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Métapo infos - Page 234

  • Une guerre entre la Chine et les États-Unis est-elle inévitable ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Frédéric Eparvier cueilli sur Polémia et consacré à l'affrontement Chine/Etats-Unis. Frédéric Eparvier, cadre dirigeant d’un grande entreprise française à caractère stratégique.

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    Une guerre entre la Chine et les États-Unis est-elle inévitable ?

    Graham Allison, prophète apocalyptique ?

    Un grand nombre de commentateurs soi-disant spécialistes de géopolitique, ou autres généraux de plateaux, ainsi que de nombreux hommes politiques font référence au « Piège de Thucydide », s’appuyant, sans même peut-être l’avoir lu, sur le livre de Graham Allison : Vers la guerre. L’Amérique et la Chine dans le piège de Thucydide.[1]

    De qui et de quoi parle-t-on ?

    Graham Allison, est Docteur en sciences politiques de l’université de Harvard, et s’est fait connaître par sa thèse de doctorat sur le poids de l’administration sur la politique étrangère des États-Unis ; ce que l’on appellerait aujourd’hui mutatis mutandis: l’État profond.[2] Comme souvent aux États Unis, il a alterné entre enseignement à l’université de Harvard, et des participations aux administrations démocrates. Il est bien sur membre des influents « think tanks » américains : la Rand Corporation (plutôt républicaine), ou la Brookings Institution, et le Council of Foreign Relations (plutôt démocrates).

    Graham Allison a la réputation d’avoir inventé l’expression « piège de Thucydide », même si pour être très franc, « La guerre du Péloponnèse » était déjà largement utilisé comme modèle d’une relation bilatérale (États-Unis URSS à l’époque) dès les années 1980 aux États-Unis.[3]

    Thucydide est un général Athénien, qui a rédigé une extraordinaire histoire de la guerre entre Sparte et Athènes qui bouleversa la Grèce entre 431 et 404, et vit la victoire de la Cité terrestre et conservatrice : Sparte, sur la Cité maritime et impérialiste : Athènes.[4] La nouveauté de Thucydide, qui fait preuve d’un rationalisme extrême[5] est de distinguer entre les causes immédiates et les causes « vraies » du conflit. « En fait, la cause la plus vraie est aussi la moins avouée ; c’est à mon sens que les Athéniens, en s’accroissant, donnèrent de l’appréhension aux Lacédémoniens, en les contraignant ainsi à la guerre. »[6]

    La thèse de Graham Allison est que « Quand une puissance ascendante menace de supplanter une puissance établie, quelles que soient les intentions, il en résulte une telle tension structurelle que le conflit violent devient la règle, non l’exception. »[7] Et pour prouver son hypothèse, il s’appuie sur seize études de cas qui révèlent que dans 75% des cas, le « piège de Thucydide » trouve son issue dans la guerre ouverte.

    Il passe alors la relation sino-américaine au tamis de son hypothèse, pour démontrer la dangerosité de la situation actuelle, et s’il reconnaît que la guerre n’a rien d’inévitable, il souligne que « Les facteurs favorisant la guerre pèsent parfois si lourd que l’on peine à concevoir une autre issue. » [8]

    Il imagine alors différents scenarii conduisant à la guerre : accident en mer de Chine qui dégénère, guerre entre les deux Corées etc… et se met en scène pour proposer un chemin vers la paix.

    Tout cela est séduisant, mais faux, car reposant à la fois sur un problème de méthode, une analyse simpliste des causes des guerres étudiées, et enfin, une mauvaise interprétation de l’œuvre de Thucydide.

     

    Reprenons :

    Graham Allison étudie (je pense d’ailleurs, qu’il a fait étudier seize crises par des étudiants de Maîtrise ou de License – nous y reviendrons) seize « pièges de Thucydide » pour mesurer combien terminent en conflits ouverts. Les résultats sont synthétisés dans le tableau ci-dessous :[9]

     

    SIÈCLE PUISSANCE DOMINANTE PUISSANCE MONTANTE RÉSULTAT
    XV Portugal Espagne Pas de guerre
    XVI France Habsbourg Guerre
    XVII Habsbourg Empire Ottoman Guerre
    XVII Habsbourg Suède Guerre
    XVII Pays-Bas Angleterre Guerre
    XVIII France Angleterre Guerre
    XIX Angleterre France Guerre
    XIX Angleterre / France Russie Guerre
    XIX France Allemagne Guerre
    XX Chine Russie Japon Guerre
    XX Angleterre États-Unis Pas de guerre
    XX Angleterre / France Allemagne Guerre
    XX Angleterre / France / URSS Allemagne Guerre
    XX États-Unis Japon Guerre
    XX États-Unis URSS Pas de guerre
    XX Royaume-Uni France Pas de guerre

     

    Si la thèse se veut convaincante, en avançant que 75 % des crises correspondant « au piège de Thucydide » se terminent par une guerre, l’étroitesse de la base statistique suffit à la discréditer celle-ci. 16 conflits, sur les milliers de conflits que le monde a connus, depuis que le monde est monde, avec 87 % des exemples choisis en Occident, et sur cinq siècles seulement, ce n’est vraiment pas très sérieux.

    Deuxièmement, la base statistique étant trop étroite, une crise de plus ou de moins, se terminant ou non en conflit et le chiffre magique de 75 % change très vite ; s’aggravant ou perdant toute signification. Passons les études à 20, suivant que l’on en choisi de 1 à 4 se terminant par un compromis, la thèse de Graham Allison, s’effondre progressivement de 75, à 60 %, ce qui est nettement moins convaincant…

    Troisièmement, on peut quand même s’interroger sur la répartition géographique des cas étudiés. Deux cas en Asie, pas un cas en Afrique ou au Moyen Orient. C’est gens-là ne se sont jamais fait la guerre ? Franchement tout cela serait beaucoup plus sérieux, si Graham Allison avait pris 50 cas, répartis sur 2000 ans, et sur les cinq continents.

    De plus, si vous prenez la peine de lire les cas d’études, vous serez consternés par les exemples choisis : le dernier par exemple, qui met en scène une crise entre l’Angleterre et l’Allemagne dans les années 1990 pour la domination continentale en Europe ? De qui se moque-t-on ?

    Ou encore, le douzième, celui de la guerre 14-18 qui se résumerait à un affrontement entre une puissance dominante / déclinante l’Angleterre et une puissance montante l’Allemagne. Les deux livres de Christopher Clarck : Les somnambules et de Margaret MacMillan : Vers la grande guerre publiée en 2014 ont largement montrés que les causes de la guerre civile européenne étaient bien plus complexes qu’une simple rivalité entre puissances établies ou déclinantes

    Ils démontrent aussi et surtout, que rien n’était écrit à l’avance et que la paix, était et est restée très longtemps une option possible et crédible.

    Non, les seize cas étudiés par Allison donnent surtout l’impression d’être un empilage de devoirs d’étudiants en Licence (Bachelor of Arts) ou Maîtrise (Master of Arts) et quand on connait l’effondrement du niveau scolaire et universitaire américain, du fait de l’offensive « Woke » / illuminée, on ne saurait être surpris par la pauvreté du résultat.[10]

    Sens de l’histoire contre volonté des hommes

    Enfin, il convient de rester très prudent avec le concept du piège de Thucydide tel que présenté par Graham Allison.

    En effet, si Thucydide indique bien que la cause vraie de la guerre entre Sparte et ses alliés, et Athènes et ses alliés-vassaux, et la peur que Sparte eu de la montée en puissance d’Athènes, la cause profonde démontrée dans tous les discours qui illustrent le narratif « thucydidien », et dans toutes les études érudites qui en ont été faites, est le refus par Sparte de subir le changement de régime qu’une domination, pire une défaite, face à Athènes, aurait entrainé.[11] Pour la communauté dorienne qui dominait Sparte, le risque d’hégémonie athénienne sur le monde grec, revenait à accepter l’établissement d’un régime « démocratique », dans l’ensemble des Cités du Péloponnèse, et partant, à Sparte. Pour la minorité dorienne de Laconie, c’était un risque existentiel. Et c’est bien contre ce risque qu’ils sont entrés en guerre. [12]

    Bien plus qu’une compétition pour une domination régionale ou mondiale tel que présenté par Graham Allison, c’est le risque de « regime change » comme l’on dirait aujourd’hui, qui entraine -en grande partie- les conflits entre nations. C’est quand une nation, un régime, se sent menacé dans son existence même, qu’il entre en guerre.

    Soyons donc clair, il n’y a pas de piège de Thucydide. Il n’y a aucun déterminisme qui ferait que deux nations doivent obligatoirement se combattre. Comme le dit très bien Anne Cheng dans ses cours sur la Chine au Collège de France, et les dieux savent qu’elle n’est vraiment une amie du pouvoir chinois actuel, parler du piège de Thucydide, c’est mettre immanquablement la Chine et les États-Unis dans une posture de confrontation.

    Comme le disait Jean-Marie Bastien Thiry lors de son procès : « Il n’y a pas de sens de l’histoire, […] car ce qui fait l’histoire, c’est la volonté des hommes, c’est l’intelligence des hommes, ce sont leur passions bonnes ou mauvaises. » et je rajouterai : c’est le courage des hommes !

    Je rajouterai aussi, la volonté des hommes, mise au service d’une vision et d’une stratégie. Mais aujourd’hui, en Europe et en France, c’est le vide sidéral. Ce que je vous démontrerai dans un prochain article sur la consternante « boussole stratégique européenne ».

    Frédéric Eparvier (Polémia, 16 mars 2023)

     

    Notes :

    [1] ALLISON, Graham. Vers la guerre. L’Amérique et la Chine dans le piège de Thucydide. Odile Jacob, 2019.
    [2] ALLISON, Graham. The Essence of Decision. 1976.
    [3] E.g., mes cours avec Robert JERVIS ou Zbigniew BRZEZINSKI à Columbia University.
    [4] L’ouvrage de Thucydide couvre les années 431 à 411. La suite de la guerre est décrite dans Les Helléniques de Xénophon.
    [5] Sur ce sujet on lira avec intérêt : DE ROMILLY, Jacqueline. Histoire et raison chez Thucydide. Les Belles Lettres. 2018.
    [6] THUCYDIDE. Histoire de la guerre du Péloponnèse. Collection Bouquins. 1990. P.184.
    [7] ALLISON, Op. cit. p. 15
    [8] Allison, Graham. Ibid, p. 68
    [9] Op. cit. 66-67
    [10] A ce sujet, on regardera les vidéos de Victor Davis Hanson sur Youtube, et particulièrement son dialogue avec Jordan Peterson : « The downfall of the Ivy League » : « La chute des universités aristocratiques de la cote Est » : Harvard, Princeton, Yale, Columbia, Brown, Cornell, Dartmouth, Pensilvania. En anglais.
    [11] N’oublions pas qu’au début de la guerre du Péloponnèse, il y avait 60 000 citoyens à Athènes, et moins de 9 000 à Sparte. Athènes était plus puissante que Sparte.
    [12] KAGAN, Donald. Nouvelle histoire de la guerre du Péloponnèse I et II. Les belles lettres. 2019 et 2021.

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  • Le IIIe Reich et le monde...

    Les éditions Perrin viennent de rééditer dans leur collection de poche Tempus, l'étude historique de Charles Bloch, parue initialement en 1986 et intitulée Le IIIe Reich et le monde. Professeur d'histoire contemporaine à l'université de Tel-Aviv, Charles Bloch, disparu en 1987, a consacré l'essentiel de ses travaux à l'histoire du IIIe Reich.

     

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    " Quelles étaient les conceptions d'Hitler en matière de politique étrangère et comment les a-t-il appliquées ? Quels étaient ses principaux collaborateurs en matière de diplomatie et quels rôles précis jouèrent-ils ? C'est à ces questions cruciales et à bien d'autres que Charles Bloch répond avant de dérouler la riche et dramatique histoire diplomatique – qui se confond avec l'histoire tout court – du IIIe Reich de 1933 à 1945. Écrit dans une langue limpide, cet immense livre, publié à l'Imprimerie nationale en 1986, n'a pas été remplacé et sa lecture reste indispensable à quiconque s'intéresse à l'histoire de la période.
    " Le livre de Charles Bloch est l'un des meilleurs écrits sur cette période tumultueuse et il s'imposera vite comme une référence obligée ", écrivait à sa sortie Hervé Coutau-Bégarie. "

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  • Michel Villey, l'antimoderne ?...

    Dans ce nouveau numéro de l'émission de TV Libertés, « Les idées à l’endroit », Rémi Soulié, pour évoquer la figure du grand historien et philosophe du droit Michel Villey, reçoit Chantal Delsol, philosophe, professeur à l’Université de Marne-la-Vallée, et Thibault Mercier, avocat, fondateur du Cercle droit et liberté.

     

                           

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  • La guerre avant la guerre...

    Les éditions Konfident viennent de publier une chronique de Thierry Marignac intitulée La guerre avant la guerre. Romancier non-conformiste et traducteur d'anglais et de russe, Thierry Marignac a publié plusieurs romans, dont Fasciste (réédition Actusf, 2015),  Renegade Boxing Club (Gallimard, 2009),  Milieu hostile (Baleine, 2011), L'icône (Les Arènes, 2019) ou Terminal croisière (Auda Isarn, 2021), ainsi que des recueils de nouvelles.

     

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    " Thierry Marignac découvre Kiev fin 2004, en pleine révolution orange, à l'occasion d'un reportage sur la toxicomanie en Ukraine financé par une ONG de George Soros. Avant son départ, un ami russe l'a mis en garde : « Tu veux toujours y aller ? La guerre civile vient de commencer... »

    Quand il retourne dans le pays, dix ans plus tard, la révolte du Maïdan est passée par là. On se bat dans le Donbass, entre Ukrainiens, affrontements qui justifieront huit ans plus tard « l'opération militaire spéciale » ordonnée par le Kremlin.

    Loin des propagandes des deux camps, Thierry Marignac raconte l'Ukraine qu'il connaît : un État en faillite, gangrené par la corruption, livré à la cupidité d'une poignée d'oligarques, à la violence de groupes criminels opérant sous différents paravents idéologiques et à toutes les ingérences étrangères. Un édifice vermoulu, dont la grande erreur des Russes fut de croire qu'il s'écroulerait en février 2022, mésestimant ainsi un incontestable sentiment national."

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  • La Guerre Sainte des démocraties face au choc des réalités...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre de Lauzun cueilli sur Geopragma et consacré à l'échec du discours idéologique porté par le camp occidental dans l'affrontement avec la Russie. Membre fondateur de Geopragma, Pierre de Lauzun a fait carrière dans la banque et la finance.

     

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    La Guerre Sainte des démocraties, face au choc des réalités

    A propos de la guerre d’Ukraine, la question d’un grand affrontement entre démocraties et régimes autoritaires a été soulevée. Beaucoup en sont convaincus dans ce qu’on appelle un peu rapidement l’Occident. La réalité est autrement plus nuancée.

    On le voit déjà au niveau planétaire : si une majorité nette de pays a condamné l’invasion russe de l’Ukraine, seuls les Occidentaux ont décidé des sanctions. Entre les deux lectures possibles ‘occidentales’ du conflit ukrainien (agression contre un Etat, ou lutte du bien et du mal), la première se révèle bien plus féconde internationalement. La grande majorité des pays hors ‘Occident’, démocraties comprises, ne se sent pas impliquée par une idée de grande croisade contre des forces antidémocratiques. D’autant qu’ils ne se sentent pas menacés par la Russie. La situation est sur ce point nettement différente de celle de l’URSS, qui avait un programme idéologique et pouvait s’appuyer sur des forces locales plus ou moins classées comme révolutionnaires, de sorte qu’à côté de la menace militaire éventuelle, limitée à certaines zones, on craignait une menace idéologique bien plus large.

    Ce qui veut dire concrètement que la prétention des Occidentaux à représenter un camp qui serait celui de la démocratie est de fait contestée. Bien des pays considèrent d’ailleurs à tort ou à raison que la menace d’une intervention occidentale, notamment américaine, idéologique ou à prétexte idéologique, est pour eux plus sérieuse que la menace des autres, et en tout cas plus étayée par l’expérience. On peut ajouter que la définition même du camp des démocraties n’est pas vraiment évidente. Comme chacun sait, dans le camp dit occidental de nombreux régimes non-démocratiques ont trouvé et trouvent tranquillement place.

    Du côté des Etats classés autoritaires (Chine, Russie, Iran et autres) la situation est loin d’être simple ou uniforme. Partout il y a une ligne officielle, plus ou moins idéologique, et à forte composante nationaliste. Mais c’est à usage interne, et de façon très différenciée. Si la Chine présente à l’évidence une situation spécifique, en cela que l’idéologie marxiste y est supposée rester une référence interne majeure, et qu’un parti communiste y est parti unique, ce n’est pas un produit d’exportation, au moins actuellement et à vue humaine. De même a fortiori pour la Corée du Nord. Quant à la Russie actuelle, le régime, de fait de plus en plus autoritaire, ne met pas en avant de modèle politique original pouvant servir d’exemple, en dehors du simple fait de ce caractère autoritaire. Corrélativement, ce pays ne se signale pas par une grande originalité idéologique. Certes il se présente comme divergeant du monde occidental sur plusieurs sujets, comme les questions de société et de mœurs, mais cela ne constitue pas une alternative politique. On ne se rapproche d’une forme d’idéologie prosélyte qu’avec l’Iran, mais ce n’est qu’un cas parmi d’autres dans le monde musulman ; et la dimension iranienne d’un côté, chiite de l’autre, apparaît très largement prépondérante dans son action extérieure.

    Il apparaît donc en définitive que du point de vue des idées et du régime le rapprochement entre Russie, Chine et Iran est passablement circonstanciel, et largement dû à l’existence d’un adversaire commun, occidental. On ne saurait discerner de véritable impérialisme idéologique de leur côté.

    Cela ne les classe évidemment pas comme des petits saints. Il y a chez les uns ou les autres une propension évidente au débordement de puissance, de sorte que dans leur opposition commune aux Occidentaux (en fait, aux Américains) le discernement entre cause et effet soit sujet à débat. Mais ne n’est pas l’effet d’un antagonisme idéologique irréductible, du moins vu de leur côté et de celui des tiers. La volonté de puissance est une chose, l’idéologie une autre. Inversement bien sûr, de trop grands succès de leur côté favoriseraient sans doute un modèle autoritaire de régime ici ou là, mais cela pourrait prendre des formes très variables, faute de modèle.

    Il est par ailleurs patent que la propension occidentale, ou plutôt américaine, à la recherche régulière de l’instauration de la démocratie par la force, est à la fois remarquable par son inefficacité et, à nouveau, une cause majeure de la crainte que cette manie instille non moins régulièrement un peu partout. Le monde arabe a été comme chacun sait le lieu le plus caricatural de la démonstration, le cas du malheureux Iraq étant ici emblématique. Cette démocratisation avait pourtant eu l’air d’opérer après 1945 en Allemagne et au Japon, mais c’était après une guerre à mort radicale, et dans une mesure importante dans les deux pays on renouait avec des situations antérieures à leur dérive agressive. Et en tout cas cet interventionnisme ne fonctionne pas ailleurs. D’autant moins que, comme on l’a dit, dans la perception générale hors Occident la volonté de puissance du supposé libérateur l’emporte sur les motivations démocratisantes affichées. En bref, l’affichage démocratique est ruiné par son identification de fait avec ce qui est perçu à tort ou à raison comme un impérialisme. C’est manifeste notamment en Afrique ou au Moyen Orient, ou sous une forme plus modérée en Amérique latine. Et même là où la dimension stratégique peut favoriser l’identification au camp occidental, voire à la démocratie, celle-ci n’est pas vécue comme une copie impliquant la solidarité – ainsi en Asie du Sud et du Sud-Est.

    Est-ce à dire qu’il n’y ait pas en la matière de soft power ? Ou que les thèmes idéologiques soit sans effet ? Evidemment non. Il est évident que le thème de la démocratie ou plus encore celui de la liberté ont une audience et une résonance, éventuellement fortes. Mais sur ce plan le facteur essentiel reste les évolutions politiques internes, qui peuvent bien sûr être facilitées par une action de rayonnement si elle est appropriée. A condition de ne pas insister sur des facteurs répulsifs comme l’idéologie woke, et cette manie de vouloir imposer une vision des mœurs qui répugne à la plupart des cultures.

    On peut noter par ailleurs qu’en matière économique, notamment de commerce international, une attitude apparemment inverse a prévalu côté occidental. Mais elle était en réalité tout aussi idéologique, et non moins contestable. Toujours par idéologie, on a en effet poussé activement à une ouverture maximale des frontières douanières et autres, et à l’entrée de la Chine puis de la Russie à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), sans aucune réflexion sur la dimension pourtant évidemment stratégique d’un tel commerce, et sur le besoin de se protéger de ces partenaires qu’on vilipendait par ailleurs. Car on croyait avec une naïveté confondante que le « doux commerce » allait déboucher sur la paix, et surtout, dans les pays concernés, sur la démocratie. Le résultat de cette illusion a été de donner à la Chine le moyen d’un formidable bond en avant qui en a fait l’usine de la planète et un compétiteur stratégique de premier plan.

    La mythologie de la supposée croisade des démocraties contre les forces du mal, et le mélange des genres entre relations de puissance et idéologie, sont donc en résumé contre-productives de façon générale, et cela du point de vue même de ses promoteurs. Certes, au niveau international, la dimension idéologique n’a pas disparu, mais à l’époque actuelle ce qui domine est le polycentrisme des puissances, le développement de chacun dans sa logique propre. Face à cette réalité, on ne peut qu’être frappé par le contraste avec le rôle subsistant de l’idéologie dans la vie politique dans ce qu’on appelle Occident. Y compris d’ailleurs au niveau interne, que ce soit par son utilisation croissante par la construction européenne au détriment des réalités nationales, ou par son rôle ravageur dans le déchirement interne américain. Mais en tout cas, sous sa forme conquérante et agressive ce n’est pas un très bon article d’exportation.

    Conséquemment, dans le cas de la guerre d’Ukraine le déterminant principal pour l’attitude à tenir n’est pas la nature des régimes (ce qui n’empêche pas d’avoir une opinion critique sur eux et leurs comportement, et de l’exprimer), mais la dimension internationale, qu’il s’agisse de considérations de droit, d’évaluation des rapports de forces réels ou espérés, ou de la paix possible.

    Pierre de Lauzun (Geopragma, 16 mars 2023)

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  • Les quatre justiciers...

    « Que dire de ses romans, sinon qu'ils sont tous à l'image de leur auteur: haletants, vulgaires, magnifiques ? Bref, vivants, tellement vivants. »

    Jean Mabire, Edgar Wallace, dans Que Lire (tome 5)

     

    Les éditions Auda Isarn viennent de rééditer un roman d'Edgar Walllace intitulé Les quatre justiciers.

    Correspondant de guerre, journaliste, écrivain, Edgar Wallace (1875-1932) travailla également pour le cinéma américain et fut notamment le scénariste du célèbre film King Kong en 1933. Les 4 Justiciers est le premier des 90 romans qui firent de lui, en Angleterre, « le roi du thriller » dans les années 1920-1930.

     

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    " L’inspecteur Falmouth écoute sonner au loin la cloche de Big Ben. En même temps, il regarde fixement la porte derrière laquelle un homme, un ministre, risque sa vie. Pourtant toutes les précautions ont été prises. Toute la machinerie de Scotland Yard est déployée… Dans les rues, la foule stationne, avide de savoir si le ministre mourra à huit heures précises, comme l’ont juré les 4 Justiciers, ces mystérieux inconnus qui se sont donné pour tâche de pallier les insuffisances de la justice des hommes, de lutter contre les criminels qu’elle est incapable de débusquer et de punir, d’éliminer de la surface du globe les parfaites incarnations du mal qui y sévissent en toute impunité.

    L’inspecteur tend toujours l’oreille. Big Ben sonne le dernier coup de huit heures. Le miracle se serait-il produit ? Le ministre aurait-il échappé à la menace… Mais, soudain, un cri déchire le silence revenu ! L’inspecteur enfonce la porte et se rue dans le bureau… "

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