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europe - Page 142

  • L'Euro n'est pas sauvé !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de l'économiste Jacques Sapir, cueilli sur le site de Marianne et consacré à la crise de l'euro et de la dette européenne. Jacques Sapir a publié récemment un essai intitulé La démondialisation (Seuil, 2011) qui a rencontré un écho favorable.

     

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    Euro : pourquoi il est loin d'être sauvé

    Trop peu, trop tard !
    Dans les batailles mal préparées et tardivement engagées, ce constat sonne comme un glas quand il a cessé d’être un regret. 

    Trop peu :le Fond Européen de Stabilisation Financière a vu son montant fixé à 447 milliards d’Euros le 21 juillet. À l’époque, c’était déjà insuffisant. Aujourd’hui, alors que l’Espagne et l’Italie vont d’ici quelques semaines ne pas avoir d’autre choix que de demander de l’aide, ce sera encore plus évident. Ce sont des sommes de plus de 1000 milliards qu’il faudra alors engager.

    Trop tard : les Eurobonds (Euro-obligations) et surtout ma monétisation de la dette (le fait que les États puissent directement emprunter à la Banque Centrale Européenne) auraient pu être mis en œuvre si l’on s’y était pris à l’hiver 2009-2010. Les lecteurs de Marianne2 se souviennent sans doute de ma polémique avec Benoît Hamon en ces colonnes au début du mois d’octobre 2009. Aujourd’hui, nous allons nous heurter à l’obstacle de la Constitution allemande et à de longues négociations qui repousseront la monétisation au mieux à la fin du printemps 2012, c’est-à-dire trop tard.

    Car la situation est incontestablement grave. La déroute menace désormais sur trois fronts. 

    La Grèce tout d’abord, ou un défaut est inéluctable, et pourrait survenir dans les semaines qui viennent. L’économie Grecque est en fait à l’arrêt depuis la fin du mois d’août. Les impôts ne rentrent plus, une situation quasi-insurrectionnelle se développe et la fuite des capitaux y est intense. La chute du PIB y sera nettement plus importante que les -5,5% admis au début septembre par le gouvernement. Avec cette chute, nous aurons évidemment une chute plus que proportionnel des recettes fiscales et un déficit qui explosera.

    La contagion au Portugal, à l’Espagne et à l’Italie ensuite qui s’accélère. Le gouvernement Portugais vient d’admettre le 1er octobre que le déficit sera bien plus important que prévu. En Espagne, la montée inéluctable du taux de défaut dans les banques laisse présager une nouvelle crise bancaire et la nécessité d’une nouvelle consolidation du système financier, qui demandera beaucoup d’argent. En Italie, qui jusqu’à maintenant était capable de financer sa dette mais qui, depuis le mois d’août ne le peut plus. La raison ici en est simple. Les grandes entreprises italiennes mais aussi les déposants riches ou aisés retirent leurs fonds des banques de la péninsule pour les placer qui en dollars qui en francs suisses (au grand dam de la Banque Centrale de Suisse qui tente désespérément d’éviter une réévaluation de sa monnaie par rapport à l’Euro). Le résultat de cette défiance des riches Italiens a été de faire monter rapidement les taux d’intérêts sur la dette Italienne ; ils sont désormais supérieurs à ceux de l’Espagne et s’approchent des 6% (taux à dix ans), limite qu’ils auraient franchi si la BCE ne rachetait pas en sous-main les titres de dette tant Italiens qu’Espagnols.

    La crise des banques en France et en Allemagne enfin, dont nous voyons se développer les effets à la Bourse, où elles ont perdu plus de 50% de leur capitalisation, depuis près de deux mois. Un mensonge énorme plane sur la situation des banques. Leurs dirigeants affirment que l’exposition au risque y est limitée. C’est certes vrai pour le risque direct, encore qu’il faille y inclure les pays qui sont susceptibles d’être touchés par l’effet de contagion (ou qui sont d’ores et déjà touchés). 

    L’entêtement dans l’erreur

    Euro : pourquoi il est très loin d'être sauvé


    On voit ainsi que le risque sur les trois pays les plus exposés n’est que de 16,93 milliards, et celui sur les pays de la zone de contagion se monte à plus de 100 milliards. 

    Mais, on oublie alors de parler des assurances de crédit (les Credit Default Swaps) qui ont été achetées massivement par les banques et les compagnies d’assurances. Il est vrai que ceci ne figure pas aux bilans des banques, et peut donc être passé sous silence.

    Mais, rien que pour la Grèce, on estime de 70 à 90 milliards d’Euros le montant de ces CDS qui deviendraient exigibles en cas de défaut du pays.

    La bataille qui est menée par le gouvernement pour tenter de sauver l’Euro est une bataille perdue, il faut avoir l’honnêteté de le reconnaître. Il n’était pas inévitable qu’il en soit ainsi. Cependant, à force de nier la réalité, de vivre dans le déni, on ne s’est résolu que sur des montants trop faibles, engagées trop tardivement. Les sorties de capitaux s’accélèrent, l’Euro est tombé en quelques semaines de 1,44 Dollars à 1,34 Dollars, et elles ne sont pas – de loin – toutes le fait des fonds spéculatifs américains. La panique commence à gagner les acteurs, qu’ils soient publics ou privés, de ce drame.

    Il faut replacer cette bataille dans son contexte. Ce qui est en jeu, c’est le dynamisme économique de l’Europe (où la zone Euro a connu la croissance la plus faible depuis 2001) et le principe d’une coordination monétaire entre États européens. À s’acharner sur la défense de l’Euro, nous risquons de tout abandonner.

    S’il faut ici en appeler aux mânes des grands hommes, rappelons ce que De Gaulle disait le 18 juin 1940 : la perte d’une bataille n’est pas la perte de la guerre. Il n’y a rien d’inéluctable dans le chemin qui mène au désastre, au chacun pour soi, à la dépression ravageant nos économies et nos sociétés. Mais pour que ceci ne soit pas inéluctable, il faudra du courage.

    Faire acte de courage, c’est accepter de regarder la réalité en face. Il importe de penser un « plan B », en l’occurrence une dissolution ordonnée et coordonnée de la zone Euro qui laisse intacte certaine des institutions dont nous aurons besoin pour des accords collectifs une fois que nous aurons retrouvé nos monnaies nationales. Cette dissolution décidée de concert devrait s’accompagner de mesures communes, ou du moins réalisées par un certain nombre de pays, pour limiter la spéculation en réduisant drastiquement les mouvements de capitaux et en interdisant certaines opérations. Elle doit enfin permettre ce qui est interdit aujourd’hui, soit la possibilité pour les États de refinancer une partie de leur dette auprès de la Banque Centrale. 

    Cette dissolution s’accompagnera aussi d’une prise de contrôle des banques, qui permettra de les restructurer et d’en garantir la partie qui gère les dépôts de la population et qui fait les crédits, quitte à laisser mourir la partie engagée dans des opérations spéculatives qui ne font pas sens du point de vue d’un intérêt collectif.

    Nos partenaires doivent alors être avertis que nous mettrions en œuvre unilatéralement ces mesures si un accord ne pouvait être rapidement obtenu.

    Il est encore temps de se réveiller, de regarder la réalité et de se reprendre. Mais nos élites doivent savoir que faute de cela elles s’exposent à être balayées par une révolution citoyenne.

    Après tout, « dégage » est un mot français…

     

    Jacques Sapir ( Marianne, 3 octobre 2011)

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  • Si rien n'est fait...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien, cueilli dans Libération, avec Jean-Michel Quatrepoint vient de publier Mourir pour le yuan? (François Bourin Editeur, 2011)

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    Journaliste et économiste, Jean-Michel Quatrepoint vient de publier Mourir pour le yuan? (chez François Bourin Editeur), une analyse de la stratégie de puissance de la Chine face au déclin consenti des puissances occidentales. Il explique les profonds déséquilibres, aggravés par la crise, qui se creusent au détriment de celles-ci.

    La question du yuan est au menu des discussions du G20 à Washington. Quel est le problème avec la monnaie chinoise?

    Le yuan est la monnaie de la seconde puissance mondiale, du premier pays en termes de détention de réserves de change. Or cette monnaie n'est pas convertible: la Chine exerce un contrôle des changes pour en contrôler strictement la valeur. Le yuan est considérablement sous-évalué. De plus, depuis trente ans, la stratégie de Pékin est d'indexer le yuan sur le dollar, pour que les évolutions de ces deux monnaies soient synchronisées.

    Quels sont les avantages de cette stratégie monétaire?

    Elle permet d'attirer les multinationales sur le sol chinois. Garder la monnaie sous-évaluée permet de produire moins cher. Les Chinois se souviennent qu'en 1985, Washington avait forcé les Japonais à réévaluer le yen, tordant le cou à l'industrie japonaise. Ils ne laisseront pas la même chose leur arriver.

    Par ailleurs, indexer le yuan sur le dollar, c'est garantir aux multinationales qu'elles ne prennent pas de risques de change. En retour, la Chine demande à celles-ci de produire pour l'exportation, pas pour le marché local. C'est une stratégie géniale, un pacte gagnant-gagnant: les multinationales engrangent les bénéfices, et la Chine les excédents commerciaux. Aux dépens de l'industrie et des balances commerciales de l'Europe et des Etats-Unis, qui perdent des emplois et des capitaux.

    Quel est l'intérêt pour la Chine d'accumuler ces excédents?

    D'abord, le pays ne peut pas basculer brutalement d'un modèle mercantiliste, basé sur l'exportation, à un modèle de consommation intérieure. Ensuite, la Chine vieillit, comme l'Allemagne: dans 20 ou 30 ans, il faudra financer un grand nombre de retraites. D'où le besoin d'engranger des recettes à l'export.

    Enfin, celles-ci permettent de racheter des actifs. Par exemple des bons du Trésor américain, c'est-à-dire la dette publique des Etats-Unis. Pékin se tourne aussi de plus en plus vers des actifs tangibles: telle ou telle entreprise qui dispose d'une technologie convoitée, telle autre, point d'entrée pour un marché particulier. On s'attend aussi à une importance croissante de la Chine dans la finance.

    Quelles sont les conséquences de cette politique pour les économies occidentales?

    Elle entraîne pour l'Europe et les Etats-Unis des déficits commerciaux considérables. Non seulement les emplois, mais aussi les capitaux sont délocalisés en Asie. Les multinationales n'investissent plus en Occident. Qu'est-ce qu'il reste? Des emplois publics, avec lesquels on espère masquer l'hémorragie d'emplois marchands. Tandis que l'on fait des cadeaux fiscaux aux grandes entreprises et aux super-riches.

    Est-il impossible de faire pression sur la Chine pour qu'elle infléchisse sa politique monétaire?

    L'erreur a été de l'admettre à l'OMC, en 2001, sans lui demander de renoncer au contrôle des changes. Entre 2005 et 2008, la Chine a procédé à une réévaluation par petites touches, 1% de temps de en temps, sous la pression internationale. Avec l'arrivée de la crise, ils se sont complètement réindéxés sur le dollar. Depuis quelques mois, ils ont repris leurs petites réévaluations. Mais pour mettre le yuan à son niveau réel, il faudrait le réévaluer de 30 ou 40%. D'un autre côté, on peut comprendre les Chinois, qui ne veulent pas alimenter l'inflation par une hausse importante.

    Mais, en l'absence d'une forte demande intérieure, la Chine n'a-t-elle pas intérêt à la prospérité de ses principaux partenaires commerciaux?

    Elle est obligée à un pilotage assez fin. Mais globalement, on est à un moment où la machine économique échappe à ses acteurs. Plus personne ne maîtrise plus rien, et Pékin ne peut pas racheter les dettes de tous les Etats européens. Les Chinois se sont déclarés prêts à aider, mais c'est surtout un effet d'annonce.

    Peut-on espérer un front uni des Occidentaux sur le yuan lors du G20 de Cannes, début novembre?

    Je crains que les Européens ne soient pas unis. Le principal partenaire de la Chine en Europe, c'est l'Allemagne, qui a adopté la même stratégie mercantiliste en réalisant ses excédents sur la zone euro. Le fait que l'euro soit trop fort par rapport au yuan, les Allemands s'en fichent: ils occupent la niche du haut de gamme. Le taux de l'euro, ça joue peu quand on vend des Mercedes. C'est plutôt nous, Français, qui sommes concernés par la question. Quant aux Américains, qui seraient les seuls à pouvoir faire pression sur la Chine, ils ne remettent pas en cause son adhésion à l'OMC, par attachement au libre-échange. Ils n'ont pas compris les problèmes que pose leur déficit commercial, alors que l'Amérique s'appauvrit.

    Il ne faut donc pas trop compter, selon vous, sur les grands changements annoncés?

    Non. Les Chinois veulent que leur monnaie devienne à terme la seconde devise mondiale, voire la première. Ils ont déjà suggéré aux autres puissances émergentes de ne plus utiliser le dollar pour leurs échanges entre elles, mais une monnaie commune, et pourquoi pas le yuan...

    Que peut faire l'Europe face à cette nouvelle super-puissance chinoise?

    L'Europe à 27 est une hérésie. La France doit se mettre à table avec l'Allemagne et discuter d'une nouvelle étape de la construction européenne. Peut-on continuer à vivre ensemble, avec les compromis que cela implique? Il faut alors construire une vraie puissance européenne, avec une vraie géostratégie. Les brésiliens ont créé des taxes à l'importation, obligent Apple à produire sur place, idem pour les voitures. L'Europe doit y venir aussi.

    Pourquoi avoir titré votre livre «Mourir pour le yuan»?

    A la longue, si rien ne se passe, si on continue à accumuler les déséquilibres, comme au début du XXe siècle, l'issue sera la même: la guerre.

    Propos recueilli par Dominique Albertini

    Libération (24 septembre 2011)
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  • L'agonie de l'Euro(pe) ?...

    La superbe présentation vidéo du prochain numéro de la revue Eléments qui doit paraître le 14 octobre prochain :

    Au sommaire :

    éditorial : « Mort à crédit », par Robert de Herte.

    Entretien avec Richard Millet : l'imprécateur.

    Eros ou Agapé : amour qui prend ou amour qui donne.

    Entretien avec Jacques Vergès : "Sarkozy trahit la France !"

    Le combat des idées : Tintin à Hollywood : un mariage contre-nature ?

    L’addictature ou l’impossible révolte.

    Dossier : L’agonie de l’euro(pe) !

     

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  • L'agonie de l'Euro(pe) ?...

    La superbe présentation vidéo du prochain numéro de la revue Eléments qui doit paraître le 14 octobre prochain :

    Au sommaire :

    éditorial : « Mort à crédit », par Robert de Herte.

    Entretien avec Richard Millet : l'imprécateur.

    Eros ou Agapé : amour qui prend ou amour qui donne.

    Entretien avec Jacques Vergès : "Sarkozy trahit la France !"

    Le combat des idées : Tintin à Hollywood : un mariage contre-nature ?

    L’addictature ou l’impossible révolte.

    Dossier : L’agonie de l’euro(pe) !

     

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  • Ce n’est pas un complot, c’est la stratégie !...

    Nous reproduisons un excellent point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site Regards sur le renversement du monde, dans lequel il appelle les Européens à exercer leur souveraineté à combattre l'intolérable entreprise d'hégémonie des Etats-Unis...

     

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    Ce n’est pas un complot, c’est la stratégie !

    « L’Europe est devenue un protectorat des Américains » - Hervé Morin, ancien Ministre de la Défense (cité par le général Desportes, dans Le Débat – Gallimard – Septembre 2011)

    De l’affaire DSK au krach bancaire et boursier actuel, la théorie du complot nous est resservie à toutes les sauces et sur tous les tons. Le problème n’est pas qu’il ne puisse y avoir ici et là, action concertée pour obtenir un avantage indu ou créer une situation profitable. Le problème est que la théorie du complot fait manquer l’essentiel.

    Les faits sont là. Les attaques contre la crédibilité des Etats les plus endettés de l’Union européenne ont débuté le mois même où les émissions en euro, dans le monde, dépassaient les émissions en dollars. Depuis un an, de FoxNews au Wall Street Journal et du Financial Times à The Economist, toute information de nature à effrayer les investisseurs et les opérateurs au sujet de l’Europe a été délibérément et démesurément grossie, telles ces photos savamment travaillées pour donner l’impression que les anodines manifestations à Athènes tournaient à la guerre civile, ou encore la décision de Siemens, en juillet, de réduire ses engagements auprès de telle ou telle banque française, publiée dans la semaine du 16 septembre comme un scoop ! Internet a servi à propager efficacement des rumeurs, des bruits de marché, des informations invérifiables, toutes visant successivement telle ou telle banque française, telle ou telle alerte sur les dettes publiques – et dont plusieurs font l’objet d’une instruction en justice. De manière plus discrète, les actions hostiles aux gouvernements qui avaient décidé de ne plus utiliser le dollar dans leurs transactions commerciales se sont multipliées, visant le Venezuela, la Bolivie, l’Iran, le Salvador, etc. dans une incompréhension totale de l’Union européenne, aveuglée par la propagande des Américains et de leurs alliés. De manière tout à fait ouverte au contraire, l’exploitation de la dégradation du rating de deux banques françaises et l’obscur débat sur leur recapitalisation ont permis de créer une situation aberrante, mais proche de l’irréversible, non sur les maillons faibles, mais au cœur même du système bancaire français et européen.

    Les faits sont là, et devraient suffire à invalider la théorie du complot. Ce ne sont pas les gnomes de Wall Street ou les manipulateurs de Goldman Sachs qui sont en jeu, c’est l’intérêt national américain ! L’aveuglement européen, la complaisance des institutions européennes, voire la complicité des eurocrates, ont pour simple et directe explication le déni de l’intérêt national, de la préférence nationale, et des enjeux nationaux dont les partisans de  l’Union se sont fait une doctrine ! Seuls dans le monde, les Français, et les Européens de Bruxelles, n’osent pas affirmer tranquillement qu’ils se battent pour la France et les Français, pour l’Europe et les Européens, que leurs intérêts passent avant ceux de tous les autres, et que la défense des intérêts qu’ils reconnaissent comme vitaux passe avant tout – avant toutes les doctrines, toutes les amitiés et surtout, avant les intérêts de tous les autres ! Chinois, Américains, Russes, comme tant d’autres, ont assez prouvé quelle conception exigeante ils avaient de leur intérêt national, et combien peu ils s’interrogeaient sur les moyens de le faire prévaloir !

    Les circonstances sont claires ; la position hégémonique des Etats-Unis ne repose, pendant combien de temps, que sur deux points ; le dollar et les armes. Le soft power européen, la capacité à édicter des normes universelles, la diversité interne des peuples européens, exercent dans le monde une attraction qui balance le rêve américain. La prospérité de la classe moyenne européenne fait de l’Europe le premier marché du monde. Le savoir-faire industriel de l’Europe, de l’Allemagne en particulier, fait des infrastructures de marché ( clearing and settlement, chambres de compensation, gestion des titres ) les plus performantes au monde. Le savoir mathématique des Européens, des Français notamment, fait d’eux les maîtres des marchés dérivés. Et l’euro menace de faire jeu égal avec le dollar, donc de lui retirer l’exorbitant privilège d’émettre de la monnaie sans aucun coût, puisque le reste du monde continue d’accepter le dollar pour tous ses échanges ! Et certaines banques européennes menaçaient le privilège de la haute banque anglo-américaine, et pouvaient même avoir quelques velléités de ne pas respecter les embargos et les interdictions par lesquels les Américains et leurs alliés entendent ramener à l’âge de pierre, de la famine et des tribus, ceux qui osent défier leurs intérêts ! La percée bancaire et financière de l’Europe menace les Etats-Unis et la City d’un 11 septembre bancaire et financier ! Des banques européennes ont eu le courage de continuer à travailler avec Cuba, avec la Russie, avec Madagascar ou la Syrie ; qu’elles tombent ! Le pouvoir d’achat – non, la capacité à s’endetter – du consommateur américain est en jeu, comme la capacité des Etats-Unis à décider qui sont les bons, qui sont les méchants, selon leurs intérêts, ou l’idée qu’ils s’en font ! Des banques sans capacité à recruter et à investir, des systèmes soumis à l’espionnage permanent des Américains, comme l’exemple de Swift ou du transport aérien l’a montré, voilà l’ordre rétabli et la police américaine rétablie dans sa colonie européenne !

    La situation est claire, et demande distance et modération. Les Etats-Unis, pas plus que la Chine ou la Russie, ne sont l’ennemi de l’Europe. Mais la situation née de la  colonisation américaine de l’Europe de l’Ouest effectuée depuis 1944 n’a pas connu l’issue de la colonisation soviétique de l’Europe de l’Est ; le Mur de l’Est est tombé, le Mur de l’Ouest n’est pas tombé. Il suffit pour apprécier la situation de suivre les ingérences permanentes, multiples, devenues naturelles, des ambassades, des agences et des représentants américains en Europe, depuis les actions en banlieue d’un ambassadeur des Etats-Unis à Paris, M. Charles Rivkin, qui se croit autorisé à promouvoir un multiculturalisme que refusent les Français, sans être convoqué pour rendre des comptes, jusqu’à l’incroyable présence de M. Timothy Geithner au sommet polonais des Ministres des finances de l’Union, venus écouter la leçon du faux monnayeur !

    Nous sommes face à un intérêt stratégique américain contraire à notre intérêt stratégique. Nous ne sommes pas seuls. D’autres partagent nos préoccupations, au nom de leur propre intérêt national ; et pas seulement la Chine. Le meilleur allié de l’Union européenne est l’aversion universelle que suscite la fuite en avant des Etats-Unis et, désormais, la peur qu’elle inspire. Nous ne manquons pas d’outils. Derrière la notion de criminalité organisée, maintes actions des banques ou des intermédiaires américains méritent l’attention, l’enquête, et la sanction, notamment l’interdiction d’exercer sur le territoire européen et la saisie de leurs actifs. Ce sont là certes des « warlike measures ». Révélés par Wikileaks, ce sont les termes mêmes qu’employait l’ambassadeur des Etats-Unis pour qualifier les mesures qu’il préconisait pour ouvrir de force la France aux OGM. Elles ne seront pas de trop. En la matière, la réciprocité est un principe sain de l’amitié durable entre les peuples.

    Hervé Juvin (Regards sur le renversement du monde, 26 Septembre 2011)

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  • Tour d'horizon... (14)

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    Au sommaire :

    - sur De Defensa, Philippe Grasset nous donne une analyse pénétrante de la décision stratégique prise par Poutine et Medvedev pour la présidentielle de 2012 en Russie...

    Poutine - Medvedev : 2012 est déjà là...

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    - sur Causeur, le candidat le plus percutant de la primaire socialiste, Arnaud Montebourg, donne quelques précision sur sa vision de la mise en pratique de l'idée de démondialisation...

    « En Europe, nous sommes à la fois naïfs et dogmatiques »

     

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