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L’évolution de la classe moyenne en France...

Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Gabriel Lanoix, cueilli sur le site de l'Institut Georges Valois et consacré à la précarisation des classes moyennes.

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L’évolution de la classe moyenne en France depuis les années 50 jusqu'à aujourd'hui

« C'est là où la classe moyenne est nombreuse qu'il y a le moins de factions et de dissensions parmi les citoyens. » Par cette phrase tirée de sa Politique, Aristote mettait en exergue le rôle stabilisateur, presque tampon, que possède la classe moyenne au sein d’une cité. Néanmoins, nous allons constater que ce rôle est aujourd’hui largement remis en question, notamment après les nombreuses mutations qu’a vu passer la classe moyenne et le paysage politico-économique de ces cinquante dernières années.

Depuis 1945, la classe moyenne s’est vue prendre une place centrale dans la société française, incarnant à la fois un idéal de prospérité partagée et un pilier majeur de la stabilité sociale (nous ramenant à notre cher Aristote). Profitant pleinement de l'essor économique des Trente Glorieuses, elle s'est affirmée comme l’un des moteurs du progrès matériel et de l'expansion culturelle en France. Néanmoins, la classe moyenne française est en perpétuelle évolution, et depuis les années 1970, cette pierre angulaire du paysage socio-économique a connu de multiples et profondes mutations : crises économiques, transformations du marché du travail, mondialisation et montée des inégalités ont successivement érodé ce pilier historique de la société française.

Après la guerre, la France connaît une reprise économique rapide, motivée par la volonté de reconstruction et soutenue par d’importants et nombreux investissements dans l'industrie et dans la modernisation des infrastructures existantes ; notamment exprimé par le plan Monnet et le plan Marshall, lancés entre 1946 et 1948, qui visent notamment à moderniser les secteurs clés tels que l'énergie ou bien l'automobile. Ce renouveau rapide de l’industrialisation mène à une augmentation significative de la production et de l'emploi. Rêve économique, le plein emploi devient une réalité grâce à des politiques favorables et à une forte demande de main-d'œuvre qualifiée. Le chômage est alors très faible, atteignant des taux historiquement bas (moins de 1 % dans les années 1950).

Parallèlement à la croissance économique et par son influence, les Français connaissent une transformation radicale de leurs modes de consommation. La consommation de masse s’impose comme modèle généralisé, soutenu par une importante augmentation des crédits à la consommation, et devient ainsi un élément clé du développement économique. L'accessibilité à des biens jusque-là réservés aux classes supérieures permet à la classe moyenne de se développer. L'accès à la propriété est également facilité grâce à des politiques publiques de soutien au logement (construction de logements, financements d’achats immobiliers, etc…). De nombreuses familles, auparavant locataires, deviennent propriétaires de leur logement, notamment dans les banlieues ou les villes nouvelles. Ces logements nouveaux sont également portés par les innovations technologiques successives, principalement en ce qui la généralisation de l’utilisation de l’électricité et la modernisation de l’hygiène (notamment au travers de la démocratisation des sanitaires au sein des logements, des réfrigérateurs particuliers), qui est une véritable révolution, pour une partie de la population alors habituée à des moyens bien plus précaires en ce domaine. Ces transformations permettent à la classe moyenne (alors consommatrice et actrice de l’économie) d'émerger comme l'une des clés de voute de la prospérité française, ainsi que de devenir un idéal à atteindre pour les classes inférieures. Ce processus est renforcé par une plus grande généralisation de l’aide social et par des réformes éducatives : c’est la naissance de l’Etat providence. Malheureusement, cette idylle ne sera que de courte durée. A partir du milieu des années 1970, la France connaît un tournant économique et social, marquant la fin de ce qui sera par la suite appelé « les Trente Glorieuses » : s’annonce le début des difficultés pour notre classe moyenne.

Le premier choc pétrolier provoque une hausse drastique des prix de l'énergie. La multiplication par quatre du prix du baril de pétrole entraîne un ralentissement brutal de la production industrielle et une montée du chômage — dont le taux ne sera jamais revenu au niveau d’origine. Même constat vis-à-vis de la croissance économique, qui subit un ralentissement tout aussi brutal, passant d'une moyenne de 5% par an entre 1950 et 1973 à 2,1% entre 1973 et 2000. L’inflation, elle, atteint un pic de 13,7% en 1974 ; les salaires peinent à suivre le rythme, entraînant une forte baisse du pouvoir d’achat. L'accession à la propriété, qui était alors le fer de lance de cette classe, se complique ; le coût du crédit augmente et l'immobilier connaît une flambée des prix.

Cette suite de complications économiques entraîne une polarisation de la classe moyenne, qui commence à se séparer en deux franges : la plus haute, qui parvient à maintenir son niveau de vie, et la plus basse, dont les emplois sont plus précaires, voit sa situation se dégrader. Le début de la désindustrialisation française — déplaçant l’économie vers le tertiaire — et l’ouverture économique, continuera d’entériner cette division.

Tel que mentionné juste avant, les décennies 1980 et 1990 sont marquées par de profondes mutations de l'économie de notre pays, dont la principale est la désindustrialisation. Cette tendance amorcée dans les années 70, transforma complètement le paysage socio-économique français — déplaçant, comme dit précédemment, le pôle économique vers le secteur tertiaire. La part de l'emploi industriel dans l'ensemble de l'économie française passera de 24% en 1975, à 13% en 2009 ; à l’inverse, celle du secteur tertiaire passera de 48% à 80% des emplois. Ce bouleversement entraîne une augmentation drastique du chômage, particulièrement chez les ouvriers ou les emplois peu qualifiés — alors frange inférieure de la classe moyenne.

A l’inverse, la partie supérieure de la classe moyenne profitera largement de cette tertiarisation, qui s’accompagne de la création de nouveaux métiers mieux rémunérés et accessibles aux diplômes supérieurs. Cette évolution continue de creuser le fossé entre deux parties de ce qui était alors une seule et même classe sociale : la partie inférieure de la classe moyenne se verra marquée par un déclassement social et une limitation des perspectives d’ascension ; là où la partie supérieure verra naître un bon nombre de transfuges de classe.

Confrontée à de plus en plus de défis, les années 2000 ne vont pas cesser de transformer la classe moyenne française, la confrontant à encore plus de changements et de nouvelles problématiques.

La précarisation de l’emploi, débutée dans les années 70, n’a cessé de s’accentuer ; amenant à une augmentation drastique des contrats de courte durée ou des temps partiels (dont l’aboutissement se trouve dans l’uberisation des emplois). Cette évolution conduit à la généralisation d’une instabilité professionnelle pour un grand nombre d’individus, causant notamment des difficultés de projection dans l’avenir. La crise de 2008 vit une quasi-stagnation du niveau de vie médian — du moins, une progression très lente (0,5% par an, en moyenne, entre 2013 et 2017 ; là où elle était de 1,4%). En ce qui concerne l’accession à la propriété, elle n’a cessé de se compliquer pour la classe moyenne. La hausse des prix de l’immobilier toujours plus importante, la poussant à un simili-exode vers les zones périurbaines, accentuant une ségrégation socio-résidentielle déjà présente.

L’augmentation du déclassement et des injustices sociales ont vu naître plusieurs mouvements de protestation, dont le plus majeur, celui des Gilets jaunes (débuté en 2018 en raison de la hausse du prix du carburant), est un reflet criant de la colère montante d’une classe qui se sent laissée pour compte. L’explosion de ce mouvement, regroupant tous horizons politiques, a démontré le profond malaise social qui ne faisait que s’étendre depuis la fin des Trente Glorieuses.

En parallèle, la liste des revendications de la classe moyenne ne cesse de s’étendre : en premier lieu, la volonté d’une stabilité économique, garante de son niveau de vie et notamment représentée par son aspiration à recouvrer le pouvoir d’achat qu’elle possédait et qui fut perdu suite aux crises successives ; mais également par une recherche de la sécurité de l’emploi, pierre angulaire de cette stabilité. La sécurité est également l’une des revendications de cette classe, obligée de plus en plus à s’établir dans des banlieues sujettes à l’insécurité grandissante, voyant ainsi son cadre de vie se dégrader et la classe politique rester sourde à leurs appels. Enfin, la justice sociale reste au cœur de ces revendications : un accès égalitaire aux services publics (parfois éloignés voire absents de leurs lieux d’habitations, car concentrés dans les métropoles), principalement en ce qui concerne l’éducation et la santé ; une aspiration à l’équité fiscale, perçue comme absente de par la répartition des impôts, défavorables à une classe moyenne jugée trop riche pour être aidée mais qui est souvent pourtant trop pauvre pour vivre correctement ; et enfin, une aspiration à la reconnaissance par la société de son rôle socio-économique, et une volonté de recouvrer son rôle stabilisateur et l’image de « classe rêvée » qui allait avec.

L’avenir de la classe moyenne française, doux rêve menacé de disparition face à une progression toujours plus importante des inégalités en son sein (et en général) est ainsi aujourd’hui toujours incertain, mais dépendra assurément des trois mêmes facteurs qui la régissent depuis le début : « la patrie, le pain et la justice ».

Gabriel Lanoix (Institut Georges Valois, 20 janvier 2025)

 

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