Nous reproduisons ci-dessous le point de vue souverainiste européen de Philippe Milliau, cueilli sur Novopress, à propos de la crise grecque et de ses rebondissements.
Les deux Grèce
La première, dont ne parle pas ou plus assez, la Grèce antique, berceau des humanités, de la philosophie, des sciences, des rythmes culturels et religieux européens avec les récits d’Homère ; la mère, la bonne mère de notre magnifique et parfois contradictoire civilisation.
Quoi de plus beau qu’une prière sur l’Acropole, au centre de cet ensemble architectural et sacré inégalé, face au soleil invaincu ? Oui, il faudra de nouveau apprendre aux lycéens de chez nous le rôle fondateur de cette Grèce là pour ce qu’ils sont,ce que leurs pères étaient, et ce que leurs fils seront.Et puis la seconde dont on parle trop, beaucoup trop au moment présent. Issue des périodes tragiques du second conflit mondial,prolongé par une guerre civile atroce (près d’un grec sur dix y périt), puis du régime dit« des colonels », son entrée dans la communauté européenne fut une récompense, un paquet cadeau ; était elle prête à recevoir le cadeau ?
Bien sûr que non ; instrumentalisée par les Anglo Saxons depuis 1941, c’est comme par un extraordinaire hasard sans doute que ses comptes macro économiques furent maquillés avec la complicité de la trop célèbre banque Goldman Sachs ; c’est cette consciente tricherie qui lui permit d’intégrer la monnaie unique.
Ce furent aussi plus de 100 milliards de fonds communautaires dilapidés en quelques années, une classe politique en dessous de tout, une évasion hors du pays de toutes les vraies fortunes, une administration fiscale incapable de percevoir l’impôt sur les particuliers comme sur les entreprises. Une montée en flèche des déficits publics, de la dette publique alors même que l’Euro apportait au pays d’incroyables facilités (trop sans doute).L’on sait la suite : ce pays tiers mondisé renoue avec l’anarchie politique et sociale.
Parlons vrai
Qui gagne dans l’affaire en cours ? Les U S A qui, focalisant l’attention sur la Grèce font oublier leurs collectivités locales en banqueroute les unes à la suite des autres, ainsi que leur situation globale, bien plus périlleuse encore que celle de l’Europe. Les grandes fortunes qui ont quitté un pays « dangereux » pour elles pour s’abriter dans des paradis fiscaux qu’il faudra bien reconquérir. Les spéculateurs qui en profitent pour prêter à des taux pharaoniques (un comble pour des grecs !) tout en se couvrant par des assurances ad hoc. Politiquement la Grèce parait donner raison aux tenants du souverainisme étriqué, celui de l’impossible recours aux états nations alors que nous sommes à l’ère des nations continents.
Qui va perdre ? Le peuple grec, c’est certain, quelle que soit l’issue ; l’Europe entière qui va devoir payer, contribuables en tête.
Quel est le risque majeur ? La spirale de la fin de l’Euro, de l’éclatement de l’Europe, un nouveau champ de ruines économiques, morales, politiques, sociales et pourquoi pas un jour militaire sur notre terre d’Europe.
Deux choix sont cohérents, mais chacun comporte des conditions amères :
Choix No 1 : nous, européens divorçons avec la Grèce. Retour à la drachme, fin aussi de la présence dans l’Union. Une certitude de perte de la quasi-totalité de nos créances, mais la fin du fardeau. Pour les Grecs, une faillite complète, un redémarrage à quasi zéro, avec la « chance » du tourisme : la Thaïlande au mieux, Cuba au pire…. Et une misère considérable pendant des décennies. Et qu’on ne vienne pas nous parler d’Argentine et de son redressement comme modèle : c’est confondre la crise de la dette et celle de la monnaie. L’Argentine avait un problème : sa dollarisation, pas sa dette, pas sa croissance.
Choix No 2 : plan de sauvetage sur plan de sauvetage. Peut être une chance ; deux conditions nécessaires, la mise sous tutelle du pays avec une européanisation des systèmes fiscaux et sociaux, mais aussi une taxation de la spéculation, un rapatriement des capitaux. Le peuple grec paiera dans la douleur ; on ne peut pas lui demander d’accepter que les gros capitaux ne participent pas au redressement. Sinon, on va vers la guerre civile, et une nouvelle situation sans issue.
Souveraineté
On le sent bien dans tous les cas, c’est un problème de souveraineté. Ou retour à des souverainetés de petites nations, vulnérables, et qui n’auront que les faux attributs d’une autonomie que les démagogues leur font miroiter. Et en tout cas aucune puissance.
Ou une vraie souveraineté Européenne, capable de protéger, de taxer les mouvements de capitaux et d’en bloquer la fuite ; capable aussi de s’approprier les deux instruments clef du pouvoir moderne : la monnaie et le réseau de satellites.Ne disposant plus des souverainetés nationales et pas encore de la souveraineté Européenne, nous voyons, impuissants, le chaos se développer sous nos yeux.
Un mot sur l’affaire du référendum ; aussitôt proposé, aussitôt retiré : certains populistes ont cru bon crier « ils craignent le verdict du peuple ». C’est une erreur de perspective, me semble-t-il ; Papandréou a tenté un coup de bluff à fort relents démagogiques. Pour faire simple : il crie au secours, demande aux autres de payer bien vite, et lui voulait se couvrir par un référendum un peu plus tard, ce qui lui aurait permis de ne pas engager ni assumer politiquement les nécessaires efforts collectifs des grecs ! Les dirigeants actuels de l’Europe ont réagi, fixant une condition : voir la question posée et donner leur accord. Y a-t-il un seul peuple au monde qui voterait pour plus de travail, de charges, d’impôts et moins de prestations ? Autant solliciter un vote sur la suppression des catastrophes climatiques et des maladies en tous genres ! La réponse des instances européennes apparait donc plutôt légitime. On notera que cette réponse vaut reconnaissance des limites que le savoir faire manipulateur assigne à une supposée souveraineté populaire en fait bien conditionnée par la propagande et la publicité… Répétons le : dans tous les cas, le peuple grec paiera. Ce qui est honteux, scandaleux, c’est que ceux qui ont le plus profité, le plus spéculé, eux se soient mis à l’abri dans des paradis fiscaux qu’il faudra bien arraisonner un jour !
Et pour conclure, observons ce consensus extraordinaire sur « l’effet domino ». Si la Grèce quitte l’Euro alors ce sera un autre pays européen en péril puis un autre : c’est la fin ! Qu’est ce que cet effet domino, si ce n’est la contagion ? Qui est victime de la contagion ? Le faible ! Exactement la tactique des USA qui adore l’échelonnement des difficultés dans « la vieille Europe » tout en redoutant que tout s’effondre simultanément, les entraînant ainsi dans la chute. Des européens faibles, coupées en tranches et pour partie dollarisés, pour partie anéantis ! La dette est là, dans tous les pays, ou presque ; ce qui change, c’est le regard qui est porté sur la situation. Qui porte le regard ? Les grands médias financiers ; qui les dirige ? Pas la Grèce, ni la Russie, ni même l’Allemagne ou la France, assurément !
Dotés d’un puissant état fédéral Européen, nous serions libres, libres de porter le regard… sur la situation de quasi-faillite Californienne par exemple.
Philippe Milliau (Novopress France, 5 novembre 2011)