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Entretiens - Page 6

  • Insécurité : plaidoyer pour le libre accès aux armes...

    Le 8 février 2024, Pierre Bergerault recevait, sur TV libertés, Bertrand Saint-Germain pour évoquer la question du droit des citoyens à posséder des armes. Docteur en droit, universitaire et élu local, Bertrand Saint-Germain est l'auteur de Juridiquement correct - Comment ils détournent le droit (La Nouvelle Librairie, 2023) et de (P)rendre les armes ? (Le Polémarque, 2023).

     

                                            

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  • Gaza, Moyen-Orient : l’escalade, jusqu’où ?...

    Pour son émission sur TV Libertés, Chocs  du monde, Edouard Chanot reçoit Pierre Conesa pour évoquer avec lui la température ne cesse de monter, lentement mais inexorablement, au Proche et au Moyen-Orient, quatre mois après l’attaque du Hamas en Israël....

    Agrégé d'histoire et énarque, Pierre Conesa a fait partie dans les années 90 de la Délégation aux affaires stratégiques du Ministère de la défense. Il est l'auteur de plusieurs essais, dont, notamment, Dr. Saoud et Mr. Djihad - La diplomatie religieuse de l'Arabie saoudite (Robert Laffont, 2016), Hollywar - Hollywood, arme de propagande massive (Robert Laffont, 2018), Le lobby saoudien en France - Comment vendre un pays invendable (Denoël, 2021), Vendre la guerre - Le complexe militaro-intellectuel (L'aube, 2022) et État des lieux du salafisme en France (L'aube, 2023).

     

                                              

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  • Nietzsche et la gauche : Autopsie d'un kidnapping...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un nouvel épisode de Tri sélectif, l'émission de Julien Rochedy et d'Antoine Dresse (Ego Non) consacrée au nietzschéisme de gauche.

    Publiciste et essayiste, Julien Rochedy, qui est une figure montante de la mouvance conservatrice et identitaire, a déjà publié plusieurs essais dont Nietzsche l'actuelL'amour et la guerre - Répondre au féminisme, Philosophie de droite et dernièrement Surhommes et sous-hommes - Valeur et destin de l'homme (Hétairie, 2023).

    Antoine Dresse anime la chaîne de philosophie politique Ego Non sur YouTube et écrit régulièrement dans la revue Éléments. Avec Clotilde Venner, il a publié À la rencontre d’un cœur rebelle - Entretiens sur Dominique Venner (La Nouvelle Librairie, 2023). Il est également l'auteur d'un essai intitulé Le réalisme politique - Principes et présupposés (La Nouvelle Librairie, 2024).

     

                                                

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  • La mafia à la Maison-Blanche...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Jean-François Gayraud à la revue Conflits à l'occasion de la sortie de son livre La mafia et la Maison blanche (Plon, 2023).

    Commissaire général, Jean-François Gayraud est déjà l'auteur de plusieurs études marquantes comme Showbiz, people et corruption (Odile Jacob, 2009), La Grande Fraude. Crimes, subprimes et crises financières (Odile Jacob, 2011), Le nouveau capitalisme criminel (Odile Jacob, 2014), L'art de la guerre financière (Odile Jacob, 2016) et Théorie des Hybrides - Terrorisme et crime organisé (CNRS, 2017).

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    La mafia et la Maison-Blanche

    De la mafia aux États-Unis, la culture populaire retient quelques grands films, les luttes contre Al Capone et l’assassinat de Kennedy. Mais l’imprégnation mafieuse va bien au-delà, notamment par les nombreuses ramifications que la mafia a tissées autour de la Maison-Blanche. Si la mafia renseigne et fait élire, elle attend aussi des aides en retour. Jean-François Gayraud a mené dix ans d’enquête pour comprendre les liens entre le pouvoir criminel et le pouvoir politique, et la façon dont celui-ci imprègne les États-Unis.

     

    Votre ouvrage s’attache à rendre moins opaques les relations d’intérêts qui ont lié la mafia italo-américaine et le gouvernement américain. Mais comment organisation criminelle et corps politique en viennent-ils à coopérer et pourquoi ?

    Deux réponses s’imposent. D’abord, d’une manière générale, et c’est une loi criminologique, une organisation criminelle mature et stratège sait que pour durer, elle doit neutraliser le pouvoir politique, en le transformant en allié ou en complice. Elle le fait par la corruption ou l’intimidation, et plus rarement, comme ultima ratio, par la violence directe. Elle tente ainsi de se doter d’un capital d’impunité, et parfois également d’accéder à des rentes économiques, par exemple par des attributions de marchés publics.

    Si l’on revient au cas nord-américain, il faut comprendre que la Mafia italo-américaine, qui émerge aux États-Unis dès le XIXe siècle, se transforme profondément, dans l’entre-deux-guerres mondiales. Ce processus s’explique par trois causes. L’une relève de l’économie criminelle, avec une absurde loi puritaine instaurant la Prohibition de l’alcool (1919/1933), qui enrichit subitement la Mafia de manière gigantesque. Ensuite, plusieurs mafieux très intelligents, Charles Lucky Luciano ou encore Salvatore Maranzano, imposent une transformation managériale : la Mafia se réorganise à partir d’un ethos capitalistique en grande entreprise, tout en conservant son essence de société secrète ; autrement dit, elle s’américanise dans ses structures et son mode de fonctionnement, sans perdre complètement ses racines du Mezzogiorno.

    Enfin, la Mafia bénéficie d’un effet d’aubaine, avec l’arrivée de plusieurs centaines de mafieux siciliens aguerris fuyant la répression du Préfet fasciste Cesare Mori. L’effet conjugué de ces trois causes permet à la Mafia à la fin des années 1920 de parler d’égal à égal avec les politiques, au niveau national. Elle le peut d’autant plus, qu’outre les outils conférés par l’argent et l’intimidation, elle dispose aussi dans son dialogue avec les politiques d’une capacité de mobilisation de voix dans la communauté italo-américaine, ce dans une logique clientéliste.

    Vous définissez la mafia italo-américaine comme plus proche d’une société secrète que d’une organisation criminelle, pourquoi ?

    La caractérisation de la Mafia Italo-américaine peut se faire de quatre façons. Du point de vue de ses objectifs, il s’agit d’une organisation criminelle, donc d’un acteur économique recherchant le profit, mais agissant illégalement. Si on s’interroge sur sa nature, la Mafia appartient à une sociologie spécifique, celle des sociétés secrètes. Toutes les sociétés secrètes ne sont pas des organisations criminelles (ainsi la franc-maçonnerie), et toutes les organisations criminelles ne sont pas des sociétés secrètes. Pour le dire autrement, la majorité des organisations criminelles sont des bandes ou des gangs fonctionnant dans une discrétion relative, là où la Mafia italo-américaine s’inscrit dans un ethos de silence et d’invisibilité.

    D’un point de vue organisationnel, la Mafia Italo-américaine est une confédération de Familles criminelles, régulées sur le plan stratégique par une Commission qui regroupe les principaux chefs ; une Famille étant constituée non sur une base biologique (père, fils, etc.) mais par un processus d’initiation. Enfin, si on réfléchit en termes de science politique, donc de pouvoir, on est en présence d’une puissance, dans la définition qu’en donnait Raymond Aron dans Paix et guerre entre les nations.

    Quand on pense aux origines de la mafia, on l’associe souvent à l’image de New York et aux ghettos de Little Italy. Existe-t-il d’autres villes qui ont constitué un épicentre mafieux aux États-Unis ?

    L’implantation géographique de la Mafia aux États-Unis s’explique par l’histoire de l’immigration. Entre 1890 et 1920, environ quatre millions d’Italiens, venant principalement du Mezzogiorno, migrent vers le Nouveau Monde pour fuir la pauvreté. Ces Italiens emmènent leur anthropologie, celle du sud de l’Italie qui avait déjà favorisé l’apparition de la Camorra et de Cosa nostra, et vont vivre au sein de ghettos, donc repliés sur eux-mêmes, dans un pays dont les mœurs et la langue leur sont étrangers. La Mafia va ainsi aisément se reconstituer dans ces enclaves : La Nouvelle-Orléans (Louisiane), le Nord-Est (New York, Boston, Philadelphie, Scranton, Pittston, etc.) et la région des Grands Lacs (Chicago, Pittsburgh, etc.). Cependant, c’est à New York que les migrants d’origine italienne sont les plus nombreux : 1 million, soit 15 % de la population de la ville. Et c’est ainsi que la première Famille de la Mafia est identifiée à La Nouvelle-Orléans, dès la seconde moitié du XIXe siècle.

    Quel lien entre Roosevelt et la mafia avez-vous établi grâce à vos recherches ?

    La Mafia n’a pas de préférence politique et elle mise donc sur tous les candidats, Démocrate ou Républicain, ayant des chances d’abord d’obtenir l’investiture de leur parti, puis de gagner l’élection présidentielle.

    Or, à la fin des années 1920, du fait de la grande crise de 1929, les Républicains au pouvoir à la Maison-Blanche avec le président Herbert Hoover n’ont aucune chance de remporter le scrutin de 1932. Les Familles de la Mafia se concentrent donc sur les investitures au sein du parti Démocrate et misent sur les deux candidats ayant une chance de l’emporter, Al Smith et Roosevelt, en leur promettant à chacun de faire voter en leur faveur, à une époque où la Mafia avait corrompu des dizaines de conseils municipaux de très grandes villes, telles Chicago ou Kansas City. Et lorsque le scrutin se dessine en faveur de Roosevelt, la Mafia fait voter pour lui. Ce dernier remporte l’investiture et la Mafia, à tort ou à raison, pense que le candidat Roosevelt a contracté une dette à son égard.

    Au-delà de cet épisode, il y a celui, complexe, de la sécurisation des grands ports de la côte Est durant la Seconde Guerre mondiale. Les services de renseignements de la Navy obtiennent l’aide de la Mafia afin d’empêcher toute opération d’espionnage et de sabotage venant des services italiens et allemands. Ce pacte fut efficace, avec la question de savoir si ce pacte était connu ou non de Roosevelt, et s’il l’a avalisé.

    Dans la même perspective, Truman aussi tiendrait son élection de la mafia ?

    Truman débute sa carrière politique dans le Missouri, à Kansas City, dans l’entre-deux-guerres, au sein de la Machine Démocrate dominée par la famille Pendergast. Or cette « Machine Pendergast » est corrompue et fonctionne en symbiose avec la puissante Famille locale de la Mafia. La ville et l’État fonctionnent sous cette double domination. Kansas City est alors une des villes les plus violentes et corrompues du pays.

    Le jeune politicien Truman fait ses premières armes politiques, en toute connaissance de cause, dans cet univers vicié, et il doit son ascension à des acteurs politiques totalement corrompus par le crime organisé, ce jusqu’au poste de sénateur des États-Unis. L’étape cruciale se déroule plus tard en 1944 quand Roosevelt se présente pour son quatrième mandat. Truman est choisi comme vice-président et comme Roosevelt est très malade, il est certain que Truman sera rapidement Président. Or le processus de désignation de Truman sur le ticket présidentiel fait la part belle au syndicaliste Sidney Hillman qui était manifestement aux ordres de la Mafia. La présidence Truman va d’ailleurs se révéler très complaisante avec la Mafia.

    Votre ouvrage consacre une partie importante à l’assassinat de Kennedy, pourquoi ?

    Cet assassinat demeurera une énigme entourée de mystère. Pour autant, j’ai souhaité montrer de manière aussi complète que possible que la thèse d’un attentat pensé et exécuté par la Mafia est désormais étayée par des faits, des témoignages et des indices très probants, mais souvent ignorés ou sous-estimés. L’historiographie américaine a pourtant beaucoup progressé sur le sujet, sans que ce savoir ait toujours traversé l’Atlantique.

    Au-delà de son influence politique, de quoi vit la mafia ?

    Elle vit de marchés criminels : jeu clandestin, racket, trafic de stupéfiants, délits boursiers et financiers, etc., en fait de toute la gamme des crimes possibles, car elle est polycriminelle, donc sans spécialité. Elle va de manière pragmatique là où des profits peuvent être générés. Elle est aussi très présente sur des marchés légaux, car nombre de mafieux, par des processus de blanchiment d’argent et par un souci de respectabilité et de couverture sociale, sont des chefs d’entreprise, par exemple dans le domaine des déchets, des travaux publics, de la restauration ou des night clubs. Par ailleurs, nombre de mafieux tirent leur puissance sociale et financière du contrôle de sections locales de syndicats de salariés, ceux par exemple des dockers ou des camionneurs.

    On pourrait donc penser que le gouvernement américain n’a jamais réussi à s’extirper de l’emprise de la « main noire » ?

    La « Main noire » était plus une marque qu’une organisation, pratiquant le racket sur les immigrés italiens, dans les Little Italy, lors des premières décennies des migrations aux États-Unis.

    Cela dit, il est vrai que la Mafia représente une réussite exceptionnelle par sa longévité et son enracinement dans la société américaine. Combien d’institutions privées ont-elles plus d’un siècle d’existence ?

    La survivance de la Mafia s’explique par deux phénomènes. D’abord, la lutte anti Mafia a toujours été erratique, et à certaines périodes, inexistantes. Surtout, sa sociologie de société secrète explique les difficultés à l’éradiquer. C’est une mauvaise herbe dont les racines repoussent vite. La répression permet de tondre la pelouse, pas de la déraciner. C’est pourquoi, face à ce type d’acteur criminel, les débuts de partie sont cruciaux : si vous n’empêchez pas leur implantation, ces organisations s’enracinent définitivement. C’est là encore une leçon criminologique majeure que nous devrions retenir à l’heure où le continent européen entame une criminalisation accélérée. Mais c’est là un autre sujet…

    Quel a été l’impact de la position de Trump sur la mafia ?

    Donald Trump, à la suite de son père, a bâti son empire en travaillant avec la Mafia à New York et dans le New Jersey. Il a en toute connaissance de cause été un promoteur immobilier et un propriétaire de casinos acceptant les règles du jeu de la Mafia. Par ailleurs, Trump a toujours adopté les codes et les mœurs de ces gangsters en qui il voit moins des criminels que des entrepreneurs un peu brutaux, pratiquant un capitalisme débridé. Y a-t-il eu des contreparties à cette collusion lors de son premier mandat ? Rien n’a filtré à ce jour.

    Quelle place occupe la mafia aujourd’hui dans la société américaine ?

    Longtemps, la Mafia a été perçue comme une réalité étrangère et extérieure à la société américaine, ce dans une perspective un peu xénophobe. Une alien conspiracy comme disaient certains. Il faut reconnaitre que ce n’est plus le cas, en grande partie grâce au cinéma et à la télévision qui ont acclimaté la Mafia à la culture populaire américaine pour en faire un élément du folklore national. Il faut par ailleurs combattre l’idée selon laquelle la Mafia serait un vestige du passé.

    Il y a en effet eu deux mythes persistants sur la Mafia qui fonctionnent en miroirs. D’abord, on nous a expliqué durant un siècle qu’elle n’existait pas. Puis, depuis que les preuves de son existence sont devenues indiscutables, on nous a voulu nous faire croire qu’elle était moribonde. Que la Mafia Italo-américaine connaisse un déclin relatif depuis les années 1980 est un fait ; mais vouloir l’enterrer est un non-sens. Son pouvoir criminel demeure important, et son influence politique aussi, comme je le montre avec les situations étranges des Présidents Nixon, Reagan, Clinton, Obama, Trump et Biden. Ils se sont tous compromis, selon des modalités différentes. Ceci acquit, nous ne connaitrons l’état exact de l’influence politique actuelle de la Mafia que, a posteriori, dans quelques années. La Mafia est une société secrète, elle ne se dévoile donc que tardivement, et toujours partiellement.

    Jean-François Gayraud, propos recueillis par Louis Juan (Conflits , 20 janvier 2024)

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  • Bandes dessinées et géopolitique : quand la fiction rejoint la réalité...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous l'émission Passé présent de TV Libertés, diffusée le 21 février 2023 dans laquelle Guillaume Fiquet reçoit Jean-Claude Rolinat pour évoquer le traitement des questions géopolitiques dans la bande-dessinée, qu'il aborde dans son Guide touristique et géopolitique des pays imaginaires de la bande dessinée (Dualpha, 2023).

    Journaliste, Jean-Claude Rolinat a rédigé les biographies du général Peron (Argentine), du maréchal Mannerheim" (Finlande) et de Ian Smith (Rhodésie), et publié plusieurs ouvrages consacrés à l’histoire contemporaine dont, dernièrement, le Dictionnaire des États éphémères ou disparus de 1900 à nos jours (Dualpha, 2020).

     

                                           

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  • Guillaume Travers : « La pensée des “communs” permet un renouveau de la pensée identitaire »...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Guillaume Travers au site de la revue Éléments pour évoquer le dossier du dernier numéro de la revue consacré aux communs, qu'il a dirigé.

    Professeur d'économie, Guillaume Travers est chroniqueur à la revue Éléments et fondateur du laboratoire d’idées Champs Communs. Il a déjà publié Pourquoi tant d'inégalités ? (La Nouvelle Librairie, 2020), Économie médiévale et société féodale (La Nouvelle Librairie, 2020), Capitalisme moderne et société de marché (La Nouvelle Librairie, 2020) et La société de surveillance, stade ultime du libéralisme (La Nouvelle Librairie, 2021). Il est aussi l'auteur dans la collection Qui suis-je ?, aux éditions Pardès, d'un Werner Sombart (2022) et d'un Ernst Kantorowicz (2023).

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    Guillaume Travers : « La pensée des “communs” permet un renouveau de la pensée identitaire »

    ÉLÉMENTS : Qu’est-ce que les communs ? En quoi sont-ils importants dans notre vision du monde ? Et qu’est-ce qui les distingue du communisme ?

    GUILLAUME TRAVERS. La réflexion sur les « communs » permet de repenser en profondeur les rapports que nous avons au monde qui nous environne. Selon la pensée moderne, nous sommes avant tout des individus, qui pourrions jouir comme bon nous semble des biens privés dont nous serions les propriétaires absolus. Ce règne de l’individu ne trouve face à lui que la puissance de l’État, souvent pensé comme entité abstraite, technocratique, garant de valeurs abstraites (« droits de l’homme », « valeurs de la République », etc.) et de biens publics qui seraient accessibles à tous de manière indistincte. Les « communs » permettent de penser une authentique troisième voie : des biens qui n’appartiennent pas uniquement aux individus mais qui ne sont pas non plus ceux d’une humanité abstraite ; des biens qui appartiennent à des communautés enracinées. Dans le monde médiéval, ces communs sont souvent liés à la terre : par exemple, les forêts ne sont ni propriété privée ni « bien public » auquel tout le monde pourrait accéder ; ce sont des communautés villageoises spécifiques qui y ont des droits propres, en vertu d’usages coutumiers. L’actualisation de cette idée me semble extraordinairement féconde. Penser les communs, c’est d’abord penser un monde où les appartenances communautaires sont centrales, et souvent plurielles (du lignage à des communautés plus vastes), où ce qui est collectif est en même temps proche et charnel. En dépit de la similarité sémantique, nous sommes bien loin du « communisme ». Ce dernier pense une humanité abstraite (« prolétaires de tous les pays »), alors que la pensée des communs voit le monde social comme pluriel et différencié.

    ÉLÉMENTS : Vous montrez la symétrie des notions d’État et de propriété, de public et privé, là où communément on s’en tient à des oppositions factices. Qu’est-ce qui vous a conduit à les réunir dans une même vision du monde ?

    GUILLAUME TRAVERS. Jusque tard dans la période médiévale, la dimension communautaire de la vie sociale allait de soi. En matière juridique, le droit (par exemple en matière de mariage et d’héritage) était structuré pour préserver la continuité des lignages. Les appartenances villageoises, communales et professionnelles (via les corps de métiers) structuraient l’ensemble de la vie sociale. À chacune de ces communautés correspondait l’idéal d’un « bien commun » propre. L’homme n’était ni un individu totalement coupé du monde (le bannissement, c’est-à-dire la coupure d’avec la communauté, était d’ailleurs le pire des châtiments), ni le jouet d’une technocratie distante. Ce monde communautaire s’est effacé en raison de l’essor simultané de l’individu et de l’État abstrait. En s’affirmant comme individu, l’homme peut exister hors des lignages, hors des traditions locales, hors des enracinements locaux. Son domaine propre se réduit à sa propriété, pensée comme « droit absolu » depuis la Révolution française. Face à l’individu abstrait, les appartenances collectives doivent aussi se faire abstraites, les valeurs collectives doivent être définies sans plus de référence à aucun lieu ni à aucune tradition. C’est le règne de l’État « républicain », et demain peut-être de l’État mondial. Ainsi, si nous avons l’habitude d’opposer individu et État, public et privé, propriété et souveraineté, les deux résultent en vérité du même mouvement historique. Ils sont les deux faces de la modernité, et tous deux se sont constitués contre un monde de communautés différenciées. Repenser les communs permet donc de dépasser beaucoup d’oppositions binaires, qui trop souvent enferment dans de faux débats ou de fausses solutions.

    ÉLÉMENTS : Deux des plus grands spécialistes français des communs, résolument situés à gauche, Pierre Dardot et Christian Laval, s’apprêtent à sortir une Cosmopolitique des communs. N’y a-t-il pas là une contradiction dans les termes ?

    GUILLAUME TRAVERS. Il y a des pages passionnantes chez Dardot et Laval, mais aussi des contradictions majeures. La plus importante est celle que vous pointez : pour qu’il y ait des communs, il faut qu’il y ait des communautés. Je le dis clairement dans le dossier : affirmer l’existence de biens communs, c’est aussi affirmer des frontières ; c’est dire qui appartient à telle communauté et qui y est étranger. Dans le monde prémoderne, cela est très clair : les ressources forestières, de même que l’accès aux pâtures communes, est réservé aux membres d’une communauté particulière. Si chacun peut accéder à tout sans discrimination, il y a vite épuisement des ressources collectives. Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie qui a beaucoup travaillé sur les communs, l’a magistralement montré. Ce contresens est malheureusement répandu chez beaucoup d’auteurs dont la lecture peut par ailleurs être très stimulante.

    ÉLÉMENTS : En quoi les communs peuvent-ils constituer un « nouveau paradigme identitaire », pour reprendre le titre de votre introduction à ce dossier ?

    GUILLAUME TRAVERS. Il y a aujourd’hui un malaise de la pensée identitaire, tiraillée entre deux tendances. D’une part, beaucoup voient que l’État est de plus en plus hostile, bureaucratique, et souvent un puissant instrument de destruction des identités. Face à cela, nombre de militants « identitaires » sont tentés de fuir tout ce qui, de près ou de loin, a à voir avec le secteur « public » : l’éducation publique, les services publics, etc. Cette attitude confine vite à une forme de libertarianisme qui, c’est le moins qu’on puisse dire, n’a rien de « communautaire ». D’autre part, il est évident que le marché est une autre forme de dissolution des identités : si nous ne sommes que des consommateurs, des individus « libres » de faire tout et n’importe quoi, alors nous pouvons exister hors de toute tradition, hors de tout cadre éthique, etc. Face à la puissance des forces marchandes, certains voient dans le recours à un État fort la meilleure solution, et exaltent sa « souveraineté » presque sans limites. Ces contradictions apparentes sont aujourd’hui omniprésentes, sans qu’on parvienne à en sortir de manière satisfaisante. En renvoyant dos à dos individu et État, public et privé, propriété et souveraineté, la pensée des communs peut permettre un renouveau fécond de la pensée identitaire.

    Guillaume Travers (Site de la revue Éléments, 29 janvier 2024)

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