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Entretiens - Page 3

  • La Pologne, son identité, son histoire et sa place dans l’Europe...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Stanisław Jegliński, journaliste et parfait francophone, à Ego Non et consacré à la Pologne, à son identité, à son histoire et à ses relations complexes avec ses voisins. A l’heure où l’État polonais semble regagner un certain poids sur le continent, il convient de s’y intéresser, sous peine de ne pas saisir tous les enjeux en cours.

     

                                               

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  • Racisme antiblanc : comment les journalistes ont fini par en devenir complices...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par François Bousquet à l'Observatoire du journalisme à l'occasion de la sortie de son enquête intitulée Le racisme antiblanc (La Nouvelle Librairie, 2025).

    Journaliste, directeur de la rédaction de la revue Éléments, François Bousquet a aussi publié Putain de saint Foucauld - Archéologie d'un fétiche (Pierre-Guillaume de Roux, 2015), La droite buissonnière (Rocher, 2017), Courage ! - Manuel de guérilla culturelle (La Nouvelle Librairie, 2020), Biopolitique du coronavirus (La Nouvelle Librairie, 2020) et Alain de Benoist à l'endroit - Un demi-siècle de Nouvelle Droite (La Nouvelle Librairie, 2023).

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    Racisme antiblanc : comment les journalistes ont fini par en devenir complices

    Vous avez imposé l’anonymat à certains de vos témoins, connaissant, dites-vous, le prix aujourd’hui exorbitant de la vérité. Qu’impliquerait pour eux le fait de témoigner à visage découvert ?

    François Bousquet : Chez certaines victimes, il y a la peur de représailles physiques ; chez d’autres, la peur de confronter leur entourage proche, les parents en général, à leur défaillance ou leur aveuglement. Mais, le plus souvent, c’est un autre spectre qui rôde : celui de la mort sociale et de la déchéance symbolique. La gauche bien-pensante se gausse quand on évoque l’argument de cette mort sociale, mais ce sont ses tribunaux qui, les premiers, en prononcent la sentence.

    Demandez à Colombe, cette Perpignanaise bénévole des Restos du cœur, elle-même allocataire du RSA, congédiée sans ménagement l’an dernier pour avoir assisté à un meeting de Jordan Bardella. Demandez à Jean-François Achilli, licencié par Radio France pour avoir travaillé à un livre avec le même Bardella, alors qu’il y a des dizaines de bouquins coécrits par des journalistes et des politiques. Demandez aux syndicalistes CGT ce qui leur est arrivé quand ils ont osé faire leur outing frontiste. Tous virés, sans autre forme de procès. Encore, je ne cite que les quelques cas qui me viennent spontanément à l’esprit. Combien d’autres ?

    Nous qui gravitons dans des sphères politiques ou militantes, nous avons tous au moins une connaissance proche qui a perdu son emploi pour avoir dévié de la ligne. C’est du maccarthysme inversé. Il en va de même pour les victimes de racisme antiblanc. C’est souvent pour elles la double peine. Non seulement elles subissent des agressions, mais en plus, par une mécanique perverse bien rodée, elles sont soupçonnées d’être elles-mêmes racistes. C’est l’inversion accusatoire dans sa version la plus toxique, celle où la victime devient le principal suspect. Dans ce contexte, témoigner à visage découvert, c’est se condamner à l’ostracisme, en risquant sa réputation, son travail, parfois même ses liens familiaux. Voilà pourquoi l’anonymat s’imposait.

    Comme vous le soulignez, la majorité des journalistes et des politiques sont blancs et – surtout – les premiers à refuser la mixité sociale et professionnelle. Comment expliquer que ces groupes ne profitent pas justement de leur position pour défendre les leurs ?

    François Bousquet : Homo duplex. L’homme est double. Cette duplicité atteint des sommets dans les professions intellectuelles. Le hiatus entre ce qui est professé et ce qui est pratiqué y est plus criant que partout ailleurs. Le maximalisme des déclarations – « il faut accueillir tout le monde » – jure avec le laxisme des pratiques : carte scolaire contournée, quartier gentrifié, environnement social épuré. Les donneurs de leçons pratiquent l’entre-soi comme un art de vivre, mais jurent leur attachement à la diversité comme à un dogme. Individuellement, ils font jouer des réflexes de survie tribale : ils choisissent soigneusement l’école de leurs enfants, leur voisinage, leurs relations, tout cela dans une logique d’endogamie culturelle, de reproduction sociale et d’évitement ethnique. Mais collectivement, ils s’interdisent de le reconnaître.

    C’est là qu’intervient la psychologie des foules, au sens de Gustave Le Bon : dès qu’ils se regroupent, ces individus intelligents deviennent stupides, grégaires, aveuglés par la griserie morale du groupe. Le conformisme fait le reste.

    Ce qu’ils perdent en lucidité, ils le gagnent en gratifications symboliques. La posture progressiste est rentable. Elle offre des dividendes immatériels : la bonne conscience, la supériorité morale, l’impression flatteuse d’être du bon côté de l’histoire. Mais elle offre aussi des revenus bien réels, sonnants et trébuchants. Toute une économie de la bien-pensance s’est structurée autour de cela. Pour un Jean-François Achilli viré, combien de confrères ont conforté leur position et grimpé les échelons ? Le progressisme est une rente – morale, sociale, médiatique. Comme toujours, la posture cache une imposture. On est là au cœur du Tartuffe de Molière, sous-titré « L’Imposteur ».

    Vous parlez du mot « race » comme d’un « bâton de dynamite » pour les journalistes. Il n’y a pas si longtemps encore, la question ethnique ne souffrait d’aucun tabou. Comment expliquez-vous cette bascule ? Pensez-vous que cela puisse changer ?

    François Bousquet : Dans les sociétés archaïques, certains mots ne se prononçaient qu’en tremblant, les mains jointes et les yeux baissés : le tétragramme « Dieu » chez les premiers Hébreux, le mot « Diable » dans à peu près toutes les civilisations. Chez nous, modernes d’occasion, c’est le mot « race » qui provoque les mêmes gestes de conjuration. On ne le prononce pas sans s’asperger aussitôt d’eau bénite et sans réciter dans la foulée un chapelet de confiteor antiracistes. Pensée magique. C’est celle qui s’est emparée des députés, en 2018, quand ils ont voulu supprimer, dans un bel élan unanimiste, le mot « race » de la Constitution. Supprimer le mot, c’était croire pouvoir abolir la chose. Magie blanche du législateur contre magie noire de l’histoire.

    Ces rituels d’exorcisme s’expliquent : le surmoi des Européens – surtout de l’Ouest – est façonné par une hantise rétrospective : le nazisme. Tout notre édifice moral s’organise autour de ce foyer brûlant, du moins jusqu’à il y a peu. Plus jamais ça ! À tel point qu’il suffisait, il y a quinze ans à peine, de prononcer « race » pour entraîner aussitôt une onde d’indignation médiatique. On croyait cette question raciale définitivement reléguée au musée des horreurs. Barack Obama, en 2008, s’enorgueillissait même d’être le héraut d’une Amérique postraciale. Or voilà que la race nous revient en boomerang, classique retour du refoulé.

    Ce retour ne s’est pas fait tout seul. Il a été préparé par un courant de pensée, longtemps confiné aux campus américains, qui a su capitaliser sur l’affaire George Floyd, en 2020, pour déclencher un « Great Awakening », l’un de ces Grands Réveils qui jalonnent l’histoire américaine – non plus religieux, comme dans les âges antérieurs, mais racial. Le mot « woke » dit bien ce qu’il veut dire : un éveil ou plutôt un réveil. Cette idéologie, œuvre des « racisés » et de ceux que j’appelle les « grands Blancs », a substitué aux grilles de lecture marxistes ou libérales celle plus élémentaire de la race. Mais à une condition : que les Blancs en soient la part maudite. Ce à quoi consentent volontiers les « grands Blancs » progressistes, d’autant plus aisément qu’ils restent les premiers procureurs dans ce procès truqué.

    C’est là l’un de ces paradoxes des conséquences, familiers à la pensée de Max Weber : le retour impensé du refoulé racial a contraint les Blancs à problématiser, à leur tour, une question qu’ils pensaient avoir définitivement évacuée. Ils ont beau répéter : « Non, fontaine empoisonnée de la race, je ne boirai pas de ton eau », ils en boivent, contraints et forcés par la société multiethnique qu’ils ont contribué à faire advenir.

    Les journalistes et les politiques, dites-vous, exploitent sans vergogne les agressions racistes, celles des Blancs envers les extra-Européens. Pourquoi le faire ?

    François Bousquet : L’après-guerre n’est qu’une lente descente dans les délices de la faute, la « felix culpa », la faute bienheureuse, jouissive, dans laquelle se vautrent nos élites, car il est commode de s’accuser d’une faute que l’on n’a pas commise. Hannah Arendt a des pages terribles sur cette complaisance vertueuse. Le psychanalyste Daniel Sibony parle même de « culpabilité narcissique », le paradoxe d’une faute fantasmée qui devient source d’amour-propre.

    Ce type de pathologie est la norme parmi les élites. En pratique, elle revient à accabler le seul peuple historique (Dupont La joie, les Deschiens, le « beauf » de Cabu, etc.), ces « petits Blancs », qui sont les dépositaires exclusifs du péché originel. Pas les élites, bien sûr. Cette culpabilisation a eu pour effet de casser un ressort vital dans la survie de toute collectivité humaine : l’estime de soi. Les peuples comme les individus ont besoin d’un idéal du moi, qu’ils cherchent à maintenir et à consolider. Mais lorsque cet idéal est méthodiquement détruit, ne reste que la honte.

    Cela a des effets concrets dramatiques sur les collégiens blancs que j’ai rencontrés et qui évoluent dans des environnements scolaires où ils sont minoritaires. Au moindre cours d’histoire, ils deviennent les symboles de cette France haïssable, chargée de tous les péchés du monde. Chaque leçon – colonisation, esclavage, Shoah, etc. – se transforme en flagellation. Au fil de mon enquête, je n’ai pas rencontré un seul ex-ado blanc, victime de racisme antiblanc, qui ne m’ait pas confié qu’adolescent, il avait eu honte d’être français. Pas un seul, je dis bien pas un seul, qui n’ait été tenté, adolescent, d’effacer ce qu’il était, de travestir son identité en s’inventant des origines étrangères. Voilà où nous a conduit la rétro-satanisation de notre histoire.

    Votre livre prétend « débunker » la théorie du racisme systémique mais surtout révéler au grand jour l’existence du racisme antiblanc. Les journalistes pourraient vous opposer que vous n’avez « que » quelques dizaines de témoignages et que cela ne démontre donc pas un phénomène structurel…

    François Bousquet : Quarante témoins, ce n’est pas rien. À ma connaissance, il n’y a pas de quorum pour engager une action collective ou un recours collectif, quarante suffiraient sans peine. Il a suffi de la publication d’une photo, celle d’un mort, le petit Aylan, en 2015, pour accélérer l’accueil d’étrangers lors de la crise des migrants – photo médiatiquement et éhontément surexploitée. Mais dès qu’il s’agit de Blancs agressés parce que Blancs, les seuils s’élèvent : il ne faudrait plus un témoignage, ni dix, ni cent, mais des milliers certifiés par huissier.

    Cela dit, les journalistes n’ont rien à opposer à mon enquête, sinon une fin de non-recevoir. Je n’ai reçu aucune invitation dans les médias centraux, exception faite d’un débat dans les colonnes de Marianne à l’initiative de la journaliste, Rachel Binhas.

    Ces chiffres, si limités soient-ils – et ils le sont comparés à l’ampleur du phénomène –, ont au moins un mérite : ils pulvérisent le dogme de l’inexistence du racisme antiblanc.

    La vérité, c’est que chercheurs, démographes, statisticiens ne le cherchent pas. Ne le cherchant pas, ils ne le trouvent pas. Une fois, une seule, il y a quinze ans, l’Insee et l’Ined, dans le cadre d’une enquête sur les discriminations, à partir d’un énorme échantillonnage, ont montré que le « groupe majoritaire » (grosso modo les Français métropolitains de souche) était lui aussi victime de racisme. Un quart même pour les paupérisés et pour les jeunes. Les enquêteurs avaient pourtant délibérément restreint l’échantillon du « groupe majoritaire », très largement sous-représenté par rapport aux populations d’origine étrangère ou ultramarine. Mais nonobstant l’impossibilité théorique du racisme antiblanc, ils ont bien été obligés d’en concéder la réalité statistique. Pas longtemps, il est vrai. Car ils ont aussitôt affirmé que ce « groupe majoritaire » abritait des populations extra-européennes présentes en métropole depuis longtemps. Ouf ! La grille d’analyse reste intacte.

    Un point marquant dans les témoignages que vous avez recueillis, c’est la sidération qui en a saisi certains lorsque, pour la première fois, ils ont été confrontés à des logiques de discrimination « qu’ils n’avaient jamais envisagées ». Pensez-vous que par leur silence, journalistes et politiques se rendent coupables de la multiplication de ces actes racistes antiblancs (insultes, agressions, etc.) ?

    François Bousquet : Journalistes, universitaires, politiques, tous sont complices d’un déni et d’un délit de masse. Parce que ne pas reconnaître ce racisme, c’est le légitimer. Ne pas le nommer, c’est l’autoriser. Ne pas le sanctionner, c’est l’institutionnaliser. La loi française interdit explicitement tout racisme, y compris le racisme antiblanc, mais dans la plupart des cas, cette interdiction reste lettre morte. Tout cela finit par créer un racisme antiblanc d’atmosphère, comme une sorte de normalisation rampante. C’est ce que les sociologues de l’organisation appellent la « normalisation de la déviance » : un processus par lequel des écarts deviennent progressivement tolérés, puis admis, puis banals. Tout commence par des signaux faibles – une insulte antiblanche, un crachat, une bousculade à la cantine, une remarque dans les transports – qui, parce qu’ils ne sont pas relevés, deviennent des signaux routiniers. Ce qui devait rester l’exception devient ainsi à terme la norme informelle.

    Un exemple parmi d’autres : le soir de la finale entre le PSG et l’Inter de Milan, des milliers de jeunes d’origine extra-européenne ont scandé en chœur, sur les Champs-Élysées, autour du Parc des Princes, dans le 8ᵉ arrondissement et ailleurs : « Français, Françaises, on vous emmerde ! » Qui en a parlé ? À ma connaissance, personne. Qu’y a‑t-il, pourtant, de plus explicite ? Voilà l’un des visages de ce racisme antiblanc, aussi massif qu’occulté. Les journalistes n’en font quasiment jamais état. Or, pendant ce temps, il prospère.

    François Bousquet, propos recueillis par Lorelei Bancharel (Observatoire du journalisme, 10 juillet 2025)

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  • Vers la fin de l'Etat-nation ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné, le 19 mars dernier, par Laurent Ozon à Rachid Achachi pour Ondes de choc TV, dans lequel il évoque la question des origines de l'Etat-nation, de ses transformations et de son devenir.

    Essayiste et analyste politique, tenant d'une écologie localiste et identitaire, premier promoteur de l'idée de remigration, Laurent Ozon est l'auteur de l'excellent essai intitulé France, années décisives (Bios, 2015).

     

                                                

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  • Israël, Iran, USA : vers la 3e guerre mondiale ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous Le samedi politique de TV Libertés, diffusé le 28 juin 2025 et présenté par Élise Blaise, qui recevait Caroline Galactéros pour évoquer la situation géopolitique provoquée par le conflit au Proche et Moyen-Orient...

    Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et de Vers un nouveau Yalta (Sigest, 2019). Elle a créé en 2017, avec Hervé Juvin, entre autres, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

     

                                            

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  • Guerre, climat, wokisme : quand Alain de Benoist démonte l’idéologie dominante...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à André Bercoff sur Tocsin dans lequel il évoque la rupture profonde entre les élites et le peuple à travers les grandes crises contemporaines : guerre en Ukraine, pandémie de Covid, urgence climatique, montée du wokisme…

    Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Contre le libéralisme (Rocher, 2019),  La chape de plomb (La Nouvelle Librairie, 2020),  La place de l'homme dans la nature (La Nouvelle Librairie, 2020), La puissance et la foi - Essais de théologie politique (La Nouvelle Librairie, 2021), L'homme qui n'avait pas de père - Le dossier Jésus (Krisis, 2021), L'exil intérieur (La Nouvelle Librairie, 2022), Nous et les autres - L'identité sans fantasme (Rocher, 2023) et, dernièrement, Martin Buber, théoricien de la réciprocité (Via Romana, 2023).

     

                                             

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  • Alain de Benoist : « Rousseau s’oppose à angle droit aux thèses des Lumières »...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist au Journal du Dimanche pour évoquer son dernier essai intitulé Un autre Rousseau - Lumières et contre-Lumières (Fayard, 2025).

    Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Contre le libéralisme (Rocher, 2019),  La chape de plomb (La Nouvelle Librairie, 2020),  La place de l'homme dans la nature (La Nouvelle Librairie, 2020), La puissance et la foi - Essais de théologie politique (La Nouvelle Librairie, 2021), L'homme qui n'avait pas de père - Le dossier Jésus (Krisis, 2021), L'exil intérieur (La Nouvelle Librairie, 2022), Nous et les autres - L'identité sans fantasme (Rocher, 2023) et, dernièrement, Martin Buber, théoricien de la réciprocité (Via Romana, 2023).

     

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    « Rousseau s’oppose à angle droit aux thèses des Lumières, il ne croit pas au progrès et est même hanté par la décadence »

    JDD. La publication de votre nouveau livre chez Fayard relance les controverses autour de votre œuvre. Estimez-vous avoir été victime d’une forme de censure ?

    ALAIN DE BENOIST : Il n’y a jamais eu de « controverses », mais plutôt tentative d’ostracisme et de marginalisation. Dans le monde actuel, il suffit de couper l’accès aux micros et aux haut-parleurs pour condamner à la mort sociale. Comme je suis un adversaire de l’idéologie dominante, je ne m’en afflige pas outre-mesure : après tout, c’est le prix de la liberté. Mais il est vrai que j’ai parfois la nostalgie des règles de l’ancienne disputatio, où l’on commençait par exposer honnêtement les idées de ses adversaires avant de tenter de les réfuter. J’ai publié une centaine de livres et des milliers d’articles dans le domaine de la philosophie politique et de l’histoire des idées, je n’ai pas souvenir de la moindre tentative de réfutation. Dans un climat de soupçon général, entretenu par l’extrémisation et l’hystérisation des rapports sociaux, le « débat » ne porte plus sur ce que l’on dit, mais sur ce que l’on voudrait vous faire dire – et que l’on ne dit pas !

    JDD. Regrettez-vous de ne pas avoir eu plus d’influence sur le jeu politique ?

    ALAIN DE BENOIST : Certains m’ont crédité de « stratégies » compliquées, ce que je trouve un peu risible. Pour un intellectuel, la meilleure stratégie est de n’en avoir aucune, c’est-à-dire de dire ce qu’il pense. Ce sont les hommes politiques qui ont des stratégies. Or, je n’ai jamais été un acteur de la vie politique, seulement un observateur. De façon plus générale, je crois que les partis politiques sont très peu réceptifs aux idées, non seulement parce qu’un grand nombre d’hommes politiques sont incultes en matière idéologique, philosophique ou théorique, mais parce que seules les intéressent les idées qu’ils peuvent instrumentaliser. Les politiques veulent rassembler, les idées divisent.

    JDD. Pourquoi avoir voulu, dans ce nouveau livre, réhabiliter Rousseau ?

    ALAIN DE BENOIST : Je n’ai pas tant cherché à le réhabiliter qu’à en proposer une nouvelle lecture. Comme bien d’autres auteurs, Jean-Jacques Rousseau est surtout lu aujourd’hui d’une manière anachronique, sans restituer sa pensée dans le contexte de son temps. L’anti-rousseauisme se résume trop souvent à des critiques ad hominem, assorties de formules toutes faites qu’on répète comme des mantras : « l’homme naturellement bon », « le bon sauvage », etc. Quand on va y voir plus près, on s’aperçoit que Rousseau a dit tout autre chose que ce que l’on dit de lui.

    JDD. Le principal reproche fait à Rousseau est d’être l’inspirateur de la Révolution française. Vous vous élevez contre cette idée.

    ALAIN DE BENOIST : La Révolution française n’a pas été un « bloc ». Ses grands inspirateurs ont été les philosophes des Lumières, Rousseau n’arrive que bien après. Or, Rousseau s’oppose à angle droit aux thèses des Lumières. D’abord, il ne croit pas au progrès. Il est même hanté par la décadence. Il pense que l’homme n’a cessé de se dénaturer depuis l’Antiquité, qu’il admire profondément. « Les anciens politiques, écrit-il, parlaient sans cesse de mœurs et de. Vertu ; les nôtres de parlent que de commerce et d’argent ». Que s’est-il passé ? Telle est la question à laquelle il entend répondre. D’autre part, il n’aime pas les échanges commerciaux, ni l’économie. Alors que les Lumières pensent que l’économie est par définition le lieu de la liberté et que la nature même de l’homme le porte vers les transactions et les échanges qui lui permettent de satisfaire son meilleur intérêt, Rousseau défend au contraire le primat du politique. Réagissant contre l’universalisme d’un Condorcet, il soutient que les institutions doivent être adaptées au caractère spécifique des nations et des peuples, comme en témoignent ses projets de Constitution pour la Pologne et pour la Corse. Dans le même esprit, il oppose le peuple des campagnes aux grandes villes où ne règne que le désir de paraître et l’amour-propre, dont il fait le contraire de l’amour de soi : « Le meilleur mobile d’un gouvernement est l’amour de la patrie, et cet amour se cultive dans les champs ». Considérant la « société générale du genre humain » comme une illusion, il met aussi en garde contre « ces prétendus Cosmopolites, qui se vantent d’aimer tout le monde pour avoir le droit de n’aimer personne ». L’homme en soi, l’homme abstrait, n’existe pas à ses yeux : « Il faut opter entre faire un homme ou un citoyen, car on ne peut faire à la fois l’un et l’autre ».  C’est cet autre Rousseau que j’ai voulu faire apparaître.

    JDD. Néanmoins, contre Hobbes, Rousseau considère que c’est non pas à l’état de nature, mais dans la société de son temps que chacun est l’ennemi de ses semblables, expliquez-vous. Est-ce à dire qu’il suffirait d’éradiquer la société pour susciter une humanité régénérée et une société parfaite ?

    ALAIN DE BENOIST : L’« état de nature » dont parle Rousseau n’est à ses yeux qu’une hypothèse utile à sa démonstration : il va jusqu’à dire qu’il est fort possible qu’il n’ait « point existé ». Son contrat social, qui vise à concilier la liberté et l’obligation sociale, diffère totalement du contrat social de Locke, fondé sur l’intérêt, ou du contrat social de Hobbes, qui n’est qu’un moyen d’échapper à une « guerre de tous contre tous » qui, en réalité, s’est généralisée dans les sociétés modernes. Quant à l’idée d’un « homme nouveau », elle n’est pas nouvelle. On la trouve déjà chez saint Paul ! Ce qui compte pour Rousseau, c’est de faire primer le bien commun sur les intérêts particuliers, idée qui contredit également tout ce que pensent les Lumières, pour lesquelles les nations et les peuples ne sont que des agrégats hasardeux d’individus.

    JDD. Plus encore qu’une critique antilibérale, ce livre n’est-il pas une critique de la droite réactionnaire et conservatrice ?

    ALAIN DE BENOIST : La droite contre-révolutionnaire ne peut pas adhérer à Rousseau, parce qu’elle s’oppose à la modernité au nom d’un passé qu’elle espère ressusciter. C’était notamment la position de Joseph de Maistre. Rousseau, lui, est un moderne qui critique la modernité de l’intérieur. Il défend avec force le principe de la souveraineté populaire, que rejettent évidemment les contre-révolutionnaires. Mais sa défense du peuple, dont il dit, comme Carl Schmitt, qu’il doit être politiquement présent à lui-même, le met aussi en porte à faux avec les partis de la gauche actuelle, qui ont abandonné le social pour le sociétal et ont depuis longtemps accepté les principes de la société de marché, ce qui les a amenés à trahir les intérêts des travailleurs. L’œuvre de Rousseau condamne par avance cette gauche qui se moque de la patrie et milite pour la suppression des frontières : « Défiez-vous de ces cosmopolites qui vont chercher loin dans leurs livres des devoirs qu’ils dédaignent de remplir autour d’eux » ! Jean-Claude Michéa dit à peu près la même chose aujourd’hui. On peut aussi penser aux « socialistes patriotes » qu’aimait à évoquer Bernanos.

    JDD. Vous dressez le portrait d’un penseur inclassable, vous voyez-vous en lui ?

    ALAIN DE BENOIST : Ceux qui me trouvent inclassable raisonnent en fonction des étiquettes. Ils vivent dans un monde en noir et blanc qui ignore les couleurs. Tout leur paraît « confus » quand on brouille leurs repères. Autrefois, beaucoup d’homme de droite avaient aussi une culture de gauche, et beaucoup d’hommes de gauche avaient aussi une culture de droite. Je trouve dommage que ce ne soit plus le cas. Personnellement, j’aime les démarches transversales. Au fond, seuls les inclassables sont intéressants. Les autres ne sont que des disques rayés !

    Alain de Benoist, propos recueillis par Aziliz Le Corre (Journal du dimanche, 17 mai 2025)

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