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europe - Page 144

  • L'agonie de l'Euro ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un article de Jacques Sapir, cueilli sur le site de L'Observatoire de l'Europe et particulièrement pessimiste quant à l'avenir de l'Euro. Jacques Sapir a publié en début d'année, aux éditions du Seuil, un essai percutant intitulé La démondialisation, qui a permis d'ouvrir le débat sur la possiblité d'une autre politique économique...

     

    L’agonie de l’Euro

     

    L'agonie de l'Euro

    La crise de l’Euro est désormais entrée dans sa phase terminale, comme cela a été prévu à la fin de 2010. La crise actuelle est appelée à s’aggraver, rythmée par le défaut de la Grèce (octobre ou novembre), le déclenchement de la crise Espagnole et une crise bancaire généralisée dans les pays de la Zone Euro. Le temps de la crise s’impose désormais aux politiques. Les conditions de gouvernance de la zone Euro sont clairement inadaptées, mais les conditions de réformes de cette dernière sont incompatibles avec la temporalité de la crise. Nous sommes donc face à l’agonie de l’Euro.

     
     
    I - La crise de la zone Euro connaît depuis ces dernières semaines une accélération dramatique.
     
    Celle-ci apporte le démenti le plus cinglant aux attitudes de déni de réalité dans lesquelles les responsables français, de la majorité comme de l’opposition, se sont pour la plupart enfermés. Désormais nous sommes en présence de la situation suivante :
       
    1. La crise grecque a pris une tournure clairement incontrôlable.Un défaut de ce dernier pays ne peut plus être évité. Il peut seulement être retardé. Il peut survenir à partir du mois d’octobre 2011, même s’il est encore probable qu’il se produira entre novembre et décembre 2011. Ce défaut ne fait sens que si la Grèce sort de la zone Euro, ce qui pourrait survenir soit immédiatement soit dans un délai de 6 à 8 semaines après le défaut. Les conséquences sont alors les suivantes :
      1. La crise Grecque impose de fournir de 2012 à 2019 de 340 à 380 milliards d’Euros à ce pays, et ceci sans tenir compte d’une possible aggravation de son déficit et des besoins d’autres pays qui sont estimés à plus de 1000 milliards.
      2. Ce défaut est déjà clairement anticipé par les principales banques européennes. Mais le processus de transmission des « mauvaises dettes » à la BCE est loin d’être achevé.
      3. L’Allemagne a d’une certaine manière déjà « acté » de la sortie de l’Euro par la Grèce comme le montre le plan de soutien pour ses propres banques.
      4. Il est clair désormais que dans un certain nombre d’établissements bancaires européens on se prépare à la fin de la zone Euro. Les positions qui seront prises dans les jours qui suivent pourraient avoir des effets cumulatifs.
    2. Avec le défaut et avant la sortie de la Grèce de la zone Euro, la spéculation se déchaînera contre le Portugal, l’Irlande, l’Espagne et l’Italie (et peut-être la Belgique). Elle se combinera avec une crise sociale grave en Espagne liée à l’interruption des allocations chômage pour une partie des chômeurs arrivant en fin de droit. Cette crise obligera l’Espagne à demander l’aide du Fond Européen de Stabilisation Financière (FESF) pour des montants excédant largement ce qui est pour l’instant prévu.
      1. Hors la Grèce, les besoins à court terme (2014) peuvent être estimés à 90 milliards pour le Portugal, 50 milliards pour l’Irlande, de 250 à 300 milliards pour l’Espagne. C’est donc un total de 390 à 440 milliards d’Euros qu’il faudra fournir pour les pays déjà en difficulté.
      2. Ce calcul laisse dans l’ombre le fait qu’avec l’aggravation de la spéculation, l’Italie et la Belgique devraient dès le début de 2012 demander une aide supplémentaire.
      3. Par ailleurs le rythme de la crise en Espagne est aujourd’hui imprévisible. Si une accélération se produit, les sommes nécessaires augmenteront en conséquences.
    3. La combinaison de (1) et (2) a déjà été partiellement anticipée par les marchés depuis début août et a entraîné une chute dramatique et spectaculaire de la capitalisation des banques européennes. La chute de la capitalisation des banques européennes aura des conséquences importantes à court terme :
      1. La nécessité d’une recapitalisation de ces banques va se faire jour à très court terme. Elle sera massivement impopulaire dans tous les pays en raison du précédent de 2008.
      2. La crise mettra en évidence le caractère largement factice des « stress-tests » conduits au printemps dernier et qui excluait tout défaut sur la dette souveraine d’un État membre. Les sommes nécessaires, en dépit des dénégations des ministres, pourraient bien être supérieures à 200 milliards d’Euros.
      3. En France, il faut s’attendre à une dégradation de la note des banques qui précèdera celle de l’Etat.
      4. Le risque d’un run bancaire ne peut plus être totalement écarté. Il pourrait nécessiter une nationalisation de l’ensemble du secteur bancaire.
    4. On assiste désormais à un phénomène de fatigue de l’Euro, qui se caractérise par :
      1. Une incapacité des gouvernements à trouver des solutions qui soient à la fois communes et efficaces.
      2. Un sentiment qui gagne l’opinion et les gouvernants, en dépit du déni de réalité qui prévaut encore, comme quoi la bataille est perdue.
      3. Une opposition croissante entre les pays de la zone Euro sur les solutions tant présentes que futures.
     
     
    II - Cette situation va conduire à un enchaînement rapide dans les mois qui viennent, enchaînement qui va rendre obsolète un bon nombre de positions politiques.
     
    Le véritable défi qui est posé à la classe politique consiste à être capable d’anticiper les événements et de réagir en conséquence.
     
    1. L’Euro, dans sa forme actuelle est condamnée. Les moyens évoqués pour stabiliser puis résorber les déséquilibres tant conjoncturels (comme la hausse rapide du poids des dettes souveraines) que structurels (le déficit de croissance avec le reste du monde développé, le phénomène d’euro-divergence entre les pays) sont aujourd’hui soit insuffisants soit politiquement impossibles.
      1. Les Eurobonds. Cette idée est désormais dépassée. L’émission de titres de dettes englobant les pays à risques et les pays réputés « sains » aurait un taux d’intérêt prohibitif.
      2. La monétisation des dettes. Une monétisation des dettes pourrait être faite par la BCE directement en faveur des États et non comme aujourd’hui en rachetant aux banques des titres publics. Mais un certain nombre de pays de la zone Euro s’y opposent.
      3. Une stabilisation volontariste de la dette. Outre qu’elle semble largement impossible dans de nombreux pays, si cette politique était appliquée, elle plongerait la zone Euro dans une profonde dépression que recréerait de la dette par disparition des ressources fiscales.
    2. La poursuite de la politique actuelle tentant de sauver l’Euro va provoquer d’ici quelques mois une grave crise dans les relations franco-allemandes. L’opposition entre les deux pays est désormais systématique. La Chancelière, Mme Merkel, est aujourd’hui politiquement affaiblie et ne peut, sans se suicider électoralement, faire accepter à l’Allemagne l’ampleur de la contribution nécessaire. Cette dernière est estimée à 2% du PIB par an pendant 7 ans en transferts fiscaux et 4% du PIB par an et sur la même période en charge d’emprunts supplémentaires. Il faut donc décider aujourd’hui ce qui est le principal, la « survie » de l’Euro au prix d’un affrontement permanent entre les deux pays, qui risque in fine de compromettre son objectif, ou de bonnes relations entre les deux pays.
    3. Les conséquences sur la France de cette politique risquent d’être dramatiques.Non seulement la contribution que notre pays devra verser, directement ou indirectement, sera lourde, mais les conséquences combinées sur la croissance d’une politique d’austérité draconienne et d’un taux de change surévalué nous condamneront à une longue période de récession et à une accélération du processus de désindustrialisation que nous connaissons déjà.
    4. L’Euro importe moins que le principe de coordination monétaire.Plus que l’Euro, c’est le principe d’une coordination des politiques monétaires qu’il faut sauver. Si des dévaluations sont inévitables, il faut les accepter mais faire en sorte qu’elles ne sortent pas d’un cadre pré-établi. Pour cela, il importe de limiter les espaces de spéculations en contrôlant les mouvements de capitaux et en interdisant un certain nombre d’opérations sur les marchés. Ces mesures auraient du être prises dès le début de la crise en 2008. Il faut tirer les leçons de pourquoi il n’en fut rien et comprendre qu’une gouvernance active n’est pas possible avec un grand nombre de pays. C’est pourquoi il faut accepter de passer du principe de coopération (dont le meilleur exemple est la monnaie unique) au principe de coordination et à terme soit faire évoluer l’Euro, soit le recréer comme une monnaie commune.
     
    L’agonie de l’Euro peut durer de six à dix-huit mois.
    Ses conséquences politiques peuvent être dramatiques tant à l’intérieur de chaque pays (et des élections sont prévues dans de nombreux de ces derniers en 2012 et 2013) qu’au sein de l’Europe.
    Dans la situation actuelle, la meilleure des solutions consisterait en une dissolution de la zone qui permettrait de mettre en avant immédiatement les institutions nécessaires à une transition ordonnée. À défaut d’une telle solution, il convient de se prémunir contre les effets les plus néfastes de cette agonie en prenant les mesures unilatérales de sauvegarde qui ont été détaillées dans des documents ultérieurs et, le cas échéant, en sortant de l’Euro.
     
    Jacques Sapir (Observatoire de l'Europe, lundi 12 Septembre 2011)
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  • Sauver la Grèce ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, publié sur son blog, Regards sur le renversement du monde,  consacré à la Grèce... Faut-il laisser choir ce pays ? le soutenir ?... Une chose est certaine, comme le souligne au final l'auteur, il y a un choix politique à faire : il faut décider ! On recherche d'urgence des hommes (ou des femmes) d'Etat...

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    Grèce

    Sauver la Grèce ou sauver l’Europe ?…

    Vous venez de payer 500 euros pour les Grecs !…

    Pas du tout, c’est 15 milliards d’euro que la France donne aux Grecs – soit la quasi-totalité de l’augmentation d’impôts et de taxes votée le 8 septembre dernier….

    … puisque moins d’un ménage sur deux paie l’impôt, c’est juste 1.000 euros que chaque ménage imposé vient de donner aux Grecs !

    … et d’ailleurs, les avoirs de Grecs en Suisse s’élèveraient à 200 milliards d’euro, soit exactement le montant des aides ( fons structurels, etc.) versés par l’Union à la Grèce depuis vingt ans !

    … les chiffres courent, vérifiables ou non, l’opinion s’agite, la défiance monte.

    Pourquoi ne pas dire la vérité sur les chiffres, sur les scénarios, et pourquoi refuser que les Français, et les Européens avec eux, en débattent ?

    Les montants qui circulent représentent, ou veulent représenter, la contribution des Français aux prêts ( sous un nom ou sous un autre ) que l’Union européenne accorde à la Grèce. Un prêt se rembourse, il rapporte un intérêt, et cet intérêt peut être profitable au créancier ; contrairement à ce qui est généralement dit ou sous-entendu, les prêts accordés aux banques françaises lors du gel du marché interbancaire de 2008 ont été remboursés, la plupart de manière anticipée, avec des vrais euros, et ont rapporté de l’argent à l’Etat !

    La question semble évidente ; la Grèce va-t-elle rembourser

    J’ai récemment fait part de ma conviction ; non. Non sans nouveaux prêts, non sans nouvelles aides, et pour parler clair, non sans nouveaux dons. Il n’existe aucune chance que même une austérité appliquée, des impôts recouvrés et une croissance robuste permettent à la Grèce de rembourser plus de… 20 % ou 30 % de sa dette – risquons un chiffre. Et j’ai aussi écrit que les Grecs n’avaient rien fait pour mériter ces aides et notre solidarité. Que les Grecs commencent par s’aider eux-mêmes, c’est-à-dire lever l’impôt, reconstruire une économie, bâtir une Nation, et on verra.

    Le seul problème est la Grèce pourrait bien sauver l’Europe ! Tout simplement parce que si la Grèce, faute de soutien fait défaut, chacun sait déjà que les acteurs du marché en tireront pour première conséquence que l’Italie aussi, que l’Espagne aussi, et pourquoi pas la France aussi, vont faire défaut, ou peuvent faire défaut, et vont engager toutes leurs forces pour que l’un après l’autre les mâillons de la chaîne sautent. Le scénario est écrit, et il suffit de regarder le marché des CDS pour constater qu’il se met en place. Et c’est un scénario… à combien de milliards de dollars la prime pour ceux qui auront abattu l’euro ?

    C’est un argument du soutien inconditionnel et illimité à la Grèce qui se résume ainsi ; il ne sera jamais trop coûteux d’aider un pays qui représente moins de 2 % de l’Union, si le défaut de la Grèce entraînait une menace de défaut, donc un besoin d’aide inconditionnel, sur des pays qui représentent 8 %, 10 %, 15 % de l’Union !

    Entre la décision par la morale et la décision par l’intérêt bien compris, le débat n’est pas, ne peut pas être technique. La question est simple ; est-ce à la BCE, est-ce au Conseil des Ministres, est-ce aux Européens de trancher ?

    Le dossier n’est pas si complexe qu’il ne puisse être partagé, expliqué, mis en débat. Et le débat n’est pas si obscur qu’il ne puisse faire l’objet d’un choix des Européens. Nous en sommes au point où les décisions techniques, dans l’obscurité des cabinets ou des institutions, de toute façon manqueront leur objet parce que la volonté collective ne les porte pas, parce que le projet européen n’y est pas, ce projet qui sera celui des peuples d’Europe ou ne sera pas.

    De toute manière, l’Union européenne n’échappera pas au débat populaire quand elle comprendra que pour se construire, elle doit d’abord se séparer de ce qui n’est pas elle. La question de la frontière, de la séparation et du lien, avec la Turquie comme avec Israël, avec le Maghreb comme avec l’Afrique subsaharienne, avec la Russie comme avec l’île britannique, est de celles qui ne s’évitent pas. Elle n’évitera pas non plus le débat sur l’unité interne entre ceux qui en sont, et l’écart avec ceux qui n’en sont pas. Le cadeau de la Grèce à l’Europe pourrait bien être de rapprocher l’échéance d’un débat dont seuls les peuples d’Europe diront le dernier mot. Comme savent le dire les (bons ) conseillers en gestion à leurs clients: « votre choix sera le meilleur, puisque c’est le vôtre. Il n’en est pas de pire que de ne pas choisir».

    Hervé Juvin (Regards sur le renversement du monde, 12 septembre)

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  • Vers une redistribution du pouvoir ?...

    Dans cette chronique, mise en ligne sur Realpolitik.tv,  Hervé Juvin souligne l'urgence de la mise en place d'une politique de protection des actifs stratégiques des champions nationaux et européens, sous peine d'une redistribution des pouvoirs au niveau mondial...

     


    Hervé Juvin : valse du prix des actifs, vers une... par realpolitiktv

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  • Quelles guerres après Oussama ben Laden ?...

    Les éditions Plon viennent de publier un court essai de Xavier Raufer intitulé Quelles guerres après Oussama ben Laden ?. Criminologue réputé, l'auteur appelle les Européens à prendre conscience des vraies menaces que sont le crime organisé et la multiplication des zones grises propices à l'hybridation politico-mafieuse... Un ouvrage percutant et rapide à lire.

     

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    "Voilà Oussama Ben Laden éliminé. Depuis deux ans d'ailleurs, son courant islamiste jihadi, naguère encore capable des pires attentats, était discrédité dans tout le monde musulman. En matière de sécurité globale, quelles menaces, quels conflits désormais ? Le problème est grave, car l'Europe identifie mal ses ennemis. Or les combattre suppose de les connaître : comment préparer la défense de demain si l'on ignore tout de ceux qu'il faudra affronter ? Alors que, aujourd'hui, l'ennemi ne va plus de soi et que bandits et terroristes mutent et s'hybrident toujours plus, à l'heure où s'accroît la mondialisation criminelle, ce livre répond précisément à ces questions, grâce à l'apport croisé de la géopolitique et de l'expertise criminologique."

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  • Eléments pour la civilisation européenne !

    “La lutte de l’avenir n’opposera plus la droite et la gauche, le socialisme et le libéralisme mais les forces identitaires d’enracinement qui défendent la cause des peuples – de tous les peuples…”

    Alain de Benoist

     

     

     

    La revue Eléments est à la pointe du combat pour la civilisation européenne depuis près de 40 ans !

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  • Les héros ne sont pas fatigués !...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte d'Alain de Benoist, publié en novembre 1978 dans le Figaro magazine et consacré à l'idéal héroïque.

     

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    LES HEROS NE SONT PAS FATIGUES

     

    La guerre de 1914-1918 : vingt-et-un million de morts. La Seconde Guerre mondiale : au moins quarante millions. Les hécatombes peuvent inspirer des sentiments divers. Tout dépend des valeurs auxquelles on se réfère. Tous les hommes tombés à la guerre n’étaient certes pas des héros. Tous n'étaient pas partis au front pour « se faire une âme », comme dit Montherlant. Mais leur sacrifice collectif n’en est pas moins une leçon d’héroïsme. Les faits, après tout, prennent leur sens selon la perspective dans laquelle on les place. Et dans notre histoire, l'héroïsme, forme d'exemplarité poussée jusqu’à ses dernières limites, a pendant des siècles été constamment admiré. Qu'au pays de Voltaire, il y ait aussi des esprits hypercritiques pour en sourire, tant pis ! L'ironie est la forme française de l'impuissance.

    Ce qui distingue le héros du marchand, disait Werner Sombart, c'est que le premier cherche toujours ce qu'il peut donner à la vie tandis que le second recherche ce qu'il peut en retirer. Le héros, cependant, retire lui aussi quelque chose de ses actes. Il en retire une certaine conformité à l'idée qu'il se fait de lui-même, en même temps qu'un agrandissement de soi. Chez le héros, le Moi de la conscience n'étouffe jamais complètement le Moi vital. Tout héros pense comme Goethe : au début était l'action. Les récits héroïques sont essentiellement dynamiques : jaillissements permanents d'expressions et d'images. Dans un monde toujours inapte à totalement satisfaire, l'acte d'héroïsme apparaît comme une révolte. Le héros, par ses actes, cherche à se donner une forme, à se donner une âme, à passer du statut d'individu à celui de personne. Soumis à la fatalité, il la défie pourtant. Et par cette contradiction, il se transfigure, se dépasse et s'atteint en même temps.

    L'héroïsme n'est pas seulement un don de soi. La liberté pour mourir est aussi une liberté pour vivre – sous-tendue par les mêmes raisons. Ainsi que l'a remarqué Philippe Sellier (Le mythe du héros, Bordas, 1970), l'acte d'héroïsme traduit fondamentalement un « désir d'être dieu ». Il n'y a pas de transformation du monde qui ne repose d'abord sur un dépassement de soi. Le héros constitue un trait d'union incessant entre des dieux et des hommes qui se sont mutuellement conçus à leur image. Le héros n'est pas un homme-dieu, mais un demi-dieu, un homme divin : « le divin Achille », répète Homère. Tout homme qui se dépasse participe lui aussi de la divinité, devient porteur d'une étincelle divine. L'abondance des héros dans l'antiquité gréco-romaine et celto-germanique va de pair avec la multiplicité des dieux.

    Achille, Hector, Enée, Léonidas, Goliath, Siegfried, Heraklès, Roland, Rodrigue, Arthur ou Lancelot : dans une certaine mesure, la vraie religion de l'Europe, c'est ce « culte des héros » évoqué par Carlyle au siècle dernier, dans un ouvrage (Les héros. Le culte des héros et l'héroïque dans l'histoire, 1840) qui s’employait à tracer une trajectoire depuis Odin jusqu'à Napoléon. L'histoire universelle, disait Carlyle, repose sur des « biographies de héros ». C'est que l'exemplarité de ses « travaux » fait du héros une figure populaire, une figure qui parle immédiatement à un peuple dont elle incarne les aspirations inconscientes et les sentiments collectifs. L'épopée antique, dont Georges Dumézil, élu tout récemment à l'Académie française, a montré toute l'importance dans le développement des cultures indo-européennes (Mythe et épopée, 3 vol., Gallimard, 1968-77), n'est rien d'autre que l'expression d'une structure mentale axée sur des valeurs héroïques.

    On connaît la fraternité des anciens combattants. Seule l'adhésion aux valeurs héroïques permet d'éviter le moralisme totalitaire, car seule elle permet d'estimer l'adversaire par-delà ce qui peut séparer de lui. Il fut un temps où l'on ne se battait bien que contre ceux qu'on estimait : telle fut l'origine du duel. D'où la notion de « fraternel adversaire » : séparés par des idées ou des frontières, des hommes se reconnaissent lorsqu'ils adoptent le même style, se rallient aux mêmes valeurs. Un ennemi reste un frère quand il vit au même niveau que nous. Quand Achille tue Lycaon, il lui dit : Alla, philos !, « Meurs, ami ! » Ce sont les idéologies modernes, prenant le relais des anciennes religions dogmatiques, qui ont exigé qu'on haïsse l'adversaire. Comment aurait-on pu, sans cela, être pacifiste et se battre ? Pour combattre des hommes quand on se déclare « humaniste », il faut leur dénier leur humanité, les réduire au statut de « non-hommes » : dès lors, contre eux, tout est permis.

    L'Europe a fait sien pendant des siècles le mot de Sénèque : « Vivre est le fait d'un guerrier ». Mais l'héroïsme déclenchait déjà les sarcasmes de Pascal et d'Augustin. Aujourd'hui, à nouveau, on semble ne plus croire aux « grands hommes » – quitte à se dire disciples de Marx, de Freud ou de Mao. Ce n'est d'ailleurs pas un mince paradoxe que le socialisme ait si souvent rencontré l'idéal héroïque, alors que l'esprit petit-bourgeois l'a toujours dédaigné : le désir de sécurité à tout prix a gommé l'esprit héroïque plus sûrement que les révolutions, qui l’ont au contraire entretenu.

    Ce n'est probablement qu'une apparence. L'héroïsme répond à un besoin éternel de l'âme européenne (et de ce point de vue, l'hostilité moderne au héros dissimule d'évidence une hostilité plus générale à un système de valeurs spécifiquement européen). Bachelard rappelait que « l'imagination est toujours jeune ». Drieu La Rochelle et Romain Rolland, Saint-Exupéry et Malraux ont continué en ce siècle d'exalter la grandeur. Non, les héros ne sont pas fatigués, c'est le monde qui s'est provisoirement lassé d'eux. Les demi-dieux se sont réfugiés dans l’inconscient des peuples, dans l'imagination populaire. Ils attendent leur heure, sûrs de leur retour, comme les chevaliers d'Arthur dans les brumes d'Avalon – l'« île des pommes » de la légende celtique – ou ceux de Barberousse dans les forêts sauvages du Kyffhäuser. 

    Alain de Benoist (Le Figaro Magazine, 10 novembre 1978)

     

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