Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné à Frontières par Xavier Driancourt, ancien ambassadeur de France en Algérie et expert des relations diplomatiques, qui livre son analyse de la situation migratoire en Europe.
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Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné à Frontières par Xavier Driancourt, ancien ambassadeur de France en Algérie et expert des relations diplomatiques, qui livre son analyse de la situation migratoire en Europe.
Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à Monde & Vie, et cueilli sur le site de la revue Éléments, dans lequel il évoque les idées développées dans son essai Un autre Rousseau - Lumières et contre-Lumières ( Fayard, 2025).
Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Contre le libéralisme (Rocher, 2019), La chape de plomb (La Nouvelle Librairie, 2020), La place de l'homme dans la nature (La Nouvelle Librairie, 2020), La puissance et la foi - Essais de théologie politique (La Nouvelle Librairie, 2021), L'homme qui n'avait pas de père - Le dossier Jésus (Krisis, 2021), L'exil intérieur (La Nouvelle Librairie, 2022), Nous et les autres - L'identité sans fantasme (Rocher, 2023) et, dernièrement, Martin Buber, théoricien de la réciprocité (Via Romana, 2023).

« Pour Rousseau, la raison ne peut se passer du renfort de la passion pour faire émerger la vertu »
MONDE&VIE. Vous soulignez le rôle de grand opposant tenu par votre héros au milieu des Lumières françaises, qui la plupart du temps sont résolument athées (de Diderot à D’Holbach). Lui prononce, au contraire, que l’on doit s’éloigner des grandes métropoles et retrouver Dieu dans la nature. Voltaire, qui pourtant n’était pas tout à fait athée, n’a jamais pu supporter ce Rousseau-là…
ALAIN DE BENOIST : Il le présentait même comme le « Judas de la confrérie » ! Voltaire représente tout ce que Rousseau déteste : la civilisation dans ce qu’elle a de plus opposé à la vraie culture, le rationalisme prétentieux, le primat des artifices, le souci de paraître, le goût de la dérision, l’ironie qui se croit supérieure et l’impiété. Rousseau, lui, condamne l’athéisme, coupable à ses yeux de favoriser la déliaison sociale, et en tient plutôt pour une religion qui sacraliserait en quelque sorte le patriotisme.
Les commentateurs ont toujours été très partagés sur ce que Rousseau entend par « religion civile », les uns y voyant l’institution d’une sorte de théisme d’État, les autres un simple moyen de mettre la religion au service du politique (c’est l’hypothèse la plus souvent retenue) ou encore de neutraliser politiquement les effets délétères d’un « fanatisme » qui a pris historiquement la forme de la « religion du prêtre », d’autres enfin la volonté de reconnaître que la religion est une « force agissante » dont on ne saurait se passer. Ce qui est certain, c’est que Rousseau, lorsqu’il parle d’instaurer une religion du citoyen, ne plaide nullement pour une « Église nationale » dans l’esprit du gallicanisme ou de l’Église anglicane, formule qui le séduit mais qu’il juge irréaliste. Ce qu’il pense plutôt, c’est que la raison ne peut se passer du renfort de la passion pour faire émerger la vertu. La religion motive, et elle peut aussi motiver le patriotisme. Pour Rousseau, la croyance en une vie après la mort est requise pour la vertu du citoyen : aucun État ne pourrait demander à ses citoyens de sacrifier leur vie pour défendre leur patrie s’ils n’avaient foi en une vie après la mort. La nécessaire autonomie du politique n’implique donc pas chez lui la mise à l’écart du religieux. C’est ce qu’il explique longuement au chapitre 8 du livre IV du Contrat social, mais aussi dans ses textes sur la Pologne et la Corse, où il explique que les citoyens seront d’autant plus patriotes qu’ils auront été formés à regarder la patrie comme digne d’un culte. Cette affirmation a de toute évidence pour modèle la cité antique.
Ce qui pose problème à Rousseau, c’est d’abord l’universalisme chrétien, qui peut être un prétexte à l’effacement des frontières (étant d’emblée universel, l’amour chrétien peut difficilement former communauté), et ensuite que la religion chrétienne est avant tout tournée vers « les choses du ciel » : « Loin d’attacher les cœurs des citoyens à l’État, écrit-il, elle les en détache comme de toutes les choses de la terre : je ne connais rien de plus contraire à l’esprit social ». Enfin, Rousseau s’inquiète des conséquences de l’existence d’un pouvoir religieux distinct du pouvoir politique : promouvoir à la fois l’autorité de l’Église et celle du prince revient à créer une situation où l’une et l’autre ne pourront que rivaliser entre elles et entrer en conflit. Rousseau constate qu’il en a résulté un « perpétuel conflit de juridiction qui a rendu toute bonne politie impossible dans les États chrétiens ». Son reproche est donc essentiellement politique.
MONDE&VIE. Beaucoup de penseurs de la chose politique ont décidé depuis longtemps de laisser Jean-Jacques Rousseau dans leur bibliothèque, tant les sujets sur lesquels intervient le Vicaire savoyard sont nombreux, sont actuels et, vus de lui, souvent dérangeants. Et vous, en exhumant le penseur politique immense qu’il fut, vous faites l’inverse de ces chercheurs fatigués. Que trouvez-vous dans Rousseau, philosophe politique aujourd’hui, que vous ne trouvez pas ailleurs ?
ALAIN DE BENOIST : Si je m’intéresse à Rousseau, ce n’est pas parce que je trouve chez lui des choses que je ne « trouve pas ailleurs », mais parce que l’historien des idées que je suis est en désaccord avec la façon dont il est le plus souvent représenté. Pour dire les choses simplement, Rousseau, loin d’être un philosophe des Lumières, est bien plutôt selon moi un anti-Lumières. Bien entendu, sa critique des Lumières n’est pas celle de Joseph de Maistre ou de Donoso Cortés, mais il suffit de le lire pour en constater l’actualité.
Rousseau, d’abord, n’est pas un progressiste. Allant jusqu’à dire que « l’aversion des nouveautés est toujours fondée », il est au contraire hanté par la décadence qu’il pense observer autour de lui. Loin d’annoncer des lendemains qui chantent, il est un admirateur inconditionnel de l’Antiquité grecque et romaine : « Quand on lit l’histoire ancienne, on se croit transporté dans un autre univers, et parmi d’autres êtres ». « Les anciens politiques, ajoute-t-il, parlaient sans cesse de mœurs et de vertu ; les nôtres ne parlent que de commerce et d’argent ». C’est la raison pour laquelle il est en désaccord absolu avec les physiocrates, qui sont en train de jeter les bases de l’économie classique libérale qui domine encore aujourd’hui. Et c’est aussi la raison pour laquelle il ne cesse de plaider pour la subordination de l’économique au politique. Bien avant Maurras, il en tient pour le « politique d’abord ». Alors que Condorcet assure qu’une bonne Constitution est valable en tous temps et en tous lieux, il pense que la Constitution de chaque peuple doit être rédigée en fonction de la spécificité de ce peuple. On pourrait multiplier les exemples. Je ne fais ici que survoler un sujet que je développe longuement dans mon livre.
MONDE&VIE. Vous venez de publier un numéro de votre revue annuelle, « Nouvelle École », sur Karl Marx. Le rapprochement entre Rousseau et Marx est tentant. On trouve d’ailleurs sous votre plume cette petite phrase à propos de Jean-Jacques : « On pourrait faire un parallèle avec Marx que des générations d’hommes de droite ont voué aux gémonies sans jamais l’avoir lu » (p. 184). On pourrait dire qu’il y a Marx lu par Lénine et Marx lu très positivement par le très cher catholique Michel Henry… Et il y a Rousseau lu par Robespierre et Rousseau lu par Louis de Bonald, ce contre-révolutionnaire qui, dites-vous dans votre ouvrage, a une dette envers Rousseau. Ou encore Rousseau lu, aux origines du romantisme français par Châteaubriand, qui renonce à en faire la critique.
ALAIN DE BENOIST : La comparaison avec le « Marx lu par Lénine » et le « Marx lu positivement par le très catholique Michel Henry » est tout à fait juste. Dans son grand livre sur Marx, Michel Henry ajoute qu’on pourrait définir le marxisme comme la somme des contresens que l’on a écrits sur Marx. « Je n’ai jamais été marxiste ! » disait Marx. Il faut en effet distinguer Marx et le marxisme, et voir en même temps qu’il n’y a pas « un » marxisme, mais une quantité de marxismes qui ne se laissent nullement ramener à l’unité. Quant au « marxisme-léninisme », pour ne rien dire du « matérialisme dialectique », pure invention de Lénine en 1908, ce n’est qu’une falsification. « La pensée de Marx ne fait pas partie de l’histoire du marxisme », rappelait la philosophe italien Costanzo Preve. On pourrait tout aussi bien dire que la pensée de Rousseau ne fait pas partie de l’histoire du rousseauisme…
Un autre point en commun entre Marx et Rousseau est qu’ils sont sans doute les deux philosophes qui, au cours de l’histoire, ont été les plus diffamés, vilipendés et voués aux gémonies. Et avec des procédés quasiment identiques. On a multiplié envers eux les attaques ad hominem et, surtout, on les a rendus responsables de tout. Rousseau serait le père de la Terreur, Marx l’ancêtre du Goulag. C’est une façon de voir à la fois anachronique et téléologique. La vérité est que nous ignorons complètement comment l’un et l’autre auraient réagi au spectacle de ce dont on a voulu si généreusement leur faire endosser la paternité. Que Robespierre se soit réclamé de Rousseau, que ce soit à l’époque révolutionnaire que l’on a transféré les cendres de Rousseau au Panthéon, ne nous dit rien de la valeur de vérité de cette revendication. A l’inverse, le jurisconsulte Joseph de Bernardi (1751-1824), qui avait été arrêté en 1793 pour ses opinions monarchistes, s’affirmait persuadé « que l’âme sensible et vertueuse de Rousseau qui, dit-on, n’eût pas voulu d’une Révolution souillée par une seule goutte de sang, aurait versé des larmes amères sur le 2 septembre, la loi des suspects ou des otages, les proscriptions privées ou en masse et tous les assassinats arbitraires qui ont dévasté ou ensanglanté le sol de la France ».
Là encore, relisons Rousseau , lui qui ajoute que « dans un État où le gouvernement et les lois ont déjà leur assiette, il faut éviter autant qu’il se peut de rien innover. Les avantages des lois nouvelles sont toujours moins sûrs que les dangers n’en sont grands » ? Lui qui, opposant par avance une fin de non-recevoir aux révolutionnaires qui se réclameraient abusivement de lui, écrivait à propos de lui-même : « On s’est obstiné à voir un promoteur de bouleversements et de troubles dans l’homme au monde qui porte un plus vrai respect aux lois et aux constitutions nationales, et qui a le plus d’aversion pour les révolutions, et pour les ligueurs de toute espèce qui le lui rendent bien » (Rousseau juge de Jean-Jacques). La radicalité de Rousseau n’était pas politique, mais philosophique.
MONDE&VIE. Votre livre sur Rousseau a ceci de particulier que c’est aussi un livre sur les gens de droite qui, depuis plus de deux cents ans, ont lu le Promeneur solitaire. Et sont en partie responsables de la figure historique de Jean-Jacques, souvent très éloignée du personnage réel… Parmi les sympathisants, sans surprise, on trouve Barrès qui en dit du bien dans ses « Carnets », on trouve Péguy et on trouve Victor Delbos, catholique et kantien, qui appelle Rousseau « le Barrès du XVIIIe siècle ». Parmi les adversaires irréductibles : Maurras, Maritain et Mauriac, les catholiques de l’ordre peut-être ?
ALAIN DE BENOIST : Maurras, Maritain et Mauriac peuvent sans doute être qualifiés de « catholiques de l’ordre ». Mais Barrès et Péguy prônaient-ils le désordre ? Dans le chapitre assez substantiel que je consacre à l’anti-rousseauisme des droites françaises, j’observe en fait que la plupart des adversaires de Rousseau le jugent à partir de formules toutes faites répétées comme des mantras : « l’état de nature », le « contrat social », « l’homme naturellement bon corrompu par la société », la « volonté générale », etc. Quand on va y voir de plus près, on constate que l’« état de nature » dont parle Rousseau n’est qu’une hypothèse expérimentale permettant d’examiner à nouveau frais le rapport entre la liberté et l’obligation sociale, que son « contrat social », qui ne fait pas naître la société d’un choix rationnel des individus, est d’une nature bien différente du contrat social chez Locke, qui trouve son ressort dans la recherche de l’intérêt ou de l’utilité des agents, comme de celui de Hobbes, qui repose sur le désir d’échapper à la lutte de tous contre tous. Contrairement à ce que l’on croit généralement, il ne prône pas non plus le « retour à l’état de nature ». L’égalité dont il parle est une égalité strictement politique. Quant à la « bonté naturelle » elle n’est pas chez lui une qualité mais une propension, qui renvoie avant tout au lien social, à la capacité de l’homme d’être heureux sans causer de malheur aux autres.
Dans un passage bien connu, Rousseau parle sans équivoque de l’état de nature de l’homme comme d’« un état qui n’existe plus, qui n’a peut-être point existé, qui probablement n’existera jamais ». En admettant que l’état de nature « n’a peut-être point existé », il montre bien que c’est sur une hypothèse utile à sa démonstration qu’il entend s’appuyer, non sur un fait avéré. La plupart des critiques que l’on adresse à Rousseau à propos de l’état de nature s’effondrent d’elles-mêmes dès que l’on comprend que l’état de nature n’est pas pour lui une période historique, mais un modèle théorique.
MONDE&VIE. N’êtes-vous pas surpris de trouver Proudhon et Edouard Berth, auquel me semble-t-il vous avez consacré un livre, « Le socialisme héroïque », parmi les adversaires de Rousseau ? En fait, même s’il existe d’autres lectures, il ne suffit pas d’être de gauche pour être rousseauiste, tout comme il ne suffit pas d’être de droite pour être anti-rousseauiste. Ni droite ni gauche, que reste-t-il à la politique de Rousseau ? Quels principes métapolitiques ? L’écologie ?
ALAIN DE BENOIST : L’anti-rousseauisme de Proudhon et d’Edouard Berth ne sont chez eux que la conséquence de leur hostilité au romantisme. Vous noterez néanmoins que Georges Sorel, que Berth admirait plus encore que Proudhon, ne partageait pas cet avis. En 1907, il reprochait même à Jules Lemaître de ne pas reconnaître « le rôle du génie qui a le plus fortement marqué de son empreinte notre littérature depuis Corneille ». « Jean-Jacques, ajoutait-il, n’est pas plus responsable d’ineptes imitations que Raphaël n’est responsable du style académique ».
En qualifiant Rousseau de « conservateur révolutionnaire », j’ai voulu dire qu’il était un moderne antimoderne. Cela le distingue évidemment des contre-révolutionnaires, et je comprends très bien que certains ne supportent pas qu’il ait défendu la souveraineté du peuple. Rousseau n’est évidemment pas un tenant de l’Ancien Régime. C’est un démocrate, mais un démocrate antilibéral, qui annonce la montée de ce qu’on appelle aujourd’hui la « démocratie illibérale ». Sa grande obsession est de faire en sorte que, dans la société, les intérêts particuliers, les intérêts des partis et des factions, ne l’emportent pas sur l’intérêt général et le bien commun. C’est la raison pour laquelle il parle sans cesse de la nation, de la vertu civique et de la patrie. Certes, il a une conception moderne de la patrie (je pense évidemment ici au grand livre de Jean de Viguerie sur Les deux patries), mais c’est aussi ce qui fait son actualité. Le débat qu’il engage pour savoir si l’homme doit d’abord être un homme ou être un citoyen rebondit même de nos jours avec une force singulière. La réponse de Rousseau n’est pas douteuse : « « Il faut opter entre faire un homme ou un citoyen : car on ne peut faire à la fois l’un et l’autre ». La liberté individuelle, pour lui, n’est pas le fait du privé, elle s’affirme dans la sphère publique, où l’individu se mue en citoyen. Ce qui compte, ce ne sont pas les droits de l’homme, mais les droits du citoyen.
Vous me permettrez de conclure avec cette citation : « Toute société partielle, quand elle est étroite et bien unie, s’aliène de la grande. Tout patriote est dur aux étrangers ; ils ne sont qu’hommes, ils ne sont rien à ses yeux. Cet inconvénient est inévitable, mais il est faible. L’essentiel est d’être bon aux gens avec qui l’on vit […] Défiez-vous de ces Cosmopolites qui vont chercher au loin dans leurs livres des devoirs qu’ils dédaignent de remplir autour d’eux ».
Alain de Benoist (Site de la revue Éléments, 30 juillet 2025)
Dans cette émission, diffusée par TV Libertés, Alain Juillet, ancien directeur du renseignement de la DGSE, et Claude Medori reçoivent Christophe Gomart, député européen et ancien directeur du renseignement militaire. Ensemble, ils analysent comment l’OTAN est devenu un levier stratégique au service des intérêts américains, imposant ses choix et redéfinissant les équilibres internationaux. Ils approfondissent la question d’une Europe en quête de souveraineté, encore trop dépendante d’alliances qu’elle ne maîtrise plus totalement.
Le 15 juillet 2025, Elise Blaise recevait, sur TV libertés, Bernard Wicht à l'occasion de la publication de son essai intitulé Guerres en Europe - Gangs contre milices privées (Perspectives libres, 2025).
Universitaire, historien des idées et spécialiste en stratégie, Bernard Wicht a récemment publié Une nouvelle Guerre de Trente Ans (Le Polémarque 2011), Europe Mad Max demain ? (Favre, 2013), L'avenir du citoyen-soldat (Le Polémarque, 2015), Citoyen-soldat 2.0 (Astrée, 2017), Les loups et l'agneau-citoyen - Gangs militarisés, État policier et citoyens désarmés (Astrée, 2019) Vers l'autodéfense - Le défi des guerres internes (Jean-Cyrille Godefroy, 2021).
" Dans cet entretien, Bernard Wicht explique comment guerre et Etat restent deux concepts étroitement liés, reprenant la célèbre formule de Charles Tilly : "la guerre fait l’Etat et l’Etat fait la guerre". Bernard Wicht montre que l’effondrement ou la prise de distance de l’Etat entraîne des conflits de plus en plus décentralisés (insurrections, terrorisme, gangs armés). Il s’appuie sur la théorie de l’effondrement de Joseph Tainter pour souligner qu’au-delà d’un certain point de complexité "le retour marginal sur investissement diminue", conduisant inévitablement à la rupture d’un système social. Bernard Wicht évoque également la privatisation du conflit avec la montée du mercenariat et des sociétés militaires privées qui reflète une "libéralisation de la défense" face au monopole étatique de la violence en voie de délitement, multipliant les acteurs belligérants hors du contrôle des Etats. L’auteur questionne également les questions de "Capital guerrier" et d’autodéfense, estimant que les jeunes générations ne se mobilisent plus pour l’armée ni l’Etat, mais migrent vers des milices ou réseaux marginaux. La perte de sens collectif et la "guerre par procuration" en découlent. Bernard Wicht conclut sur la nécessité pour chacun de se préparer à l’autodéfense pour parer à l’impuissance d’un Etat qui a déjà renoncé à assurer la sécurité de ses populations."
Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Stanisław Jegliński, journaliste et parfait francophone, à Ego Non et consacré à la Pologne, à son identité, à son histoire et à ses relations complexes avec ses voisins. A l’heure où l’État polonais semble regagner un certain poids sur le continent, il convient de s’y intéresser, sous peine de ne pas saisir tous les enjeux en cours.
Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par François Bousquet à l'Observatoire du journalisme à l'occasion de la sortie de son enquête intitulée Le racisme antiblanc (La Nouvelle Librairie, 2025).
Journaliste, directeur de la rédaction de la revue Éléments, François Bousquet a aussi publié Putain de saint Foucauld - Archéologie d'un fétiche (Pierre-Guillaume de Roux, 2015), La droite buissonnière (Rocher, 2017), Courage ! - Manuel de guérilla culturelle (La Nouvelle Librairie, 2020), Biopolitique du coronavirus (La Nouvelle Librairie, 2020) et Alain de Benoist à l'endroit - Un demi-siècle de Nouvelle Droite (La Nouvelle Librairie, 2023).

Racisme antiblanc : comment les journalistes ont fini par en devenir complices
Vous avez imposé l’anonymat à certains de vos témoins, connaissant, dites-vous, le prix aujourd’hui exorbitant de la vérité. Qu’impliquerait pour eux le fait de témoigner à visage découvert ?
François Bousquet : Chez certaines victimes, il y a la peur de représailles physiques ; chez d’autres, la peur de confronter leur entourage proche, les parents en général, à leur défaillance ou leur aveuglement. Mais, le plus souvent, c’est un autre spectre qui rôde : celui de la mort sociale et de la déchéance symbolique. La gauche bien-pensante se gausse quand on évoque l’argument de cette mort sociale, mais ce sont ses tribunaux qui, les premiers, en prononcent la sentence.
Demandez à Colombe, cette Perpignanaise bénévole des Restos du cœur, elle-même allocataire du RSA, congédiée sans ménagement l’an dernier pour avoir assisté à un meeting de Jordan Bardella. Demandez à Jean-François Achilli, licencié par Radio France pour avoir travaillé à un livre avec le même Bardella, alors qu’il y a des dizaines de bouquins coécrits par des journalistes et des politiques. Demandez aux syndicalistes CGT ce qui leur est arrivé quand ils ont osé faire leur outing frontiste. Tous virés, sans autre forme de procès. Encore, je ne cite que les quelques cas qui me viennent spontanément à l’esprit. Combien d’autres ?
Nous qui gravitons dans des sphères politiques ou militantes, nous avons tous au moins une connaissance proche qui a perdu son emploi pour avoir dévié de la ligne. C’est du maccarthysme inversé. Il en va de même pour les victimes de racisme antiblanc. C’est souvent pour elles la double peine. Non seulement elles subissent des agressions, mais en plus, par une mécanique perverse bien rodée, elles sont soupçonnées d’être elles-mêmes racistes. C’est l’inversion accusatoire dans sa version la plus toxique, celle où la victime devient le principal suspect. Dans ce contexte, témoigner à visage découvert, c’est se condamner à l’ostracisme, en risquant sa réputation, son travail, parfois même ses liens familiaux. Voilà pourquoi l’anonymat s’imposait.
Comme vous le soulignez, la majorité des journalistes et des politiques sont blancs et – surtout – les premiers à refuser la mixité sociale et professionnelle. Comment expliquer que ces groupes ne profitent pas justement de leur position pour défendre les leurs ?
François Bousquet : Homo duplex. L’homme est double. Cette duplicité atteint des sommets dans les professions intellectuelles. Le hiatus entre ce qui est professé et ce qui est pratiqué y est plus criant que partout ailleurs. Le maximalisme des déclarations – « il faut accueillir tout le monde » – jure avec le laxisme des pratiques : carte scolaire contournée, quartier gentrifié, environnement social épuré. Les donneurs de leçons pratiquent l’entre-soi comme un art de vivre, mais jurent leur attachement à la diversité comme à un dogme. Individuellement, ils font jouer des réflexes de survie tribale : ils choisissent soigneusement l’école de leurs enfants, leur voisinage, leurs relations, tout cela dans une logique d’endogamie culturelle, de reproduction sociale et d’évitement ethnique. Mais collectivement, ils s’interdisent de le reconnaître.
C’est là qu’intervient la psychologie des foules, au sens de Gustave Le Bon : dès qu’ils se regroupent, ces individus intelligents deviennent stupides, grégaires, aveuglés par la griserie morale du groupe. Le conformisme fait le reste.
Ce qu’ils perdent en lucidité, ils le gagnent en gratifications symboliques. La posture progressiste est rentable. Elle offre des dividendes immatériels : la bonne conscience, la supériorité morale, l’impression flatteuse d’être du bon côté de l’histoire. Mais elle offre aussi des revenus bien réels, sonnants et trébuchants. Toute une économie de la bien-pensance s’est structurée autour de cela. Pour un Jean-François Achilli viré, combien de confrères ont conforté leur position et grimpé les échelons ? Le progressisme est une rente – morale, sociale, médiatique. Comme toujours, la posture cache une imposture. On est là au cœur du Tartuffe de Molière, sous-titré « L’Imposteur ».
Vous parlez du mot « race » comme d’un « bâton de dynamite » pour les journalistes. Il n’y a pas si longtemps encore, la question ethnique ne souffrait d’aucun tabou. Comment expliquez-vous cette bascule ? Pensez-vous que cela puisse changer ?
François Bousquet : Dans les sociétés archaïques, certains mots ne se prononçaient qu’en tremblant, les mains jointes et les yeux baissés : le tétragramme « Dieu » chez les premiers Hébreux, le mot « Diable » dans à peu près toutes les civilisations. Chez nous, modernes d’occasion, c’est le mot « race » qui provoque les mêmes gestes de conjuration. On ne le prononce pas sans s’asperger aussitôt d’eau bénite et sans réciter dans la foulée un chapelet de confiteor antiracistes. Pensée magique. C’est celle qui s’est emparée des députés, en 2018, quand ils ont voulu supprimer, dans un bel élan unanimiste, le mot « race » de la Constitution. Supprimer le mot, c’était croire pouvoir abolir la chose. Magie blanche du législateur contre magie noire de l’histoire.
Ces rituels d’exorcisme s’expliquent : le surmoi des Européens – surtout de l’Ouest – est façonné par une hantise rétrospective : le nazisme. Tout notre édifice moral s’organise autour de ce foyer brûlant, du moins jusqu’à il y a peu. Plus jamais ça ! À tel point qu’il suffisait, il y a quinze ans à peine, de prononcer « race » pour entraîner aussitôt une onde d’indignation médiatique. On croyait cette question raciale définitivement reléguée au musée des horreurs. Barack Obama, en 2008, s’enorgueillissait même d’être le héraut d’une Amérique postraciale. Or voilà que la race nous revient en boomerang, classique retour du refoulé.
Ce retour ne s’est pas fait tout seul. Il a été préparé par un courant de pensée, longtemps confiné aux campus américains, qui a su capitaliser sur l’affaire George Floyd, en 2020, pour déclencher un « Great Awakening », l’un de ces Grands Réveils qui jalonnent l’histoire américaine – non plus religieux, comme dans les âges antérieurs, mais racial. Le mot « woke » dit bien ce qu’il veut dire : un éveil ou plutôt un réveil. Cette idéologie, œuvre des « racisés » et de ceux que j’appelle les « grands Blancs », a substitué aux grilles de lecture marxistes ou libérales celle plus élémentaire de la race. Mais à une condition : que les Blancs en soient la part maudite. Ce à quoi consentent volontiers les « grands Blancs » progressistes, d’autant plus aisément qu’ils restent les premiers procureurs dans ce procès truqué.
C’est là l’un de ces paradoxes des conséquences, familiers à la pensée de Max Weber : le retour impensé du refoulé racial a contraint les Blancs à problématiser, à leur tour, une question qu’ils pensaient avoir définitivement évacuée. Ils ont beau répéter : « Non, fontaine empoisonnée de la race, je ne boirai pas de ton eau », ils en boivent, contraints et forcés par la société multiethnique qu’ils ont contribué à faire advenir.
Les journalistes et les politiques, dites-vous, exploitent sans vergogne les agressions racistes, celles des Blancs envers les extra-Européens. Pourquoi le faire ?
François Bousquet : L’après-guerre n’est qu’une lente descente dans les délices de la faute, la « felix culpa », la faute bienheureuse, jouissive, dans laquelle se vautrent nos élites, car il est commode de s’accuser d’une faute que l’on n’a pas commise. Hannah Arendt a des pages terribles sur cette complaisance vertueuse. Le psychanalyste Daniel Sibony parle même de « culpabilité narcissique », le paradoxe d’une faute fantasmée qui devient source d’amour-propre.
Ce type de pathologie est la norme parmi les élites. En pratique, elle revient à accabler le seul peuple historique (Dupont La joie, les Deschiens, le « beauf » de Cabu, etc.), ces « petits Blancs », qui sont les dépositaires exclusifs du péché originel. Pas les élites, bien sûr. Cette culpabilisation a eu pour effet de casser un ressort vital dans la survie de toute collectivité humaine : l’estime de soi. Les peuples comme les individus ont besoin d’un idéal du moi, qu’ils cherchent à maintenir et à consolider. Mais lorsque cet idéal est méthodiquement détruit, ne reste que la honte.
Cela a des effets concrets dramatiques sur les collégiens blancs que j’ai rencontrés et qui évoluent dans des environnements scolaires où ils sont minoritaires. Au moindre cours d’histoire, ils deviennent les symboles de cette France haïssable, chargée de tous les péchés du monde. Chaque leçon – colonisation, esclavage, Shoah, etc. – se transforme en flagellation. Au fil de mon enquête, je n’ai pas rencontré un seul ex-ado blanc, victime de racisme antiblanc, qui ne m’ait pas confié qu’adolescent, il avait eu honte d’être français. Pas un seul, je dis bien pas un seul, qui n’ait été tenté, adolescent, d’effacer ce qu’il était, de travestir son identité en s’inventant des origines étrangères. Voilà où nous a conduit la rétro-satanisation de notre histoire.
Votre livre prétend « débunker » la théorie du racisme systémique mais surtout révéler au grand jour l’existence du racisme antiblanc. Les journalistes pourraient vous opposer que vous n’avez « que » quelques dizaines de témoignages et que cela ne démontre donc pas un phénomène structurel…
François Bousquet : Quarante témoins, ce n’est pas rien. À ma connaissance, il n’y a pas de quorum pour engager une action collective ou un recours collectif, quarante suffiraient sans peine. Il a suffi de la publication d’une photo, celle d’un mort, le petit Aylan, en 2015, pour accélérer l’accueil d’étrangers lors de la crise des migrants – photo médiatiquement et éhontément surexploitée. Mais dès qu’il s’agit de Blancs agressés parce que Blancs, les seuils s’élèvent : il ne faudrait plus un témoignage, ni dix, ni cent, mais des milliers certifiés par huissier.
Cela dit, les journalistes n’ont rien à opposer à mon enquête, sinon une fin de non-recevoir. Je n’ai reçu aucune invitation dans les médias centraux, exception faite d’un débat dans les colonnes de Marianne à l’initiative de la journaliste, Rachel Binhas.
Ces chiffres, si limités soient-ils – et ils le sont comparés à l’ampleur du phénomène –, ont au moins un mérite : ils pulvérisent le dogme de l’inexistence du racisme antiblanc.
La vérité, c’est que chercheurs, démographes, statisticiens ne le cherchent pas. Ne le cherchant pas, ils ne le trouvent pas. Une fois, une seule, il y a quinze ans, l’Insee et l’Ined, dans le cadre d’une enquête sur les discriminations, à partir d’un énorme échantillonnage, ont montré que le « groupe majoritaire » (grosso modo les Français métropolitains de souche) était lui aussi victime de racisme. Un quart même pour les paupérisés et pour les jeunes. Les enquêteurs avaient pourtant délibérément restreint l’échantillon du « groupe majoritaire », très largement sous-représenté par rapport aux populations d’origine étrangère ou ultramarine. Mais nonobstant l’impossibilité théorique du racisme antiblanc, ils ont bien été obligés d’en concéder la réalité statistique. Pas longtemps, il est vrai. Car ils ont aussitôt affirmé que ce « groupe majoritaire » abritait des populations extra-européennes présentes en métropole depuis longtemps. Ouf ! La grille d’analyse reste intacte.
Un point marquant dans les témoignages que vous avez recueillis, c’est la sidération qui en a saisi certains lorsque, pour la première fois, ils ont été confrontés à des logiques de discrimination « qu’ils n’avaient jamais envisagées ». Pensez-vous que par leur silence, journalistes et politiques se rendent coupables de la multiplication de ces actes racistes antiblancs (insultes, agressions, etc.) ?
François Bousquet : Journalistes, universitaires, politiques, tous sont complices d’un déni et d’un délit de masse. Parce que ne pas reconnaître ce racisme, c’est le légitimer. Ne pas le nommer, c’est l’autoriser. Ne pas le sanctionner, c’est l’institutionnaliser. La loi française interdit explicitement tout racisme, y compris le racisme antiblanc, mais dans la plupart des cas, cette interdiction reste lettre morte. Tout cela finit par créer un racisme antiblanc d’atmosphère, comme une sorte de normalisation rampante. C’est ce que les sociologues de l’organisation appellent la « normalisation de la déviance » : un processus par lequel des écarts deviennent progressivement tolérés, puis admis, puis banals. Tout commence par des signaux faibles – une insulte antiblanche, un crachat, une bousculade à la cantine, une remarque dans les transports – qui, parce qu’ils ne sont pas relevés, deviennent des signaux routiniers. Ce qui devait rester l’exception devient ainsi à terme la norme informelle.
Un exemple parmi d’autres : le soir de la finale entre le PSG et l’Inter de Milan, des milliers de jeunes d’origine extra-européenne ont scandé en chœur, sur les Champs-Élysées, autour du Parc des Princes, dans le 8ᵉ arrondissement et ailleurs : « Français, Françaises, on vous emmerde ! » Qui en a parlé ? À ma connaissance, personne. Qu’y a‑t-il, pourtant, de plus explicite ? Voilà l’un des visages de ce racisme antiblanc, aussi massif qu’occulté. Les journalistes n’en font quasiment jamais état. Or, pendant ce temps, il prospère.
François Bousquet, propos recueillis par Lorelei Bancharel (Observatoire du journalisme, 10 juillet 2025)