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etats-unis - Page 38

  • Tour d'horizon... (144)

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    Au sommaire cette semaine

    - Serge Latouche répond aux questions de la revue d'inspiration pasolinienne Accatone...

    « La révolution, ce n’est pas la prise du palais d’hiver, c’est un changement de mentalité, un changement d’imaginaire »

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    -sur Antipresse, Slobodan Despot interroge le Saker, Suisse d’origine russe, établi en Floride, qui possède une connaissance approfondie des trois mondes, la Russie, l’Europe et l’Empire atlantique, à propos des menaces américaines contre la Russie à propos de la Syrie...

    La course à l’apocalypse de l’Empire américain devenu fou

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  • Pourquoi la France ne doit pas s'associer aux frappes en Syrie...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli sur Figaro Vox et consacré aux frappes aériennes contre la Syrie annoncées par les États-Unis, auxquelles Emmanuel Macron a déclaré vouloir associer la France. Docteur en science politique et dirigeante d'une société de conseil, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et publie régulièrement ses analyses sur le site du Point et sur celui du Figaro Vox. Elle vient de créer, avec Hervé Juvin, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

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    Caroline Galactéros: «Pourquoi la France ne doit pas s'associer aux frappes en Syrie»

    La messe semble dite et une atmosphère de veillée d'armes plane sur Paris, tandis que le jeune prince d'Arabie Saoudite quitte la capitale et que notre président est en étroit dialogue avec son homologue américain. La France pourrait, en coordination avec Washington, frapper de manière imminente les forces du régime syrien en représailles d'une nouvelle attaque chimique imputée de manière «très probable» mais en amont de toute enquête, aux forces de l'abominable tyran Assad soutenu par les non moins affreux régimes russe et iranien.

    Il faudrait agir vite, se montrer ferme, intraitable, juste! Il s'agirait là d'un «devoir moral»! On a bien entendu et lu. Le discours moralisateur sur la sauvegarde des civils innocents, pourtant inaudible après sept ans de guerre et de déstabilisation de la Syrie, est toujours le même. C'est là le comble du cynisme en relations internationales, que nous pratiquons pourtant sans états d'âme depuis des décennies. Pendant ce temps, la guerre silencieuse du Yémen continue. Ces civils-là n'existent pas, ne comptent pas.

    Mais certaines images de guerre et de civils otages d'une sauvagerie généralisée irritent plus que d'autres nos consciences lasses d'Européens déshabitués de la violence et gonflés d'une prétention à connaître, dire et faire le Bien. Soit.

    Mais agir contre qui? Qui faut-il punir? Le régime de «l'animal Assad», comme l'a appelé Trump? L'Iran? La Russie? Vraiment? Et si ce trio noir que l'on désigne exclusivement depuis des mois à la vindicte populaire internationale n'était qu'un leurre, proposé à notre indignation sélective pour ne pas réfléchir à nos propres incohérences?

    Personne ne se demande pourquoi cette nouvelle attaque chimique arrive maintenant, au moment même où la Ghouta orientale repasse sous contrôle gouvernemental syrien et parachève sa reconquête territoriale, face à des groupuscules rebelles rivaux globalement en déroute et plus que jamais prêts à se vendre au plus offrant pour survivre et espérer compter? Personne ne s'autorise à douter un instant, quand le ministre russe des affaires étrangères rapporte que les observateurs du Croissant rouge syrien envoyés sur place n'ont rien vu ressemblant à une attaque? Serguei Lavrov ment-il carrément au Conseil de Sécurité des Nations unies ou bien faut-il penser que Moscou ne contrôle pas tout ce qui se fait au plan militaire sur le théâtre? Ou que des éléments de l'armée syrienne elle-même agiraient en électrons libres ou auraient été «retournés»? À qui profite le crime? C'est cette vieille question, mais toujours pertinente, qui paraît désormais indécente.

    Quel serait pourtant l'intérêt de la Russie de laisser perpétrer une telle attaque, alors que, ne nous en déplaise, bien davantage que notre «Coalition internationale», elle cherche la paix, l'organise pragmatiquement, et est la seule depuis sept ans à engranger quelques résultats qui évidemment contreviennent à nos intérêts et à ceux de nos alliés régionaux?

    On semble aussi avoir totalement oublié une donnée fondamentale du conflit: les malheureux civils de la Ghouta, comme ceux des ultimes portions du territoire syrien encore aux mains des «rebelles» djihadistes ou de Daech, sont des boucliers humains, peut-être même, en l'espèce, sacrifiés par ces mêmes apprentis démocrates suppôts d'al-Qaïda et consorts pour entraîner l'Occident dans une guerre ouverte avec Moscou et Téhéran.

    Car si l'on quitte le microscope pour la longue-vue, il est permis de décrire à partir de cette dernière séquence syrienne un contexte stratégique global infiniment préoccupant pour l'Europe, et singulièrement pour la France, qui risque de prendre les avant-postes d'une guerre qui n'est pas la sienne, dont elle fera les frais et qui neutralisera durablement l'ambition présidentielle affirmée de prendre le leadership politique et moral de l'Union européenne. Nos amis allemands ou italiens sont d'ailleurs moins cynico-idéalistes, mais plus prosaïques que nous. Ils avancent prudemment, vont et viennent entre Beyrouth et Damas pour pousser leurs pions en cette phase douloureuse et recueilleront les fruits de notre marginalisation radicale quand la reconstruction syrienne arrivera.

    La ficelle est si grosse et la pelote si bien déroulée depuis des mois qu'on ne la voit plus en effet. On punit la Russie. On la punit d'être la Russie, déjà, et d'avoir réussi son retour sur la scène mondiale. On la punit de vouloir la paix en Syrie et de chercher à la mettre en musique politiquement à Astana ou à Sotchi. On la punit d'avoir sauvé Damas et son régime diabolisé du dépècement qu'on leur promettait et qui s'est fracassé sur la résilience populaire et gouvernementale syrienne et a déjoué partiellement au moins la confessionnalisation des affrontements politiques et sociaux que l'Occident encourage, sans en comprendre le danger insigne pour ses propres sociétés, et notamment en Europe.

    La guerre en Syrie a été gagnée militairement par l'armée gouvernementale. Militairement, mais pas politiquement. Cette victoire sur le terrain au prix d'une guerre brutale (comme toutes les guerres, même celles menées depuis les airs et qui n'ont de chirurgicales que le nom), nous est proprement insupportable car cela nous force à faire la paix, ce que nul ne veut mis à part… Moscou. Ah, Moscou! L'impudent Vladimir Poutine trop bien réélu qui nous nargue avec sa coupe du monde, où des millions de gens vont découvrir un visage de la Russie qui ne les terrifiera pas.

    Et puis derrière Moscou, on vise évidemment Téhéran, dont Israël, en pleine idylle officielle avec le centre mondial du salafisme - l'Arabie saoudite - qui a toutefois opportunément décidé de faire peau neuve, ne peut tolérer l'émergence régionale, tant le niveau sociétal, culturel, technologique et commercial de ce pays lui fait de l'ombre bien au-delà de la seule crainte d'un (dés)équilibre stratégique modifié par sa nucléarisation ultime.

    Bref, nous sommes en train de tomber dans un vaste piège qui se joue sur plusieurs fronts, et de nous ruer, en croyant ainsi exister, sur le premier os qu'on nous jette. De ce point de vue, l'affaire Skripal pourrait bien n'avoir été que le hors-d'œuvre de la séquence actuelle. Elle a posé le premier étage d'une repolarisation politique et sécuritaire de l'Europe autour de Londres, et surtout sous la bannière de l'OTAN. Car c'est là l'ultime manœuvre: remettre au garde-à-vous les Européens qui, depuis l'arrivée de Donald Trump et le Brexit, s'étaient pris à rêver d'une autonomie européenne en matière de politique et de défense… Péril suprême pour le leadership américain sur le Vieux Continent, heureusement contrebalancé par les rodomontades de quelques nouveaux européens qui refusent leur arasement identitaire et mettent à mal tout projet d'affranchissement sécuritaire collectif. Le Secrétaire américain à la défense, le général Mattis, a d'ailleurs été très clair: les Européens doivent en effet consacrer 2 % de leur PIB à la défense, mais pour acheter des armes américaines et demeurer dans l'orbite otanienne évidemment, l'Alliance constituant le cadre naturel et nécessaire de la défense de l'Europe. Fermez le ban!

    Nous sommes donc en train d'être clairement repris en main par l'OTAN, mais on ne s'en rend pas compte car on nous vend la nécessité d'une solidarité sans failles, donc manichéenne, face à une «offensive russe» pour diviser l'Europe (comme si nous n'étions pas assez grands pour nous diviser nous-mêmes) et dominer le Levant. C'était probablement l'objet de l'affaire Skripal comme de la présente montée au front sur la Syrie. La volte-face aujourd'hui même d'Angela Merkel sur le projet Northstream-2 ne fait qu'amplifier cette polarisation. Moscou est poussé à se crisper donc à s'isoler par tous les moyens. Par les sanctions, par les vrais faux empoisonnements d'espions en plein Londres et jusqu'à cette décision allemande qui ne peut que durcir la position russe en Syrie et assurer la montée des tensions, le Kremlin n'ayant plus d'autre alternative que de jouer le tracé Qatari qui passe par la Syrie… Redoutable manœuvre anglo-américaine donc, à laquelle Paris et Berlin semblent ne voir que du feu.

    Il faut donc s'y résoudre: l'Amérique d'Obama a vécu. Celle de Trump et de ceux - néoconservateurs de toutes obédiences - qui l'environnent très fermement désormais, a radicalement changé de posture. Certes le président américain annonce son souhait de quitter la Syrie, mais il avoue pouvoir changer d'avis si l'Arabie saoudite payait le coût de cette présence! On ne peut être plus clair et c'était aussi tout le sens de son premier voyage à Riyad au printemps dernier: réassurer l'allié du Quincy (dont le Pacte éponyme était rendu caduc par la nouvelle indépendance énergétique américaine) contre 400 milliards de dollars de contrats pour l'économie américaine. Et puis, tandis qu'il déclare au grand dam de ses généraux et pour tromper son monde qu'il veut partir, il se consolide une vaste zone d'influence américaine à l'est de l'Euphrate avec les FDS arabo-kurdes.

    Washington, dans le vaste mouvement de repolarisation du monde, entend en tout état de cause demeurer le môle principal d'arrimage d'un Occident qui doute face à une Chine qui structure à son rythme et via un affrontement de basse intensité mais tous azimuts, un véritable «contre-monde». L'Amérique, fébrile, joue son va-tout pour renverser la vapeur d'un ordre international qu'elle ne contrôle plus mais qu'elle veut encore dominer coûte que coûte. Elle veut l'affrontement pour réinstaller sa préséance face à Moscou, Téhéran et Pékin, cible ultime de l'intimidation. C'est là pourtant un combat profondément à contresens de l'évolution du monde. Affligés du syndrome postmoderne de la vue basse et celui de l'hybris technologique, nous oublions que la vie est longue.

    Au-delà, cette affaire, comme d'innombrables autres, met en évidence une évolution dangereuse: la substitution à la réalité non d'une image déformée, mais carrément d'une autre réalité et le retour de la tentation de la guerre préventive préemptive, qui évite d'enquêter. La question est vraiment très grave pour l'essence même de la politique internationale. Préfère-t-on l'image au réel, les fake news à l'analyse, le sensationnalisme à la rigueur?

    Alors que voulons-nous? Ce sera bientôt clair: si nous voulons sauver la Syrie, il nous faut surtout ne pas nous joindre à une coalition qui agira hors de tout mandat de l'ONU et qui portera le poids d'une guerre dont le peuple syrien est la dernière roue du carrosse et sera la victime immédiate. La grande question est donc: mais que vient faire Paris dans cette galère? On se trompe comme souvent d'ennemi, d'allié, de posture, de tout en somme. Et si l'on essayait l'audace, le courage et la singularité? Notre siège au Conseil de Sécurité, que guigne l'Allemagne de plus en plus ouvertement, en serait relégitimé. Nous posons-nous seulement la question de notre intérêt national (qui ne se réduit pas à des contrats d'armement) et des raisons pour lesquelles on nous sert ainsi l'injonction d'un alignement sur le thème du Bien contre le Mal et de la guerre préventive?

    La France est désormais, en Syrie comme ailleurs, au pied du mur. Elle a l'occasion inespérée de faire valoir une approche prudente et rigoureuse, une voix pour la paix, une singularité. Nous avons déjà une influence au plus bas dans la région. Si nous voulons compter de nouveau, nous devons regarder la réalité dans les yeux et admettre que «nous avons eu tout faux» depuis 2011. Il n'est jamais trop tard et notre président peut encore choisir de compter véritablement au regard de l'Histoire et dans le cœur des peuples

    Une guerre contre l'Iran et la Russie n'est pas la nôtre. Elle ne correspond nullement aux intérêts stratégiques français, ni à ceux de l'Europe. Nous avons déjà si naïvement collé aux Britanniques qui veulent quitter l'Union, sans preuve et par principe, dans l'affaire Skripal. Pourquoi cette fuite en avant?

    Dans ce nouveau grand jeu, la France a encore l'opportunité inespérée de compter plus que son poids démographique ou même économique ne le lui permet, en affirmant une singularité et une cohérence. Plus que jamais le réalisme, aux antipodes du cynisme, doit être le bouclier et la lance de notre nouvelle posture internationale. Il nous rapproche non d'une justice abstraite mais de l'équité et de la clairvoyance. La France n'a pas le droit et aucun intérêt à être malhonnête dans son interprétation des faits. Elle a tout à gagner à la lucidité et elle doit d'urgence montrer au monde comme aux peuples et pouvoirs du Moyen-Orient qu'on ne l'égare ni ne la soumet si facilement.

    Caroline Galactéros (Figaro Vox, 11 avril 2018)

     

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  • De meilleures armes pour une planète plus sûre ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Dimitry Orlov cueilli sur le site Le Saker Francophone et consacré aux nouvelles armes russes présentées par Vladimir Poutine à l'occasion d'une récente allocution et à leur influence sur l'équilibre géopolitique de la planète. De nationalité américaine mais d'origine russe, ingénieur, Dimitry Orlov, qui a centré sa réflexion sur les causes du déclin ou de l'effondrement des civilisations, est l'auteur d'un essai traduit en français et intitulé Les cinq stades de l'effondrement (Le Retour aux sources, 2016).

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    De meilleures armes pour une planète plus sûre

    Beaucoup de gens semblent avoir perdu le fil quand il s’agit d’armes nucléaires. Ils pensent que les armes nucléaires sont comme les autres armes et sont conçues pour être utilisées en temps de guerre. Mais c’est une pure inertie mentale. Selon toutes les preuves disponibles, les armes nucléaires sont des armes anti-armes, conçues pour empêcher l’utilisation d’armes, nucléaires ou pas. Par essence, si elles sont utilisées correctement, les armes nucléaires sont des dispositifs de suppression de la guerre. Bien sûr, si elles sont mal utilisées, elles représentent un risque grave pour toute vie sur Terre. Il y a aussi d’autres risques pour toute la vie sur Terre, tel que le réchauffement planétaire incontrôlé causé par la consommation incontrôlée des hydrocarbures ; peut-être devons-nous inventer une ou deux armes pour empêcher cela aussi.

    Certaines personnes estiment que la simple existence d’armes nucléaires garantit qu’elles seront utilisées quand différents pays dotés d’armes nucléaires se retrouveront financièrement, économiquement et politiquement in extremis. Pour en « faire la demonstration » ils mettent en évidence le principe dramaturgique de l’arme de Tchekhov. Anton Tchekhov a écrit : « Если вы говорите в первой главе, что на стене висит ружье, во второй или третьей главе оно должно непременно выстрелить. А если не будет стрелять, не должно и висеть » [« Si vous dites à l’acte I qu’il y a un pistolet accroché au mur, alors il faut obligatoirement qu’à l’acte II ou III, il fasse feu. Sinon, il ne devrait pas être suspendu là. »].

    Et si vous faites remarquer que nous parlons de stratégie militaire et de géopolitique, pas de théâtre, on peut citer ensuite Shakespeare : « Le monde est une scène et tous les hommes et les femmes ne sont que des acteurs ; ils font leurs sorties et leurs entrées… » et croire que c’est quod erat demonstrandum. Maintenant, je suis tout à fait d’accord avec Tchekhov en matière de dramaturgie, et je suis aussi d’accord avec Shakespeare, à condition de définir « le monde » comme « le monde du théâtre » dans lequel les deux mondes de la géopolitique et de la physique nucléaire sont dramatiquement différents.

    Laissez-moi l’expliquer en des termes qu’un bon dramaturge comprendrait. S’il y a une bombe nucléaire accrochée au mur dans l’acte I, il y a de fortes chances qu’elle soit encore accrochée à ce mur lors du dernier baisser de rideau. En attendant, peu importe combien d’autres armes sont présentes sur scène pendant le jeu, vous pouvez être sûr qu’aucune d’entre elles ne sera utilisée. Ou peut-être qu’elles le seront, mais alors tout le public sera mort, auquel cas vous devriez certainement demander à être remboursé parce que la pièce a été présentée comme un spectacle familial.

    Dans le monde réel, il est difficile de prétendre que les armes nucléaires n’ont pas été utiles comme moyen de dissuasion contre la guerre conventionnelle et nucléaire. Quand les Américains ont largué des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, ils ne l’ont fait que parce qu’ils pouvaient le faire en toute impunité. Si le Japon, ou un allié du Japon, avait possédé des armes nucléaires à l’époque, ces attaques n’auraient pas eu lieu. Il existe un nombre considérable d’opinions selon lesquelles les Américains n’ont pas atomisé le Japon pour obtenir une victoire (les Japonais se seraient rendus), mais pour envoyer un message à Joseph Staline. Staline a reçu le message, et les scientifiques et les ingénieurs soviétiques ont ont mis l’affaire en train.

    Il y a d’abord eu une période inconfortable, avant que l’URSS teste avec succès sa première bombe atomique, alors que les Américains envisageaient sérieusement de détruire toutes les grandes villes soviétiques en utilisant des frappes nucléaires. Mais ils ont mis ces plans de côté parce qu’ils ont calculé qu’ils n’avaient pas assez d’armes nucléaires à l’époque pour empêcher l’Armée rouge de conquérir toute l’Europe occidentale en représailles. Mais le 29 août 1949, lorsque l’URSS a testé sa première bombe atomique, ces plans ont été mis de côté – pas tout à fait de façon permanente, on en reparle plus bas – parce qu’une seule explosion nucléaire résultant d’une réaction soviétique à une première frappe américaine, aurait effacé, disons, New York ou Washington. Cela aurait été un prix trop élevé à payer pour détruire la Russie.

    Depuis lors – à l’exception d’une période comprise entre 2002 et il y a deux jours – la capacité des armes nucléaires à décourager une agression militaire est restée incontestée. Il y a eu quelques défis en cours de route, mais ils ont été traités. Les Américains ont jugé bon de menacer l’URSS en plaçant des missiles nucléaires en Turquie. En réponse, l’URSS a placé des missiles nucléaires à Cuba. Les Américains ont pensé que ce n’était pas juste, ce qui a provoqué la crise des missiles de Cuba. Finalement, les Américains ont été contraints de se retirer de Turquie, et les Soviétiques ont reculé à Cuba. Une autre menace pour le pouvoir de dissuasion des armes nucléaires a été le développement d’armes anti-balistiques capables d’abattre des missiles à tête nucléaire (en fait seulement les missiles balistiques, on en reparle plus tard). Mais cela a été largement reconnu comme une mauvaise chose, et une percée majeure a eu lieu en 1972, lorsque les États-Unis et l’URSS ont signé le Traité sur les missiles anti-balistiques.

    Pendant toute cette période, le principe qui maintenait la paix était la Destruction Mutuelle Assurée : aucune des deux parties ne devait provoquer l’autre au point de lancer une frappe nucléaire, car une telle action était garantie comme suicidaire. Les deux parties en ont été réduites à mener une série de guerres par procuration dans divers pays du monde, au détriment notable de ces pays, mais il n’y avait aucun risque que ces conflits indirects éclatent en une conflagration nucléaire à grande échelle.

    Entre-temps, tout le monde a tenté de s’opposer à la prolifération nucléaire, empêchant un plus grand nombre de pays d’accéder à la technologie des armes nucléaires – avec un succès limité. Les cas où ces efforts ont échoué témoignent de la valeur dissuasive efficace des armes nucléaires. Saddam Hussein, en Irak, n’avait aucune « arme de destruction massive » et a fini par être pendu. Mouammar Kadhafi de Libye a renoncé volontairement à son programme nucléaire et a été torturé à mort.

    Mais le Pakistan a réussi à acquérir des armes nucléaires, et par conséquent ses relations avec son ennemi juré traditionnel sont devenues beaucoup plus polies et coopératives, au point qu’en juin 2017, tous deux sont devenus membres à part entière de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) avec la Chine, la Russie et d’autres nations eurasiennes. Et puis la Corée du Nord a fait quelques percées en matière de bombes nucléaires et de missiles balistiques. Les États-Unis en ont été réduits à des menaces futiles et des postures guerrières alors que la Corée du Sud a exprimé un nouveau respect pour son voisin du nord. Les deux cherchent maintenant à se rapprocher.

    En 2002, la perspective d’une dissuasion nucléaire en continu a subi un revers majeur lorsque les États-Unis se sont retirés du traité ABM. La Russie a protesté contre cette décision et a promis une réponse asymétrique. Les responsables américains ont ignoré cette protestation, pensant à tort que la Russie était finie en tant que puissance nucléaire. Depuis lors, les Américains ont dépensé des sommes d’argent prodigieuses – des milliers de milliards de dollars – en construisant un système de défense anti-missiles balistiques. Leur objectif était simple : permettre de lancer une première frappe contre la Russie, en détruisant une grande partie de son arsenal nucléaire ; ensuite, utiliser les nouveaux systèmes ABM américains pour détruire tout ce que la Russie parviendrait encore à lancer en réponse. Le 2 février 2018, les Américains ont décidé qu’ils étaient prêts et ont publié un réexamen de leur posture nucléaire dans lequel ils se sont expressément réservé le droit d’utiliser des armes nucléaires pour empêcher la Russie d’utiliser sa force de dissuasion nucléaire.

    Et puis, il y a deux jours, tout s’est bien terminé lorsque Vladimir Poutine a prononcé un discours dans lequel il a dévoilé plusieurs nouveaux systèmes d’armes qui annihilent complètement la valeur du bouclier antimissile américain, entre autres choses. C’est la réponse que les Russes avait promis de livrer lorsque les États-Unis se sont retirés du traité ABM en 2002. Maintenant, 16 ans plus tard, le processus s’est terminé. La Russie s’est réarmée avec de nouvelles armes qui ont rendu le traité ABM complètement hors de propos.

    Le traité ABM portait sur les missiles balistiques, ceux propulsés par des roquettes qui font accélérer le missile à une vitesse  proche de la vitesse d’évasion. Après cela, le missile suit une trajectoire balistique – comme un obus d’artillerie ou une balle. Cela rend son chemin facile à calculer et le missile facile à intercepter. Les systèmes de défense antimissile américains reposent sur la capacité de voir le missile sur un radar, calculer sa position, sa direction et sa vitesse, et lancer un missile en réponse de telle sorte que les deux trajectoires se croisent. Au point de rencontre, le missile intercepteur est activé, détruisant le missile attaquant.

    Aucune des nouvelles armes russes ne suit des trajectoires balistiques. Le nouveau Sarmat est un ICBM sans le « B ». Il manœuvre tout au long de sa trajectoire et peut voler dans l’atmosphère plutôt que surgir au-dessus d’elle. Il a une courte phase de mise à feu, ce qui rend difficile son interception après le lancement. Il a la possibilité de parcourir des chemins arbitraires autour de la planète, par exemple par le pôle sud, pour atteindre n’importe quel point de la Terre. Et il transporte de multiples véhicules de rentrée hypersoniques manœuvrables dotés d’armes nucléaires qu’aucun système de défense antimissile existant ou prévu ne peut intercepter.

    Parmi les nouvelles armes dévoilées il y a deux jours, on a un missile de croisière à propulsion nucléaire d’une portée pratiquement illimitée et qui dépasse les Mach 10, et un drone sous-marin à propulsion nucléaire qui peut descendre à des profondeurs beaucoup plus grandes que n’importe quel sous-marin existant et se déplacer plus vite qu’aucun navire existant. Il y avait également un canon laser mobile présenté lors du show, dont on sait très peu de choses, mais qui est susceptible d’être utile quand il s’agira de faire frire des satellites militaires. Tout cela repose sur des principes physiques qui n’ont jamais été utilisés auparavant. Tous ont passé les tests et sont en cours de production ; l’un d’entre eux est déjà utilisé en service de combat actif dans les forces armées russes.

    Les Russes sont maintenant fiers de leurs scientifiques, ingénieurs et soldats. Leur pays est à nouveau en sécurité. Les Américains ont été arrêtés en chemin et leur nouvelle posture nucléaire ressemble maintenant à un cas sévère de lordose. Ce genre de fierté est plus important qu’il n’y paraît. Les systèmes d’armes nucléaires avancés ressemblent un peu aux caractéristiques sexuelles secondaires des animaux : comme la queue du paon ou les bois du cerf ou la crinière du lion, ils témoignent de la santé et de la vigueur d’un spécimen qui a suffisamment d’énergie à dépenser pour des accessoires bien visibles.

    Pour être en mesure d’exploiter un missile de croisière nucléaire hypersonique à portée illimitée, un pays doit disposer d’une communauté scientifique saine, de nombreux ingénieurs bien formés, d’une armée professionnelle hautement qualifiée et d’un establishment de sécurité compétent capable de garder l’ensemble secret, avec une économie industrielle puissante et assez diversifiée pour fournir tous les matériaux, processus et composants nécessaires sans avoir recours aux importations. Maintenant que la course aux armements est terminée, cette nouvelle confiance et compétence peut être transformée à des fins civiles.

    Jusqu’à présent, la réaction occidentale au discours de Poutine a suivi de près l’illogisme des rêves que Sigmund Freud a expliqué en utilisant la blague suivante :

    1. Je n’ai jamais emprunté de bouilloire
    2. Je vous l’ai retourné intacte
    3. Elle était déjà cassée quand je vous l’ai empruntée.

    Un exemple plus commun est l’excuse d’un enfant pour ne pas avoir fait ses devoirs : je l’ai perdu ; mon chien l’a mangé ; je ne savais pas que je devais le faire.

    Dans ce cas, les commentateurs occidentaux nous ont proposé ce qui suit :

    1. Il n’y a pas de telles armes ; Poutine bluffe
    2. Ces armes existent mais elles ne fonctionnent pas vraiment
    3. Ces armes fonctionnent et c’est le début d’une nouvelle course aux armements nucléaires

    Prenons ces arguments un par un :

    1. Poutine n’est pas connu pour bluffer ; il est connu pour faire exactement ce qu’il dit qu’il va faire. Il a annoncé que la Russie apporterait une réponse asymétrique aux États-Unis qui se retiraient du traité ABM ; et maintenant c’est le cas.
    2. Ces armes sont une continuation des développements qui existaient déjà en URSS il y a 30 ans mais qui ont été mis en sommeil jusqu’en 2002. Ce qui a changé depuis lors, c’est le développement de nouveaux matériaux qui permettent de construire des véhicules volant au-dessus de Mach 10, avec leur surface chauffant jusqu’à 2000ºC, et, bien sûr, des améliorations spectaculaires dans le domaine de la microélectronique, des communications et de l’intelligence artificielle. La déclaration de Poutine selon laquelle les nouveaux systèmes d’armes entrent en production est un ordre : ils vont donc entrer en production.
    3. Une grande partie du discours de Poutine ne portait pas sur des questions militaires. Il s’agissait d’augmentations salariales, de routes, d’hôpitaux et de cliniques, de jardins d’enfants, de maternités, de coups de pouce aux retraités, de logements pour les jeunes familles, de rationalisation de la réglementation des petites entreprises, etc. : améliorer considérablement le niveau de vie de la population. Le problème militaire a déjà été résolu, la course aux armements a été gagnée et le budget de la défense de la Russie est réduit et non augmenté.

    Une autre idée en Occident était que Poutine a dévoilé ces nouvelles armes, qui sont en développement depuis 16 ans au moins, dans le cadre de sa campagne de réélection (le vote est le 18 mars). C’est absurde. Poutine est assuré de la victoire parce que la grande majorité des Russes approuve son leadership. Les élections ne sont l’objet d’un combat que pour prendre la deuxième place entre les libéraux démocrates, menés par l’ancien cheval de guerre Vladimir Jirinovski, et les communistes, qui ont nommé un homme d’affaires oligarque non communiste, Pavel Groudinine, qui s’est rapidement disqualifié en ne dévoilant pas ses comptes bancaires à l’étranger et autres irrégularités et semble maintenant être entré dans la clandestinité. Ainsi, les communistes, qui étaient auparavant prévus pour la deuxième place, se sont brûlés les ailes et Jirinovski arrivera probablement en deuxième position. Si les Américains n’aiment déjà pas Poutine, ils aimeraient encore moins Jirinovski. Poutine a une attitude pragmatique et ambivalente à propos des « partenaires occidentaux » comme il aime à les appeler. Jirinovski, d’un autre côté, est plutôt habité d’un sentiment de revanche et semble vouloir infliger des souffrances à ces mêmes « partenaires occidentaux ».

    En même temps, il y a maintenant un comité, composé d’hommes et de femmes très sérieux, qui sont chargés de surveiller et contrecarrer l’ingérence américaine dans la politique russe. Il semble peu probable que la CIA, le Département d’État américain et les coupables habituels puissent avoir une quelconque efficacité en Russie. L’ère des révolutions colorées est terminée, et le train du changement de régime a vécu… alors qu’il rentre péniblement à Washington, où Trump a une chance d’être détrôné à l’ukrainienne.

    Une autre façon de voir la réaction occidentale aux nouvelles armes de la Russie est d’utiliser les 5 étapes du deuil d’Elizabeth Kübler-Ross. Nous avons déjà vu le déni (Poutine bluffe, les armes ne fonctionnent pas) et le début de la colère (nouvelle course aux armements). Nous devrions nous attendre à un peu plus de colère avant de passer à la négociation (vous pouvez avoir l’Ukraine si vous arrêtez de construire les missiles Sarmat). Une fois que la réponse russe sera bien perçue (« Tu as cassé l’Ukraine, tu paies pour la réparer ») nous passerons à la dépression (« Les Russes ne nous aiment plus ! »). Et finalement, l’acceptation. Une fois le stade de l’acceptation atteint, voici ce que les Américains peuvent utilement faire en réponse aux nouveaux systèmes d’armement de la Russie.

    Tout d’abord, les Américains peuvent mettre au rebut leurs systèmes ABM parce qu’ils sont maintenant inutiles. Le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, a dit ceci : « То, что сегодня создаётся в Польше и Румынии, создаётся на Аляске и предполагается к созданию в Южной Корее и Японии — этот ‘зонтик’ противоракетной обороны, получается, ‘дырявый’. И не знаю, зачем за такие деньги теперь этот ‘зонтик’ им приобретать. » [« Ce qui est construit en Pologne et en Roumanie, et en Alaska, et qui est prévu en Corée du Sud et au Japon – ce ‘parapluie’ de défense antimissile – s’avère criblé de trous. Je ne sais pas pourquoi ils devraient maintenant payer aussi cher pour ce ‘parapluie’. »].

    Deuxièmement, les Américains peuvent laisser tomber leur flotte de porte-avions. Cela ne sert pour le moment qu’à menacer des nations sans défense, mais il existe des moyens beaucoup moins coûteux de menacer les nations sans défense. Si les Américains envisagent de les utiliser pour dominer les voies maritimes et contrôler le commerce mondial, alors l’existence de missiles de croisière hypersoniques et de sous-marins à portée illimitée qui peuvent se cacher à de grandes profondeurs pendant des années rendra les océans inaccessibles pour les groupes de combat de la marine américaine en cas d’escalade majeure (non nucléaire) parce que maintenant la Russie peut les détruire à distance sans mettre en danger aucun de ses biens ou de son personnel.

    Enfin, les Américains peuvent se retirer de l’OTAN, qui s’est révélée complètement inutile, démanteler leurs 1000 bases militaires dans le monde et rapatrier les troupes qui y sont stationnées. Ce n’est pas comme si, à la lumière de ces nouveaux développements, les garanties de sécurité américaines valaient encore grand chose aux yeux du monde, et les « alliés » américains s’en rendront compte rapidement. En ce qui concerne les garanties de sécurité russes, il y a beaucoup à offrir : contrairement aux États-Unis, qui sont de plus en plus considérés comme des voyous, inefficaces et maladroits, la Russie a scrupuleusement respecté ses accords internationaux et le droit international. En développant et en déployant ses nouveaux systèmes d’armes, la Russie n’a violé aucun accord, traité ou loi international. Et la Russie n’a aucun plan agressif envers qui que ce soit, sauf les terroristes. Comme l’a dit Poutine lors de son discours, « Мы ни на кого не собираемся нападать и что-то отнимать. У нас у самих всё есть. » [« Nous ne prévoyons pas d’attaquer qui que ce soit ni de prendre le contrôle d’un quelconque pays. Nous avons tout ce dont nous avons besoin. »].

    J’espère que les États-Unis ne prévoient pas d’attaquer qui que ce soit, parce que, vu leur histoire récente, cela ne fonctionnera pas. Menacer la planète entière et la forcer à utiliser le dollar américain dans le commerce international (et détruire des pays comme l’Irak et la Libye, quand ils refusent) ; assumer d’énormes déficits commerciaux avec pratiquement le monde entier en forçant les banques de réserve du monde entier à racheter la dette du gouvernement américain ; tirer parti de cette dette pour accumuler des déficits budgétaires colossaux (maintenant environ 1000 milliards de dollars par an) ; et voler la planète entière en imprimant de l’argent et en le dépensant dans divers scénarios de corruption – cela, mes amis, a été le business plan de l’Amérique depuis les années 1970 environ. Et il se défait devant nos yeux.

    J’ai l’audace d’espérer que le démantèlement de l’Empire américain se fera aussi efficacement que le démantèlement de l’Empire soviétique. (Cela ne veut pas dire qu’il ne sera pas humiliant ou qu’il ne va pas appauvrir l’Amérique, ou qu’il ne s’accompagnera pas d’une augmentation considérable de la morbidité et de la mortalité). Une de mes plus grandes craintes au cours de la dernière décennie était que la Russie ne prendrait pas les États-Unis et l’OTAN assez au sérieux en essayant juste d’attendre qu’ils changent. Après tout, qu’y a-t-il vraiment à craindre d’une nation qui a plus de 100 milliards de dollars de prestations non financées, des toxicomanes opioïdes, 100 millions de chômeurs sans emploi, des infrastructures vétustes et une politiques nationale délétère ? Et en ce qui concerne l’OTAN, il y a, bien sûr, l’Allemagne, qui est en train de réécrire « Deutschland, Deutschland, über alles » pour être « gender-neutral ». Que sont-ils censés faire ensuite ? Marcher sur Moscou sous une bannière arc-en-ciel et espérer que les Russes meurent de rire ? Oh, et il y a aussi le plus grand atout eurasien de l’OTAN, la Turquie, qui est actuellement en train de liquider les actifs kurdes de l’Amérique dans le nord de la Syrie.

    Mais simplement attendre aurait été un pari, parce que dans son agonie l’Empire américain aurait pu s’en prendre à la Russie par des moyens imprévisibles. Je suis heureux que la Russie ait choisi de ne pas jouer avec sa sécurité nationale. Maintenant que les États-Unis ont été neutralisés en toute sécurité en utilisant les nouveaux systèmes d’armes russes, je pense que le monde est un bien meilleur endroit. Si vous aimez la paix, il semblerait que votre meilleure option soit aussi d’aimer les armes nucléaires, les meilleures possibles, contre lesquelles aucune dissuasion n’existe, et maniées par des nations paisibles et respectueuses de la loi qui n’ont aucun dessein maléfique pour le reste de la planète.

    Dmitry Orlov (Le Saker Francophone, 6 mars 2018)

     

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  • Syrie : qui veut (vraiment) la paix ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli sur son blog Bouger les lignes et consacré à la question du retour à la paix en Syrie... Docteur en science politique et dirigeante d'une société de conseil, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et publie régulièrement ses analyses sur le site du Point et sur celui du Figaro Vox.

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    Syrie : qui veut (vraiment) la paix ?

     

    L'Occidental postmoderne goûte la lumière des évidences simples, la clarté des antagonismes légitimes. Il prend l'information pour de la connaissance, donne à fond dans la substitution de l'image au réel qui devient le quotidien de la politique et ne produit plus seulement une déformation du réel, mais une autre réalité. Et puis, la complexité le fatigue, le paradoxe le lasse, la mise en perspective l'égare. Il croit dans « le su parce que vu ». Il croit que les fake news tombent du ciel ou proviennent directement des enfers que seuls les bad guys et leurs hackers habitent. L'homme occidental a donc la conscience assoupie et les yeux bandés, mais sa sentimentalité exacerbée lui donne l'illusion d'avoir une conscience morale.

    Aussi bien ne voit-il aucune indécence, aucun cynisme dans la façon dont les médias occidentaux décrivent et montrent la situation militaire et humanitaire dans la Ghouta orientale. Et pourtant… La terreur bien réelle vécue par les populations civiles de cette banlieue damascène gangrénée depuis des années par les groupes djihadistes, le calvaire des enfants morts-vivants, pris sous les décombres des bombardements de l'armée syrienne appuyés par la Russie en prélude à une probable offensive terrestre dans l'espoir de réduire ce foyer islamiste qui bombarde régulièrement les faubourgs de la capitale dans un silence occidental assourdissant, sont présentés comme la marque d'une cruauté insensée, délibérée et ciblée des « forces du régime » et de ses soutiens contre la population civile effectivement prise au piège de cet affrontement sans merci. Comme si l’ogre Assad, chaque matin, réclamait à ses sicaires pour son petit déjeuner, son saoul de femmes et d’enfants démembrés et sanguinolents. Comme si ces malheureux civils étaient les cibles de ces bombardements et non les boucliers humains dont se servent impunément depuis des années les salafistes qui veulent faire tomber le président syrien et prendre le pouvoir à Damas pour le compte de leurs puissances mandataires. Des groupuscules ultraviolents qui le forcent ainsi à leur livrer son pays ou bien à faire la « guerre au milieu des populations » pour déclencher l'ire internationale et le diaboliser encore un peu plus…

    On s'est habitués au martyre au long cours du peuple syrien

    On a tellement voulu croire, et faire croire, que l'État islamique était le seul problème et qu'une fois sa réduction (relative) acquise, la guerre serait sans objet et s'étiolerait, que l'on a « oublié » qu'à côté des scories encore dangereuses de cette hydre spectaculaire se démènent toujours les groupes salafistes Al-Nosra et consorts qu'on laisse agir pour compromettre une victoire trop éclatante de l'axe Moscou-Téhéran-Ankara.

    Alors, pour ne pas parler de ce qui pose vraiment problème et nourrit le conflit, on braque les projecteurs sur une offensive gouvernementale, comme si on redécouvrait subitement que la guerre fait toujours rage et est insupportable… Pourtant, notre « coalition internationale » la mène contre le gouvernement syrien depuis 7 ans. Et l'on doit endurer les sommets de cynisme de l'ambassadrice américaine aux Nations unies qui reconnaît que « à cause de la Russie » le Conseil de sécurité « a manqué à son devoir » vis-à-vis des malheureux civils syriens en tardant à signer une résolution demandant un cessez-le-feu d'un mois. Elle ne dit évidemment pas pourquoi ce retard ! Car Moscou a voulu faire apporter quelques substantielles modifications au projet initial en excluant du cessez-le-feu les zones où sévissent encore les groupes terroristes, notamment Al-Nosra.

    La réduction militaire de l'abcès salafiste de la Ghouta devrait donc se poursuivre, les morts innocents se multiplier et nos inconscientes consciences, gargarisées de leur haute moralité abstraite et partiale, continuer de s'indigner. Quoi ? la guerre tue, est sale, injuste, laide, elle fait des victimes innocentes, surtout quand elle doit être menée au sein des populations civiles prises en otages ?

    Une indignation à éclipses pourtant depuis sept ans, mis à part quelques séquences stigmatisées comme la reprise d'Alep – alors que celle de Mossoul nous a laissés plus placides, car il s'agissait de nos bombes. Car on s'est habitués au martyre au long cours du peuple syrien. Tant que c'est à bas bruit, que ce sont nos frappes lointaines qui tonnent, que les morts que l'on fait sont « du mauvais côté » et point trop spectaculaires, on ne lève pas le nez de notre assiette. Sauf pour donner, de temps à autre, quelques leçons de morale de plus en plus inaudibles sur « le boucher Assad ennemi de son peuple » et les gentils rebelles insurgés au grand cœur qui veulent la démocratie et le bien-être de leurs concitoyens.

    De tragiques erreurs de jugement

    Cet ahurissant et persistant biais dans l'interprétation des faits a une origine. Depuis 7 ans en effet, on présente le conflit comme une lutte entre deux légitimités équivalentes qui seraient en concurrence finalement « normale » pour régir le pays. On fait comme si la Syrie n'était pas un État stable et sûr en 2011, comme si elle n'avait jamais eu de gouvernement légitime, mais un « régime » illégitime et honni, comme si c'était un territoire sans unité, un simple espace à conquérir, comme s'il ne s'agissait pas d'un pays souverain ; entré en résistance forcenée et nécessairement meurtrière, contre une agression tous azimuts venue de l'extérieur bien plus qu'aux prises avec une guerre civile, quelles qu'aient été la réalité et la légitimité des revendications politiques, sociales et économiques à l'origine des premières manifestations de 2011.

    Puis, de fil en aiguille, nous avons fini par nous convaincre de cette reconstruction des faits et par tomber dans un manichéisme dogmatique confondant, qui a déformé notre compréhension des choses et du coup a grandement affaibli notre capacité d'action. Nous avons cru que cette attitude néanmoins préserverait « nos intérêts ». Mais où en sommes-nous finalement de notre influence dans ce pays et même dans cette région dont nous nous préoccupons soi-disant tant ? Et quel poids nous accordent ceux qui dominent le jeu politique et militaire régional ?

    L'honnêteté impose d'admettre que nous sommes toujours largement hors-jeu, car nous ne voulons pas admettre nos tragiques erreurs de jugement et préférons ressasser les vieilles antiennes anti-Assad au lieu de chercher pragmatiquement à reprendre pied et langue dans le pays et à faire basculer les alliances dans le sens de l'apaisement et du compromis… dont les populations civiles seraient évidemment les premières bénéficiaires. Nous sommes malheureusement encore très loin d'une telle réforme intellectuelle et pour le coup « morale ». Alors, nous observons.

    Le trouble jeu américain

    L'affrontement Moscou-Washington bat son plein, attisé par les va-t-en-guerre néoconservateurs américains qui « environnent » fermement le président Trump et ont fait de l'Iran le nouveau rogue state à abattre. Washington veut miner la consolidation du « croissant chiite » qui traduit la renaissance de l'influence iranienne dans cette région stratégique et pour commencer, il veut que l'Iran sorte de Syrie. Les slogans très « calibrés » des récentes manifestations populaires en Iran ont clairement fait le lien entre le mécontentement « spontané » du peuple des provinces et les dépenses du pouvoir mises au service de la guerre menée en appui du pouvoir syrien. Le président Rohani ne s'y est pas trompé, qui a rappelé qu'il n'était pas comptable des fonds alloués aux gardiens de la Révolution sous tutelle du guide suprême Ali Khamenei.

    Alors, après l’échec de cette tentative de déstabilisation ou a minima de récupération d’une grogne populaire, pour pousser Moscou à lâcher son partenaire tactique iranien, l’Amérique remet une couche de sanctions (élément de chantage supplémentaire), une louche sur le délirant feuilleton du Russian probe du Procureur Mueller. Et en Syrie même, afin de contrôler les zones pétrolières de l'Est syrien pour peser sur la reconstruction économique et politique du pays, Washington s'engage militairement durablement aux côtés des Forces démocratiques syriennes (FDS) dominées par les Kurdes syriens (YPG) que Moscou ne défend pas vraiment des assauts turcs. Il semble en effet probablement plus important au Kremlin d'enfoncer un coin dans l'Alliance atlantique en laissant se développer l'affrontement Washington-Ankara à propos de ces mêmes Kurdes. L'Amérique se sert en tout cas des YPG – ce qui n'empêche pas ces derniers de demander parfois, comme à Afrin, le soutien des milices syriennes pro-Assad contre l'aviation et l'artillerie turques, car leurs liens avec le régime et l'armée sont anciens et puissants – pour empêcher de fait un règlement politique global sur lequel elle n'aurait pas la main, sachant que la Turquie, qui parraine le processus d'Astana aux côtés de Moscou et de Téhéran, ne peut admettre leur participation à un règlement politique.

    Cessons d'attiser les divisions intrasyriennes communautaires

    Parallèlement, ainsi que vient de le révéler la fuite d'un document diplomatique du Foreign Office, tout est fait pour casser le processus d'Astana (et celui de Sotchi), compromettre le succès des zones de désescalade (d'où la reprise des affrontements dans la Ghouta comme à Idlib) et redonner une crédibilité à celui de Genève, moribond et sans représentativité. À la manœuvre depuis janvier dernier, un « petit groupe américain sur la Syrie » composé des USA, de la Grande-Bretagne, de la France, de l'Arabie saoudite et de la Jordanie… Et on s'étonne que la guerre ne finisse pas ! La guerre dont il est au demeurant toujours imprudent de clamer la fin.

    Plutôt que de s'indigner stérilement de la recrudescence des combats, on ferait mieux de cesser d'attiser les divisions intrasyriennes communautaires et confessionnelles en espérant encore démembrer ce pays pour lui dicter son avenir, chacun espérant se tailler la part du lion des marchés de la reconstruction. Le sentiment national syrien n'est pas un vain mot. C'est une réalité plus vivante que jamais, fortifiée par l'épreuve de la guerre et la résilience d'un peuple multiple, mais un, qui a refusé l'atomisation qu'on lui promettait. C'est autour d'un mot d'ordre de « la Syrie unie » que l'on devrait aujourd'hui chercher à faire naître un embryon de convergence des positions des puissances intervenantes au service des intérêts véritables du peuple syrien dans toute sa diversité, et non plus des leurs.

     

    Caroline Galactéros (Bouger les lignes, 28 février 2018)

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  • La Super-classe mondiale contre les peuples...

    Les éditions Via Romana viennent de publier un essai de Michel Geoffroy intitulé La Superclasse mondiale contre les peuples. Énarque, essayiste et contributeur régulier au site de la Fondation Polémia, Michel Geoffroy est l'auteur avec Jean-Yves Le Gallou du Dictionnaire de Novlangue (Via Romana, 2015).

    Le livre est disponible à la commande sur le site de Via Romana.

     

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    " En Occident on ne vit plus en démocratie mais en post-démocratie : les gouvernements ne gouvernent plus mais obéissent aux marchés et aux banques, les puissances d’argent dirigent les médias et les peuples perdent leur souveraineté et leurs libertés.
       Pourquoi ? Parce que depuis la chute de l’URSS le pouvoir économique et financier s’affranchit du cadre national et veut gouverner à la place des États. Parce que la fin du communisme nous a libérés de la Guerre froide, et lui a succédé la prétention obstinée du messianisme anglo-saxon à imposer partout sa conception du monde, y compris par la force.
       Ce double mouvement s’incarne dans une nouvelle classe qui règne partout en Occident à la place des gouvernements : la super classe mondiale.
       Une classe dont l’épicentre se trouve aux États-Unis mais qui se ramifie dans tous les pays occidentaux et notamment en Europe. Une classe qui défend les intérêts des super riches et des grandes firmes mondialisées, sous couvert de son idéologie : le libéralisme libertaire et cosmopolite. Une classe qui veut aussi imposer son projet : la mise en place d’un utopique gouvernement mondial, c’est-à-dire la mise en servitude de toute l’humanité et la marchandisation du monde. Une classe qui manipule les autres pour parvenir à ses fins, sans s’exposer elle-même directement.
       Avec La Superclasse mondiale contre les peuples, Michel Geoffroy dresse un portrait détaillé, argumenté et sans concession de la superclasse mondiale autour de cinq questions : que recouvre l’expression superclasse mondiale ? Que veut-elle ? Comment agit-elle ? Va-t-elle échouer dans son projet de domination ? Quelle alternative lui opposer?
       Un ouvrage de référence pour comprendre les enjeux de notre temps. "

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  • Entre séduction et manipulations, le soft power américain...

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    La revue Conflits, dirigée par Pascal Gauchon, vient de sortir en kiosque son septième numéro hors-série consacré au soft power américain. A lire !

    Au sommaire

    Éditorial : Méfiez-vous des rêves, par Pascal Gauchon

    Entretien avec Régis Debray : comment nous sommes devenus “gallo-ricains”

    Le pouvoir feutré par Gérard Chaliand

    Le soft power, un concept taillé pour les États-unis par Frédéric Munier

    La puissance du rêve et du marketing

    Pourquoi sont-ils si bons par Pascal Gauchon

    Le rêve américain : la quête du bonheur par Lauric Henneton

    Art. Ce que le monde doit aux États-unis par Jean Baptiste Noé

    Moderne et intemporel : la force du design américain par Jean Baptiste Noé

    Ces objets ont-ils un âme par Julien Damon et Jean Baptiste Noé

    Un soft power en séries par Didier Giorgini

    Le cinéma : le dernier pré carré de l’hyperpuissance par Didier Giorgini

    Séduction et manipulation par François-Bernard Huyghe

    Internet, une colonie sous administration américaine par Olivier de Maison Rouge

    États-unis, ils ont confiance en dieu par Jean Baptiste Noé

    Trouver des relais, par John Mackenzie

    Des élites conformes par François-Bernard Huyghe

    Quand le soft power rafle la mise

    Les très riches effets du soft power par Pascal Gauchon

    Le soft power économique américain par Christian Harbulot

    Fixer les règles du monde…par Frédéric Munier

    Brain drain et attractivité par Julien Damon

    De l’impérialisme au puritanisme par Xavier Raufer

    Les révolution de couleur par François-Bernard Huyghe

    Les Serbes peuvent-ils aimer l’OTAN par Andrej Fajgelj

    Georges Soros. On ne prête qu’aux riches par Mériadec Raffray

    Quand Washington voulait “détruire” De Gaulle par Éric Branca

    Jusqu’où la France est-elle devenue américaine ? par Christophe Réveillard

    Pouvoir doux ou pouvoir faible

    Les nouvelles fragilités du soft power américain par Olivier Zajec

    Le soft power en dehors de sa patrie par Frédéric Munier

    L’antiaméricanisme, revers du soft power ? par Florian Louis

    La fin de l’hypocrisie par Pascal Gauchon

    Le soft power parle américain par François-Bernard Huyghe

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