlementaire avec dédain, la considérant simplement comme une couverture pour le grand capital. Ainsi, aux côtés du CFR, une autre version de l’État profond s’est formée aux États-Unis. Les néoconservateurs n’ont pas affiché leur trotskisme mais ont plutôt séduit les militaristes américains traditionnels, les impérialistes et les partisans de l’hégémonie mondiale. Et c’est contre ces gens, qui jusqu’à Trump avaient pratiquement dominé le Parti républicain, que Trump a dû lutter.

    La démocratie est une dictature

    Dans un certain sens, l’État profond américain est bipolaire, c’est-à-dire qu’il possède deux pôles :

    1) le pôle mondialiste de gauche (CFR)

    et

    2) le pôle mondialiste de droite (les néoconservateurs).

    Les deux organisations sont non partisanes, non élues et portent une idéologie agressive et proactive qui est, par essence, ouvertement totalitaire. À de nombreux égards, elles sont alignées, ne divergeant que dans la rhétorique. Toutes deux sont farouchement opposées à la Russie de Poutine et à la Chine de Xi Jinping, et elles sont contre la multipolarité en général. Aux États-Unis, elles sont toutes deux tout aussi opposées à Trump, car lui et ses partisans représentent une version plus ancienne de la politique américaine, déconnectée du mondialisme et axée sur les questions intérieures. Une telle position de Trump est une véritable rébellion contre le système, comparable aux politiques islamistes d’Erbakan et d’Erdogan qui ont jadis défié le kémalisme en Turquie.

    C’est ce qui explique pourquoi le discours autour de l’État profond a émergé avec la présidence de Trump. Trump et ses politiques ont gagné le soutien d’une masse critique d’électeurs américains. Cependant, il s’est avéré que cette position ne correspondait pas aux vues de l’État profond, qui s’est révélé en agissant durement contre Trump, en dépassant le cadre juridique et en piétinant les normes de la démocratie. La démocratie, c’est nous, a déclaré en substance l’État profond américain. De nombreux critiques ont commencé à parler d’un coup d’État. Et c’est essentiellement ce qu’il s’est passé. Le pouvoir de l’ombre aux États-Unis s’est heurté à la façade démocratique et a commencé à ressembler de plus en plus à une dictature – libérale et mondialiste.

    L’État profond européen

    Considérons maintenant ce que l’État profond pourrait signifier dans le cas des pays européens. Récemment, les Européens ont commencé à remarquer que quelque chose d’inhabituel se produit avec la démocratie dans leurs pays. La population vote selon ses préférences, soutenant de plus en plus divers populistes, en particulier ceux de droite. Pourtant, une entité au sein de l’État réprime immédiatement les vainqueurs, les soumet à la répression, les discrédite et les écarte de force du pouvoir. Nous le voyons dans la France de Macron avec le parti de Marine Le Pen, en Autriche avec le Parti de la liberté (FPÖ), en Allemagne avec l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) et avec le parti de Sahra Wagenknecht, et aux Pays-Bas avec Geert Wilders, entre autres. Ils remportent des élections démocratiques mais sont ensuite écartés du pouvoir.

    Une situation familière ? Oui, cela ressemble beaucoup à la Turquie et au rôle de l’armée kémaliste. Cela suggère que nous avons affaire à un État profond en Europe également.

    Il devient immédiatement évident que dans tous les pays européens, cette entité n’est pas nationale et fonctionne selon le même modèle. Il ne s’agit pas seulement d’un État profond français, allemand, autrichien ou néerlandais. Il s’agit d’un État profond paneuropéen, qui fait partie d’un réseau mondialiste unifié. Le centre de ce réseau se trouve dans l’État profond américain, principalement dans le CFR, mais ce réseau enveloppe aussi étroitement l’Europe.

    Ici, les forces libérales de gauche, en étroite alliance avec l’oligarchie économique et les intellectuels postmodernes – presque toujours issus d’un milieu trotskiste – forment la classe dirigeante non élue mais totalitaire de l’Europe. Cette classe se considère comme faisant partie d’une communauté atlantique unifiée. Essentiellement, ils constituent l’élite de l’OTAN. Encore une fois, nous pouvons rappeler le rôle similaire de l’armée turque. L’OTAN est le cadre structurel de l’ensemble du système mondialiste, la dimension militaire de l’État profond collectif de l’Occident.

    Il n’est pas difficile de situer l’État profond européen dans des structures similaires au CFR, comme la filiale européenne de la Commission trilatérale, le Forum de Davos de Klaus Schwab et d’autres. C’est à cette autorité que la démocratie européenne se heurte lorsque, comme Trump aux États-Unis, elle tente de faire des choix que les élites européennes jugent « mauvais », « inacceptables » et « répréhensibles ». Et il ne s’agit pas seulement des structures formelles de l’Union européenne. Le problème réside dans une force beaucoup plus puissante et efficace qui ne prend aucune forme juridique. Ce sont les porteurs du code idéologique qui, selon les lois formelles de la démocratie, ne devraient tout simplement pas exister. Ce sont les gardiens du libéralisme profond, qui répondent toujours durement à toute menace qui surgit de l’intérieur du système démocratique lui-même.

    Comme dans le cas des États-Unis, les loges maçonniques ont joué un rôle important dans l’histoire politique de l’Europe moderne, servant de siège aux réformes sociales et aux transformations laïques. Aujourd’hui, les sociétés secrètes ne sont plus vraiment nécessaires, car elles fonctionnent depuis longtemps de manière ouverte, mais le maintien des traditions maçonniques reste une partie intégrante de l’identité culturelle de l’Europe.

    Nous arrivons ainsi au plus haut niveau d’une entité antidémocratique, profondément idéologique, qui opère en violation de toutes les règles et normes juridiques et détient le pouvoir absolu en Europe. Il s’agit d’un pouvoir indirect, ou d’une dictature cachée – l’État profond européen, en tant que partie intégrante du système unifié de l’Occident collectif, lié par l’OTAN.

    L’État profond en Russie dans les années 1990

    La dernière chose qui reste à faire est d’appliquer le concept d’État profond à la Russie. Il est à noter que dans le contexte russe, ce terme est très rarement utilisé, voire pas du tout. Cela ne signifie pas qu’il n’existe rien de semblable à un État profond en Russie. Cela suggère plutôt qu’aucune force politique significative bénéficiant d’un soutien populaire critique ne l’a encore affronté. Néanmoins, nous pouvons décrire une entité qui, avec un certain degré d’approximation, peut être appelée « État profond russe ».

    En Russie, après l’effondrement de l’Union soviétique, l’idéologie d’État a été bannie et, à cet égard, la Constitution russe s’aligne parfaitement sur les autres régimes prétendument libéraux-démocratiques. Les élections sont multipartites, l’économie est fondée sur le marché, la société est laïque et les droits de l’homme sont respectés. D’un point de vue formel, la Russie contemporaine ne diffère pas fondamentalement des pays d’Europe, d’Amérique ou de la Turquie.

    Cependant, une sorte d’entité implicite et non partisane existait en Russie, en particulier à l’époque d’Eltsine. À l’époque, cette entité était désignée par le terme général de « La Famille ». La Famille remplissait les fonctions d’un État profond. Alors qu’Eltsine lui-même était le président légitime (bien que pas toujours légitime au sens large), les autres membres de cette entité n’étaient élus par personne et n’avaient aucune autorité légale. Dans les années 1990, la Famille était composée des proches d’Eltsine, d’oligarques, de responsables de la sécurité loyaux, de journalistes et d’occidentalistes libéraux de conviction. Ce sont eux qui ont mis en œuvre les principales réformes capitalistes du pays, les faisant passer au mépris de la loi, la modifiant à leur guise ou l’ignorant tout simplement. Ils n’ont pas agi uniquement par intérêt clanique, mais comme un véritable État profond: ils ont interdit certains partis, en ont artificiellement soutenu d’autres, ont refusé le pouvoir aux vainqueurs (comme le Parti communiste et le LDPR) et l’ont accordé à des individus inconnus et sans distinction, ont contrôlé les médias et le système éducatif, ont réaffecté des industries entières à des personnalités fidèles et ont éliminé ce qui ne les intéressait pas.

    À cette époque, le terme « État profond » n’était pas connu en Russie, mais le phénomène lui-même était clairement présent.

    Il convient toutefois de noter qu’en si peu de temps après l’effondrement du système de parti unique ouvertement totalitaire et idéologique, un État profond pleinement développé n’aurait pas pu se former de manière indépendante en Russie. Naturellement, les nouvelles élites libérales se sont simplement intégrées au réseau mondial occidental, en y puisant à la fois l’idéologie et la méthodologie du pouvoir indirect (potestas indirecta) – par le biais du lobbying, de la corruption, des campagnes médiatiques, du contrôle de l’éducation et de l’établissement de normes sur ce qui était bénéfique et ce qui était nuisible, ce qui était permis et ce qui devait être interdit. L’État profond de l’ère Eltsine qualifiait ses opposants de « rouges-bruns », bloquant préventivement les défis sérieux de la droite comme de la gauche. Cela indique qu’il existait une forme d’idéologie (officiellement non reconnue par la Constitution) qui servait de base à de telles décisions sur ce qui était bien et ce qui était mal. Cette idéologie était le libéralisme.

    Dictature libérale

    L’État profond n’apparaît qu’au sein des démocraties, fonctionnant comme une institution idéologique qui les corrige et les contrôle. Ce pouvoir de l’ombre a une explication rationnelle. Sans un tel régulateur supra-démocratique, le système politique libéral pourrait changer, car il n’y a aucune garantie que le peuple ne choisira pas une force qui offre une voie alternative à la société. C’est précisément ce qu’Erdoğan en Turquie, Trump aux États-Unis et les populistes en Europe ont essayé de faire – et y sont partiellement parvenus. Cependant, la confrontation avec les populistes oblige l’État profond à sortir de l’ombre. En Turquie, cela a été relativement facile, car la domination des forces militaires kémalistes était largement conforme à la tradition historique. Mais dans le cas des États-Unis et de l’Europe, la découverte d’un quartier général idéologique fonctionnant par la coercition, des méthodes totalitaires et des violations fréquentes de la loi – sans aucune légitimité électorale – apparaît comme un scandale, car elle porte un coup dur à la croyance naïve dans le mythe de la démocratie.

    L’État profond repose sur une thèse cynique, dans l’esprit de La Ferme des animaux d’Orwell : « Certains démocrates sont plus démocrates que d’autres. » Mais les citoyens ordinaires peuvent y voir une forme de dictature et de totalitarisme. Et ils auraient raison. La seule différence est que le totalitarisme à parti unique opère ouvertement, tandis que le pouvoir de l’ombre qui se tient au-dessus du système multipartite est contraint de dissimuler son existence même.

    Cela ne peut plus être dissimulé. Nous vivons dans un monde où l’État profond est passé d'une hypothèse issue d’une théorie du complot à une réalité politique, sociale et idéologique claire et facilement identifiable.

    Il vaut mieux regarder la vérité en face. L’État profond est réel et il est sérieux.

    Alexandre Douguine (Euro-Synergies, 4 novembre 2024)

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  • Le RN ou le « parti du milieu » ?

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François Bousquet cueilli sur le Figaro Vox et consacré à l'électorat du RN.

    Journaliste, rédacteur en chef de la revue Éléments, François Bousquet a aussi publié Putain de saint Foucauld - Archéologie d'un fétiche (Pierre-Guillaume de Roux, 2015), La droite buissonnière (Rocher, 2017), Courage ! - Manuel de guérilla culturelle (La Nouvelle Librairie, 2020), Biopolitique du coronavirus (La Nouvelle Librairie, 2020) et Alain de Benoist à l'endroit - Un demi-siècle de Nouvelle Droite (La Nouvelle Librairie, 2023).

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    «Au cœur du vote RN, le sentiment tenace d'être lésé et de travailler pour les autres sans contrepartie»

    On n'en finit pas de buter sur la définition du populisme. La vérité, c'est qu'il y a une immense difficulté – et pour l'heure personne n'en est formellement venu à bout – à lui donner un sens clair et sans équivoque. C'est depuis toujours un phénomène politique ambivalent, à l'unité problématique. Sa labilité sémantique se prête à toutes les réinterprétations. Cela ne tient pas seulement à la polysémie du mot, mais à son indéfinition même. S'il y a néanmoins un dénominateur commun à la pluralité des populismes, sinon même un invariant, quel que soit le contenu idéologique, c'est la polarisation politique – clivante, conflictuelle, oppositionnelle – que la dynamique populiste porte avec elle. Eux et nous, les «petits» contre les «gros», le peuple contre les élites, etc. Le populisme ne s'épanouit vraiment que dans ces couples de contraires qui ont la propriété de clarifier le champ politique et de désigner l'ennemi sans détour. L'antagonisme du «producteur» et du «parasite» en fait partie.

    Il y avait la dialectique du maître et de l'esclave chère au philosophe Hegel, peut-être faudra-t-il compter à l'avenir avec celle qui se noue entre la morale du «producteur» et l'amoralité du «parasite». C'est un autre philosophe, contemporain lui, qui a mis le doigt dessus : Michel Feher, qui vient de publier un livre particulièrement stimulant : Producteurs et parasites. L'imaginaire si désirable du Rassemblement national  (La Découverte). En dépit d'un parti pris hostile, il renouvelle notre approche du populisme en plaçant en son centre la question du travail productif et de sa juste rétribution, mise à mal par la «plus-value imméritée», celle-là même que prélève la figure du «parasite» : en haut, les «accapareurs» ; en bas, les «fraudeurs», selon les termes de l'auteur.

    Dès lors, l'antagonisme moteur du populisme n'est pas entre le travailleur et le capitaliste, mais entre le «producteur» (ouvriers, employés, travailleurs indépendants, chefs d'entreprise, etc.) et le «parasite» qui détourne la richesse produite par le travail, soit parce qu'il ne s'acquitte pas de l'impôt, soit parce qu'il bénéficie de ses largesses. «Parasite» ? Le mot est fort et frappe délibérément les esprits. C'est manifestement un choix polémique de l'auteur, quelque peu effarouché par ce qu'il découvre en tirant le fil du «parasitisme». On imagine que c'est la raison pour laquelle il nazifie, un peu commodément, son sujet en brandissant la figure-repoussoir du «Volksschädling», le parasite du peuple sous le Troisième Reich. Pour ne pas être en reste, il aurait pu convoquer les «parasites sociaux» que l'Union soviétique assimilait à des dissidents et jetait dans des camps. Qu'à cela ne tienne, les oreilles trop délicates peuvent recourir à un concept plus neutre, familier des économistes et des sociologues : la théorie du «passager clandestin». Le passager clandestin est celui qui profite d'une ressource ou d'un bien sans en payer le prix ou en le sous-payant.

    La colère populaire, un impensé politique

    À notre connaissance, nul n'aime les resquilleurs qui vous doublent dans la file d'attente ou les mufles qui hurlent dans leur téléphone en mode haut-parleur. C'est la même chose ici. En ne payant pas leur dû à la société, les «passagers clandestins» entretiennent le foyer de la colère du peuple, frustré des fruits de son travail par une fiscalité confiscatoire, qui serait tolérée si les mécanismes de solidarité n'étaient pas dévoyés. La colère populaire, autre impensé politique ! C'est pourtant une passion qui a toute sa place dans la cité, nous apprend Aristote, qui, en amont (et à rebours) de notre tradition philosophique, s'est livré à un éloge non pas des emportements violents, mais de la juste colère, parce qu'elle fait ressortir un sentiment d'injustice réel et pose une demande légitime de réparation. C'est ce sentiment d'injustice et cette demande de réparation qui commandent nombre de comportements électoraux qualifiés de populistes, parmi lesquels il n'est pas interdit de ranger les «fâchés pas fachos», comme les a appelés Mélenchon, pour une fois inspiré.

    Ni racistes présumés, ni fascistes fantasmés donc. Voilà qui nous change des analyses condescendantes qui réduisent le vote populiste à ses seules dimensions protestataires ou démagogiques, sinon xénophobes, en le corrélant à un faible niveau d'études. Grave erreur, nous prévient Michel Feher : «On ne naît pas lepéniste, mais on le devient» – et on le devient au terme d'une démarche volontaire, réfléchie, objective. N'y voir qu'une réaction de type épidermique revient à occulter l'attractivité électorale du populisme en général et du lepénisme en particulier. Au cœur de ce vote, il y a le sentiment têtu, tenace, insistant, d'être lésé, de travailler pour les autres sans contrepartie et de voir ainsi la norme méritocratique foulée aux pieds.

    «Si quelqu'un ne veut pas travailler, qu'il ne mange pas non plus», morigénait Saint Paul dans sa deuxième épître aux Thessaloniciens. C'est là une sentence quasi universelle. Elle a pu ne pas s'appliquer dans les sociétés où il y avait une «classe oisive», comme l'a baptisée l'inclassable sociologue américain Thorstein Veblen (1857-1929), que Raymond Aron a contribué à faire connaître auprès du public francophone. L'étymologie du mot travail fait d'ailleurs écho à un monde où l'oisiveté de quelques-uns était rendue possible par la mobilisation de presque tous. Le travail était alors une punition, ce dont porte trace la racine du mot : tripalium, «instrument de torture». Mais en dehors de ces sociétés, où une aristocratie pouvait se livrer à la guerre, à la dépense inutile ou au loisir studieux (l'otium gréco-romain) – rendus possibles par l'esclavage –, le travail est la règle. Dès lors qu'une société cesse de végéter dans un état stationnaire, le «producteur» en est l'élément moteur (quitte à ce qu'il devienne ensuite esclave d'un travail aliénant – mais c'est là un autre sujet).

    Celui qui se soustrait à cette obligation – le «parasite», pour rester dans notre registre sémantique – est stigmatisé, parce qu'il bafoue les lois de justice et qu'il transgresse le principe de réciprocité qui veut que l'on reçoive à hauteur de ce que l'on donne. Que celui qui ne travaille pas ne mange donc pas. Sans cela, il prélève sur le travail des autres une plus-value indue. La sagesse populaire est intarissable sur le sujet : «Un prêté pour un rendu, œil pour œil…» L'historien Christopher Lasch en a eu l'intuition dans son chef-d'œuvre, Le seul et vrai Paradis (1991, pour l'édition originale), quand il rappelle combien la philosophie puritaine, qui a fécondé le très riche populisme américain, condamnait toute tentative d'obtenir quelque chose sans en payer le prix, assimilant ce gain abusif à une forme de fraude fiscale.

    Le RN comme «parti du milieu»

    Ainsi raisonne la morale majoritaire, car morale il y a ici. Michel Freher l'appelle de son nom savant, le «producérisme», francisation de l'anglais producerism dont on voit mal comment il pourrait s'imposer dans le débat public. Il fait remonter cette idéologie, pour s'en tenir au cas français, à l'abbé Sieyès et à son Qu'est-ce que le Tiers-État ?, qui ciblait à la veille de la Révolution française l'aristocratie d'origine franque (étrangère) qui ne participait pas à l'effort de production et n'était pas soumise à l'impôt, ce qui lésait l'autochtone gaulois (un débat alors assez vif). Dans cette histoire vieille de plus de deux siècles, Michel Feher détache un premier noyau programmatique : lutte contre les propriétaires absents, contre les rentes de monopole, contre les intermédiaires improductifs et contre les étrangers. Le néolibéralisme a considérablement élargi ce noyau initial, en faisant jouer le ressort du contribuable spolié. Ses cibles : le fonctionnaire surnuméraire, le chômeur volontaire, le bénéficiaire des programmes sociaux, le syndicaliste et les élites culturelles (songeons à Javier Milei, le président argentin). Mais les néolibéraux épargnent dans leur critique les «parasites» d'en haut. Ce qui n'est pas le cas des électeurs du RN.

    S'est développée chez eux une «conscience sociale triangulaire» brillamment analysée par le sociologue Olivier Schwartz, qui a montré comment la conscience sociale de cette France ne se construit pas seulement dans l'opposition à ceux d'en haut – les écolos, les citadins, les bobos, les riches, etc. –, mais aussi à ceux d'en bas, principalement les immigrés, mais aussi les «cassos», figure incontournable de la France rurale et pavillonnaire («cassos» pour «cas sociaux», à qui il est principalement reproché d'être des allocataires abusifs, sans entrer dans le folklore descriptif de cet univers).

    Pour toutes ces raisons (et non sans regret), Michel Freher voit dans le RN le «parti du milieu», ni droite ni gauche, ni l'individualisme des libéraux ni le collectivisme des marxistes, ouvrant une troisième voie, dont ce parti est la synthèse, au sens où les socialistes parlaient de synthèse. Ses électeurs appréhendent une libéralisation à tout crin qui transformerait le marché du travail en struggle for life, comme ils craignent un État panier percé qui distribuerait l'argent sans compter aux catégories non méritantes. Ils veulent des protections, pas des entraves ; des libertés, pas du laisser-aller. Se dessine ainsi un moyen terme entre employés et employeurs, où se lit le souci de transcender les clivages de classe, caractéristique des troisièmes voies, en veillant à ne pas brider la dynamique entrepreneuriale, tout en garantissant la demande de dignité salariale et de protection sociale, pour peu qu'elle ne soit pas «parasitaire».

    François Bousquet (Figaro Vox, 30 octobre 2024)

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  • À Lisbonne aussi, les banlieues de l'immigration explosent...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Duarte Branquinho, cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré aux émeutes qui ont enflammé voilà quelques jours les banlieues portugaise à la suite de la mort d'un voyou cap-verdien.

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    Les banlieues explosent à Lisbonne

    Le 21 octobre, à 5 heures du matin, après une course-poursuite dans un « quartier sensible » de la ville d’Amadora, dans la banlieue de Lisbonne, un policier de 22 ans a abattu Odair Moniz, un immigré cap-verdien de 43 ans, dans des circonstances qui n’ont pas encore été élucidées. Selon les premiers rapports, Odair aurait attaqué la police avec un couteau, ce que les agents concernés ont démenti. Le motif de la poursuite n’est pas non plus clair, mais il semble qu’il s’agisse d’un ordre d’arrêt à la suite d’une infraction routière.

    Dans la nuit, après la nouvelle de la mort d’Odair, la réaction du quartier où il vivait, un autre « quartier sensible » d’Amadora, a été violente et a déclenché une série d’émeutes qui ont duré plusieurs jours et se sont étendues à d’autres quartiers de la périphérie de Lisbonne et même à certains quartiers de la capitale. Le bilan est lourd : cinq bus brûlés, plusieurs voitures carbonisées ou endommagées, un poste de police attaqué, une station-service partiellement incendiée, des poubelles et des équipements publics brûlés et détruits à coups de cocktails Molotov…  Les forces de l’ordre et les pompiers ont même été la civil de tirs d’armes à feu. Plusieurs personnes ont été blessées, la plupart à à l’arme blanche, la plus grave étant un chauffeur de bus qui a subi de graves brûlures, et plus de vingt personnes ont été arrêtées.

    Au quatrième jour des émeutes, plus d’une centaine d’incidents ont été recensés et les affrontements avec la police ont créé un climat d’insurrection civile dans la périphérie de Lisbonne.

    Il était autrefois dans l’Ouest

    Situé à l’extrême ouest de l’Europe, le Portugal est depuis de nombreuses années un pays à faible taux de criminalité et de violence. Dans les classements internationaux, il apparaît comme l’un des pays les plus sûrs du monde et, naturellement, cette classification est utilisée pour promouvoir le Portugal comme destination touristique et attirer les investissements étrangers. Mais cette image de « terre promise » ne correspond désormais plus tout à fait à la réalité.

    Ces dernières années, le Portugal a connu d’importants changements sociaux, en particulier l’afflux exponentiel d’immigrants sur son territoire. Ce phénomène a entraîné l’apparition de nouvelles formes de criminalité, notamment plus violentes, et une augmentation des conflits sociaux, en plus de l’aggravation des problèmes antérieurs.

    « L’exception portugaise », dont tant de gens étaient très fiers, n’existait finalement pas. Ces changements ont notamment conduit à l’émergence et à la croissance de la Chega (Assez), un parti de droite nationale dont le programme est axé sur la sécurité et le contrôle de l’immigration.

    Comme dans d’autres pays européens, les bien-pensants ont alors averti contre le « danger de l’extrême droite », coupable de tous les maux, et ont défendu sans concession l’immigration comme une « chance pour le Portugal ».

    Le Bon, la Brute et les Truands

    Ainsi, Odair Moniz a été rapidement transformé en martyr par l’extrême-gauche et les médias, qui ont donné la parole à ses voisins qui ont assuré, comme toujours, qu’il était « un homme gentil ». Les informations indiquant qu’Odair avait un casier judiciaire, notamment pour trafic de drogue et délits violents, et qu’il avait même fait de la prison, n’a pas semblé altérer l’aura du nouveau héros.

    Quant au policier qui a tiré sur lui et l’a tué, il était évide le méchant dans ce film et même le fait qu’il avait 22 ans et moins de deux ans de service dans la police ne semblait pas constituer une circonstance atténuante. Le policier a donc été accusé du meurtre d’Odair et risque une peine d’emprisonnement de 8 à 16 ans. Outre l’accusation de violence policière, l’extrême gauche et ses satellites, tels que SOS Racismo, ont rapidement accusé la police d’être raciste. Odair était cap-verdien et le quartier sensible où il a été abattu est principalement habité par des Africains ;

    Mais c’est le parti Chega et son président André Ventura qui sont apparus comme les pires de tous lorsque ce cernier a déclaré : « Si quelqu’un menace de tuer un policier, je préfère que ce soit le bandit qui meure plutôt que le policier. Il y a des moments où il faut tirer pour tuer ». Un groupe de personnalités de gauche a rapidement déposé une plainte pénale contre lui pour incitation à la violence.

    Parmi les attaques dont le président du parti Chega a fait l’objet, il en est une qui mérite d’être rappelée. Début octobre, un commentateur politique de CNN Portugal écrivait dans le journal Expresso : « Où est la vague de criminalité dont parle tant André Ventura ? Où sont les quartiers qui brûlent ? Où sont les voyous étrangers qui, soi-disant, transforment nos rues en champ de bataille ? »

    Le chaos généré par la mort d’Odair Moniz est venu apporter une réponse à cette hypocrite interrogation et il y a même eu une situation assez ironique car, pendant les émeutes, les reporters de CNN Portugal ont été menacés et ont dû fuir, et leur voiture a été vandalisée.

    Et pour quelques euros de plus

    Ce qui se passe aujourd’hui au Portugal est exactement le même phénomène que dans d’autres pays européens, en particulier la France. Regarder les problèmes politiques et sociaux de la France aujourd’hui, c’est voir l’avenir proche du Portugal.

    L’afflux massif d’immigrés, la précarité de l’emploi, l’augmentation de la criminalité violente, la montée des conflits sociaux et des tensions raciales, la polarisation politique et la persécution judiciaire, l’attaque de l’histoire et des valeurs européennes, la culpabilisation systémique de l’homme blanc, l’idéologie du genre et la transmania, le déracinement et la décaractérisation sont les conséquences de l’abandon par les élites européennes de leur propre peuple. Réduite à la soumission, l’Europe est aujourd’hui pour cette caste l’éprouvette de la mondialisation, l’utopie qui devait  apporter le bonheur et le bien-être à tous.

    L’apparent développement économique induit par ce modèle peut bénéficier à une minorité, mais il est en fait l’une des faces d’un système à tuer les peuples. L’ensauvagement des sociétés européennes ne peut être notre avenir. Que le chaos qui s’intensifie et s’étend sur notre continent incite les Européens à prendre leur destin en main. Notre avenir historique vaut bien plus qu’une poignée d’euros de confort éphémère et égoïste.

    Duarte Branquinho  (Site de la revue Éléments, 28 octobre 2024)

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  • La lente transformation de la Pologne en dictature libéral-gauchiste...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous la chronique de David Engels sur Ligne droite, la matinale de Radio Courtoisie, datée du 25 octobre 2024 et consacrée à la situation de la Pologne, mise au pas depuis un an par les élites libéral-gauchistes menées par Donald Tusk, avec l'appui de Berlin, Bruxelles - et Paris.

                             

                                                

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  • La percée du nationalisme en Europe de l’Est est-elle liée à une nostalgie des régimes communistes ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Lionel Baland, cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré à la spécificité de l'ancienne Allemagne de l'Est, dont on voit la population voter majoritairement pour deux partis populistes anti-immigration, l'un de droite et l'autre de gauche...

     

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    La percée du nationalisme en Europe de l’Est est-elle liée à une nostalgie des régimes communistes ?

    Si la montée en puissance des idées nationalistes en Europe de l’Ouest s’explique par l’arrivée massive d’immigrants posant des problèmes graves et par la désindustrialisation produite par la mondialisation effrénée, elle questionne en Europe de l’Est où les étrangers non-européens sont, pour le moment, encore peu nombreux et où l’économie est en plein développement.

    Parmi les endroits situés au sein de l’ancien bloc de l’Est où le nationalisme monte, l’Est de l’Allemagne présente la particularité, pour le moment unique, de combiner le fait d’avoir, d’une part, connu le communisme et, d’autre part, d’être confronté à la présence importante de migrants, arrivés après l’ouverture en 2015 des frontières par la chancelière fédérale démocrate-chrétienne (CDU) de l’époque, Angela Merkel, qui a ensuite réparti ceux-ci dans l’ensemble de son pays, y compris au sein de la partie orientale.

    Cette zone voit désormais deux partis de type nationaliste y obtenir des résultats éclatants : une version de droite appelée Alternative für Deutschland (Alternative pour l’Allemagne – AfD) et une de gauche anti-immigration, le Bündnis Sahra Wagenknecht – Für Vernunft und Gerechtigkeit (Alliance Sahra Wagenknecht – Pour la raison et la justice – BSW), dont la figure de proue et co-présidente est Sahra Wagenknecht. Si l’AfD est patriote ; dans l’Est, elle peut être qualifiée clairement de nationaliste et son programme, qui est libéral d’un point de vue économique et social au niveau fédéral (avec comme fer de lance de cette tendance la co-présidente fédérale du parti Alice Weidel), est dans l’Est plus axé sur le « patriotisme solidaire » théorisé par l’écrivain de la Nouvelle Droite allemande Benedikt Kaiser dans son ouvrage Solidarischer Patriotismus. Die soziale Frage von rechts (« Patriotisme solidaire. La question sociale vue de droite ») paru en 2020.

    Cette demande, forte d’un point de vue électoral de plus de solidarité et de plus de protection face à la mondialisation et à l’immigration de masse, est-elle liée à une nostalgie de l’époque de la République démocratique allemande (RDA) communiste ? L’historien allemand Ilko-Sascha Kowalczuk, qui est un des experts les plus renommés de l’histoire de la République démocratique allemande et qui s’oppose à la montée en puissance de l’AfD et du BSW dans l’Est de l’Allemagne, qu’il lie au phénomène illibéral représenté par le Premier ministre hongrois Viktor Orbán, publie un ouvrage au sein duquel il tente d’éclairer cette question : Freiheitsschock. Eine andere Geschichte Ostdeutschlands von 1989 bis heute (« Choc de la liberté. Une autre histoire de l’Allemagne de l’Est de 1989 à aujourd’hui »).

    Le choc de la transformation

    Ilko-Sascha Kowalczuk estime que, lors de la chute du mur de Berlin et du rideau de fer, la population d’Allemagne de l’Est a subi un choc face à l’arrivée de la société ouverte, théorisée par le penseur libéral Karl Popper au sein de son ouvrage La Société ouverte et ses ennemis (1945) ; et de nombreuses personnes n’ont pas perçu ce changement en tant que libération. De plus, les habitants de l’Est ont pensé que la société ouverte apporte nécessairement la prospérité économique, ce qui n’est pas le cas.

    Après la chute du communisme, à la fin de l’année 1989, et la réunification de l’Allemagne survenue moins d’un an plus tard, les habitants de l’Est, qui s’attendaient à de lentes modifications, à l’impact limité, se sont retrouvés face à des transformations radicales. De nombreuses personnes ont été déçues et désillusionnées par ces changements et la précarité qui en a découlé. De plus, en République démocratique allemande, la société civile était quasi inexistante, sauf au sein des Églises, et n’était pas souhaitée par le parti politique dominant, le SED, et la Sécurité d’État, la Stasi. Le nationalisme était, en fait, répandu au sein de la RDA. Dans l’Est, l’ancrage des partis politiques reste faible et la banalisation du passé communiste et national-socialiste y est plus développée. Inutile de dire que la réunification y a laissé des traces, car elle a créé de nombreuses injustices. Elle est perçue comme une opération ayant permis la vente à la découpe de l’économie est-allemande à des intérêts financiers de l’Ouest de l’Allemagne. Les Allemands de l’Est, les « Ossis », se sentent considérés comme des citoyens de seconde zone qui ont été discriminés tant à l’Ouest de l’Allemagne (car considérés comme « arriérés » et non-adaptés aux exigences productivistes de l’économie de marché) que chez eux où des personnes arrivées de l’Ouest du pays réunifié ont mis la main sur des postes importants au sein de l’appareil d’État ou y ont implanté des commerces et entreprises en disposant de fonds financiers dont étaient dépourvus les habitants de l’Est du pays. Un fait à noter donc : la dénonciation des élites par l’AfD porte avant tout sur celles de l’Ouest. Bien que né en ex-RFA, ce parti obtient ses meilleurs scores dans l’ancienne RDA. La presse du Système, perçue comme une émanation de l’Ouest, y est déclarée « mensongère ».

    La voix de l’Est

    Alors que, lors des dernières élections législatives de 2021, le parti post-communiste Die Linke n’a décroché que 4,9 %, n’atteignant pas le seuil électoral des 5 %, et ne doit sa présence à la Chambre des députés – en recevant 39 sièges – qu’à l’obtention de trois mandats directs dans l’Est, Sahra Wagenknecht, qui est issue de ce parti et a annoncé le quitter en octobre 2023 pour former le BSW, bénéficie d’un grand nombre de passages dans les médias nationaux car elle est perçue comme la voix de l’Est du pays.

    « Beaucoup de ce que l’AfD ou le BSW représentent, par exemple un État fort, une posture anti-occidentale liée à une proximité avec des États autoritaires comme la Russie, l’aspiration à une société homogène, une orientation nationale-ethnique de la politique sociale, des frontières fermées, un rejet de l’Europe et de l’euro, la mise en avant du principe de “L’Allemagne d’abord” et un point final aux débats épuisants sur l’histoire allemande obtiennent une grande résonance dans l’Est de l’Allemagne, par-delà le clivage entre les partis », résume Ilko-Sascha Kowalczuk (p. 182).

    L’auteur pense que l’actuelle percée de l’AfD dans l’Est, avec des cadres politiques venus de l’Ouest, se répercutera aussi, demain, dans la partie occidentale.

    La population de l’Est a compris, à la suite du crash financier de 2008, que tout ne va pas de soi dans le capitalisme et se trouve face à l’instabilité créée par le défi de l’évolution due à la digitalisation. Elle se tourne en conséquence vers la sécurité et le passé. Or, l’Est de l’Allemagne dispose d’une longue tradition autoritaire : Empire allemand, République de Weimar, Troisième Reich, RDA. Ainsi les Allemands de l’Est se sentent-ils solidaires avec la Russie car ils voient en Vladimir Poutine le représentant d’une position anti-occidentale et anti-américaine.

    Deux ouvrages qui ont rencontré un grand succès, et qui n’apportent selon Ilko-Sascha Kowalczuk rien de nouveau en termes de contenu, ont dernièrement façonné le débat : Der Osten : Eine west-deutsche Erfindung (« L’Est : une invention Ouest-allemande ») du professeur de littérature Dirk Oschmann et Diesseits der Mauer. Eine neue Geschichte der DDR 1949-1990 (« De ce côté du mur. Une nouvelle histoire de la RDA 1949-1990 ») de l’historienne Katja Hoyer. Le premier rend responsable l’Ouest de tout ce qui ne va pas depuis 1990 et innocente l’Est. Le deuxième présente la société de la RDA comme ayant été harmonieuse et éloignée des dirigeants dictatoriaux dont elle se souciait peu. L’Ostalgie – nostalgie de l’Allemagne de l’Est communiste – a pris le dessus sur le souvenir des désagréments de l’époque.

    La lutte est lancée

    Ilko-Sascha Kowalczuk estime que le système libéral est menacé dans de nombreux pays d’Europe, le Danemark constituant à ses yeux une exception, car les sociaux-démocrates y ont repris et appliqué une partie de la rhétorique des partis patriotiques, leur coupant ainsi l’herbe sous les pieds.

    Lui, qui a connu le régime communiste de la RDA, puis sa chute et le triomphe du libéralisme, craint fortement que le système actuel ne tombe à son tour. En effet, dans l’Est de l’Allemagne – et peut être aussi à l’avenir à l’Ouest –, les partis politiques du Système, représentant la société ouverte libérale, peuvent perdre la bataille contre les trois partis anti-système qui prétendent renouer avec la grandeur du passé : les nationalistes de l’AfD, les nationaux-bolcheviks du BSW et les post-communistes de Die Linke. Le match est lancé et il n’y aura qu’un vainqueur.

    Lionel Baland (Site de la revue Éléments, 24 octobre 2024)

     

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  • Le Pancapitalisme, le retour du social dans le national...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un point de vue de Gérard Fugnat, cueilli sur le site de l'Institut Georges Valois et consacré à la participation et au pancapitalisme...

     

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    Le Pancapitalisme, le retour du social dans le national

    Prime d’intéressement, prime de participation, plan d’épargne entreprise si comme 11 millions de salariés, vous êtes concernés alors ces dénominations vous sont familières. Ceux pour qui cela reste un mystère, ces termes désignent tous une forme de redistribution des bénéfices des entreprises à leurs salariés, soit sous forme de prime, soit sous forme d’épargne et d’actionnariat salarial. Mais savez-vous que tout ceci n’est qu’une forme lointaine et atténuée d’un projet économique bien plus ambitieux cherchant à redistribuer équitablement les moyens de production sans porter atteinte au principe de propriété privée ? Ce projet fut connu sous le nom de « Participation », fer de lance de la doctrine économique du gaullisme dans les années 1960, mais la théorie économique à la base de ce projet d’envergure se nommait « pancapitalisme » et c’est de cela dont nous allons parler en détail dans cet article.

    Mais avant de rentrer dans le cœur de cette doctrine économique, un peu d’histoire. Le principe d’alliance entre le capital et le travail, d’actionnariat salarial ou de participation aux bénéfices de l’entreprise ne date pas du gaullisme. On en retrouve des traces dès les XIXème siècle, notamment chez les catholiques sociaux et les figures d’Albert de Mun ou encore de René De la Tour du Pin et même chez certains libéraux comme Tocqueville ou encore chez des socialistes comme Jaurès.

    Mais les traces les plus concrètes et les plus formelles se trouvent dans le syndicalisme jaune et notamment au sein de la Fédération nationale des jaunes de France (FNJF) et leur programme économique nommé le « propriétisme ». La FNJF, active de 1902 à 1912, entretint d’étroites relations avec les milieux nationalistes, dont l’Action française ou Edouard Drumont et son journal La Libre Parole. Ce syndicat jaune considérait que la corporation était le meilleur modèle de défense sociale pour les travailleurs. Ils prônaient donc le « propriétisme » une forme d’association « capital-travail » où les travailleurs devenaient propriétaires de leurs moyens de production via l’acquisition d’actions de leur entreprise. On y voit déjà la colonne vertébrale de l’idée pancapitaliste. Ils défendaient aussi le système des « chambres de capacité », sortes d’assemblées locales où les représentants du monde professionnel pouvaient discuter des affaires socio-économiques du pays et servaient de contre-pouvoir à l’Assemblée nationale.

    Malgré la disparition de ce syndicalisme jaune et avec lui, la disparition de la doctrine « propriétiste » l’association entre le capital et le travail comme base d’une doctrine économique continua de faire son bout de chemin. Et c’est au sein des cadres des Croix-de-Feu puis du Parti Social Français (PSF) que survit cette idée de participation des masses prolétaires aux bénéfices des entreprises. Vue comme une forme de « proto-gaullisme » par certains historiens, et dont certains membres s’inspirèrent du catholicisme social, il n’est donc pas anormal d’y rencontrer une défense de ce principe de participation parmi les cadres de ce mouvement.

    Maintenant, faisons un saut dans le temps jusqu’aux Trente Glorieuses. Un certain Marcel Loichot polytechnicien, fils d’instituteur, pied-noir, PDG de la 1ère entreprise française de conseil économique et gaulliste social, a, durant cette décennie, réfléchi à un modèle socio-économique novateur pour offrir une troisième voie qui protégerait les travailleurs de l’aliénation capitaliste libérale tout en protégeant les entreprises et les entrepreneurs de la collectivisation soviétique castratrice pour l’innovation et le progrès technique et économique.

    En 1966 sortit son livre La réforme pancapitaliste dans lequel il écrit ceci : « En un mot, le Pancapitalisme propose que le travailleur le plus humble bénéficie non plus théoriquement, mais effectivement, de la fonction économique et sociale de l'investissement. C'est-à-dire qu'il reçoive sa part dans la création des richesses futures ou, si l'on veut, des moyens supplémentaires de production qu'il contribue à créer par son travail. Et cette manière d'obtenir la désaliénation conserve intégralement la notion de propriété, tant pour le salarié que pour le possédant antérieur. »

    Voilà comment Marcel Loichot résuma le principe pancapitaliste. Il élargit le principe de propriété généralisée à la France industrialisée des Trente Glorieuses. Il effectua sans le savoir une actualisation du principe proudhonien de petite propriété pour tous, élargit aux entreprises de plus de 10 salariés, la taille des usines et entreprises ne permettant plus à un petit nombre restreint de posséder dans l'intégralité leurs outils de travail. Sans spolier les investisseurs antérieurs, le pancapitalisme propose d'élargir la propriété de l'entreprise à tous les travailleurs via la possession d'actions. De cette manière, chacun devient partiellement propriétaire de son outil de production.

    Dans le pancapitalisme, la moitié des bénéfices serait utilisée pour autofinancer les innovations de l'entreprise et dépendre au minimum d'investissements étatiques, privés ou étrangers. La seconde moitié des bénéfices serait partagée à 50%/50% dans la génération d'actions pour les actionnaires antérieurs et la génération d'actions pour les travailleurs. Celles-ci seraient distribuées proportionnellement au salaire et à la place dans l'entreprise de chacun. De cette manière, aucune spoliation ne prendrait place. Durant les Trente Glorieuses, la croissance économique annuelle moyenne d’une entreprise était de 6%, avec ce taux, il n’aurait fallu que 25 ans aux travailleurs pour devenir actionnaires majoritaires. De nos jours, les PME de plus de 10 salariés, composant la majorité de notre tissu économique, ont eu un taux de croissance annuel de 3,5% en 2022, il faudrait alors une quarantaine d’années pour que les travailleurs deviennent actionnaires majoritaires.

    En plus des dividendes générés par ces actions, la possession de ces dernières ouvrirait l'accès au Conseil d'Administration (CA) et donc à la participation aux prises de décisions de l'entreprise pour les travailleurs. La participation salariale serait totale, tant économique, que politique au sein de l'entreprise. On vivrait alors une réelle émancipation des travailleurs et une réelle décentralisation et organicité de l'appareil économique des grandes entreprises.

    Les idées de Marcel Loichot ont pu, et peuvent toujours, sembler candide. Elles n'ont d'ailleurs ni survécus à l'ordonnance de 1967, ni au référendum de 1969, référendum dans lequel le Général De Gaulle souhaitait implanter politiquement la Participation. La faute tant à la bourgeoisie qui n'a pas vu d'un bon œil que les classes moyennes et populaires puissent s'asseoir à la même table qu'eux dans le champ économique. Mais également la faute de la gauche vivant de la rente de la lutte des classes, car le pancapitalisme était vu tant par ses promoteurs que par ses détracteurs, comme un outil efficace pour supplanter la lutte des classes, faisant travailler main dans la main patronat et prolétariat dans un seul et même but avec les mêmes outils.

    Plus proche de nous, Claude Mineraud, ancien PDG d’entreprise du CAC40, a lui aussi développé sa vision de la Participation et du pancapitalisme à travers son ouvrage « Le capitalisme populaire ». Sa volonté est claire, contrer le néo-libéralisme, et fort de son expérience de terrain, il a écrit ce petit guide à destination des (futurs) chefs d’entreprises nationalistes.

    Lui aussi se base sur trois axes pour développer son modèle économique :

    1. Actionnariat salariale : 20% des actions sont destinées aux cadres fondateurs de l’entreprise, 55,1% aux travailleurs et 24,9% des actions sont réservées aux actionnaires extérieurs.

       

    2. Participation au conseil d’administration de l’entreprise : 40% des voix sont détenues par les cadres fondateurs, 35,1% par les travailleurs et 24,9% par les actionnaires extérieurs.

    3. Grille salariale limitée : le chef d’entreprise ne peut gagner plus de 8 fois le salaire de l’employé le plus bas dans la hiérarchie.

    Ce livre est un parfait guide technique et juridique pour les entrepreneurs ou patron voulant se lancer dans une aventure pancapitaliste. Une large partie de l'ouvrage est très technique et juridique. Claude Mineraud a réussi à s'accommoder des législations en vigueur pour adapter à sa manière les principes théorisés par Marcel Loichot 60 ans plus tôt. Véritable guide politique et économique pour toute personne cherchant à actualiser la pensée économique nationaliste et populaire au sein de son appareil économique.

    Ces expériences, intellectuelles pour Marcel Loichot et pratiques pour Claude Mineraud, sont les preuves qu’une forme de « troisième voie française », adaptée à notre époque, à notre système économique et notre système juridique, est possible. Dans une France qui cherche à s’émanciper du carcan néo-libéral, où les Gilets Jaunes nous ont rappelé que le peuple français existe et aspire à plus de liberté, mais également plus de justice, où chaque crise sociale nous rappelle que les Français cherchent à reformer des corps sociaux jugés illégitimes et non-représentatifs de leurs aspirations. Le pancapitalisme est un outil crucial pour que nous, nationalistes français, repensions la question sociale et économique au sein de nos organisations et surtout, au sein de notre pays.

    Gérard Fugnat (Institut Georges Valois, 14 octobre 2024)

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