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Points de vue

  • La défaite intellectuelle des écologistes français...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Balbino Katz, le chroniqueur des vents et des marées, cueilli sur Polémia et consacré à l'échec intellectuel de l'écologie politique française...

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    La défaite intellectuelle des écologistes français

    La publication simultanée de trois ouvrages, Gagnons ! de Cécile Duflot, Climat, la drôle de guerre de Yannick Jadot et Gagner le combat du Pacte vert de Pascal Canfin, offre un matériau précieux pour comprendre l’état réel de l’écologie politique française. Ces textes, qui se veulent réflexifs, stratégiques ou mobilisateurs, convergent pourtant dans une même incapacité à saisir les raisons profondes de leur propre discrédit. Ils décrivent des symptômes, jamais le diagnostic. Ils parlent d’un monde qu’ils voient mais qu’ils ne comprennent plus.

    L’être humain comme sujet à corriger

    Ce qui frappe dans ces trois livres n’est pas leur diversité, mais leur homogénéité doctrinale. Tous reposent sur un même postulat : l’être humain n’est pas un organisme inscrit dans un milieu, mais un sujet moral défaillant que l’on doit corriger. Dans Gagnons !, Cécile Duflot ne conçoit la nature que comme légitimation symbolique d’un programme de transformation sociale. Dans Climat, la drôle de guerre, Jadot interprète les résistances populaires comme une forme de renoncement psychologique. Dans Gagner le combat du Pacte vert, Canfin dilue entièrement le vivant dans un dispositif procédural de normes et de gouvernance. Aucun des trois ne considère l’écologie comme science des milieux et des limites. Tous la réduisent à une éthique prescriptive.

    Ces ouvrages ont un autre trait commun : ils constatent une défiance massive du public sans jamais envisager qu’elle puisse être rationnelle. Duflot évoque des divisions internes, Jadot une « peur », Canfin une « polarisation », mais aucun ne pose la question centrale, celle de la contradiction structurelle entre leurs prescriptions et le fonctionnement réel des sociétés humaines. Ils exigent des individus une contraction de leurs modes de vie tout en refusant de penser la dynamique démographique, la territorialité, les continuités culturelles ou les limites énergétiques. Cette disjonction entre les normes proposées et les conditions d’existence des peuples constitue pourtant le cœur du rejet qu’ils décrivent.

    Effacement du vivant et vision eschatologique

    Les trois livres témoignent aussi d’un effacement du vivant en tant qu’objet empirique. La démographie disparaît. Les territoires sont traités comme variables d’ajustement. Les métiers liés à la nature – agriculture, pêche, forêt – ne sont évoqués qu’au prisme de leur « transformation » imposée. Le vivant est omniprésent comme métaphore, absent comme réalité biologique. Cette substitution du réel par un imaginaire normatif illustre ce que Spengler aurait nommé le moment tardif des cultures, lorsque les systèmes symboliques prétendent remplacer les formes de vie.

    Enfin, ces textes reconduisent une vision eschatologique du politique. Le climat devient un théâtre moral, le peuple un acteur coupable, l’histoire un processus de purification. Cette théologie laïcisée conduit à une perte de contact avec les sociétés concrètes. Ni Duflot, ni Jadot, ni Canfin ne considèrent les peuples comme des entités vivantes structurées par des héritages, des loyautés, des rythmes. Ils les envisagent comme populations à réassigner. Cette méconnaissance anthropologique est au fondement de leur crise.

    Le paradoxe est que cette triple faillite intellectuelle intervient au moment même où la question écologique, réelle, exige une pensée plus rigoureuse et mieux ancrée dans la biologie, la géographie humaine et l’histoire. L’effondrement de l’écologie politique que documentent involontairement ces trois ouvrages ouvre peut-être la voie à une écologie du vivant, non de la culpabilité. Une écologie capable de penser les limites, les milieux, les formes de vie. Une écologie qui prenne l’homme pour ce qu’il est, un être vivant, non un projet moral.

    Les livres de Duflot, Jadot et Canfin témoignent moins d’une refondation que de la fin d’un cycle. L’écologie politique se défait parce qu’elle a oublié la nature en prétendant la sauver.

    Balbino Katz (Polémia, 5 décembre 2025)

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  • Europe : quand la gauche criminalise l’histoire conservatrice...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous la chronique de David Engels sur Ligne droite, la matinale de Radio Courtoisie, datée du 8 décembre 2025 et consacrée à l'éradication hystérique des traces culturelles du IIIe Reich dans les bibliothèques...

    Historien, essayiste, enseignant chercheur à l'Instytut Zachodni à Poznan, à l'Institut Catholique de Vendée ainsi qu'au Mathias Corvinus Collegium de Bruxelles, David Engels est l'auteur de trois essais traduits en français, Le Déclin - La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013), Que faire ? - Vivre avec le déclin de l'Europe (La Nouvelle Librairie, 2024) et, dernièrement, Défendre l'Europe civilisationnelle - Petit traité d'hespérialisme (Salvator, 2024). Il a  également dirigé deux ouvrages collectifs, Renovatio Europae - Plaidoyer pour un renouveau hespérialiste de l'Europe (Cerf, 2020) et Aurë entuluva! (Renovamen-Verlag, 2023), en allemand, consacré à l’œuvre de Tolkien.

     

                                           

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  • La trêve, la moins mauvaise des options pour l’Ukraine ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Renaud Girard cueilli sur Geopragma et consacré aux tractations autour d'une paix (ou d'une trêve) en Ukraine. Grand reporter au Figaro, Renaud Girard est membre du comité d'orientation stratégique de Geopragma.

     

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    La trêve, la moins mauvaise des options pour l’Ukraine

    Le plan Trump pour la paix en Ukraine du 23 novembre propose une trêve susceptible d’ouvrir la voie à la paix, à condition que le pouvoir ukrainien obtienne des garanties de sécurité.

    Le plan Trump pour la paix en Ukraine, tel qu’il a été amendé lors des discussions américano-ukrainiennes du 23 novembre 2025 à Genève, doit être pris très au sérieux. Il représente une chance historique d’arrêter le massacre entre chrétiens slaves orthodoxes, commencé en février 2022 par l’agression de la Russie contre son voisin ukrainien. La trêve que ce plan propose – la paix ne viendra qu’après des années, voire des décennies de diplomatie – est de loin la moins mauvaise des options, pour les Russes, comme pour les Ukrainiens.

    Combien de jeunes Russes et Ukrainiens, jadis frères au sein de l’Union soviétique, ont-ils perdu la vie après le passage à l’acte irrationnel de Vladimir Poutine ? Un demi-million ? Davantage ? Je dis irrationnel car cette agression, outre ses enfants morts, a coûté à la Russie quatre atouts qui étaient très importants à ses yeux : l’influence importante qu’elle avait en Ukraine ; un commerce très profitable avec l’Union européenne ; une économie prospère prête à développer l’immense Sibérie ; une Otan en « mort cérébrale » à ses frontières.

    Le but stratégique de Vladimir Poutine était de faire de l’Ukraine un pays soumis à Moscou, un peu comme l’est la Biélorussie. Le président russe a échoué ; il n’a pas pris Kiev en une semaine ; il a seulement renforcé la combativité des Ukrainiens, ainsi que leur goût pour la liberté, l’indépendance, l’ouverture à l’Europe. Vladimir Poutine devrait se rendre compte qu’il peut continuer à faire souffrir l’Ukraine par sa guerre d’usure (où la Russie perd progressivement ses infrastructures pétrolières), mais qu’il ne parviendra jamais à la soumettre.

    Une «opération militaire spéciale»

    Si l’on se met dans les chaussures d’un président russe rationnel, on s’aperçoit qu’il aurait intérêt aujourd’hui à accepter l’offre américaine inespérée que lui fait le président Trump, à savoir le cessez-le-feu sur la ligne de contact actuel, la levée des sanctions, l’amnistie de tous les crimes commis, le retour de la Russie sur tous les marchés pétroliers et gaziers, l’édification de projets miniers et énergétiques communs entre la Russie et les États-Unis.

    En forçant un peu sur la propagande, comme il sait très bien le faire, Poutine a les moyens de présenter à son peuple son « opération militaire spéciale » de février 2022 comme une nécessité passée et un succès présent. Il est faux de dire que Poutine ne peut pas arrêter les hostilités car il perdrait la face devant la nation russe. Sauver la face devant son peuple ne lui serait pas très difficile : il peut dire avoir protégé les russophones et russophiles du Donbass, avoir fait de la mer d’Azov une mer russe, avoir arrêté l’expansion de l’Otan vers l’est. Il peut, en outre, présenter un avenir radieux à son peuple, fait d’une exploitation commune de l’Arctique avec les Américains et de la Sibérie avec les Chinois.

    La trêve est la moins mauvaise des options pour Poutine car l’actuel grignotage du territoire ukrainien par son armée lui coûte très cher et est particulièrement lent. Les Ukrainiens, passés maîtres dans le combat moderne par drones, savent très bien se défendre. Les experts militaires considèrent que la défense est trois fois moins coûteuse en hommes que l’offensive dans une guerre telle que celle d’Ukraine. Au regard des gains territoriaux conquis par Poutine sur l’Ukraine en 2025, il lui faudrait un demi-siècle pour conquérir l’intégralité du pays.

    Pour les Ukrainiens, la trêve proposée par le plan Trump est aussi la moins mauvaise des options. Zelensky a lui-même avoué que son peuple était las de la guerre. Les jeunes générations fuient le pays. Où est la relève, quand on sait que plus de 600.000 jeunes hommes ukrainiens en âge de combattre vivent à l’étranger et n’envisagent pas de revenir au pays faire leur devoir patriotique ? Vu ce qu’elle coûterait en hommes, la reconquête militaire des territoires ukrainiens pris par les Russes depuis 2014 n’est pas envisageable.

    Crier victoire et sauver la face

    La trêve offrirait une stratégie de paix fructueuse au pouvoir de l’Ukraine, à la condition que Kiev obtienne les garanties de sécurité qu’elle réclame légitimement. Exploitation des terres rares avec les investisseurs américains. Lutte contre la corruption, qui est le fléau de toujours du pays. Édification d’institutions publiques fiables, permettant une accélération du processus d’entrée dans l’Union européenne. Zelensky pourrait, lui aussi, crier victoire et sauver la face : il a résisté à l’une des plus fantastiques armées du monde pendant près de quatre ans, il a sauvegardé la liberté et l’indépendance de son pays. Ce n’est pas rien !

    Certes, on peut reprocher au plan Trump de bafouer la justice. Il est vrai qu’on ne verra pas la Russie rendre les territoires qu’elle a conquis par la force, livrer ses criminels de guerre à la CPI, verser des dommages de guerre à l’Ukraine. Mais c’est un idéal qu’il est totalement irréaliste d’attendre. La vérité est qu’il n’y a de justice internationale possible que lorsqu’un camp est clairement le vainqueur. Ce fut, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le cas des procès de Nuremberg et de Tokyo. Ce fut aussi le cas du Tribunal pénal international pour le Rwanda.

    Mais quand des crimes de guerre sont commis par une puissance non défaite dans un conflit, ils n’ont aucune chance d’être jugés. L’invasion illégale de l’Irak en 2003 a provoqué des centaines de milliers de morts et un chaos toujours présent en Mésopotamie. George W. Bush et Donald Rumsfeld ont-ils été présentés à des juges ?

    Il est indéniable que le plan Trump malmène fortement le droit international et la justice internationale. Mais il serait encore plus immoral de laisser se poursuivre le massacre sous prétexte de justice. Quelle serait la valeur d’une justice qui laisserait mourir demain des dizaines de milliers de jeunes gens pour la seule satisfaction potentielle de condamner un jour des dizaines de criminels de guerre ? Dans les relations internationales, la justice est évidemment une belle chose. Mais elle est rarement préférable à la paix.

    Renaud Girard (Geopragma, 2 décembre 2025)

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  • La “progéniture monstrueuse”: brève histoire de l’intérêt...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Andrea Falco Profili cueilli sur le site d'Euro-Synergies et consacré à la question du prêt à intérêt . Ce texte a été publié initialement sur le site du GRECE Italie.

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    La “progéniture monstrueuse”: brève histoire de l’intérêt

    Aristote la qualifia de “commerce le plus haï”, une activité contre nature où l’argent, par essence stérile, se reproduisait de façon monstrueuse par lui-même. Pendant des millénaires, l’acte de prêter avec intérêt a été un tabou moral, repoussant et inacceptable. Dans le folklore médiéval, les démons remplissaient la bouche du prêteur décédé de pièces brûlantes, une punition jugée appropriée pour un abomination telle que l’usure. Le monde antique, en effet, connaissait bien la puissance socialement destructrice de la dette : il avait conçu à cet effet un mécanisme de suppression, l’institution du Jubilé. Une année sacrée, qui servait de réinitialisation légale où les terres revenaient à leurs anciens propriétaires et, surtout, où la libération de l’esclavage de la dette était proclamée. C’était la tentative ultime de freiner une pratique odieuse.

    Ces échos d’une ancienne répugnance morale ont été, depuis, enfouis par l’histoire. La longue marche du crédit a transformé le péché capital en une pratique financière respectable. Mais, en se dotant de méthode, il faut retracer comment il a été possible d’en arriver là.

    Comme nous l’avons dit, dans le monde antique, l’intérêt était perçu comme un acte repoussant et inacceptable, on parlait de faire “enfanter” l’argent, un acte que Aristote, dans le premier livre de La Politique, condamne immédiatement, déclarant la stérilité de l’argent. L’usurier, en faisant “accoucher” des pièces de monnaie à partir d’autres pièces, crée une progéniture artificielle, un tokos (qui signifie aussi “rejeton” en grec), qui est une monstruosité. La pratique du prêt était considérée odieuse car elle constituait le principal instrument de soumission. Dans le monde grec-romain et au Proche-Orient, un paysan dont la récolte tournait mal était contraint de grever sa terre, puis ses outils, puis ses enfants, et enfin lui-même. C’était la réalité du crédit: l’esclavage pour dettes. Des populations entières étaient dépossédées et asservies non par une armée envahissante, mais par un registre comptable. Le créancier voyait sa richesse croître non par le travail, mais par la désolation d’autrui. C’était un système qui dévorait la société de l’intérieur, concentrant la terre et le pouvoir entre les mains d’une oligarchie, tandis que la masse de la population sombrait dans une servitude permanente.

    La dette accumulée, laissée à elle-même, devient une entropie sociale et se concentre jusqu’à détruire le tissu même de la communauté, créant une fracture irrémédiable entre créanciers et débiteurs. Cette répulsion ne se limita pas au paganisme philosophique ou à la culture catholique. Elle fut universelle, si bien que l’Église chrétienne primitive, suivant les Évangiles (“Prêtez sans espérer rien en retour”), fut implacable. Les pères de l’Église, à partir de Saint Thomas d’Aquin, furent unanimes dans leur condamnation de l’usure comme péché mortel, défini comme un vol sans demi-mesure. Faire payer pour l’usage de l’argent, disait Thomas, c’était faire payer pour le temps. Les conciles ecclésiastiques interdisaient aux usuriers de recevoir les sacrements et même la sépulture en terre consacrée. L’Islam, dans le Coran, est peut-être encore plus clair, en comparant l’usurier à celui qui est “touché par Satan” car il déclare littéralement la guerre à Dieu et à son prophète en poursuivant cette pratique.

    Pendant plus de deux mille ans, les trois grandes traditions intellectuelles et morales d’Europe et du Proche-Orient – la philosophie grecque, la loi chrétienne et la loi islamique – s’accordaient sur la malignité absolue de l’usure, avec une voix unanime.

    La question est alors la suivante:  comment a-t-il été possible d’arriver à la situation actuelle, comment un paria moral a-t-il pu s’intégrer dans l’administration courante en dissimulant son passé de pratique répugnante. Il s’agit en effet d’un chef-d’œuvre de sophistique, d’un lent lavage de cerveau collectif qui a duré des siècles, a commencé par de petits détails et des jeux terminologiques. Les théologiens et juristes  du bas moyen-âge commencèrent à creuser des fissures dans le mur, en postulant les droits du prêteur d’argent. Si le créancier subissait un dommage, ou perdait une opportunité de gain, il devenait opportun et justifiable qu’il reçoive une compensation, un “intérêt”. Le terme même d'“intérêt” fut choisi délibérément pour s’éloigner du mot “usure”, lequel était chargé de haine. Par la suite, furent créés les Monts de Piété, officiellement nés pour lutter contre l’usure, qui étaient des institutions franciscaines prêtant de l’argent aux pauvres en demandant en échange seulement un petit intérêt, juste suffisant à couvrir les coûts opérationnels. Cela semblait charitable, mais le tabou avait été brisé et, pour la première fois, une institution chrétienne légitimait l’intérêt. La digue avait cédé.

    Le coup de grâce arriva avec la Réforme protestante. En plus de Luther, c’est Jean Calvin qui fournit la justification théologique que le capitalisme naissant attendait. Calvin distingua entre le prêt au pauvre (qui constituait encore un péché) et le prêt à l’entrepreneur, arguant que l’intérêt était le gain légitime de celui qui permettait à un autre homme de tirer du profit en lançant une activité. À partir de ce moment, les coordonnées de l’argent dans la société changèrent irrémédiablement : on ne parle plus d’argent stérile mais de capital, et l’usurier, parasite, changea de nom pour devenir l'“investisseur”, devenant un partenaire dans le progrès.

    Depuis ce moment, la marche du crédit fut inarrêtable. Les Lumières ont sécularisé le sujet (Bentham, Adam Smith), liquidant les anciennes interdictions désormais considérées comme relevant de superstitions médiévales qui entravaient le libre marché. Les banques, autrefois activités marginales et honteuses, sont devenues les temples de la nouvelle économie. Aujourd’hui, le système que les Européens d’autrefois voyaient comme un cancer social est désormais le système circulatoire en place. La re-signification a permis de remplacer la peur de la dette par celle de ne pas en avoir assez (on parle maintenant de “mauvais crédit”). Les gouvernements ne cherchent pas à effacer les dettes, mais s’endettent pour payer les intérêts sur les dettes précédentes. Même l’institution du Jubilé ne survit que dans son sens spirituel dans un catholicisme en déclin, tandis que sa valeur économique et sociale est oubliée et ridiculisée comme une impossibilité économique. En revanche, il existe son opposé : le sauvetage (bailout), où les dettes faillies des puissants ne sont pas effacées, mais transférées sur le dos du public. L’apothéose de cette transformation est survenue avec la crise financière de 2008. Quand le château de cartes construit sur les prêts hypothécaires s’effondra, on a pu s'attendre à un retour à la santé. Au contraire, ce fut la victoire définitive de la logique de la dette. Les sauvetages bancaires dans le monde atteignirent des chiffres astronomiques. Ce ne furent pas les dettes des désespérés qui furent effacées, mais celles des requins financiers qui furent socialisées. Les spéculateurs qui avaient parié et perdu furent sauvés par l’argent public, tandis que des millions de familles perdirent leurs maisons. On choisit de récompenser ceux qui avaient créé la catastrophe, ceux qui en subirent les conséquences découvrirent vite le sens du mot “austérité”.

    Le cercle est bouclé, la “progéniture monstrueuse” d’Aristote s’est tellement multipliée qu’elle a dévoré ses propres parents. Et le monde, sans même s’en rendre compte, est devenu son enfant adoptif.

    Andrea Falco Profili (Euro-Synergies, 28 novembre 2025)

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  • Giessen : quand une ville allemande bascule en zone insurrectionnelle...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous la chronique de David Engels sur Ligne droite, la matinale de Radio Courtoisie, datée du 1er décembre 2025 et consacrée aux violences insurrectionnelles organisées pendant plusieurs jours à Giessen par la mouvance Antifa pour s'opposer à la tenue du congrès de l'AfD destiné à marquer la fondation de son nouveau mouvement de jeunesse "Generation Deutschland". Les prémisses d'un basculement dans une guerre civile larvée ?...

    Historien, essayiste, enseignant chercheur à l'Instytut Zachodni à Poznan, à l'Institut Catholique de Vendée ainsi qu'au Mathias Corvinus Collegium de Bruxelles, David Engels est l'auteur de trois essais traduits en français, Le Déclin - La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013), Que faire ? - Vivre avec le déclin de l'Europe (La Nouvelle Librairie, 2024) et, dernièrement, Défendre l'Europe civilisationnelle - Petit traité d'hespérialisme (Salvator, 2024). Il a  également dirigé deux ouvrages collectifs, Renovatio Europae - Plaidoyer pour un renouveau hespérialiste de l'Europe (Cerf, 2020) et Aurë entuluva! (Renovamen-Verlag, 2023), en allemand, consacré à l’œuvre de Tolkien.

     

                                               

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  • L’Assemblée nationale ou la fin du politique...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un point de vue de Charles Marcellin, cueilli sur le Journal de l'économie et consacré à la démagogie du court terme qui s'est emparée des partis politiques...

     

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    L’Assemblée nationale ou la fin du politique : quand la loi devient un message

    La loi n’est plus un cadre, c’est un message. L’Assemblée nationale a transformé l’outil législatif en instrument de communication, votant non pour gouverner mais pour « envoyer un signal ». Dans cette démagogie du court terme, la politique s’efface devant la morale, l’émotion remplace la raison, et le gouvernement du temps long disparaît.

     

    I. La démagogie du court terme

    Il fut un temps où gouverner signifiait prévoir. Aujourd’hui, gouverner consiste à réagir. L’Assemblée nationale n’est plus le lieu du débat réfléchi, mais celui de la démagogie immédiate. Elle ne légifère plus au nom du bien commun, mais sous l’emprise de l’émotion collective. Or, l’émotion est par essence court-termiste : elle s’enflamme, s’épuise, puis se déplace. Nietzsche voyait déjà dans cette emprise des instincts la marque du déclin de la pensée : lorsque les affects guident la raison, la politique devient théâtre. C’est ainsi qu’à chaque fait divers, à chaque tension médiatique, la machine législative s’emballe. Les députés multiplient les amendements pour répondre à la colère, la peur ou la compassion. Le dernier exemple en date, l’impôt sur la fortune improductive, en est une illustration saisissante : un amendement improvisé, voté à la hâte, corrigé à la volée, sans étude d’impact, sans réflexion sur ses effets de bord. La loi n’est plus le fruit de la délibération, mais celui de la pulsion morale. Et dans ce vacarme démocratique, la rationalité se perd. La démagogie ne gouverne pas, elle séduit. Elle flatte les bas instincts du peuple, envie, ressentiment, colère, au lieu de les élever. Là où la politique devrait penser le long terme, la démagogie s’englue dans l’instant. Elle se nourrit de visibilité, d’indignation et de tweets. Elle promet la justice immédiate, fût-ce au prix de l’injustice durable.

     

    II. L’irresponsabilité et l’incompétence comme système

    Cette emprise du court terme a produit une triple dérive : l’irresponsabilité, l’inconséquence et l’incompétence. L’irresponsabilité d’abord, car plus personne ne rend de comptes. Les députés votent à la va-vite des lois qu’ils n’ont pas lues jusqu’au bout, dont ils ne mesureront jamais les conséquences. Le vote devient un acte moral, non politique. On « envoie un message » à ses électeurs, à son parti, à l’opinion publique sans plus se soucier de l’efficacité du dispositif. La loi, devenue outil de communication, sert désormais à se donner bonne conscience plutôt qu’à servir le pays. Cette dérive entraîne une incompétence institutionnelle. Le prix Nobel d’économie disait récemment être « atterré par le niveau économique des parlementaires français ». Il n’a pas tort. Ce n’est pas tant un manque d’intelligence qu’un manque de travail. Les députés sont absorbés par la communication, les petites phrases, les postures, au lieu de se consacrer à la technicité des sujets. Une loi, pourtant, n’est pas un message. C’est un outil. Et un outil mal conçu finit toujours par blesser celui qui s’en sert. Le problème est structurel. Dans le privé, une décision stratégique fait l’objet d’études d’impact, de modélisations, de vérifications. On consulte, on chiffre, on évalue. Dans la sphère publique, on improvise. On décide sur un plateau télé, on amende à minuit, on vote à l’émotion. Cette absence de rigueur produit deux effets dévastateurs : des lois inefficaces, parfois dangereuses, et une inflation législative sans fin. La France légifère comme elle respire dans l’urgence, dans la confusion, dans la surenchère.

    III. La loi n’est pas un message

    La dérive est philosophique avant d’être politique. La loi a cessé d’être un cadre pour devenir une communication. Elle ne vise plus à organiser la société, mais à exprimer une émotion. Elle n’est plus conçue pour durer, mais pour être applaudie. Et cette confusion détruit la démocratie. Car la démocratie repose sur deux piliers : le pouvoir du peuple, et la responsabilité de ceux qui gouvernent en son nom. Lorsque la responsabilité disparaît, le pouvoir se vide de sens. La loi, dans sa vocation première, incarne le temps long. Elle doit être stable, prévisible, mesurée. Elle est la mémoire vivante de la nation, le socle sur lequel repose la confiance collective. Une loi votée dans l’émotion est une loi déjà morte : elle ne produit que de l’instabilité, de la défiance et du chaos. C’est ce que nous vivons aujourd’hui. L’absence d’étude d’impact, la précipitation des amendements, la confusion des débats traduisent une même pathologie : la perte du sens du temps. Il faudrait restaurer une forme de rationalité républicaine. Réintroduire le devoir d’étude, l’obligation d’évaluation, la culture du long terme. Imaginons que chaque projet de loi soit accompagné d’un double rapport : l’un à charge, l’autre à décharge, rédigés par un corps indépendant de fonctionnaires. Ce ne serait pas une contrainte bureaucratique, mais une exigence morale : celle de la lucidité.

    La démagogie du court terme a transformé la loi en slogan. Il faut la rendre à la raison, à la durée, à l’État. Car gouverner, c’est penser le temps long, résister à la foule, et préférer l’efficacité à la clameur. La République ne meurt pas de ses ennemis, mais de ses précipitations. Et le drame de notre époque, c’est que le Parlement a oublié que la sagesse est lente.

    Charles Marcellin (Journal de l'économie, 7 novembre 2025)

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