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Entretiens

  • La pensée politique serbe face à l’Europe...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Dušan Dostanić au site de la revue Éléments, dans lequel il évoque les orientations de la pensée politiqque de droite en Serbie.

    Dušan Dostanić, docteur en philosophie, chercheur associé à l’Institut d’études politiques de Belgrade et contributeur au dernier numéro des cahiers du pôle Études de l’Institut Iliade.

    Dušan Dostanić, serbie

     

    La pensée politique serbe face à l’Europe

    ÉLÉMENTS : On rencontre souvent l’idée reçue d’un nationalisme serbe traditionnellement clérical et chauvin. Existe-t-il une droite serbe qui se perçoit comme partie d’un même ensemble européen ?

    DUŠAN DOSTANIĆ. Une telle vision du nationalisme serbe me paraît simpliste. En effet, il me semble que si l’on considère le nationalisme serbe dans une perspective plus large, on doit en conclure qu’il n’est pas seulement réductible au cléricalisme ni encore moins au chauvinisme. Tout au long du xxe siècle, il existe au sein du nationalisme serbe différentes tendances qui ne correspondent pas toujours aux représentations pré-établies. Si, au cours des années 90, certains éléments ont pu se révéler comme chauvinistes, leur apparition ne peut se comprendre en dehors du contexte de l’époque, à savoir la chute du communisme et l’effondrement de l’État yougoslave, de même que la réapparition de la question nationale serbe au moment où ce peuple se trouvait morcelé par des frontières divisant arbitrairement son espace ethnoculturel.

    Cependant, bien avant les années 90, une partie de la droite serbe commence à se voir comme une partie d’une communauté identitaire européenne bien plus large. Je pense ici en premier lieu à l’œuvre du peintre et publiciste Dragoš Kalajić qui, dans ses livres et articles, explorait une perspective plus large, européenne. Par exemple, Kalajić avait averti du danger de l’immigration à une époque où cette question ne se posait pas en Serbie. Son dernier livre, L’Idéologie européenne (ndt : Evropska ideologija, non traduit à ce jour) représente un résumé de ses positions politiques et identitaires. Il ne produisait bien évidemment pas seul, mais au sein d’un cercle plus large qui, au milieu des années 2000, éditait une revue au nom évocateur : Europe des nations (Evropa nacija). Ce cercle eut une influence importante sur le développement de la droite serbe contemporaine.

    ÉLÉMENTS : Que pensez-vous des parallèles historiques qui sont parfois dressés entre les traditions politiques médiévales serbes et françaises ?

    DUŠAN DOSTANIĆ. Je ne peux pas beaucoup en dire, n’étant pas historien ni spécialiste du Moyen Âge. Néanmoins, il me semble que ces parallèles ne sont pas dressés au hasard et qu’il existe certaines similitudes. Par exemple, Charles Maurras a observé dans son texte Pour un réveil français que les Français, avec les Serbes, sont les seuls peuples européens contemporains à posséder une dynastie autochtone. Cela me semble être un point important dans le contexte du développement de la conscience nationale tant chez les Serbes que chez les Français. Il est vrai que la dynastie capétienne a régné plus longtemps sur la France que les Nemanjić sur la Serbie, mais dans les deux cas, ces périodes sont perçues comme des ères de grandeur nationale.

    ÉLÉMENTS : La vie intellectuelle dans le royaume de Serbie, puis de Yougoslavie, est réputée avoir été fortement influencée par la pensée libérale et révolutionnaire française. Qu’en est-il, au contraire de la réception des idées contre-révolutionnaires et conservatrices ?

    DUŠAN DOSTANIĆ. Après l’arrivée au pouvoir des communistes à la fin de la Seconde Guerre mondiale et l’instauration de leur système totalitaire, ceux-ci ont insisté, afin de légitimer leur pouvoir, sur la continuité de traditions de gauche chez les Serbes, en exagérant l’influence des idées révolutionnaires en Serbie. De telles traditions ont parfois été construites de toute pièce, dans le but d’interpréter des événements historiques particuliers selon les nécessités de l’idéologie gauchiste. Après la chute du communiste, l’accent s’est déplacé vers l’étude du libéralisme chez les Serbes, mais les pensées contre-révolutionnaire et conservatrice sont de nos jours encore insuffisamment explorées. Malheureusement, il n’existe à l’heure actuelle aucune bonne histoire générale de la droite. Au mieux avons-nous des travaux sur des figures individuelles.

    Cependant, il me semble que l’on puisse trouver des traces de l’influence de la pensée de droite française chez les Serbes dès le xixe siècle. Certains étudiants serbes de Paris avaient par exemple pris le parti de l’antidreyfusisme aux côtés de Paul Déroulède et Maurice Barrès !

    La plus grande influence de la droite française fut néanmoins exercée parmi les Serbes durant l’entre-deux-guerres. Un groupe de jeunes intellectuels serbes qui étudiaient à Paris tomba sous l’influence de Charles Maurras et de l’Action française. On peut considérer comme le point culminant de leur action le lancement de l’hebdomadaire Le Messager politique (Politički glasnik, 1925-1927) dont la ligne idéologique correspondait parfaitement au maurrassisme. Ses auteurs fondaient leurs analyses de la politique quotidienne sur les positions théoriques du maître de Martigues. Ce journal publiait également des traductions des livres de Maurras, mais aussi d’autres auteurs français tels que Henri Massis, Léon Daudet ou encore Léon de Montesquiou.

    Dans ces pages, le public serbe eut aussi la possibilité de découvrir pour la première fois Burke, depuis sa traduction française. On peut dire que Le Messager politique fut le principal organe de critique du régime démocratique dans la Serbie du xxe siècle. Pour Momir Nikolić, rédacteur en chef de ce journal, la démocratie représentait l’absolutisme, l’étatisme et l’abolition des libertés. Nikolić publia également un ouvrage intitulé Le Jardin du citoyen (Građaninov vrt) qui, dans ses thèses et sa structure, rappelle Mes Idées politiques de Maurras. Il est intéressant de noter qu’il faisait preuve dans ce livre d’un certain respect, inhabituel dans les milieux orthodoxes de l’époque, pour l’Église catholique-romaine. En résumé, on peut dire que l’influence de Maurras fut forte parmi les intellectuels serbes de l’entre-deux-guerres. Il n’est pas difficile d’expliquer les raisons de cette popularité, étant donné que la dynastie serbe des Karađorđević régnait sur l’État yougoslave. Vladislav Stakić, l’un des collaborateurs du Messager politique, a publié peu avant la Deuxième Guerre ce qui reste aujourd’hui la meilleure étude serbe sur Maurras et le monarchisme français. Dans son livre, Stakić dresse un bon aperçu de la pensée contre-révolutionnaire française de Joseph de Maistre et Louis Bonald, jusqu’à l’Action française. De plus, il s’intéressait particulièrement à l’œuvre de Georges Sorel. Il faut enfin souligner que Stakić fut l’un des hommes de confiance du Prince-Régent Paul Karađorđević.

    De même, il exista un temps une relativement petite organisation du nom de l’Action yougoslave (Jugoslovenska Akcija) qui fusionna plus tard avec d’autres groupes de droite pour former le Mouvement national yougoslave Zbor (Združena borbena organizacija rada, soit Organisation militante unie du travail). Le président de Zbor, Dimitrije Ljotić avait lui aussi vécu avant la guerre à Paris, où il évolua sous l’influence de l’Action française. Avec Maurras, on comptait parmi ses maîtres Blaise Pascal et le relativement peu connu Georges Valois, dont il appréciait grandement L’Homme qui vient. Philosophie de l’autorité. Outre l’influence certaine de Maurras, on remarque aussi chez Zbor une proximité avec le Parti populaire français de Jacques Doriot, dont les presses du mouvement rapportaient les congrès.

    ÉLÉMENTS : La révolution conservatrice allemande a-t-elle influencé certains intellectuels serbes ?

    DUŠAN DOSTANIĆ. Tout comme la droite française influença les intellectuels serbes dès le xixe siècle, on peut en dire de même de l’influence exercée par la pensée conservatrice allemande. Il s’agissait une fois de plus principalement d’étudiants qui se formèrent en Allemagne et évoluèrent là-bas au sein des cercles conservateurs. L’un de ces meilleurs exemples en est l’historien militaire Jovan B. Jovanović.

    L’un des représentants de la Révolution conservatrice allemande à avoir eu la plus grande influence sur les intellectuels serbes était Oswald Spengler. Bien que ses idées fussent déjà connues en Serbie avant la traduction par Vladimir Vujić du Déclin de l’Occident, c’est après celle-ci que Spengler devint une référence incontournable pour la droite serbe et yougoslave. Pour les conservateurs et militants de droite serbes, le diagnostic spenglerien revêtait une signification majeure. S’appuyant sur ces analyses, ils en arrivaient à la conclusion que ce serait une erreur d’imiter les institutions occidentales, et que la mission des Slaves du Sud était plutôt de créer des formes politiques authentiques fondées sur leurs propres traditions et coutumes. Ils adoptèrent également la prophétie de Spengler selon laquelle l’avenir du christianisme serait bâti sur les fondements établis par Dostoïevski. En ce sens, la droite serbe était fortement critique de l’Occident libéral et promouvait une « nouvelle orientation spirituelle » (Vladimir Velmar-Janković) enracinée dans la tradition. Pourtant, cela ne pouvait se réduire à la réaction ou de l’anarchisme. Selon les témoignages de plusieurs de ces acteurs, c’est sous l’influence décisive du Déclin qu’ils se dirigèrent vers la droite. De même, dans les publications de l’Action yougoslave, on constatait un intérêt pour Spengler et sa conception du « socialisme prussien », tout comme un suivi attentif des développements de la droite allemande, bien qu’ils ne fussent pas nécessairement approuvés.

    Durant les années 30, d’autres penseurs de la Révolution conservatrice exercèrent une influence remarquable, avant tout via le magazine Idées (Ideje), dont le rédacteur en chef était le célèbre écrivain serbe Miloš Crnjanski. Selon le professeur Milo Lompar, Crnjanski était l’équivalent serbe du « modernisme réactionnaire » (Jeffrey Herf) de la Révolution conservatrice allemande, en d’autres termes : il était fasciné par la technologie moderne tout en étant rejetant les Lumières, ainsi que les valeurs et institutions de la démocratie libérale. Dans leurs articles, Crnjanski et d’autres penseurs proches s’opposaient au « vieux libéralisme » et prônaient un « nouveau nationalisme ». Idées publia également des articles sur Spengler et le style prussien d’Arthur Moeller van den Bruck. Pour Crnjanski, le nationalisme était une force vivante, créatrice, qu’il opposait aux attitudes antinationales et internationalistes de différentes tendances. Les notions d’authenticité culturelle et d’indépendance politique constituaient le cœur de ce nationalisme. Il est inutile de préciser que la critique acerbe du communisme et du marxisme jouait un rôle important, non seulement dans Idées mais dans l’ensemble des cercles conservateurs et droitiers serbes. Le Comité antimarxiste yougoslave opérait à Belgrade et éditait son bulletin. Dans ce contexte, il convient de souligner l’influence de l’émigration russe-blanche dans la capitale, une donnée importante de la vie culturelle. Leur critique du marxisme fut en effet très bien accueillie par la droite serbe.

    En plus de Crnjanski, qui servit un certain temps à Berlin comme attaché de presse de la diplomatie yougoslave, le philosophe et théologien orthodoxe Dimitrije Najdanović, qui fit son doctorat à Berlin, fut également très influencé par les auteurs de la Révolution conservatrice. Najdanović publia notamment dans des revues chrétiennes, et l’on peut inférer de ses écrits qu’il comptait Bergson, Spengler, Scheller, Moeller van den Bruck, Heidegger ou encore Carl Schmitt parmi ses références.

    On doit cependant ajouter que, durant l’entre-deux-guerres, ces influences étaient entremêlées. Dans Idées, écrivaient aux cotés de Crnjanski le disciple de Maurras Momir Nikolić, le théologien Najdanović mais également des intellectuels de renom qu’on ne pourrait assurément classer à droite. D’un autre côté, dans une revue orthodoxe comme Pensée chrétienne (Hrišćanska misao) on pouvait trouver par exemple des traductions d’article de Moeller van den Bruck. De plus, Najdanović fut membre du mouvement Zbor, contrairement à Nikolić et Crnjanski.

    Les affinités idéologiques s’accompagnaient de liens personnels. Par exemple, au cours de son séjour à Berlin comme ambassadeur du royaume de Yougoslavie, Ivo Andrić se rapprocha de Carl Schmitt, d’Ernst Jünger et d’Arno Brecker. Il n’existe cependant que des témoignages indirects de ces contacts, la correspondance d’Andrić n’ayant pas été conservée.

    ÉLÉMENTS : Quelle réception les travaux des intellectuels de la Nouvelle Droite, tels qu’Alain de Benoist ou Guillaume Faye, ont-ils pu avoir en Serbie ? Peut-on observer une évolution de la droite serbe vers des positions identitaires ?

    DUŠAN DOSTANIĆ. Comme nous l’avons établi précédemment, il n’y eut pas, même durant l’entre-deux-guerres, un développement rectiligne de la droite serbe, mais diverses influences et tendances y ont coexisté. La chute du communisme ouvrit l’espace pour un développement idéologique plus poussé. D’une part, la droite serbe dut à nouveau découvrir ses racines du xixe et du xxe siècles et d’autre part, rattraper l’évolution des courants de la droite européenne contemporaine et s’orienter vers des problématiques politiques concrètes. L’émigration serbe joua un rôle notable dans ce travail. Dès les années 90, le public serbe put découvrir les œuvres traduites de Konrad Lorenz, Ernst Jünger, Thomas Molnar, mais aussi d’auteurs comme Julius Evola, René Guénon ou encore Alexandre Douguine. Sans surprise, Douguine devint rapidement très populaire. Les livres d’Alain de Benoist et de Guillaume Faye furent traduits un peu plus tard. Bien qu’il fût publié par un éditeur de petite envergure, il me semble que Communisme et nazisme. 25 réflexions sur le totalitarisme au xxsiècle, 1917-1989 fut très bien reçu en Serbie, aussi bien à droite que dans les cercles académiques. Cependant, je dirais que l’excellente étude d’Alain de Benoist Carl Schmitt actuel est passée relativement inaperçue malgré l’intérêt réel pour l’œuvre de Carl Schmitt en Serbie. L’Archéofuturisme de Guillaume Faye a été également très bien reçu, probablement en raison du titre évocateur de l’ouvrage. Il existe d’ailleurs ici une organisation intellectuelle de jeunesse nommée « Arheofutura ». Grâce aux traductions anglaises et allemandes de ses œuvres, Dominique Venner a lui aussi atteint une certaine popularité dans les cercles de droite serbe.

    Armin Mohler est un autre auteur de Nouvelle Droite traduit en serbe. Il y a quelques années, j’ai, avec mon collègue Aleksandar Novaković, édité le recueil Ordre et liberté (Poredak i sloboda) dans lequel on retrouve Alain de Benoist, Götz Kubitschek, Erik Lehnert, mais également des représentants plus anciens de la Nouvelle Droite, comme Armin Mohler ou Gerd-Klaud Kaltenbrunner.

    D’une certaine manière, la droite serbe a toujours eu un caractère identitaire prononcé, il en découle ainsi que plusieurs postulats idéologiques fondamentaux de la Nouvelle Droite peuvent être considérés par elle comme allant de soi. Sous le joug ottoman, alors qu’il n’existait plus d’État, ce fut l’Église orthodoxe serbe qui protégea l’identité et la mémoire historique de notre peuple, ce qui explique qu’ici la question de l’identité collective ait toujours joué un rôle de première importance. Il ne faut pas oublier que le peuple serbe a déjà vécu des expériences historiques négatives avec l’islam, le prosélytisme catholique, le communisme et les promoteurs du mondialisme, en d’autres termes avec l’« idéologie du même » (Alain de Benoist). On observe ici clairement une tension entre un universalisme uniformisant et une volonté de préserver ses spécificités concrètes. Plus simplement, les Serbes furent les premières victimes du mondialisme, mais également le premier peuple européen à s’y opposer, au prix fort. Cette opposition fut à l’époque plus instinctive que réfléchie et se dévoila alors que la Serbie se trouvait seule et sans alliés. C’est pourquoi il est complètement compréhensible pour les Serbes que la question identitaire devienne un enjeu politique décisif de notre siècle.

    ÉLÉMENTS : Les droites occidentales perçoivent souvent le Kosovo comme un avertissement quant à l’avenir des territoires menacés par l’immigration de masse et l’islamisation. Pensez-vous qu’en Serbie il soit possible de relier le traditionnel « mythe du Kosovo » à ces problématiques actuelles ?

    DUŠAN DOSTANIĆ. Je pense que c’est exact. À l’époque où Enoch Powell s’est fait connaître par son « discours des fleuves de sang », dans lequel il avertissait ses compatriotes des conséquences de l’immigration massive – « Je contemple l’avenir et je suis rempli d’effroi. Comme les Romains, je vois confusément le Tibre écumant de sang » –, l’allusion était plus que claire : si rien n’était fait pour stopper l’immigration incontrôlée, la Grande-Bretagne risquait de connaître à l’avenir des troubles, des conflits, voire une guerre civile, en d’autres termes, des fleuves de sang. Bien qu’à l’époque on n’eût pas encore connu les attentats terroristes islamistes et les décapitations, il ne fallait pas beaucoup d’imagination à Powell pour esquisser dans les grandes lignes ce que l’immigration de millions d’Indiens, de Pakistanais et d’Africains allait infliger à son pays. Pourquoi ce rappel ? Au moment où Powell sacrifiait sa propre carrière politique en alertant le public sur le remplacement des autochtones, les Serbes du Kosovo-et-Métochie abandonnaient déjà leurs foyers face au terrorisme agressif de la minorité albanaise. Les responsables communistes étaient alors aussi aveugles sur les questions identitaires que le sont aujourd’hui les politiciens de gauche libérale-écolo, drapés du drapeau arc-en-ciel. Ils ouvrirent grand la porte aux « réfugiés » d’Albanie et les aidèrent à s’installer pour démontrer leur propre ouverture d’esprit. Les communistes de l’époque, tout comme les libéraux d’aujourd’hui, ne comprenaient pas l’importance des frontières. Face aux premiers témoignages des violences subies par les Serbes du Kosovo-et-Métochie, les autorités menèrent la politique de l’autruche, affirmant que ces rapports étaient exagérés ou bien des incidents isolés. Les dirigeants communistes octroyèrent aux nouveaux arrivants un statut plus qu’autonome alors que ceux-ci attaquaient les sœurs des monastères médiévaux serbes, chassaient les Serbes des villages et des villes, profanaient leurs cimetières. La police, la justice et l’économie passèrent toute progressivement sous contrôle albanais. Il n’y eut pourtant aucun responsable de la Ligue communiste yougoslave qui voulut parler de ceci et risquer ainsi sa carrière comme le fit le Britannique Powell. Les Serbes du Kosovo-et-Métochie s’exilaient, tandis que d’autres allaient à Belgrade exiger la justice pour eux-mêmes et leurs enfants, ne rencontrant que l’incompréhension. Prisonniers de leur idéologie économiste, les communistes affirmèrent qu’à la racine de chaque conflit ethnique, on trouvait des problèmes sociaux, en l’espèce des résidus de nationalisme qui disparaîtraient avec le temps.

    La réalité finit cependant toujours par s’imposer d’elle-même, y compris alors que les politiciens essaient de l’ignorer. Finalement, comme l’annonçait la prophétie de Powell, les conflits armés sont arrivés. Il me semble qu’un tel scénario est également inévitable en Europe occidentale. Il est vrai que la Serbie s’est retrouvée en guerre contre l’OTAN, et qu’après cette agression, le Kosovo-et-Métochie reçut le statut de protectorat international jusqu’à ce que les Albanais déclarent unilatéralement et illégalement leur indépendance en 2008. Et pourtant, le sujet n’est toujours pas clos pour les Serbes. Le Kosovo représente une terre sainte pour le peuple serbe, le berceau de leur souveraineté et il s’agit du lieu où s’est déroulé la bataille du Kosovo. Autrement dit, il possède une place particulière dans la conscience serbe. Jusqu’à la première Guerre des Balkans, les Serbes rêvaient et attendaient la libération du Kosovo. Les soldats qui se distinguèrent au cours de cette guerre reçurent une médaille sur laquelle était inscrit « Vengeurs du Kosovo », ce qui signifie qu’ils étaient ceux qui avaient vengé la défaite de l’État médiévale serbe en 1389. Quand nous parlons du Kosovo comme terre sainte, c’est pour dire que l’on ne marchande pas avec le sacré. C’est pourquoi la jeunesse nationaliste continue de chanter et d’évoquer le Kosovo-et-Métochie, arborant les drapeaux frappés du slogan « Pas de capitulation ! » (Nema predaje!)

    Pour résumer, le Kosovo est inextricablement lié aux problèmes actuels de l’Europe. Notre survie en tant que peuple sur notre propre sol dépendra de notre volonté et de notre force.

    ÉLÉMENTS : Certains se représentent la Serbie comme une marge orientale de l’Europe blanche, une croyance que partagent également une partie des Serbes eux-mêmes. Qu’y répondriez-vous ?

    DUŠAN DOSTANIĆ. Il est vrai que la relation entre les Serbes et le reste de l’Europe a pu être compliquée. Si nous devions rentrer dans les détails, cela nous prendrait beaucoup plus de place, mais l’on doit bien reconnaître que, parmi les conservateurs européens, certains ont observé les peuples orthodoxes, Serbes inclus, avec scepticisme, un point de vue tenu par exemple par Otto von Habsbourg. L’historien allemand Heinrich August Winkler, dans son ouvrage L’Occident s’effondre-t-il ? (ndt : Zerbricht der Westen, non-traduit) exclut ainsi les Serbes et les Russes de l’Occident. Évidemment, on doit alors se poser la question : qu’est-ce que l’Occident ? Est-ce un concept vide de sens et quelle est la relation entre Occident et Europe ?

    De leur côté, les Serbes ont toujours été conscients de leur appartenance à la grande communauté des peuples européens. Néanmoins, une partie des Serbes s’est sentie trahie et abandonnée par l’Europe. En effet, les Serbes se sont pensés au fil des siècles comme les gardiens des portes de l’Europe face aux incursions de l’islam venu d’Asie, mais les États européens ont, durant les guerres de Yougoslavie, préféré soutenir les musulmans en Bosnie et au Kosovo contre eux. Tout cela s’est finalement terminé par l’agression de l’OTAN contre la Serbie, l’occupation de fait du Kosovo-et-Métochie, la destruction du patrimoine culturel serbe en 2004 et enfin la proclamation unilatérale d’indépendance en 2008, que la plupart des pays européens reconnaissent. Il est difficile de comprendre que l’Europe s’inquiète des « droits de l’Homme » partout dans le monde tout en ignorant le fait que les Serbes du Kosovo-et-Métochie, c’est-à-dire sur le territoire européen, vivent encore aujourd’hui dans des enclaves entourées de barbelés. Les monastères médiévaux serbes menacés au Kosovo ne font-ils pas partie du patrimoine culturel européen ? On peut se demander également pourquoi l’Europe se préoccupe autant de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, au point de se préparer à l’éventualité d’une guerre ouverte avec la Russie, tout en ignorant celle de la Serbie. Si nous prenons en compte le cas de la République serbe (Republika Srpska) au sein de la Bosnie-Herzégovine, on constate une volonté de marginaliser l’élément serbe. Enfin, et ce n’est pas le moins important, il est visible que la bureaucratie bruxelloise considère la Serbie comme un réservoir potentiel de matières premières bon-marché. En ce qui me concerne, cela ouvre la question des rapports de l’Europe non pas juste avec la Serbie, mais avec elle-même. Les Serbes font partie de l’Europe d’un point de vue géographique, historique, culturel et ethnique. Notre origine, notre histoire, notre foi, notre tradition, nos habitudes et notre mode de vie nous font faire partie de la communauté des peuples européens, tout en conservant évidemment nos spécificités locales. Comme on le sait bien, la Serbie fut l’un des pays situés sur la soi-disant « route des Balkans » en 2015 et fut témoin de l’arrivée massive et incontrôlée de migrants issus d’une culture étrangère en Europe. Je le répète, nous avons déjà expérimenté historiquement et négativement l’islam. Cependant, la vraie question reste de savoir si l’Europe souhaite préserver son identité, sa culture et son héritage ou si elle tend à ne devenir qu’une simple partie de l’Occident mondialisé. Plus l’Europe sera européenne et consciente de son identité, plus la Serbie y prendra facilement la place qui lui revient de droit.

    Dušan Dostanić, propos recueillis et traduits par Miloš Milenković (Site de la revue Éléments, 19 mai 2025)

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  • Poutine : derrière les négociations, une stratégie de long terme...

    Pour son émission sur TV Libertés, Chocs  du monde, Edouard Chanot reçoit Raphaëlle Auclert pour évoquer avec lui les stratégies de puissance russes et américaines dans les négociations autour du conflit en Ukraine.

    Raphaëlle Auclert est enseignante-chercheuse. Elle est l'auteur d'une trentaine d'articles et intervient régulièrement dans des médias français, russes et anglo-saxons. Avec le colonel  Peer de Jong, elle a publié Poutine, Lord of war (Mareuil, 2024).

     

                                           

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  • Fabrice Leggeri : "L’UE a encouragé l'arrivée de millions de migrants !"

    Le 17 mai 2025, Garen Shnorhokian recevait, dans la matinale de Frontières, Fabrice Leggeri, ancien directeur de Frontex et eurodéputé du RN, pour évoquer avec lui  la politique migratoire de l'Union européenne.

     

                                             

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  • Jean Raspail, l'homme derrière les caricatures...

    Dans son émission Perles de culture, sur TV libertés, Anne Brassié recevait le 14 mai 2025 Philippe Hemsen, pour évoquer la figure de Jean Raspail, dont il vient de publier une biographie intitulée Jean Raspail - Aventurier de l'ailleurs (Albin Michel, 2025).

     

                                                

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  • Pourquoi la droite n’a jamais vraiment relevé la tête après 1945...

    Le 9 mai 2025, Liselotte Dutreuil recevait Antoine Dresse sur Ligne droite pour évoquer avec lui la disqualification de la droite après 1945...

    Né à Liège, en Belgique, Antoine Dresse a suivi des études de philosophie à Bruxelles. Il anime la chaîne de philosophie politique Ego Non sur YouTube et écrit régulièrement dans la revue Éléments. Il a récemment publié un essai intitulé Le Réalisme politique - Principes et présupposés (La Nouvelle Librairie/Institut Iliade, 2024).

                             

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  • Adriano Scianca : « Il existe une troisième voie : celle qui cherche à conjuguer force et liberté, droit et identité, technique et enracinement. »

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Adriano Scianca à Xavier Eman pour le site de la revue Éléments, dans lequel il évoque la question de l'Europe qu'il a traité dans un essai remarquable et essentiel, Europe versus Occident - La fin d'une ambiguïté (Institut Iliade/La Nouvelle Librairie, 2024).

     

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    « Il existe une troisième voie : celle qui cherche à conjuguer force et liberté, droit et identité, technique et enracinement. »

    ÉLÉMENTS. Votre dernier ouvrage est consacré à la dichotomie entre « Europe » et « Occident », thème récurrent et central de la pensée de la Nouvelle Droite notamment. Pourquoi avoir ressenti le besoin d’une « mise au point » sur ce sujet ?

    ADRIANO SCIANCA : Parce que les réactions à la guerre en Ukraine que j’ai pu observer dans le monde non conformiste italien (mais je pense que la situation n’est pas différente en France) m’ont montré, d’une part, des milieux pro-russes qui ont suivi le discours de Moscou au point de confondre totalement la notion d’Europe avec celle d’Occident, en faisant un bloc unique « satanique » hostile à l’avancée du « monde multipolaire » ; et, d’autre part, des milieux hostiles à ce discours au point de se ranger  tout aussi absolument du côté du camp opposé, celui des libéraux et des occidentalisés, à la BHL. En pratique, la notion d’Europe a été ramenée à celle d’Occident par deux directions opposées : ceux qui s’opposaient à ce bloc et ceux qui l’exaltaient. C’est pourquoi j’ai jugé opportun de revenir sur cette distinction élémentaire.

    ÉLÉMENTS. Si vous concluez à la la différence ontologique entre « Europe » et « Occident », votre propos refuse cependant tout manichéisme simplificateur et vous n’hésitez pas à égratigner certaines « habitudes mentales » de la droite radicale qui adopterait parfois, selon vous, des postures caricaturales notamment vis à vis des États-Unis considérés comme « le Grand Satan ». Mais s’ils ne sont pas le « mal » absolu, les États-Unis n’en restent-ils pas moins l’ennemi principal d’une Europe souveraine, puissante et indépendante qui seule pourrait véritablement les concurrencer ?

    ADRIANO SCIANCA : J’avoue nourrir un certain scepticisme à l’égard de la catégorie d’« ennemi principal », qui me semble découler d’une mauvaise lecture de Schmitt. Le juriste allemand est un maître de la pensée concrète et lorsqu’il parle de l’ennemi et de l’ami, il a à l’esprit un conflit existentiel qui est déjà en cours avant même que les analyses politologiques ne se mettent en marche. À l’inverse, si je me mettais maintenant à dresser une liste des ennemis principaux, en classant une série de puissances géopolitiques en fonction de mes sympathies et antipathies philosophiques, je ferais un exercice très abstrait, donc très peu schmittien. Aujourd’hui, l’ennemi principal d’un Ukrainien est-il la Russie ? L’ennemi principal d’un Italien en 1915 était-il l’Empire austro-hongrois ? L’ennemi principal d’un Français qui s’est rendu au Bataclan le soir du 13 novembre 2015 est-il l’islam ? J’ai l’impression que dans tous ces cas, c’est toujours la réalité qui choisit pour nous, avant toute évaluation philosophique. Je ne veux toutefois pas éluder la question : les États-Unis restent certainement une puissance spirituelle, culturelle, géopolitique et économique anti-européenne. Je n’ai aucun doute à ce sujet. Les Américains nous voient encore comme l’empire corrompu qu’ils ont fui pour fonder la Nouvelle Israël. Cependant, refuser le manichéisme moraliste qui voit dans les États-Unis le Grand Satan et dans quiconque se déclare anti-américain un allié objectif ne signifie pas faire un pas vers Washington, mais au contraire, envisager une autonomie vis-à-vis des États-Unis d’une manière moins infantile et plus réaliste, donc aussi plus efficace.

    ÉLÉMENTS. Vous affirmez, à juste titre, que le rejet de « l’Occident » ne doit pas se confondre avec un néo-luddisme technophobe et une volonté de retour à « la lampe à pétrole ». Sans tomber dans ces excès, le sens de la mesure, du respect de la nature et de ses limites, la volonté de lutte contre l’hybris d’une certaine fuite en avant techno-scientiste ne font-ils pas partie de l’ADN européen ?

    ADRIANO SCIANCA : Les anciens Romains sacralisaient les frontières, placées sous la protection du dieu Terminus, mais ils ne cessaient de les repousser toujours plus loin. Chaque découverte, chaque invention, de la roue au feu, de la poudre à canon à l’énergie nucléaire jusqu’à l’intelligence artificielle, conduit à dépasser des limites et à en expérimenter d’autres. En fin de compte, personne, aussi « faustien » soit-il, n’aime s’écraser contre un mur à toute vitesse ou mourir des suites d’une irradiation nucléaire. L’absence totale de limites serait en effet invivable. Il n’en reste pas moins qu’une certaine tension vers l’inconnu, vers l’aventure, vers le risque, vers la découverte et l’expérimentation me semble inhérente à l’esprit européen et presque uniquement à lui. Bien sûr, ce trait identitaire vit une dialectique complexe avec la tension vers l’ordre, l’harmonie, la tradition. Mais aucun ordre n’est éternel, pas même le divin, comme nous l’enseignent les théogonies indo-européennes mouvementées. Ce qui me semble intrinsèquement anti-européen, c’est l’idée d’une limite absolue, d’une interdiction métaphysique, de règles données une fois pour toutes, que l’homme devrait se contenter d’accepter passivement. Quant à l’hybris, rappelons-nous qu’à l’origine, il s’agit de l’arrogance d’un homme envers son semblable du même rang (par exemple Agamemnon qui vole le butin d’Achille) dans un jeu de pouvoirs toujours tendu et contesté, et non du « péché » d’un homme qui ne sait pas « rester à sa place » dans des hiérarchies ontologiques fossilisées.

    ÉLÉMENTS. Vous écrivez que pour  affirmer son « européanité » face aux États-Unis, il ne suffit pas de se priver de Coca, de MacDo, de jean’s et de Marvel. C’est incontestable mais n’est-ce pas là néanmoins un indispensable préalable ? Pour refonder cet « être au monde » spécifiquement européen que vous appelez de vos vœux, n’est-il pas nécessaire se débarrasser des oripeaux imposés par le « soft power » américain au fil du temps et qui, loin de n’être que superficiels, façonnent les esprits et les comportements ?

    ADRIANO SCIANCA : Il ne peut certainement pas exister de bon Européen qui ne mange que du MacDo et ne regarde que des films Marvel. Ma critique vise toutefois un certain moralisme, qui résout toute la question dans une course à la pureté individuelle. Je crois en outre qu’un soft power se combat en lui opposant un autre soft power, et non en jouant les ascètes. J’ajouterai une réflexion supplémentaire : l’américanisation se propage-t-elle aujourd’hui davantage à travers les hamburgers de MacDonald’s ou à travers des récits que l’on voudrait même « dissidents » ? Il y a une américanisation à travers le conformisme, certes, mais il en existe une autre, peut-être plus dangereuse, qui s’impose à travers un prétendu anticonformisme. Aujourd’hui, une « dissidence » qui raisonne selon des schémas strictement américanisés s’est imposée. Il y a quelques années, j’ai entendu une dame du même âge que mes parents, étrangère à toute affiliation politique radicale, qui voulait me faire croire que Biden avait été arrêté en secret et que les grands médias cachaient la vérité. Pourquoi cette grand-mère placide, qui n’a probablement jamais mangé un Big Mac, au cœur de l’Italie profonde et authentique, me répétait-elle avec conviction les idioties de Qanon ? Pourquoi entendons-nous de plus en plus souvent les « dissidents » suivre des prédicateurs religieux, adopter des catégories politiques messianiques, prêcher le droit absolu à l’autodéfense armée sur sa propriété ? Avant de juger les Américains loin de nous, regardons ceux qui sont déjà parmi nous.

    ÉLÉMENTS. Vous appuyez sur la nécessité d’un certain « pragmatisme politique » pour sortir du romantisme improductif et de « l’absolutisme » incapacitant. Jusqu’où doit aller ce « pragmatisme », sans risque qu’il se mue en « compromission » ? Par exemple, peut-on (ou doit-on) soutenir Emmanuel Macron du fait de son aspiration proclamée à la création d’une « armée européenne » qui pourrait devenir à terme l’un des piliers d’une « Europe puissance » à laquelle nous aspirons ?

    ADRIANO SCIANCA : Si un gouvernement « ennemi » fait quelque chose qui va dans la bonne direction, il est juste de souligner ses contradictions, son inadéquation, son hypocrisie, mais on ne peut pas soutenir du jour au lendemain le contraire de ce que l’on a toujours soutenu juste pour contrarier les dirigeants. Il est clair pour tout le monde que l’activisme de Macron sur le front de la défense commune n’est qu’une tentative désespérée de figurer dans l’histoire comme un homme d’État européen malgré ses échecs dans son propre pays. Tout comme il est clair pour tout le monde que son profil anthropologique et culturel est mal adapté au rôle de meneur qu’il prétend soudainement pouvoir jouer. Et pourtant, après avoir reproché à cette Europe d’être impuissante, sans défense, désarmée, hors de l’histoire, on ne peut pas ensuite lui reprocher exactement le contraire, simplement par crainte d’être associé à Macron. Dans mon livre, j’évoque l’image d’une « singularité européenne », sur le modèle de la singularité technologique. Comme on le sait, cette dernière représente la phase où les machines intelligentes commencent à se programmer elles-mêmes, de plus en plus rapidement, échappant au contrôle de ceux qui les avaient conçues à des fins tout autres. De la même manière, il est possible que l’Europe puissance, une fois mise en mouvement par ces classes dirigeantes, devienne autre chose, échappe au contrôle de ceux qui l’ont évoquée et les balaye. En tout état de cause, je ne deviendrai pas un partisan de notre impuissance par crainte de paraître compromis avec le macronisme. D’autant plus que ceux qui portent de telles accusations ont généralement des fréquentations bien plus embarrassantes.

    ÉLÉMENTS. Dans les dernières pages du livre, vous évoquez comme objectif des « bons européens » le concept d’Hespérie, également mis en avant par David Engels, un terme qui peut paraître à première vue légèrement abstrus ou du moins relativement « désincarné ». Pourriez-vous en donner une définition concrète ?

    ADRIANO SCIANCA : Il s’agit d’un concept qui résulte d’une traduction quelque peu créative d’une distinction heideggérienne. Le philosophe allemand opposait l’Occident et l’Abend-Land. Le premier est l’Occident que nous connaissons, mondialiste et déracinant. Le second est quelque chose de complètement différent, c’est la reprise du génie grec mais dans un contexte qui n’est plus celui de la Grèce. Les traducteurs français ont rendu Abend-Land par Esperia (qui est d’ailleurs l’un des plus anciens noms donnés à l’Italie par les Grecs). Guillaume Faye a repris ce concept et l’a développé à sa manière. Il est évidemment toujours un peu difficile de donner une substance concrète à des concepts philosophiques, mais dans mon cas, le concept servait à briser la dialectique binaire entre l’occidentalisme des Lumières et l’anti-occidentalisme obscurantiste. Il existe une troisième voie : celle qui cherche à conjuguer force et liberté, droit et identité, technique et enracinement. Occident est le nom du lieu où le soleil meurt, Esperia est le nom de la terre qui garde le soleil dans la nuit du monde, en attendant son inévitable renaissance.

    Adriano Scianca, propos recueillis par Xavier Eman (Site de la revue Éléments, 25 avril 2025)

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