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  • Pour la République impériale européenne !...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné à Xavier Eman par Pierre Le Vigan, dans lequel ce dernier aborde la question européenne sous l'angle de la grande politique. Pierre Le Vigan, qui vient de publier La banlieue contre la ville (La barque d'or, 2011), a, par ailleurs, dirigé en 2009, avec Jacques Marlaud, un ouvrage collectif consacré à l'Europe et intitulé La patrie, l'Europe et le monde (Dualpha, 2009) avec des contributions de Michel Ajoux, Yves Argoaz, Alain de Benoist, Jacques Delimoges, Georges Feltin-Tracol, Philippe Forget, Christophe Gauer, Miodrag Jankovic, Patrick Keridan, Michel Lhomme, Guy Portal, Bernard Yack.

     

     

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    Entretien avec Pierre Le Vigan

    Pour reprendre l’un des termes du titre de l’ouvrage collectif que vous avez dirigé avec Jacques Marlaud, « La Patrie, L’Europe et le Monde », pensez-vous que la « patrie » puisse se différencier, en France, de la « nation » et si oui quelle est la nature de cette distinction ?

    « Le vrai patriote s'inquiète, non du poste qu'il doit occuper dans la patrie, mais du rang que la patrie doit atteindre parmi les nations. » disait le journaliste québécois Jules-Paul Tardivel dans la seconde moitié du XIXe siècle. C’est dire que les deux termes « patrie » et « nation » ont longtemps été synonymes. La patrie c’était notre nation, celle qu’on aimait. Dans Les deux patries Jean de Viguerie émet la distinction entre la patrie concrète, respectable et aimable, et la « patrie » du patriotisme révolutionnaire de 1789-93 ; idéologique, meurtrière (et, accessoirement, à laquelle Maurras se serait rallié en grande partie, dit-il, à juste titre selon moi). C’est une distinction intéressante mais un peu dépassée : il n’y a plus de patrie sans dimension « idéologique ». On peut aussi distinguer les « petites patries » (les provinces) de la nation, acteur historique. En vérité, on confond trop souvent les attachements géographiques locaux, respectables, et les patries. Les patries ce sont les attachements qui sont aussi des engagements. La patrie n’est ainsi pas autre chose que ce qu’a été historiquement la nation française, et la nation serbe, allemande, russe, …. Sachant que l’histoire a été et reste ouverte et qu’ainsi, il eut pu exister une patrie bourguignonne si un Etat-nation bourguignon avait pu s’imposer durablement face à ce qui commençait à être la France et l’Etat capétien. Idem pour la Bretagne, l’Ukraine, la Silésie, etc.

     

    Entre revendications locales et problématiques internationales, l’échelon national est-il selon vous encore légitime et valide ?

    L’ « échelon » national n’est pas un terme très valorisant. La nation reste le niveau privilégié de la décision et de l’existence historique. C’est aussi, comme l’a rappelé Max Gallo, le meilleur niveau de démocratie possible. Pourquoi ? Parce que, aussi affaiblie que soit l’idée d’appartenance nationale, et surtout chez les élites infidèles à l’esprit du peuple, la nation reste unie par un élément essentiel : la langue, et aussi une histoire partagée, y compris une histoire des luttes sociales et filiation d’idées politiques et sociales.

     

    Que répondriez-vous à ceux qui affirment que critiquer (ou même simplement interroger..) les concepts de nation et de nationalisme revient à faire le jeu du mondialisme et du cosmopolitisme ?

    Je ne suis pas « complotiste ». On peut critiquer en toute bonne foi les idées de nation et de nationalisme, ou n’importe quelle idée d’ailleurs. Deux remarques : ces 2 termes ne signifient pas la même chose. Défendre l’idée de la pérennité de l’idée de nation ne veut pas dire être nationaliste. Enfin, « être nationaliste » mériterait une définition. Plus personne ne défend un nationalisme offensif, conquérant, belligène, vis-à-vis des autres nations. Les « nationalistes révolutionnaires », ceux qui se disent tels, sont aussi des nationalistes européens. Il s’agit en fait pour eux d’affirmer un nouvel être ensemble, une nouvelle façon de vivre dans une nation révolutionnée, un co-nationalisme des peuples européens, libérés, hier du condominium américano-soviétique, aujourd’hui, libérés de l’unilatéralisme américain. Ce que l’on appelle « nationalisme », depuis 1945, signifie en Europe que l’on veut lier les aspirations d’émancipation nationale aux aspirations sociales. Cela signifie dénoncer la colonisation mentale dont les peuples européens sont victimes. Cela signifie aussi dénoncer la dilution de nos identités dans les excès des politiques d’immigration. C’est aussi, pour les plus lucides, comprendre que ces processus viennent d’une conception purement marchande de la vie et de nos sociétés.

    En ce sens on peut, bien entendu, critiquer les insuffisances des positions des « nationalistes révolutionnaires » français, italiens, allemands, etc, qui se disent souvent aussi « nationalistes européens » mais je ne vois pas très bien comment leur dénier une certaine pertinence dans leurs analyses et dans leur combat contre une Europe techno-bureaucratique. De mon coté je défends sans concession le principe que les « nationaux-révolutionnaires », pour reprendre ici l’expression allemande, ne peuvent l’être de manière cohérente qu’en étant partisans de la démocratie la plus authentique, celle dont nos institutions ne sont souvent qu’une caricature. L’Etat doit être l’Etat démocratique du peuple tout entier : démocratie directe quand c’est possible, référendum d’initiative populaire, mais aussi bien sûr processus électoraux classiques dont ne peut faire l’économie – n’en déplaise aux rousseauistes de droite comme de gauche –, à condition qu’ils soient équitables, avec une dose de proportionnelle par exemple.

     

    Pour vous, au delà de leurs appartenances nationales respectives, qu’est-ce qui fonde à la fois la spécificité et l’unité de l’homme européen ?

    Pour moi l’homme européen n’existe pas. C’est une fiction, une figure de rhétorique, tout comme « l’homme français » d’ailleurs dont on se gargarisait avant 1940. Je crois que le mythe de l’histoire commune des indo-européens a fait perdre beaucoup de temps aux « bons européens » comme disait Nietzsche. C’est un mythe « hors sol » comme l’a bien vu Philippe Forget. Les Kurdes, les Afghans sont d’origine indo-européenne. Cela n’aide en rien à penser leur intégration ou leur non intégration. Je me sens beaucoup plus proche d’un Africain francophone que de ces hypothétiques « héritiers » des indo-européens. La vérité est que des fétiches d’intellectuels ont été confondus avec des concepts opératoires. Il n’y a pas d’ « unité de l’homme européen » tout simplement parce qu’il n’y a pas de langue commune des Européens et donc parce que l’Européen n’existe pas, tout comme l’ « Africain » n’existe pas – même s’il y a des Africains. Ou de même que l’ « Asiatique »  n’existe pas : qu’y a-t-il de commun entre un Chinois et un Hindou ? Quasiment rien. L’unité de l’homme européen, on la trouve… aux Etats-Unis d’Amérique, avec des descendants d’Européens qui parlent une langue commune, l’anglais. Et qui ont un patriotisme commun. C’est une ambition commune, un rêve commun, la « nouvelle frontière », qui a créé l’unité des Européens exilés devenus des… Américains, y compris au demeurant des noirs non européens devenus tout aussi Américains par le partage d’un rêve commun. Ce qui compte, c’est la common decency. Je voyais récemment des individus originaires d’Europe de l’est manger une boite de cassoulet dans le métro. Au-delà du coté pittoresque, on voit bien que ce n’est pas la question des origines ethniques ou même religieuse qui est le critère, c’est celui des mœurs, c’est la décence ordinaire, commune.

    Le constat que l’homme européen n’existe pas ne m’empêche pas d’être pour l’Europe, mais comme pur constructivisme. Celui qui croit être pour l’Europe pour des raisons hégéliennes – et ils sont nombreux à droite – se trompe, se raconte des histoires et nous raconte des histoires. Des raisons hégéliennes, c’est dire : l‘Europe va retrouver son propre, elle va faire retour à elle-même, l’ « homme européen » (sic) va advenir à l’histoire et à lui-même, … ce sont là fantaisie d’intellectuels. Raisonnements circulaires qui ne sont surtout pas des raisonnements. Qui ne partent pas du réel et ne vont pas au réel. L’Europe sera une construction artificielle mais réelle comme la France l’a été ou l’Europe ne sera rien (ce qui n’est pas à exclure !). Tout ce qui est culturel est artificiel or une construction politique est forcément culturelle et n’est que cela.

     

    Pensez-vous que le régionalisme puisse être, en dehors de quelques régions à forte identité comme le pays Basque ou l’Alsace, un concept actif et efficient et non simplement une utopie d’intellectuels ? Peut-on penser le régionalisme dans, par exemple, la Creuse ou la Touraine ?

    Il n’y a pas de régions ridicules. Mais en France, il n’y en a aucune qui soit devenue une nation. En Allemagne non plus d’ailleurs. Une chose est de constater qu’il y a eut des luttes pour le leadership national et plus encore impérial en Allemagne, avec par exemple les ambitions de la dynastie issue de la Bavière, les Wittelsbach, dynastie qui a d’ailleurs aussi essayé de s’imposer en Bohème, une autre est de croire que la Bavière a été une nation. C’est là confondre les logiques de pouvoir et les logiques de construction nationale. La vérité est qu’en Allemagne il n’y a eut qu’une nation, la nation allemande. On me dira peut être qu’il y a eut des patries. Qu’est ce à dire ? Si les patries ne sont pas des nations, ce ne sont que des nations qui ont échouées. Reprenons l’exemple du pays basque. En France c’est une province résiduelle, une partie du département des Pyrénées atlantiques, le reste du département étant constitué du Béarn, dont je suis en partie originaire. Soyons sérieux. Fait-on l’histoire avec quelques cantons ? Non, on ne fait pas l’histoire. On fait un « machin » comme le Kossovo. Un Etat–moignon. Et la pays basque espagnol ? Il est peuplé en immense majorité de non-Basques, d’Espagnols. N’y ont il pas leur place ? Bien sûr que si. Un peu d’esprit de grandeur jacobine – l’envie de faire de grandes choses ensemble et de parler au monde – n’est pas inutile face aux régressions mentales micro-identitaires sur de petites régions. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un Etat qui nous fasse rêver, d’un Etat porteur d’un projet. Ce dont nous avons besoin, c’est de la Grande Europe. C’est de l’Empire. C’est de l’Empire européen. On fait l’histoire avec des rêves, pas avec des calculettes.

     

    Rompre avec l’hyper-urbanisation, « relocaliser », faire revivre les campagnes beaucoup en rêvent, mais est-ce vraiment possible ? Selon vous, comment faudrait-il procéder pour atteindre ces objectifs ?

    Il faut une politique fiscale, budgétaire, financière nouvelle. Il faut mettre le paquet sur le développement des villes moyennes, de 50 000 à 300 000 habitants. Au-delà de quelque 500 000 habitants, c’est déjà très difficile à gérer. Il faut développer la densité urbaine. Construire dense, ce qui ne veut pas dire construire des tours, mais construire de la ville, produire de la centralité urbaine, limiter les banlieues de grands ensembles mais aussi les banlieues pavillonnaires, offrir des alternatives à la voiture mais ne pas persécuter les automobilistes qui n’ont pas le choix. Il faut une économie orientée, une économie dirigée, cadrée par de grands axes de choix publics, comme la filière nucléaire. Il faut un Etat stratège, fort mais limité, présent là où il faut mais pas envahissant. Il faut aussi un changement des mentalités : décoloniser les imaginaires de la marchandise. Sans pour autant s’arcbouter sur le mythe de la décroissance. Etre a-croissant cela suffit. On peut imaginer une décroissance avec autant d’injustices, de misère morale et sociale que la croissance. Est-ce cela que l’on veut ? Bien entendu, non. Aussi, plutôt que de décroissance, je parle de développement vraiment durable, ce qui veut dire surtout relocaliser, et mettre la France au travail. Les 35 heures je suis pour mais tout le monde doit travailler. Du travail pour tous mais tous au travail. La fainéantise soixante huitarde, très peu pour moi.

     

    Pour conclure, quel serait pour vous le cadre institutionnel « idéal » pour accompagner un renouveau européen ?

    C’est l’Empire européen. Un Empire républicain, ou si l’on préfère une République impériale mais pas au sens des Etats-Unis, qui sont plutôt une République impérialiste. Cet Empire doit être républicain c'est-à-dire que le modèle ne peut être une monarchie telle que l’Empire d’Autriche Hongrie, certes assez respectueux des diversités mais dont le caractère vermoulu ne faisait pas de doute. Une République, cela veut dire une structure historique qui articule les diversités sans les admettre toutes. Toute idée non républicaine tend à être trop laxiste quand à ce qui est intégrable et ce qui ne l’est pas. Il n’y a pas de place, par exemple, dans l’Empire républicain européen, pour l’excision. Ou pour la femme dont le visage est voilé. Toutes les différences ne sont pas admissibles. Certaines différences doivent mettre hors l’Empire. Pas de tolérance non plus pour le gamin se promenant en capuche. Il doit y avoir, pour qu’il y ait une existence historique de l’Europe, une façon européenne de se tenir, de parler, d’admirer, et un type éthique (je dis bien éthique et non pas ethnique) dominant, une figure dominante. Il doit y avoir une exigence esthétique en Europe impériale, portant sur l’art et les monuments, et un consensus sur ce qui est noble et sur ce qui ne l’est pas.

    L’Europe est en même temps très plurielle. Il y a la coupure entre les anciens empires romains d’Occident et d’Orient, coupure qui passe au milieu des Balkans. Il y a de ce fait l’évidence que l’ancien noyau carolingien doit être le moteur et le modèle mais ne peut ni ne doit uniformiser toute l’Europe. Il y a la question des limites de l’Europe. Celles-ci vont à coup sûr jusqu’à la Bulgarie, la Roumanie, la Pologne. Les pays Baltes, l’Ukraine ont vocation à être indépendantes, elles sont européennes, mais se pose en même temps la question de leur statut. Elles ne doivent pas menacer la Russie et celle-ci en retour ne doit pas menacer leur indépendance. Pascal Lassalle a dit là-dessus des choses d’une grande justesse (« Faut-il se garder d’une ’’russophilie’’ excessive ? » 6 mars 2010) et je dois dire que je sors de sa lecture convaincu que l’Ukraine n’est pas seulement historiquement la « petite Russie » de Kiev mais qu’elle a une identité nationale réelle. L’Empire européen ne peut intégrer immédiatement la Russie mais il doit être fondé sur une communauté de civilisation à construire qui inclut la Russie, et qui est l’Eurasie au sens de l’Eurosibérie. C’est une réalité géopolitique et c’est dans le même temps un mythe au bon sens du terme, un horizon, une autre voie que le productivisme sino-américain. Sans tomber dans le désarmement économique unilatéral des idéologues de la décroissance ; il faut essayer ce que nous n’avons jamais essayé, c'est-à-dire le développement conditionné et soutenable, la croissance dans certains domaines et la décroissance dans d’autres domaines. On ne peut faire cela sur la base de l’idée [décroissante] que moins serait forcément toujours mieux. En outre, la nature humaine est le développement des capacités humaines. Il nous faut inventer un développement non productiviste. Alors, bien sûr, le cadre institutionnel de l’Empire, c’est la Confédération européenne, c’est une monnaie commune mais pas forcément unique (je pense aux pays de l’est européen qui ne sont pas prêts à adopter l’euro), et c’est une politique de défense, une politique extérieure commune, une politique d’immigration commune, et des axes communs en politique économique, fondés sur la relocalisation, l’économie autocentrée et la fin du libre échange mondial. Attention : si on croit que le temps est venu de grands ensembles impériaux homogènes on se trompe, ce sont des liens impériaux respectant les voies propres et l’autonomie de chaque peuple qui sont nécessaires. Regardez la Chine, elle gagnerait à être éclatée en 4 ou 5 ensembles associés entre eux, etc. Ce qui résoudrait accessoirement la question de Taiwan.

    Alors, l’idée d’Empire, c’est justement ne pas vouloir tout réglementer à partir d’un centre, l’idée de République c’est la condition de la démocratie – il faut un peuple avec des coutumes communes, une langue et des règles communes pour se comprendre et être en démocratie –, et... la démocratie, c’est l’objectif ultime. L’antidémocratisme, qu’il soit d’extrême gauche à la Alain Badiou ou d’extrême droite n’a jamais été ma tasse de thé. Le peuple doit décider de ses affaires, un point c’est tout. Encore faut-il qu’il y ait un peuple, un peuple sur sa terre. Et cela, cela se fait avec une République sociale, populaire et nationale. Et européenne bien entendu.

    Pierre le Vigan (propos recueillis par Xavier Eman, 8 octobre 2010)

     

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  • Le coup d'Etat permanent ?...

    Nous reprodusisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin cueilli sur son blog Regards sur le renversement du monde.

     

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    Le coup d'état permanent ?

    Il est permis de rêver. La crise de l’Union européenne est d’autant moins achevée que le diagnostic n’est pas posé ; il est plus facile d’accuser les agences de notation ou des « spéculateurs », d’ailleurs jamais identifiés, que d’interroger un modèle qui organise la sortie de la démocratie en Europe. Nous sommes pris au dépourvu par une situation dont nous ne savons analyser que les aspects économiques et financiers ; comment en sommes-nous arrivés là ? La dette, la crise, etc. sont des circonstances. Les raisons pour lesquelles les Etats-Unis ne veulent plus financer leur espace public et les Européens ne le peuvent plus sont ailleurs – politiques. Le délabrement de l’espace public, ici comme là-bas, est considérable, et la proximité d’élections majeures le rend sensible, sans rien y modifier. Le danger est de se laisser dicter une fois de plus des orientations politiques majeures (fédéralisme ) sans choix politique et sans validation démocratique.

    Les évènements récents parlent d’eux-mêmes, surtout lorsqu’ils sont mis dans la perspective des refus successifs soit d’en appeler aux peuples, soit de tenir compte de leur vote. Depuis des années, les élus répètent que l’Europe est en état d’urgence. Ils ne sont donc pas libres de débattre et de décider ( « nous n’avons pas de marge de manœuvre » est le refrain connu de l’irresponsabilité politique ) et les Européens non plus. Si le souverain est celui qui déclare l’état d’urgence ( selon Carl Schmitt ), nous savons dorénavant qui est le souverain ; c’est celui qui a changé deux chefs de gouvernement, en Grèce et en Italie, sans élections et sans débat, sans émotion non plus. La situation révèle l’état de délabrement démocratique produit par la construction européenne, et les forfaitures répétées à l’occasion des « non » français et irlandais aux referendums. L’anesthésie des opinions, décrétée à l’occasion de l’immigration de peuplement, poursuivie à l’occasion de la colonisation financière anglo-américaine, produit ses effets ; le pouvoir en Europe est à prendre, et un souverain s’en approche. Ce souverain est un ensemble composite de banques centrales (la BCE), d’un directoire à créer, dont l’Allemagne sera le pivôt, d’agences de notation, d’institutions supranationales, d’acteurs privés ( banques et fonds d’investissement ), d’autorités autodésignées ( tous ceux qui, depuis cinquante ans, pensent, parlent, décident à la place des Européens), qui s’installe à la faveur du déficit politique béant de l’Union européenne.

    Le déficit est là, il prête à toutes les dérives, de la colonisation financière par les intérêts étrangers – et la Chine a bien compris le parti qu’elle pouvait tirer d’actifs bradés – à la satellisation de pseudo-élites qui se retranchent plus que jamais dans leurs forteresses de Bruxelles, de Francfort ou d’ailleurs, depuis que les peuples se réveillent. Depuis trente ans, le mécanisme européen a prétendu que l’affaiblissement permanent et recherché des Nations européennes, la production de leur impuissance politique, allait produire par un effet magique, de la puissance et de la force au niveau européen. Du temps des Jean Monnet et al., il s’agissait de limiter la quasi-toute puissance des Etats Nations et de faire exister l’Europe. Ils étaient forts, elle était faible. Depuis le premier choc pétrolier, la mondialisation des économies et la financiarisation de nos sociétés, c’est tout l’inverse qui se produit ; l’affaiblissement des Nations en détail produit une impuissance en gros. Un fédéralisme qui serait l’accord de la France et l’Allemagne pour remettre les clés au nouveau souverain, anonyme et déterritorialisé, apatride et donc irresponsable par principe, serait l’annonce de la sortie du gouvernement des peuples par eux-mêmes, donc l’instauration d’une Europe non démocratique, au service d’intérêts qui seraient moins hostiles qu’extérieurs aux Européens eux-mêmes, et qui ne souhaitent rien moins qu’une confrontation au suffrage universel.

    Le caractère difficile de la situation actuelle s’accroît du fait que le souverain qui tend à prendre le pouvoir veut installer l’Europe dans un modèle – la croissance, le rendement du capital investi, la mobilisation des ressources,… – dont les Européens, à la différence des Américains ou des Chinois, sont nombreux à sentir qu’il est fini, épuisé, et qu’il ferait payer des gains à court terme par des maux pires à moyen et long terme. Ses exigences sont connues, et portent notamment sur la liquidation de ce que deux à trois générations d’élaboration sociale et politique avaient construit, notamment en matière de régimes sociaux et de droit public ; le délabrement des institutions et de l’Etat concourt avec la pression des marchés, à ramener l’Europe à l’âge de la révolution industrielle. Si c’est le prix à payer pour continuer à emprunter, la question vaut la peine d’être posée ; faut-il sacrifier cela pour ceci, ou décider unilatéralement, et de manière définitive, de transformer la dette des Etats européens en dette perpétuelle, d’en servir les intérêts au niveau contractuel, d’en rembourser une partie chaque année, pour un montant discrétionnaire, et de s’abstenir désormais du recours au marché international des capitaux pour financer tout engagement public ?

    La proposition peut choquer. Moins que certaines accusations pesant sur l’Allemagne. Qu’il appartienne à l’Allemagne de rappeler que les traités engagent, que la Cour de Karlsruhe n’est pas là pour faire ce que les marchés demandent, que la révision d’une Constitution suit des règles déterminées, et est une affaire sérieuse, enfin que la politique américaine, qui considère que ses engagements à l’extérieur n’engagent que ceux qui y croient, n’est pas un exemple à suivre, rend sensible la dégradation de l’espace public français, de la vie des institutions et du respect des principes fondateurs de la République. Et ceux qui, au Parti socialiste, accusent l’Allemagne, devraient réfléchir pour savoir si l’Allemagne ne leur fournit pas, bien involontairement, un élément de critique autrement porteur. Car le respect des institutions, de la séparation des pouvoirs, de la primauté de l’Etat sur les intérêts privés, ne sort pas indemne des épisodes récents. En dépit de tout ce qui agite et se débat, du bruit et du rien, il se pourrait bien que, dans le long terme, l’abaissement de la République par des intérêts, des clans et des tribus qui lui sont étrangers, profondément et irréductiblement étrangers, demeure l’un des passifs déterminants du récent quinquennat.

    Hervé Juvin (Regards sur le renversement du monde, 5 décembre 2011)

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  • Notre histoire de France...

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    Le numéro de décembre 2011 de la revue Le spectacle du monde est en kiosque. 

    Le dossier est consacré à l'histoire de France. On pourra y lire , notamment, des articles d'Alain de Benoist ("Pourquoi l'histoire ?"), de Jean-Marie Le Pen ("Jeanne d'Arc"), de François Bayrou ("Henri IV"), de Jacques Vergès ("Abd el-Kader"), de Ghislain de Diesbach ("Ferdinand de Lesseps"), de Marie-France Garaud ("L'élection du président de la République au suffrage universel") ou de Dominique Venner ("L'insolence des anarchistes de droite"), ainsi qu'un entretien avec Pierre Nora ("Va-t-on transformer la France en musée de la France ?").

    Hors dossier, on pourra aussi lire des articles d'Alexandre Grandazzi ("Europe, la Hanse, préfiguration de l'Union ?"), de Philippe Barthelet ("Le «noble jeu» d'André Malraux") ou de Jean-François Gauthier ("Franz Liszt, un bouquet d'Europe"). Et on retrouvera aussi  les chroniques de Patrice de Plunkett et d'Eric Zemmour ("Le parti des tricheurs").

     

     

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  • "Les classes moyennes en voie de prolétarisation..."

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Louis Chauvel, paru en octobre dans Marianne et consacré à la prolétarisation accélérée des classes moyennes. Sociologue, Louis Chauvel a publié en 2006, aux éditions du Seuil, un essai intitulé Les classes moyennes à la dérive. 

     

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    Marianne : Vous avez montré dans « Les classes moyennes à la dérive » la rupture générationnelle à l'œuvre dans la société française. 1983, 1995, 2005...quid de celle d'après.. Mais cette dynamique laisse t elle invariant le concept de classe moyenne? Ne voit on pas apparaitre à présent un nouveau modèle de société? Une nouvelle classe populaire? Une fragmentation définitive de cette ensemble déjà hétéroclite?

    Louis Chauvel : Du point de vue des classes moyennes, le mandat présidentiel qui s'achève a été catastrophique. Mais en réalité, le Président Sarkozy n'y est pas pour grand chose puisque, ici (aux Etats-Unis où je réside cette année), Monsieur Obama n'a pas su mieux faire. Nous sommes aujourd'hui dans une crise d'une profondeur que seuls les Cassandre avaient vu venir. Mais il est vrai que même les plus pessimistes sont en dessous des hypothèses de travail.

    Que se passe-t-il en réalité ?

    L'Europe continentale rencontre une nouvelle crise tous les dix ans en moyenne (1973, 1983, 1992, 2001, 2008, ...). En période de crise, face au ralentissement et au chômage, on ponctionne dans l'épargne ou on s'endette, et on reconstitue le matelas dans les périodes un peu meilleures. Le problème est que le rythme des crises cycliques s'accélère singulièrement, et que le matelas amortisseur n'a pas eu le temps de se remplir de nouveau. Pour les classes moyennes, c'est la confrontation à la théorie du sucre au fond d'une tasse de café : on croit que la délitescence est celle des niveaux inférieurs, mais c'est l'ensemble de l'édifice social qui sera touché. Les problèmes sociaux en 1975 étaient ceux du quart monde ; en 1981 des jeunes chômeurs ; en 1990 de la nouvelle pauvreté puis celle de la fracture définitive entre les classes populaires et les classes moyennes ; maintenant, c'est au tour des classes moyennes de considérer le précipice. Le secteur public conserve la sécurité de l'emploi, mais la pénurie de postes, l'accroissement des contrôles et des cadences, la dégradation générale des conditions de travail a profondément changé le rapport au métier.

    Dans le privé, la détérioration des perspectives de croissance du pouvoir d'achat et le risque accru de chômage sont des facteurs qui poussent beaucoup vers un de profond désengagement. Pourquoi se battre pour une entreprise qui fait semblant de vous payer et qui vous enverra par dessus bord au premier signe de tangage, quel qu'ait été votre engagement jusque là ? Surtout, pour une masse de salariés, même de bon niveau de vie, constater que les prix de l'immobilier dans le centre des grandes villes et à fortiori à Paris ne fléchit pas, bien au contraire, produit la preuve que ce n'est plus par le salaire que l'on peut vivre. Le risque est bien de voir apparaître une forme de prolétarisation d'une classe moyenne, une prolétarisation du point de vue du logement et des perspectives de vie. 

    La crise, la dette....et éventuellement le coût de la dépendance qui apparait avec l'allongement de la vie, ne sont elles pas en elles mêmes des promesses à d'avantage d'efforts pour les salariés, du smicard aux cadres aisés? 

    Pour ce qui est des perspectives d'avenir, il est certain qu'au versant « dépenses » les besoins exploseront. La machine économique fonctionne (de plus en plus mal) avec de moins en moins de personnel (dans les pays anciennement développés), d'où la nécessité de subventionner un loisir de plus en plus long : préretraite, retraites, dépendance, etc. sans compter les longues périodes de chômage à l'entrée dans la vie, qui ne sont pas sans coût, comme le savent bien les parents concernés.
    Dans un pays où le socialisme s'est construit depuis quarante ans dans son éloignement vis-à-vis du travail, la population en emploi continuera de connaître l'écart béant entre le coût du travail (le coût tout inclus, avant charges, celui que regarde l'employeur) et le niveau de vie (après charge, ce que le banquier regarde avant de consentir un prêt).
    En même temps, même si aujourd'hui encore, un certain nombre de services ne coûtent en apparence rien (école, santé, etc.), l'exemple américain que j'étudie de près actuellement montre bien les marges de progression des coûts des mutuelles et de bien d'autres postes qui pourraient bien nous attendre. La santé aujourd'hui ne coûte rien car le généraliste accepte encore les 20 minutes à 23 euros. Ce sont des humanistes, car dans mon quartier à New York, on atteint plutôt les 300 dollars, et dans les autres aussi. Même chose pour les écoles : la dégradation du secteur public porte en germe une dérive dont je vois bien ici ce qu'elle porte à l'horizon de moins de 20 ans : il faut payer entre 20 et 30.000 dollars par an pour donner un avenir à ses enfants. Ainsi, les classes moyennes salariées pourraient bien connaître un sort assez intéressant : (mal) payées comme en France et devant faire face aux mêmes structures de coût qu'aux Etats-Unis.

     


     

    Vers une nouvelle classe populaire?
    Vers une nouvelle classe populaire?
     

    Quels sont les enjeux en terme de detention d'actifs, tant matériels que culturels? 
     

    L. C. : Nous n'avons pas vu la fin de l'histoire. Les créanciers sont rarement remboursés, sinon en monnaie de singe : que l'inflation passe ou que l'euro casse, il n'est pas nécessaire d'avoir une boule de cristal pour imaginer le devenir des emprunts russes de la génération présente. Pour ce qui est des assignats universitaires diffusés par la massification, nous savons aussi ce qu'ils deviennent, en Italie, en France, et même maintenant aux Etats-Unis et en Chine.

    Aux Etats-Unis, on détecte maintenant l'émergence d'une « Generation Limbo » (qui se prononce comme « bimbo »), une « génération des limbes », des « graduates », de « colleges », même de la « Ivy league » qui ne trouvent pas d'autres « jobs » que ceux de « bar managers » ou de « MacDo specialists »... Les vieux pays occidentaux connaissent bien ce phénomène, mais on le retrouve également au Japon avec les « Parasaito Shinguru » (célibataires parasites vivant au crochet des parents), voire en Chine avec les « ant tribes », la « tribu des fourmis », en stages à répétition pour des niveaux de revenus ne permettant pas de vivre dans la Chine urbaine d'aujourd'hui. Les mieux protégés parmi les titulaires de titres de propriété ou de titres scolaires les plus prisés font face aujourd'hui à des soucis qu'ils ne connaissaient pas voilà encore quatre ans. 
     

    Vous avez longuement évoqué la question du prix des actifs, et notamment celui des logements. Selon vos calculs, sur les 20 dernières années le pouvoir d'achat des salariés a été amputé de 15% si l'on tient compte de la dérive du prix de la pierre....
     

    Par rapport au renchérissement de l'immobilier, les moins de quarante ans ont perdu près de 25% de leur pouvoir d'achat: en 1981, on se logeait mieux en ne consacrant que 15% de son budget annuel qu'aujourd'hui en y laissant 30%. Depuis 2008, les prix de l'immobilier ont continué à grimper à Paris et au centre des grandes villes de région. Cela s'inversera tôt ou tard, comme le mouvement est déjà très largement amorcé en Espagne. Mais les jeunes Espagnols en ont-ils bénéficié ? Non, car la situation de l'emploi s'est dégradée plus encore. Le pire est réservé à ceux qui ont emprunté dans le haut de la bulle spéculative et doivent rembourser des années un bien qui peut avoir perdu près de la moitié de sa valeur. 
     

    Comment les partis, les syndicats, dont la pyramide des âges de leurs adhérents, donc un biais prenant plus largement en compte les intérêts des classes d'âges proches de la retraite, peuvent-ils trouver des solutions équilibrées?
     

    La masse des élites politiques et syndicales en France est en bout de course générationnelle. Comparée à l'assemblée danoise nouvellement élue, la France fait figure de pays d'un autre monde. L'essentiel du personnel politique français avait 20 ans en 1968 et est resté jeune toute sa vie. Beaucoup de députés, jeunes sexagénaires, pourront se présenter de nouveau en 2012, notamment parce qu'il n'existe pas de relève et que c'est un métier dur mais stimulant qui offre quelques compensations. En réalité, le renouvellement est certain et fracassant à l'horizon de 2017, mais il est totalement douteux dans la perspective de 2012. En attendant, les enjeux d'aujourd'hui continueront d'être toisés à l'aune de ce qui était bien ou mal dans les AG de 1968. 
     

    Idéalisée comme socle de la démocratie, la classe moyenne doit elle être reconstruite? Est ce un objectif politique nécessaire?
     

    Que faire ? disait Lénine. Si l'on souhaite vraiment éviter les remèdes de cheval néo-libéral dont le FMI a déjà fait l'expérimentation dans de nombreux pays avant le nôtre (mais en même temps on fait tout pour s'y précipiter au plus vite), il faut réinvestir dans l'avenir, dans la science, le travail, les industries que nous pourrons vraiment maîtriser dans 30 ans. Nous vivons encore aujourd'hui sur les rentes du TGV, du téléphone, de l'aérospatiale, des investissements réalisés à la fin des Trente glorieuses. Sans ce retour à la centralité du travail qualifié dans la construction de l'avenir et du progrès, nous laisseront à d'autre le soin d'inventer le 21e siècle.

    Louis Chauvel, propos recueillis par Emmanuel Lévy (Marianne, 15 octobre 2011) 

     
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  • Fracture de Maastricht : le retour...

    Dans sa chronique du 1er décembre sur RTL, Eric Zemmour voit réapparaître au grand jour dans le paysage politique actuel le clivage autour de la question européenne qui s'était substitué au clivage droite-gauche à l'époque du réferendum sur le traité de Maastricht, en 1992, comme en 2005, au moment du référendum sur la constitution européenne...

     

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  • Le nihilisme européen...

    "J'enseigne de dire non en face de tout ce qui rend faible - de tout ce qui épuise.

    J'enseigne de dire oui en face de tout ce qui fortifie, de ce qui accumule les forces, de ce qui justifie le sentiment de la vigueur.

    Jusqu'à présent on n'a enseigné ni l'un ni l'autre : on a enseigné la vertu, le désintéressement, la pitié ou même la négation de la vie. tout cela sont les valeurs des épuisés."


    Les éditions Mille et une nuits viennent de rééditer en format de poche Le nihilisme européen, le premier livre de La volonté de puissance, l'ouvrage posthume de Friedrich Nietzsche.

     

    Nihilisme européen.jpg

    "Dès les années 1880 Nietzsche projette un ouvrage qui exposerait toute sa philosophie, mais il ne peut le mener à bien. Juste après sa mort, sa soeur Elisabeth établit le texte à partir de fragments, selon le plan laissé par l’auteur en mars 1887. Le Nihilisme européen est le premier des quatre livres de La Volonté de puissance : 86 fragments qui dressent le bilan de la situation philosophique de l’Occident moderne, caractérisé par le nihilisme d’une société malade, épuisée, décadente, « où le faible se nuit à lui-même ». Nietzsche analyse l’essence du nihilisme comme une dévalorisation de la vie et de l’existence. Il y voit trois responsables : le christianisme, l’esprit rationnel et l’esprit critique, et leur donne un nom : Kant, Rousseau, Schopenhauer, Wagner."

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