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Entretiens - Page 2

  • Adriano Scianca : « Il existe une troisième voie : celle qui cherche à conjuguer force et liberté, droit et identité, technique et enracinement. »

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Adriano Scianca à Xavier Eman pour le site de la revue Éléments, dans lequel il évoque la question de l'Europe qu'il a traité dans un essai remarquable et essentiel, Europe versus Occident - La fin d'une ambiguïté (Institut Iliade/La Nouvelle Librairie, 2024).

     

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    « Il existe une troisième voie : celle qui cherche à conjuguer force et liberté, droit et identité, technique et enracinement. »

    ÉLÉMENTS. Votre dernier ouvrage est consacré à la dichotomie entre « Europe » et « Occident », thème récurrent et central de la pensée de la Nouvelle Droite notamment. Pourquoi avoir ressenti le besoin d’une « mise au point » sur ce sujet ?

    ADRIANO SCIANCA : Parce que les réactions à la guerre en Ukraine que j’ai pu observer dans le monde non conformiste italien (mais je pense que la situation n’est pas différente en France) m’ont montré, d’une part, des milieux pro-russes qui ont suivi le discours de Moscou au point de confondre totalement la notion d’Europe avec celle d’Occident, en faisant un bloc unique « satanique » hostile à l’avancée du « monde multipolaire » ; et, d’autre part, des milieux hostiles à ce discours au point de se ranger  tout aussi absolument du côté du camp opposé, celui des libéraux et des occidentalisés, à la BHL. En pratique, la notion d’Europe a été ramenée à celle d’Occident par deux directions opposées : ceux qui s’opposaient à ce bloc et ceux qui l’exaltaient. C’est pourquoi j’ai jugé opportun de revenir sur cette distinction élémentaire.

    ÉLÉMENTS. Si vous concluez à la la différence ontologique entre « Europe » et « Occident », votre propos refuse cependant tout manichéisme simplificateur et vous n’hésitez pas à égratigner certaines « habitudes mentales » de la droite radicale qui adopterait parfois, selon vous, des postures caricaturales notamment vis à vis des États-Unis considérés comme « le Grand Satan ». Mais s’ils ne sont pas le « mal » absolu, les États-Unis n’en restent-ils pas moins l’ennemi principal d’une Europe souveraine, puissante et indépendante qui seule pourrait véritablement les concurrencer ?

    ADRIANO SCIANCA : J’avoue nourrir un certain scepticisme à l’égard de la catégorie d’« ennemi principal », qui me semble découler d’une mauvaise lecture de Schmitt. Le juriste allemand est un maître de la pensée concrète et lorsqu’il parle de l’ennemi et de l’ami, il a à l’esprit un conflit existentiel qui est déjà en cours avant même que les analyses politologiques ne se mettent en marche. À l’inverse, si je me mettais maintenant à dresser une liste des ennemis principaux, en classant une série de puissances géopolitiques en fonction de mes sympathies et antipathies philosophiques, je ferais un exercice très abstrait, donc très peu schmittien. Aujourd’hui, l’ennemi principal d’un Ukrainien est-il la Russie ? L’ennemi principal d’un Italien en 1915 était-il l’Empire austro-hongrois ? L’ennemi principal d’un Français qui s’est rendu au Bataclan le soir du 13 novembre 2015 est-il l’islam ? J’ai l’impression que dans tous ces cas, c’est toujours la réalité qui choisit pour nous, avant toute évaluation philosophique. Je ne veux toutefois pas éluder la question : les États-Unis restent certainement une puissance spirituelle, culturelle, géopolitique et économique anti-européenne. Je n’ai aucun doute à ce sujet. Les Américains nous voient encore comme l’empire corrompu qu’ils ont fui pour fonder la Nouvelle Israël. Cependant, refuser le manichéisme moraliste qui voit dans les États-Unis le Grand Satan et dans quiconque se déclare anti-américain un allié objectif ne signifie pas faire un pas vers Washington, mais au contraire, envisager une autonomie vis-à-vis des États-Unis d’une manière moins infantile et plus réaliste, donc aussi plus efficace.

    ÉLÉMENTS. Vous affirmez, à juste titre, que le rejet de « l’Occident » ne doit pas se confondre avec un néo-luddisme technophobe et une volonté de retour à « la lampe à pétrole ». Sans tomber dans ces excès, le sens de la mesure, du respect de la nature et de ses limites, la volonté de lutte contre l’hybris d’une certaine fuite en avant techno-scientiste ne font-ils pas partie de l’ADN européen ?

    ADRIANO SCIANCA : Les anciens Romains sacralisaient les frontières, placées sous la protection du dieu Terminus, mais ils ne cessaient de les repousser toujours plus loin. Chaque découverte, chaque invention, de la roue au feu, de la poudre à canon à l’énergie nucléaire jusqu’à l’intelligence artificielle, conduit à dépasser des limites et à en expérimenter d’autres. En fin de compte, personne, aussi « faustien » soit-il, n’aime s’écraser contre un mur à toute vitesse ou mourir des suites d’une irradiation nucléaire. L’absence totale de limites serait en effet invivable. Il n’en reste pas moins qu’une certaine tension vers l’inconnu, vers l’aventure, vers le risque, vers la découverte et l’expérimentation me semble inhérente à l’esprit européen et presque uniquement à lui. Bien sûr, ce trait identitaire vit une dialectique complexe avec la tension vers l’ordre, l’harmonie, la tradition. Mais aucun ordre n’est éternel, pas même le divin, comme nous l’enseignent les théogonies indo-européennes mouvementées. Ce qui me semble intrinsèquement anti-européen, c’est l’idée d’une limite absolue, d’une interdiction métaphysique, de règles données une fois pour toutes, que l’homme devrait se contenter d’accepter passivement. Quant à l’hybris, rappelons-nous qu’à l’origine, il s’agit de l’arrogance d’un homme envers son semblable du même rang (par exemple Agamemnon qui vole le butin d’Achille) dans un jeu de pouvoirs toujours tendu et contesté, et non du « péché » d’un homme qui ne sait pas « rester à sa place » dans des hiérarchies ontologiques fossilisées.

    ÉLÉMENTS. Vous écrivez que pour  affirmer son « européanité » face aux États-Unis, il ne suffit pas de se priver de Coca, de MacDo, de jean’s et de Marvel. C’est incontestable mais n’est-ce pas là néanmoins un indispensable préalable ? Pour refonder cet « être au monde » spécifiquement européen que vous appelez de vos vœux, n’est-il pas nécessaire se débarrasser des oripeaux imposés par le « soft power » américain au fil du temps et qui, loin de n’être que superficiels, façonnent les esprits et les comportements ?

    ADRIANO SCIANCA : Il ne peut certainement pas exister de bon Européen qui ne mange que du MacDo et ne regarde que des films Marvel. Ma critique vise toutefois un certain moralisme, qui résout toute la question dans une course à la pureté individuelle. Je crois en outre qu’un soft power se combat en lui opposant un autre soft power, et non en jouant les ascètes. J’ajouterai une réflexion supplémentaire : l’américanisation se propage-t-elle aujourd’hui davantage à travers les hamburgers de MacDonald’s ou à travers des récits que l’on voudrait même « dissidents » ? Il y a une américanisation à travers le conformisme, certes, mais il en existe une autre, peut-être plus dangereuse, qui s’impose à travers un prétendu anticonformisme. Aujourd’hui, une « dissidence » qui raisonne selon des schémas strictement américanisés s’est imposée. Il y a quelques années, j’ai entendu une dame du même âge que mes parents, étrangère à toute affiliation politique radicale, qui voulait me faire croire que Biden avait été arrêté en secret et que les grands médias cachaient la vérité. Pourquoi cette grand-mère placide, qui n’a probablement jamais mangé un Big Mac, au cœur de l’Italie profonde et authentique, me répétait-elle avec conviction les idioties de Qanon ? Pourquoi entendons-nous de plus en plus souvent les « dissidents » suivre des prédicateurs religieux, adopter des catégories politiques messianiques, prêcher le droit absolu à l’autodéfense armée sur sa propriété ? Avant de juger les Américains loin de nous, regardons ceux qui sont déjà parmi nous.

    ÉLÉMENTS. Vous appuyez sur la nécessité d’un certain « pragmatisme politique » pour sortir du romantisme improductif et de « l’absolutisme » incapacitant. Jusqu’où doit aller ce « pragmatisme », sans risque qu’il se mue en « compromission » ? Par exemple, peut-on (ou doit-on) soutenir Emmanuel Macron du fait de son aspiration proclamée à la création d’une « armée européenne » qui pourrait devenir à terme l’un des piliers d’une « Europe puissance » à laquelle nous aspirons ?

    ADRIANO SCIANCA : Si un gouvernement « ennemi » fait quelque chose qui va dans la bonne direction, il est juste de souligner ses contradictions, son inadéquation, son hypocrisie, mais on ne peut pas soutenir du jour au lendemain le contraire de ce que l’on a toujours soutenu juste pour contrarier les dirigeants. Il est clair pour tout le monde que l’activisme de Macron sur le front de la défense commune n’est qu’une tentative désespérée de figurer dans l’histoire comme un homme d’État européen malgré ses échecs dans son propre pays. Tout comme il est clair pour tout le monde que son profil anthropologique et culturel est mal adapté au rôle de meneur qu’il prétend soudainement pouvoir jouer. Et pourtant, après avoir reproché à cette Europe d’être impuissante, sans défense, désarmée, hors de l’histoire, on ne peut pas ensuite lui reprocher exactement le contraire, simplement par crainte d’être associé à Macron. Dans mon livre, j’évoque l’image d’une « singularité européenne », sur le modèle de la singularité technologique. Comme on le sait, cette dernière représente la phase où les machines intelligentes commencent à se programmer elles-mêmes, de plus en plus rapidement, échappant au contrôle de ceux qui les avaient conçues à des fins tout autres. De la même manière, il est possible que l’Europe puissance, une fois mise en mouvement par ces classes dirigeantes, devienne autre chose, échappe au contrôle de ceux qui l’ont évoquée et les balaye. En tout état de cause, je ne deviendrai pas un partisan de notre impuissance par crainte de paraître compromis avec le macronisme. D’autant plus que ceux qui portent de telles accusations ont généralement des fréquentations bien plus embarrassantes.

    ÉLÉMENTS. Dans les dernières pages du livre, vous évoquez comme objectif des « bons européens » le concept d’Hespérie, également mis en avant par David Engels, un terme qui peut paraître à première vue légèrement abstrus ou du moins relativement « désincarné ». Pourriez-vous en donner une définition concrète ?

    ADRIANO SCIANCA : Il s’agit d’un concept qui résulte d’une traduction quelque peu créative d’une distinction heideggérienne. Le philosophe allemand opposait l’Occident et l’Abend-Land. Le premier est l’Occident que nous connaissons, mondialiste et déracinant. Le second est quelque chose de complètement différent, c’est la reprise du génie grec mais dans un contexte qui n’est plus celui de la Grèce. Les traducteurs français ont rendu Abend-Land par Esperia (qui est d’ailleurs l’un des plus anciens noms donnés à l’Italie par les Grecs). Guillaume Faye a repris ce concept et l’a développé à sa manière. Il est évidemment toujours un peu difficile de donner une substance concrète à des concepts philosophiques, mais dans mon cas, le concept servait à briser la dialectique binaire entre l’occidentalisme des Lumières et l’anti-occidentalisme obscurantiste. Il existe une troisième voie : celle qui cherche à conjuguer force et liberté, droit et identité, technique et enracinement. Occident est le nom du lieu où le soleil meurt, Esperia est le nom de la terre qui garde le soleil dans la nuit du monde, en attendant son inévitable renaissance.

    Adriano Scianca, propos recueillis par Xavier Eman (Site de la revue Éléments, 25 avril 2025)

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  • François Bousquet : « Le racisme antiblanc est une réalité ! »...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par François Bousquet à Frontières pour évoquer la question du racisme antiblanc à l'occasion de la sortie de son enquête intitulée Le racisme antiblanc (La Nouvelle Librairie, 2025).

    Journaliste, rédacteur en chef de la revue Éléments, François Bousquet a aussi publié Putain de saint Foucauld - Archéologie d'un fétiche (Pierre-Guillaume de Roux, 2015), La droite buissonnière (Rocher, 2017), Courage ! - Manuel de guérilla culturelle (La Nouvelle Librairie, 2020), Biopolitique du coronavirus (La Nouvelle Librairie, 2020) et Alain de Benoist à l'endroit - Un demi-siècle de Nouvelle Droite (La Nouvelle Librairie, 2023).

                                             

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  • Jean-Yves Le Gallou : "L'UE est l'ennemie de l'Europe"...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Jean-Yves le Gallou à Régis Le Sommier pour Omerta, à l'occasion de la publications de ses Mémoires identitaires (Via Romana, 2025), dans lequel il raconte comment il a vu le monde changer autour de lui.

     

                                              

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  • Géopolitique, guerres, propagandes et PsyOps ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Caroline Galactéros à Thinkerview, consacré à la situation géopolitique et à la menace de guerre... Caroline Galactéros anime GEOPRAGMA, qui veut être le pôle français de géopolitique réaliste.

     

                                                

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  • L'opération Louis Sarkozy...

    Le 16 décembre 2024, Pierre Bergerault recevait, sur TV libertés, Rodolphe Cart à l'occasion de la publication de son essai intitulé De quoi Louis Sarkozy est-il le nom ? (Perspectives libres, 2025).

    Partisan d'un nationalisme populaire et identitaire, Rodolphe Cart, qui, après avoir réussi des études juridiques, a exercé la profession de charpentier, est déjà l'auteur de trois essais, Georges Sorel, le révolutionnaire conservateur (La Nouvelle Librairie, 2023), Feu sur la Droite nationale ! (La Nouvelle Librairie, 2023), Faire légion - Pour un réveil des autochtones (Hétairie, 2024) et La menace néo-conservatrice - Une France et une Europe sous influence (La Nouvelle Librairie, 2024).

                                                

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  • François Bousquet : « Le racisme antiblanc est le tabou des tabous parce qu’il menace tout l’édifice idéologique victimaire »...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par François Bousquet à Breizh-info à l'occasion de la sortie de son enquête intitulée Le racisme antiblanc (La Nouvelle Librairie, 2025).

     

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    François Bousquet : « Le racisme antiblanc est le tabou des tabous parce qu’il menace tout l’édifice idéologique victimaire »

    Breizh-info.com : Tout d’abord, on trouve trois livres sur le racisme anti-blanc publiés au début des années 2000 et 2010, puis plus rien : un d’Hervé Ryssen, un autre de Gilles-William Goldnadel, et un édité à l’époque par Une Autre Jeunesse et les Identitaires. Que s’est-il passé depuis ?

    François Bousquet : La théorie du racisme systémique est passée par là. C’est une théorie fumeuse, délirante, hégémonique importée des États-Unis. Elle a pétrifié le débat comme après un hiver nucléaire. Débat figé = pensée stérilisée. À l’époque du communisme, on parlait du glacis soviétique, une ceinture de pays vassalisés qui empêchait toute forme de dissidence. Le glacis décolonial procède ainsi. En son centre, une vision manichéenne du monde : les méchants Blancs et les gentils « racisés ». Le Trofim Lyssenko français de cette fiction raciale est Éric Fassin. Du haut de sa chaire universitaire et de ses multiples tribunes franco-américaines, il a décrété que la terre est plate et que le racisme antiblanc n’existe pas pour les « sciences sociales ». Le simple fait d’évoquer cette réalité – que je documente largement dans mon enquête à partir d’une quarantaine de témoignages-chocs – vous condamne aussitôt à l’excommunication universitaire et médiatique. C’est ainsi qu’on a verrouillé le débat. Car à cette chape de plomb idéologique s’ajoute une censure de fait : les éditeurs reculent et les chercheurs ne cherchent pas. Le racisme antiblanc est devenu un impensé volontaire.

    Breizh-info.com : Votre livre s’ouvre sur une citation tirée d’un forum en ligne. Pourquoi avoir choisi cette source plutôt qu’un discours institutionnel ou universitaire ?

    François Bousquet :La vérité sort peut-être de la bouche des enfants, mais plus encore des adolescents. Ce sont eux qui encaissent, dans les cours de récréation et les terrains de foot, les regards hostiles, les invectives raciales, les brimades. Ce sont eux qui doivent de plus en plus souvent baisser les yeux et raser les murs. Voilà ce que l’on trouve dans les forums de discussion. Ce sont les cahiers de doléances de la jeunesse. Les journalistes, les éducateurs, les adultes devraient les consulter plus souvent, ils y découvriraient une jeunesse abandonnée qui exorcisent son mal-être avec les registres du langage propres à l’adolescence : non pas le pathos, mais le sarcasme, le ricanement, la provocation – qui saisissent la main qu’on ne leur tend pas… pour la mordre.

    Pourquoi suivre les discours institutionnels ? Pour avoir déserté le réel, ils n’ont plus aucune crédibilité. Ils se sont réfugiés dans des bulles idéologiques où l’on disqualifie toute approche empirique. Dans ces cas-là, il faut repartir de la base. Prendre le pouls de la France, non pas à la terrasse des cafés gentrifiés des grandes villes, mais dans les commentaires YouTube, sur les forums de jeux en ligne, sur les réseaux où la jeunesse invisibilisée s’exprime. Dans une époque où les grandes voix sont devenues muettes ou complices, il faut réapprendre à écouter les petites.

    Breizh-info.com : Le cœur de votre livre, ce sont les témoignages. Pourquoi avoir choisi cette méthode directe ? Quel en a été l’impact sur votre propre perception du phénomène ?

    François Bousquet :Ce sont eux qui nous disent le réel, sans filtre, sans édulcorant – et il ne correspond pas du tout au récit dominant. Si j’ai choisi cette méthode – la parole brute –, c’est qu’il n’y avait pour ainsi dire rien eu jusque-là. Aucune enquête de terrain sérieuse, aucun rapport public, aucun travail universitaire digne de ce nom. Rien. Le désert. Ce vide documentaire permettait aux chercheurs militants de décréter que le racisme antiblanc n’existait pas, faute de preuves. La boucle était ainsi bouclée : on ne cherche pas, donc on ne trouve pas, donc ça n’existe pas. J’ai fait le pari inverse : je suis allé à la rencontre du chœur étouffé de la société. Des adolescents, des étudiants, des salariés, des professeurs, des parents. J’ai été tour à tour bouleversé, ému jusqu’aux larmes, scandalisé par ces récits, pas seulement en tant que journaliste ni seulement en tant qu’homme, mais en tant que français, en tant qu’européen – et, oserais-je le dire, en tant que blanc. Tout d’un coup, il ne s’agissait plus de concepts, mais de confiance trahie, d’abandon, de mépris. C’est à ce moment que je suis devenu, non pas leur porte-parole, mais leur porte-voix : je ne parle pas à leur place, je parle pour qu’on les entende.

    Breizh-info.com : Pourquoi le racisme anti-blanc reste-t-il un tabou si tenace dans les médias, à l’université ou dans le champ politique ?

    François Bousquet : Le racisme antiblanc est le tabou des tabous parce qu’il menace tout l’édifice idéologique victimaire. Il brise le monopole de la plainte. Il dérange les équilibres symboliques sur lesquels repose l’architecture mentale des sociétés postnationales. Dans ces sociétés, les peuples historiques sont sommés de se taire, de se soumettre ou de se démettre. Reconnaître l’existence du racisme antiblanc revient à faire exploser cette logique asymétrique, qui est celle du multiculturalisme : oppresseurs d’un côté, opprimés de l’autre.

    Breizh-info.com : Vous distinguez les « grands Blancs » des « petits Blancs ». Cette fracture est-elle au cœur de l’invisibilisation de cette forme de racisme ?

    François Bousquet : Absolument. Le racisme antiblanc frappe les « petits Blancs », pas les éditorialistes de Radio France. Il y a deux Blancs en France : le grand et le petit. Le premier a les mots, les postes, les réseaux. Le second a le mépris, le silence, l’infériorisation. Le grand Blanc milite pour l’ouverture des frontières, mais pas dans son immeuble, encore moins dans l’école de ses enfants. Il célèbre la diversité, à condition qu’elle reste théorique. S’il y a un privilège blanc, ce n’est jamais que le sien : un privilège de caste –progressiste, gauchiste, métropolitain, sanctuarisé, qui ouvre toutes les portes. Le grand Blanc milite pour l’accueil inconditionnel des autres, mais c’est au petit Blanc d’en assumer les conséquences. C’est lui qu’on insulte dans les cours d’école, qu’on injurie sur les terrains de foot, qu’on humilie lors du ramassage scolaire. Cette fracture n’est pas anecdotique. Elle explique pourquoi le racisme antiblanc reste tabou : il touche ceux qui n’ont ni porte-voix ni relais.

    Breizh-info.com : Peut-on dire que ce racisme vise d’abord les plus vulnérables – géographiquement, socialement, scolairement – là où l’État semble avoir déserté ? Et qu’est-ce que cela dit du divorce entre les élites et le peuple ?

    François Bousquet : Plus personne n’est aujourd’hui à l’abri : la mort d’Élias, en début d’année, dans le 14e arrondissement parisien, l’a rappelé tragiquement. Mais de fait le racisme antiblanc frappe d’abord les catégories populaires. C’est ce qui ressort de la seule enquête menée conjointement par l’Insee et l’Ined en 2008-2009 – il n’y en aura plus jamais d’autre. Un Français sur sept non paupérisé, appartenant à la « population majoritaire » (volens nolens les Français de souche), dit avoir été victime de racisme (antiblanc en l’occurrence), mais parmi les Français paupérisés, c’est un sur quatre. On voit l’écart. Le racisme antiblanc frappe là où l’État s’est effacé : dans les zones de relégation, les marges oubliées, les établissements scolaires abandonnés. Plus on descend dans l’échelle sociale, plus les gens sont exposés, plus le racisme antiblanc est fort. Dit autrement : moins vous avez les moyens de la ségrégation – spatiale, sociale, raciale –, plus vous êtes exposé. À l’abri derrière ses envolées sur la mixité, le grand Blanc pratique la ségrégation – une ségrégation feutrée – derrière les murs de la gentrification et les codes sociaux qu’il maîtrise mieux que personne. La mixité est une farce que seuls les pauvres vivent pour de bon, à leurs dépens. Eux n’ont pas le luxe de la choisir ni de la doser. Ils la subissent de plein fouet, dans des environnements où l’on ne parle plus de coexistence mais de confrontation. Ils n’ont les moyens ni de l’évitement ni du séparatisme. Nous voilà au cœur de l’hypocrisie et des faux-semblants : ceux qui clament que le racisme antiblanc est un fantasme sont précisément ceux qui ont les moyens de ne jamais y être confrontés. Ils vivent dans une France fictionnelle ; pour les autres, elle est frictionnelle.

    Breizh-info.com : Pensez-vous qu’il faille en faire un combat universaliste et risquer de tomber dans une tendance à la mode, la victimisation ?

    François Bousquet : Universaliste, certainement pas. C’est précisément au nom d’un universalisme abstrait et d’une République prétendument aveugle aux différences que l’idéologie antiraciste a vu le jour il y a plus de quarante ans – pour dériver ensuite en machine de guerre contre les peuples autochtones et les appartenances légitimes. Il ne s’agit pas de recourir à notre tour à une victimisation en miroir, mais de pointer les effets pervers d’un multiculturalisme imposé d’en haut, sans consentement, et de se donner les moyens concrets d’y répondre, à partir d’un diagnostic d’échec.

    Breizh-info.com : L’ouvrage évoque aussi une société balkanisée, fracturée démographiquement. Peut-on vraiment dissocier le racisme antiblanc des effets de l’immigration massive ?

    François Bousquet :L’un ne va pas sans l’autre. Le tabou du racisme antiblanc ne tombera pas tant qu’on refusera de voir ce qui l’alimente : le déséquilibre démographique massif engendré par une immigration extra-européenne hors de contrôle. Le racisme antiblanc n’est pas une émanation spontanée de l’air du temps. Il est le produit d’une société fracturée, balkanisée, archipélisée, où l’élément majoritaire devient localement minoritaire, souvent dans l’indifférence – voire avec la bénédiction – des élites. Une société multiculturelle sans culture commune devient un champ de bataille. Le multiculturalisme n’est pas une richesse, c’est une poudrière.

    Breizh-info.com : SOS Racisme mettra-t-il un jour un « S » à « racisme », comme le suggérait Desproges ? Autrement dit, voyez-vous poindre une prise de conscience politique plus large, y compris à gauche ? En un mot : le tabou est-il en train de tomber, ou faudra-t-il encore, pour le briser, que le réel s’impose de manière plus brutale encore ?

    François Bousquet :La porte-parole du gouvernement, Sophie Primas, a assuré sur CNews ne pas avoir de pudeur à parler du racisme antiblanc. Sur la même chaîne, Aurore Bergé, ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations – tout un programme –, a dit l’inverse. Traitée de « Sale Blanche, crachats à l’appui, elle ne reconnaît pas l’existence du racisme antiblanc. On voit que l’ethnomasochisme a encore de beaux jours devant lui.

    La bonne nouvelle, néanmoins, c’est que, dans ce panorama désolé, une fissure apparaît. L’affaire de Crépol, et la mort de Thomas, a marqué un tournant. Non pas parce que la justice y a vu clair – elle s’emploie au contraire à éviter toute qualification aggravante pour racisme, au prix d’une instruction biaisée –, mais parce que l’opinion prend de plus en plus conscience qu’il ne s’agit pas de faits divers, mais de faits de société où s’exprime une rage anti-européenne, cultivée et canalisée par des années de ressentiment. Le mur du silence autour du racisme antiblanc commence ainsi à se fissurer. De plus en plus de gens en parlent librement. On ne peut pas indéfiniment se réfugier dans le déni, le délit et le délire – la loi des trois « D » auquel je tiens particulièrement – sans exposer à un violent retour du refoulé. Bienvenue dans le réel !

    François Bousquet, propos recueillis par Yann Vallerie (Breizh-info, 24 avril 2025)

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