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Points de vue

  • L'avenir de l'Occident et ses menaces...

    Dans cette nouvelle vidéo, Ego Non nous fait découvrir un ouvrage d'Oswald Spengler moins connu que Le déclin de l'Occident, intitulé Années décisives, qui vient d'être réédité par les éditions de La Nouvelle Librairie.

     

                                                  

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  • Israël, Liban, Iran : le Moyen-Orient en ébullition...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Fabrice Balanche au site de la revue Éléments pour évoquer la situation explosive au Proche-Orient.

    Maître de conférences en géographie à l'Université Lyon 2, Fabrice Balanche est arabophone et a vécu une dizaine d'années entre la Syrie et le Liban. Il vient de publier Les Leçons de la crise syrienne (Odile Jacob, 2024).

     

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    Israël, Liban, Iran : le Moyen-Orient en ébullition

    ÉLÉMENTS : Depuis les massacres perpétrés par le Hamas du 7 octobre 2023, Israël multiplie les frappes aériennes en Syrie, au Liban tout en poursuivant son offensive terrestre dans la bande de Gaza. Que cherche l’État hébreu ?

    FABRICE BALANCHE. Si Israël ne va sans doute pas jusqu’à bombarder l’Iran, il a le Hezbollah dans sa ligne de mire. Le mouvement chiite libanais pointe des milliers de missiles sur Israël et a les moyens de lancer une opération terrestre contre le nord de l’État hébreu. Or, les Israéliens voulant à tout prix éviter une surprise comme le 7 octobre, ils n’attendent qu’une réaction du Hezbollah pour pouvoir frapper au Liban. De ce point de vue, l’attaque reste la meilleure des défenses. Car si une pluie de missiles s’abattait sur le Hezbollah et ses infrastructures, les miliciens chiites auraient ensuite du mal à s’élancer à l’assaut de la Galilée.

    Mais une offensive terrestre de l’armée israélienne au Liban semble exclue. En juillet 2006, l’infanterie israélienne engagée au Liban s’était enlisée.

    Je prévois plutôt des frappes sur le Liban accompagnées d’un déploiement de Tsahal sur la bordure nord pour empêcher toute contre-attaque du Hezbollah. Israël demande l’application réelle de la résolution 1701 du conseil de sécurité de l’ONU, qui avait mis fin à la guerre de 2006, imposant que le Hezbollah se retire au nord du fleuve Litani, soit à une vingtaine de km de la frontière israélo-libanaise. L’État hébreu souhaite que le Sud-Liban redevienne la zone de sécurité qu’il était jusqu’en 2000 mais sans l’occuper.

    ÉLÉMENTS : Est-ce pour pousser le Hezbollah à la faute que Tsahal a bombardé le consulat iranien à Damas le 1er avril ?

    FABRICE BALANCHE. L’objectif était double : éliminer quelques généraux des Gardiens de la Révolution iraniens et provoquer une escalade. Frapper ce consulat revenait à frapper le territoire iranien, ce qui représente une humiliation pour Téhéran et le régime de Damas, incapables de contrecarrer ce raid. Même la Russie n’a pu empêcher les Israéliens de bombarder. Jusqu’à présent, Israël prévenait les Russes avant de violer l’espace aérien syrien, ce qui n’a pas été le cas ici, car Moscou n’y aurait jamais consenti. Cela explique la vigueur de la réaction de Vladimir Poutine qui a immédiatement demandé une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU.

    ÉLÉMENTS : Cette stratégie de la tension rappelle le jusqu’au-boutisme des néoconservateurs américains. Au lendemain du 11 septembre 2001, ceux-ci entendaient remodeler l’ensemble du Moyen-Orient. De la même manière, après le traumatisme du 7 octobre, les ultranationalistes israéliens alliés de Benyamin Netanyahou souhaitent-ils l’embrasement de la région ?

    FABRICE BALANCHE. Il est certain que les faucons ont pris le dessus au sein du gouvernement et de l’état-major israéliens. Mais une différence de taille existe entre les deux situations : les États-Unis sont protégés par deux océans et le risque d’une agression en provenance du Canada ou du Mexique est négligeable. De son côté, Israël a des voisins plutôt belliqueux. L’État hébreu possède donc davantage de raisons objectives d’attaquer, car cela reste sa meilleure défense. Alors que les néoconservateurs américains voulaient imposer la démocratie en Irak en pensant que cela ferait boule de neige dans l’ensemble de la région, les Israéliens souhaitent simplement anéantir les capacités offensives de leurs ennemis. 

    ÉLÉMENTS : Outre une hécatombe et la ruine du pays, quelles seraient les conséquences politiques d’une nouvelle guerre d’Israël au Liban ?

    FABRICE BALANCHE. Dans le cas d’une destruction du pays par Israël, à la différence de 2006, ni les pays du Golfe ni le Hezbollah ne paieraient la reconstruction. La popularité du Hezbollah étant au plus bas en raison de la crise financière et des blocages politiques tous azimuts, l’équilibre des forces pourrait alors changer au Liban. Il faut dire que le Hezbollah a tellement perdu de sa superbe qu’il a dû accepter de définir la frontière maritime avec Israël, en octobre 2022, afin que le Liban puisse exploiter les champs gaziers offshore. Cette concession signifiait quelque part la reconnaissance tacite de l’existence d’Israël, ce qui est une entorse à l’idéologie et aux dogmes hezbollahis. Mais le parti de Dieu n’a pas vraiment eu le choix : en cas de blocage des négociations indirectes avec Israël, la classe politique et la population libanaises l’auraient accusé d’empêcher l’économie nationale de se redresser. Il faut souligner que ces gisements de gaz supposés sont le dernier espoir des Libanais pour sortir du marasme.

    ÉLÉMENTS : La politique du verbe a ses limites. La République islamique d’Iran et le Hezbollah proclament leur solidarité avec les Palestiniens de Gaza sans porter l’estocade. Comment expliquer leur attentisme ?

    FABRICE BALANCHE. Les destructions infligées au Hamas dans la bande à Gaza ne sont un drame ni pour l’Iran ni pour le Hezbollah. Si le Hamas se fait hacher menu, les Iraniens n’y verront qu’un juste châtiment asséné à un mouvement qui les a trahis en 2011. Pendant les révoltes arabes, le Hamas avait en effet soutenu l’opposition syrienne avant de quitter Damas pour Doha. Même si son chef Yahya Sinwar s’est rapproché de Téhéran depuis, le Hamas reste un allié stratégique – et non idéologique – du régime iranien. Pour les Iraniens, un groupe arabe sunnite comme le Hamas est quantité négligeable.

    Au sein de l’« axe de la Résistance » à Israël, il y a d’ailleurs de la concurrence entre le Hezbollah et le Hamas, le premier voulant demeurer le fer de lance du front anti-israélien, alors que le second lui vole la vedette depuis le 7 octobre.

    ÉLÉMENTS : Un clivage confessionnel chiites/sunnites oppose également Hamas et Hezbollah. Comme le dénonçait le roi de Jordanie il y a déjà vingt ans, existe-t-il un arc chiite dominant le Proche-Orient ?

    FABRICE BALANCHE. Absolument. Liban, Syrie et Irak font partie du croissant chiite contrôlé par les Iraniens. Ici, la stratégie géopolitique – maintenir un corridor vers la Méditerranée – se double d’une tactique confessionnelle qui vise à placer les chiites à la tête de ces trois pays.

    Cela dit, cet axe compte un maillon faible : la Syrie, dont la population est majoritairement sunnite. C’est aussi pour cela que le régime d’Assad a poussé au départ plusieurs millions de sunnites pour renforcer son pilier alaouite. Des bases chiites sont créées en Syrie : Assad tient et quadrille le territoire grâce à l’appui de 50 000 miliciens chiites, essentiellement irakiens, fournis par l’Iran. La démographie est d’ailleurs l’une des clés du contrôle de la région par Téhéran qui puise dans le réservoir irakien constitué de 26 millions de chiites (sur 42 millions d’habitants). Dans l’espace que forment l’Iran, l’Irak et la Syrie, les partisans d’Ali sont devenus les plus nombreux grâce à une démographie très soutenue en Irak et à l’expulsion de plusieurs millions de sunnites syriens vers la Turquie, la Jordanie et ailleurs.

    ÉLÉMENTS : Cet axe chiite et son allié russe sont la cible du djihadisme sunnite. Les attentats de masse que l’« État islamique Khorasan » a perpétrés cette année à Téhéran, puis Moscou l’ont montré. Pris entre ses ennemis djihadiste et occidentaux, ce croissant n’est-il pas un colosse aux pieds d’argile ?

    FABRICE BALANCHE. Quoi qu’en dise la propagande iranienne, le djihadisme sunnite ne constitue pas un danger existentiel pour l’axe chiite. D’une certaine manière, il sert même les intérêts de l’Iran, notamment pour maintenir la famille chiite arabe de son côté. C’est très net en Irak où la menace Daech a poussé les chiites à se précipiter dans les bras de l’Iran en 2014.

    Jusqu’à un certain point, quelques attentats djihadistes ponctuels permettent enfin de faire apparaître l’Iran comme un moindre mal aux yeux des opinions publiques occidentales. Les Français savent par exemple que le massacre du Bataclan est l’œuvre de Daech, pas du Hezbollah.

    ÉLÉMENTS : Ce paysage géopolitique semble totalement chaotique. Depuis que les États-Unis se sont progressivement retirés du Moyen-Orient pour se tourner vers l’Asie-Pacifique, qui domine la région ?

    FABRICE BALANCHE. Le retrait américain est assez progressif, ce qui laisse le temps aux autres puissances d’occuper le terrain abandonné. Le Liban, la Syrie et l’Irak appartiennent clairement à la sphère iranienne désormais. En ce moment, Téhéran fait d’ailleurs pression pour que les troupes américaines quittent l’Irak et l’est de la Syrie. Les milices chiites les harcèlent en bombardant leur base. Cela entraîne des représailles américaines sur les dirigeants irakiens de ces milices, donnant ainsi un prétexte aux pro-Iraniens pour exiger leur départ. Le gouvernement irakien, proche de Téhéran, a de plein droit demandé, en janvier 2024, la fin de la présence de la Coalition internationale contre l’État islamique. Or, si l’armée américaine déserte l’Irak, ses besoins logistiques lui feront aussi quitter la Syrie. Ce départ va également profiter aux Turcs qui avancent leurs pions dans le nord de la Syrie et de l’Irak. Dans ce dernier pays, les sunnites sont abandonnés, les États du Golfe s’étant désengagés de l’Irak, ce qui redouble le danger d’une régénérescence djihadiste de type Daech.

    Dans une certaine mesure, les Russes bénéficient aussi de la situation syrienne en vertu de leur accord avec l’Iran. Mais la guerre en Ukraine limite leur capacité de projection, laissant les Iraniens se renforcer à leur détriment.

    ÉLÉMENTS : Vous ne citez pas l’Arabie saoudite de Mohamed Ben Salman dit MBS. A-t-elle renoncé à toute ambition régionale ?

    FABRICE BALANCHE. MBS donne la priorité à ses objectifs intérieurs. Il s’est sans doute résigné à l’existence de deux Yémen : un sunnite au sud et à l’est, et un chiite au nord-ouest, contrôlé par les rebelles houthis. Mais il fallait que ces derniers cessent d’envoyer des missiles sur le royaume. C’est un des aspects de l’accord que l’Arabie saoudite a conclu, au printemps 2023, avec l’Iran sous les auspices de la Chine. En contrepartie de la neutralisation des houthis, Riyad abandonne à Téhéran le Liban, la Syrie et l’Irak. Considérant que les États-Unis n’ont pas respecté le Pacte du Quincy (1945) en les empêchant d’écraser les houthis au Yémen en 2017, les Saoudiens basculent de plus en plus vers l’axe eurasiatique. Ils se sont rapprochés des Russes après avoir observé leur capacité militaire en Syrie. Avec eux, Poutine applique la stratégie de la carotte et du bâton.

    ÉLÉMENTS : Comment ?

    FABRICE BALANCHE. Si les Saoudiens ne réduisent pas leur production pétrolière pour faire remonter les cours, Poutine menace de faire intervenir les houthis ou autres groupes chiites via l’Iran pour détruire les installations pétrolières saoudiennes. Seule condition, en 2015, pour que le prix du brut hausse durablement, en raison de la baisse des cours liée à l’exploitation massive des hydrocarbures de schiste en Amérique du Nord. S’ils acceptent de restreindre leur extraction, Poutine leur propose une carotte : le partage des bénéfices de la remontée des prix. Pour comprendre l’importance de cette question, il faut rappeler que la Russie est une puissance pétrolière et gazière qui ne peut survivre que si l’or noir dépasse les 60 dollars le baril. Or, en 2014, avant l’intervention russe en Syrie, il s’était installé durablement à moins de 30 dollars et l’économie russe se trouvait au bord de la faillite. Cette stratégie contrecarre les vœux américains. Ainsi, en septembre 2022, lorsque Joe Biden a demandé à MBS d’augmenter sa production de brut, pour compenser l’embargo appliqué à la Russie, ce dernier a refusé. D’une part, il ne veut plus que Washington lui dicte sa politique. D’autre part, il craint la réaction de la Russie et de l’Iran, qui, avec le Yémen, maintiennent une épée de Damoclès au-dessus du royaume. 

    ÉLÉMENTS : Dans ce jeu de puissances, les pays arabo-musulmans paraissent se soucier comme d’une guigne de la cause palestinienne. Après six mois d’offensive israélienne à Gaza, à quel dénouement peut-on s’attendre ?

    FABRICE BALANCHE. Il est probable que les Israéliens poussent les Gazaouis vers l’Égypte. C’est en prévision de ce scénario que les Égyptiens ont construit précipitamment un deuxième mur qui isole 16 km2 de territoire égyptien, voisin de la bande de Gaza. Officiellement, il s’agirait d’une plateforme logistique humanitaire, mais en réalité cela pourrait être plutôt une zone d’accueil pour les Palestiniens. Si ces derniers venaient à être expulsés de Gaza, en l’occurrence de Rafah, ils se retrouveraient bloqués dans ce no man’s land. Pour éviter que les réfugiés du Soudan ou autre ne se déversent sur notre continent depuis le pays des pharaons, les Européens ont déjà offert 7,4 milliards d’euros au Caire pour les trois années à venir. L’Égypte précise qu’aucun bateau de migrants, depuis 2016, n’a quitté ses côtes. Mais cela pourrait se produire dans le cas d’un départ massif de la population de Gaza : après des mois de disette, d’insécurité, de bombardement et d’absence de perspective d’un retour dans leur foyer détruit, des centaines de milliers de Gazaouis n’aspirent plus qu’à émigrer. L’Égypte pourrait les placer en « résidence surveillée » dans le Sinaï et obtenir ainsi une rente de plusieurs milliards d’euros annuels, en provenance d’Europe. La somme serait bien plus élevée à ce que la Turquie reçoit pour conserver sur son sol les réfugiés syriens, car les Palestiniens possèdent une valeur politique supérieure.

    Fabrice Balanche, propos recueillis par Daoud Boughezala (Site de la revue Éléments, 8 avril 2024)

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  • L'éternel retour d'Evola...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Gennaro Malgieri, cueilli sur le site d'Euro-Synergies (qui en a assuré la traduction) et consacré à l'actualité de Julius Evola.

    Journaliste, essayiste et ancien député au parlement italien, Gennaro Malgieri a été un des animateurs de la Nouvelle droite italienne.

     

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    L'éternel retour d'Evola 50 ans après sa mort

    L'oeuvre de Julius Evola se confirme, avec le temps, un demi-siècle après sa mort (en date du 11 juin 1974), comme une aire incontournable au cœur de la modernité. Andrea Scarabelli lui a consacré un livre magnifique et volumineux, Vita avventurosa di Julius Evola, publié chez Bietti (pp.737,39,00 €), dont nous parlerons dans les prochaines semaines, un livre indispensable qui, par sa complexité et son exhaustivité, nous fait découvrir l'un des plus grands penseurs du vingtième siècle.Pour avoir lu et apprécié Evola, bien que sur plus d'un point avec des réserves compréhensibles, il y a cinquante ans, ou même plus tôt quand le débat autour de ses idées faisait rage, en essayant de le sauver d'une diabolisation préventive, c'est comme si on ne l'avait pas connu du tout quand on le relit aujourd'hui, surtout après la publication du livre de Scarabelli, dans le contexte de la révolution la plus subtile et la plus radicale qui ait eu lieu: l'affirmation d'une pensée unidimensionnelle et homologatrice, totalitaire dans son essence et libertaire dans sa forme, qui est à la fois fiction et enveloppe du déracinement des valeurs auquel nous participons, consciemment ou inconsciemment. Evola, paradoxalement, est beaucoup plus notre contemporain qu'il ne l'était à l'époque où son observation minutieuse et son diagnostic précis de la décadence se sont déployés, se projetant dans une dimension qui, seulement des décennies plus tard, comme il l'imaginait lui-même, s'ouvrirait même dans les sphères culturelles qui, de son vivant, tendaient à le marginaliser, voire à le "réduire au silence".

    L'œuvre d'Evola, loin d'être embaumée et conservée dans les recoins d'une aire intellectuelle minoritaire, fréquentée uniquement par des "dévots" sans esprit critique, est surtout aujourd'hui, dans sa complexité, non seulement un formidable réquisitoire, extraordinairement efficace et approprié, contre l'idéologie du déclin sous les différentes formes qu'elle a prises, mais se révèle pour ce que tant de gens ont pu y voir en s'y plongeant au point d'en sortir transformés, comme ce fut le cas par exemple pour le grand poète allemand Gottfried Benn après la lecture de Révolte contre le monde moderne. Et si ce sont les traits stylistiques d'une certaine "révolution conservatrice" que Benn a reconnus dans le livre du penseur italien, qui devait conquérir avec lui une notoriété non éphémère dans les milieux culturels européens, il faut dire aussi que l'analyse profonde et complète de la Tradition par Evola laissait entrevoir un horizon culturel qui, au tournant de la crise continentale, pas encore libéré des affres de la première grande guerre civile européenne, s'apprêtait à se dissoudre dans la crise de l'Europe, se préparait à se dissoudre dans la seconde, comme le prédisait "prophétiquement" un fascinant diagnosticien représentant le "déclin de l'Occident", un peu comme Evola lui-même le fera des années plus tard en entraînant la "prophétie" spenglérienne au-delà des contingences qui l'avaient inspirée pour la fonder dans l'éclipse d'une religiosité, même non fidéiste; la "crise du monde moderne" dont René Guènon avait déjà donné une représentation convaincante au point qu'elle tient encore face aux convulsions qui nous habitent et auxquelles nous avons l'impression de ne pas pouvoir échapper.

    C'est à ce sentiment d'impuissance qu'Evola s'est souvent intéressé, nous invitant à une sorte de révolution spirituelle qui, en ce début du 21ème siècle, nous apparaît comme la seule carte à jouer face aux contradictions de l'égarement intellectuel. Les conséquences politiques sont connues et la crise substantielle de la démocratie, démembrée par les pouvoirs oligarchiques, maîtres absolus du marché, n'est que la dernière étape de la dissolution sociale qui a commencé avec les crimes commis par la Grande Révolution.

    Le "totalitarisme mou", auquel Evola s'est implicitement référé tant de fois, ne s'arrête pas à la prétention d'uniformiser la vie selon l'uniformisation imposée par les potentats transpolitiques et la finance prédatrice à travers les médias, la publicité, l'allégorie fantasmagorique de la liberté exaltée - pour la nier - par les réseaux sociaux, l'apologie de l'homo consumans comme seul être réputé pertinent, la suppression de la souveraineté des peuples, des nations et des Etats en vue de la création d'un Marché Universel dont l'égalitarisme formel devrait être la ligne directrice. Avec pour objectif, de la part des oligarques intellectuels et politiques qui tiennent les ficelles, de transformer, jusqu'à les réduire à néant, les faits et phénomènes de diversité et de catapulter finalement la "théorie du genre" dans l'assimilation pratique de l'unisexe dans une société réduite à un désert de formes et privée de forces vives: bref, la révolution la plus bouleversante qui ait traversé l'humanité.

    La "pensée unique" a hâtivement consumé, dans l'horrible lande des idéologies mortes, ses gloires, renversant le principe d'"universalité" (qui n'est pas l'uniformité) propre aux soi-disant "civilisations traditionnelles" en celui de "collectif" propre à la soi-disant "civilisation moderne". Celle-ci s'oppose à l'"universel" comme la "matière" s'oppose à la "forme", affirme Evola. Et il explique, dans les dernières pages de Révolte contre le monde moderne, que "la différentiation de la substance dans la promiscuité de la collectivité et la constitution d'êtres personnels par l'adhésion à des principes et à des intérêts supérieurs constituent la première étape de ce qui, dans un sens éminent et traditionnel, a toujours été compris comme la "culture". Lorsque l'individu est parvenu à donner une loi et une forme à sa propre nature, de sorte qu'il s'appartienne à lui-même au lieu de dépendre de la partie purement physique de son être, la condition préalable à un ordre supérieur est déjà présente, dans lequel la personnalité n'est pas abolie, mais intégrée: tel est l'ordre même des "participations" traditionnelles, dans lesquelles chaque individu, chaque fonction et chaque caste acquièrent leur signification propre par la reconnaissance de ce qui leur est supérieur et de leur lien organique avec lui. Et, à la limite, l'universel est atteint dans le sens du couronnement d'un édifice dont les solides fondations sont précisément constituées à la fois par les diverses personnalités différenciées et formées, chacune fidèle à sa propre fonction, et par des organismes ou des unités partielles avec des droits et des lois correspondants, qui ne se contredisent pas mais se coordonnent solidement grâce à un élément commun de spiritualité et à une disposition active commune à un dévouement supra-individuel".

    Il en va tout autrement dans la modernité, où s'impose une conception opposée, de type mécaniste pourrait-on dire, visant au collectivisme. Ainsi, comme l'explique si bien Evola, l'individu apparaît de plus en plus incapable de valoir autrement qu'en fonction de quelque chose: dans ce "quelque chose", indéfini, il cesse d'avoir un visage propre; son visage est celui que les autres lui donnent, fruit de l'homologation, du renoncement à être lui-même du moins formellement. Aujourd'hui, on range tout cela sous le titre de "pensée unique", dont le déploiement est une praxis existentielle visant à la construction d'un indifférentisme accepté, presque toujours inconsciemment, comme une valeur apportée par le déploiement de la démocratie la plus accomplie, alors que c'est exactement l'inverse qui est vrai. C'est-à-dire que la régression dans l'indistinct constitue la dissolution non seulement des différences ordinaires et donc des hiérarchies morales, culturelles et civiles, mais aussi d'une démocratie populaire dont l'essence devrait être l'exaltation des pièces individuelles d'une mosaïque communautaire cimentée par la reconnaissance de la dignité.

    À l'époque de la quantification et de l'absolutisme mercantile, il est inévitable que la force du nihilisme devienne un puissant facteur de stabilisation de l'instabilité, avec des conséquences facilement imaginables que nous pouvons déjà voir à l'œuvre autour de nous, massivement présentes dans notre imaginaire culturel et destinées à submerger même les îles isolées que l'on croyait jusqu'à récemment à l'abri des flots de la vulgarité massifiante qui véhicule les modes et les coutumes qui remontent à l'univers de l'unicité de la pensée et donc au triomphe de la modernité. Âge sombre" ou "âge de fer", reprenant l'antique image d'Hésiode: c'est ainsi qu'Evola a défini notre époque. Et lorsque les formulations ont pris des allures de polémiques politiques, il ne s'est pas trouvé un seul homme pour ne pas stigmatiser le "baron noir" par des épithètes irrévérencieuses et pour ne pas considérer ses disciples comme pathétiques. Le temps s'est fait gentilhomme et le néo-totalitarisme, préfiguré et analysé par Evola en des termes on ne peut plus alarmants, bien avant que ses miasmes n'envahissent nos existences, progresse dans l'indifférence de ceux qui ne perçoivent pas les restrictions des espaces de liberté désormais occupés par les cris des multitudes qui réclament l'attention d'on ne sait qui, étant donné que ceux qui tissent les fils de la modernité ont intérêt à faire semblant de donner l'apparence de l'autonomie et de la critique à ceux qui la réclament, à condition, bien entendu, de disposer d'un cadre et d'une structure impénétrables et blindés pour protéger la citadelle du pouvoir qui n'admet aucune contestation, celui de l'argent qui domine les consciences en les achetant avec des gadgets culturels et des croyances nouvellement créées.

    Le spenglérien Evola écrit, toujours dans Révolte contre le monde moderne De même que les hommes, les civilisations ont leur cycle, un début, un développement, une fin, et plus elles sont immergées dans le contingent, plus cette loi est fatale. Cela, bien sûr, ne peut impressionner ceux qui sont enracinés dans ce qui, étant au-dessus du temps, ne serait altéré par rien et qui demeure comme une présence éternelle. Même si elle disparaissait définitivement, la civilisation moderne n'est certainement pas la première des civilisations à s'éteindre, ni celle au-delà de laquelle il n'y en aura pas d'autre. Les lumières s'éteignent ici et se rallument ailleurs dans les vicissitudes de ce qui est conditionné par le temps et l'espace. Les cycles se ferment et les cycles se rouvrent. Comme on l'a dit, la doctrine des cycles était familière à l'homme traditionnel, et seule l'insipidité des modernes leur a fait croire un instant que leur civilisation, plongée, plus qu'aucune autre ne le fut jamais, dans l'élément temporel et contingent, pouvait avoir un destin différent et privilégié.

    Mais est-il possible que la fin d'un cycle puisse préluder à l'ouverture d'un autre dans une continuité, certes essentielle et marginale ? C'est un grand thème qui, projeté sur l'immense marécage contemporain, sollicite des considérations anthropologiques par rapport auxquelles tous les domaines de la pensée sont remis en question, à commencer par le religieux (même s'il n'est pas ancré dans une foi donnée) jusqu'à l'économico-social. C'est dans ce contexte que celui que l'on a appelé la "lux évolienne" s'est imposé de manière décisive, surpassant même des théoriciens de la crise et du déclin beaucoup plus acclamés. Evola, contrairement à ce que l'on pourrait penser - et surtout dans les dernières années, bien qu'il n'ait pas cultivé les illusions à court terme d'une possible renaissance (les nombreux articles qu'il a écrits pour Il Conciliatore, L'Italiano et Roma en sont la preuve) - a imaginé la possibilité d'inverser le cours des choses, sans s'attarder à les chercher dans certains renouveaux plus folkloriques qu'autre chose des "traditionalistes" autoproclamés de la dernière heure ou dans une religiosité de seconde main, telle qu'on l'observe dans Masques et visages du spiritualisme contemporain.

    Il a imaginé qu'une minorité active et culturellement consciente de la tâche à laquelle elle doit se consacrer après avoir mesuré les étapes de la décadence et tiré les conséquences de la dissolution des formes même élémentaires inhérentes à une existence à peine ordonnée, pourrait émerger. Il définit les personnalités qui composent ce noyau comme des egregoroi, c'est-à-dire ceux qui regardent. Mais en plus grand nombre, dit-il, "il y a des individualités qui, sans savoir au nom de quoi, ressentent un besoin confus mais réel de libération. Orienter ces personnes, les mettre à l'abri des dangers spirituels du monde présent, les amener à reconnaître la vérité, et rendre absolue leur volonté que certains d'entre eux puissent atteindre la phalange des premiers, c'est encore ce que l'on peut faire de mieux". Et, toujours dans un rigoureux réalisme, il ajoutait: "Mais là encore il s'agit d'une minorité et il ne faut pas s'imaginer qu'il puisse en résulter une variation appréciable dans l'ensemble des destinées. Telle est donc la seule justification de l'action tangible que certains hommes de la Tradition peuvent encore exercer dans le monde moderne, dans un milieu avec lequel ils n'ont aucun lien. Pour l'action directrice précitée, il est bon que de tels "témoins" soient là, que les valeurs de la Tradition soient toujours indiquées, sous une forme d'ailleurs d'autant plus atténuée et dure que le courant adverse est plus fort. Même si ces valeurs ne peuvent pas être réalisées aujourd'hui, elles ne sont pas réduites à de simples "idées"". Et encore: "Rendre clairement visibles les valeurs de vérité, de réalité et de Tradition à ceux qui, aujourd'hui, ne veulent pas de "ceci" et cherchent confusément "autre chose", c'est apporter un soutien pour que la grande tentation ne l'emporte pas chez tous, où la matière semble désormais plus forte que l'esprit".

    La Tradition, prise non pas comme conatus réactif à la "pensée unique", mais comme véhicule d'affirmation d'une "pensée autre", est donc l'héritage d'Evola pour les "derniers temps". Une Tradition, bien sûr, vécue dans ses valeurs constitutives et non dans les déchets rhétoriques qui lui sont associés, auxquels les attitudes culturelles ont offert un espace pour le moins irrespectueux à l'égard de l'univers traditionnel lui-même. Et qui ne peut devenir "active" qu'en prenant les traits d'une "révolution conservatrice", comme le suggère Evola lui-même dans Gli uomini e le rovine (Les hommes au milieu des ruines), dans Cavalcare la tigre (Chevaucher le tigre) et dans de nombreux autres écrits organiques et occasionnels. La formule met en évidence l'élément dynamique représenté par la "révolution", qui n'a donc pas de valeur subversive ou violente d'un ordre légitime, et l'élément constitutif qui l'étaye, lequel est "conservateur". Mais conserver quoi? La tradition et ce qui en découle, en la faisant vivre - et c'est là la tentative la plus ardue - à travers les instruments de la modernité sans être conditionnée ou même subjuguée par eux. Préserver la Tradition et ce qu'elle signifie est le seul véritable acte révolutionnaire imaginable. Et il est loin d'être irréaliste de croire qu'une réaction loin d'être stérile au totalitarisme de la "pensée unique" puisse en découler.

    Loin de cristalliser l'idée de Tradition, Evola la relance comme proposition culturelle à l'heure de la crise de toutes les croyances et à la veille de l'effondrement d'idéologies élevées au rang de pratiques quasi mystiques. Dans un article paru dans Il Conciliatore en juin 1971, Evola écrit: "L'introduction de l'idée de Tradition vaut pour libérer chaque tradition particulière de son isolement, précisément en ramenant son principe générateur et ses contenus essentiels dans un contexte plus large, en des termes qui soient d'une intégration effective. Seules les éventuelles revendications d'exclusivisme et de privilèges sectaires en pâtissent. Nous reconnaissons que cela peut être dérangeant et créer une certaine désorientation chez ceux qui se sentaient en sécurité dans une zone donnée et clôturée. Mais pour d'autres, la vision traditionnelle ouvrira des horizons plus larges et plus libres, elle ne fera qu'instiller une sécurité supérieure, à condition qu'ils ne trichent pas au jeu: comme dans le cas de ces "traditionalistes" qui n'ont mis la main sur la Tradition que comme une sorte de condiment à leur propre tradition particulière réaffirmée dans toutes ses limites et dans tout son exclusivisme".

    La personnalité multiforme d'Evola se prête, on le sait, à des interprétations diverses, variées, voire contradictoires. Mais sur un aspect de sa pensée, il n'y a probablement pas de différence de jugement. Evola - au-delà de ses propres intentions - est le protagoniste incontesté d'une révolte culturelle contre le conformisme dont la dictature de la "pensée unique" est l'expression la plus macroscopique et la plus meurtrière.

    Evola est en bonne compagnie, bien sûr. Mais la pertinence contemporaine de ses idées est telle qu'il est considéré comme la référence d'une vision du monde qui embrasse, contrairement à d'autres, bien que contigus, les domaines les plus importants de l'esprit et de l'action, du sexe (à la "Métaphysique" duquel, anticipant prodigieusement les résultats de la soi-disant "libération sexuelle", il a consacré des pages qui déboulonnent la théorie du genre et l'unisexisme dominant) à la religiosité dans ses multiples déclinaisons, en passant par la science, la démographie, la contestation de la jeunesse et ses mythes, et les formes de décadence.

    Quelle est sa pertinence aujourd'hui ? Question inutile. La réponse se trouve dans ses livres.

    Gennaro Malgieri (Euro-Synergies, 12 avril 2024)

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  • Face au tout-puissant Conseil constitutionnel, le peuple est-il vraiment souverain ?

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Christophe Boutin, cueilli sur le Figaro Vox et consacré à la décision du Conseil Constitutionnel d'interdire la proposition des Républicains d’organiser un référendum sur la politique migratoire.

    Christophe Boutin est docteur en sciences politiques et professeur de droit public à l’université de Caen. Avec Frédéric Rouvillois, il a notamment publié Quinquennat ou septennat (Flammarion, 2000), Les parrainages ou comment les peuples se donnent des maîtres (La Nouvelle Librairie, 2022), La proportionnelle ou comment rendre la parole au peuple (La Nouvelle Librairie, 2022) et Le référendum ou comment redonner le pouvoir au peuple (La Nouvelle Librairie, 2023).

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    RIP sur l'immigration : face au tout-puissant Conseil constitutionnel, le peuple est-il vraiment souverain ?

    Le Conseil constitutionnel intervenait pour la sixième fois dans une procédure de référendum d'initiative partagée (RIP). L'exercice suppose de réunir un cinquième des membres du Parlement, puis un dixième du corps électoral, avant que la proposition ne soit soumise au référendum - à moins que le Parlement ne «l'examine». Mais entre proposition et récolte des signatures intervient aussi le contrôle du juge.

    Aux termes de l'article 11, celui-ci doit d'abord vérifier le nombre de signataires, puis que la proposition n'ait pas pour objet «l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an», ou porte «sur le même sujet» qu'une proposition de RIP rejetée par référendum depuis moins de deux ans. Encore faut-il avoir un effet, et le Conseil a pu estimer en 2023 que deux propositions visant à interdire un âge du départ à la retraite supérieur à 62 ans n'emportaient «pas de changement de l'état du droit» et les écarter.

    Quatrième condition, la proposition doit entrer dans le champ de l'article 11. Si l'on exclut la ratification de traités, ce dernier concerne «l'organisation des pouvoirs publics» et les «réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent». Tous les termes sont importants : en 2022 la création d'une «contribution additionnelle sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises» est écartée. Parce qu'elle ne concerne pas la politique économique ? Le commentaire de la décision patauge pour justifier d'en exclure les dispositions fiscales, mais la décision sanctionne la proposition comme n'étant pas une «réforme» car n'ayant pas «une ampleur significative».

    Reste enfin le contrôle de constitutionnalité des «propositions de loi mentionnées à l'article 11 avant qu'elles ne soient soumises au référendum» (article 61). Comme le Conseil constitutionnel s'interdit depuis 1962 le contrôle de la loi référendaire adoptée, on veut en 2008 lui permettre de bloquer les choses avant. Mieux, comme le Conseil constitutionnel vérifie «qu'aucune disposition» de la proposition ne soit contraire à la Constitution, cela interdit une séparabilité qui permettrait de laisser prospérer un texte amputé des dispositions jugées inconstitutionnelles. Sur cette base, la proposition de 2021 sur un «service public hospitalier de qualité», touchant à la «politique sociale de la nation», a été jugée inconstitutionnelle comme portant atteinte au pouvoir réglementaire du Premier ministre.

    Cette même logique des cinq lames du rasoir constitutionnel est celle de la décision du 11 avril 2024. Les trois premières conditions factuelles étant remplies, la question sur laquelle les auteurs de la proposition comme le gouvernement se sont focalisés était celle du domaine de l'article 11. Pour éviter une sanction, si le texte se voulait un moyen de faire valider par référendum des éléments écartés par le Conseil constitutionnel lors de son examen de la loi immigration (décision du 25 janvier 2024), les parlementaires le présentaient comme modifiant «certaines aides sociales susceptibles de bénéficier à des étrangers», entrant donc dans la «politique sociale de la nation», et bien comme une «réforme» au vu de l'ampleur de ses conséquences financières.

    Contre l'avis du gouvernement, le Conseil allait leur donner raison… Mais restait la conformité à la Constitution. L'article 1er excluait notamment de certaines aides les étrangers ne bénéficiant pas «d'une durée minimale de résidence stable et régulière en France», chose possible selon le juge tant que cette durée ne prive pas «de garanties légales» les exigences résultant selon lui du préambule de 1946. Or la durée retenue - au moins cinq ans -, leur aurait porté «une atteinte disproportionnée», et avec l'article 1er, c'est toute la proposition qui disparaît.

    Soyons clairs : en confrontant les termes des propositions à son interprétation de la Constitution, le Conseil constitutionnel est aujourd'hui à même d'empêcher la mise en place d'un RIP sur quasiment tous les sujets. Pour prendre le cas d'espèce, si une durée de résidence de cinq ans était une «atteinte disproportionnée», quelle aurait été la bonne ? Nul ne le sait, à part les neuf Sages - pas plus ici que pour d'autres de leurs jurisprudences où se manifeste toute leur subjectivité.

    Conflit d'interprétation contre interprétation donc : a priori, et quoi qu'en disent leurs opposants, les auteurs de la proposition n'avaient pas l'intention de violer la Constitution. Et puisque conflit d'interprétation il y a, entre les parlementaires et le juge constitutionnel, il faut le faire trancher. Qui, du juge ou des représentants du souverain, doit avoir le dernier mot ? La réponse à cette question posera tôt ou tard celle de la révision constitutionnelle, ce «lit de justice» moderne selon le doyen Georges Vedel.

    Une telle révision-arbitrage peut se faire par le Parlement réuni en Congrès, comme en 1993, mais le peuple souverain pourrait de manière tout aussi légitime trancher le débat si on le laissait s'exprimer. En ce sens, nous avons fait avec Frédéric Rouvillois un certain nombre de propositions pour «redonner le pouvoir au peuple», en ouvrant par exemple le champ référendaire - on voit mal au nom de quoi on interdit de soumettre au peuple souverain quelque texte que ce soit - ou en se demandant si l'appréciation du Conseil ne pourrait pas prendre la forme d'un avis plutôt que d'une décision.

    Mais que le juge constitutionnel puisse continuer d'interdire, sur une base aussi floue, que des propositions référendaires puissent être soumises au peuple souverain, et ce quand il écarte en même temps, et de la même manière, les textes parlementaires sur le même sujet, bloque de fait toute possibilité de réforme sur des sujets qui semblent pourtant aux Français bien plus «existentiels» que d'autres. Notre démocratie n'y survivrait pas longtemps. La question n'est plus de savoir s'il faut réviser la Constitution, mais quand.

    Christophe Boutin (Figaro Vox, 12 avril 2024)

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  • « Et nous serons Européens » : Une évidence si simple, une réalisation si complexe...

    Nous reproduisons ci-dessous l'intervention de Benedikt Kaiser au colloque de l'Institut Iliade, qui s'est tenu samedi 7 avril 2024 à Paris sur le thème de l'avenir de notre Europe. Politologue et essayiste allemand, Benedikt Kaiser est un des animateurs de la maison d'édition Jungeuropa.

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    « Et nous serons Européens » : Une évidence si simple, une réalisation si complexe

     

    « Nous étions des Germains, nous sommes des Allemands et nous serons des Européens. »

    Voici ce que disait, il y a un siècle environ, Arthur Moeller van den Bruck, et qui illustre précisément ce devenir que nous envisageons. Pourtant, de nombreux Européens d’aujourd’hui rechignent à s’identifier comme tels, notamment à cause de la facile confusion entre l’Europe et l’UE. Il est alors de notre devoir de construire, à travers une coopération pleinement européenne, une vision du monde solidaire, patriotique et européenne.

    Lorsque Arthur Moeller van den Bruck a réfléchi à l’avenir de l’Allemagne et de l’Europe dans les années qui ont suivi la Première Guerre mondiale, il a trouvé cette formule marquante.

    Un siècle plus tard, nous constatons qu’il s’agit d’une évidence, mais que sa réalisation reste plus que jamais complexe.

    Pour beaucoup de nos compagnons de route, s’affirmer en tant qu’« Européen » est bien souvent l’objet d’importantes réticences. Cela s’explique par le fait que l’actuelle Union européenne (UE) forme un projet qui semble justement vouloir nous faire perdre notre européanité.

    « Notre Europe n’est pas leur UE ! » – c’est facile à dire.

    Mais nous devons aussi transmettre une européanité positive. Au sens d’Ernst Bloch, avec de la chaleur – des sentiments –, et de la froideur – des arguments.

    Ces deux éléments – le rationnel tout comme l’irrationnel – doivent aller de concert si nous voulons donner aux générations futures une image de l’Europe à laquelle elles puissent s’identifier.

    Telle est, précisément, notre mission. La mission de l’Institut Iliade en France. La mission du Jungeuropa Verlag, notre maison d’édition, en Allemagne. La mission de tous ceux qui revendiquent leur triple appartenance : une région, une nation, et, nécessairement, l’Europe !

    Pour y parvenir, nous avons besoin de rencontres européennes, d’échanges internationaux, d’un travail de traduction et d’un tissage de réseaux.

    Mais nous avons également besoin d’éléments de réflexion autour desquels les meilleurs esprits de notre camp non conformiste se retrouvent, par-delà les frontières.

    Nous, l’équipe de Jungeuropa, avons le souhait de participer à cette définition d’une ligne générale commune.

    Nous proposons que cette vision du monde propre au xxie siècle soit solidaire, patriotique et européenne.

    La pensée et l’action solidaires, la solidarité pratique et concrète, sont authentiquement « de droite ». Il s’agit d’un devoir vis-à-vis du grand ensemble.

    S’y ajoute le patriotisme en tant qu’approche de la politique qui passe par le peuple, en tant qu’affirmation d’un soi identitaire que l’on souhaite défendre.

    En étant solidaire et patriotique, la vision du monde à venir constitue un appel aux forces de tous bords, pour peu qu’elles soient raisonnables et soucieuses de l’intérêt général.

    En tant que démarche « de droite », elle intègre inévitablement des éléments « de gauche » – supposés et réels – là où cela s’avère utile.

    Car seule « une pensée qui affirme la synthèse entre les deux tendances et qui l’a réalisée en elle est en mesure d’accéder aux problèmes que l’avenir nous posera et face auxquels le présent se désespère », comme l’a montré le penseur conservateur révolutionnaire Hans Zehrer dans un de ses essais.

    Comme l’article de Zehrer « La confusion des concepts » a plus de 90 ans et que la situation de l’Allemagne, de la France et de l’Europe a fortement évolué, la vision du monde que nous défendons est non seulement solidaire et patriotique, mais aussi européenne.

    À cet égard, il convient d’inclure autant la sphère politique réelle que la sphère métapolitique dans notre argumentation.

    Car l’UE a un impact réel sur tous les domaines de notre vie : environ soixante-dix pour cent de toutes les lois adoptées dans les États membres sont lancées au niveau de l’UE.

    Au plus tard avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne en 2009, le processus législatif s’est « européanisé » et le citoyen de Paris doit désormais s’y soumettre au même titre que celui de Berlin.

    Si une force politique s’obstine à n’attaquer qu’au niveau national sans trouver des partenaires européens qui partagent sa vision du monde, elle est condamnée à l’impuissance en matière de politique réelle.

    Mais il ne faut pas moins tenir compte du monde métapolitique. Les évolutions et les changements culturels ne s’arrêtent pas aux frontières nationales – les évolutions intellectuelles à l’œuvre dans la politique non plus.

    Celui qui accorde de la valeur à sa région, à son peuple et à sa nation et qui souhaite préserver leurs particularités ne peut y parvenir que s’il est capable de conclure des alliances solides avec des acteurs qui travaillent à des objectifs similaires dans leurs pays.

    À cette dimension de raison politique s’ajoute la composante sentimentale d’une européanité positive. Pour ce dernier, l’Europe n’est pas déterminée à partir des frontières de l’UE.

    L’européanité positive a pleinement conscience que le cœur de l’Europe bat aussi bien à Belgrade, Oslo et Berne que dans les capitales des États membres de l’UE.

    « La clé d’une reconstruction véritable et fondamentale de nos sociétés », comme le décrit l’historien David Engels dans Que faire ?, « ne se trouve pas au niveau national, mais au niveau européen. »

    C’est vrai, si l’on considère la situation dans son ensemble.

    Mais l’Europe actuelle sous la forme de l’UE ne nous y aide pas.

    L’Europe de l’UE est un marché commun avec des centaines de millions d’acteurs – mais elle n’est pas un bouclier pour les peuples, elle est incapable d’agir et de maîtriser le désordre. Outre les conflits ethno-culturels inévitables, ce désordre s’annonce avant tout être de nature sociale.

    Dans la mesure où c’est un auteur allemand qui parle des questions sociales à l’époque de l’européanisation basée sur l’UE, il convient de rappeler que les acquis de l’État social des 150 dernières années restent aujourd’hui pertinents pour la majorité de la population. Ils confèrent à la RFA une réputation mondiale de principe d’assistance et de solidarité fondées sur la responsabilité de l’État. Et ce en dépit de toutes les critiques sur les graves dysfonctionnements actuels.

    Le constater ne signifie pas qu’il faille se fermer à l’idée que le XXIe siècle apporte des exigences sensiblement différentes de celles des deux siècles passés.

    Si l’Europe était une île, on pourrait partir du principe que la division en États-nations classiques perdurerait telle quelle.

    Mais l’Europe n’est pas une île, elle occupe une place centrale dans des constellations mondiales qui agissent sur les pays européens.

    Une Europe morcelée et davantage divisée n’est pas viable sur le plan économique, technologique et social. Du moins pas en tant que bloc de puissances souveraines et autonomes dans leurs décisions. Les peuples européens se trouvent ainsi confrontés à des conflits d’intérêts renforcés de l’extérieur.

    De telles contradictions extérieures doivent être tenues à l’écart du continent dans l’intérêt même de son autosuffisance. L’Europe est déjà riche en contradictions internes, il s’agit donc de les surmonter.

    Le « front intérieur » se complique toutefois lorsque les slogans classiques : « L’Allemagne d’abord ! » ou « La France d’abord ! », ne sont pas seulement utilisés comme mobilisation électorale populiste. Lorsqu’ils constituent l’unique programme. On se contente trop souvent du « d’abord ! » à la droite du centre, sans réfléchir à la nécessité d’un « après ».

    À cela s’ajoute le fait que la persistance des ressentiments favorise le retour des chauvinismes, car les arguments néo-libéraux sont combinés avec les passions patriotiques, qui peuvent toujours être mobilisées en bien ou en mal.

    Ces jalousies réciproques devraient s’effacer au profit d’une idée solidaire étendue à toute l’Europe, qui ne peut toutefois se développer « organiquement » que si des objectifs et des projets communs sont élaborés, dont tous les peuples européens peuvent profiter – pas seulement les classes dirigeantes, pas seulement les secteurs de l’économie orientés vers l’exportation, pas seulement l’appareil bureaucratique.

    Dans les conditions actuelles de l’UE, cela ne sera pas réalisable, ne serait-ce que parce que les couches sociales supérieures des différents pays profitent des disparités actuelles en leur sein.

    La solidarité patriotique à l’échelle européenne à laquelle il faut aspirer – la dimension sociale de l’européanité positive – exige donc de reconnaître que la fracture principale n’est pas celle qui existe entre les peuples européens. Mais celle qui sépare les besoins sociaux et identitaires des peuples, d’une part, et les besoins du capital, souvent transnational, et de ses mandataires politiques, d’autre part.

    Ces fractions du capital et leurs collaborateurs ont pour objectif idéologique de créer un « One World », et pour objectif économique la maximisation de leurs profits.

    Pour une politique patriotique et solidaire sur une base européenne, il s’agit au contraire de préserver les peuples autochtones. Pour ces derniers, il s’agit de trouver une forme d’unité dans la diversité proprement européenne, dans laquelle les différentes forces sociales et économiques de chaque région et de chaque nation sont rassemblées, et les faiblesses ainsi atténuées.

    La vision du monde à venir se réclame donc de l’Europe, tout en critiquant les prémisses de l’Union européenne :

    • car notre Europe est plus qu’un simple ensemble de traités, plus que des frontières ouvertes, des marchés ouverts, des sociétés ouvertes;
    • une Europe qui n’oppose pas les régions, les nations et les peuples les uns aux autres, mais qui fait appel à une conscience commune ;
    • c’est une Europe qui protège ses cultures et ses peuples divers, qui ne les dissout pas ; une Europe qui n’a donc pas besoin de la prétendue diversité imposée en son sein par l’UE, là où elle recèle une véritable diversité ; une Europe qui offre à ses citoyens la plus grande sécurité intérieure et sociale possible.
    • c’est une Europe qui parle d’une seule voix à l’extérieur, car cela exige autant de raison que d’émotion ;
    • une Europe solidaire, sûre d’elle-même et souveraine.

    Cette Europe serait différente de l’Europe telle que la conçoit aujourd’hui l’Union européenne.

    Qu’il s’agisse des migrations internes à l’Europe ou de la perte de la jeunesse diplômée des plus petits pays au profit des « nations industrielles » plus puissantes, ceux qui veulent stopper de telles évolutions pour le bien de tous, mais qui tiennent à une voie commune parce que faire cavalier seul est devenu anachronique…, ceux qui savent en outre que l’affirmation de soi des petites nations d’Europe centrale et orientale comme la Hongrie continue à être difficile, car les puissances financières de l’Occident peuvent les soumettre à un chantage économique et politique…, ceux qui reconnaissent cela ne peuvent pas passer à côté d’une approche paneuropéenne.

    Cette dernière pourrait développer une stratégie plus efficace en matière de migration, qui doit s’orienter vers l’intérêt de l’autosuffisance des peuples et prendre en compte le fait que – malgré toute l’hétérogénéité du continent – une certaine harmonisation socio-économique des conditions de vie devrait aussi progressivement s’affirmer comme le cœur de la question sociale.

    Il y a exactement trois décennies, le penseur conservateur Rolf Peter Sieferle osait prédire dans son livre Epochenwechsel (1994) que « l’État social n’aurait d’avenir que dans une Europe unie et une Europe unie que dans un État social » :

    « Un futur État social européen pourrait s’imposer comme une vision forte, dans laquelle la tradition continentale de la “primauté du politique” s’allierait aux intérêts élémentaires de la majorité de la population. […] Un État social européen offrirait certainement des perspectives plus favorables que ne le peuvent les vieux États-nations. »

    Un penseur des grandes époques historiques tel que Sieferle conçoit cette idée d’une Europe solidaire et patriotique sur le temps long. Elle devrait servir de feuille de route pour les futures discussions sur l’Europe.

    Elle est le premier pas sur la voie de la renaissance continentale qui, pour s’épanouir durablement, « a besoin d’une idée européenne très différente de celle qui anime aujourd’hui les institutions européennes ».

    David Engels, déjà cité, a ainsi esquissé l’une des tâches urgentes de la vision du monde à élaborer. Celle-ci sera solidaire, patriotique et européenne ! Ou bien l’annihilation face au rouleau compresseur du mondialisme sera inévitable, tôt – comme en Europe occidentale – ou tard – comme en Europe centrale et orientale.

    Mais alors, la formule de Moeller van den Bruck : « … et nous serons Européens », sera également défaite. Nous serions ainsi condamnés au rôle de citoyens du monde dépourvus d’identité. Et c’est précisément ce que nous ne voulons pas. Nous nous y opposons – vous vous y opposez. Nous ferons face ensemble.

    Salutations cordiales à Paris !

    Benedikt Kaiser (Institut Iliade, 6 avril 2024)

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  • Pologne : un deux poids, deux mesures assumé par nos médias...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous l'analyse par l'Observatoire du journalisme du traitement par les médias du muselage progressif des médias de droite en Pologne par le gouvernement autoritaire de Donald Tusk...

     

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    Pologne : un deux poids, deux mesures assumé par nos médias

    En Pologne, le journal d’extrême-centre Gazeta Wyborcza qui coche toutes les cases de la bien-pensance (pro-UE, pro-immigration, pro-LGBT, etc.) faisait pleurnicher dans les chaumières des équipes de rédaction des grands médias français quand le gouvernement du PiS, issu des élections de l’automne 2015, lui avait retiré la manne des annonces de l’État et des sociétés publiques. Son cas était avancé comme un exemple des supposées attaques du gouvernement conservateurs contre le pluralisme médiatique en Pologne.

     

    L’extrême-centre polonais persécute les médias conservateurs

    Aucun de ces médias ne vient aujourd’hui pleurer sur le sort des journaux de droite auxquels le nouveau gouvernement Tusk retire aujourd’hui de la même manière la manne des annonces publicitaires de l’État et des sociétés publiques. Pas plus qu’ils ne s’offusquaient quand ces mêmes médias de droite étaient déjà privés de publicités sous les gouvernements précédents de Donald Tusk. Et aucun d’entre eux ne s’offusque non plus de la campagne menée en ce moment par Gazeta Wyborcza pour exiger des annonceurs qu’ils retirent leurs publicités de la télévision privée TV Republika. Seule chaîne d’information de droite restant en Pologne, TV Republika a récupéré une large partie des téléspectateurs de la chaîne d’info en continue publique, TVP Info, après la reprise en main musclée des médias publics polonais par le gouvernement de Donald Tusk.

    Le parti-pris des grands médias français n’est plus à prouver, mais les événements en Pologne nous en donnent un exemple flagrant et nous montrent bien ce que valait toute la rhétorique sur les atteintes à l’État de droit et aux valeurs démocratiques en Pologne jusqu’à décembre dernier et en Hongrie jusqu’à aujourd’hui.

    Janvier 2016/janvier 2024, changement de ton

    Alors que la prise de contrôle des médias publics par le PiS en janvier 2016, en passant par une loi votée au parlement, avait suscité une levée de boucliers à Bruxelles et le début des critiques des médias français contre ces vilains « populistes de droite », la prise de contrôle des mêmes médias par le gouvernement de Donald Tusk en violant la loi en vigueur et en utilisant la force, avec l’aide d’agences de sécurité privées recrutées pour l’occasion, suscite des commentaires beaucoup plus compréhensifs. Et cela même si la cour constitutionnelle polonaise a mis en avant la violation de la Constitution que représentait cette prise de contrôle des médias publics et même si les tribunaux chargés de la tenue du registre des sociétés en Pologne ont refusé d’inscrire à ce registre les nouveaux dirigeants nommés par le ministre de la Culture, du fait du caractère illégal et inconstitutionnel flagrant de ces nominations.

    Le Figaro au diapason de l’extrême-centre

    Ainsi, pour Le Figaro, « quinze jours après son retour à la tête du gouvernement polonais en décembre dernier, qui mettait fin à huit ans de pouvoir aux mains des populistes conservateurs du parti Droit et justice (PiS), Donald Tusk s’en était pris de façon spectaculaire aux médias publics polonais qu’il accusait d’être à la solde du gouvernement déchu. Ce sont désormais les juges du Tribunal constitutionnel polonais qui s’en mêlent, jugeant cette réforme des médias publics «illégale» — ces juges étant eux-mêmes soupçonnés par l’Union européenne d’être sous l’influence du PiS. »

    On remarque que le mot « illégale » est mis entre guillemets et la légitimité du Tribunal constitutionnel polonais est mise en doute (« soupçonné d’être sous l’influence du PiS »). On lit d’ailleurs plus loin dans le même article : « En réalité, le Tribunal constitutionnel lui-même est perçu par les pro-européens et adversaires du PiS comme une instance sous l’influence de l’ancien pouvoir populiste. »

    En 2016, les mêmes médias n’avaient pas remarqué que, après huit ans de gouvernements de la Plateforme civique de Donald Tusk, le Tribunal constitutionnel était sous l’influence de l’ancien pouvoir libéral. Forcément, les juges de ce tribunal sont chacun élu pour neuf ans à la majorité simple de la chambre basse du parlement, et donc une majorité qui se maintient au pouvoir pendant huit ans a une majorité de juges de son bord au Tribunal constitutionnel. Est-ce si étonnant et si scandaleux que cela ? Le Figaro n’est-il pas au courant du mode de nomination des « sages » du Conseil constitutionnel en France ainsi que de sa composition actuelle ?

    « Après les médias publics, c’est donc aux juges constitutionnels que Donald Tusk devra s’attaquer s’il veut poursuivre sa reprise en main du pays », nous dit Le Figaro. On l’imagine donc écrire sur le même ton approbateur, si jamais Marine Le Pen et le Rassemblement national remportent les prochaines élections présidentielles et législatives en France, « après les médias publics, c’est donc aux juges constitutionnels que Marine Le Pen devra s’attaquer si elle veut poursuivre sa reprise en main du pays ».

    Manifestation de protestation sous-estimée

    Et quand des dizaines de milliers de Polonais ont manifesté à Varsovie contre la méthode utilisée pour prendre le contrôle des médias publics, mais aussi pour le pluralisme médiatique (largement amoindri à la télé par le passage forcé des médias publics dans le camp gaucho-libéral) et la remise en liberté de deux députés du PiS (dont le vice-président du parti) arrêtés en violation d’une décision de la Cour suprême (cour de cassation) polonaise qui invalidait l’extinction de leur mandat de député par le président de la Diète, et donc maintenait leur immunité parlementaire, Le Figaro titrait : « Pologne : l’opposition manifeste à Varsovie contre les réformes de l’administration pro-UE ». Et il évoquait des milliers de manifestants là où ils étaient de toute évidence des dizaines de milliers.

    Un relais d’Adam Bodnar issu de la galaxie Soros

    Le Figaro, toujours, avait relayé les avertissements du Médiateur polonais des droits civiques, Adam Bodnar, dans un article de mai 2021 intitulé « La Pologne vire à l’État ‘non démocratique’ prévient son Médiateur des droits. » Adam Bodnar est un militant de gauche, pro-LGBT, ce qu’il a prouvé en tant que médiateur des droits nommé par la majorité libérale sortante juste avant les élections de 2015. Auparavant, il était à la tête de la Fondation Helsinki des droits de l’homme, une ONG financée, entre autres, par l’Open Society Foundations de George Soros. Comme les autres grands journaux français, Le Figaro ne dit toutefois pas mot de la grave crise de l’État de droit déclenchée par le ministre de la Justice Adam Bodnar, en poste depuis le 13 décembre, quand il a décidé à la mi-janvier de limoger le procureur national sans demander son avis au président de la République Andrzej Duda, issu du PiS. La loi polonaise régissant les rapports du ministre de la Justice avec le parquet exige l’aval du président pour le limogeage du procureur national et l’aval du procureur national pour le limogeage des procureurs des niveaux inférieurs. Qu’à cela ne tienne, le ministre de Donald Tusk a d’abord exigé que lui soient confié toutes les enquêtes qui venaient d’être ouvertes par le parquet sur les agissements du ministre de la Culture vis-à-vis des médias publics avant de remplacer le procureur national et de limoger les procureurs par dizaines sans se soucier de la loi.

    La coalition dirigée par Donald Tusk sait qu’elle n’a pas la majorité des trois cinquièmes nécessaires pour renverser un éventuel veto du président Duda et elle ne perd donc pas son temps à voter des lois. Mais du coup, en termes de violations de l’État de droit, entre la prise de contrôle des médias, l’arrestation de deux députés du PiS et la prise de contrôle du parquet, le gouvernement de Donald Tusk est sans conteste allé beaucoup plus loin en un mois que le PiS en huit ans de pouvoir.

    Libération et Le Monde d’accord avec l’extrême centre liberticide

    « De fait, depuis l’intronisation du nouveau gouvernement en décembre, la Pologne vit une crise institutionnelle », explique gentiment Libération.

    « Un nouveau paroxysme a été atteint ce mardi 9 janvier. La police a fait irruption dans le palais présidentiel pour arrêter Mariusz Kamiński et Maciej Wąsik, deux anciens ministres du PiS, qui avaient tenté d’y trouver refuge pour éviter d’être conduits en prison où ils doivent purger une peine de deux ans pour abus de pouvoir. L’épisode a mis en lumière la concurrence de légitimité entre les institutions toujours aux mains de fidèles du PiS et celles loyales au nouveau gouvernement, ou en tout cas à l’État de droit. »

    En 2016, de nombreuses institutions étaient toujours aux mains des fidèles des libéraux et cela ne choquait personne. C’est assez normal dans une démocratie qu’il faille gagner plusieurs élections de suite pour étendre progressivement son contrôle sur les institutions et c’est aussi le cas en France. Il n’y a qu’à voir l’influence des socialistes sur nos institutions françaises alors qu’ils ne représentent plus rien électoralement. Mais quand ce sont les conservateurs qui perdent des élections, il faudrait apparemment purger immédiatement toutes les institutions au nom du rétablissement de la démocratie et de l’État de droit, y compris en violant les lois et la constitution.

    Dans un « décryptage » publié le 31 janvier, Le Monde, explique justement à ses lecteurs que « le premier ministre polonais, Donald Tusk, s’emploie à rétablir l’État de droit depuis son arrivée à la tête du gouvernement, en décembre 2023. Un combat de tous les jours dans ce pays où le parti nationaliste populiste Droit et justice (PiS), au pouvoir durant huit ans, continue de disposer de solides relais. » Et Le Monde nous explique cela sous un titre plutôt inquiétant pour la démocratie : « La Pologne refait sa révolution, trente-cinq ans après sa sortie du communisme. »

    Le journal cite plus loin « Adam Michnik, qui joua un rôle de premier plan dans l’élaboration de la feuille de route de 1989 et observe, à 77 ans, cette deuxième transition inédite depuis son bureau débordant de livres au siège de Gazeta Wyborcza, le journal qu’il a fondé, en mai 1989, pour faire tomber le communisme » (en fait Michnik ne l’a pas fondé, mais en a rapidement pris le contrôle à la chute du communisme en roulant dans la farine le syndicat Solidarność, qui en était propriétaire à l’origine).

    Rares auront donc été, dans les médias français, les articles critiques des manières de Donald Tusk et de sa coalition des libéraux, du centre et de la gauche.

    Observatoire du journalisme (OJIM, 3 avril 2024)

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