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Métapo infos - Page 10

  • Sur la démocratie et la figure du Démocrate...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Andrea Falco Profili, cueilli sur le site d'Euro-Synergies et consacré à ce qu'était véritablement la démocratie dans l'Antiquité grecque.

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    Isocrates

     

    Sur la démocratie et la figure du Démocrate

    Les mots, comme tout autre instrument, subissent l’usure du temps. À l’instar des outils, c’est précisément le passage de main en main qui accélère ce processus, en émoussant les arêtes et en affaiblissant la charge de la signification originelle, jusqu’à les rendre presque méconnaissables. Aucun mot n’a peut-être subi une usure plus radicale que « démocratie ».

    Aujourd’hui, ce terme est un récipient universel pour toute aspiration au bien ou – plus fréquemment – un synonyme paresseux de liberté, de tolérance et de droit. Évidemment, dans cette œuvre de sacralisation laïcisée, les Lumières ont joué un rôle de premier plan. Les régimes bourgeois qui s’opposaient à l’Ancien Régime, dans leur tentative de se doter d’une légitimation, ont cherché leurs racines vertueuses dans un passé idéalisé, construisant une généalogie qui, de l’Athènes classique, mènerait linéairement jusqu’aux palais de Bruxelles, Washington, Montecitorio ou de l’Élysée. Naturellement, l’opération est idéologique, comme le sont toutes les grandes entreprises de construction du mythe, mais ce n’est pas une raison pour accorder foi aux illusions auxquelles elle conduit en revendiquant une « identité démocratique ».

    La démocratie n’est pas un terme thaumaturgique capable de dissoudre les conflits. Une nécessaire opération philologique révèle que l’élément décisif de ce construit lexical, kratos, signifie puissance au sens de force efficace, parfois contrainte dans sa dimension la plus physique. Demos, sans kratos, reste une somme indistincte ; kratos, sans demos, devient pure domination. Les Grecs n’ignoraient pas la friction, car la démocratie athénienne fut un équilibre instable entre l’assemblée, les tribunaux, le tirage au sort et le commandement militaire.

    L’époque de Périclès démontre que l’hégémonie culturelle d’un leader n’abolissait pas les contrôles, mais la cité se reconnaissait, lors des moments décisifs, dans un guide capable d’imprimer une direction. Ce n’est pas un hasard si les détracteurs du gouvernement populaire appelaient le parti au pouvoir « démocratie » précisément pour signaler l’aspect coercitif du kratos, tandis que ce dernier préférait se désigner simplement comme « le demos ».

    D’où la première constatation essentielle: là où aujourd’hui on lit « gouvernance », les classiques écrivaient kratos. Vider le terme de sa substance « violente » revient à occulter que la décision comporte un risque, une forte responsabilité personnelle et – si besoin – le conflit. Dans les moments de bifurcation, la polis ne se sauve pas par la simple procédure, mais parce que quelqu’un concentre et dirige l’énergie commune. C’est précisément cela que la rhétorique contemporaine tend à éluder.

    Il est également intéressant de noter un terme d’usage classique qui a connu peu de fortune historique, demokrator. Dans la Grèce de l’époque romaine, «demokratía» peut signifier la domination sur la communauté: chez Appien, César et Pompée « luttent pour la demokratía » (ils ne briguent sûrement pas une élection) ; et un témoin tardif rapporte que Dion Cassius définissait Sylla comme demokrator. Il ne s’agit pas de la fonction technique du dictateur romain, mais d’un pouvoir personnel plein, accepté parce qu’efficace.

    Ainsi, l’opposition scolaire commode entre « démocratie » et « dictature » apparaît floue. La différence, pourtant, existe et reste cruciale: le dictateur romain est une magistrature extraordinaire et temporaire, déléguée par la loi pour résoudre une urgence. Le demokrator pourrait être défini comme un aboutissement, c’est la force collective qui se reconnaît dans un guide qui intègre – au lieu de suspendre – le tissu institutionnel, orchestrant le pluralisme sans le dissoudre. À l’époque moderne, ce dispositif réapparaît comme césarisme et, à une certaine époque, sous le nom de bonapartisme: gouvernement personnel qui naît d’une relation directe avec le corps civique et mesure sa légitimité à son efficacité.

    Mais pour revenir à Athènes, il est remarquable de rappeler que Thucydide anticipe en Périclès la figure du princeps: pour éviter l’accusation d’être un régime démocratique (horribile dictu), il rapporte qu’Athènes était « en paroles une démocratie, en fait un gouvernement du pròtos anèr (premier homme) ». Il s’agit donc d’une primauté personnelle acceptée, capable de rendre la légalité opérante et d’hégémoniser la majorité.

    L’image renverse le lieu commun de la démocratie athénienne comme principe des systèmes d’assemblée « redécouverts » à l’époque moderne, et montre au contraire un lien inconfortable avec l’institution romaine dont, dans l’histoire, le parcours de Bonaparte se serait voulu le continuateur: un compromis entre élites, corps et peuple, avec une direction qui sait aussi être impopulaire.

    Démocratie donc, n’équivaut pas à demo-archie: c’est l’opération de camouflage de la « force des nombreux » en « principe des nombreux ». Que la démocratie soit aussi une question d’indépendance matérielle est démontré par un épisode historique précis: en 89-87 av. J.-C., lorsque Athènes recouvre momentanément sa souveraineté, elle réactive des formes démocratiques. Indépendance et démocratie vont de pair parce que la citoyenneté est, avant tout, puissance en armes: sans autonomie, aucun kratos commun n’est possible.

    Ce n’est pas seulement un rappel gênant pour ceux qui identifient la démocratie à un sondage éternel, mais si dans l’esprit de certains cela ouvre la perspective d’un régime militaire traditionnellement opposé à Athènes comme celui de Sparte, cela n’est pas un hasard. Ce fut en effet l’Athénien Isocrate (statue, ci-dessus) qui définissait Sparte comme une « démocratie parfaite », pour avoir fait coïncider citoyenneté et puissance armée dans la figure des Spartiates: citoyens par droit du sang, armés et appelés à exercer une participation exclusive vis-à-vis de l’étranger.

    Pour donner consistance à la figure du demokrator, il s’agit de le définir comme celui qui reçoit un mandat à haute énergie et le restitue en œuvres, en définissant priorités et délais. En d’autres termes, un régime est démocratique non s’il exclut l’existence d’élites, mais s’il les requalifie, en passant d’élites de naissance à élites de fonction, dont le rang dépend de la capacité à rendre productive la force du peuple.

    Napoléon est un cas exemplaire, il n’a pas exercé un rôle dictatorial au sens romain, mais plutôt celui de directeur plébiscitaire: son administration, fondée sur un rapport immédiat avec la nation, sans abattre les corps intermédiaires mais en les réorganisant, atteste d’une trajectoire qui – avec les éventuelles ombres du cas – confirme le kratos comme un outil. La question, avant d’être institutionnelle, est aussi symbolique. L’histoire est un réservoir d’images et de rites civiques qui concentrent l’attention collective. Sans ce registre, la politique se réduit à une administration compliquée.

    Dans les moments décisifs, les communautés se rassemblent autour de figures qui séparent le tissu vivant des formes parasitaires: des interprètes capables de libérer des ressources contre les rentes et les appareils qui les drainent. C’est la manière dont le « sacré » civil canalise, sans mysticisme, l’énergie commune.

    Que l’acception réelle de la démocratie soit aujourd’hui aussi étrangère, sinon contradictoire, n’est pas sans raison: « démocratie » est un terme qui a eu trois siècles marginaux dans l’Antiquité, puis a disparu longtemps avant de ressurgir tardivement, jusqu’à la consécration post-1789; au vingtième siècle, souvent employé comme mot d’ordre contre les régimes illibéraux plutôt que comme définition institutionnelle.

    Revenir aux textes est un exercice nécessaire pour reconnaître les pulsions vitales de la politique, communément diabolisées dans la figure maléfique du « démagogue populiste » qui – observait Spengler – correspond à une phase de déclin des bureaucraties amorphes, destinées à s’effondrer dans le césarisme, qui ne vient pas éteindre la démocratie mais la revitaliser. Il ne s’agit pas d’invoquer l’homme providentiel, mais une grammaire qui lie décision et responsabilité, permettant au peuple de se reconnaître dans celui qui gouverne, afin que « démocratie » retrouve le sens de capacité à destiner et non seulement à administrer avec de vrais résultats.

    Andrea Falco Profili (Euro-Synergies, 10 octobre 2025)

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  • Marine Le Pen comme il l’imaginait...

    Les éditions de La Nouvelle Librairie viennent de publier un nouvel essai de Vincent Coussedière intitulé Marine Le Pen comme je l’imaginais. Agrégé de philosophie, professeur, candidat aux dernières législatives sous l’étiquette RN, Vincent Coussedière est l’auteur de plusieurs essais politiques dont Eloge du populisme (Elya, 2012) et  Le retour du peuple - An I (Cerf, 2016).

     

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    "Marine Le Pen n’est pas ici racontée comme d’autres l’ont fait, à coups de clichés ou de procès d’intention. Elle est rêvée, imaginée, projetée dans l’arène politique comme une figure possible du sursaut français. Vincent Coussedière, philosophe du populisme, ne décrit pas seulement une femme politique : il interroge un destin. À travers lui, c’est la question du redressement de la France qui se joue. Ce redressement exige une rupture : abandonner la logique de la dédiabolisation, assumer l’épreuve de l’inéligibilité, ne pas s’enfermer dans le parlementarisme ni se laisser tenter par des accommodements raisonnables avec l’Union européenne, renouer avec la geste gaullienne et l’esprit de la Cinquième République. Retrouver la hauteur, le sens de l’Histoire, l’art de parler au nom du peuple. Écrire la politique au conditionnel, c’est révéler la distance entre ce qui est et ce qui devrait être. En miroir, ce livre dévoile moins Marine Le Pen qu’il n’éclaire l’abîme où s’enfonce la France, faute d’incarnation. Un essai rare. À lire comme on lit les grands avertissements."

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  • Wokisme : les contorsions du progressisme...

    Le 16 octobre 2025, Pierre Bergerault recevait, sur TV libertés, André Perrin à l'occasion de la publication de son essai intitulé Paradoxes de la pensée progressiste (L'Artilleur, 2025).

    Agrégé de philosophie, André Perrin  est l'auteur de Scènes de la vie intellectuelle en France (L'Artilleur, 2016), de Journal d’un indigné (L’Artilleur, 2019) et de Postures médiatiques - Chroniques de l'imposture ordinaire (L'Artilleur, 2022).

     

                                                

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  • Le blanchiment des idées sales...

    Les éditions de L'Artilleur viennent de publier un essai de Julie Graziani intitulé Les escrocs - Le blanchiment des idées sales. Agrégée de lettres, diplômée d’HEC, Julie Graziani est spécialiste en redressement d’entreprise et également éditorialiste et chroniqueuse pour plusieurs médias.

     

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    "Les histoires d’escroqueries et d’abus de confiance sont fréquentes dans la vie quotidienne. Le plus souvent la déconvenue nous sert de leçon et nous devenons plus prudents lors des transactions ultérieures.

    Mais pourquoi donc n’appliquons-nous pas la même vigilance envers ceux qui utilisent les idées pour nous séduire ? C’est ce que Julie Graziani essaye de comprendre en appliquant ses méthodes d’analyse économique au monde intellectuel et politique. Car il ne faut pas s’y tromper, les responsables politiques sont parfois des commerçants et s’ils cherchent à ce point notre adhésion, il se peut que ce soit à leur avantage plus qu’au nôtre.

    Quelle que soit notre sensibilité, les agitateurs d’idées savent faire appel à nos émotions en déguisant sous des apparences nobles et altruistes des idées qui font appel à certaines de nos pulsions douteuses. Dénoncer l’appât du gain en suggérant qu’on ferait bien les poches des milliardaires, défendre les femmes en les cantonnant à un statut de victime, mettre en avant l’urgence ou la rationalité des experts pour forcer votre consentement, vous culpabiliser si vous résistez, les méthodes sont nombreuses sur le marché très lucratif de l’influence intellectuelle. Sans jamais verser dans la défiance systématique, Julie Graziani les analyse et propose un usage raisonné du soupçon qui permet une prise de distance salutaire, un outil pour voir plus clair et arbitrer librement."

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  • Trump face à la logique de la guerre...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre de Lauzun, cueilli sur Geopragma et consacré à la logique de la guerre, qui semble échapper à Trump.

    Membre fondateur de Geopragma, Pierre de Lauzun a fait carrière dans la banque et la finance.

     

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    Trump face à la logique de la guerre

    Donald Trump a beaucoup insisté sur une dimension de son programme : la recherche de la paix, la fin des guerres idéologiques, et le terme mis aux guerres existantes, en premier lieu l’Ukraine et Gaza. On lui prête même le désir d’obtenir le Prix Nobel de la Paix, comme avant lui Barack Obama (même si avec le recul ce dernier n’est pas très convaincant).

    Il a pu mettre en avant plusieurs interventions qui pourraient avoir eu une influence réelle dans le sens de la paix, entre Thaïs et Cambodgiens, entre Indiens et Pakistanais, etc. Mais ce sont là des dossiers mineurs par rapports aux deux où il est vraiment attendu, l’Ukraine et Gaza. Sur ceux-là il a donné longtemps et donne encore souvent l’impression de patiner, loin de ses promesses initiales de régler tout cela facilement et rapidement. Même s’il vient de marquer un point sur Gaza.

    On peut, semble-t-il, admettre que sa volonté de chercher la paix est réelle – même s’il a un faible pour les solutions de force. On sait en outre que la connaissance intime de la vie internationale n’est pas son fort.  Mais cela n’explique pas tout ce qui se passe. On a en effet l’impression qu’il explore successivement plusieurs hypothèses sur tel ou tel aspect de ces conflits, pour ensuite découvrir d’autres dimensions qui lui montrent que l’équation est plus complexe qu’il n’apparaissait. Ce faisant il progresse ; mais les problèmes résistent.

    Le dilemme ukrainien

    La difficulté est particulièrement nette dans le cas de l’Ukraine. Tantôt il fait un geste en faveur de Poutine, voit des possibilités de coopération fructueuse avec la Russie, comprend que Poutine ne fera jamais la paix en lâchant les territoires conquis ou en laissant les troupes occidentales s’installer en Ukraine. Tantôt au contraire il menace la Russie de sanctions terribles, livre des armes à Kiev, déclare la victoire de ce dernier possible, et se brouille avec l’Inde pour la punir d’acheter du pétrole russe. Tantôt il insulte publiquement Zelenski, lui reprochant son ingratitude et son irréalisme, tantôt il s’entretient cordialement avec lui. Tantôt il court-circuite les Européens, tantôt il les remet dans le jeu en vue de garanties à donner à l’Ukraine, et surtout pour payer les frais de la guerre en achetant du matériel américain. Etc. 

    Mais au-delà du processus d’apprentissage, d’une méthode bizarre de négociation, ou du jeu normal de l’exploration des options, il semble qu’il y ait un autre facteur plus profond, une certaine ignorance ou sous-estimation de la logique de la guerre. Je l’avais noté dans un précédent article sur ce même site, en juin 2022 :

    « Qui dit guerre dit choc de deux volontés en sens contraire, dont la solution est recherchée dans la violence réciproque. Par définition, cela suppose que l’une au moins des deux parties considère que ce recours à la force a un sens pour elle, et que l’autre soit ait la même perception, soit préfère résister à la première plutôt que céder. La clef de la sortie de l’état de guerre est dès lors principalement dans la guerre elle-même et son résultat sur le terrain. Mais comme la guerre est hautement consommatrice de ressources, puisque son principe est la destruction, elle a en elle-même un facteur majeur de terminaison : elle ne peut durer indéfiniment. Le rapport de forces sur le terrain peut d’abord aboutir à la victoire d’une des deux parties, qui obtient un résultat la conduisant à cesser les opérations une fois son but atteint, ou conduisant l’autre à jeter l’éponge. Alternativement, on a une situation non conclusive, mais qui elle aussi ne peut durer. A un moment donc, les opérations s’arrêtent, et le statu quo a des chances de se stabiliser au moins pour un temps. Bien entendu, un tel arrêt des opérations n’est pas nécessairement définitif. En effet, après un moment de cessation des hostilités, si le choc des volontés subsiste, la reconstruction des forces rend possible une reprise des hostilités.

    Mais dans tous les cas, tant que ces facteurs de terminaison n’ont pas opéré suffisamment, la guerre continue, car les motifs qui y ont conduit restent, et le sort des armes auxquels les deux parties ont eu recours n’a pas donné sa réponse. Arrêter prématurément signifierait en effet pour celui qui va dans ce sens non seulement que tous ses efforts antérieurs ont été vains, pertes humaines et coûts matériels en premier lieu, mais surtout cela reviendrait à accepter une forme de défaite avant qu’elle soit acquise ; or il avait par hypothèse décidé de se battre. Dès lors il continue, et l’adversaire de même.

    C’est là que les bonnes volontés, attachées à la paix, sont déçues – un peu naïvement. Leurs appels à une cessation des hostilités, si possible sans gagnant ni perdant, tombent alors presque toujours sur des oreilles sourdes. Du moins tant que la logique même du déroulement de la guerre n’y conduise. »

    Comme je le notais déjà, la guerre en cours entre la Russie ou l’Ukraine en fournit une bonne illustration. La Russie occupe environ 20% du territoire ukrainien ; elle a une relative supériorité matérielle ; elle n’est pas à genoux économiquement ; elle n’a donc a priori aucune raison de s’arrêter. L’Ukraine vise évidemment à récupérer son territoire antérieur ; elle a bien mieux résisté que ce que les experts pensaient, et reçoit une aide conséquente des Occidentaux. Elle continue donc la lutte. Tant que ces facteurs seront à l’œuvre (donc tant qu’il n’y a pas selon les cas, percée militaire, effondrement économique, épuisement des perspectives etc.), la guerre continuera.

    De l’extérieur, seule une action très puissante pourrait éventuellement changer cet état des choses. Mais pour Trump, cela supposerait une toute autre stratégie que celle qu’il a suivi : soit intensifier très brutalement les sanctions et surarmer l’Ukraine, avec de gros risques et sans être sûr que cela marche, loin de là ; surtout quand on voit, comme Trump l’a fait remarquer, les hésitations des Européens à aller au bout de la logique des sanctions, en frappant avec détermination l’Inde et la Chine – excusez du peu. Soit, au contraire, tordre le bras de Zelenski et des Européens, mais dans ce qui pourrait apparaître comme une capitulation – et là encore, en supposant que cela marche. D’où l’hésitation : il a joué successivement avec ces idées diverses. Il apprend en cours de route, mais cela ne donne pas la réponse.

    D’autres leçons

    Par ailleurs, un point qui n’est pas assez souligné est le rôle innovateur des guerres réelles, particulièrement évident ici en Ukraine avec l’usage des drones et autres systèmes qui ont radicalement remis en cause ou en tout cas redimensionné dans un certain usage le rôle d’armes autrefois centrales comme les chars, les hélicoptères de combat ou même les avions. Le fait est clairement perçu par tous mais on est loin d’en tenir toutes les conséquences, notamment aux États-Unis et en Europe. Car ce sont pratiquement des armées nouvelles qu’il faudrait mettre sur pied.

    En outre, cela conduit à revoir en profondeur le rapport de force réel sur le continent européen. Car les deux seules armées qui ont une expérience intense et complète de ces nouvelles réalités du combat sont l’ukrainienne et la russe. Actuellement elles se battent. Mais lorsque la guerre sera finie, elles seront sous un certain angle surpuissantes par rapport aux armées occidentales. Et donc la Russie, à mon sens peu dangereuse avant 2022 contrairement à l’idée reçue, peut le devenir une fois les hostilités terminées. En tout cas, elle aura les moyens d’autres ambitions. Mais l’Ukraine, évidemment non menaçante, totalement ravagée, aura à ce moment-là développé une spécialité rare et recherchée : la conduite de la guerre moderne, et l’armement correspondant. Il ne faudra oublier ni l’un ni l’autre lorsqu’on considérera les conditions de la paix. Mais d’ici là, cela colore les positions des uns et des autres ; et ni côté russe ni côté ukrainien, cela ne pousse à la paix, tant qu’un certain seuil n’est pas atteint, contraignant à s’arrêter.

    Le guêpier moyen-oriental et Gaza

    Le paysage est différent, mais plus prometteur à Gaza. Au départ, la même logique est à l’œuvre. Laissés à eux-mêmes, à court terme, d’un côté Netanyahou et derrière lui une partie appréciable d’Israël excluait d’arrêter les opérations tant que le Hamas subsistait et gardait des otages. D’un autre côté, le Hamas n’avait pas de raisons de capituler, malgré la supériorité militaire écrasante d’Israël, d’autant que les souffrances des Gazaouis ne le gênent pas (c’est son bouclier humain), et le servaient diplomatiquement.

    Pour Trump, cela se compliquait du tiraillement entre ses liens avec Israël d’un côté, ses amitiés arabes de l’autre, notamment dans la Péninsule arabique. Mais il a indéniablement là aussi appris en cours de route, notamment à écouter un peu plus. Et surtout il a ici des moyens de pression bien plus substantiels qu’en Ukraine. Dès lors, un accord de cessez-le-feu a pu apparaître possible, d’où son plan. On verra ce que l’opération donnera finalement, mais cela peut permettre, dans le meilleur des cas, d’arrêter les hostilités actuelles à Gaza même. Ce qui est une excellente chose.

    En revanche, plus profondément, les vrais objectifs stratégiques des deux côtés restent non seulement radicalement incompatibles, mais chacun structurel : pour Israël, sauf pour une minorité, c’est le refus d’un Etat palestinien et la poursuite de la colonisation, au moins en Cisjordanie, avec à l’horizon au moins implicite un état juif sur l’essentiel de la Palestine. Pour le Hamas (ou, s’il disparaît, un autre mouvement du même type), c’est la destruction d’Israël. Même un observateur extérieur bienveillant a du mal à discerner une solution équitable, dans ce conflit sans bonne solution, deux peuples se disputant une seule terre. D’autant que la logique de l’antagonisme fait que chacune des parties voit l’autre comme une menace existentielle, et de plus en plus.

    De ce fait, si Trump peut éventuellement réellement imposer une forme de paix relative, un arrêt momentané des combats en cours, cela ne résoudra pas la question de fond – même si une telle pause serait évidemment bienvenue.

    *

    Dans les deux cas donc, en conclusion, les péripéties n’ont rien pour surprendre. Cela ne veut pas dire que les conflits dureront indéfiniment, la logique même de la guerre s’y oppose. Mais cela peut durer longtemps encore. Et surtout, tout arrêt des combats peut n’être qu’une étape dans un conflit séculaire plus large.

    Le Nobel attendra ?

    Pierre de Lauzun (Geopragma, 13 octobre 2025)

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  • Les vérités taboues de la guerre du genre...

    Les éditions de l'Observatoire viennent de publier un essai de Peggy Sastre et Leonardo Orlando intitulé Sexe, science & censure.

    Peggy Sastre est docteur en philosophie des sciences, spécialiste de Nietzsche et de Darwin. Ses travaux s'orientent autour d'une lecture biologique des questions sexuelles. Leonardo Orlando est docteur en science politique et titulaire d'un master de philosophie.

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    "Hormones, cerveau, psychologie, comportements : depuis des décennies, la science documente des différences indéniables entre hommes et femmes. Mais à l'université, le simple fait d'en parler est devenu tabou. Chercheurs, psychologues, philosophes qui invoquent la biologie ou l'évolution sont accusés, menacés, parfois réduits au silence par des activistes militants. Cette négation de la nature humaine dépasse aujourd'hui le seul monde académique : elle contamine les institutions, les médias et les réseaux sociaux, au point de fragiliser le débat démocratique lui-même. Victimes directes de cette censure, le politologue Leonardo Orlando et la philosophe Peggy Sastre livrent un décryptage précis de cette nouvelle « guerre du genre ». À rebours des dogmes, ils rétablissent des vérités scientifiques passionnantes sur la morphologie, la psychologie, les goûts et les sentiments - qu'il s'agisse de jalousie, de préférences amoureuses révélées par les applications de rencontre, ou encore des choix de carrière et d'orientation professionnelle. Autant de différences qui, loin de contredire l'égalité, la rendent intelligible."

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