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Métapo infos - Page 427

  • De la désindustrialisation à la crise sanitaire...

    Les éditions Tallandier viennent de rééditer un essai de Pierre Vermeren intitulé La France qui déclasse - De la désindustrialisation à la crise sanitaire. Ancien élève de l’École normale supérieure et agrégé d’histoire, Pierre Vermeren est historien et professeur à l'université Panthéon-Sorbonne.

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    " Sentiment de déclassement, blocage de l'ascenseur social, taxation fiscale alourdie : la République a failli dans sa promesse de justice et de réussite par le mérite. En deux générations, l'héritage gaullien a été dilapidé conduisant à une grave crise de confiance des Français envers leurs élites. Fin observateur de notre société, l'historien Pierre Vermeren ausculte l'échec des politiques publiques, économiques et d'éducation depuis la fin des années 1970 : la désindustrialisation destructrice d'emplois, la déshumanisation des services, la déqualification qui entraîne la mésestime de soi, l'absence de réflexion sur l'aménagement du territoire et la rétraction des services publics qui brisent le lien social. Une faillite, aggravée par la crise sanitaire, entraînant le désenchantement des classes populaires et les populismes qui l'accompagnent. L'État doit prendre d'urgence les décisions nécessaires pour considérer la France, toute la France. "

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  • Le covid-19 ou le choc de dépolitisation...

    Nous reproduisons ci-dessous l'analyse, donnée par Jérôme Saint-Marie au Figaro Vox, des événements politiques et sociaux de l'année écoulée à la lumière de l'élection présidentielle qui vient.

    Spécialiste de l'opinion publique, fondateur de la société d'études et de conseil Polling Vox, Jérôme Sainte-Marie enseigne à l'université Paris-Dauphine et est l'auteur de Bloc contre bloc - La dynamique du Macronisme (Cerf, 2019) et de Bloc populaire - Une subversion électorale inachevée (Cerf, 2021).

     

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    Jérôme Sainte-Marie : «Le Covid-19 aura produit un choc de dépolitisation»

    LE FIGARO. - Pré-campagne présidentielle, instauration du passe sanitaire, reprise de l'épidémie avec le variant Omicron… L'année qui s'écoule a été dense. Selon vous, quel événement a le plus bouleversé la France en 2021 ? En quoi ?

    Jérôme SAINTE-MARIE. - À l'évidence, la crise sanitaire a marqué 2021, mais dans la continuation de l'année précédente et de manière finalement banalisée. S'il s'agit de citer un événement emblématique de ce qu'est la France aujourd'hui et qui aura eu un impact significatif sur notre humeur collective, je retiendrais plutôt la crise dite des sous-marins australiens, c’est-à-dire la rupture d'une promesse d'achat présentée comme le contrat du siècle. Il me semble que cette annonce le 15 septembre dernier a cristallisé les doutes, pour ne pas dire l'angoisse existentielle, ressentie par nombre de nos compatriotes. Cet échec n'est bien sûr pas seulement commercial, il illustre un affaiblissement de la position du pays sur la scène mondiale et fait écho au processus de désindustrialisation dénoncé par toute la classe politique ou presque. Derrière la perte financière immédiate pour Naval Group se profile une forme de déclassement du pays, sentiment bien réel, qu'il soit justifié ou non, et lourd de conséquences électorales. Cet événement survenu en 2021 n'est pas en soi un tournant par son intensité, mais par la résonance qu'il trouve dans d'autres revers de l'industrie de pointe française, on songe ici l'affaire Alstom, il me paraît effectivement de nature à impressionner durablement l'opinion publique.

    La mise en place du passe sanitaire a vu naître un mouvement anti-passe, mélange hétérogène de protestataires du type «gilets jaunes» et membres de classes moyennes. Ce fait illustre-t-il l'archipélisation de notre société comme l'a théorisé Jérôme Fourquet ? Comment analysez-vous ce phénomène ?

    Comme vous le notez, il existe une différence profonde entre le phénomène des «gilets jaunes» d'une part et les mobilisations anti-passe d'autre part, même si dans les deux cas les observateurs ont pu être surpris par leur intensité. Il y a trois ans, les rassemblements et les occupations de ronds-points étaient très marqués dans leur sociologie, avec une évidente sur-représentation des travailleurs modestes du privé, salariés ou indépendants. À l'été 2021, les manifestations étaient beaucoup plus interclassistes, ce qui est d'ailleurs très logique puisque celles-ci ne se fondaient pas sur un enjeu de pouvoir d'achat mais sur une cause presque immatérielle. Je ne vois pas très bien cependant comment cela pourrait correspondre à une hypothétique «archipélisation» : il y a toujours eu des mobilisations portant sur des enjeux diversifiés, et au mi-temps des années 1980, par exemple, on pouvait assister à quelques semaines de distance à des manifestations portant sur la querelle scolaire comme à des mouvements d'opposition à la restructuration de la sidérurgie. La France est un pays où l'on manifeste énormément et à tous propos, ce n'est pas nouveau. La polarisation sociale constitue une réalité sur laquelle chacun s'accorde, me semble-t-il, sans que cela n'empêche que l'on puisse se rassembler sur des thèmes transversaux, comme celui des libertés individuelles.

    Peut-il être de grande portée lors de la présidentielle ? Dans quelle mesure ?

    Derrière le rideau des manifestations et des polémiques sur le passe sanitaire, ces dernières très présentes dans les médias comme sur les réseaux sociaux, le fait politique majeur porté par la crise sanitaire me paraît être la dévitalisation du débat public. Après l'intense actualité sociale des deux premières années du quinquennat, les Français sont placés dans une situation artificielle d'atomisation, chacun étant renvoyé à sa santé et à celle de ses proches, à son corps et, si l'on peut dire, à sa peau.

    L'abstention massive lors des scrutins intermédiaires doit beaucoup à ce climat aberrant. La place prise par les échanges sur la qualité des vaccins, l'évolution des courbes de contamination, la pertinence de telle ou telle mesure de santé publique, avec un degré de précision qu'illustre la dernière intervention télévisée du Premier ministre, est bien sûre légitime, mais elle induit une distraction de l'opinion par rapport aux grands enjeux d'avenir du pays. Il reste peu de temps avant le grand rendez-vous démocratique des Français, en avril prochain, pour restaurer la hiérarchie des débats. Le Covid-19 aura produit un choc de dépolitisation.

    Ces manifestations, peu soutenues par la majorité de la population, ont-elles renforcé Emmanuel Macron ?

    Sur le strict plan de l'opinion publique et de sa mesure, la pandémie a abouti en quelques mois à un net redressement de la cote de popularité de l'exécutif. Nous étions il y a deux ans en pleine confrontation entre partisans et adversaires de la réforme des retraites menée par le gouvernement d'Édouard Philippe. Depuis, le niveau du soutien au président de la République a augmenté d'une dizaine de points. Emmanuel Macron n'est pas populaire au sens qu'une majorité de Français en aurait une bonne opinion dans l'exercice de ses fonctions, mais il l'est bien davantage que ne le furent ses deux prédécesseurs, François Hollande et auparavant Nicolas Sarkozy, à ce stade de leur mandat. Le chef de l'État a su apparaître auprès de nombreux Français comme le garant du versement des salaires et des pensions, se prévalant à tort ou à raison d'avoir sur drainer vers la France une part du plan de relance européen. Candidat de la réforme en 2017, il sera devenu le président des garanties. Quand bien même s'agirait-il d'une illusion, cela demeure un bel atout électoral.

    Sur le plan politique, la percée d'Éric Zemmour dans les sondages a rebattu les cartes : le duel annoncé entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen est désormais incertain…

    Le phénomène Zemmour à la fin de l'été s'apparente à une déflagration d'opinion. Pour trouver un équivalent, il faut curieusement évoquer la vive ascension de Jean-Luc Mélenchon dans les sondages d'intention de vote à partir de la mi-mars 2017, l'amenant en cinq semaines à près de 20%. On notera aussitôt la particularité de la percée d'Éric Zemmour, intervenue à un moment où les opinions demeurent très volatiles et où le citoyen n'est pas encore vraiment dans la position de l'électeur. On a d'ailleurs constaté depuis un tassement des intentions de vote. D'une part Marine Le Pen a su stabiliser son socle électoral, à la tonalité populaire marquée, d'autre part la droite classique a réussi son processus de désignation du candidat à la présidentielle. La poussée des intentions de vote en faveur de Valérie Pécresse est un autre indicateur de la fluidité des rapports de force virtuels, ceux mesurés par les sondages, tant que l'offre électorale n'est pas stabilisée ni les Français massivement intéressés par le suivi de la campagne, ce qui intervient généralement à deux ou trois mois du scrutin présidentiel. Il demeure que pour l'heure la candidature d'Éric Zemmour rend la situation de Marine Le Pen plus délicate, sans causer le moindre tort à Emmanuel Macron : dans les sondages actuels, celui-ci passe désormais le premier tour en première position et l'emporte au tour décisif, de manière particulièrement confortable lorsqu'il est opposé au polémiste.

    Le bloc élitaire qui s'est formé autour d'Emmanuel Macron en 2017, se divise-t-il désormais entre Macron et Zemmour ?

    Le bloc élitaire n'existe au sens strict qu'autour d'Emmanuel Macron, dans la mesure où il est formé par une idéologie progressiste se défiant du clivage entre la gauche et la droite. Il est porté par un projet libéral et europhile, dans l'acceptation de la mondialisation sous toutes ses formes. Le profil sociologique du vote Macron en 2017 comme des intentions de vote pour 2022 est avant tout marqué par une forte adhésion de la classe managériale et d'une partie des retraités. Ce n'est pas équivalent pour les intentions de vote en faveur d'Éric Zemmour, au profil relativement interclassiste mais orientées à droite. Présenté comme un atout par le candidat, cela peut constituer également à terme une faiblesse, dans le contexte de polarisation que connaît la société française, sauf à considérer que les considérations matérielles ne compteraient pour rien dans le vote. Emmanuel Macron n'a pas ce problème puisqu'il a su maintenir une vraie cohérence entre la sociologie de ses soutiens, l'adéquation de son idéologie à celle-ci, et la composition de ses équipes, où se sont fondues des personnalités issues de la gauche comme de la droite.

    Autre fait d'importance : la gauche semble toujours incapable d'accéder au second tour malgré la multiplication des candidatures à droite. Peut-elle encore espérer rassembler le «bloc populaire» ? Quel regard portez-vous sur une éventuelle candidature de Christiane Taubira ?

    Tant de choses ont été dites à juste titre sur les difficultés de la gauche que je soulignerais plutôt deux réalités plus appréciables pour elle. Tout d'abord le score cumulé des candidats qui s'en réclament s'établit à un niveau proche de celui de 2017, c’est-à-dire un peu plus du quart des électeurs. Songeons que ce n'est pas très éloigné de celui de la droite si l'on ne prend en compte que les candidats qui s'y rattachent explicitement. Pourquoi un tel maintien, pas toujours perçu ? Sans doute parce que la gauche conserve un socle sociologique qui est à la fois une garantie et une limite : celui de la dépense publique, dont les fonctionnaires constituent le noyau dur. Les facteurs culturels comptent, bien entendu, mais cette dimension prosaïque autant qu'essentielle, l'origine des revenus, conservent une importance majeure dans le choix politique. Du coup, la gauche peut toujours affectionner le mot «populaire», elle ne peut prétendre à constituer un bloc populaire, ayant notamment bien du mal à convaincre les travailleurs du privé.

    Mal à l'aise face au mouvement des «gilets jaunes», contradictoire dans sa relation à la mondialisation, la gauche se survit à travers l'exaltation de valeurs et de positions souvent bien éloignées du point d'équilibre de la société française. L'aura qui dans cette mouvance entoure Christiane Taubira illustre bien cette fuite en avant idéologique, modeste compensation à son confinement sociologique.

    Jérôme Saint-Marie, propos recueillis par Ronan Planchon (Figaro Vox, 31 décembre 2021)

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  • In memoriam...

    Les éditions Ars Magna viennent de publier un deuxième recueil d'articles de Christian Bouchet intitulé In memoriam. Docteur en ethnologie et spécialiste des mouvements spirituels marginaux, Christian Bouchet est déjà l'auteur de plusieurs ouvrages comme Aleister Crowley (Camion noir, 2011), Georges Gurdjieff - Le maître caucasien.(Camion noir, 2015),  La Wicca - Les sorcières d'aujourd'hui (Camion noir, 2016), Être païen au XXIe siècle -Druides, odinistes, wiccans, etc., voici les néopaïens d’aujourd’hui (Camion noir, 2020) ou Le devoir de mémoire (Ars magna, 2021).

     

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    " Diplômé en histoire contemporaine et en histoire des religions, Christian Bouchet publie, depuis de nombreuses années, dans divers organes de la droite radicale, des articles de vulgarisation historique.
    Il a semblé utile de les réunir en plusieurs volumes et de les proposer tant aux militants qu’aux chercheurs.
    Ce deuxième ouvrage, comme celui qui l’a précédé et ceux qui lui succèderont, est éclectique. Christian Bouchet y aborde l’histoire des marges de notre mouvance, il y traite aussi des liens que peuvent entretenir les radicaux de droite ou de gauche avec des sociétés secrètes ou ésotériques et il n’oublie pas de faire diverses révélations sur nos ennemis ou nos alliés potentiels quelles que soient leurs couleurs ou leurs religions. "

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  • L'éternel Bourgeois...

    Pour cette nouvelle édition de Cette année-là, Patrick Lusinchi, avec François Bousquet, rédacteur en chef d’Éléments, et Olivier François, chroniqueur, évoque la figure de l’éternel Bourgeois...

     

                                                  

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  • Sac de frappe...

    Les éditions Jean Dézert viennent de publier un recueil de pièces brèves de Bruno Lafourcade intitulé Sac de frappe. L'ouvrage est disponible sur le site de la maison d'édition.

    Écrivain talentueux, à la plume incisive, Bruno Lafourcade a publié ces trois dernières années, trois romans, L'ivraie (Léo Scheer, 2018), Saint-Marsan (Terres de l'ouest, 2019) et Tombeau de Raoul Ducourneau (Léo Scheer, 2019), trois pamphlets, Les nouveaux vertueux (Jean-Dézert, 2017), Une jeunesse, les dents serrées (Pierre-Guillaume de Roux, 2019), et La Littérature à balles réelles (Jean Dézert, 2021), un polar, Le Hussard retrouve ses facultés (Auda Isarn, 2019) et un recueil de chroniques,  Les Cosaques & le Saint-Esprit  (La Nouvelle Librairie, 2020).

     

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    " Il y a tant à voir, à dire, à écrire : chaque fait divers mériterait un roman, chaque visage un pamphlet, chaque mot un dictionnaire. On a donc contrarié son impuissance en écrivant, depuis 2017, des pièces brèves (saynètes, aphorismes, réflexions, portraits, parodies, paradoxes), souvent inspirées de l'actualité, de la plus tragique à la plus cocasse. Classées par thèmes (personnel, politique, écologie, féminisme, culture, terrorisme, vie littéraire, etc.), elles témoignent de la stupéfaction croissante de l'auteur devant le monde. "

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  • Novlangue & co...

    Nous reproduisons ci-dessous un article de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son site son site personnel et consacré aux "langues de pouvoir".

    Spécialiste de la stratégie et de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe enseigne à la Sorbonne et est l'auteur de nombreux essais sur le sujet, dont, récemment, La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015), Fake news - La grande peur (VA Press, 2018), Dans la tête des Gilets jaunes (VA Press, 2019) avec Xavier Desmaison et Damien Liccia, et dernièrement L'art de la guerre idéologique (Cerf, 2019).

     

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    Novlangue & co

    La plupart des lecteurs conviendront que la langue ( un système de signes a priori fait pour cela) sert à communiquer. Mais elle fait aussi intérioriser un pouvoir : utiliser certains mots, d’une certaine façon, interdit de penser ou oblige à penser.

    Parmi les langues de pouvoir, nous distinguerons trois familles (ou trois logiques principales) : la famille jargon, la famille novlangue et la famille langue de coton. Étant entendu qu’il y a énormément de mariages et cousinages entre les trois branches.

    Les jargons sont des langues spécifiques à des catégories sociales ou professionnelles. Ils permettent de se comprendre à l’intérieur d’un cercle et d’exclure les non-initiés (comme les argots dans les groupes marginaux). Globalement, un jargon sert à s’identifier à une communauté (« je maîtrise les codes »), et à faire sentir aux autres qu’ils n’en sont pas (« ils ne comprennent pas »). Il en résulte souvent, grâce à des termes ésotériques, techniques ou savants, un effet de persuasion (« puisque je ne comprends pas, ce doit être vrai »). La sidération fonde l’autorité. Et le mystère, la soumission.

    La novlangue a une origine bien précise : le génial roman d’Orwell 1984 décrit comment le pouvoir de Big Brother développe scientifiquement un néovocabulaire et une néosyntaxe. Le but est de remplacer l’ancienne langue naturelle par le newspeak. La fonction est d’empêcher la formulation de toute critique afin de produire une soumission idéologique. Pour cela, des bureaucrates suppriment une partie du vocabulaire et réassignent un sens nouveau à d’autres (le fameux « la guerre, c’est la paix, la vérité, c’est le mensonge »). L’usage révisé devient obligatoire et, dans les mots forgés par le parti, s’exprime l’adhésion à la doctrine. Toute représentation de l’histoire et de la réalité est parallèlement modifiée par les médias et les archives sont réécrites suivant la ligne politique. Le système repose sur le couple interdiction plus automaticité. Les phrases, purifiées des mots inutiles, s’enchaînent pour mener aux conclusions souhaitées. Parallèlement, la « doublepensée » permet d’assumer des contradictions évidentes. Essentiellement idéologique, la novlangue suppose un ennemi, coupable du mal par excellence : la « crimepensée », c’est-à-dire le seul fait de concevoir (et nommer) le monde autrement que Big Brother.

    « Tous les concepts nécessaires seront exprimés chacun exactement par un seul mot dont le sens sera rigoureusement limité. Toutes les significations subsidiaires seront supprimées et oubliées… La Révolution sera complète quand le langage sera parfait. »

    George Orwell, 1984.

    Certes la novlangue n’a jamais été parlée que dans le roman, mais elle se réfère à la « sovietlangue », ou langue de bois soviétique, outil historique d’une logocratie : une parole officielle formalisée et dont la répétition obligatoire s’impose à tous. Elle sert à occulter la réalité (les échecs du régime ou les contradictions de la doctrine). Elle contraint chacun à feindre de croire en un monde imaginaire où ladite doctrine fonctionnerait parfaitement. Mentionnons aussi une LTI (« lingua terti imperi », langue du Troisième Reich) nazie que s’imposaient les membres du parti. Totalitarisme et contrôle du langage entretiennent un lien évident. La recherche de la prévisibilité maximale : conformité de toute parole, même dans des échanges privés. Donc contrôle maximal des esprits qui ne maîtriseront plus de codes pour penser autrement.

    La troisième catégorie de notre typologie ne fonctionne pas par les conventions d’une minorité ou par la contrainte des autorités : elle est si consensuelle, si peu discriminante, si floue qu’il n’est plus possible de dire le contraire. Cette « langue de coton » a particulièrement fleuri à la fin des années 1980, dans les discours médiatique, politique et technocratique. Irréfutable parce que l’on ne peut pas énoncer la thèse opposée, elle dit des choses tellement imprécises ou moralement évidentes qu’il est impossible de savoir à quelle condition son message pourrait être reconnu faux tant il offre d’interprétations. On reconnaît la langue de coton à ce que ses concepts sont interchangeables. Les mêmes mots peuvent servir à parler de n’importe quoi d’autre.

    « Cela dit, dès que l’on échappe au physicalisme des rapports de force pour réintroduire les rapports symboliques de connaissance, la logique des alternatives obligées fait que l’on a toutes les chances de tomber dans la tradition de la philosophie du sujet, de la conscience, et de penser ces actes de reconnaissance comme des actes libres de soumission et de complicité. »

    Interview non parodique de Pierre Bourdieu parue dans Libération en 1982.

    En résumé, les jargons jouent sur le ressort de l’incompréhension (sens ésotérique), les novlangues et sovietlangues sur l’interdiction et la prescription (sens obligatoire) et la langue de coton par exclusion de la critique (vidée de sens).

    Politiquement correct et écriture inclusive

    Cela posé, à quoi ressemblent les langues idéologiques d’aujourd’hui ? Le lecteur se doute que nous allons répondre : un peu des trois. Mais d’autres facteurs plus récents s’ajoutent.

    Le premier est le « politiquement correct ». Dans la décennie 1980, on commence à employer l’expression aux États-Unis (vite abrégée en PC pour political correctness). Ce sont des formules et vocables qui se réclament d’une vision ouverte et moderne du monde. Elle impose de reformuler les façons anciennes de nommer certaines catégories de gens ou certaines notions. Non seulement le PC multiplie les interdits et les expressions figées (avec périphrases ridicules), mais il le fait au nom d’un impératif : ne pas offenser telle catégorie – minorités ethniques, femmes – telle forme de sexualité, tel handicap, tel mode de vie, telle conviction. Le tout pour ne pas discriminer. Des phrases sont bannies non parce qu’elles seraient fausses (rappelons que nommer, c’est discriminer, pour bien distinguer ce dont on parle de tout le reste), mais parce qu’elles provoqueraient une souffrance ou une humiliation. Elles révéleraient une domination. Le parler ancien serait plein de stéréotypes, globalement imposés par les hommes blancs hétérosexuels prospères et conservateurs. Lexique et grammaire (prédominance du masculin en français) refléteraient un rapport de pouvoir à déconstruire. Pour le remplacer par un langage convenu (par qui, au fait ?) et de nouveaux rapports de respect et de tolérance.

    Ce raisonnement repose sur trois présupposés. D’abord que ceux qui ont produit la langue jusqu’à présent (le peuple et les écrivains) ignoraient la nature oppressive de la langue et, partant, étaient complices des dominants. Seconde idée : une minorité éclairée est, elle, en mesure de déconstruire le complot séculaire et de fixer les bonnes dénominations source des bonnes pensées. Troisième postulat : imposer la pensée correcte par les mots rectifiés, c’est supprimer la source du mal, dans la tête. Cela permet de criminaliser toute critique : par les mots mêmes que vous employez, ou votre refus du PC, vous êtes du côté des oppresseurs et des abrutis. Donc vous ne pensez pas vraiment : votre tête est pleine de stéréotypes dont nous allons vous guérir.

    À un degré plus avancé, se développe l’écriture inclusive, qui, au mépris de la grammaire, impose des contorsions destinées à établir l’égalité entre masculin et féminin. Le but est que personne ne puisse se sentir mal représenté ou lésé par l’orthographe. Double bénéfice : ceux qui l’adoptent se forment au dogme et ceux qui la maîtrisent manifestent leur supériorité morale. On gagne à tous les coups : qui ne parle pas comme moi (par exemple, qui doute de la « théorie du genre ») ne pense littéralement pas, il a des fantasmes et des haines. Et comme la langue est performative (elle a des effets dans la vie réelle), il est comme responsable de quelques crimes relevant du sexisme, du patriarcat, du colonialisme.

    Amusant paradoxe : si la novlangue de Big Brother s’assume comme langue d’autorité, le politiquement correct se pare des prestiges de la critique. S’il s’impose c’est, disent ses partisans, pour nous libérer et parce que nous étions aliénés. Ce qui lui permet, en toute bonne conscience, de transformer des opinions adverses en délits. Le jour où nous parlerons comme des robots, nous serons totalement libres.

    Marqueurs progressistes et marqueurs conservateurs

    Bien entendu, la plupart des éditorialistes ou des hommes politiques ne parlent pas comme des décoloniaux intersectionnels queers. Leur discours, surtout à l’heure du « en même temps », fonctionne plus banalement avec un stock de mots éprouvés et rassurants : compétitivité, ouverture, société civile, transition écologiste, parité, décentralisation, attentes sociétales, participation citoyenne, dimension européenne, dialogue. La tendance à la standardisation se renforce avec des tics verbaux comme « être en capacité de » ou « dans une logique de dialogue ». De ce point de vue, le discours macronien n’est pas fondamentalement différent de la rhétorique progressiste libérale-libertaire typique des classes dominantes européennes. Mélangeant parler technolibéral et inévitable appel aux valeurs, il opte pour le sens le moins discriminant possible et les affirmations les plus tautologiques et morales. Le tout sous le chapeau du « progressisme », dont on croit comprendre qu’il consisterait à accorder plus de droits et de libertés à chacun dans un cadre de prospérité et de sécurité. Difficile d’être férocement contre.

    Le problème de cette néo-langue de coton est qu’elle suscite deux fortes oppositions, celle du réel et celle de couches sociales rétives au parler d’en haut.

    Une grande partie du discours des élites consiste, sinon à dire que tout va bien et qu’il n’y a pas d’alternative, du moins à faire oublier les réalités déplaisantes. D’où un code du déni. Le citoyen moyen a une idée de ce que cachent des euphémismes comme : mineurs non accompagnés, dommages collatéraux, drague qui a mal tourné, individu déséquilibré muni d’un couteau, islamiste modéré, échauffourées dans un quartier sensible, faire société, croissance négative ou restructuration de l’entreprise.

    L’autre menace pour la langue dominante serait que les dominés ne la pratiquent guère. Quiconque a fréquenté un rassemblement de Gilets jaunes a compris que l’on n’employait pas les mêmes périphrases que sur les plateaux de télévision et dans les beaux quartiers. Mais il y a plus : quand une domination idéologique recule, cela se traduit aussi par une lutte du vocabulaire. En sens inverse : de repentance à bobos, de mondialisme à immigrationnisme, d’oligarchie à extra-européen, d’islamo-gauchisme à dictature de la bien-pensance, certains termes sont devenus des marqueurs conservateurs. Autant de termes mauvais à dire et de thèmes mauvais à penser pour les tenants d’une hégémonie qui se réclame du progrès et de l’ouverture.

    Sans parler des lois contre les fake news, de la lutte contre le discours de haine, les bons esprits veulent démasquer et endiguer le discours réac paré d’un charme sulfureux anti-establishment et subversif. D’autant qu’il dénonce la censure conformiste et le totalitarisme latent des bien-pensants en un singulier retournement. Du coup, on s’inquiète de la montée intellectuelle du « national-populisme ». Comme si un certain héritage – Lumières, Mai 68, multiculturalisme – était menacé par une « révolte contre la révolte » des réactionnaires. Et comme si leur reconquête intellectuelle passait aussi par les mots.

    Certains termes agissent comme des déclencheurs. Ainsi, même en période de coronavirus et tandis que de nombreux pays ferment les leurs, le seul emploi du mot « frontière » suscite un rire méprisant et un soupçon politique (« relents identitaires » ?). Peuple, nation, dictature médiatique, élites, étranger, oligarchie, islamiste, culture, identité, sont des marqueurs dont l’emploi sur un plateau de télévision ne peut que déclencher en riposte un « mais qu’entendez- vous par là ? » ironique. La question est en réalité une mise en cause destinée à bien marquer la différence entre, d’une part, un langage totem démocratique apaisé d’ouverture qui va de soi, et, d’autre part, des termes tabous qui pourraient bien dissimuler des stéréotypes archaïsants, des arrière-pensées suspectes et le début d’un langage totalisant.

    On répète souvent la phrase de Confucius, « pour rétablir l’ordre dans l’empire il faut commencer par rectifier les dénominations », ou celle de Camus, « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». Et c’est vrai. Mais encore faut-il se rappeler que le désordre et la confusion des mots servent les détenteurs d’un pouvoir : celui de nommer ou d’occulter.

    François-Bernard Huyghe (Le site de François-Bernard Huyghe, 28 décembre 2021)

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