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En Europe

  • L’Europe de la parole...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Philippe Duranthon, cueilli sur Geopragma et consacré à la décrédibilisation de la parole des dirigeants européens. Jean-Philippe Duranthon est haut-fonctionnaire et membre fondateur de Geopragma.

     

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    L’Europe de la parole 

    Commençons, bien sûr, par l’Ukraine. On parle enfin de négociations, de cessez-le-feu, voire d’accord de paix. Ce n’est pas trop tôt, le peuple ukrainien a subi trop de malheurs et de pertes humaines. Mais pouvait-on sincèrement s’imaginer que la meilleure façon d’amener Poutine à une table de négociation était de lui lancer un ultimatum, de surcroît au moment où son armée connaît des succès sur le terrain ? Pouvait-on penser que Poutine tremblerait si on le menaçait de « sanctions dévastatrices » qui viseraient à « prendre la Russie à la gorge » et « pourraient asphyxier une bonne fois pour toute l’économie russe »[1] alors qu’il a su s’accommoder de seize « paquets » de sanctions ? Ne s’agit-il pas là, plutôt, de paroles destinées aux électeurs plutôt qu’aux dirigeants étrangers ? Ne cherche-t-on pas, en montrant que l’Europe sait encore avoir le verbe haut, à cacher qu’elle n’a plus guère la capacité d’influer sur les évènements ? Ne faut-il pas voir à travers ce prisme de politique intérieure les images pathétiques des trois joyeux copains[2] se retrouvant dans le train pour Kiev ? Des paroles, des images, peu d’action.

    Évoquons ensuite la « guerre commerciale » avec les États-Unis. Il y a longtemps que ces derniers cherchent à attirer sur leur sol les investissements industriels : l’Inflation Réduction Act (IRA) de J. Biden, qui avait déjà ce but, a été promulgué an août 2022. Il ne fallait pas être grand politologue pour savoir que D. Trump continuerait et accentuerait cette politique et utiliserait l’instrument douanier : il l’avait annoncé lors de la campagne électorale et il arrive parfois que des responsables politiques tiennent certaines de leurs promesses. Concentrant tous ses efforts à la lutte contre le changement climatique (bien qu’elle ne soit responsable que d’une faible part des émissions mondiales de CO2), l’Europe n’a pas vu, ou voulu voir, cette volonté et n’a pas préparé sa réponse. Dès lors elle est totalement désarmée face à l’offensive de D. Trump, d’autant que celui-ci aime cacher ses objectifs réels derrière des provocations déstabilisatrices. Les dirigeants européens n’ont toujours pas choisi leur stratégie, balançant entre la recherche d’un accommodement, comme les Britanniques l’ont fait (mais la Grande-Bretagne est en Europe le chouchou des États-Unis), et la bonne vieille pratique de l’« œil pour œil, dent pour dent », comme les Chinois l’ont fait (mais l’Europe n’est pas la Chine et sa bureaucratie est incapable de réagir aussi rapidement que cette dernière). Ils ne peuvent que dissimuler leur indécision derrière des discours forts mêlant critiques et mépris, Trump rejoignant Poutine parmi les diables des temps modernes. Toujours des paroles et guère d’action.

    Les déclarations relatives aux armes nucléaires sont une autre source d’étonnement. E. Macron avait déclaré avoir « décidé d’ouvrir le débat stratégique sur la protection par notre dissuasion de nos alliés du continent européen », il évoque désormais la possibilité que des avions français armés de bombes nucléaires soient déployés sur des bases d’autres pays européens. On doit s’étonner car, compte tenu de la complexité du sujet[3] et des risques que ce projet ferait peser sur les Français, ce n’est pas ainsi qu’on procéderait si l’on voulait agir sérieusement. On n’offrirait pas de partager un tel atout sans demander des contreparties. On ne mettrait pas de tels projets sur la place publique avant d’y avoir travaillé sérieusement. On chercherait à savoir ce que les Français en pensent (il est d’ailleurs révélateur que personne n’ait pensé à ce thème pour participer au concours Lépine de la meilleure question à poser lors des référendums qui sont (peut-être) envisagés). Sans doute ne s’agit-il là encore que de paroles en l’air, de gesticulations visant à occuper le terrain – lors des rencontres diplomatiques et dans la presse nationale. Espérons-le du moins.

    Pour terminer, interrogeons-nous sur la politique menée par l’Europe dans son domaine de prédilection : la lutte contre le changement climatique. Prenons deux exemples. La politique énergétique tout d’abord. Le discours officiel est qu’il faut satisfaire deux objectifs : diminuer la part des énergies carbonées et veiller à l’indépendance énergétique du continent. Or, que constatons-nous ? Le nucléaire civil n’est toujours pas reconnu formellement et concrètement comme une énergie d’avenir dont il faut favoriser le développement et l’Europe qui, en 1985, importait 38 % de l’énergie qu’elle consommait, en a importé 54 % en 2024[4]. Raté. Deuxième exemple : les terres rares, qu’on sait indispensables à la transition énergétique (batteries pour les automobiles, aimants des éoliennes, etc.) comme aux armes les plus modernes. Or l’Union européenne n’a réussi qu’à publier laborieusement un « Act » sans contenu concret[5], ne fait rien pour atténuer sa dépendance vis-à-vis de la Chine et a laissé les États-Unis mettre la main sur les terres rares ukrainiennes. Encore raté. Des paroles donc, quelques actions, mais faiblardes ou contreproductives.

    L’Europe, oui, bien sûr. Mais pas une Europe qui se décrédibilise chaque jour. Une Europe qui agit, et dont les paroles sont en accord avec les actes au lieu de s’y substituer. 

    Jean-Philippe Duranthon (Geopragma, 19 mai 2025)

     

    Notes :

    [1] Déclarations du ministre français de l’Europe et des Affaires Étrangères, Jean-Noël Barrot, sur BFMTV le 14 mai 2025. 

    [2] Le président de la République française, le chancelier allemand et le premier ministre britannique.

    [3] Voir mon billet du 30 mars 2025 « Hâtez-vous, généreux guerriers » et, surtout, celui de Pierre de Lauzun du 7 avril 2025 « Nucléaire français et défense européenne ».

    [4] Voir le dernier rapport de l’association européenne des gestionnaires de réseaux électriques, l’ENTSOE, cité par Cécile Maisonneuve, Les Echos, 5 mai 2025.

    [5] Le 16 mars 2023 la présidente de la Commission a rendu public un « Critical raw material act » qui « identifie une liste de matières premières stratégiques, essentielles » pour lesquelles elle s’engage à « réduir(e) la charge administrative et simplifi(er) les procédures d’autorisation ». Le document reconnaît que l’UE « ne sera jamais autosuffisante » si bien que « l’UE devra renforcer son engagement mondial auprès de partenaires fiables afin de développer et de diversifier les investissements, de promouvoir la stabilité du commerce international et de renforcer la sécurité juridique pour les investisseurs ». Reste à transformer ces belles idées en mesures concrètes.

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  • Adriano Scianca : « Il existe une troisième voie : celle qui cherche à conjuguer force et liberté, droit et identité, technique et enracinement. »

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Adriano Scianca à Xavier Eman pour le site de la revue Éléments, dans lequel il évoque la question de l'Europe qu'il a traité dans un essai remarquable et essentiel, Europe versus Occident - La fin d'une ambiguïté (Institut Iliade/La Nouvelle Librairie, 2024).

     

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    « Il existe une troisième voie : celle qui cherche à conjuguer force et liberté, droit et identité, technique et enracinement. »

    ÉLÉMENTS. Votre dernier ouvrage est consacré à la dichotomie entre « Europe » et « Occident », thème récurrent et central de la pensée de la Nouvelle Droite notamment. Pourquoi avoir ressenti le besoin d’une « mise au point » sur ce sujet ?

    ADRIANO SCIANCA : Parce que les réactions à la guerre en Ukraine que j’ai pu observer dans le monde non conformiste italien (mais je pense que la situation n’est pas différente en France) m’ont montré, d’une part, des milieux pro-russes qui ont suivi le discours de Moscou au point de confondre totalement la notion d’Europe avec celle d’Occident, en faisant un bloc unique « satanique » hostile à l’avancée du « monde multipolaire » ; et, d’autre part, des milieux hostiles à ce discours au point de se ranger  tout aussi absolument du côté du camp opposé, celui des libéraux et des occidentalisés, à la BHL. En pratique, la notion d’Europe a été ramenée à celle d’Occident par deux directions opposées : ceux qui s’opposaient à ce bloc et ceux qui l’exaltaient. C’est pourquoi j’ai jugé opportun de revenir sur cette distinction élémentaire.

    ÉLÉMENTS. Si vous concluez à la la différence ontologique entre « Europe » et « Occident », votre propos refuse cependant tout manichéisme simplificateur et vous n’hésitez pas à égratigner certaines « habitudes mentales » de la droite radicale qui adopterait parfois, selon vous, des postures caricaturales notamment vis à vis des États-Unis considérés comme « le Grand Satan ». Mais s’ils ne sont pas le « mal » absolu, les États-Unis n’en restent-ils pas moins l’ennemi principal d’une Europe souveraine, puissante et indépendante qui seule pourrait véritablement les concurrencer ?

    ADRIANO SCIANCA : J’avoue nourrir un certain scepticisme à l’égard de la catégorie d’« ennemi principal », qui me semble découler d’une mauvaise lecture de Schmitt. Le juriste allemand est un maître de la pensée concrète et lorsqu’il parle de l’ennemi et de l’ami, il a à l’esprit un conflit existentiel qui est déjà en cours avant même que les analyses politologiques ne se mettent en marche. À l’inverse, si je me mettais maintenant à dresser une liste des ennemis principaux, en classant une série de puissances géopolitiques en fonction de mes sympathies et antipathies philosophiques, je ferais un exercice très abstrait, donc très peu schmittien. Aujourd’hui, l’ennemi principal d’un Ukrainien est-il la Russie ? L’ennemi principal d’un Italien en 1915 était-il l’Empire austro-hongrois ? L’ennemi principal d’un Français qui s’est rendu au Bataclan le soir du 13 novembre 2015 est-il l’islam ? J’ai l’impression que dans tous ces cas, c’est toujours la réalité qui choisit pour nous, avant toute évaluation philosophique. Je ne veux toutefois pas éluder la question : les États-Unis restent certainement une puissance spirituelle, culturelle, géopolitique et économique anti-européenne. Je n’ai aucun doute à ce sujet. Les Américains nous voient encore comme l’empire corrompu qu’ils ont fui pour fonder la Nouvelle Israël. Cependant, refuser le manichéisme moraliste qui voit dans les États-Unis le Grand Satan et dans quiconque se déclare anti-américain un allié objectif ne signifie pas faire un pas vers Washington, mais au contraire, envisager une autonomie vis-à-vis des États-Unis d’une manière moins infantile et plus réaliste, donc aussi plus efficace.

    ÉLÉMENTS. Vous affirmez, à juste titre, que le rejet de « l’Occident » ne doit pas se confondre avec un néo-luddisme technophobe et une volonté de retour à « la lampe à pétrole ». Sans tomber dans ces excès, le sens de la mesure, du respect de la nature et de ses limites, la volonté de lutte contre l’hybris d’une certaine fuite en avant techno-scientiste ne font-ils pas partie de l’ADN européen ?

    ADRIANO SCIANCA : Les anciens Romains sacralisaient les frontières, placées sous la protection du dieu Terminus, mais ils ne cessaient de les repousser toujours plus loin. Chaque découverte, chaque invention, de la roue au feu, de la poudre à canon à l’énergie nucléaire jusqu’à l’intelligence artificielle, conduit à dépasser des limites et à en expérimenter d’autres. En fin de compte, personne, aussi « faustien » soit-il, n’aime s’écraser contre un mur à toute vitesse ou mourir des suites d’une irradiation nucléaire. L’absence totale de limites serait en effet invivable. Il n’en reste pas moins qu’une certaine tension vers l’inconnu, vers l’aventure, vers le risque, vers la découverte et l’expérimentation me semble inhérente à l’esprit européen et presque uniquement à lui. Bien sûr, ce trait identitaire vit une dialectique complexe avec la tension vers l’ordre, l’harmonie, la tradition. Mais aucun ordre n’est éternel, pas même le divin, comme nous l’enseignent les théogonies indo-européennes mouvementées. Ce qui me semble intrinsèquement anti-européen, c’est l’idée d’une limite absolue, d’une interdiction métaphysique, de règles données une fois pour toutes, que l’homme devrait se contenter d’accepter passivement. Quant à l’hybris, rappelons-nous qu’à l’origine, il s’agit de l’arrogance d’un homme envers son semblable du même rang (par exemple Agamemnon qui vole le butin d’Achille) dans un jeu de pouvoirs toujours tendu et contesté, et non du « péché » d’un homme qui ne sait pas « rester à sa place » dans des hiérarchies ontologiques fossilisées.

    ÉLÉMENTS. Vous écrivez que pour  affirmer son « européanité » face aux États-Unis, il ne suffit pas de se priver de Coca, de MacDo, de jean’s et de Marvel. C’est incontestable mais n’est-ce pas là néanmoins un indispensable préalable ? Pour refonder cet « être au monde » spécifiquement européen que vous appelez de vos vœux, n’est-il pas nécessaire se débarrasser des oripeaux imposés par le « soft power » américain au fil du temps et qui, loin de n’être que superficiels, façonnent les esprits et les comportements ?

    ADRIANO SCIANCA : Il ne peut certainement pas exister de bon Européen qui ne mange que du MacDo et ne regarde que des films Marvel. Ma critique vise toutefois un certain moralisme, qui résout toute la question dans une course à la pureté individuelle. Je crois en outre qu’un soft power se combat en lui opposant un autre soft power, et non en jouant les ascètes. J’ajouterai une réflexion supplémentaire : l’américanisation se propage-t-elle aujourd’hui davantage à travers les hamburgers de MacDonald’s ou à travers des récits que l’on voudrait même « dissidents » ? Il y a une américanisation à travers le conformisme, certes, mais il en existe une autre, peut-être plus dangereuse, qui s’impose à travers un prétendu anticonformisme. Aujourd’hui, une « dissidence » qui raisonne selon des schémas strictement américanisés s’est imposée. Il y a quelques années, j’ai entendu une dame du même âge que mes parents, étrangère à toute affiliation politique radicale, qui voulait me faire croire que Biden avait été arrêté en secret et que les grands médias cachaient la vérité. Pourquoi cette grand-mère placide, qui n’a probablement jamais mangé un Big Mac, au cœur de l’Italie profonde et authentique, me répétait-elle avec conviction les idioties de Qanon ? Pourquoi entendons-nous de plus en plus souvent les « dissidents » suivre des prédicateurs religieux, adopter des catégories politiques messianiques, prêcher le droit absolu à l’autodéfense armée sur sa propriété ? Avant de juger les Américains loin de nous, regardons ceux qui sont déjà parmi nous.

    ÉLÉMENTS. Vous appuyez sur la nécessité d’un certain « pragmatisme politique » pour sortir du romantisme improductif et de « l’absolutisme » incapacitant. Jusqu’où doit aller ce « pragmatisme », sans risque qu’il se mue en « compromission » ? Par exemple, peut-on (ou doit-on) soutenir Emmanuel Macron du fait de son aspiration proclamée à la création d’une « armée européenne » qui pourrait devenir à terme l’un des piliers d’une « Europe puissance » à laquelle nous aspirons ?

    ADRIANO SCIANCA : Si un gouvernement « ennemi » fait quelque chose qui va dans la bonne direction, il est juste de souligner ses contradictions, son inadéquation, son hypocrisie, mais on ne peut pas soutenir du jour au lendemain le contraire de ce que l’on a toujours soutenu juste pour contrarier les dirigeants. Il est clair pour tout le monde que l’activisme de Macron sur le front de la défense commune n’est qu’une tentative désespérée de figurer dans l’histoire comme un homme d’État européen malgré ses échecs dans son propre pays. Tout comme il est clair pour tout le monde que son profil anthropologique et culturel est mal adapté au rôle de meneur qu’il prétend soudainement pouvoir jouer. Et pourtant, après avoir reproché à cette Europe d’être impuissante, sans défense, désarmée, hors de l’histoire, on ne peut pas ensuite lui reprocher exactement le contraire, simplement par crainte d’être associé à Macron. Dans mon livre, j’évoque l’image d’une « singularité européenne », sur le modèle de la singularité technologique. Comme on le sait, cette dernière représente la phase où les machines intelligentes commencent à se programmer elles-mêmes, de plus en plus rapidement, échappant au contrôle de ceux qui les avaient conçues à des fins tout autres. De la même manière, il est possible que l’Europe puissance, une fois mise en mouvement par ces classes dirigeantes, devienne autre chose, échappe au contrôle de ceux qui l’ont évoquée et les balaye. En tout état de cause, je ne deviendrai pas un partisan de notre impuissance par crainte de paraître compromis avec le macronisme. D’autant plus que ceux qui portent de telles accusations ont généralement des fréquentations bien plus embarrassantes.

    ÉLÉMENTS. Dans les dernières pages du livre, vous évoquez comme objectif des « bons européens » le concept d’Hespérie, également mis en avant par David Engels, un terme qui peut paraître à première vue légèrement abstrus ou du moins relativement « désincarné ». Pourriez-vous en donner une définition concrète ?

    ADRIANO SCIANCA : Il s’agit d’un concept qui résulte d’une traduction quelque peu créative d’une distinction heideggérienne. Le philosophe allemand opposait l’Occident et l’Abend-Land. Le premier est l’Occident que nous connaissons, mondialiste et déracinant. Le second est quelque chose de complètement différent, c’est la reprise du génie grec mais dans un contexte qui n’est plus celui de la Grèce. Les traducteurs français ont rendu Abend-Land par Esperia (qui est d’ailleurs l’un des plus anciens noms donnés à l’Italie par les Grecs). Guillaume Faye a repris ce concept et l’a développé à sa manière. Il est évidemment toujours un peu difficile de donner une substance concrète à des concepts philosophiques, mais dans mon cas, le concept servait à briser la dialectique binaire entre l’occidentalisme des Lumières et l’anti-occidentalisme obscurantiste. Il existe une troisième voie : celle qui cherche à conjuguer force et liberté, droit et identité, technique et enracinement. Occident est le nom du lieu où le soleil meurt, Esperia est le nom de la terre qui garde le soleil dans la nuit du monde, en attendant son inévitable renaissance.

    Adriano Scianca, propos recueillis par Xavier Eman (Site de la revue Éléments, 25 avril 2025)

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  • Un Frexit institutionnel ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Philippe Duranthon, cueilli sur Geopragma et consacré à la grave perte d'influence de la France au sein de la Commission européenne. Jean-Philippe Duranthon est haut-fonctionnaire et membre fondateur de Geopragma.

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    Un Frexit institutionnel

    Les tentatives de séduction, les portes qui claquent et les accusations d’infidélité, dignes de Feydeau, qui ont caractérisé le choix du Premier Ministre puis la formation du gouvernement, ont éclipsé l’annonce de la composition de la nouvelle Commission européenne : celle-ci a été à peine évoquée dans la presse et est restée absente des déclarations des responsables politiques. Elle est pourtant riche d’enseignements sur l’influence que la France a désormais au sein de l’Union Européenne et vis-à-vis de la Commission.

    Quatre faits sont troublants.

    1/ Thierry Breton a eu l’élégance de déclarer qu’il n’était plus candidat, ce qui a arrangé tout le monde, mais en précisant qu’Ursula von der Leyen avait réclamé son départ ; il a ensuite affiné son propos en indiquant que celle-ci avait placé Emmanuel Macron devant un choix : « ou bien c’est Thierry Breton mais avec un plus petit portefeuille, ou bien c’est un autre, mais avec un plus gros portefeuille ». Une forme de chantage, donc. Le propos n’est pas ici de dire qui, d’Ursula von der Leyen ou de Thierry Breton, avait raison dans les différents débats qui les ont opposés ces derniers mois ; il est de remarquer que la présidente de la Commission s’est permise de récuser un candidat présenté par la France et que le président de la République s’est plié à cette étrange initiative. On peut en déduire que le rapport de forces entre ladite présidente et ledit président n’est pas en faveur de ce dernier, à qui pourtant elle doit son poste, et que le poste de président de la Commission a pris une stature nouvelle, qui le place au-dessus des chefs d’Etat, ces derniers fussent-ils d’un grand pays.

    2/ La « grosseur » du portefeuille alloué au commissaire français peut être discutée. Celui-ci est en charge de « la prospérité et la stratégie industrielle » : « vaste programme ! », pourrait-on s’exclamer, tant ces deux thèmes, et surtout le premier, sont vastes. Mais ils sont aussi bien vagues !  Cette imprécision autorise tous les débordements mais permet aussi une « cornérisation ». D’ailleurs, d’autres commissaires ont en charge « la transition » (climatique, peut-on supposer), « la souveraineté technologique », « l’économie et la productivité », « l’énergie », « la recherche et l’innovation », concepts qui sont beaucoup plus précis ; peut-on agir pour « la prospérité » et définir la stratégie industrielle de l’Union sans s’intéresser à ces domaines qui sont en d’autres mains ? L’action de « notre » commissaire sera donc conditionnée par celle de ses collègues compétents pour les mêmes problématiques.

    On pourrait se rassurer en notant que le commissaire français fait partie des quatre « vice- présidents exécutifs » de la Commission. Mais le titre est plus honorifique que fonctionnel (la précédente Commission comportait huit vice-présidents exécutifs, chiffre élevé qui amène à relativiser l’importance du rôle) car leurs titulaires ne bénéficient d’aucun pouvoir hiérarchique sur les commissaires « de base » ; il ne peut d’ailleurs pas en être autrement puisque les décisions de la Commission sont collectives et que, juridiquement, chaque commissaire dispose du même poids que les autres. En outre, les trois autres vice-présidents exécutifs sont les commissaires présentés par l’Espagne, la Finlande et la Roumanie : difficile d’en déduire que le titre reflète l’importance du pays au sein de l’UE.

    Le portefeuille confié au commissaire français est-il vraiment « un plus gros portefeuille » comme l’avait promis Ursula von der Leyen ?

    3/ Le choix de Stéphane Séjourné peut surprendre. Il ne s’agit pas ici de discuter des mérites et des limites d’une personne mais seulement de noter que le nouveau commissaire français n’a ni la personnalité, ni l’expérience longue et multiple de son prédécesseur. Il est peu probable qu’il ait rapidement le même poids que lui au sein des instances européennes.

    Les mauvais esprits pourraient penser qu’au moment où, en France, se met laborieusement en place une vraie-fausse cohabitation, son choix résulte avant tout de la volonté du président de la République d’avoir à Bruxelles un commissaire qui lui sera personnellement fidèle, de montrer que le choix du commissaire et les relations avec la Commission font partie du « domaine réservé » qu’il n’entend pas partager. Si cela était vrai, il faudrait en déduire que les vicissitudes de la politique intérieure ont le pas sur la défense des intérêts du pays au sein de la Commission.

    4/ Le choix des commissaires et la répartition des rôles entre eux ne sont pas toujours favorables aux intérêts français. Ainsi, les deux commissaires qui seront en première ligne sur les questions énergétiques sont de fervents adversaires du nucléaire : l’Espagnole Teresa Ribera Rodriguez,

    « vice-Présidente exécutive à la transition juste, propre et compétitive », et le Danois Dan Jorgenson, « commissaire à l’énergie et a au logement ». Il est étrange que, s’agissant d’un sujet aussi important et sensible, qui fait l’objet de fortes oppositions au sein de l’Union, la France n’ait pas pu éviter que les deux commissaires en charge de cette politique fassent l’un et l’autre partie du camp hostile aux orientations qu’elle défend.

    Plusieurs conclusions peuvent être tirées de ce rapide examen :

    1/ Le poids de la France dans l’UE se réduit. L’époque où les pays fondateurs pilotaient le processus est bien fini, la France n’est plus qu’un pays comme un autre, l’élargissement a fait son œuvre. La Commission s’est émancipée et le « couple franco-allemand » n’est qu’un souvenir.

    2/ Le Commissaire français aura bien des difficultés à défendre, dans le cadre des orientations communautaires, nos intérêts nationaux. Il disposera de bien peu de leviers pour son action au sein des institutions communautaires.

    3/ Alors que chaque renouvellement de la Commission est toujours l’occasion, pour chaque pays, de pousser ses pions, les dirigeants français ont fait preuve d’une grande légèreté (naïveté ou impuissance ?). Ils n’ont pas cherché à, ou su, résister aux pressions de leurs homologues ou de la présidente de la Commission. C’est surprenant compte tenu de l’importance que tient l’Europe dans leurs discours.

    Tout se passe donc comme si la France se désengageait involontairement du pilotage des institutions européennes, Une sorte de Frexit institutionnel, en quelque sorte. Etonnant !

    Jean-Philippe Duranthon (Geopragma, 29 septembre 2024)

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  • Grand nettoyage à Varsovie...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de David Engels, cueilli sur Putsch et consacré à la brutale reprise en main de la Pologne par Donald Tusk, vainqueur des élections et, en tant qu'ancien président du Conseil européen, éminent représentant du système "davocratique"...

     

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    La police occupe les locaux de la télévision publique à Varsovie...

     

    « Grand nettoyage à Varsovie »

    Le changement de régime à Varsovie serait le « mieux » pour tout le monde : même les conservateurs devraient voter pour Tusk afin de ramener le pays à la modération, à la normalité et à l’État de droit ; les mises en garde contre la « wokisation » de la Pologne ne seraient rien d’autre que des propos populistes alarmistes. Mais que voyons-nous maintenant ? Jamais, dans l’histoire récente de l’Europe, un État n’a été mis sens dessus dessous de manière aussi rapide, aussi brutale et aussi complète sur le plan idéologique, et ce sous les applaudissements de Berlin et de Bruxelles : une leçon et un avertissement.

    Il n’est pas rare d’entendre des voix centristes dire que l’objectif présupposé d’une transformation identitaire gauchiste de notre société ne serait qu’une simple « obsession » d’une droite qui ferait de quelques cas isolés la base conspirationniste d’un chimérique « Great Reset ». Sans parler du fait que ces objectifs, loin d’être seulement formulés par une extrême droite en total délire, sont systématiquement présentés à des millions de personnes comme des utopies réalistes positives par des idéologues libéraux de gauche comme Harari ou Schwab, on a pu constater ces dernières années d’une manière bien réelle et concrète que cette politique identitaire n’est pas un élément secondaire, mais plutôt l’enjeu politique principal de notre société occidentale, et ce avec des conséquences désastreuses. La Pologne est en phase d’en devenir l’exemple le plus marquant. Il n’aura fallu que quelques jours pour que le gouvernement Tusk confirme toutes, mais vraiment toutes les « théories du complot » qu’une bonne partie du milieu bienpensant polonais avait dénoncées pendant la campagne électorale comme de vulgaires diatribes.

    La composition même du gouvernement a été un véritable choc : alors que la propagande électorale avait affirmé qu’une coalition Tusk était la meilleure solution pour tout le monde, y compris les conservateurs, tous les postes gouvernementaux socioculturels clés ont été attribués à des membres du parti de gauche « Lewica » qui ne cache pas ses opinions ouvertement anti-chrétiennes et pro-LGBTQ : bien que « Lewica » n’ait obtenu que 8,61% des voix et ait perdu 4% aux élections par rapport aux dernières années, elle contrôlera (avec quelques autres micro-partis de gauche) désormais le ministère de la numérisation, le ministère de l’éducation, le ministère de la famille, du travail et des affaires sociales, le ministère de la science et de la recherche et enfin le ministère (nouvellement créé et dont la signification n’est absolument pas claire) de « l’égalité ». Pour savoir ce que cela signifie, il suffit de jeter un coup d’œil à la nouvelle ministre de la Famille, Agnieszka Dziemianowicz-Bąk, qui s’est faite une certaine renommée ces dernières années en luttant farouchement pour les intérêts LGBTQ et pour la banalisation de l’avortement, et qui, en outre, aime s’afficher avec des blouses appelant à protéger les enfants contre le christianisme.

    Elle n’est pas un cas isolé : la nouvelle ministre de l’Éducation, Barbara Nowacka (également Lewica), est elle aussi sur une ligne radicalement antichrétienne et veut imposer une réduction de moitié des cours de religion financés par l’État dans les écoles (qui n’étaient bien sûr déjà pas obligatoires, mais pouvaient être remplacés par « l’éthique »). Et il ne faut pas beaucoup d’imagination pour prévoir l’objectif de la prochaine refonte des programmes scolaires : cela commence toujours par la laïcité, puis continue vers la propagande explicitement anti-chrétienne, et se termine finalement par la doctrine des crimes du vieil homme blanc, du patriarcat oppressif et de l’âge d’or de l’Islam tolérant.

    Mais continuons. Comme dans un mauvais remake des prises de pouvoir autoritaires de l’entre-deux-guerres et de l’après-guerre, le nouveau gouvernement de Donald Tusk, Européen et démocrate modèle, tout juste investi le 13 décembre, a licencié sans préavis, dans la nuit du 20 au 21, l’ensemble de l’équipe dirigeante des médias publics polonais (télévision, radio, service de presse), occupé le siège de TVP avec des forces de sécurité, coupé la chaîne et effacé des archives des médias tous les documentaires gênants sur les mandats précédents de Tusk. Et depuis lors, face à la résistance farouche de certains membres du personnel et députés de l’opposition, la situation est devenue encore plus complexe : d’une part, le « conseil des médias » (mis en place par l’ancien gouvernement) a nommé une nouvelle direction, et d’autre part, le gouvernement a ouvertement annoncé la liquidation économique des chaînes publics, devant être suivie de leur nouvelle création. La raison : en raison du veto du président Duda sur le budget 2024, la situation financière ne permettrait plus de poursuivre l’activité des médias publics ; mais en réalité, une table rase radicale ouvre naturellement de toutes nouvelles perspectives de réorganisation des chaînes, tant sur le plan personnel que juridique.

    Mais tout cela n’était qu’un début. Le 20 décembre également, le ministre de l’Intérieur sortant, Mariusz Kamiński, et son adjoint ont été condamnés à deux ans de prison ferme et cinq ans de privation de leurs droits civiques dans une affaire de corruption très politisée et controversée à ce jour, malgré l’amnistie présidentielle, et leur immunité parlementaire a été levée par le nouveau président du Parlement ; un avertissement politique à peine voilé. Kamiński, ancien résistant anticommuniste, coordinateur des services de renseignement depuis 2015 et ministre de l’Intérieur et de l’Administration depuis 2019, était l’une des figures centrales de la protection du pouvoir interne du gouvernement PiS. Son incarcération brutale est censée être un avertissement à tous ses soutiens dans les services de renseignement et l’administration et n’est probablement que le début d’une vague de procès attendue depuis longtemps, visant à criminaliser juridiquement a posteriori les décisions idéologiques déplaisantes du gouvernement précédent.

    Ainsi, alors que certains parmi les plus hauts membres du gouvernement sortant sont condamnés à se retrouver derrière les barreaux à quatre jours de Noël sans aucune réaction de l’opinion publique européenne, les barreaux qui séparaient le pays de l’afflux de migrants musulmans sont symboliquement démantelées : le 23 décembre, le nouveau président du Parlement, tout sourire, s’est fait photographier devant les caméras avec des migrants de tous horizons, dont une demandeuse d’asile déjà déboutée à plusieurs reprises ; et la Pologne a rejoint le fameux « pacte sur la migration » lui imposant désormais des quotas de migrants décidés à Bruxelles.

    La Pologne vit donc un revirement migratoire quasi « Merkelien » qui s’est d’ailleurs accompagné d’informations selon lesquelles les tribunaux polonais déclareraient prochainement illégale la politique radicale de push-back du gouvernement précédent et ouvriraient systématiquement les postes à la frontière biélorusse aux demandeurs d’asile. Est-ce une coïncidence si, depuis, la compagnie aérienne « Southwind » a ouvert une nouvelle route aérienne d’Istanbul à Minsk dont les billets coûtent le prix dérisoire de 195€?

    Le 22 décembre, le nouveau gouverneur de la voïvodie de Lublin, Krzysztof Komorski (du même parti que Tusk), a déjà montré à quoi devait ressembler la nouvelle culture d’accueil polonaise : Il a fait enlever la croix dans la salle de réception de son administration, a fait installer le drapeau européen et a fait enlever la crèche de Noël.
    Quelques jours après Noël, le coup suivant a été porté. Le 27 décembre, le nouveau Premier ministre Tusk a annoncé les trois prochains objectifs de son gouvernement, qui ne seront guère moins révolutionnaires que les précédents : après l’annonce par la ministre de l’Éducation de la réduction de moitié de l’enseignement religieux et le retrait des croix et des crèches, Tusk a annoncé que l’Église polonaise ne serait plus financée que par des déductions fiscales volontaires de la part des fidèles – une véritable révolution dans un pays qui, pendant des siècles, a trouvé dans le catholicisme non seulement sa colonne vertébrale spirituelle et morale, mais aussi un outil identitaire essentiel pour sa lutte contre les différentes puissances d’occupation et les tentatives d’assimilation. On n’oubliera d’ailleurs pas que sans un pape Jean-Paul II, le succès du « Solidarność » polonais dans sa lutte contre le totalitarisme de gauche aurait été impossible. Deuxièmement, la Pologne va adhérer au « Parquet européen » commun censé poursuivre dans toute l’Europe les éventuelles fraudes aux subsides de l’UE, ce qui permettra de facto aux institutions européennes d’exercer une influence encore plus grande sur les juridictions nationales polonaises. Enfin – et le lecteur s’y attendait depuis longtemps -, une loi sur les partenariats entre personnes de même sexe devrait être adoptée dans les prochaines semaines, afin de « ramener la Pologne en Europe » dans ce domaine également…

    Ainsi, et ce à peine une semaine au pouvoir, le gouvernement Tusk a déjà bouleversé les principaux repères de la politique identitaire polonaise : déchristianisation, mise au pas des médias, arrestations politiques, libéralisation migratoire, droit de regard juridique renforcé pour l’UE, politique LGBTQ – dans tous ces domaines, de véritables révolutions sont en cours, se servant utilement des vacances de Noël afin de profiter du chaos usuel des fêtes. Et ce n’est qu’un début : les grandes épreuves de force sont encore à venir : recomposition du Tribunal constitutionnel, règlement de comptes juridique avec les dirigeants du PiS, construction ou non des premières centrales nucléaires polonaises (non souhaitées par Berlin), banalisation de l’avortement (inclue dans le contrat de coalition), fermeture d’instituts d’expertise politique idéologiquement indésirables et, bien sûr, débat sur la mise en œuvre des plans de réarmement polonais, également rejetés par Olaf Scholz.
    Qu’en pense l’UE, par ailleurs traditionnellement prête la première à détecter partout et à tout moment les brèches de « l’État de droit » ? Le lecteur ne sera guère surpris par le silence retentissant en provenance de Bruxelles. Et plus encore : on peut supposer que Tusk – président de longue date du Parti populaire européen et président du Conseil européen de 2014 à 2019 – ait convenu à l’avance de chaque étape de ses mesures avec ses collègues de Bruxelles (et de Berlin) et qu’il ait déjà négocié sa récompense. Car comme par hasard, l’UE a attendu jusqu’à la mi-novembre pour finalement décider de débloquer la première tranche de 5 milliards d’euros de l’aide-covid, qui avait été retenue pendant des mois, voire des années, en raison de « doutes » sur la situation de l’État de droit en Pologne – et donc, les élections polonaises d’octobre ont pu se dérouler dans un climat d’incertitude budgétaire totale, amenant au pouvoir le nouveau gouvernement Tusk. Le fait que ces fonds aient finalement été accordés au gouvernement conservateur battu aux élections pendant ses derniers jours au pouvoir avec les remerciements amicaux de Mme von der Leyen n’a donc été rien de moins qu’une gifle retentissante, voire une humiliation délibérée : à la fois pour le gouvernement sortant et pour tous les électeurs qui ont pu prendre au sérieux les préoccupations « juridiques » de l’UE à l’égard du gouvernement conservateur de Varsovie. Car c’est bien sûr le gouvernement Tusk qui profitera de cet argent, après qu’il ait dramatiquement manqué dans les caisses du gouvernement Morawiecki.

    Quelles leçons peut-on tirer de ces événements ? « L’État de droit, c’est moi », pourrait-on attribuer aux institutions bruxelloises en reprenant une devise célèbre ou, en d’autres termes : tant que cela correspond aux prescriptions idéologiques du mainstream de gauche, même les réformes les plus brutales sont approuvées comme des jalons sur la voie vers plus de liberté, d’égalité et de fraternité, tandis que des mesures analogues, bien que nettement moins drastiques, lorsqu’elles sont prises par les « mauvais », donc la droite, sont immédiatement interprétées et décriées comme attaques frontales contre la démocratie et l’Etat de droit. Certes, une certaine dose de machiavélisme a toujours fait partie de la politique. Mais le problème, qui se manifeste pour la première fois avec une telle acuité en Pologne, est le suivant : celui qui, à longueur de journée, ne cesse de crier au loup finit inévitablement par perdre toute crédibilité, surtout s’il se comporte lui-même en prédateur dès que la première occasion se présente.
    Le fait que certains médias non seulement reconnaissent, mais approuvent explicitement cette évolution – le « Berliner Zeitung » a même appelé Tusk à devenir un dirigeant autoritaire pour « démocratiser » de force la Pologne (https://www.berliner-zeitung.de/politik-gesellschaft/polen-wird-donald-tusk-zum-autokraten-um-den-staat-zu-reformieren-li.2166839) – montre à quel point nos démocraties sont brutalisées. Celui qui stigmatise des prétendues violations de l’Etat de droit ne peut pas, à son tour, pulvériser ce dernier complètement sans réhabiliter ainsi ceux qu’il vient de critiquer et, pire encore, sans inviter son ennemi à imiter son comportement une fois au pouvoir. C’est précisément ce qui se passe actuellement en Pologne, sous les applaudissements de Berlin et de Bruxelles, et, compte tenu des élections qui auront bientôt lieu non seulement en Europe, mais aussi aux États-Unis, il est à craindre que la stratégie brutale de Tusk « The Winner Takes It All » ne soit pas interprétée comme un exemple à éviter, mais plutôt comme un mode d’emploi à suivre.

    David Engels (Putsch, 6 janvier 2024)

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  • Mainmise mondialiste, magouilles, incendies… Sale temps pour la Grèce !

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Françoise Monestier, cueilli sur Polémia et consacré à la situation de la Grèce...

     

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    Mainmise mondialiste, magouilles, incendies… Sale temps pour la Grèce !

    Après les incendies catastrophiques qui ont transformé la Grèce et ses îles en un gigantesque brasier et les inondations qui ont détruit la Thessalie, terre nourricière du pays, Athènes se remet mal d’un été particulièrement cruel qui s’est soldé par une cinquantaine de morts, qu’il s’agisse de victimes des inondations ou des incendies. La gestion de ces deux phénomènes par le gouvernement Mitsotakis a certes été désastreuse, mais il paie surtout l’impéritie socialiste qui l’a précédé. La gauche grecque, qui se remet mal de son échec aux dernières législatives de juin dernier —17 % seulement pour Syriza, le parti de l’ancien Premier ministre Alexis Tsipras qui a choisi de poser le sac comme un certain Jospin en 2002 — tente bien que mal de renaître de ses cendres et attend la Nouvelle Démocratie au coin du bois.

    Un futur Macron grec ?

    À l’issue des élections organisées pour assurer la succession du démissionnaire, un ancien banquier de Goldman Sachs devenu armateur est sorti du chapeau mondialiste. Son nom ? Stephanos Kasselakis, jeune bipède de 35 ans qui a passé plus de vingt ans aux Etats-Unis, s’est engagé en 2008 comme volontaire de la campagne d’un certain sénateur Joe Biden et revendique son attachement à la gauche en ces termes : « Si je n’avais pas travaillé pour le capital, je n’aurais pas compris son arrogance. » Entré chez Goldman Sachs — établissement soupçonné d’avoir aidé la Grèce à camoufler ses montagnes de dettes au moment de son adhésion à la zone euro en 2001 — en 2009 comme analyste financier, Kasselakis devient armateur en 2014. Marié à un infirmier américain, il revendique haut et fort son homosexualité. Figurent dans le programme de celui qui n’a aucune expérience électorale (comme un certain Macron en 2017) la suppression du service militaire, la séparation de l’Église et de l’État et la défense des droits LGBT. Bien que contesté par de vieux militants socialistes, il plait à ceux qui rêvent d’une société grecque à l’heure du wokisme.

    Semblable à un certain Saakachvili, pur produit lui aussi de l’American way of life et éphémère président de Géorgie , l’ex-banquier connaît toutes les ficelles du monde financier et du cosmopolitisme marchand. Mitsotakis a du souci à se faire….

    Magouilles en tous genres

    Ancienne vice-présidente du Parlement européen, la socialiste grecque Eva Kaili déchue à la suite du scandale du Qatargate tente le tout pour le tout : faire annuler la procédure. Fin 2022, alors qu’elle est soupçonnée d’avoir intercédé en faveur du Qatar, une perquisition menée dans son appartement permet la découverte de 150 000 euros en billets de banque et des sommes encore plus importantes chez ses parents et son compagnon, attaché parlementaire du groupe socialiste. Ce système d’échanges en espèces aurait impliqué le Qatar et le Maroc afin d’influencer l’élaboration de la politique européenne. Elle faisait régulièrement les éloges du Qatar, affirmant par exemple que cet émirat « est un chef de file en matière de droit du travail » et que la Coupe du monde de football a provoqué une « transformation historique du pays ». Après plusieurs mois de prison, une assignation à domicile et une exclusion du parti socialiste grec, Eva Kaili retrouve son siège et toute sa superbe. Ses avocats invoquent une immunité parlementaire qui n’a pas été levée en bonne et due forme. Quant aux diplomates qatariotes désignés par la police belge, aucun d’entre eux n’est poursuivi car ils bénéficient tous de l’immunité diplomatique.

    Pendant ce temps, le Parlement européen vient d’adopter une réforme interne visant à durcir les règles éthiques, nouveau cautère sur une jambe de bois, destiné à faire croire que Bruxelles veille au grain.

    Turquie et incendies

    Nombreux sont les Grecs qui accusent à demi-mot Ankara d’avoir souvent joué un rôle dans le déclenchement des incendies en Grèce, en particulier au cours des années 90 qui ont vu de nombreux feux ravager le pays.  Des soupçons confirmés en 2011 par le journaliste turc Enver Aysever qui rapportait dans les colonnes du journal Burgun les confidences d’un ancien ministre de l’Intérieur confirmant que les services secrets turcs auraient été à l’origine d’importants feux de forêts survenus en particulier en Crète et à Rhodes et jamais élucidés. Ces actions auraient été menées dans le but de déstabiliser le gouvernement grec de l’époque, Ankara n’admettant pas qu’Athènes ait donné asile à des membres de la rébellion kurde et n’ait jamais critiqué les terroristes communistes du PKK. Stupeur dans la capitale grecque : le ministre des affaires étrangères de l’époque demande des explications et se fait gentiment renvoyer dans ses buts. Pourtant, les journalistes du quotidien Millyet et du journal Vatan confirment ces rumeurs et affirment qu’un rapport de douze pages sur les incendies a été pondu par les services turcs. Plus de trente ans après les faits, ce rappel a de quoi faire frémir.

    Impéritie du gouvernement

    Le cyclone Daniel a littéralement « noyé » la Grèce centrale. Les conséquences des catastrophes climatiques sur la production agricole du pays sont incalculables puisque que la majeure partie de la plaine de Thessalie (plus de 15% des terres arables du pays) mais également les cultures des villages montagnards de Magnésie ont subi des dégâts importants ou ont été complétement détruites. Autre catastrophe, la majeure partie du cheptel est morte, ce qui aura des conséquences sur la production de viande et des produits et fromagers. Des pénuries alimentaires qui affecteront les producteurs et les consommateurs avec une nouvelle vague d’inflation se profilent à l’horizon, ce qui ne manque pas de rappeler l’époque où la Grèce a connu un début de famine, en 1941/1942 notamment.

    Quant aux incendies, ils ont conduit à la destruction de tout un écosystème plus particulièrement en Thrace dans la région de l’Evros frontalière de la Turquie et nombreux sont les Grecs qui évoquent la responsabilité des migrants dans leur déclenchement. Mais également près d’Athènes et bien sûr à Rhodes. Absence de politique forestière, désarmement de la protection civile, déplacement des services publics, tout a concouru à ce drame qui rappelle d’ailleurs, dans sa gestion par le gouvernement Erdogan, le tremblement de terre survenu en Turquie au printemps dernier.

    Mitsotakis, comme d’ailleurs le président turc avant lui, s’est bien gardé de mettre les pieds dans les zones sinistrées, laissant les autorités locales gérer une situation dramatique. Il a promis le renforcement du rôle de l’armée dans les secours, annoncé que la réserve spéciale consacrée aux incendies serait doublée et évoqué l’instauration d’une taxe sur les hôtels de luxe. Enfin, au grand dam de ses compatriotes, il a déclaré que son gouvernement allait offrir, en 2024, une semaine de vacances gratuites aux touristes qui ont dû écourter leur séjour. Le surinvestissement touristique, en particulier dans l’île d’Aphrodite, explique la gestion désastreuse des feux qui ont détruit plus de 15 % de sa superficie. Président des hôteliers de l’île, le maire de Rhodes a tout misé sur le tourisme et, sur ordre de Bruxelles, a procédé à un regroupement de communes, contraintes de renoncer à une gestion municipale de l’eau confiée à une entreprise privée qui a privilégié son usage au profit des piscines des hôtels et au détriment des villages alentour.

    Ajoutez à cela que, depuis vingt-cinq ans, la gestions des incendies de forêts est aux mains des seuls sapeurs-pompiers au détriment des service forestiers chargés auparavant de l’indispensable prévention et de la maîtrise de ces catastrophes.

    Douze ans d’austérité économique n’ont pas permis au pays de renouveler la flotte des bombardiers d’eau et des hélicoptères de la protection civile. Au moment où l’État grec est touché financièrement de plein fouet par l’eau et le feu, l’agence Morning Star accorde à la dette de l’Hellas la note BBB, lui faisant réintégrer la catégorie des emprunteurs les plus solides. De quoi réjouir l’ancien conseiller de Goldman Sachs qui se verrait bien jouant un rôle majeur dans un proche avenir.

    Françoise Monestier (Polémia, 1er octobre 2023)

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  • Le calme avant la tempête ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli sur Geopragma et consacré à ce qu'elle analyse comme l'usure des Occidentaux face au jusqu'au-boutisme du président ukrainien...

    Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et de Vers un nouveau Yalta (Sigest, 2019). Elle a créé en 2017, avec Hervé Juvin, entre autres, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

     

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    Le calme avant la tempête

    On aimerait penser à autre chose. A la coupe du Monde de football qui débute au Qatar, aux fêtes de Noël qui approchent, à la crise qui s’installe, et même aux échauffourées politiques dérisoires qui animent parfois pathétiquement notre Assemblée nationale et paraissent bien insignifiantes au regard des enjeux de fond et de l’avenir de notre pays. Mais la guerre, une fois lancée, ne connait pas de répit et elle prend en Ukraine, des tours inquiétants avec la reprise des bombardements sur la centrale nucléaire de Zaporojie qui en vient à alarmer même le très tempérant directeur de l’AIEA, et dont il demeure difficile d’imaginer que c’est la Russie qui les initie contre ses propres forces…

    Que faire pour conduire le président Ukrainien à rompre avec son jusqu’au-boutisme suicidaire ? Les courants ultranationalistes qui l’environnent, le terrifient sans doute et le contrôlent ainsi que ses forces armées, le placent face à un tragique dilemme de style « loose-loose » : Négocier un compromis territorial avec Moscou, donc consentir peu ou prou à une partition du territoire ukrainien, comme l’enjoignent désormais à mi mots de le faire Américains et Britanniques ? Impossible sauf à se mettre lui-même en danger vital face à la fureur des ultras.  Maintenir ses positions de plus en plus intenables au regard de la réalité militaire sur le terrain, et prétendre reprendre tous les territoires conquis par Moscou, jusqu’à la Crimée, en espérant provoquer enfin l’engagement de l’OTAN, comme le montre son insistance à vouloir accréditer la responsabilité russe dans la pénétration d’un missile sur le territoire polonais contre toute évidence et malgré les démentis circonstanciés de Washington ? Cette attitude pourrait bien précipiter son lâchage par ses plus grands pourvoyeurs d’armements et de subsides. A-t-il compris que sa survie politique dépendra de sa capacité à retomber sur terre, à admettre que l’armée russe est en train de préparer son offensive d’hiver, que le rapport des forces est sans équivoque en sa défaveur, bref qu’il ne peut gagner militairement mais va devoir négocier un compromis s’il veut préserver le peu qui reste de son pays plongé dans le noir, le froid, le délabrement économique et dont même le système de télécommunications est de plus en plus aléatoire ?

    Bref, V. Zelinsky est entre le marteau et l’enclume. Il sait bien, comme d’ailleurs les Polonais, que seule une zone d’exclusion aérienne au-dessus du ciel ukrainien aurait une chance peut-être de préserver ce qu’il lui reste de forces. Mais c’est hors de question pour Washington. Ses alliés occidentaux semblent d’ailleurs connaitre une phase de lassitude et d’inquiétude devant le jusqu’au-boutisme de plus en plus désespéré de leur proxy. Les stocks européens et même américains d’armements sont en train de fondre, et nos armées vont bientôt refuser de s’affaiblir davantage pour le renforcer. Les armes qui sont données à Kiev de toute façon ne renverseront pas la donne militaire. « On » ne le peut ni surtout ne le veut pas, et le jeu des postures commence à montrer ses limites. Le premier ministre britannique Richie Sunak est venu le dire à Kiev il y a quelques jours. Rien n’a filtré de l’entretien qui a dû être désagréable aux oreilles de Zelenski…

    Certes il y a, aux États-Unis, les faucons démocrates néoconservateurs forcenés autour du secrétaire d’État Blinken et de son Département… Mais ils sont eux aussi de plus en plus en butte aux réserves, pour dire le moins, du Pentagone. Le Secrétaire d’État à la défense Lloyd Austin a très récemment rappelé lors d’une conférence à Halifax (où Zelenski est apparu pour dire qu’un cessez-le-feu n’avait aucune chance de durer, ce qui est probablement vrai à ce stade du conflit), que « la Russie disposait d’une armée puissante et d’armes impressionnantes ». Il a aussi dit l’indicible : « l’issue de la guerre en Ukraine définira les contours du monde du 21eme siècle » ! Rien de moins. Le CEMA américain, le Gal Milley a lui clairement affirmé que la seule issue à ce conflit est la négociation. Quant au secrétaire général de l’OTAN, il a abondé en rappelant qu’une défaite de l’Ukraine serait aussi celle de l’Alliance. Barak Obama lui-même, en 2016 déjà, avait reconnu que la Russie disposait d’une incontestable « dominance dans la capacité d’escalade ». Il parlait d’or. Mais cette soudaine lucidité arrive bien tard.

    Si l’enjeu est celui d’un retour à la réalité à Kiev comme à Washington, Londres ou Paris, le conflit des perceptions et surtout des « informations » brouille cette prise de conscience urgentissime. Les médias occidentaux persistent à voir dans les quelques avancées des forces ukrainiennes (par retrait des troupes russes) comme à Kharkov ou Kherson, les prémices d’une grande victoire militaire ukrainienne. On en est pourtant loin. Kherson, cadeau empoisonné, devient très difficile à approvisionner et les forces ukrainiennes toujours sous le feu russe depuis la rive est du Dniepr, commencent à appeler les habitants à la quitter. Les pertes sont lourdes, et les forces armées de Kiev sont de plus en plus suppléées par des troupes polonaises voir américaines présentes au nom d’une discrète « coalition des bonnes volontés » sans pour autant vouloir le moins du monde provoquer de trop une Russie en train de se préparer à une offensive d’hiver et d’injecter méthodiquement ses 300 000 réservistes récemment mobilisés. La Russie se prépare à durer et poursuivre sa guerre d’attrition avec des objectifs de moins en moins limités. L’échec de la politique de sanctions et la description récente par le vice-premier ministre russe de son pays comme d’une « île de stabilité » dans un monde chaotique, même si elle doit être évidemment pondérée, traduit une réalité douloureuse. Le fantasme des néoconservateurs américains de détruire l’économie, l’armée et le pouvoir russes a explosé en vol. Les USA et plus encore l’Europe se sont laissé entrainer par l’hubris belliqueux de certaines de leurs composantes gouvernementales et politiques dans un piège dont l’issue pourrait bien être la démonstration éclatante du déclin de l’Occident et la fin de l’hégémon américain.

    En fait, nous faisons face à la nécessité douloureuse de sortir de notre rêve- abattre la Russie- avant que la déroute ne soit trop humiliante. Deux méthodes s’offrent pour cela aux Américains : la méthode « douce », consistant à laisser Zelenski s’enfoncer en le lâchant progressivement et en lui disant que c’est à lui de décider quand il faudra négocier avec Moscou ; la méthode « radicale », en fait plus bénéfique dans ses effets pour le pays et le peuple ukrainien : négocier directement avec Moscou un compromis territorial et surtout stratégique (c’est-à-dire la neutralisation définitive de l’Ukraine), assécher brutalement le flux d’armes et d’argent  pour imposer les termes d’un accord réaliste à Zelenski qui devra faire de nécessité vertu et y trouverait une « excuse » auprès des ultras qui l’entourent.

    Dans un monde en noir et blanc tel que nous aimons le voir, supporter que « le méchant » gagne n’est pas facile. Mais c’est ce qui nous préserverait de pire encore. On pourrait inscrire une telle négociation dans une vaste refondation intelligente des équilibres de sécurité en Europe et reconstruire à grands frais l’Ukraine pour se faire pardonner de l’avoir instrumentalisée…Mais pour avoir le courage d’une telle approche, qui douchera les opinions publiques occidentales, il faudrait des hommes d’État capables de prendre ces décisions douloureuses et salutaires. Or, c’est une espèce en voie de disparition en Occident, où les politiques à courte vue appuyés sur des médias peu critiques, bercent complaisamment les peuples d’illusions et de « narratifs » engageants mais faux, pour obtenir leur consentement à l’affrontement tout en leur promettant qu’il ne leur en coutera pas grand-chose.  Cette fois-ci pourtant, ce mensonge devient trop gros : Les sanctions sont un échec, les Européens ont froid, voient leur richesse fondre à vue d’œil et commencent à se demander s’ils ne seraient pas les dindons ultimes de cette farce.

    Les États-Unis devraient aussi se demander pourquoi ils se sont engagés si loin et finalement ont accéléré la bascule du monde et notamment des pays du sud à leur détriment ? Sans doute auraient-ils eu plus à gagner en poussant les Ukrainiens à appliquer les Accords de Minsk 2 au lieu de les en dissuader, et plus encore à négocier un traité honnête et équilibré sur la sécurité en Europe avec la Russie quand celle-ci le demandait à toutes forces, encore en décembre dernier, au lieu de franchir la ligne rouge ukrainienne la fleur au fusil…des Ukrainiens.

    Nous sommes désormais engagés dans une longue guerre d’attrition et l’Occident risque d’en sortir avec un discrédit politique, stratégique et militaire massif. Ne parlons pas de l’OTAN…Quant à l’Europe, ainsi que l’a rappelé le Général de Villiers, cette guerre n’est pas de son intérêt, encore moins de celui de la France, qui doivent entretenir des relations normales et apaisées avec la Russie. Est-il trop tard pour casser cette spirale dangereuse et sortir de ce piège ? Il faudrait que Washington choisisse vite la méthode dure évoquée plus haut. Comme l’a récemment rappelé Dimitri Medvedev, les puissances occidentales sont piégées dans un soutien à un gouvernement irresponsable qui ne peut lui-même, sans précipiter sa propre perte, négocier le compromis indispensable ; car celui-ci va devoir se discuter « sur la base de la réalité existante » ainsi que récemment rappelé par Serguei Lavrov, c’est-à-dire sur la base du contrôle de plus en plus avancé des 4 oblasts intégrés formellement à la Fédération de Russie. Évidemment, en Europe et dans certains cercles de pouvoir à Washington, « la réalité existante » est un déni de la réalité militaire, c’est-à-dire un recul des forces russes dont on veut croire qu’elles sont exsangues…. Il faut souhaiter que dans ces querelles des chapelles washingtoniennes, les réalistes et les militaires l’emportent et entament une négociation directe avec Moscou. La récente rencontre entre les chefs du renseignement américain et russe est peut-être un heureux présage. Il faut le souhaiter pour le malheureux peuple ukrainien mais aussi pour notre sécurité à tous.

    Caroline Galactéros (Geopragma, 21 novembre 2022)

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