Le désir farouche des bourgeois français de faire travailler davantage le populo est tout à fait fascinant. Ce n'est pas un banal calcul économique mais bien une véritable passion qui travaille le corps et l'esprit de la bourgeoisie depuis des lustres. Il faut que les ploucs, qui sont par nature des feignasses, travaillent davantage, plus longtemps. C'est ainsi, c'est une injonction, une incantation, c'est un mantra. Et peu importe que cela ne leur rapporte rien personnellement et que cela ne fasse qu'engraisser un peu plus les exilés fiscaux, les fonds d'investissements et les nababs de l'oligarchie libérale-mondialiste qu'ils rêvent secrètement de devenir en pensant n'être pour le moment que de vagues cousins éloignés de ces êtres d'élite et d'exception. Mais cela reste la famille !
Il ne s'agit pas tant d'argent que de pouvoir, de rapports de force, de « morale », la leur. La réforme des retraites, c'est la poursuite de la lutte des classes par d'autres moyens. Le peuple doit marner, c'est son rôle, sa fonction. Les milliardaires n'ont jamais été aussi nombreux et aussi riches, croulant sous des fortunes qui ont depuis longtemps dépassées la plus abjecte indécence, pendant que les salaires sont au plus bas et que l'inflation ronge chaque jour un peu plus le pouvoir d'achat, mais peu importe, l'ennemi c'est le facteur, le cheminot, l'agent EDF, l'ouvrier, l'infirmier... Au boulot, au boulot, sinon cette belle économie, juste et équilibrée, risque de s'effondrer ! Vous imaginez le drame ?
Et ce n'est pas l'incohérence complète du projet – entre chômage de masse, inactivité forcée des plus de 50 ans, immigration incontrôlée, milliards distribués à l'Ukraine et à l'Afrique... - qui gêne ces prétendus grands réalistes et « pragmatiques » puisqu'il s'agit avant tout d'un combat idéologique. C'est la revanche des descendants des Maîtres des forges et des propriétaires miniers privés du travail des enfants et de la semaine de 7 jours sans repos. Et ce n'est qu'un début ! A grands coups « d'efforts collectifs », de « lutte contre les avantages indus » et de « valeur travail », le 19e siècle est devant nous ! Ceux qui sont – ou pensent être – du bon côté du manche, du bon côté du système, s'en réjouiront sans doute, mais pour combien de temps ? Peut-être jusqu'au moment où leurs enfants ou petits-enfants, déclassés et paupérisés, viendront leur demander des comptes, réclameront des explications, voudront savoir pourquoi, au nom de mesquines jalousies et de mépris de classe, ils ont sabordé et détruit un système bâti dans le sang et la sueur, arraché à la cupidité et au froid calcul marchand, et qui, sans être parfait, apportait un peu de justice et d'équité à un monde qui ne peut être supportable que si l'on brise l'avidité féroce et sans limite des prédateurs, qui seront toujours plus néfastes et dangereux que les « parasites » au SMIC ou au RSA, exclus de facto de la société, du pouvoir décisionnel et de la vie publique, dont ils se servent comme de faciles boucs-émissaires.
Xavier Eman (A moy que chault !, 9 février 2023)