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En Europe - Page 3

  • L'Allemagne en guerre contre la liberté...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien iconoclaste donné par David Engels à Nicolas Vidal pour Putsch et consacré à la dérive liberticide de la démocratie allemande...

    Historien, essayiste, professeur, titulaire de la chaire d’Histoire romaine à l’Université Libre de Bruxelles, David Engels est l'auteur de deux essais traduits en français, Le Déclin. La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013) et Que faire ? Vivre avec le déclin de l'Europe (Blauwe Tijger, 2019). Il a  également dirigé un ouvrage collectif, Renovatio Europae - Plaidoyer pour un renouveau hespérialiste de l'Europe (Cerf, 2020).

     

     

                                                

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  • La politique étrangère de l'Union européenne entre faux-semblants et illusions...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli sur Geopragma et consacré aux faux-semblants et aux illusions de la politique étrangère européenne.

    Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et de Vers un nouveau Yalta (Sigest, 2019). Elle a créé en 2017, avec Hervé Juvin, entre autres, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

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    Visite à Moscou de Josep Borrell, Haut représentant européen pour les affaires étrangères

     

    Faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages. Navalny, Borrell et compagnie

    Comment ne pas louer l’initiative de Josep Borrell, Haut représentant européen pour les affaires étrangères, et diplomate de haute volée, de se rendre à Moscou vendredi 5 février dernier rencontrer Sergueï Lavrov ?

    Il s’agissait d’apaiser les tensions nées de l’affaire Navalny, de troquer l’ingérence ouverte pour le dialogue respectueux, d’enjoindre le président russe de ne pas perdre totalement confiance en la capacité d’autonomie de pensée et d’action de l’Europe, et de rechercher les voies d’une coopération fructueuse notamment énergétique avec l’UE. Couplée à une interview du président Macron à The Atlantic Council -temple du neoconservatisme américain-, dans laquelle il appelait courageusement à l’autonomie stratégique du Vieux Continent, à la rénovation impérieuse de la relation avec Moscou et à un partage des taches avec l’OTAN pour raisons de subsidiarité et de divergence structurelle d’intérêts entre Washington et Bruxelles, ce déplacement de J. Borrell à Moscou semblait une judicieuse décision, peut-être l’occasion enfin d’un rétablissement in extremis de l’UE sur la carte d’un monde nouveau où elle fait de plus en plus figure de simple appendice continental de la puissance américaine.  

    Evidemment, une autre interprétation de cette visite courrait chez ceux qui voient des manœuvres partout : l’Europe, définitivement asservie à Washington, dont le nouveau président au même moment, appelait martialement à considérer la Russie et la Chine comme de définitifs adversaires, jouait, en envoyant J. Borrell à Moscou, la comédie d’une prétendue ultime tentative de conciliation sur « l’affaire Navalny », sur fond d’urgence sanitaire et de soudain attrait européen pour le vaccin Sputnik V. Un calcul évidemment voué à l’échec, car on n’a aucune chance d’orienter une décision de politique intérieure russe contre un service qu’on leur demande ! Sergueï Lavrov dialoguera donc aimablement mais sans se faire d’illusions, avec l’envoyé européen, mais Moscou n’en expulsera pas moins trois ambassadeurs (allemand, polonais et suédois) pris la main dans le sac pour soutien à la déstabilisation au milieu des manifestants pro Navalny. Depuis quand est-ce le travail d’un ambassadeur de faire de l’ingérence active dans des affaires intérieures d’un pays ? Le pouvoir russe dérive peut-être vers l’autoritarisme et l’autarcie (nous avons tout fait pour), mais certainement pas vers la naïveté. 

    Sincère ou cynique, l’opportunité de cette visite a fait long feu. On aura finalement la servitude atlantique coutumière des Européens et l’activisme des pions américains implantés par Washington via « l’élargissement » au cœur de notre édifice communautaire comme autant de chevaux de Troie. La presse occidentale et singulièrement française hurle en chœur au « piège russe » comme à l’humiliation de l’Europe, et les Baltes réclament désormais carrément la tête du Haut représentant Borrell. Quant au « virage Biden » qui n’en est pas un, il annonce sans équivoque la permanence remarquable d’une stratégie américaine qui vise toujours à fragmenter et affaiblir l’Europe pour l’empêcher à tout jamais de s’autonomiser stratégiquement et de se rapprocher de Moscou. Navalny n’est qu’un nouveau leurre, un épouvantail pour repolariser l’antagonisme Europe-Russie, déclencher les automatismes mentaux de l’anti-russisme primaire et ranimer la flamme des sanctions. 

    Le vrai dossier est ailleurs : comment s’assurer de la docilité des Européens (sur la Russie et sur l’Iran et la renégociation du JCPOA*) ? Sur qui miser ? Sur l’Allemagne bien sûr ! C’est pourquoi North Stream 2 se fera, contre le lâchage définitif de Paris par Berlin sur les enjeux de la défense et de l’autonomie stratégique européenne, lubies françaises promises à l’étiolement à moins de décisions fortes et courageuses de Paris notamment vis-à-vis de l’OTAN.

    Car le « couple franco-allemand » n’est pas « en crise ». Il n’a historiquement fonctionné que sur la base initiale passagère d’une amputation militaro-politique consentie de la puissance allemande et d’une France épique à laquelle on laissa jouer les médiateurs durant la Guerre froide. C’était il y a longtemps. Ce n’est plus de saison depuis la réunification de 1989. La « crise » actuelle entre Paris et Berlin est celle d’une relation devenue bien trop asymétrique et douloureuse pour jouer plus longtemps la comédie du bonheur. Dans ce drôle de « trouple », dont le troisième larron est l’Amérique, l’un des membres, lyrique, présomptueux mais surtout impécunieux, est méprisé et dévalorisé par l’autre qui lui impose ses volontés et sa domination économique au nom du droit du plus fort sous le regard enjôleur du troisième, qui voit à cette discorde un éminent intérêt.  

    En conséquence, l’axe naturel de déploiement de la puissance et de l’influence française futures doit être recherché avec les puissances militaires et industrielles du sud de l’Europe : Espagne, Italie, Grèce. L’Allemagne ralliera. Ou pas. La France doit se tourner vers ces autres partenaires en matière de coopération industrielle de défense et cesser d’attendre de l’Allemagne ce que celle-ci ne lui donnera jamais : une convergence de raison mais aussi de cœur et d’ambition sur la nécessité d’une Europe-puissance qui assume l’écart voire la dissonance vis-à-vis des oukases américains. 

    Or, l’Allemagne ne le fera jamais, pour au moins deux raisons :

    • Elle se considère, par sa puissance économique et industrielle, le champion économique et politique naturel de l’UE ;
    • Elle tient en conséquence pour parfaitement illégitime la prétention française à un quelconque « leadership européen » politique, notamment au prétexte de notre puissance militaire résiduelle qu’elle ne supporte pas car elle ne peut faire le poids en ce domaine. D’où notamment les grandes difficultés présentes et futures de la coopération industrielle de défense franco-allemande, comme en témoignent notamment les aléas du programme SCAF**… Nous n’en sommes qu’au début. 

    Berlin colle donc à Washington en matière sécuritaire et stratégique, clamant servilement que l’OTAN demeure la seule structure naturelle légitime de la sécurité et de la défense européennes.

    Ne voulant pas que Paris se rapproche de Moscou, ce qui déplairait à Washington, la Chancelière Merkel coopère volontiers avec la Turquie contre Paris et Athènes, mais conserve une relation pragmatique avec la Russie (dépendance énergétique et mauvais calculs sur le nucléaire obligent). Une « résistance » qui lui fournit un levier précieux sur Washington pour préserver d’autres intérêts et qu’elle compense par les gages ou les coups de main donnés au Maître américain sur les enjeux secondaires pour elle que sont les affaire Skripal ou Navalny, la question ukrainienne et autres boules puantes envoyées au président Poutine pour faire enfin vaciller son insupportable popularité.  

    Il faut cesser de prendre les Russes pour des lapins de 6 semaines (pas plus que les Iraniens d’ailleurs). Ils ne supportent pas l’ingérence de près ou de loin, ni les leçons devenues inaudibles d’un Occident en pleine crise démocratique, politique et morale. La Russie de toute façon ne prend plus la France au sérieux depuis déjà quelques temps au gré des déclarations encourageantes… suivies de reculs piteux ou de désaveux. Pour paraphraser Cocteau, les mots d’amour, c’est bien, c’est beau. Mais ce sont les preuves d’amour qui comptent, donnent confiance et envie.  

    Quant à l’Europe, son grégarisme parait indécrottable et son aveuglement stratégique criminel tant ses salves de sanctions, prises et aggravées au coup de sifflet américain, non seulement n’aboutissent qu’à durcir les pouvoirs ciblés (c’est d’ailleurs leur objectif réel sinon comme expliquer ce pathétique entêtement dans l’échec ?) mais font s’appauvrir en Russie, et mourir de faim ou de maladie en Syrie ou en Iran, des dizaines de milliers de personnes depuis trop longtemps punies par nous, sans états d’âme, de faire corps autour de leur chef d’Etat au lieu de le déposer pour avoir le droit de manger et de vivre. Dans cette imposture morale, l’Occident perd non seulement son temps et son crédit, mais aussi son âme. 

    Caroline Galactéros (Geopragma, 8 février 2021)

     

    Notes de Métapo Infos :

    * Accord de Vienne sur le nucléaire iranien ou plan d'action conjoint (en anglais : Joint Comprehensive Plan of Action). Signé initialement le 14 juillet 2015 par  la Russie, la Chine, la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Union européenne, l'Iran et les États-Unis. Dénoncé par ce dernier pays le 8 mai 2018.

    ** Projet franco-allemand de système de combat aérien du futur.

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  • Est et Ouest : un état de la question...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de David Engels, cueilli sur le Visegrád Post et consacré aux relations entre l'Europe orientale et l'Europe occidentale au sein de l'Union européenne.

    Historien, spécialiste de l'antiquité romaine, David Engels est l'auteur de deux essais traduits en français, Le Déclin. La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013) et Que faire ? Vivre avec le déclin de l'Europe (Blauwe Tijger, 2019). Il a  également dirigé un ouvrage collectif, Renovatio Europae - Plaidoyer pour un renouveau hespérialiste de l'Europe (Cerf, 2020).

     

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    Est et Ouest – un état de la question

    En dépit de la pandémie du coronavirus qui monopolise toute l’attention médiatique, les discussions récentes autour du budget européen montrent de plus en plus clairement que la fracture la plus importante qui traverse l’Europe n’est pas celle qui la divise en Nord et Sud, mais plutôt en Est et Ouest. Cette fracture est d’autant plus importante qu’elle est inattendue, car durant les années après la chute du Mur et la réunification de l’Europe, il paraissait évident à beaucoup de spectateurs que l’Est européen allait se contenter de son rôle de « hinterland » de l’économie allemande et s’adapterait rapidement au libéralisme occidental.

    Or, depuis quelques années, il devient évident que cette « Europe kidnappée », pour citer Kundera, suit de plus en plus un chemin qui lui est propre et qui est probablement le fruit paradoxal et inattendu de ce même « kidnapping » qui a empêché ces régions de suivre l’évolution de ses voisins occidentaux et les a soumises à la chappe de plomb du communisme russe. Ceci a eu deux conséquences : d’un côté, la résistance nationale tacite des Polonais, Hongrois, Tchèques, Slovaques et autres au « grand frère » russe a maintenu en vie des facteurs identitaires comme le patriotisme, le christianisme ou les traditions nationales qui, en occident, ont de plus en plus fait place à un genre de melting-pot globaliste et américanisé. D’un autre côté, la vie sous un régime dictatorial a, pour utiliser un mot à la mode, « vacciné » les Européens de l’autre côté du Mur contre les tentations du totalitarisme et leur a appris à déceler, derrière les paroles pseudo-humanistes, derrière les décisions politiques « unanimes » ou derrière les invectives des médias, l’ombre de l’appareil autoritaire.

    Dès lors, il n’est guère étonnant que les citoyens de l’Europe orientale aient été fort étonnés de découvrir que leurs voisins occidentaux, après avoir chaudement salué les mouvements anti-communistes, les ont considérés, une fois le rideau de fer tombé, de manière de plus en plus sceptique et ont finalement commencé à invectiver les mêmes forces qui avaient amené la chute du communisme comme « nationalistes », « cléricaux », « illibéraux », « intolérants », etc. Croyant que la chute du Mur allait leur permettre de rejoindre cette « Europe des nations » ancrée dans les traditions et les valeurs gréco-romaines et judéo-chrétiennes telle que voulue par les pères fondateurs comme Schuman, le réveil a été brutal pour les nouveaux citoyens des Communautés européennes : ils ont dû constater que cette même Europe s’est de moins en moins limitée à simplement souligner la différence entre une partie occidentale « globaliste » et une moitié orientale plutôt « traditionaliste » et à œuvrer pour une meilleure compréhension mutuelle, mais a adopté une attitude de domination et tente même de toutes ses forces d’influencer la politique intérieure de ses nouveaux États membres orientaux.

    Ainsi, depuis la politisation de l’alliance Visegrád et l’élection du Fidesz en Hongrie (2010, ndlr) et du PiS en Pologne (2015, ndlr), une véritable fracture s’est ouverte entre Est et Ouest, et il est difficile de dire si, quand et comment elle pourra se refermer. Car d’un côté, les tentatives de plus en plus massives de faire tomber les gouvernements hongrois ou polonais par le biais de la Cour européenne de Justice, par une coupure des subsides européens ou par l’aide indirecte apportée par les médias et ONGs aux partis d’opposition, même si elles devaient être couronnées de succès, ne feront qu’aliéner une partie substantielle de citoyens et hypothéqueront lourdement leur soutien initial au projet européen, avec des conséquences incalculables, comme l’a montré le Brexit. D’un autre côté, la fracture s’étend maintenant de plus en plus à d’autres États européens à qui l’exemple de l’alliance Visegrád montre que l’on peut être patriote sans être nationaliste, fier de sa culture sans être chauviniste, proche de ses racines chrétiennes sans être intolérant, conservateur sans être extrémiste, et amoureux de la démocratie sans être politiquement correct – un précédant dangereux, car discréditant la narration habituelle selon laquelle tout ce qui est à droite de l’universalisme multiculturel doit mener inévitablement au fascisme.

    À ce stade-ci, et surtout après le départ de Donald Trump, il est difficile de savoir comment ce conflit continuera à évoluer, et la crise du Covid-19 a ajouté de nouvelles incertitudes, de telle manière que de nombreux spectateurs annoncent déjà la fin de l’époque « populiste ». Du moins pour les pays Visegrád, ce constat est doublement faux. D’abord, parce que les gouvernements polonais et hongrois ne sont pas « populistes » à strictement parler : avec une longue expérience du pouvoir et profondément enracinés dans des traditions culturelles encore très vivaces, ils se distinguent nettement de l’approche purement oppositionnelle et souvent plutôt libérale que conservatrice des « populistes » occidentaux. De plus, la crise du coronavirus pourrait s’avérer être un avantage relatif pour l’Est de l’Europe, économiquement plus résiliant, culturellement plus stable et financièrement moins lié à la zone euro (du moins la Pologne et la Hongrie) et donc peut-être apte à surmonter la crise mieux que bon nombre de ses voisins occidentaux.

    Même en ce qui concerne les prétendues « entorses » à l’état de droit, l’on peut supposer que, dans un futur pas tellement lointain, quand des pays comme la France ne pourront plus maintenir l’ordre et la sécurité qu’au moyen de mesures autoritaires et se seront transformés en États policiers, ce sera dans ces pays dits « illibéraux » que cette « normalité » à la fois politique et civique qui fait de plus en plus défaut en occident continuera de fleurir. Alors, la décision de maintenir une certaine homogénéité culturelle, de rester fidèle aux traditions et de ne pas se laisser intimider politiquement par Bruxelles (ou Berlin) pourrait s’avérer avoir été la bonne – à condition d’être fermement maintenue durant les années cruciales à venir…

    David Engels (Visegrád Post, 2 février 2021)

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  • Pas de souveraineté européenne sans défense commune...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue du général Vincent Desportes, cueilli sur le site de l'Association de soutien à l'Armée française et consacré à la nécessité d'une défense européenne. Spécialiste de la stratégie, le général Desportes est notamment l'auteur de Comprendre la stratégie (Economica, 2001), de Décider dans l'incertitude (Economica, 2004) et, dernièrement, de Entrer en stratégie (Robert Laffont, 2019).

     

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    Pas de souveraineté européenne sans défense commune

    Mali, Méditerranée orientale, Niger et même cyberespace… Les situations de conflits apparaissent partout et l’Europe semble les bras ballants.  Elle doit assumer une stratégie de puissance.

    Dans la succession des crises qui secouent le monde, que fait l’Europe ? Rien, ou trop peu. Tension politique en Biélorussie, chantage turc aux réfugiés, coup d’Etat au Mali, chaos guerrier en Libye, autodestruction du Yémen : l’Europe, première puissance économique, regarde presque passive se régler des problèmes qui la concernent au premier chef ! Au plan international, elle paraît absente et compte sur d’autres pour garantir ses lendemains.

    Face à des Etats-Unis erratiques, une Russie agressive, une Chine conquérante, face à des menaces sécuritaires émergentes et de nouveaux défis stratégiques, l’Europe doit balayer ses illusions pour saisir le monde tel qu’il est, forgé de souverainetés et de puissances. Et si nous, Français, voulons rester ce que nous entendons être, notre discours et nos actes ne peuvent qu’être européens.

     

    Un nouvel environnement stratégique

    Premier constat : le démantèlement du monde créé à San Francisco en 1945, tué par ceux qui l’ont créé. Dès l’origine, le ver était dans le fruit. L’architecture multilatérale du 26 juin 1945 supposait l’égalité des membres et leur acceptation du principe de souveraineté limitée. Très vite, les Etats-Unis ont estimé que leur « destinée manifeste » leur demandait de dominer le monde : ils n’avaient donc pas à se plier à la règle qu’ils avaient eux-mêmes établie. Ils la rejettent aujourd’hui : le multilatéralisme serait la source de tous leurs maux.

    Second constat : la croissance des tensions militaires. En 2019, les dépenses militaires mondiales ont atteint leur apex depuis la fin de la Guerre Froide. Le budget militaire des Etats-Unis, avec 732 milliards de dollars en 2019, en augmentation de 5,3%, représente 38% du total. Celui de la Chine, en hausse constante, est avec 261 milliards de dollars le deuxième mondial, cinq fois ce qu’il était il y a quinze ans. L’Inde a accru son budget de 6,8% pour le porter à 71,1 milliards de dollars. En Europe, la Russie fait la course en tête, augmentant son budget de 4,5% : avec à 65,1 milliards de dollars, elle se situe dans le top 5 des puissances militaires.

    Troisième constat : la franche détérioration de la relation transatlantique. Son histoire a toujours été subordonnée à la vision des Etats-Unis : une Europe solide mais vassale, sans leadership, qui ne leur fasse pas d’ombre. Leur but ? Maintenir l’Europe en constant devenir ! Les Etats-Unis n’ont jamais aidé les Européens à s’affirmer et parler d’une seule voix, les en décourageant même. Depuis 2017, le phénomène s’est accéléré. Le président américain retire ses troupes de Syrie sans concertation avec ses alliés européens contre lesquels il mène sa guerre commerciale. Il fait l’apologie du BREXIT et critique l’OTAN. Au plus fort de la pandémie, la règle a été celle de l’égoïsme et de l’indifférence envers ses alliés traditionnels.

    Quatrième constat : la montée dominatrice de la puissance chinoise. La volonté de son président est claire : faire de son pays la première puissance économique et militaire en 2049. La Chine veut imposer son modèle dans un nouvel ordre mondial dont les Etats-Unis et l’Europe auraient perdu le leadership. Encore récemment, les dirigeants occidentaux balayaient ces réalités dérangeantes. Ce n’est plus possible : la dépendance est devenue criante dans les domaines industriels et ceux des ressources critiques.

     

    Peut-on croire au retour de l’Amérique ?

    Le découplage Europe-Etats-Unis peut-il être corrigé ? Non : nous appartenons déjà à deux planètes différentes. Ecoutons le président des Etats-Unis : « America first only » ou pire : « Je crois que l’Union Européenne est un ennemi pour les Etats Unis ». Inexorablement ceux-ci se tournent vers le Pacifique. De plus en plus asiatiques, de plus en plus hispaniques, de moins en moins « caucasiens », les Américains deviennent chaque jour un peu moins européens : dès 2040, la population d’origine européenne sera devenue minoritaire. Ce pivot vers l’Asie ne traduit d’ailleurs que la réalité stratégique. Les Etats-Unis, affranchis de leur dépendance énergétique à l’égard du Proche-Orient, connaîtront de brefs regains d’intérêt pour l’Europe, mais pas d’illusions : même avec Biden, la tendance ne s’inversera pas. Le président Obama se disait déjà le premier président du Pacifique

    Il est donc fort hasardeux pour l’Europe de lier son destin à celui des Etats-Unis. Pourtant, plus le parapluie américain est une chimère, plus les Européens s’y accrochent ; hélas, en leur donnant un faux sentiment de sécurité, l’OTAN est devenue un frein politique à l’unité européenne et un ferment de déresponsabilisation. Elle est, en ce sens, devenue une menace pour la sécurité de la France et de l’Europe.

     

    Le monde a besoin d’Europe.

    L’Europe est-elle nécessaire ? D’évidence oui, puisque l’Occident a perdu son leader, les Etats-Unis ayant trahi leurs pères fondateurs et leurs alliés comme d’ailleurs les principes philosophiques et moraux qui ont fait leur grandeur.

    Pour combler cette déliquescence, notre monde dérégulé a besoin de l’Europe, une Europe mature, née d’affrontements fraternels meurtriers, puis des « Lumières », puis de massacres encore, une Europe devenue raisonnable, pôle de sagesse et d’équilibre par le sang versé, porteuse des valeurs humanistes, dans un monde qui court au gouffre.

    L’Europe est aussi nécessaire à chacune de nos nations : isolément, elles sont toutes trop faibles pour survivre, protéger leur culture, leur art de vivre, leur liberté. Sans union, demain, nous serons livrés à des entreprises et technologies chinoises, des logiciels américains, nous nous abreuverons de sous-culture américaine et n’aurons plus le choix que de subir.

    Cependant, pour être utile, l’Europe doit parler au monde. Le peut-elle ? Ses rêves congénitaux l’ont mal préparée à affronter les défis futurs : elle est encore un acteur aphone parce que la puissance militaire est un facteur clef de l’indépendance et que la sienne est inexistante. Pour être entendue, l’Europe doit être militairement forte puisque la voix des nations ne porte qu’en fonction du calibre de leurs canons, vérité regrettable mais éternelle.

     

    Peut-on rêver encore d’une défense française ?

    C’est un rêve mortifère. La construction de l’Europe de la défense relève d’un impératif d’échelle : en termes de défense, celle des nations est dépassée. Une puissance moyenne ne peut plus se doter d’un système de défense cohérent, comme ce fut le cas jusqu’au milieu du XXème siècle.

    D’abord en raison de l’expansion continue des domaines de conflictualités, de la terre hier au cyberespace aujourd’hui, et demain dans tout nouvel espace conquis par l’homme. Or, à l’expansion des espaces de guerre ne correspond nullement celui des budgets militaires : aucun Etat européen n’est plus en mesure de constituer en solo une capacité d’action substantielle dans chacun des espaces d’affrontement.

    Ensuite en raison de l’explosion du coût des équipements. Chaque nouvelle génération multiplie leur prix par dix au moins. Tout Etat est donc contraint de réduire ses parcs à chaque saut générationnel ou d’accepter le décrochage technologique. La conséquence ? Sauf pour les superpuissances, le choix est simple : accepter un système de défense échantillonnaire affaibli de larges déficiences capacitaires, ou bien opter pour le rétablissement de la cohérence au niveau supranational. Pour les nations européennes, il est donc techniquement nécessaire de retrouver là l’exhaustivité qui leur manque.

    C’est ici qu’apparaît à nouveau la nécessité d’une défense européenne, car ce niveau supranational doit être fiable et ce n’est plus le cas de l’Alliance atlantique.

     

    Construire la défense de l’Europe … pour l’Europe et par l’Europe

    Aujourd’hui, les États-Unis fournissent, selon les secteurs, 70 à 100 % des capacités de l’Alliance: ce niveau de dépendance est dangereux. Pourtant, l’Union européenne, malgré les chocs que constituèrent entre 2015 et 2017, les attentats terroristes, les attaques cyber ou l’afflux incontrôlé de migrants, reste toujours aussi mal préparée à la gestion d’une crise de sécurité sur son sol ou à sa périphérie.

    Les pays européens auraient donc tout intérêt à affermir leur contribution à cette mission de sécurité collective. Il leur faut rationaliser des appareils militaires comportant aujourd’hui autant de redondances que de carences capacitaires. Faute de convergence des programmations nationales, les dépenses militaires des États européens ont un médiocre rendement, la recherche de défense est sous financée, la relève des grands équipements est problématique : il faut donc européaniser les processus d’acquisition des équipements militaires mais aussi consolider la base industrielle et technologique de défense de l’Union. C’est vital pour l’équipement de nos armées comme pour l’industrie européenne. En outre, que ce soit pour la gestion de crises civiles ou les opérations militaires, les outils de planification, de conduite et de commandement de la PSDC sont inadaptés : l’UE a besoin de sa propre « tour de pilotage » des crises.

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    La croissance économique européenne s’est faite dans une merveilleuse insouciance devenue mortifère. Hédonistes aveugles, les Européens sont tout simplement sortis de l’histoire ; il vaudrait mieux qu’ils y entrent à nouveau, mais non par une porte dérobée. Leur salut suppose que ce soit en puissance.

    La principale illusion européenne était le caractère facultatif de la force : les évolutions dangereuses du monde doivent nous ramener au réalisme. Voulons-nous que les Etats-Unis continuent à nous dicter ce que doit être notre position vis- à-vis de la Chine ? Voulons-nous conserver notre statut de vassal, ou souhaitons-nous compter dans le monde et influer sur son devenir ? Les questions sont simples : quelle volonté, quels moyens, quels buts ? Changeons de paradigme : l’Europe économique doit devenir politique et géopolitique.

    La souveraineté de nos États suppose la recherche parallèle de l’autonomie stratégique aux niveaux national et européen. Ils sont complémentaires : la souveraineté européenne n’est pas un substitut à la souveraineté nationale mais son indispensable complément, voire sa condition. Nos vieilles nations ne pourront exister que dans et par l’Europe. Il y a 60 ans, à l’Ecole Militaire, Charles de Gaulle le martelait : « Il faut que la défense de la France soit française ». Eh bien il faut aujourd’hui que la défense de l’Europe soit européenne.

     

    Général (2S) Vincent Desportes (ASAF, 1er septembre 2020)

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  • L'Europe verte des bisounours...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Renaud Girard cueilli sur Geopragma et consacré au plan de relance européen... Renaud Girard est correspondant de guerre et chroniqueur international du Figaro.

     

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    L'Europe verte des bisounours

    A Bruxelles, le 21 juillet 2020, après une longue et dure négociation, les dirigeants des Etats membres de l’Union européenne (UE) ont adopté un plan de relance économique sans précédent dans l’histoire du vieux continent. Fondé, pour la première fois, sur un emprunt commun, il prévoit d’accorder pour 750 milliards d’euros de prêts et de subventions aux économies de l’UE. La Commission européenne lui a donné le nom de « Next Generation EU ». Il s’agit d’« investir pour la nouvelle génération », c’est-à-dire de préparer un avenir meilleur aux enfants de cette Europe qui a été affaiblie, depuis le début du millénaire, par un triple déclin relatif face aux autres continents (démographique, industriel, technologique). Ces sommes considérables s’ajouteront au budget pluriannuel de l’UE, qui prévoit de dépenser quelque 1100 milliards d’euros de 2021 à 2027.

    La légitime ambition de ce New Deal enfanté à Bruxelles est de rendre le vieux continent plus « résilient ». Les peuples européens réclament de l’UE davantage de protections. Ils ont été choqués de constater qu’elle s’était montrée incapable d’anticiper, et ensuite de bien gérer, trois grandes crises successives :  la crise financière de 2008 venue des Etats-Unis ; la crise migratoire de 2015 venue des rives arabo-islamiques de la Méditerranée ; la crise sanitaire de 2020, venue de Chine.

    Sur le principe d’un sursaut de l’Europe, nous ne pouvons qu’être d’accord. Mais sur la forme et sur le fond, on est en droit de questionner le travail réalisé pour le moment par la Commission et le Conseil européens. Sur la forme : qu’est ce qui nous garantit que l’argent ira dans des infrastructures pérennes et non dans des actions de saupoudrage destinées, en bout de ligne, à camoufler des régimes sociaux structurellement déséquilibrés ? Sur le fond : l’UE a-t-elle dessiné une hiérarchie crédible de ses priorités ?

    Le document de la Commission sur lequel ont travaillé les dirigeants européens dit que la stratégie de relance de l’UE est, en premier, fondée sur un « pacte vert européen ». Qui ne serait d’accord avec la « vague de rénovationde nos bâtiments et de nos infrastructures » que propose le pacte ? Ou avec ses « projets d’énergie renouvelable » et son « économie de l’hydrogène propre » ? Ou avec ses « transports et une logistique plus propres, y compris l’installation d’un million de points de recharge pour les véhicules électriques » et son « coup de fouet au transport ferroviaire et à la mobilité propre dans nos villes et régions » ?

    Il n’y a aucun mal à vouloir faire de l’Europe un paradis vert. Mais cette action doit être le résultat, et non la prémisse, d’une réelle stratégie de relance. Laquelle doit viser à renforcer la recherche et l’innovation, à restaurer l’industrie européenne, à lui redonner une compétitivité pérenne, afin de créer la prospérité qui permettra, dans un second temps, de financer la révolution verte. L’objectif prioritaire de l’Europe aujourd’hui devrait être de construire chez elle un modèle productif ouvert, horizontal, supérieur en efficacité au modèle chinois vertical. S’ils veulent être pris au sérieux à Washington, Pékin, Tokyo, Delhi ou Moscou, les Européens ne peuvent se borner à faire de leur continent un gigantesque parc d’attractions décarboné.

    Il est grand temps que les Européens se convertissent au réalisme et qu’ils regardent le monde tel qu’il est. C’est un univers de compétition impitoyable pour la suprématie technologique et industrielle, laquelle finit toujours par se transformer en suprématie politique. Dans ce gigantesque combat, la Chine, l’Inde, la Russie – et même leur alliée l’Amérique – ne leur feront aucun cadeau.

    A travers ce « Next Generation EU », on ne voit hélas pas l’UE investir massivement dans les biotechnologies, dans l’intelligence artificielle, dans l’espace, dans la défense. On ne voit pas de relance proprement industrielle. L’Allemagne est-elle indifférente, parce qu’elle a déjà son propre programme, excellent, intitulé Industrie 4.0, où elle va produire les usines connectées de demain, avec des machines intelligentes coordonnant de façon autonome les chaînes de production ?

    A écouter les interventions récentes des dirigeants français, on les sent sous l’emprise d’une nouvelle idéologie verte. Une sorte de maoïsme écologique. Déjà, il y a eu des décisions aberrantes, comme la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim. Veut-on à présent construire l’Europe verte des bisounours ? 

    L’UE grignote ses dépenses de défense. Cela ne correspond pas à la réalité conflictuelle de notre nouvelle décennie. Le virage néo-ottoman de la Turquie devrait nous faire réfléchir. L’Union soviétique est morte des excès de son idéologie rouge. Notre Europe doit se sauver des excès de son idéologie verte. 

    Renaud Girard (Geopragma, 31 juillet 2020)

     

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  • La France doit engager la renégociation des traités européens !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré à l'avenir de l'Union européenne et à la caducité des traités européens. Économiste de formation, vice-président de Géopragma et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Candidat aux élections européennes sur la liste du Rassemblement national, il a publié récemment un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

     

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    La France doit engager la renégociation des traités européens : Pour une Europe des Nations

    Toutes les règles établies au moment de la préparation de l’euro ont été oubliées, tous les traités européens rompus, toutes les limites dépassées.

    Ces traités européens caducs

    C’est le cas du traité instituant la BCE. L’objectif unique de stabilité des prix est oublié. La BCE pratique la monétisation des dettes, se prépare à acheter des titres de toute nature (y compris des titres de titres ayant un rating de junk-bonds) et annonce qu’elle fera tout ce qu’il faut (selon Mario Draghi, repris par Christine Lagarde, le 30 avril encore, « whatever it takes ») pour sauver l’euro. Elle assume un rôle politique, s’engage dans le soutien du prix des actifs financiers, et se permet des opérations strictement interdites aux banques centrales des États membres, comme la monétisation des dettes publiques. Et la règle qui limitait l’aide de la BCE à des pays en difficulté en fonction de leur participation à son capital elle aussi a été suspendue.

    C’est le cas du Pacte de stabilité, plus connu sous le nom de « traité de Maastricht. La majorité des pays de l’Union ne respectera ni le critère de dette publique sur PIB, ni celui de déficit budgétaire, et celui d’inflation est oublié. Les colonnes du temple de la rigueur budgétaire et de la vertu des finances publiques devaient assurer la convergence des nations membres de l’union monétaire ; tous, tous Allemands, derrière l’euro-mark ! Chacun peut voir ce qu’il en est advenu !

    C’est le cas de dispositifs comme le Mécanisme Européen de Stabilité, dont les concours sont subordonnés à des conditions rigoureuses de rigueur budgétaire (appliquées par exemple à la Grèce). Après l’Eurogroup du 8 avril, il semble que ces conditions soient suspendues, sans que les Italiens et les Français d’un côté, les Néerlandais ou les Allemands de l’autre, aient le même avis à ce sujet (d’ailleurs l’Italie refuse à ce jour d’y avoir recours).

    C’est le cas du Pacte de stabilité et de croissance, de 1997, comme du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de la zone euro de 2013, qui le précise et le renforce, avec ses prescriptions budgétaires imposées en violation manifeste de la souveraineté des États.

    C’est aussi le cas de l’équilibre entre les institutions de l’Union européenne. Sous des prétextes divers, la Commission européenne a continué à s’insinuer dans les domaines réservés aux États, jusqu’à s’inventer une diplomatie, jusqu’à se prétendre gardienne de “valeurs” autoproclamées, jusqu’à financer des Fondations et des ONG ouvertement hostiles à la souveraineté des Nations.

    C’est enfin le cas de l’accord de libre-circulation, dit accord de Schengen, qui a considérablement facilité l’immigration illégale et le pillage des systèmes les plus favorables par les migrants. 16 pays participant à cet accord en ont suspendu les effets, fermant tout ou partie de leur frontière ; parmi eux, beaucoup des pays, comme l’Autriche ou la Hongrie, qui ont le plus efficacement contenu la pandémie. Et certains pays, comme l’Italie, n’ont pas jugé utile d’avertir l’Union européenne de leur décision de fermer leurs frontières ; d’ailleurs, à quoi bon ?

    Un aveuglement idéologique

    L’Union européenne refuse de voir l’évidence ; si le sol sur lequel est construit le Parlement européen de Bruxelles menace d’effondrement, le sol des traités et des institutions sur lequel l’Union affiche son arrogance s’est déjà effondré, miné par le coronavirus, et plus profondément, par la réalité nationale plus forte que tous les traités, les pactes et les injonctions étrangères. Plus rien de ce sur quoi la nouvelle Union européenne s’est construite depuis l’Acte Unique et le traité d’union monétaire ne tient debout. Inconsciente, ou provocatrice, l’Union n’en tient aucun compte, signe le 28 avril un accord de libre-échange avec le Mexique sans aucune garantie environnementale et sanitaire (voir le communiqué d’Interbev), appelle à garder les frontières ouvertes, et entend ouvrir les négociations de préadhésion avec l’Albanie et la Macédoine du Nord, sans tirer aucune conclusion de l’échec avéré des adhésions récentes, sans remettre en cause le principe “un État, un commissaire” — l’Albanie avec un commissaire européen, comme l’Allemagne ou la France ! Autrement dit, l’Union européenne continue de courir sur la vitesse acquise parce que tout arrêt la condamnerait sans recours.

    La lucidité commande d’en tirer toutes les conséquences. L’Union telle qu’elle a été subvertie dans les années 1980, telle qu’elle a été soumise à la globalisation marchande, n’est pas l’Union voulue par ses fondateurs. Et l’Union monétaire a été conclue à des conditions qui creusent un écart à terme insurmontable et insupportable entre pays du Nord et du Sud. Elle n’est pas durable en l’état.

    L’Europe soumise à l’union monétaire, l’Europe de Maastricht a vécu.

    Nous n’en conclurons pas qu’il faut ajouter de la crise à la crise, comme ceux qui voient dans l’effondrement économique actuel un bon prétexte pour sortir de l’euro, faire éclater l’Union, et abandonner tout espoir réel d’indépendance et de souveraineté, qui ne peuvent exister que si elles sont coordonnées et partagées.

    Un avenir pour l’Union ?

    Pourtant, les circonstances banalisent la sortie d’un pays de l’Union de la monnaie unique. Sortir de l’euro n’est plus l’épouvantail agité partout, depuis que la pandémie menace de ruiner l’épargne et l’entreprise.

    D’abord en raison du “Brexit”. L’Union n’est plus un club dont nul ne peut sortir. Ce qui s’est produit peut se reproduire, même si l’euro introduit une dépendance de niveau supérieur entre ses participants.

    Ensuite et surtout parce que les conséquences considérables de la pandémie sur les équilibres macro-économiques de la plupart des pays de la zone euro relativisent considérablement les effets d’une sortie de l’euro, qui peuvent sembler noyés dans le brouillard macroéconomique provoqué par la pandémie. Les prévisions apocalyptiques – – 3 % de croissance, 2 % de déficit public, etc. — associés à la sortie de l’euro semblent aujourd’hui anecdotiques par rapport aux impacts annoncés de la pandémie — jusqu’à 8 % ou 10 % de déficit public, -8 % de croissance, etc.

    Enfin, parce que plusieurs pays membres de l’Union considèrent que l’Union a fait preuve d’une indifférence coupable, voire d’une absence totale de solidarité à l’occasion de l’impact asymétrique de la pandémie. Les excuses publiques de Mme Van der Leyen veulent tout dire. Il leur manque seulement de reconnaître que les déficits des pays du Sud ont pour une part non négligeable leur contrepartie dans les excédents commerciaux de l’Allemagne et des pays du bloc mark. Face à la pandémie, comme face l’invasion migratoire, seuls, des Etats ont tenu, des Nations se sont levées, et l’Union a manqué, quand elle n’a pas trahi.

    L’expérience commande de reconnaître que l’union monétaire repose sur la croyance que les peuples des Nations membres vont peu à peu adopter les mêmes comportements en matière d’épargne, de discipline budgétaire, de tenue des déficits publics, etc. Cette croyance est démentie par les faits. Les identités nationales sont plus puissantes que tous les mécanismes de convergence forcée institués par l’Union européenne, que les traités et les engagements chiffrés.

    Voilà pourquoi il est urgent que la France prenne l’initiative d’une conversation entre chefs d’État, préparant un nouveau traité d’Union des Nations européennes, sur la base de la diversité et de la souveraineté des Nations, sur la base aussi d’une commune recherche de puissance et d’indépendance.

    La seule condition qui puisse rendre pertinent le maintien de l’euro, rallier les opinions qui doutent et permettre de dépasser les spécificités nationales légitimes est le projet d’une Europe puissance, de l’Atlantique à l’Oural, capable d’améliorer la sécurité et l’indépendance des Nations européennes, notamment par la tenue des frontières extérieures, le contrôle des migrations, l’autonomie industrielle, financière et de Défense. Cette Europe puissance serait l’Europe des Nations telles que le traité de l’Élysée, signé par le Général de Gaulle et le chancelier Adenauer, en avait jeté les bases (22 janvier 1963).

    C’est le moment français !

    Il appartient à la France de restaurer l’Union européenne, la seule qui serve l’Europe, celle des Nations d’Europe — des Nations européennes libres. Cosignataire du Traité de Rome, initiatrice du Traité de l’Élysée, seul membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU, la France doit prendre l’initiative d’une refondation de l’Union sur la base d’un accord réaliste et durable des Nations européennes. Elle est seule à pouvoir le faire, ce qui lui donne le devoir de le faire.

    La France doit prendre l’initiative que son engagement dans la fondation de l’Union européenne, son autorité internationale, l’autonomie de sa Défense, lui permettent de prendre, et elle seule.

    La France invite les chefs d’État et de gouvernement des États membres à prendre acte de l’effondrement des traités et des accords qui ont présidé à la naissance de la monnaie unique et à la construction d’une Europe ouverte au libre-échange, aux mouvements de populations, à la globalisation.

    La France appelle les pays européens à refonder leur union dans un projet de puissance et d’indépendance de l’Europe, sur la base de leur souveraineté nationale et de frontières extérieures tenues.

    La France appelle les dirigeants des Nations signataires du traité de Rome à une conférence de refondation de l’Europe, à Paris, en juillet prochain.

    Cette conférence aura pour but d’élaborer les principes fondateurs d’une nouvelle Union, principes qui seront ensuite proposés à tous les États membres de l’Union, sur la base de la souveraineté des Nations et de la puissance de l’Europe, dans le but d’assurer l’intégrité de leurs territoires, de protéger les modes de vie et la liberté de leurs citoyens, leur identité et leur diversité, de garantir la défense efficace de leurs frontières extérieures et leur indépendance par rapport à toute puissance extérieure, de gérer dans l’intérêt commun leur monnaie commune en vue du progrès social, de l’équilibre des échanges et de la stabilité des prix.

    Cette conférence prendra acte de la rupture des traités fondateurs de l’Union monétaire. Elle engagera la redéfinition du mandat de la BCE, les conditions de négociation des traités commerciaux et de Défense, les modalités de tenue des frontières, de contrôle des mouvements de personnes, de capitaux, de produits et de services, de données et d’informations. Elle travaillera à construire les nouveaux équilibres institutionnels au sein de l’Union, et notamment les rôles respectifs de la Commission européenne, secrétariat permanent du Conseil de l’Europe, et du Parlement européen, représentant des Nations auprès du Conseil.

    En cas de refus des Nations invitées à participer à cette conférence, ou d’échec des négociations engagées pour la refondation de l’Union de l’Europe avec tous les États membres, la France devra en tirer toutes les conséquences que comportent la défense de son territoire, l’indépendance nationale, et le principe de souveraineté du peuple français.

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 3 mai 2020)

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