Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 16 janvier 2018 et consacrée aux délires du féminisme communautariste d'origine américaine...
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Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 16 janvier 2018 et consacrée aux délires du féminisme communautariste d'origine américaine...
Les éditions de l'Observatoire viennent de publier un essai de Christian Saint-Etienne intitulé Osons l'Europe des nations. Économiste et universitaire, titulaire de la Chaire d'économie industrielle au Conservatoire National des Arts et Métiers, Christian Saint-Etienne est notamment l'auteur de La Puissance ou la mort - L’Europe face à l’empire américain (Seuil, 2003).
" Peut-on sauver la construction européenne ? Et faut-il sauver cette Europe maintenant vieillissante et impuissante ?
À l'heure où les États-Unis et la Chine dominent la mutation numérique, son économie n'a pas effacé les effets de la crise. L'Union a été rejetée par ses propres citoyens. Et son influence internationale ne cesse de se réduire. Principal levier de la désintégration de l'Europe ? Maastricht. À l'origine d'une gigantesque faille dans la construction européenne, le traité de 1992 fut un véritable marché de dupes, plutôt que le ciment d'un bloc indestructible.
La création d'un puissant noyau dur d'États européens prêts à relever le défi de notre époque (troisième révolution industrielle, nouvelle hiérarchie des nations) est une nécessité vitale si l'Europe veut continuer d'exister comme acteur de l'Histoire. Il est urgent de refonder une vraie puissance européenne, en faisant confiance aux nations ! Nous en avons actuellement l'opportunité. Mais la fenêtre d'action se refermera vite."
Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son blog Huyghe.fr et consacré à la fin de la suprématie des Etats-Unis dans le domaine du soft power. Spécialiste de la stratégie et de la guerre de l'information et directeur de recherches à l'IRIS, François Bernard Huyghe a publié récemment La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015) et, dernièrement, Daech : l'arme de la communication dévoilée (VA Press, 2017).
Trump : la fin du soft power U.S. ?
Trump peut-il détruire le soft power américain ? Dans tous les cas, il suffit d’ouvrir un journal ou une télévision n’importe où dans le monde pour être au courant de sa provocation quotidienne, des manifestations ou des déclarations qui se déchaînent contre lui, des indignations qu’il suscite. Nixon au moment des bombardements du Vietnam ne provoquait pas plus de rejet, ou, pour employer un mot à la mode, n’était pas plus clivant. Et le contraste entre les mois Trump et les années Obama, dont le passage en France vient de montrer l’incroyable popularité hors frontières souligne le contraste.
Bien entendu, que l’image d’un homme ou d’une politique repousse n’implique pas que l’on parle moins anglais à travers le monde, que l’on porte moins de Nike ou que l’on programme moins de blockbusters, ni même que nos mœurs politiques ou autres s’américanisent moins en profondeur comme le montre Régis Debray dans Civilisation. Mais, si l’on considère que le soft power comprend un volet d’attraction spontanée, celle d’un mode de vie, d’une culture, des goûts des populations(au sens du mainstream, de ce qui plaît à tout le monde, sur toute la planète) mais aussi une part de stratégie délibérée de séduction, de réseaux et de persuasion, le second volet fait singulièrement défaut.
Au-delà du caractère d’un homme ou de l’image d’une politique, l’influence ne se réduit pas au fait d’être gentil ou de bien communiquer.
Comme on le sait, le terme « soft power » a été « inventé », ou au moins popularisé, par Jospeh Nye dans un livre de 1990, Bound to Lead.
L'émergence de ce concept-valise dans cette période s'inscrivait dans un contexte de soulagement (disparition de l’ennemi) et d'optimisme (la mondialisation heureuse). Il fait la synthèse d'une pluralité d'éléments :
- l'assimilation des industries culturelles américaines à un modèle universel : l'irrésistible attirance du contenu "mainstream" prolonge la prédominance politique et économique de l'hyperpuissance
- l'exemplarité du mode de vie US, que l'on cherche à imiter partout sur la planète, l'admiration pour une société ouverte et prospère
- plus largement encore, la notion qu'une sorte de sens de l'histoire qui menait l'humanité à adopter un même modèle politique, économique et culturel, favorisé par la fin de la grande confrontation Est Ouest et par l'émergence des nouvelles technologies
- le triomphe des valeurs occidentales confirmé par leur victoire contre le communisme
- et la stratégie qui semblait en découler : chercher le plus possible à obtenir le consensus, l'alliance et le soutien de autres nations. Bref, ne pas se montrer autoritaire pour rester séduisant.
Le tout repose sur deux éléments : l'absence de réelle compétition face à un modèle présumé triomphant, et la fin inéluctable de l'hostilité. Contrairement à la vision volontariste et agressive de la diplomatie publique antérieure (la lutte idéologique contre le communisme menée depuis les années 60 sous l’étiquette « diplomatie publique »), il ne s’agissait plus de gagner une compétition entre deux visions du monde ou de déstabiliser l'autre, mais d'assurer paisiblement une transition heureuse sur fond de pax americana. De ne pas contrarier un mouvement auquel tendent les lois de l'économie et de la technique (via la révolution de l'information ). Et d'attirer encore davantage vers ce que tous tendent naturellement à admirer.
Le 11 septembre bouleversa tout. Autant que la révélation de sa fragilité, l'Amérique fut frappée par le retour du tragique et du conflit. La figure de l'Ennemi revient et avec elle le principe de compétition idéologique. Dans un réflexe presque pavlovien, l'une de premières réactions de l'administration Bush fut de recréer un sous secrétariat d'État à la Diplomatie Publique. Ses missions : répondre à l'angoissante question "Mais pourquoi nous haïssent-ils ?", rétablir l'image de l'Amérique en lançant de nouveaux médias arabophones cette fois (et, modernité oblige quelques sites Internet), mener une politique de séduction envers le monde arabe en séparant ceux avec qui l'Amérique a "des valeurs communes" de "ceux qui haïssent notre liberté et notre mode de vie". Plus tard, on s’essaiera au contre-discours et à la déradicalisation comme réponse psychologique à un problème géopolitique. On commencera aussi à pratiquer quelques interventions pour soutenir des mouvements politiques de type révolutions de couleurs qui devaient liquider les derniers autocrates de la planète, avec de l’argent, des médias et une formation à l’activisme non violent.
Les schémas de guerre froide trouvent une nouvelle jeunesse dans une perspective de guerre au terrorisme (que l'administration Obama rebaptisera pudiquement "combat contre l'extrémisme violent"). Avec la même notion sous-jacente d'un malentendu : si les gens nous connaissaient vraiment, ils nous aimeraient. L'anti-américanisme est évoqué en termes de "misperception", comme si tout était affaire de mauvaise compréhension. Une bonne communication « basée sur les faits », qu’elle passe par des chaînes internationales ou par les réseaux sociaux (où va se déployer une diplomatie numérique) doivent y porter remède.
Durant les années Obama, l’image du personnage - celle qui lui permet, par exemple, d’avoir été le président américain qui a fait le plus de guerres et le plus longtemps pendant ses mandats tout en ayant la réputation d’être l’archange de la paix - occulte bien des choses.
D’abord la multiplicité des acteurs qui s’essaient au jeu du soft power. Les autres grandes Nations qui adoptent des stratégies d'image (on parle désormais de "Nation branding") et de communication. La prolifération des chaînes internationales d'information (y compris qatarie, saoudienne, vénézuelienne, russe...) en est un bon symptôme. La Chine, la Russie adoptent les mêmes méthodes : développement de médias internationaux, réseaux d’influence, protections de leur espace Internet et intervention sur celui des autres.
Mais les États ne sont pas seuls à jouer le nouveau jeu : les lobbies internationaux, les mouvements d'idées, les ONG, les groupes activistes transnationaux, etc. sont aussi entrés en lice avec des moyens de dénonciation, d'inspiration, de mobilisation jusque là inconnus. Ils sont désormais à même d'imposer leur thématique, leurs débats, leurs exigences à des États courant souvent derrière l'évolution de l'opinion pour reprendre le contrôle de leur agenda et l'initiative politique. Même les mouvements terroristes (après tout le terrorisme, "propagande par le fait" est aussi un moyen d'influence) fonctionnent avec des moyens d'expression nouveaux que ce soit sur le Net ou à travers des médias classiques (voir le Hezbollah se dotant d'une chaîne de télévision par satellite).
- Les réseaux numériques perturbent la donne. En interne, ils affaiblissent le contrôle des États : la critique venue de l'extérieur ou de l'intérieur, l’appel à la résistance et à l’action se développent avec le Web 1.0 puis 2.0. Tandis que dans le camp des démocraties, le discours officiel est contredit par le journalisme citoyen, la fuite ou le "whistle blowing" (de la circulation des images de sévices à Abou Graibh aux révélations à très grande échelle de Wikileaks). La tendance lourde d'Internet s'est exaspérée (une capacité de communiquer avec la planète entière à la portée de chacun, pourvu qu'il parvienne à mobiliser les réseaux de l'indexation, de la citation, de la recommandation etc, qui permettront à son message d'émerger et d'attirer l'attention de l'opinion en situation de surinformation). Du coup, ce qui enchantait l’Occident au moment du printemps arabe - l’État ne peut contrôler l’expression, les réseaux se jouent des frontières, l’information est produite par tout un chacun, émetteur et prescripteur à la fois - change de signe au moment de l’Ukraine et surtout de l’année de l’élection présidentielle US. C’est désormais la subversion 2.0 que l’on craint.
Avec la propagande djihadiste, les États-Unis ont découvert la résistance de croyances « archaïques » face aux effets sophistiqués des machines à produire du consensus global. En clair le fondamentalisme islamique se renforce du spectacle de nos démocraties et de nos modes de vie. Et, surprise, voilà que se développent des courants populistes, des idéologies « illibérales », assumées à l’est de l’Europe, et que la Russie recommence à exercer attraction et influence hors de ses frontières.
Le phénomène arroseur arrosé culmine en 2016 et 2017 quand l’appareil d’État américain se met à dénoncer la désinformation et les manipulations que subiraient les U.S.A. L’ingérence venue du froid est devenue une machine à expliquer la conduite des peuples qui votent mal (Brexit, Trump, Catalogne)... Moscou utiliserait conjointement les réseaux humains (sa cinquième colonne) et les réseaux virtuels pour répandre théories conspirationnistes et fake news. Pire, les Russes attaquent sur tous les fronts (cela s’appelle la guerre hybride) : interventions militaires et soutiens à des gouvernements ou mouvements armés, propagande par des médias internationaux (Russia Today et Radio Spoutnik), trolls et pirates en ligne, intrusions dans les ordinateurs du Parti démocrate ou de Macron pour faire fuiter des informations compromettantes, alimentation des réseaux de fausses nouvelles...
Que Trump se fiche du soft power, c’est une évidence. Il s’adresse bizarrement à son électorat, à des gens qui hurlent de joie chaque fois qu’il choque les médias et les élites, des gens qui l’ont, après tout, élu sur un programme isolationniste. Mais derrière Trump cause, il y a Trump symptôme. Celui d’une Amérique qui avait déjà perdu le monopole des moyens et de l’ambition de séduire la planète. Idéologiquement, en tout cas.François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 6 décembre 2017)
Les éditions Fol'Fer viennent de publier un essai d'Alain Sanders intitulé La désinformation autour d'Abraham Lincoln. Journaliste et ancien professeur de lettres, Alain Sanders est notamment l'auteur de biographies du marquis de Morès et du général Robert E. Lee (Pardès, 2015) ainsi que de Centurions - Trente baroudeurs de l'Indochine française (Atelier Fol'Fer, 2015) et de Mercenaires - Soldats de fortune et d'infortune (Fol'Fer, 2017).
" Le 22 septembre 1862, Lincoln, qui sent que sa guerre d'invasion lui échappe, émet la Proclamation d Émancipation. Un « coup de com » (comme on dirait de nos jours) de la part de celui qui, le 4 mars 1861, déclarait : « Je n'ai aucunement l'intention, ni directement ni indirectement, d'intervenir à propos de l'esclavage dans les États où il existe ».
Lincoln, « Grand Émancipateur » des esclaves ? Interrogé par un de ses ministres sur l'avenir des esclaves affranchis, il répondra en chantonnant un air alors à la mode : « Débrouille-toi, goinfre-toi ou meurs. » Sa proclamation de 1862 n'est rien d'autre qu'un tour de passe-passe politique, une « mesure militaire » comme il le reconnaîtra cyniquement.
« Qui que ce soit qui s'embarque dans une étude sur Lincoln doit d'abord mettre fin au mythe Lincoln. Les efforts qui sont faits pour briser la croûte qui entoure la légende Lincoln relèvent à la fois d'un travail formidable et intimidant. » (Robert W. Johannsen)
Alors ne nous laissons pas intimider ! "
Nous reproduisons ci-dessous un point de vue du journaliste Nicolas Gauthier, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré la montée en puissance de l'Iran et au conflit entre chiites et sunnites...
L’Iran, puissance montante en Orient : panique à Riyad, sang-froid à Tel Aviv…
Au-delà des emportements du moment, il y a le temps court et le temps long. L’adversaire conjoncturel et l’ennemi structurel. En cette heure du tout-médiatique, l’émotion a trop tendance à prendre le pas sur la réflexion. Phénomène qui aggrave plus encore les travers d’une doxa dominante, toujours plus prompte aux concepts binaires qu’à la pensée à long terme.
Un tel état d’esprit n’épargne pas plus la gauche que la droite. L’une considère que les forces de la réaction identitaire marcheraient en rangs serrés, forte d’un plan ourdi de longue date ; la seconde estime qu’une oumma aussi fantasmée que fantasmatique s’apprêterait à présider les destinées du monde, obéissant à on ne sait quel génial stratège enterré sous la montagne, qui manipulerait attentats terroristes et invasions migratoires.
La réalité est fortuitement moins lyrique, telle qu’en témoigne par exemple une actualité irano-saoudienne riche d’enseignements. Et qui nous démontre, une fois de plus, que le fameux choc des civilisations entre Occident et Orient, islam et chrétienté, relève plus du slogan de circonstance que d’autre chose. Ce qui n’empêche pas d’autres personnes, par calcul politicien ou aveuglement politique, de jouer de ce totem, espérant qu’à force d’invoquer le Diable, on puisse finir, tôt ou tard, par le faire apparaître.
En l’occurrence, de quoi est-il question ? Une fois et encore de l’ancestrale lutte entre les deux branches majeures de l’islam, sunnites et chiites. L’occasion de rappeler, une fois de plus, que les guerres religieuses les plus sanglantes sont les guerres internes menées contre les hérétiques – catholiques contre protestants – et non point celles que l’on déclare à une religion concurrente. Dans ce conflit, deux pôles majeurs, Riyad et Téhéran. La première entend régenter le monde sunnite, tandis que la seconde a la ferme intention de fédérer les chiites de la région. Et c’est ainsi que, dans cet affrontement larvé, l’Iran est en passe de donner corps au pire des cauchemars de l’Arabie saoudite ; soit ce croissant qui va désormais de Téhéran à Beyrouth dont la double faute consiste à professer un islam hérétique et, pis, de n’être pas arabe.
Dans Le Figaro de ce lundi, notre confrère Georges Malbrunot note, avec pertinence : « Dans cette guerre, le modèle iranien est incontestablement plus efficace. Il repose sur des milices locales, parfois plus puissantes que les armées nationales. Le génie iranien est d’avoir su tisser un réseau de relais locaux qui permet à Téhéran de contrôler sans avoir besoin d’être massivement déployé sur place. » Pour un peuple ayant inventé le jeu d’échecs, cela ne relève pas exactement de l’exploit ; ce, d’autant plus qu’il est favorisé en cette manœuvre par trois facteurs majeurs.
L’impéritie militaire, diplomatique, politique et économique du rival saoudien. Le retrait des USA de la région et le retour en force de la Russie. Et, surtout, l’attentisme bien compréhensible de l’État hébreu. On peut encore y ajouter le fait que Riyad n’est pas la capitale la plus à même de négocier dans un contexte post-terroriste, alors qu’elle est celle ayant le plus appuyé ces mêmes mouvements, aujourd’hui en déroute. Remarque qui vaut, d’ailleurs, aussi pour l’Occident en général et Israël en particulier.
Pourtant, cette dernière nation se montre finalement la plus lucide sur ce dossier brûlant, à en croire cette passionnante tribune publiée dans The Jerusalem Post : « Le désengagement des États-Unis au Moyen-Orient laisse le champ libre à Téhéran. » Dans cette dernière, on prend ainsi acte du récent rapprochement américano-russe : « Cet accord inattendu entre les deux grandes puissances porte le coup de grâce à la résurrection de la grande alliance contre l’Iran des pays sunnites pragmatiques. »
Et c’est ainsi que, pendant que Riyad lèche ses plaies, que Téhéran pousse ses pions, Tel Aviv en est réduit à compter les points. Un arbitre qui menace certes de siffler la fin de la partie, mais qui n’a pas plus les moyens que l’envie de s’en prendre directement à un Iran en train de réaliser le but qui a toujours été le sien depuis des siècles ; à savoir renouer avec l’Empire perse de jadis. Temps long, disions-nous…
Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 28 novembre 2017)
Nous reproduisons ci-dessous un point de vue cueilli sur Idiocratie et consacré à Charles Manson, figure d'une contre-culture bien utile au système...
Charles Manson superstar... du système
On ne devient pas le plus célèbre prisonnier des Etats-Unis par l’effet du hasard. Les crimes sauvages, perpétrés dans la chaleur suffocante de l’été 1969, par la « Famille Manson » révèlent l’autre facette de l’American way of life : celle du cauchemar sous acides. Depuis cette date, le regard magnétique de Charles Manson tient l'Amérique sous la menace du "démon", menace d'autant plus forte que la nation est placée sous le signe de Dieu (God bless America). En vérité, les deux versants du rêve communient ensemble dans la société du spectacle qui naît à l’orée des années 1970 : Manson en est à la fois l’icône et la victime. Il représente le mal absolu dont le système a besoin pour se prévaloir du souverain bien.
Depuis cette date, la partition a été jouée de multiples de fois avec, d’un côté, les rebelles de la contre-culture qui se gargarisent de renverser toutes les idoles et, de l’autre, les représentants du système qui font rempart de leurs corps institués pour assurer aux « bons » citoyens un semblant de sécurité. Pendant ce temps, à l’ombre du spectacle, la machine économique dédouble de férocité pour soumettre l’ensemble du vivant à la valeur marchande. En effet, c’est le capital « qui a brisé toutes les distinctions idéales du vrai et du faux, du bien et du mal, pour asseoir une loi radicale des équivalences et des échanges, la loi d’airain de son pouvoir »[1] ?
Dans ce contexte, Charles Manson a finalement joué le rôle qu’on attendait de lui : celui du double maléfique. La part du mal à laquelle toute société est inévitablement confrontée quand bien même ladite société se prétend « démocratique » et « humaniste ». Or, à l’évidence, cela relève de la fable. Au contraire, Manson est un pur produit du système. Il appartient à la fraction de plus en plus importante des individus qui ne servent à rien dans le système de production, ceux que l’on appelle des « rebuts » : « ce qu’il y a de plus vil, de plus méprisable dans un groupe ». Il est simplement l’un de ces « hommes en trop » qui se retourne contre le système dont il est le pur produit.
Manson en a parfaitement conscience lorsqu’il déclare aux juges, non sans provocation : « Ces enfants qui viennent à vous avec leurs couteaux sont vos enfants. C’est par vous qu’ils ont été éduqués ». En effet, le « gourou » sait de quoi il parle : fils d’une mère alcoolique et d’un père inconnu, il est éduqué par des tuteurs sadiques avant d’être envoyé en maison de correction et dans divers établissements pénitenciers pour de multiples infractions. En 1967, à la veille de sa dernière libération, il fait d’ailleurs savoir aux gardiens qu’il n’a aucune envie de retourner avec les « maniaques du dehors ». On connaît la suite. Manson profite de son magnétisme indéniable pour se couler dans la contre-culture naissante : psychédélisme sous LSD, vie communautaire « libre », discours pseudo-spirituel, encens et bricolage musical, etc. Sans oublier, bien sûr, l’autre versant de cette culture soi-disant alternative : solitudes désolées, narcissisme maladif et délires égotiques.
En tous les cas, Manson prépare sa revanche contre la société. L’élaboration du plan ne relève pas le moins que l'on puisse dire du génie criminel : il compte faire assassiner de riches blancs en utilisant les symboles des Black Panters afin de provoquer une guerre raciale au terme de laquelle il apparaîtra comme le sauveur ! A cet égard, il faut rappeler que Manson n’est pas l’assassin mais le commanditaire de la dizaine de meurtres qui vont émailler la conduite rocambolesque de ce plan. Il est rapidement arrêté avec plusieurs membres de sa « famille psychédélique ».
Le procès qui s’ouvre le 15 juin 1970 sera le plus long et le plus onéreux des Etats-Unis. Il inaugure la justice spectacle. Dignes de Hollywood, tous les acteurs se surpassent pour élever le fait divers au rang de récit mythique. Charles Manson en tête, la petite frappe se métamorphose en gourou satanique qui s’est rayé lui-même de la société, comme est censé le prouver la croix gammée qu’il s’est incisé entre les yeux. Le procureur développe un trésor d’ingéniosité pour transformer les crimes crapuleux en un véritable plan diabolique orchestré contre l’ordre établi. L’une des accusée, Susan Atkins, avouera plus tard que l’interprétation délirante de la chanson « Helter Skelter » des Beatles (comme motivation des crimes) lui a été fortement inspiré par les enquêteurs. Au plus haut niveau de l’Etat, c’est le président lui-même, Richard Nixon (fraîchement élu en 1969), qui se sert du procès pour se draper dans les oripeaux du protecteur de la nation. Le public éberlué suit les épisodes du procès comme celui d’une série en attendant que le rideau tombe. Le 29 mars 1971, Manson est condamné à la peine de mort – sentence commuée en peine de prison à vie en 1972. On le sait d’avance, le tueur en série qu’il n’est pas et que se plaisent à décrire les journalistes ne sortira jamais de prison. C’est l’autre rançon de la célébrité. Il s’est éteint le 19 novembre 2017.
Cette affaire nous semble symptomatique d’une nouvelle gestion des affects en milieu capitaliste inhospitalier. Le cas Manson a permis d’absolutiser une figure somme toute banale du crime pour en faire un mal originaire, impénétrable, avec ses réminiscences religieuses et son lot de sensationnalisme. En contrepoint, l’Etat joue sur toutes les palettes de la peur des citoyens (sexe, drogue, secte) pour se présenter comme le gardien des valeurs et le garant de l’ordre. Ce qui n’était sans doute pas prévu au départ, c’est que la figure de Manson n’a cessé d’attirer à elle de nombreux artistes qui en ont fait l’un des mythes constitutifs de la contre-culture. Par ce phénomène, il a tout simplement été possible de convertir le ressentiment des déclassés et autres rebuts du système en décharges culturelles – l’on sait comment les révoltes de mai 68 sont devenus à la fois le carburant et l’alibi du néolibéralisme.
Cette posture s’est finalement démultipliée au cours des années suivantes pour former les deux versants d’une même réalité sociale : sa face transparente et sa face nocturne – les deux étant intimement liés dans la répartition et l’inversion des rôles. Aujourd’hui, les gagnants de la mondialisation s’abreuvent très largement à la contre-culture tandis que cette dernière fonctionne tranquillement avec les codes du marché. Les traders se prennent volontiers pour des gangsters sans foi ni loi – Mathieu Pigasse est un « punk de la finance » ! – tandis que les bonnes consciences altermondialistes en appellent au développement durable. On comprend mieux pourquoi, dans un tel monde, Charles Manson est devenu l’icône de la contre-culture comme Che Guevara est celle de la révolution. L’un et l’autre ont été vidés de leur substance et parfaitement intégrés dans le dispositif spectaculaire-marchand.
Des idiots (Idiocratie, 24 novembre 2017)
Note :
[1] Jean Baudrillard, Simulacres et simulation, 1981.