Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de David Engels, cueilli sur Putsch et consacré à la brutale reprise en main de la Pologne par Donald Tusk, vainqueur des élections et, en tant qu'ancien président du Conseil européen, éminent représentant du système "davocratique"...
La police occupe les locaux de la télévision publique à Varsovie...
« Grand nettoyage à Varsovie »
Le changement de régime à Varsovie serait le « mieux » pour tout le monde : même les conservateurs devraient voter pour Tusk afin de ramener le pays à la modération, à la normalité et à l’État de droit ; les mises en garde contre la « wokisation » de la Pologne ne seraient rien d’autre que des propos populistes alarmistes. Mais que voyons-nous maintenant ? Jamais, dans l’histoire récente de l’Europe, un État n’a été mis sens dessus dessous de manière aussi rapide, aussi brutale et aussi complète sur le plan idéologique, et ce sous les applaudissements de Berlin et de Bruxelles : une leçon et un avertissement.
Il n’est pas rare d’entendre des voix centristes dire que l’objectif présupposé d’une transformation identitaire gauchiste de notre société ne serait qu’une simple « obsession » d’une droite qui ferait de quelques cas isolés la base conspirationniste d’un chimérique « Great Reset ». Sans parler du fait que ces objectifs, loin d’être seulement formulés par une extrême droite en total délire, sont systématiquement présentés à des millions de personnes comme des utopies réalistes positives par des idéologues libéraux de gauche comme Harari ou Schwab, on a pu constater ces dernières années d’une manière bien réelle et concrète que cette politique identitaire n’est pas un élément secondaire, mais plutôt l’enjeu politique principal de notre société occidentale, et ce avec des conséquences désastreuses. La Pologne est en phase d’en devenir l’exemple le plus marquant. Il n’aura fallu que quelques jours pour que le gouvernement Tusk confirme toutes, mais vraiment toutes les « théories du complot » qu’une bonne partie du milieu bienpensant polonais avait dénoncées pendant la campagne électorale comme de vulgaires diatribes.
La composition même du gouvernement a été un véritable choc : alors que la propagande électorale avait affirmé qu’une coalition Tusk était la meilleure solution pour tout le monde, y compris les conservateurs, tous les postes gouvernementaux socioculturels clés ont été attribués à des membres du parti de gauche « Lewica » qui ne cache pas ses opinions ouvertement anti-chrétiennes et pro-LGBTQ : bien que « Lewica » n’ait obtenu que 8,61% des voix et ait perdu 4% aux élections par rapport aux dernières années, elle contrôlera (avec quelques autres micro-partis de gauche) désormais le ministère de la numérisation, le ministère de l’éducation, le ministère de la famille, du travail et des affaires sociales, le ministère de la science et de la recherche et enfin le ministère (nouvellement créé et dont la signification n’est absolument pas claire) de « l’égalité ». Pour savoir ce que cela signifie, il suffit de jeter un coup d’œil à la nouvelle ministre de la Famille, Agnieszka Dziemianowicz-Bąk, qui s’est faite une certaine renommée ces dernières années en luttant farouchement pour les intérêts LGBTQ et pour la banalisation de l’avortement, et qui, en outre, aime s’afficher avec des blouses appelant à protéger les enfants contre le christianisme.
Elle n’est pas un cas isolé : la nouvelle ministre de l’Éducation, Barbara Nowacka (également Lewica), est elle aussi sur une ligne radicalement antichrétienne et veut imposer une réduction de moitié des cours de religion financés par l’État dans les écoles (qui n’étaient bien sûr déjà pas obligatoires, mais pouvaient être remplacés par « l’éthique »). Et il ne faut pas beaucoup d’imagination pour prévoir l’objectif de la prochaine refonte des programmes scolaires : cela commence toujours par la laïcité, puis continue vers la propagande explicitement anti-chrétienne, et se termine finalement par la doctrine des crimes du vieil homme blanc, du patriarcat oppressif et de l’âge d’or de l’Islam tolérant.
Mais continuons. Comme dans un mauvais remake des prises de pouvoir autoritaires de l’entre-deux-guerres et de l’après-guerre, le nouveau gouvernement de Donald Tusk, Européen et démocrate modèle, tout juste investi le 13 décembre, a licencié sans préavis, dans la nuit du 20 au 21, l’ensemble de l’équipe dirigeante des médias publics polonais (télévision, radio, service de presse), occupé le siège de TVP avec des forces de sécurité, coupé la chaîne et effacé des archives des médias tous les documentaires gênants sur les mandats précédents de Tusk. Et depuis lors, face à la résistance farouche de certains membres du personnel et députés de l’opposition, la situation est devenue encore plus complexe : d’une part, le « conseil des médias » (mis en place par l’ancien gouvernement) a nommé une nouvelle direction, et d’autre part, le gouvernement a ouvertement annoncé la liquidation économique des chaînes publics, devant être suivie de leur nouvelle création. La raison : en raison du veto du président Duda sur le budget 2024, la situation financière ne permettrait plus de poursuivre l’activité des médias publics ; mais en réalité, une table rase radicale ouvre naturellement de toutes nouvelles perspectives de réorganisation des chaînes, tant sur le plan personnel que juridique.
Mais tout cela n’était qu’un début. Le 20 décembre également, le ministre de l’Intérieur sortant, Mariusz Kamiński, et son adjoint ont été condamnés à deux ans de prison ferme et cinq ans de privation de leurs droits civiques dans une affaire de corruption très politisée et controversée à ce jour, malgré l’amnistie présidentielle, et leur immunité parlementaire a été levée par le nouveau président du Parlement ; un avertissement politique à peine voilé. Kamiński, ancien résistant anticommuniste, coordinateur des services de renseignement depuis 2015 et ministre de l’Intérieur et de l’Administration depuis 2019, était l’une des figures centrales de la protection du pouvoir interne du gouvernement PiS. Son incarcération brutale est censée être un avertissement à tous ses soutiens dans les services de renseignement et l’administration et n’est probablement que le début d’une vague de procès attendue depuis longtemps, visant à criminaliser juridiquement a posteriori les décisions idéologiques déplaisantes du gouvernement précédent.
Ainsi, alors que certains parmi les plus hauts membres du gouvernement sortant sont condamnés à se retrouver derrière les barreaux à quatre jours de Noël sans aucune réaction de l’opinion publique européenne, les barreaux qui séparaient le pays de l’afflux de migrants musulmans sont symboliquement démantelées : le 23 décembre, le nouveau président du Parlement, tout sourire, s’est fait photographier devant les caméras avec des migrants de tous horizons, dont une demandeuse d’asile déjà déboutée à plusieurs reprises ; et la Pologne a rejoint le fameux « pacte sur la migration » lui imposant désormais des quotas de migrants décidés à Bruxelles.
La Pologne vit donc un revirement migratoire quasi « Merkelien » qui s’est d’ailleurs accompagné d’informations selon lesquelles les tribunaux polonais déclareraient prochainement illégale la politique radicale de push-back du gouvernement précédent et ouvriraient systématiquement les postes à la frontière biélorusse aux demandeurs d’asile. Est-ce une coïncidence si, depuis, la compagnie aérienne « Southwind » a ouvert une nouvelle route aérienne d’Istanbul à Minsk dont les billets coûtent le prix dérisoire de 195€?
Le 22 décembre, le nouveau gouverneur de la voïvodie de Lublin, Krzysztof Komorski (du même parti que Tusk), a déjà montré à quoi devait ressembler la nouvelle culture d’accueil polonaise : Il a fait enlever la croix dans la salle de réception de son administration, a fait installer le drapeau européen et a fait enlever la crèche de Noël.
Quelques jours après Noël, le coup suivant a été porté. Le 27 décembre, le nouveau Premier ministre Tusk a annoncé les trois prochains objectifs de son gouvernement, qui ne seront guère moins révolutionnaires que les précédents : après l’annonce par la ministre de l’Éducation de la réduction de moitié de l’enseignement religieux et le retrait des croix et des crèches, Tusk a annoncé que l’Église polonaise ne serait plus financée que par des déductions fiscales volontaires de la part des fidèles – une véritable révolution dans un pays qui, pendant des siècles, a trouvé dans le catholicisme non seulement sa colonne vertébrale spirituelle et morale, mais aussi un outil identitaire essentiel pour sa lutte contre les différentes puissances d’occupation et les tentatives d’assimilation. On n’oubliera d’ailleurs pas que sans un pape Jean-Paul II, le succès du « Solidarność » polonais dans sa lutte contre le totalitarisme de gauche aurait été impossible. Deuxièmement, la Pologne va adhérer au « Parquet européen » commun censé poursuivre dans toute l’Europe les éventuelles fraudes aux subsides de l’UE, ce qui permettra de facto aux institutions européennes d’exercer une influence encore plus grande sur les juridictions nationales polonaises. Enfin – et le lecteur s’y attendait depuis longtemps -, une loi sur les partenariats entre personnes de même sexe devrait être adoptée dans les prochaines semaines, afin de « ramener la Pologne en Europe » dans ce domaine également…Ainsi, et ce à peine une semaine au pouvoir, le gouvernement Tusk a déjà bouleversé les principaux repères de la politique identitaire polonaise : déchristianisation, mise au pas des médias, arrestations politiques, libéralisation migratoire, droit de regard juridique renforcé pour l’UE, politique LGBTQ – dans tous ces domaines, de véritables révolutions sont en cours, se servant utilement des vacances de Noël afin de profiter du chaos usuel des fêtes. Et ce n’est qu’un début : les grandes épreuves de force sont encore à venir : recomposition du Tribunal constitutionnel, règlement de comptes juridique avec les dirigeants du PiS, construction ou non des premières centrales nucléaires polonaises (non souhaitées par Berlin), banalisation de l’avortement (inclue dans le contrat de coalition), fermeture d’instituts d’expertise politique idéologiquement indésirables et, bien sûr, débat sur la mise en œuvre des plans de réarmement polonais, également rejetés par Olaf Scholz.
Qu’en pense l’UE, par ailleurs traditionnellement prête la première à détecter partout et à tout moment les brèches de « l’État de droit » ? Le lecteur ne sera guère surpris par le silence retentissant en provenance de Bruxelles. Et plus encore : on peut supposer que Tusk – président de longue date du Parti populaire européen et président du Conseil européen de 2014 à 2019 – ait convenu à l’avance de chaque étape de ses mesures avec ses collègues de Bruxelles (et de Berlin) et qu’il ait déjà négocié sa récompense. Car comme par hasard, l’UE a attendu jusqu’à la mi-novembre pour finalement décider de débloquer la première tranche de 5 milliards d’euros de l’aide-covid, qui avait été retenue pendant des mois, voire des années, en raison de « doutes » sur la situation de l’État de droit en Pologne – et donc, les élections polonaises d’octobre ont pu se dérouler dans un climat d’incertitude budgétaire totale, amenant au pouvoir le nouveau gouvernement Tusk. Le fait que ces fonds aient finalement été accordés au gouvernement conservateur battu aux élections pendant ses derniers jours au pouvoir avec les remerciements amicaux de Mme von der Leyen n’a donc été rien de moins qu’une gifle retentissante, voire une humiliation délibérée : à la fois pour le gouvernement sortant et pour tous les électeurs qui ont pu prendre au sérieux les préoccupations « juridiques » de l’UE à l’égard du gouvernement conservateur de Varsovie. Car c’est bien sûr le gouvernement Tusk qui profitera de cet argent, après qu’il ait dramatiquement manqué dans les caisses du gouvernement Morawiecki.Quelles leçons peut-on tirer de ces événements ? « L’État de droit, c’est moi », pourrait-on attribuer aux institutions bruxelloises en reprenant une devise célèbre ou, en d’autres termes : tant que cela correspond aux prescriptions idéologiques du mainstream de gauche, même les réformes les plus brutales sont approuvées comme des jalons sur la voie vers plus de liberté, d’égalité et de fraternité, tandis que des mesures analogues, bien que nettement moins drastiques, lorsqu’elles sont prises par les « mauvais », donc la droite, sont immédiatement interprétées et décriées comme attaques frontales contre la démocratie et l’Etat de droit. Certes, une certaine dose de machiavélisme a toujours fait partie de la politique. Mais le problème, qui se manifeste pour la première fois avec une telle acuité en Pologne, est le suivant : celui qui, à longueur de journée, ne cesse de crier au loup finit inévitablement par perdre toute crédibilité, surtout s’il se comporte lui-même en prédateur dès que la première occasion se présente.
Le fait que certains médias non seulement reconnaissent, mais approuvent explicitement cette évolution – le « Berliner Zeitung » a même appelé Tusk à devenir un dirigeant autoritaire pour « démocratiser » de force la Pologne (https://www.berliner-zeitung.de/politik-gesellschaft/polen-wird-donald-tusk-zum-autokraten-um-den-staat-zu-reformieren-li.2166839) – montre à quel point nos démocraties sont brutalisées. Celui qui stigmatise des prétendues violations de l’Etat de droit ne peut pas, à son tour, pulvériser ce dernier complètement sans réhabiliter ainsi ceux qu’il vient de critiquer et, pire encore, sans inviter son ennemi à imiter son comportement une fois au pouvoir. C’est précisément ce qui se passe actuellement en Pologne, sous les applaudissements de Berlin et de Bruxelles, et, compte tenu des élections qui auront bientôt lieu non seulement en Europe, mais aussi aux États-Unis, il est à craindre que la stratégie brutale de Tusk « The Winner Takes It All » ne soit pas interprétée comme un exemple à éviter, mais plutôt comme un mode d’emploi à suivre.David Engels (Putsch, 6 janvier 2024)