En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.
Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Guillaume Durocher cueilli sur le site de l'Institut Iliade et consacré à l'officialisation progressive de l'idéologie "woke" grâce à l'action des institutions de l'Union européenne.
Une affiche de campagne de communication pro-islamique du Conseil de l’Europe.
Voyage au Wokistan : l’anti-Europe se dessine à Bruxelles
Le Parlement européen a adopté récemment une résolution établissant sa position concernant la lutte contre le « racisme » dans la culture, l’éducation, les médias et les sports. Ce texte indigeste constitue un véritable florilège d’exigences ethniques et de novlangue progressiste. Les eurodéputés souhaiteraient lutter contre le « racisme structurel » et imposer « une approche intersectionnelle de l’élaboration des politiques ». Autant dire que Bruxelles a acté sa conversion au wokisme !
Au-delà de ce vulgaire charabia, la clause la plus choquante est sans doute la suivante : le Parlement exige la censure de médias publiant des informations « stigmatisantes », définies comme celles « ciblant les migrants comme étant la source de divers problèmes socio-économiques et en accordant une couverture disproportionnée aux infractions commises par des migrants ». De fait, les eurodéputés exigent la censure d’informations exactes dans la mesure qu’elles nuisent à l’idéologie dominante. Le fait est que les populations africaines et musulmanes en Europe occidentale sont très souvent disproportionnellement concernées par l’insécurité, l’assistanat et la sous-performance scolaire et économique.
Immigration, insécurité et « problèmes socio-économiques » : florilège de statistiques
Les statistiques aussi bien que le vécu quotidien des Européens dans les zones nouvellement « diversifiées » l’attestent. Par exemple, la police de Londres indique qu’en 2019 des Noirs étaient impliqués dans 51 % des attaques au couteau, alors qu’ils ne représentent que 13 % de la population londonienne. Ces chiffres sont stables depuis 10 ans et tout à fait comparable à la criminalité afro-américaine aux États-Unis d’Amérique.En France, une étude de l’INSEE de 2012 avait constaté que les immigrés et les descendants d’immigrés d’origine maghrébine, africaine et turque étaient largement plus concernés par l’échec scolaire, le chômage et l’accès aux HLM que ne l’étaient les indigènes ou les immigrés d’origine européenne ou asiatique.En Allemagne, la décision unilatérale de la chancelière Angela Merkel d’accueillir plus d’un million de prétendus « réfugiés » en 2015 a coïncidé avec une augmentation importante de l’insécurité. Trois années plus tard, les statistiques officielles démontrèrent que 92 % de cette augmentation avait pour cause de jeunes migrants de sexe masculin. Le point culminant de cette vague de violence fut les agressions – dont 500 à caractère sexuel – subites par 1 200 femmes lors de la nuit de la Saint-Sylvestre à Cologne, à Hambourg et dans d’autres villes allemandes. Pendant ce temps-là, le ministère de l’Intérieur allemand tenta d’étouffer l’affaire en supprimant toute mention de « viol » du rapport policier et la Commission européenne affirma qu’il n’y avait aucun lien avec les migrants et qu’il fallait contrer toute réaction « xénophobe ».À Rotherham et dans d’autres villes anglaises, des gangs essentiellement d’origine pakistanaise ont perpétré plus de 2 400 viols sur mineur. Les élus locaux refusèrent pendant des années de s’opposer à ces crimes monstrueux car ils ne voulaient pas « donner de l’oxygène aux opinions racistes ». La devise officielle du conseil municipal de Rotherham ? « Où tout le monde compte. »L’hebdomadaire britannique The Economist a révélé que les migrants originaires du Moyen-Orient et du Maghreb ont un impact fiscal uniformément négatif au Danemark tout au long de la vie, consommant plus en matière d’assistanat et de services publics qu’ils ne contribuent en impôts. Leur situation contraste fortement avec la situation des indigènes danois et des immigrés d’origine occidentale. Le magazine illustra ces chiffres avec un graphique au titre « C’est compliqué », alors que la situation est tout à fait limpide.On peut multiplier ces chiffres pour à peu près tous les pays occidentaux dès lors que les statistiques concernées sont collectées et publiées. Or, toute cette criminalité « disproportionnelle » et tous ces « problèmes socio-économiques » (un bel euphémisme) ont une cause première et fondamentale : l’immigration en Europe des populations concernées. Mais les eurodéputés souhaitent tout simplement interdire aux médias de soulever ces faits qui pourrissent la vie des Européens.
Imposer la censure dans les médias audiovisuels et les réseaux sociaux
Le Parlement européen ne fait pas que demander la censure de faits embarrassants. Il exige que les autorités de réglementation audiovisuelle (CSA et autres) aient plus de compétences pour censurer des émissions ayant « des contenus discriminatoires ou racistes » et qu’on élimine les financements publics aux médias promouvant des « discours haineux et xénophobes ». Au contraire, les médias devraient « éviter les pratiques qui entretiennent ou renforcent les stéréotypes négatifs concernant des minorités ethniques ou raciales » et « montrer des membres de ces communautés dans des rôles positifs ».Les eurodéputés ont également appelé à « accroître la responsabilisation des plateformes numériques et des réseaux sociaux afin de lutter contre la diffusion de l’incitation à la haine raciale à l’égard des migrants et des minorités », exigeant de fait plus de censure sur les réseaux sociaux.Le rapporteur du texte est Salima Yenbou, une eurodéputée française d’origine algérienne, née en Seine-Saint-Denis. Cette élue, issue du groupe des Verts mais ayant depuis rallié le camp macroniste, défendit son texte en déclarant :« Nous devons lutter activement contre le racisme, afin que nos filles et nos fils n’aient plus à se demander s’ils ont leur place dans notre société. Afin de construire un avenir meilleur, nous devons connaître et comprendre notre histoire. C’est pourquoi il est important que les étudiants en apprennent davantage sur le colonialisme, l’esclavage, le génocide et tous les phénomènes liés. »Elle ajouta qu’il fallait « mettre fin aux médias qui diffusent des propos racistes sur les migrants et les réfugiés, ainsi qu’aux contenus qui sont racistes, qu’ils soient intentionnels ou non. » La mission d’éliminer des contenus dits « racistes non intentionnels » donnerait à l’État de vastes compétences dans le domaine de la censure.
Déseuropéaniser la culture et l’instruction
Le texte complet exige de nombreuses autres mesures aboutissant à une sorte de racialisation radicale des politiques publiques. En effet, les eurodéputé exige que le « le coordinateur ‘antiracisme’ [de la Commission européenne] dispose de ressources adéquates et à ce que toutes les [Directions générales] contribuent à la prise en compte de l’égalité raciale dans l’ensemble des politiques de l’Union ».Les politiques éducatives et culturelles seraient particulièrement concernées. Les manuels scolaires doivent être réécrit afin de mentionner « des auteurs, des historiens, des scientifiques, des artistes et d’autres personnalités de races et d’origines ethniques variées ».Les programmes d’Hisoitre seraient modifiés par « une approche ciblée du passé des communautés raciales et ethniques vivant en Europe », mettant l’accent « sur les contributions des communautés racialisées au développement et à la construction de l’Europe d’aujourd’hui ».En outre, les eurodéputés exigent l’éradiation du « harcèlement à caractère raciste » dans les écoles. Mais on se demande bien qui en est la source !La racialisation éducative ne s’arrêterait pas au niveau scolaire. En effet, les États devraient mettre en place « des programmes pour l’apprentissage tout au long de la vie à destination des fonctionnaires, et notamment des forces de l’ordre, afin d’éliminer les comportements racistes et xénophobes ».Côté culture, le Parlement préconise le lancement d’initiatives « telles que des systèmes de bons ou des projets similaires, encourageant les personnes de différentes communautés raciales et ethniques à participer à des manifestations culturelles ». En bref des « chèques culture » visant les non blancs !En outre, on doit favoriser « la diversité au sein des institutions culturelles, tant au niveau des employés que de la direction, en fixant des critères permettant de recevoir des fonds publics et des conditions d’attribution de ces derniers ». Traduit en bon français : conditionner l’obtention de fonds publics sur la « discrimination positive » en faveur des non-blancs.Les acteurs culturels européens doivent se réorienter en faveur des allogènes et ainsi promouvoir « les langues, les cultures et l’histoire des minorités dans les programmes scolaires, les musées et les autres formes d’expression culturelle et historique » et soutenir « l’art et la culture des groupes racialisés et ethniques ». En bref, il s’agit déseuropéaniser l’enseignement de l’Histoire et la culture dans notre continent en faveur des traditions allogènes, essentiellement africaines et islamiques.
Les Européens, boucs émissaires des échecs du multiculturalisme
Le texte du Parlement contient également de nombreuses affirmations tendant à blâmer les Européens pour les échecs du multiculturalisme et les difficultés auxquelles font face les populations allogènes. En effet, on affirme que « le racisme existe dans tous les domaines de notre vie quotidienne » et que ce racisme « est profondément ancré dans la société et étroitement lié à ses racines culturelles, à son héritage et à ses normes sociales ».Le passé européen serait à l’origine des maux contemporains. Les eurodéputés affirment que « certains aspects de l’histoire européenne, notamment la colonisation, l’esclavage et les génocides, en particulier l’Holocauste, ainsi que d’autres manifestations de racisme, continuent d’avoir une incidence durable sur la société contemporaine ». Ces sujets doivent être « contextualisés [… ] en vue d’une meilleure compréhension des liens entre passé et présent ».
Le législateur européen ne manque pas d’ailleurs d’une certaine schizophrénie concernant la diversité ethnique et ses problèmes connexes. Par exemple, il affirme que « les sociétés européennes accueillent une diversité culturelle de plus en plus importante et que les personnes nées à l’étranger et leurs descendants forment une part croissante de la population », ce qui revient à reconnaître l’existence du Grand Remplacement.En outre, le Parlement affirme que « la collecte de données de bonne qualité est l’un des moyens les plus efficaces d’analyser les problèmes sociaux, de manière quantitative comme qualitative, et qu’elle est essentielle pour concevoir, adapter, suivre et consolider des politiques publiques fondées sur des données probantes en réponse à ces problèmes ». On ne saurait être en désaccord, mais aura-t-on des données sur la criminalité, le recours à l’assistanat et les contributions fiscales ?Les données donnent tort aux chantres du vivre-ensemble et de la créolisation de l’Europe. En effet, les eurodéputés eux-mêmes reconnaissent que l’intelligence artificielle (IA) tend à être « discriminatoire ». Mais est-ce que cela serait dû aux préjugés des codeurs à la Silicon Valley – d’origine asiatique aussi souvent qu’européenne – ou simplement des données objectives qu’analyse l’IA ?Les analyses du Parlement européen sont autant de perles qui convergent vers un objectif clair : la démoralisation des Européens par la délégitimation de leur identité, le dénigrement de leurs réalisations historiques et l’attribution des échecs contemporains du multiculturalisme au passé honteux des Européens.
Hypocrisie et autoritarisme des mondialistes
On ne soulignera jamais assez le caractère hypocrite des institutions mondialistes, se pavant du caractère « libéral » et « ouvert » de leur pouvoir, tout en étant profondément autoritaire.Le texte du Parlement en donne un exemple parfait. Il affirme que « la désinformation cible souvent des minorités et contribue à l’agitation sociale » et que « des médias indépendants et pluralistes qui promeuvent des récits équilibrés œuvrent en faveur de sociétés inclusives ». En outre, on doit instruire les jeunes afin qu’ils prennent « conscience des conséquences négatives de l’intolérance et […] développer leur esprit critique ».On veut imposer aux Européens la censure et un lavage de cerveau afin qu’ils ne puissent reconnaître les désavantages patents de l’immigration africaine et islamique – que ce soit en matière de criminalité, de recours à l’assistanat ou d’identité – et le régime se permet de chanter les louanges de « l’esprit critique » et des « médias pluralistes » !C’est que le régime ne tolère « l’esprit critique » et le « pluralisme » qu’à condition qu’un point de vue unique soit imposé : l’idéologie multiculturaliste, égalitariste et mondialiste. Cette hypocrisie au cœur du progressisme est révoltante.Le Parlement condamne les nationalistes qui chercheraient à « diviser nos sociétés ». Mais c’est chose faite : nos sociétés sont en effet profondément divisées du fait qu’elles ont perdu leur homogénéité ethnoculturelle et ne bénéficient plus d’une identité partagée.Aujourd’hui déjà, à peine la moitié des enfants nés en Belgique le sont de parents belgo-belges. Vraisemblablement un tiers, comme en France, sont d’origine africaine ou musulmane. Les tendances démographiques sont similaires dans toute l’Europe occidentale. Il faut remonter aux invasions barbares qui accompagnèrent la chute de l’Empire romain, voire aux conquêtes indo-européennes, pour constater un tel remplacement des populations indigènes du continent.En démocratie, les citoyens doivent pouvoir connaître les faits concernant les transformations de leur société. Plus encore, nos peuples doivent pouvoir décider du caractère démographique de leur société dans 10, 20 ou 100 ans. Le Parlement dit « européen » ne souhaite pas que les Européens puissent avoir connaissance des changements que subissent leurs nations, encore moins les dénoncer.Et on ne peut que regretter que l’adoption de ce texte par le Parlement ait été massive. Malgré ses clauses liberticides et son langage ahurissant, 495 eurodéputés ont voté en faveur de la résolution, 109 contre et 92 se sont abstenus. Ne possédant pas la liste des votes, on peut se demander si des eurodéputés prétendument conservateurs ont voté pour ce texte.Ce document établissant la position officielle du Parlement européen est un indicateur important de la wokisation des esprits au sein des institutions. Jusqu’à récemment, l’Union européenne s’était largement abstenue de militer sur les questions raciales. Le recrutement au sein de la fonction publique européenne se fait encore par le biais de tests de raisonnement, de fait des tests de quotient intellectuel (QI). Il est vrai que les gérants de ressources humaines ont commencé à s’offusquer de l’absence d’« individus racialisés » parmi les fonctionnaires.Ce n’est pas la première fois que les institutions effectuent de tels dérapages. Le Conseil de l’Europe a dû retirer une campagne qui affirmait, je traduis de l’affreux globish : « La beauté est dans la diversité comme la liberté est dans le hijab. »De même, la Commission européenne s’est vue contrainte de retirer ses « lignes directrices sur le langage inclusif », qui recommandaient de ne pas utiliser les expressions de « période de Noël » et « du fait de l’homme ». Les fonctionnaires européens avisèrent également de ne pas utiliser des prénoms comme « Marie et Jean » en tant qu’exemple, préférant « Malika et Julio ».Si la position du Parlement n’est pas contraignante, elle suggère la direction future des institutions européennes sur ces questions. La Commission européenne a récemment décidé d’enclencher le processus pour priver le gouvernement hongrois de fonds européens, malgré le fait que Viktor Orbán ait été fraîchement réélu avec 54 % des voix. Il ne fait pas de doute qu’il s’agit aussi d’une punition du gouvernement hongrois pour son orientation illibérale et patriote.L’UE a également décidé récemment d’interdire les médias russes dans le cadre de la guerre russo-ukrainienne. Le journaliste de LibérationJean Quatremer ne put cacher son émoi, déclarant : « La censure de RT et de Sputnik crée un dangereux précédent. » Il est probable que le tournant autoritaire et woke des institutions européennes entraînera des répercussions pour les nationalistes français et européens. Agissons en conséquence !
Guillaume Durocher (Institut Iliade, 20 avril 2022)
Il faut se méfier des réponses simples à des problèmes complexes. Ce serait un truisme affligeant que de dire cela si notre époque n’avait pas en détestation la tempérance, la nuance, la gradation, et même la simple analyse. Notre temps n’aime rien davantage que le manichéisme, l’hystérie et les vociférations. Chacun est sommé de choisir son héros et de combattre à mort (sur les réseaux sociaux ou les plateaux télé, n’exagérons rien…) pour celui-ci, abandonnant au passage toute bribe d’honnêteté et tout semblant de mesure. Un monde d’idolâtres, de « groupies », de « supporters » sans cervelle, aussi pavloviens qu’agressifs.
Ainsi, il semble qu’il soit impossible d’être favorable à l’autonomie et l’indépendance ukrainienne sans devenir immédiatement un abject « anti-russe » et, plus grave encore, un horrible « anti-Poutine ». Pourtant, n’étant ni Russe ni Ukrainien, mais Français, c’est une position qui n’a rien d’absurde ni d’intenable, à part, bien sûr, pour les fanatiques (à distance) des deux camps qui semblent s’être trouvés de tristes patriotismes de substitution.
Dans le monde chaotique et hyper-interconnecté dans lequel nous vivons, où des intérêts immenses et contradictoires s’entrecroisent et des lobbys multiples se concurrencent, il faut être bien présomptueux pour prétendre connaître l’issue et les conséquences concrètes des événements et des crises qui secouent le monde. Souvenons-nous, par exemple, du drame Yougoslave. Faut-il cracher rétrospectivement sur ceux qui avaient choisi le camp Croate ?
Face aux nouvelles pythies de facebook et d’instagram, aux Nostradamus de la géopolitique et autres grands spécialistes du billard diplomatique à douze bandes, le militant sincère n’a qu’un choix qui paraît à peu près digne: tenter d’être fidèle à des principes immuables et transcendants et servir les seuls intérêts de son pays.
Ainsi, au nom de l’anti-impérialisme et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, il convient de défendre le combat des ukrainiens pour vivre dans leur patrie, selon leurs règles, traditions et lois, sans avoir à être les domestiques obligés de leur puissant voisin. Et ce quelques soient les contingences et les circonstances. Est-ce nous qui vivons dans un pays membre fondateur de l’Otan qui allons insulter (ou simplement dénigrer le combat) des nationalistes ukrainiens parce que le leur va peut-être un jour rejoindre cette organisation ? Avons-nous des leçons à leur donner sur la divergence entre le combat mené et les gouvernements qui nous représentent ? Un peu de décence et d’humilité, en ce domaine comme en bien d’autres, ne serait pas superflu…
Ensuite, au nom des intérêts de la France, il est impérieux de refuser le suivisme Otanesque et la subordination aux Etats-Unis, et il est urgent de rompre avec la criminelle niaiserie de la prétendue « défense des droits de l’homme » qui n’est que le cache-sexe de la stratégie d’hégémonie américaine.
Mais, entre deux Empires, nous n’avons pas à choisir notre vassalité.
C’est avec cette fameuse « troisième voie », qui fait sans doute ricaner les cyniques rebaptisés « réalistes » et « pragmatiques » après un voyage semi-officiel et trois coupes de champagne, qu’il faut renouer, sous peine de disparaître. Car l’époque ne manque pas de gens prêts à se soumettre et à servir le puissant du jour, mais les volontés et les intelligences pour forger notre propre puissance se sont, quant à elles, tragiquement raréfiées.
Xavier Eman (A moy que chault ! , 23 février 2022)
Quels que soient les sentiments ou les affinités que l’on peut éprouver envers l’Ukraine ou la Russie, et quelles que soient les responsabilités que l’on peut imputer à l’une ou à l’autre dans la crise qui les voit s’affronter, leur différend est lourd de conséquences pour elles-mêmes et pour l’Europe. Le risque principal est l’enlisement dans un schéma géopolitique de type « néo-Guerre froide » dans lequel les Américains et certains dirigeants européens timorés cherchent à l’entraîner. L’esprit de croisade des Démocrates américains est toujours de mise, comme on le constate avec Biden. Mais surtout, en raison de la nouvelle polarisation mondiale sur le Pacifique, les Etats-Unis maintenant obsédés par la Chine entendent conserver le contrôle de l’Europe et empêcher, à tout prix, son éventuel rapprochement avec la Russie. Leur opposition virulente au gazoduc germano-russe de la Baltique en est la parfaite illustration.
Russie et Europe, dos à dos, face au reste du monde
Le bouleversement des rapports de forces mondiaux, et par conséquent des positionnements des États les uns par rapport aux autres, est total. Il concerne la Russie et l’Europe de la même manière. En effet, c’est toute l’organisation de l’espace planétaire qui a été transformée par le déplacement du centre du monde depuis l’Atlantique Nord vers le Pacifique Nord. Une translation qui est à mettre en rapport, bien entendu, avec la compétition pour l’hégémonie qui a débuté entre les États-Unis et la Chine. Et au milieu de laquelle les États européens ne sont plus que des enjeux, parce qu’aucun d’entre eux, pas même la Russie, ne peut prétendre à la puissance globale. Par ailleurs, les changements profonds, qu’ils soient démographiques ou culturels, qui affectent la géographie humaine mondiale, lancent à tous les Européens, de l’Est comme de l’Ouest, des défis communs immenses pour les décennies qui viennent.
De sorte que la nouvelle configuration mondiale fait des deux voisins que sont l’Europe et la Russie, deux « alliés naturels » face au reste du monde. Il se trouve que la topologie géopolitique (c’est-à-dire la position des États dans le système spatial mondial) s’associe maintenant- c’est la nouveauté- à la topographie géopolitique (c’est-à-dire la continuité territoriale, et l’absence d’obstacles naturels) pour suggérer à tous les Européens un réalisme politique qui dépasse les idéologies et les ethnocentrismes.
Le jeu mondial est, désormais, entre les mains des USA et de la Chine. Les États européens, Russie comprise, malgré tout le mérite de son président, ne sont plus que des puissances petites ou moyennes, au mieux des puissances régionales. La comparaison est écrasante comme le montrent ces quelques chiffres (SIPRI) de 2019 : 19 390 milliards de dollars de PIB pour les USA, 12 014 pour la Chine et 1527 milliards pour la Russie ; 600 milliards de dollars pour le budget militaire américain, 216 milliards pour le chinois et 69 milliards pour le russe. Ce même budget est de 57 milliards de dollars pour la France et de 41 milliards pour l’Allemagne. Si l’économie germanique est brillante, celle de la France l’est moins et celle de la Russie encore moins
Au fond, pour faire image, l’Europe et la Russie sont face au reste du monde comme deux duellistes de l’ancien temps qui se retrouvent entourés de spadassins, lesquels en veulent à chacun d’eux. Il ne leur reste plus qu’à s’entendre, et dos à dos, à se défendre mutuellement, sachant que tout mauvais coup porté par l’un des deux à l’autre se retournerait contre lui-même. C’est déjà ce qui arrive à cause de l’Ukraine.
Comment sortir de l’impasse ?
L’impasse actuelle incombe aux deux parties en présence. D’un côté, il y a l’incurie diplomatique et stratégique de l’Union européenne et de tous les dirigeants des États européens, tous incapables de mener une véritable réflexion géopolitique. Au lieu de faire de l’Ukraine un « pont » entre l’Europe et la Russie, ils en ont fait une pomme de discorde aux dépens des Ukrainiens eux-mêmes. Car il ne fallait pas présenter l’association de l’Ukraine à l’UE comme une victoire sur la Russie, et emboiter le pas des États-Unis en laissant entendre que cette association était l’antichambre à une adhésion à l’Otan! Une organisation qui devrait avoir été dissoute depuis belle lurette, à la suite de celle du Pacte de Varsovie. Du côté de la Russie, le complexe ancien de l’encerclement perdure et les maladresses occidentales ne font qu’aviver un nationalisme épidermique, tandis que l’on a du mal à cerner les préjugés et les arrière-pensées de Moscou dans tout ce qui a trait à l’Europe. Cette crise est assez désespérante parce qu’elle est avant tout d’origine idéologique et qu’elle défie la rationalité géopolitique. Elle renvoie aux querelles nationalistes du siècle dernier sur des enjeux passablement dérisoires dans le nouveau contexte mondial.
Comment en sortir, alors même que l’on est, peut-être, à la veille d’un nouvel affrontement ? Avec les provocations et les surenchères des uns et des autres et les interférences internationales cela semble possible. Pour éviter sinon le pire, mais pour empêcher tout au moins une nouvelle déchirure du continent européen, il serait judicieux que les protagonistes les plus concernés recherchent le compromis sur la solution la plus équitable et la plus efficace possible.
D’une part, il serait temps que l’Ukraine admette, et les Européens avec elle, le retour de la Crimée à la Russie, à laquelle elle a toujours appartenu depuis qu’elle l’a reconquise sur les Turcs. En dépit du caprice, au milieu du siècle dernier, du potentat soviétique, ukrainien d’origine, Nikita Khrouchtchev. Dans cette même perspective l’Union européenne se devrait de tempérer le président ukrainien et de conditionner l’adhésion de l’Ukraine à son espace, tout en rejetant son entrée dans l’Otan, à un accord avec la Russie, avec laquelle, dans le même temps les termes du partenariat existant, mais presque lettre morte, seraient revus. D’autre part, et en contrepartie, les Européens sont en droit d’attendre de la Russie plus de clarté sur la façon dont elle appréhende ses rapports avec eux-mêmes, et plus de rigueur dans les engagements commerciaux. Elle a d’ailleurs tout à y gagner sachant que ses ressources financières sont limitées et que sa dépendance de la Chine dans ce domaine se paiera, tôt ou tard, au prix fort. La garantie assurée d’un approvisionnement énergétique continue des Européens est en la matière une clause attendue.
Cependant, toute grande perspective géopolitique et tout espace de négociations ont, en toutes circonstances, leur pierre d’achoppement ; en l’occurrence le Donbass. Car c’est sur cette région frontalière et binationale que se cristallisent les inimitiés. Etant donné que l’Ukraine a refusé la solution fédérale ou celle d’un statut spécifique et qu’une rectification des frontières est considérée comme impraticable ou comme dangereuse à envisager, les protagonistes vont avoir du mal à trouver une issue à leur différend. On ne peut que le regretter car c’est la constitution d’un grand espace européen, dont il est légitime d’attendre des solutions aux immenses problèmes qui n’ont pas fini de se poser, qui est mise entre parenthèses ou même écartée.
Si heureusement rien d’irréparable n’arrive, il reste à espérer dans les temps qui viennent un changement positif dans les perceptions mutuelles, lui-même dicté par le renversement du monde. À l’européanité renouvelée de la Russie, imposée par la montée en puissance de la Chine et de tout l’Orient, répondrait alors l’abandon de la représentation occidentalo-centrée du monde des Européens de l’Ouest.
Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Philippe Henon et Michel Makinsky cueilli sur Geopragma et consacré à la stratégie européenne concernant la création d'une crypto-monnaie...
L’e-Euro : outil de souveraineté européenne
Faut-il le rappeler, la monnaie est un instrument souverain émis par une autorité monétaire disposant, dans le meilleur des cas, d’une indépendance lui permettant de gérer la valeur de cette monnaie loin des contingences du politique. Cette souveraineté monétaire ne se limite pas au seul droit d’émettre, mais s’étend au droit de réglementer c’est-à-dire, entre autres, d’en contrôler la masse en circulation, sa valeur et d’avoir un droit de regard sur certains champs de son utilisation s’agissant notamment des flux externes pour lesquels des contreparties étrangères se voient dès lors opposer des lois monétaires nationales.
Toutes les monnaies ne se valent pas si l’on peut dire. En effet, en dépit d’un déficit public américain qui atteint les 12% du PIB et d’une dette publique abyssale qui frôle les 29 trillions de dollars[1] (environ 125% du PIB), le dollar bénéficie de la puissance économique mais aussi militaire des États-Unis. La devise américaine est une valeur refuge. En période d’incertitude, les investisseurs se désengagent des régions à risques pour placer leur argent sur les marchés financiers américains réputés sans risques. En captant une part non négligeable de l’épargne mondiale, les États-Unis peuvent ainsi financer leurs déficits budgétaire et commercial. Pour le moment en tout cas.
Grâce à cette profondeur de liquidités, le dollar devient également un enjeu d’influence politique fort : étalon mondial, monnaie d’échange sur les marchés internationaux, destination d’investissement des réserves de banques centrales… Il constitue une arme diplomatique de première envergure s’agissant notamment des politiques d’embargos et après tout, rappelons qu’il s’agit d’un instrument souverain.
Cependant, depuis les années 2000, les monnaies occidentales reculent dans les réserves de change des banques centrales hormis l’Euro qui fluctue de manière constante autour des 20% de parts de marché après avoir atteint un pic historique en 2009 à 28% avant la crise des dettes souveraines de 2011. Le FMI indique que ce repli est encore plus marqué pour le dollar qui atteint son niveau le plus faible depuis 25 ans, « tombant » à un niveau néanmoins toujours plus que respectable de 59%[2] contre 71% en 1999… L’Euro ne semble malheureusement pas profiter du recul du dollar, en raison sans doute de la politique monétaire mise en œuvre et des incertitudes tant économiques que politiques.
Les investisseurs pourraient-ils se détourner du dollar ? La People’s Bank of China[3] pourrait-elle amplifier la vente des titres américains qu’elle détient ? Ce n’est pas certain : la prudence inspire Pékin qui ne souhaite pas nécessairement susciter une baisse significative de la valeur du dollar qui pourrait à certains égards lui être préjudiciable. Il reste néanmoins que la Chine dispose ici d’un levier parmi d’autres. La transition énergétique signe-t-elle la fin du pétrole, marché historiquement en dollars ? Sans céder à la tentation vaine des scénarios apocalyptiques inopérants, une diminution progressive (et relative selon les zones géographiques) du rôle du pétrole dans le ‘mix’ énergétique peut affecter cette devise au fur et à mesure de la régression programmée des énergies fossiles. L’évolution de la dette publique américaine et les évolutions géopolitiques obligent les banquiers centraux à peser tous les scenarii.
Sans lien de causalité, dans le contexte de cette érosion possible des monnaies de référence, d’autres systèmes ont émergé ; initialement sur des bases libertaires, ils ont désormais la capacité de devenir systémiques et de concurrencer les monnaies de banques centrales. La valorisation mondiale des crypto-actifs fait l’objet de diverses estimations fluctuantes autour des 2,5 trillions de dollars. Face à ce succès grandissant, les banques centrales ont été obligées de se positionner pour protéger leur monopole de création monétaire. Elles ont ainsi été forcées à envisager, pour rester concurrentielles, d’une part de se doter elles-mêmes de monnaies digitales dont la valeur serait adossée à la monnaie de référence, d’autre part d’envisager une réglementation adaptée pour maîtriser ce nouvel écosystème sans pour autant étouffer l’innovation.
En effet, si les citoyens et leurs entreprises réalisaient à l’avenir l’essentiel de leurs transactions sur des systèmes privés en se passant de la monnaie officielle, comme l’Euro ou le dollar, le risque de déstabilisation serait considérable pour le système financier. Le cas Libra de Facebook en est d’ailleurs l’illustration. Compte-tenu de la taille du réseau de Facebook (près de 3 milliards d’utilisateurs), ce cryptoactif assis sur un panier de devises (stablecoin) dont Facebook souhaitait faire une monnaie d’échange entre ses utilisateurs constituait un risque pour les monnaies internationales. La FED a rapidement repris en main le sujet… La BCE a marqué son opposition à la circulation d’un Diem en Euros (le remplaçant édulcoré de Libra). La FED et la BCE ont raison.
La Chine, et c’est une première au monde, vient d’interdire l’utilisation des crypto-monnaies sur son propre territoire et expérimente sa propre monnaie digitale de banque centrale. Son projet s’inscrit dans une double volonté de contrôle des géants de l’Internet en interne et de promotion du Yuan sur la scène internationale.
Autre exemple, en Iran, alors que des milliers de ‘fermes’ illicites sont utilisées par de nombreux opérateurs (autant pour des transactions commerciales extérieures que comme outil de spéculation, mais aussi pour des activités de marché noir au profit de structures hors contrôle), le think tank de la présidence de la République a élaboré sous le mandat du précédent chef de l’Etat (H.Rohani) une feuille de route pour une monnaie digitale. La Banque Centrale d’Iran (BCI), à l’image de sa consoeur chinoise, se prépare à réguler l’ensemble de ce domaine (bitcoin et monnaie virtuelle assise sur la devise nationale). L’approche iranienne s’inspire de celle de Pékin. Notons que la technologie utilisée en Iran provient sans doute de Chine (la ‘ferme’ sinistrée il y a quelques temps en Iran était opérée par des chinois…). La BCI a déjà accordé plusieurs licences à des opérateurs dont un important acteur turc ; elle entend réserver cet usage à des exportations licites. Le Parlement se prépare également à légiférer. Parallèlement, les autorités procèdent à des fermetures massives d’installations illicites, mais semblent impuissantes à les éliminer pour reprendre le contrôle de cette situation car celles-ci disposent de puissants appuis haut placés dans le régime. La constitution d’un e-toman ou e-rial répond à un objectif prioritaire pour la République Islamique : contourner les sanctions américaines, et éviter le dollar, afin de permettre aux exportations iraniennes de pouvoir être payées plutôt que de recourir aux seuls mécanismes de barter en marchandises[4]. L’Iran a cruellement besoin d’argent et le recours à une monnaie digitale serait une arme efficace pour contribuer à desserrer l’étau américain. Pareillement, l’émergence d’un e-Yuan est pour la Chine un outil pour parer les sanctions et pressions américaines et échapper au carcan du dollar[5].
Soyons prudents : ne cédons pas aux sirènes alarmistes. Pékin ne vise pas la marginalisation du dollar dans les transactions internationales, pas plus que Téhéran (en dépit de discours martiaux). Mais cet outil est un moyen de protection. Ajoutons que Moscou, plus discrètement, travaille aussi sur ces orientations.
Dans le contexte du renforcement croissant des liens entre ces 3 acteurs, le recours à des devises digitales assises sur des monnaies nationales est une tendance non seulement macro économique mais également géopolitique si ces partenaires en arrivent à coordonner leurs actions.
Les défis et obstacles à franchir sont encore nombreux. Par nature, en quelque sorte, la monnaie digitale est vue (non sans raison) avec suspicion par toutes les autorités et organes de régulation traquant l’argent sale, le financement du terrorisme, les activités illicites. Les monnaies digitales vont a priori directement à l’encontre de l’orientation générale d’une transparence et d’une traçabilité accrues suscitée par les révélations de dissimulations ou d’optimisations fiscales abusives (cf les Pandora Papers). Le Gafi vient d’actualiser ses lignes directrices[6] sur les fournisseurs d’actifs virtuels. De son côté, le Trésor américain a perçu l’émergence des monnaies virtuelles et a publié en octobre 2021 de nouvelles « Lignes Directrices de conformité aux sanctions pour l’Industrie des monnaies virtuelles ». L’administration américaine s’emploie ainsi à affiner son arsenal réglementaire, et le cas échéant, de sanctions.
De plus, la concurrence avec les crypto-actifs reste un combat intense à mener pour les banques centrales comme en témoigne François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France en janvier 2020 : « La monnaie, ça ne peut pas être privé. La monnaie c’est un bien public de souveraineté. C’est une réflexion que nous commençons, parce qu’elle pose énormément de questions. » Puis en juillet 2021, « sur l’Euro numérique nous devons être prêts à agir aussi rapidement que nécessaire sans quoi nous risquerions une érosion de notre souveraineté monétaire, ce que nous ne pouvons tolérer. »
La France et l’Europe auraient grand tort néanmoins de ne pas tirer parti de ce nouveau champ des possibles encore insoupçonné. La Présidence Européenne française en 2022 est l’occasion de développer ce leadership. Une monnaie a besoin d’être gérée pour assurer sa valeur, ce que les crypto-actifs n’assurent pas. Des opérateurs régulés telles que les banques ou établissements de paiement sont essentiels pour intermédier la distribution de cette monnaie numérique auprès des citoyens avec un taux de confiance sur la solvabilité de ces intermédiaires et sur la sécurité des transactions.
En Europe, les pays adoptent une position judicieuse mais sans doute conservatrice. Ils ont signé en janvier 2019 l’accord « Joint statement on stablecoins[7] » déclarant en substance qu’aucun stablecoin ne devrait porter atteinte à la stabilité financière, à la sécurité et à l’efficacité des systèmes de paiement, à la concurrence loyale ainsi qu’à la souveraineté monétaire existant dans l’Union européenne. La Banque de France expérimente néanmoins depuis l’an dernier l’utilisation d’un Euro numérique pour les échanges interbancaires. En parallèle, elle participe aux réflexions de la BCE sur un usage plus large de la monnaie. L’émission d’un E-Euro numérique permettrait de combiner les qualités de la monnaie centrale en termes de confiance et de liquidité avec les facilités d’usage d’une monnaie digitale.
Au-delà de l’optimisation exceptionnelle apportée par une monnaie digitale (quelques secondes de délai pour une monnaie digitale contre 3 à 5 jours pour un virement hors Union Européenne actuellement, un coût de quelques centimes contre parfois plusieurs dizaines d’Euros…), les infrastructures de paiement actuelles sont composées de multiples strates qui se sont accumulées au cours du temps et constituent autant de portes pour accéder aux informations et identifier les transactions. Il faut ici rappeler que SwiftSociety for Worldwide Interbank Financial Telecommunication, dont le siège social est en Belgique à La Hulpe près de Bruxelles, fonctionne sous la forme d’une coopérative et que la part d’actionnariat dépend de la proportion d’utilisation des messages swifts… autant dire qu’avec 40,4% des paiements internationaux réalisés en dollars, certaines influences y sont plus marquées que d’autres, comme en témoigne d’ailleurs l’Accord Swift[8] signé en 2010. Il s’avère que les Etats-Unis ont abusé, si ce n’est détourné les dispositions de l’Accord supposé contribuer à la lutte contre le terrorisme international, en se servant de l’accès aux informations sur des transactions licites opérées par des entreprises étrangères avec l’Iran pour exercer des moyens de pression, et le cas échéant recueillir des éléments permettant de prononcer des sanctions extraterritoriales à leur encontre. De ce point de vue, il serait indispensable que l’Union Européenne exige d’insérer dans cet accord une disposition interdisant aux administrations et juridictions américaines d’utiliser Swift pour contraindre, voire poursuivre et sanctionner des entreprises ou banques européennes.
De plus, sur un plan très technique, un e-Euro est concrètement un objet fait de lignes de code informatique auquel il est désormais possible d’ajouter des propriétés additionnelles opérables dans le monde des paiements… identité du détenteur, conversion possible ou non dans une devise – dans certaines transactions il y a en effet un risque de conversion intermédiaire utilisant notamment le dollar et donc d’enclenchement du fameux US Nexus (88% des transactions de change impliquent le dollar, il y a donc plus de liquidités sur ces paires de devises).
20% de part de marché pour l’Euro sur les paiements internationaux est bien médiocre eu égard au marché et à l’importance stratégique qui devrait revenir à la zone Euro. La France doit prendre le leadership sur la monnaie numérique et augmenter la part de marché de l’Euro dans les transactions internationales. Est-il encore acceptable que des places de marché internationales (métaux, matières premières, pétrole) n’utilisent que le dollar pour les cotations et les transactions ? Est-ce normal que des biens fabriqués en Europe tels des Airbus soient encore vendus uniquement en dollars ?
Détrôner le roi dollar ne serait ni simple ni souhaitable. Il s’agit d’instaurer un nouvel équilibre, incluant le respect des partenaires et de leur souveraineté et de mettre aussi un terme à un mode de concurrence déloyale. La transition monétaire nécessite un temps long et être le premier en la matière donne des privilèges incommensurables. Il ne s’agit plus dès lors d’incantations mais de rapports de force géopolitiques à mettre en œuvre pour faire progresser l’Euro.
Il se trouve que les circonstances présentes confortent l’urgence d’un renforcement de celui-ci. La Commission européenne, après avoir conclu le 31 août 2021 son bilan de l’application du règlement de blocage 2271/96 destiné à protéger les opérateurs européens contre les sanctions et menaces de sanctions extraterritoriales américaines (sur des transactions jugées licites en Europe), a lancé une consultation, notamment auprès des organisations nationales représentant les entreprises, sur les amendements et modifications utiles pour accroître l’efficacité de ce règlement. Or, cette dernière est en quelque sorte minée ab initio par une disposition (article 5 alinéa 2) qui permet aux entreprises européennes dont les intérêts seraient menacés par des législations extraterritoriales, de solliciter de la Commission européenne une dispense de se soumettre au règlement qui leur impose de ne pas se conformer aux dites législations extraterritoriales. Il suffit donc de demander à être exclu du règlement de blocage pour en être exonéré… (et donc se soumettre de son plein gré à l’extraterritorialité américane)!
Toujours à titre d’illustration et, en raison des contraintes pesant sur elles, très peu d’entreprises ont avoué à la Commission avoir renoncé à commercer avec l’Iran à cause des menaces ou risques de sanctions américaines et déposé une requête de dispense de conformité. Si les autorités européennes avaient interrogé les nombreuses sociétés qui ont interrompu leurs opérations avec l’Iran, celles-ci auraient répondu avoir simplement changé leur politique commerciale devant un marché moins… attractif. Il nous semble peu probable que modifier le règlement puisse résoudre cette impasse et protéger les Européens des futurs rapports de force à venir et ce, quels qu’en soient les pays d’origine. De toute façon il conviendrait de demander la suppression de l’article 5 alinéa 2 du règlement. Ce dernier conserve une valeur de simple message politique sans grande portée pratique. Une exception naîtra-t-elle de la première action contentieuse introduite en Allemagne où il a été invoqué ?[9].
Nous notons au passage que le risque de menaces (comme de parades) attachées aux sanctions extraterritoriales (ou non) est bien loin de se limiter aux Etats-Unis. La Chine, en particulier, a prononcé le 22 mars 2021 des sanctions (qui ne sont pas extraterritoriales) retirant à un certain nombre de personnalités et d’organisations l’accès au territoire chinois, mais aussi (ce qui est moins connu) interdisant aux entreprises qui leur sont liées de mener des transactions avec la Chine. Il est intéressant de noter aussi que d’une part, le 9 janvier 2021, le ministère chinois du commerce (Mofcom) a publié un décret (Executive Order) bloquant les législations extraterritoriales étrangères. Puis, le 10 juin 2021, Pékin a adopté une législation anti-sanctions, qui prévoit de sanctionner toute entité qui d’une façon ou d’une autre participera à des mesures hostiles à la sécurité de la Chine. La panoplie des représailles (non précisées) est sans doute vaste[10]. On comprend tout de suite que ce dispositif ne peut être assimilé au règlement communautaire européen, tout simplement parce que la puissance et la détermination politique de la Chine ne sont pas vraiment comparables à celles de l’Union Européenne qui serait bien en peine d’infliger des ‘punitions’ du même ordre.
Si la territorialité des sanctions possibles est manifeste, en revanche, comme le soulignent certains experts, le flou règne quant à ce qui pourrait affecter citoyens et entreprises hors du champ des juridictions chinoises
Enfin, en matière d’imperium juridique, l’implication spectaculaire de la Chine dans l’élaboration des normes internationales reflète une volonté d’y imprimer sa marque en profitant de rapports de forces qui lui sont favorables. Ainsi, à l’occasion de la mise en place accélérée des projets liés aux Routes de la Soie, Pékin organise et impose un système de normes[11] et règles qui risque de bouleverser l’ordre international. Une forme nouvelle et subtile d’extraterritorialité[12] à la chinoise qui ne dit pas son nom n’est pas loin.
D’autres pistes de défense des intérêts européens (représailles commerciales, sanctions contre les intérêts des Etats, formes diverses de protection(nisme ?) seront certainement évoquées ici ou là. Nous doutons de leur efficacité réelle tant qu’elles ne seront pas assorties de l’insertion au sein de tout accord commercial avec les pays concernés (les négociations transatlantiques pourraient ne pas être un cas unique) d’un ‘chapitre bloquant’ reprenant les conditions indispensables à la liberté et la sécurité des transactions européennes avec des tiers, sous peine d’un refus de l’Union Européenne de signer un tel accord. Il nous semble que l’Euro digital pourrait apporter une contribution plus pragmatique et plus constructive (pour l’ensemble des parties).
In fine, l’Euro aura été pensé comme un moyen de cohésion et de commerce. Il serait grand temps d’ambitionner d’en faire un instrument de puissance et de souveraineté. Le dollar apparaît de plus en plus contesté sur le fond par des monnaies émergentes et l’Euro reste second de loin. Nous avons ainsi une longueur d’avance sur les autres monnaies et notamment sur le Yuan chinois dont la convertibilité est par ailleurs encore très limitée. En tous les cas, il n’est pas encore près de devenir une monnaie de réserve… Mais l’outil digital chinois, que nous évoquions plus haut, pourrait changer la donne… Pékin ne veut assurément pas la marginalisation du dollar, contraire à ses propres intérêts, mais veut mettre un terme à l’utilisation de cette devise par Washington à des fins autres que celles d’un outil commun de transactions. La Chine n’accepte plus (elle semble faire des émules) que le dollar serve d’outil coercitif d’alignement politique et de moyen d’éliminer ou de neutraliser des concurrents sur de nombreux marchés.
Il faut saisir rapidement l’opportunité qu’elle soit technique ou géopolitique. Sous réserve d’une profondeur de liquidité suffisante et d’une innovation dont nous avons parfois encore le secret, un E-Euro activement soutenu par la France pourra se placer comme réponse à l’ascension des cryptomonnaies, promouvoir un leadership européen et assurer une meilleure immunité face aux outils de la coercition économique qui deviendraient juridiquement et opérationnellement inopérants.
Notre dernière doléance : pour un Euro renforcé, il faut désormais également que certains Etats se décident à une trajectoire budgétaire acceptable sans quoi l’Euro finira par ressembler à une pyramide de Ponzi dans laquelle les problèmes des uns sont reportés sur l’Union sans jamais être réglés. Le délai d’écroulement de cette pyramide avant l’heure de vérité est-il vraiment trop éloigné pour être d’importance à nos politiques?
Philippe Henonet Michel Makinsky (Geopragma, 8 novembre 2021)
Notes :
[1] Données US Treasury « Total Public Debt outstanding »au 28/10/2021
[2] Enquête du FMI sur la composition en monnaies des réserves de change officielles (COFER) du 5 mai 2021
[3] Banque Centrale Chinoise
[4] Voir Michel Makinsky, « L’Iran : enjeu nucléaire, élections présidentielles et relations extérieures », Institut d’Études de Géopolitique Appliquée, Juin 2021.
[5] Selon une analyse de la Deutsche Bank, le Yuan digital a pour vocation d’accélérer les transactions intérieures et à l’extérieur, de renforcer le Yuan face aux autres devises : Deutsche Bank, Digital Yuan : what is it and how does it work ?, 14 juillet 2021. Sur la dimension géopolitique de cet outil, notamment à l’égard des sanctions américaines, voir : Evan Freidin, China’s digital currency takes shape, The Interpreter, Lowy Institute, 8 septembre 2021.Voir aussi : Le Digital Yuan: remise en question chinoise de l’ordre monétaire mondial ? Ecole de Guerre Economique, 4 juin 2021 et : China’s Digital Yuan: An Alternative to the Dollar-Dominated Financial System – Carnegie India – Carnegie Endowment for International Peace, 31 août 2021.
[8] L’accord Swift est un traité international entré en vigueur le 1er août 2010 entre l’Union européenne et les États-Unis. Il donne aux autorités américaines l’accès aux données bancaires européennes stockées sur le réseau de la Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication (SWIFT), dans le but de lutter contre le terrorisme, sous certaines conditions de protection de la vie privée des citoyens.
[9] Une question préjudicielle a été posée à la Cour Européenne de Justice (CJUE) par une Cour d’appel allemande dans l’affaire Bank Melli Iran c/ Telekom Deutschland Gmbh qui avait suspendu ses services à cette banque au motif qu’elle était sur la liste des entités sanctionnées par les Etats-Unis.La juridiction allemande a demandé à la CJUE si le Règlement de Blocage pouvait faire obstacle à cette suspension. Le 12 mai 2021 l’avocat général a rendu son opinion indiquant que le Reglement (art. 5§1) pouvait être invoqué pour s’opposer à l’interruption des services. Au passage il critique l’obligation de solliciter une dispense pour s’exonérer du respect du Règlement. La décision de la CJUE est attendue avec intérêt. Environ 80% des décisions suivent les conclusions de l’avocat général. Voir : https://lupicinio.com/en/the-advocate-general-delivers-his-opinion-on-the-interpretation-of-the-european-unions-blocking-statute-bank-melli-iran-v-telekom-deutschland/.
[10] Voir : Alan Hervé « Œil pour œil, dent pour dent » ou quand la Chine adopte une législation en réponse aux sanctions internationales, Le Club des Juristes, 30 juin 2021.
[11] La France peut-elle contribuer au réveil européen dans un XXIème siècle chinois ? Rapport d’information N°846 de Mme Gisèle Jourda, MM. Pascal Allizard, Edouard Courtial, André Gattolin et Jean-Noël Guerini, Sénat, 22 septembre 2021.
Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de David Engels consacré aux menaces de l'Union européenne à l'encontre de la Pologne visant à faire tomber le régime actuel.
Bien que la Cour constitutionnelle polonaise se soit contentée de mettre en question que la CJCE soit vraiment autorisée à remodeler la constitution polonaise même dans les domaines où l'UE n'a pas de compétence sur base des traités européens - doute déjà exprimé par maintes autres cours constitutionnelles européennes ces dernières années, y compris l'Allemagne -, cette décision est stylisée dans les médias occidentaux comme un « rejet des valeurs européennes », voire comme une dénonciation unilatérale de l'adhésion à l'UE. Dans « Der Spiegel », par exemple, Markus Becker a déclaré : « L'UE doit donc riposter avec tout ce qu'elle a, car c'est son existence même qui est en jeu. Cela signifie que la Pologne doit immédiatement couper chaque centime de fonds européens qui peut être coupé », tandis que dans les « Tagesthemen », Markus Preiß a déclaré de manière menaçante : « Depuis trop longtemps, la Commission européenne, mais aussi l'Allemagne en tant que pays le plus puissant, sont restées sans rien faire ». Ainsi, la Pologne menace « l'existence de l'UE » et l'Allemagne, en tant que « pays le plus puissant » du continent, doit enfin mettre de côté sa longanimité légendaire et contribuer à « riposter » avec tous les moyens à sa disposition et à étrangler financièrement son voisin de l'Est. Cela ne ressemble-t-il pas à une hystérie tout à fait inadaptée à la réalité, voire à une gratte dans le disque de l'histoire récente ?
En apparence, la lutte actuelle porte sur l’accusation selon laquelle la Pologne, par sa réforme juridique, violerait les traités européens et créerait une Europe « à la carte » en ne tenant pas compte des « règles du jeu » générales en continuant pourtant à « collecter l'argent des impôts de l'Europe occidentale ». Tout cela est faux à plusieurs niveaux.
Tout d'abord, c’est l’UE qui, ces dernières années, par une instrumentalisation inouïe de ces prétendues « valeurs européennes », a déformé les règles du jeu au point de les rendre méconnaissables : la Commission, le Parlement et surtout la CJUE en sont venus à définir des termes tels que « liberté », « égalité », « protection des minorités » ou « État de droit » de manière si large et si idéologiquement à gauche qu'ils en tirent une justification pour presque toute intervention législative dans le droit national – et ce sans aucune possibilité de recours, puisque la CJUE, profondément politisée, sous le prétexte d'une prétendue « séparation des pouvoirs », élude toute objection des autres instances. Cela n'a peut-être pas changé la lettre des traités, mais l'esprit en a été littéralement inversé : légalité ne signifie pas légitimité, comme l'ont tragiquement démontré les régimes autoritaires du XXe siècle.
Deuxièmement, la soi-disant réforme juridique, comme cela a déjà été suffisamment débattu dans la littérature, n'était pas seulement une réaction du gouvernement actuel à la nomination illégitime et prématurée de plusieurs juges constitutionnels par le gouvernement sortant de Donald Tusk, mais découlait également de la nécessité de gérer l'héritage personnel de l'ère communiste, dont le système de patronage dans le système judiciaire polonais n'avait jamais été soumis à une véritable lustration et s'était entièrement rangé du côté des partis de gauche-libéraux. La démocratisation du système juridique polonais n'a rien fait d'autre que créer des conditions constitutionnelles qui correspondent à celles de la plupart des autres pays européens et ne menacent pas plus l'« indépendance » du pouvoir judiciaire que ce n'est le cas dans l'Allemagne actuelle, mais bien évidemment, tout cela n'a jamais été repris par les médias d'Europe occidentale : Car le vrai problème n'était pas la réforme elle-même, mais sa conséquence, à savoir le renforcement de l'élément conservateur dans le système judiciaire polonais et donc son soutien à la politique intérieure du gouvernement polonais tant détesté par l’Occident.
Troisièmement, l'argument d’une prétendue obligation d'obéissance de la Pologne en contrepartie des aides financières reçues par l’UE est incorrect à la fois sur le plan moral et factuel. Moralement, car aucun Espagnol ou Écossais ne supposerait jamais que l'Andalousie ou les Highlands du nord-ouest auraient moins de poids national que les autres régions simplement parce qu'elles génèrent moins d'argent qu'elles n'en reçoivent en raison de leur faiblesse structurelle actuelle. Pourquoi en serait-il autrement pour la Pologne au sein de l'UE ? Objectivement, parce qu'il a été prouvé (comme, par exemple, mutatis mutandis dans le cas de l'Allemagne de l'Est) que ces fonds ne sont guère des dons désintéressés, mais représentent plutôt la contrepartie de l'ouverture de la Pologne au marché intérieur européen, où les produits d'Europe occidentale étouffent aujourd'hui encore dans l'œuf leur concurrence d'Europe orientale par des prix de dumping, où le capital d'Europe occidentale profite du marché du travail polonais, aussi bon marché que hautement qualifié, et où même les grands projets d'infrastructure financés par l'UE sont le plus souvent pris en charge par des entreprises occidentales et permettent le transport de marchandises occidentales. Ce qui en résulte est tout sauf de la charité chrétienne, mais au mieux une situation gagnant-gagnant froidement calculée.
Mais cela explique aussi pourquoi le spectre du prétendu « Polexit » invoqué par les médias d'Europe occidentale est une déformation soit naïve, soit malveillante de la situation économique et politique réelle. Compte tenu des liens économiques étroits avec l'Ouest et de l'enthousiasme collectif pour l'intégration européenne, il n'y a absolument aucun désir en Pologne, et surtout pas au niveau gouvernemental, de quitter l'UE - et en fin de compte, il en va de même pour l'Europe occidentale et surtout pour l'Allemagne, qui, par un Polexit, perdrait un site central d'exportation, de production et d'investissement et ne peut avoir aucun intérêt à trouver des postes de douane sur l'Oder. Une rupture de la symbiose entre l'Est et l'Ouest ne toucherait finalement pas moins la Pologne que l'Allemagne, puisque les subsides « économisés » ne pourraient guère être investies avec plus de profit ailleurs que chez le voisin le plus proche, qui est après tout le cinquième partenaire commercial de l'Allemagne.
Alors pourquoi le spectre de Polexit est-il constamment invoqué, non seulement à Bruxelles mais aussi à Berlin, et pourquoi le pays est-il littéralement poussé hors de l'UE par une agitation médiatique sans précédent ? La réponse est simple : il s'agit ni plus ni moins d'une partie de poker dont l'objectif est en « changement de régime » classique. La pression politique, médiatique et financière est destinée à agir comme des grésillons pour obliger le gouvernement polonais à céder et donc à abandonner sa politique intérieure conservatrice - ou bien, par une intimidation progressive, à amener la population à renverser le gouvernement d'une manière ou d'une autre et à provoquer de nouvelles élections. Dans le processus, l'ancien président du Conseil européen, Donald Tusk, qui est revenu à Varsovie il y a quelques mois précisément dans ce but, serait alors réélu Premier ministre polonais et ramènerait le pays sur la voie négociée à Berlin et à Paris. Le seul hic de ce calcul, c'est que tôt ou tard, ces mesures mettraient aussi l'Europe occidentale en difficulté, d'autant plus que l'Europe de l'Est s'est jusqu'à présent très bien sortie de la crise et affiche des taux de croissance extraordinaires, ce qui signifie qu'elle offre des conditions presque paradisiaques aux investisseurs occidentaux. L'UE s'appuie donc d'autant plus sur la pression concentrée des médias pour ériger une toile de fond menaçante dont la véritable cible est la population polonaise qui, après des décennies de domination soviétique, veut à tout prix appartenir à l'« occident ». Varsovie va-t-elle céder avant de se rendre compte qu'elle n'a pas de plus mauvaises cartes que ses homologues de Bruxelles et de Berlin ?
Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Paul Derey, cueilli sur Polémia et consacré à la possibilité d'une politique de force de la France vis-à-vis de l'Union européenne pour imposer des choix politiques hétérodoxes...
Union européenne : taper du poing sur la table, avant de la renverser !
Les critiques de l’Union européenne sont omniprésentes à droite, mais les mesures de sortie des traités sont peu populaires. Éric Zemmour, en conférence à Toulon vendredi 17 septembre, estimait qu’il n’est pas question de sortir des traités, mais de cesser d’être « les bons élèves de l’Europe ». À Lille le 2 octobre, il appelait à lancer un ultimatum à Bruxelles, « tenir tête1 ». Détaillons cette position : existerait-il une alternative au Frexit pour la France afin de défier la bureaucratie bruxelloise ? Est-ce possible de désobéir à Bruxelles sans sortir de l’Union européenne ? Nous allons étudier et proposer une posture aussi radicale que crédible dans le contexte de la prochaine élection présidentielle ; politique esquissée par certains candidats déclarés. Quelques exemples pour comprendre où se trouve le véritable nœud gordien à trancher, et pourquoi il s’agit des juges français.
Le mirage de la sortie de l’UE : un Brexit pour une « Global Britain »
Derrière les critiques eurosceptiques des institutions européennes se cache un problème humain bien plus qu’économique ou juridique. Le Brexit en est une parfaite illustration : si les Britanniques n’ont pas plébiscité le Remain, c’est avant tout par préoccupation du contrôle des frontières et par volonté de reprendre le contrôle sur la politique d’immigration du pays2. C’est chose faite, puisque Boris Johnson propose finalement une politique migratoire plus « ouverte » que jamais : le 13 juillet 2019, il déclarait vouloir régulariser le statut de tous les sans-papiers présents sur le territoire, soit 500 000 rien qu’à Londres3 ; il déclarait de même en juin 2020 vouloir offrir la nationalité britannique à trois millions de Hongkongais à la suite des velléités chinoises sur l’île4. Ces deux mesures de régularisation massive représenteraient près de 6 % de la population britannique…
La mise en lumière des responsabilités de l’Union européenne et ses satellites ne doit pas conduire à déresponsabiliser les électeurs de ses États membres. Membre des traités européens ou non, une classe politique cosmopolite poursuit une politique cosmopolite. Le “problème européen” est humain et non institutionnel, en premier lieu, les classes politique et judiciaire françaises sont d’abord à blâmer. Michel Barnier déclarait jeudi dernier à propos de la politique migratoire à mettre en œuvre : « Nous ne pouvons pas faire tout cela sans avoir retrouvé notre souveraineté juridique, en étant menacés en permanence par d’un arrêt ou d’une condamnation de la Cour de justice européenne ou de la Convention des droits de l’homme, ou d’une interprétation de notre propre institution judiciaire5. » Derrière sa critique de la CEDH et de la CJUE, il livre une vérité que l’auteur du Coup d’État des juges6connaît bien : “notre propre institution judiciaire” serait un frein égal à une réforme des politiques migratoires que les Cours européennes.
La bureaucratie bruxelloise, miroir parfait des États membres
Il faut d’abord comprendre que les représentants européens des États membres… sont avant tout nommés par les États membres ! En effet, un bref rappel de la nomination du personnel européen dans les différentes institutions s’impose afin de montrer que l’Europe des nations, c’est bien celle en place actuellement. En résumé, les institutions européennes « qui comptent » sont composées par les États membres (voir cet article pour une présentation détaillée des institutions européennes, la nomination de leurs membres, et leurs pouvoirs). En bref, les membres de la Commission sont proposés par les États membres et approuvés par le Parlement européen, les membres du Conseil européen et du Conseil de l’Union européenne sont les membres du gouvernement des États membres, même les juges de la CJUE et de la CEDH sont présentés par les États membres…
Même les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ne sont contraignants que par un choix des juges français. Ces derniers sont le principal obstacle à la menée d’une politique patriote. Les membres des institutions européennes sont à l’image des pays qui les composent, en sortir ne garantit donc aucunement de ne plus subir ses effets.
La résistance européenne en action
Il serait dommage d’abdiquer le jeu de la politique européenne sans l’avoir joué. Il s’agit de quitter le légalisme, et de rentrer dans la politique, l’arène des rapports de force. Quelques exemples de résistances au rouleau compresseur du politiquement correct occidental et aux juges supranationaux afin de montrer que l’UE n’est que le « léviathan » que nous voulons voir en elle :
Les partis de gouvernement et d’opposition en Slovaquie se mettaient d’accord en novembre 2016 pour augmenter le seuil de pratiquants au-delà duquel une religion est reconnue par ce pays (de 20 000 à 50 000), afin de restreindre l’islam. La Slovaquie est un des pays européens les plus restrictifs en la matière, il ne comporte à ce jour toujours aucune mosquée sur son territoire, et ne semble pas décidé à changer7: « L’islam n’a pas sa place dans ce pays », ajoutait l’ex-Premier ministre Robert Fico en mai 20168.
En Estonie, la Constitution en vigueur (votée par référendum en 1992) prévoit dans son préambule que l’État « est établi sur le droit inextinguible du peuple estonien à l’autodétermination nationale […] qui garantira la préservation de la nation estonienne et de sa culture à travers les âges […]». Dénoncé comme « ethno-nationaliste9 », le préambule utilise en effet les concepts de nation estonienne (eesti rahvus) et de peuple estonien (Eesti rahvas) ; « eesti ravus » signifiant nation, au sens ethnique. Il y a donc la nation ethnique et la nation civique en Estonie, ce qui permet à certains chercheurs de qualifier l’Estonie, et parfois la Lettonie, de « démocratie ethnique » ; parmi ces chercheurs le sociologue israélien Sammy Smooha, inventeur de ce terme. Ce pays d’environ 1 300 000 habitants a beau déplaire au Conseil de l’Europe10, à l’ONU11 et à la Commission européenne12, son État a toujours pour but la préservation de la nation ethnique estonienne.
En Allemagne, la Cour suprême fédérale de Karlsruhe tapait sur les doigts de la Banque centrale européenne concernant ses programmes de rachat d’actifs en mai 202013. En effet, les juges avaient exigé dans leur arrêt que la BCE justifie ces rachats par rapport à son mandat (principe d’attribution), alors même que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) validait en 2018 cette procédure de rachat de dette publique. Il s’agit d’une remise en cause retentissante de la primauté du droit européen sur les droits nationaux, qui a entraîné une procédure d’infraction de la Commission européenne en juin 202114 (« Un grave précédent», selon elle). Le gouvernement allemand annonçait en août 2021 « rejeter » cette procédure d’infraction, estimant que la Cour constitutionnelle fédérale n’avait nullement méconnu le droit européen15.
Toujours en Allemagne, la même Cour suspendait en mars 2021 la ratification du plan de relance de l’UE pourtant voté par le Parlement allemand, en raison d’un recours pour inconstitutionnalité. Ce recours, rejeté le mois suivant par les juges allemands16, montre cependant qu’un poids lourd de l’UE peut rappeler la primauté de son droit, lorsque ses juges le
La Hongrie et la Pologne, ont bloqué plusieurs semaines le plan de relance européen subordonné au respect de « l’état de droit » jusqu’en décembre 202017, remportant une victoire en demi-teinte, car ne « pesant » pas autant que leurs voisins de l’Ouest.
Enfin, un exemple contraire, afin de montrer que dans l’UE, tout n’est que rapport de force : la Commission européenne annonçait en août 2021 vouloir retirer des subventions européennes à des régions polonaises en raison de leur résistance à la promotion de l’idéologie LGBT. Ces petites régions, fortement dépendantes des fonds européens, se sont couchées une par une quelques semaines plus tard à la suite de ce chantage18. Éric Zemmour, en « meeting » à Lille le 2 octobre, expliquait que la France doit « tenir tête à la Commission de Bruxelles et aux juges européens […]. Nous ne devons pas craindre les rodomontades et les crises d’hystérie de la Commission », car, contrairement à la Pologne, la France n’est pas dépendante des fonds européens, étant contributrice nette au budget de l’UE. Un atout de taille qui fera la différence avec la Hongrie, explique le journaliste. Cette position, qui rappelle le « plan A négociations » et le « plan B Frexit » de Jean-Luc Mélenchon en 2017, semble la meilleure en l’état actuel.
Perspectives pour 2022 : que la France « tienne tête »
Nous attendons donc le réveil d’un État fondateur de l’UE qui appuierait les États conservateurs de l’Est. La France pourrait être cet État conservateur, mais Michel Barnier rappelle que nos propres juges sont un frein à une politique patriote, au moins autant que les juges européens. Si le Conseil constitutionnel consacrait en 200619 la supériorité de « l’identité constitutionnelle de la France » contre les directives européennes allant à son encontre, les juges de la rue de Montpensier, menés par Laurent Fabius, sont aujourd’hui peu prompts à affirmer cette identité française : Éric Zemmour a raison de vouloir brider cette institution par une réforme constitutionnelle20.
Peut-être faudra-t-il sortir la France de l’Union européenne et des autres traités, peut-être d’autres États membres21 le décideront avant nous. Cependant, ces mesures sont majoritairement rejetées par les électeurs du fait de la propagande gouvernementale, d’un sentiment européen diffus mais réel, et surtout de la peur justifiée de telles mesures. La France n’a pas encore tenté la moindre opposition sérieuse en politique européenne, il est urgent que le camp identitaire s’empare de cette question et porte au pouvoir au niveau local et national le changement qu’il souhaite imposer à l’international.
Au risque d’être répétitif, la droite nationale doit tenter ce qui ne l’a en réalité jamais été au niveau européen : taper du poing sur la table, avant de la renverser. Ce n’est qu’après un possible quinquennat patriote entraînant enfin du ménage dans les institutions françaises d’abord, européennes ensuite, qu’il faudra se poser la question de la sortie des traités. Sans cela, l’incantation mystique d’un Frexit tourné vers l’Afrique sonnera comme ce qu’il apparaît être aux yeux des Français : un reniement de leurs racines, mais surtout une très mauvaise idée.
Paul Derey (Polémia, 15 octobre 2021)
Notes :
1 Éric Zemmour en conférence à Lille, YouTube, 2 octobre 2021.
2 « Brexit : les motivations de ceux qui l’ont voté », Jean-Christophe Catalon, La Tribune, 28 octobre 2016.
3 « Régularisation, système à points… Boris Johnson veut revoir la politique migratoire britannique », Bahar Makooi, InfoMigrants, 29 juillet 2019.
4 « Le pari fou de Boris Johnson », Anthony Bellanger, France Inter, 4 juin 2020.
5 « La classe politique divisée après les critiques de Michel Barnier contre la justice européenne », Alexis Feertchak, Le Figaro, 12 septembre 2021.
6 Zemmour (Éric), Le Coup d’État des juges, Grasset, 1997.
7 « Slovakia bars Islam from becoming state religion by tightening church laws », Gabriel Samuels, The Independent, 1er décembre 2016.
8 « Robert Fico: “Islam has no place in Slovakia” », Vince Chadwick, Politico, 26 mai 2021.
9 « Preamble of Estonian Constitution: strive towards ethnic favoritism? », International Centre for Ethnic and Linguistic Studies, 9 avril 2018.
10 « ECRI – Report on Estonia », European Commission against Racism and Intolerance (ECRI), Council of Europe, 2015.
11 « Report of the Special Rapporteur on contemporary forms of racism, racial discrimination, xenophobia and related intolerance – Mission to Estonia », Human Rights Council of the United Nations, 17 mars 2008.
12 « The meaning of racial or ethnic origin in EU lax: between stereotypes and identities », Lilly Farkas, European network of legal experts in gender equality and non-discrimination, European Commission, 2017.
13 « L’arrêt du 5 mai 2020 de la Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne concernant le programme PSPP de la Banque centrale européenne », Jean-Claude Zarka, Actu juridique, 3 juillet 2020.
14 « L’Allemagne dans le collimateur de l’UE, l’arrêt de la Cour constitutionnelle constitue un “grave précédent”! », Capital, 9 juin 2021.
15 « Germany rebuffs EU legal move against Germany over ECB ruling », Reuters, 10 août 2021.
16 « Feu vert de la justice allemande au plan de relance européen », Armelle Bohineust, Le Figaro, 21 avril 2021.
17 « Plan de relance européen : la Pologne et la Hongrie se disent prêtes à lever leur veto », Virginie Malingre, Le Monde, 10 décembre 2020.
18 « Quatre régions polonaises cèdent au chantage LGBT », Visegrád Post, 29 septembre 2021.
19 Décision n° 2006-540 DC, Conseil constitutionnel, 27 juillet 2006.
20 Éric Zemmour chez Pascal Praud, « L’heure des pros », CNews, 13 septembre 2021.
21 « Still unpopular among the public, Polexit is no longer a taboo for the Polish right », Olivier Bault, Visegrád Post, 11 septembre 2021.