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guerre - Page 62

  • L'Europe barbare...

    Les éditions Perrin publient cette semaine L'Europe barbare - 1945-1950, une étude de l'historien britannique Keith Lowe. L'auteur a déjà publié un ouvrage intitulé Inferno (Scribner, 2007), pas encore traduit en français, consacré au bombardement de Hamburg en 1943, qui avait provoqué la mort de 40 000 habitants...

     

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    " La Deuxième Guerre mondiale s'est officiellement achevée en mai 1945, mais son déchaînement de violence perdura des années. Après plus de 35 millions de morts et nombre de villes rasées, les institutions que nous considérons aujourd'hui comme acquises, police, médias, transports, gouvernements nationaux et pouvoirs locaux, étaient à reconstruire. Le taux de criminalité montait en flèche, les économies s'effondraient et la population européenne survivait au bord de la famine.
    Dans ce livre au souffle épique, Keith Lowe décrit un continent secoué par la violence, où de vastes segments de la population répugnent encore à accepter que la guerre soit finie. Il met l'accent sur la morale pervertie et le désir insatiable de vengeance qui furent l'héritage de ce conflit. Il dresse, enfin, le tableau du nettoyage ethnique et des guerres civiles qui déchirèrent l'existence des gens ordinaires, de la mer Baltique à la mer Méditerranée, avant l'instauration chaotique d'un nouvel ordre mondial qui finit par apporter la stabilité à une génération brisée."

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  • Incroyable ! On meurt à la guerre...

    Nous reproduisons ci-dessous un bon point de vue de Jean-Dominique Merchet, cueilli sur Marianne et consacré à la perception de la guerre par les médias français...

     

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    Incroyable ! On meurt à la guerre...

    « La guerre se durcit. Un soldat français tué au Mali ». Ces mots font peur à lire. Peur parce qu’ils sont le titre d’un journal sérieux, en l’occurrence Le Monde (1). Peur parce qu’ils témoignent d’un manque de recul sur ce qu’est la guerre.  Toute notre époque médiatique est là : dans le perte de la mesure et, disons-le, du sens commun. Un mort à la guerre et la voilà qui se durcit ! On se pince… 
     

    Il se trouve qu’en effet, on meurt à la guerre. C’est même une vieille histoire, qui remonte plus haut que le néolithique.  Les soldats ne s’en étonnent pas. S’ils pleurent leurs camarades tombés au champ d’honneur, l’évocation d’un « durcissement » de la guerre, après qu’un sergent-chef des commandos ait été mortellement touché, ne provoquerait que soupirs ou éclats de rires dans les popotes.  Plus que jamais, les médias ressemblent à ces fidèles que Bossuet moquaient dans ses sermons : « On n’entend dans les funérailles que des paroles d’étonnement de ce que ce mortel est mort »
     

    La nouveauté radicale des guerres contemporaines est bien que les militaires y meurent peu. Mais de là à s’étonner qu’il y ait encore des morts…  Pour s’en tenir aux Français, depuis le 11 janvier, deux militaires ont été tués dans les combats du Mali.  En Libye, aucun mort ni blessé. En Afghanistan, 88 morts mais en dix ans…  Comparons simplement ce chiffre aux 24.000 militaires décédés durant la guerre d’Algérie, sur une période plus courte.  Sans parler des 900 morts par jour de la Première guerre mondiale. 
     

    Certes, tout ce qui est rare est cher. La perte d’un seul militaire est ainsi devenu un événement national – qui justifie un tweet de l’Elysée et une cérémonie officielle. Il est légitime que la nation honore ceux qui tombent en son nom, mais l’émotion ne doit pas systématiquement prendre le pas sur la raison. Si l’on s’engage dans un conflit armé – et l’on doit s’interroger sur la nécessité de le faire – il faut quand même en accepter les conséquences. Et la première d’entre elles, c’est qu’il y aura des morts et que la guerre ne se durcira pas au deuxième d’entre eux. 
     

    Cette attitude infantile, qui consiste à s’étonner de la conséquence de ces actes, on la retrouve malheureusement dans les piaillements de la presse sur  la couverture des événements du Mali. Lundi, un autre journal sérieux, Libération, titrait : « Où est passée la guerre ? » Sous-entendu : on nous cache tout, on nous dit rien.  Le gouvernement et l’armée ne communiquent pas et les journalistes ne peuvent pas travailler correctement. Le reportage en zone de guerre est un exercice compliqué, dangereux.  Et le dialogue entre militaires et journalistes est par nature l’objet de tensions. Les uns ont besoin des autres et réciproquement, car une guerre moderne se gagne aussi sur le terrain médiatique. 
     

    Mais la guerre - tous les militaires de tous les temps l’ont toujours su – est essentiellement faite de longs moments d’ennuis au cours desquels ils ne se passent rien et de très brefs moments d’action, de violence et de peur. Ce sont eux, et eux seulement, qui intéressent les médias. Or, la réalité des opérations au Mali – sur lesquelles on dispose d’informations très complètes – est qu’il y a peu d’opérations... et, qui plus est, qu’elles se déroulent sur un territoire immense.  Quelques patrouilles des forces spéciales dans le nord-est. Parfois un accrochage. Des frappes aériennes ciblées.  Au fond, pas grand chose à montrer.
     

    Prenons une frappe aérienne : qu’est ce que c’est ? L’imagination du public, nourrie de films de guerre, nous fait volontiers imaginer un avion arrivant dans un grand vacarme et larguant ses bombes sur une colonne de pick-up en fuite. Vous n’y êtes pas !  Si vous êtes en l’air, c’est un échange de coordonnées sur ordinateur,  le « clang » que fait la munition quand elle se détache pour se diriger vers sa « target » à plus de dix de kilomètres. Si vous êtes au sol, vous ne voyez pas la bombe arriver et  soudain c’est une grosse explosion. Personne ne s’est même rendu compte qu’un avion était là…  Efficace, mais moins spectaculaire qu’un Stuka en piqué toute sirène hurlante.
     

    On nous dit rien, on nous cache tout ? Faisons simplement l’effort de comprendre que les guerres réelles ne sont pas celles que nous fantasmons.  On y meurt toujours, mais ce n’est pas non plus le grand barnum auquel les médias aspirent. 

    Jean-Dominique Merchet (Marianne, 21 février 2013)

     

    Note :

    (1) Le titre complet de la Une du journal daté du jeudi 21 février est «  Otages, combats rapprochés : la guerre se durcit. Une famille française enlevée dans la nord du Cameroun, un soldat français tué au Mali. »

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  • Les ravages de la désinformation...

    Les éditions Favre publient cette semaine un essai de Michel Klen, intitulé Les ravages de la désinformationOfficier saint-cyrien, qui a terminé sa carrière dans le renseignement, docteur en lettres et sciences humaines, Michel Klen est notamment l'auteur de L'Odyssée des mercenaires (Ellipse, 2008) et de  Femmes de guerre - une histoire millénaire (Ellipse, 2010). 

     

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    " La désinformation reste une « arme de destruction massive » qui a toujours été utilisée avec une efficacité redoutable par les faiseurs d’opinion et les régimes dictatoriaux. Ce livre examine ce phénomène de société en présentant les techniques fallacieuses inhérentes à ce jeu subtil de poker menteur (bluff, intoxication, rumeur, propagande, etc.) et en analysant les grandes duperies de l’Histoire. 
    La désinformation, du russe desinformatsiya, terme apparu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, était censée désigner des pratiques capitalistes visant à l’asservissement des masses populaires. Elle a évolué et fait actuellement totalement partie de l’inconscient collectif. Son objectif est de provoquer un choc émotionnel sur certains sujets particulièrement mobilisateurs pour affaiblir un régime, saper le moral d’un adversaire ou déprécier un camp hostile.
    Dans cet échiquier de la supercherie figurent notamment: le matraquage idéologique du système soviétique, les mensonges du président Bush pour justifier l’intervention en Irak, les opérations de tromperie alliées qui ont leurré Hitler pendant la Seconde Guerre mondiale et la manipulation des esprits qui a faussé la perception de certains événements majeurs (l’histoire tronquée de la guerre d’Algérie, l’opération Turquoise au Rwanda, les mensonges de Kadhafi dans la crise tchadienne, etc.). 
    La nouvelle civilisation de l’information qui a émergé au milieu des années 1980 avec l’expansion brutale des nouveaux moyens de communication a ouvert la voie à de nombreuses « autoroutes de la désinformation ». En l’absence d’un code de conduite, ces nouveaux flux ont généré des situations mensongères et des dérives graves, en particulier dans le réseau Internet. Formidable espace d’échanges et de connaissances, la « Toile » s’est imposée comme une arme à double tranchant car elle présente le risque d’être exploitée par les professionnels de la falsification qui ne manquent pas d’implanter dans le réseau planétaire des paramètres altérés dans le but de tromper l’opinion publique, principal levier d’action des décideurs. Au quatrième pouvoir de la presse qui apporte l’équilibre nécessaire à l’autorité établie se superpose ainsi un authentique cinquième pouvoir, celui de la désinformation qui vient perturber les repères de notre société."

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  • Gagner une guerre aujourd'hui ?...

    Nous vous signalons la parution aux éditions economica d'un ouvrage collectif, dirigé par le colonel Stéphane Chalmin et intitulé Gagner une guerre aujourd'hui ?. On trouvera dans ce livre des textes d'officiers comme le général Vincent Desportes ou le colonel Michel Goya mais aussi d'auteurs comme Alain de Benoist, Dominique Venner, Jacques Sapir, Jean-Sylvestre Montgrenier ou Bernard Wicht, notamment. A lire, donc !

     

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    " Le monde contemporain est marqué par un paradoxe majeur. Les affrontements armés s’y multiplient mais, parallèlement, l’emploi de la force militaire ne produit le plus souvent que des résultats ambigus, loin des objectifs que se fixaient les différentes parties.

    Les difficultés rencontrées par les armées occidentales sur les différents théâtres où elles ont été engagées depuis la fin de la deuxième guerre mondiale posent ainsi une question claire : est-il encore possible aujourd’hui, pour elles, de gagner une guerre ?

    L’utilisation de l’outil militaire par les États dans la conduite de leur politique extérieure demeure nécessaire et légitime. Mais quels objectifs peut-on rechercher, quelles sont les conditions du recours à la force, à quelles contraintes va-t-on faire face, assiste-t-on à un déclin de la puissance militaire occidentale, comment « réussir » nos guerres ?

    Autant de questions fondamentales auxquelles les meilleurs spécialistes apportent leurs réponses complémentaires dans cet ouvrage qui éclaire d’un jour nouveau une problématique centrale du monde d’aujourd’hui."

    Au sommaire :

    Introduction générale

    L’impuissance de la puissance militaire, préambule du Général Vincent Desportes

    Les forces morales, Alain de Benoist

    La France peut-elle encore gagner une guerre ?, Colonel Michel Goya

     
    La nature des opérations a profondément changé

    La place des guerres urbaines, Antonin Tisseron

    La place du droit dans les guerres, Michel Deyra

    Les limites de l’approche globale en Afghanistan, Olivier Hubac

     
    Un environnement bouleversé

    Les défis d’un monde polycentrique et déséquilibré. De l’Europe à l’Occident, Jean-Sylvestre Mongrenier

    La société civile et la guerre, Jean-Jacques Roche

    De la guerre à l’intervention, de la victoire au succès, Christophe Wasinski

     
    Une légitimité remise en question

    L’avenir de la guerre et des armées, Dominique Venner

    Le Front moral de la guerre, Louis Gautier

    Armée et démocratie : le réquisit d’une raison éthique consolidée, Cynthia Fleury

    Le « déni de la mort » dans les sociétés modernes occidentales et ses conséquences sur la vision de la guerre, Frédéric Coste

     
    Les acteurs doivent s’adapter pour obtenir la victoire

    Gagner par l’artefact ? Le rôle de la technique dans la victoire, Joseph Henrotin

    Agir militairement en Afrique, GCA Jean-Paul Thonier

    La régénération des nations. Schwitzer werden - la voie suisse – Swissbollah, Bernard Wicht

    L’introuvable patrie, Raymond Boudon

    La force des démocraties, Élie Baranets

    Les démocraties savent-elles encore gagner les guerres ?, Jacques Sapir
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  • Opérations extérieures et opérations d'influence...

    "Nous autres idéalistes, enfants des lumières et de la civilisation, pensons régulièrement que la guerre est morte. Las, cet espoir est aussi consubstantiel à l'homme que la guerre elle-même. Depuis que l'homme est homme, la guerre et lui forment un couple indissociable parce que les hommes sont volontés – volonté de vie et volonté de domination – et que la confrontation est dans la nature même de leurs rencontres." Général Vincent Desportes, La guerre probable (Economica, 2008)


    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par le général Vincent Desportes à Bruno Racouchot pour l'excellente revue Communication & Influence, éditée par le cabinet COMES. Le général Desportes est l'auteur de nombreux essais consacrés à la stratégie comme Comprendre la guerre (Economica, 2000) ou La guerre probable (Economica, 2008). 

     

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    Opérations extérieures et opérations d'influence: le décryptage du Général Vincent Desportes

    Somalie, Centrafrique, Mali… à des titres divers, l'armée française intervient sur bien des fronts. Il ne s'agit plus seulement de frapper l'ennemi, il faut aussi gérer les conflits informationnels et anticiper les réactions, le tout en intégrant de multiples paramètres. Comment percevez-vous cette imbrication des hard et soft powers ?

    Nous assistons indéniablement à un affrontement des perceptions du monde. Les terroristes cherchent à faire parler d'eux, à faire émerger leur perception du monde à travers des actions militaires frappant l'opinion, actions dont la finalité est d'abord d'ordre idéologique. Ils inscrivent leurs actions de terrain dans le champ de la guerre informationnelle. Ils font du hard power pour le transformer en soft power. Les opérations militaires qu'ils conduisent le sont en vue de buts d'ordre idéologique. Ils ne recherchent pas l'effet militaire immédiat. Ils agissent plutôt en termes d'influence, à mesurer ultérieurement. Dans cette configuration, il y a une interaction permanente entre le militaire stricto sensu et le jeu des idées qui va exercer une influence sur les opinions publiques. La guerre est alors vue comme un moyen de communication, qui a pour but de faire changer la perception que le monde extérieur peut avoir de celui qui intervient.

    Notons que cela ne joue pas que pour les terroristes. La France intervient au Mali et elle a raison de le faire. En agissant ainsi, de manière claire et efficace, elle modifie la perception que le monde pouvait avoir d'elle, à savoir l'image d'une nation plutôt suiveuse des États-Unis, comme ce fut le cas en Afghanistan. En intervenant dans des délais très brefs et avec succès loin de ses bases, en bloquant les colonnes terroristes, en regagnant le terrain perdu par les soldats maliens, et surtout en ayant agi seule, elle ressurgit d'un coup sur la scène médiatico-politique comme un leader du monde occidental. Était-ce voulu au départ ? Je ne sais pas. Mais le résultat est là. La France retrouve sa place dans le jeu complexe des relations internationales à partir d'une action militaire somme toute assez limitée. En conséquence, si l'on veut avoir une influence sérieuse dans le monde, nous devons conserver suffisamment de forces militaires classiques relevant du hard power, pour pouvoir engager des actions de soft power. L'un ne va pas sans l'autre. Le pouvoir politique doit bien en prendre conscience.

     

    Justement, à l'heure où s'achève la réflexion sur le futur Livre blanc, quid des armes du soft power dans le cadre de la Défense ? La France n'est-elle pas en retard dans ce domaine ? N'est-il pas grand temps, comme vous le suggériez dans La guerre probable, de commencer enfin à "penser autrement" ?

    "Toute victoire, disait le général Beaufre, est d'abord d'ordre psychologique." Il ne faut jamais perdre de vue que la guerre, c'est avant tout l'opposition de deux volontés. En ce sens, l'influence s'impose bel et bien comme une arme. Une arme soft en apparence, mais redoutablement efficace, qui vise à modifier non seulement la perception, mais encore le paradigme de pensée de l'adversaire ou du moins de celui que l'on veut convaincre ou dissuader. Dans la palette qui lui est offerte, l'homme politique va ainsi utiliser des moyens plus ou moins durs (relevant donc de la sphère du hard power) ou au contraire plus ou moins "doux" (sphère du soft power) en fonction de la configuration au sein de laquelle il évolue et des défis auxquels il se trouve confronté.

    Le problème de la pensée stratégique française est justement qu'elle éprouve des difficultés à être authentiquement stratégique et donc à avoir une vision globale des choses. Notre pays a du mal à construire son action en employant et en combinant différentes lignes d'opérations. L'une des failles de la pensée stratégique française est de n'être pas en continuité comme le percevait Clausewitz, mais une pensée en rupture. C'est-à-dire qu'au lieu de combiner simultanément les différents moyens qui s'offrent à nous, nous allons les employer successivement dans le temps, au cours de phases en rupture les unes avec les autres. On fait de la diplomatie, puis on a recours aux armes du hard power, puis on revient à nouveau au soft power. Cette succession de phases qui répondent chacune à des logiques propres n'est pas forcément le moyen idoine de répondre aux problèmes qui se posent à nous. Utiliser en même temps ces armes, en les combinant intelligemment, me paraîtrait souhaitable et plus efficace. Notre pays a malheureusement tendance à utiliser plus facilement la puissance matérielle que la volonté d'agir en douceur pour modifier ou faire évoluer la pensée – et donc le positionnement – de celui qui lui fait face.

    Notre tradition historique explique sans doute pour une bonne part cette réticence à utiliser ces armes du soft power. Pour le dire plus crûment, nous nous méfions des manœuvres qui ne sont pas parfaitement visibles. L'héritage de l'esprit chevaleresque nous incite plutôt à vouloir aller droit au but. Nous sommes des praticiens de l'art direct et avons beaucoup de mal à nous retrouver à agir dans l'indirect, le transverse. À rebours par exemple des Britanniques, lesquels pratiquent à merveille ces stratégies indirectes, préférant commencer par influencer avant d'agir eux-mêmes. Prenons l'exemple de leur attitude face à Napoléon. Le plus souvent, au lieu de chercher l'affrontement direct, ils ont joué de toutes les gammes des ressources du soft power et engagé des stratégies indirectes. Ils ont cherché à fomenter des alliances, à faire en sorte que leurs alliés du moment, les Russes, les Prussiens, les Autrichiens, s'engagent directement contre les armées françaises. Ils ont su susciter des révoltes et des révolutions parmi les populations qui étaient confrontées à la présence ou à la menace française, comme ce fut le cas en Espagne. Le but étant à chaque fois de ne pas s'engager directement mais de faire intervenir les autres par de subtils jeux d'influence.

     

    Cette logique demeure toujours d'actualité ?

    Indéniablement. Même sur le plan strictement opérationnel, cette même logique perdure sur le terrain. Les travaux de l'historien militaire Sir Basil Henry Liddle Hart dans l'entre-deux guerres mondiales en matière de promotion des stratégies indirectes sont particulièrement édifiants. Liddle Hart prône le harcèlement des réseaux logistiques de l'adversaire, des frappes sur ses réseaux de ravitaillement, et dans le même temps recommande de contourner ses bastions plutôt que de l'attaquer de front.

    En ce sens, nous avons un retard à combler. Comme les Américains, au plan militaire, nous préférons l'action directe. Nous avons la perpétuelle tentation de l'efficacité immédiate qui passe par le choc direct. Pour preuve nos combats héroïques mais difficiles d'août 1914. On fait fi du renseignement, on croit que l'on va créer la surprise, on préfère agir en fondant sur l'adversaire, en croyant benoîtement que la furia francese suffira à l'emporter. On sait ce qu'il advint… Le fait est que nous préférons le choc frontal aux jeux d'influence. Nous comprenons d'ailleurs mal les logiques et rouages des stratégies indirectes. Nous cherchons à attaquer la force plutôt que la faiblesse, ce qui est à l'exact opposé de ce que prône Sun Tzu. Comme on le sait, pour ce dernier, l'art de la guerre est de gagner en amenant l'ennemi à abandonner l'épreuve engagée, parfois même sans combat, en utilisant toutes les ressources du soft power, en jouant de la ruse, de l'influence, de l'espionnage, en étant agile, sur le terrain comme dans les têtes. En ce sens, on peut triompher en ayant recours subtilement aux armes de l'esprit, en optimisant les ressources liées à l'emploi du renseignement, en utilisant de façon pertinente les jeux d'influence sur les ressorts psychologiques de l'ennemi.

     

    Jusqu'à ces dernières années, on hésitait à parler d'influence au sein des armées, principalement à cause des séquelles du conflit algérien. Les blocages mentaux sont encore très forts. Cependant, les interventions conduites par les Anglosaxons en Irak et en Afghanistan ont contribué à tourner la page. Nos armées doivent-elles, selon vous, se réapproprier ce concept et les outils qui en découlent ?

    Dans les guerres de contre-insurrection que nous avons eues à conduire, nous avons compris que l'important était moins de détruire l'ennemi que de convaincre la population du bienfait de notre présence et de notre intervention. Ce sont effectivement les Américains, qui ont redécouvert la pensée française de la colonisation, de Lyautey et de Gallieni, qui privilégiaient la démarche d'influence à la démarche militaire stricto sensu. Notre problème dans les temps récents est effectivement lié aux douloureuses séquelles du conflit algérien, où nous avions cependant bien compris qu'il fallait retourner la majorité de la population pour stabiliser le pays et faire accepter la force française. Ce qui, dans les faits, fut réussi. Le discrédit jeté sur les armées et certaines méthodes ayant donné lieu à des excès, ont eu pour conséquence l'effacement des enjeux de la guerre psychologique et des démarches d'influence.

    Avec l'Afghanistan, les choses ont évolué. Au début, nous considérions que l'aide aux populations civiles avait d'abord pour but de faire accepter la force. Ce fut peut-être un positionnement biaisé. Nous n'avions sans doute pas suffisamment intégré le fait que les opérations d'aide aux populations étaient primordiales, puisqu'il s'agissait d'opérations destinées à inciter les populations à adhérer à notre projet. Les Américains ont compris avant nous que les opérations d'influence étaient faites pour faire évoluer positivement la perception de leur action, en gagnant comme ils aimaient à le dire, les cœurs et les esprits de ces populations.

     

    Dans Le piège américain, vous vous interrogez sur les raisons qui peuvent amener les États-Unis à perdre des guerres. Accorde-t-on une juste place aux opérations d'influence ? Comment voyez-vous chez nous l'évolution du smart power ?

    Premier constat, la force est un argument de moins en moins utilisable, car de moins en moins recevable dans les opinions publiques. Si nous voulons faire triompher notre point de vue et imposer notre volonté, il faut s'y prendre différemment et utiliser d'autres moyens. Et d'abord s'efforcer de trouver le meilleur équilibre entre les outils qu'offre le soft power, avec une juste articulation entre les moyens diplomatiques ou d'influence, et les outils militaires. Ces derniers ne peuvent plus être employés comme ils l'étaient avant, l'avantage comparatif initial des armées relevant de l'ordre de la destruction.

    Ce bouleversement amène naturellement les appareils d'État à explorer les voies plus douces présentées par les opérations d'influence, lesquelles sont bien sûr davantage recevables par les opinions publiques. Or, pour en revenir à votre question, la puissance militaire déployée par les Américains est par nature une puissance de destruction, donc de moins en moins utilisable dans le cadre évoqué ici. Sinon, comment expliquer que la première puissance mondiale, qui rassemble plus de la moitié des ressources militaires de la planète, n'ait pu venir à bout des Talibans ?

    C'est bien la preuve que le seul recours à la force brute ne fonctionne pas. Les États doivent donc chercher dans d'autres voies que celle de la pure destruction, les moyens d'assurer la poursuite de leurs objectifs politiques. Même si nous devons garder à l'esprit que ce moyen militaire stricto sensu reste essentiel dans certaines configurations bien définies. Il ne s'agit pas de se priver de l'outil militaire, qui peut demeurer déterminant sous certaines conditions, mais qui n'est plus à même cependant de résoudre à lui seul l'ensemble des cas auxquels les États se trouvent confrontés.

     

    Vous qui avez présidé aux destinées de l'École de guerre, quelle vision avez-vous de l'influence, des stratégies et des opérations d'influence ?

    L'enseignement à l'École de guerre évolue. Même si nous nous efforçons de penser avant tout sur un mode stratégique, néanmoins, nous travaillons toujours sur les opérations relevant prioritairement du hard power.

    Nous intégrons bien sûr les opérations relevant du soft power, mais elles ne sont pas prioritaires. L'élève à l'École de Guerre doit avant tout savoir planifier - ou du moins participer à des équipes de planification - dans le cadre de forces et d'opérations d'envergure. Il y a un certain nombre de savoir-faire techniques à acquérir, lesquels reposent davantage sur l'usage de la force que sur celui de l'influence. Pour les élèves, c'est là un métier nouveau à acquérir, complexe, très différent de ce qu'ils ont connu jusqu'alors, qui se trouve concentré sur l'emploi de la force militaire à l'état brut. Cependant, dans tous les exercices qui sont conduits, il y a une place pour les opérations d'influence. La difficulté est que l'on ne se situe pas là dans le concret, et que c'est délicat à représenter. Les résultats sont difficiles à évaluer, ils ne sont pas forcément quantifiables, ils peuvent aussi être subjectifs. Alors, peut-être d'ailleurs par facilité, on continue à faire ce que l'on sait bien faire, plutôt que de s'aventurer à faire ce qu'il faudrait réellement faire.

    L'Armée de Terre n'a pas à définir une stratégie d'ensemble. Elle doit simplement donner une capacité opérationnelle, maximale à ses forces. Une Armée se situe au niveau technique et opérationnel. Le niveau stratégique se situe au niveau interarmées. Et c'est là que doit s'engager la réflexion à conduire en matière de soft power. Ces précisions étant apportées, il n'en demeure pas moins que – tout particulièrement au sein de l'Armée de Terre – il est nécessaire d'avoir recours à la doctrine qui porte sur les actions à conduire en direction des populations, puisque l'on veut influer sur la perception qu'elles ont de notre action. Reconnaissons pourtant que nous sommes moins avancés que les Américains en ce domaine. Un exemple: un général américain qui commandait la première division de cavalerie en Irak, m'a raconté comment, avant de partir, il avait envoyé tous ses officiers d'état-major à la mairie de Houston pour voir comment fonctionnait une ville. Car il savait bien qu'il allait acquérir le soutien de la population irakienne non pas en détruisant les infrastructures, mais au contraire en rétablissant au plus vite les circuits permettant d'assurer les besoins vitaux, comme les réseaux d'eau ou d'électricité. Il a donc travaillé en amont sur une opération d'influence, qu'il a su parfaitement intégrer à sa manœuvre globale. De la sorte, la manœuvre d'ordre strictement militaire ne venait qu'en appui de la démarche d'influence.

     

    A-t-on agi de même en Afghanistan?

    En Afghanistan, on a travaillé sur trois lignes d'opérations: sécurité, gouvernance, développement. On a compris que l'on ne pouvait pas travailler de manière séquentielle, (d'abord sécurité, puis gouvernance, puis développement), mais que l'on devait travailler en parallèle sur les trois registres, avec une interaction permanente permettant d'aboutir harmonieusement au résultat final. Si les lignes gouvernance et développement relèvent peu ou prou de la sphère de l'influence, il faut cependant reconnaître que le poids budgétaire de la ligne sécurité est de loin le plus important.

     

    Pourquoi ?

    Au niveau des exécutifs gouvernementaux, on considère que les opérations militaires sont du ressort du hard power. Or, l'action sur les autres lignes d'opération est au moins aussi importante que sur la ligne d'opération sécurité. De fait, au moins dans un premier temps, les militaires sont d'autant plus à même de conduire les opérations d'influence qu'ils sont les seuls à pouvoir agir dans le cadre extrêmement dangereux où ils sont projetés. Mais ils ont effectivement une propension à penser prioritairement les choses selon des critères sécuritaires. Autre point à prendre en considération, les États ont des budgets limités pour leurs opérations. Les opérations militaires coûtent cher. La tendance naturelle va donc être de rogner sur les autres lignes qui n'apparaissent pas – à tort sans doute – comme prioritaires. Concrètement, influence, développement, gouvernance se retrouvent ainsi être les parents pauvres des opérations extérieures.

     

    N'y-a-t-il pas également un problème de formation?

    Dans les armées, on est formé comme lieutenant, capitaine, commandant pour parvenir d'abord à l'efficacité technique immédiate. On est ainsi littéralement obsédé par cet aspect des choses et son corollaire, à savoir le très rapide retour sur investissement. On concentre ainsi nos ressources intellectuelles sur le meilleur rendement opérationnel des forces, en privilégiant le budget que l'on consent à une opération. N'oublions pas que nous évoluons aujourd'hui au sein de sociétés marchandes qui veulent des retours sur investissement quasiment immédiats. Nous sommes ainsi immergés dans le temps court, à la différence par exemple des sociétés asiatiques qui, elles, ont une perception radicalement différente du facteur temps. Elles savent qu'à long terme, il est infiniment moins onéreux de laisser le temps au temps, de laisser les transformations se faire progressivement, d'accompagner par l'influence ces transformations. La Chine se vit et se pense sur des millénaires, elle connaît la force des transformations silencieuses qui atteignent leur objectif par le biais de savantes et patientes manœuvres d'influence. Nous cherchons le rendement immédiat à coût fort. Ils visent le rendement à long terme et à faible coût.

     

    En guise de conclusion, peut-il y avoir une communication d'influence militaire ?

    C'est un peu la vocation du Centre interarmées des actions sur l'environnement, créé en juillet dernier de la fusion du Groupement interarmées actions civilo-militaires (GIACM) et du Groupement interarmées des opérations militaires d’influence (GI-OMI). Sur les théâtres où nous opérons, nous mettons naturellement en place des vecteurs destinés aux populations locales, visant à mieux faire comprendre notre action, à faire percevoir en douceur les raisons pour lesquelles nous agissons. En un mot, nous nous efforçons de jouer sur les perceptions et sur l'image. Mais ce jeu assez fin sur l'influence reste le parent pauvre de l'action militaire.

    L'influence est tout en subtilité. On ne la perçoit pas comme on peut percevoir un tir d'artillerie ou une frappe aérienne. Même si nous sommes persuadés du bienfondé des opérations d'influence, nous ne parvenons pas à faire d'elles des priorités, donc à dégager suffisamment de budgets et de personnels à leur profit. En outre, les configurations actuelles privilégient plutôt les projections de puissance pour faire plier l'adversaire. Or, dans l'histoire et en prenant les choses sur le long terme, on constate que l'utilisation de la seule force pure ne marche pas dès lors qu'on examine les choses dans la durée. La projection de puissance ou l'action brutale sont capables de faire plier momentanément l'adversaire. Mais tant que l'on n'a pas changé les esprits, l'adversaire va revenir à la charge, quitte à contourner les obstacles. D'où l'importance capitale des opérations d'influence quand on embrasse une question dans son ensemble. Sur ces questions, je renvoie volontiers au remarquable ouvrage du général Sir Rupert Smith, L'utilité de la force, l'art de la guerre aujourd'hui (Economica, 2007). Pour lui, désormais, les opérations militaires doivent être considérées moins pour ce qu'elles produisent comme effets techniques que pour ce qu'elles produisent sur l'esprit de l'autre. C'est là une préoccupation relativement récente. Ainsi, les dommages collatéraux se révèlent contre-productifs et viennent miner le résultat militaire que l'on vise. Il nous faut bien plutôt réfléchir en termes d'effets à obtenir sur l'esprit de l'autre. C'est là que l'influence s'impose comme une démarche capitale, qu'il nous faut apprendre à maîtriser. Si l'on fait l'effort de mettre les choses en perspective, sur le long terme, on voit bien que toute action militaire, au fond, doit intégrer pleinement la dimension influence, jusqu'à être elle-même une action d'influence.     

    Général Vincent Desportes, propos recueillis par Bruno Racouchot (Communication & Influence, janvier 2013)

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  • Guerre au Mali : quelques éléments de réflexion...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue intéressant de Jean-Paul Baquiast, cueilli sur son site Europe solidaire et consacré à la guerre menée par notre pays au Mali... 

     

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    Quelques éléments pour comprendre la guerre au Mali et ses suites

    Dans la tornade d'évènements et de commentaires sur ce sujet, il est difficile de garder la tête claire. Quitte à simplifier, voici cependant quelques réflexions

    1. La France est peu aimée, sinon détestée, par les Etats-Unis et les Européens. On lui reproche dans le désordre un reste d'orgueil gaulois, sa réticence à ne pas se fondre entièrement dans l'atlantisme ambiant, ses anciens succès technologique, sa volonté de conserver un minimum de forces armées efficaces, ce qui reste de ses liens y compris humains avec le Maghreb et l'Afrique. Les « alliés » de la France, sans torpiller ouvertement son intervention au Mali, ne feront sans doute pas grand chose pour l'aider. Ils se réjouiront au contraire de la voir le cas échéant s'enliser. Ils seront les premiers à lui reprocher d'avoir mis en place un prétendu « nouvel Afghanistan ».

    2. Les Etats-Unis ont conduit depuis quelques années une entreprise discrète mais solidement dotée de moyens financiers et techniques pour s'imposer comme autorité capable d'exploiter les innombrables réserves minières et stratégiques dont dispose le Mali, divers autres Etats voisins et le Sahel en général. La preuve en est le rôle croissant de l'AFRICOM, directement soutenue par Barack Obama. L'objectif à terme est d'empêcher la Chine de mettre la main sur ces réserves. Les prétentions des Européens et notamment des Français à ce sujet seront évidemment présentées comme du néo-colonialisme. Par contre, selon les bonnes habitudes du « néo-colonialisme américain», toutes les manœuvres, allant de la corruption à la menace, pour s'imposer auprès des populations autochtones et éliminer l'influence française, seront mises en oeuvre.

    3. Une offensive de plus en plus générale de mouvements politico-religieux arabes voulant imposer la domination par une charria radicale est en train de se développer. Le Sahel n'y a pas échappé, non plus que des Etats comme le Nigéria avec le mouvement Boko Aram. Les principales moteurs en sont les Etats pétroliers du Moyen-Orient, notamment Arabie Saoudite et Qatar. Ils financent avec les dollars que leur procure l'appétit inextinguible de pétrole des Occidentaux le développement d'une prétendue guerre sainte, à base de wahabbisme et de charia, dans tout le Sahel mais aussi en Europe. Ceci leur permettra d'étendre leur pouvoir politique dans tout le Moyen-Orient et la Méditerranée, face notamment à la Russie et à l'Iran chiite. L'Europe a le grand tort de ne pas s'opposer systématiquement à ces tentatives, en acceptant de se faire acheter par les capitaux pétroliers.

    4. Ce serait une erreur pour les Européens, et la France en particulier, d'exagérer l'importance des mouvements se rattachant a Al Qaida, quand sous l'impulsion d' « émirs » fanatiques, ils prétendent pouvoir porter des coups fatals aux Européens. Néanmoins, dans des sociétés fragiles comme les nôtres, ils peuvent créer de nombreux troubles. Les nouveaux combattants apparaissent aujourd'hui plus déterminés que jamais, plus que jamais prêts à tuer et à mourir, comme le souligne le juge Trévidic dans son dernier livre (Les sept piliers de la déraison JC. Lattes). Il faut donc les combattre de façon déterminée, d'abord sur notre sol, mais aussi en Afrique, s'ils essayent comme ils le prétendent d'y instituer un khalifat à visée continentale. N'oublions pas que la France compte plus de 60.000 expatriés dans ces pays. Aucune bonne conscience ne saurait se permettre de demander leur abandon face aux attentats et agressions. Il en est de même des pays européens méditerranéens.  L'Europe devrait donc consacrer à ce combat, comme la France s'est enfin décidé à le faire, non seulement des moyens militaires mais des moyens de police et de sécurité. Il ne faudra pas hésiter à renforcer les moyens d'écoute, notamment sur le web. Les bonnes âmes s'en offusquent, mais dans de nombreux secteurs nous sommes en guerre. Il faut s'en persuader. Dans tous ces cas,  la coopération entre Européens s'impose afin que cette démarche soit efficace, face à des adversaires pouvant être multiformes,  fanatisés comme il a été dit et capables à tous moments d'initiatives déstabilisantes. Il faut éviter cependant de donner l'impression de former une coalition de « croisés » faisant la guerre à l'islam, piège dans lequel les djihadistes voudraient entraîner l'Europe. L'islam est majoritaire en Afrique, il est très présent en Europe. S'il ne contrevient pas aux lois et usages en vigueur, il doit être accepté au même titre que les autres religions.

    Dans cette lutte contre le djihadisme, poussés par les intérêts américains, les Européens et plus particulièrement les Français ont eu le plus grand tort d'abattre Khadaffi en Libye et de chercher à faire de même avec Bachar al Assad en Syrie. L'un et l'autre ont longtemps réussi à contenir des mouvements islamistes qui se déchainent dorénavant, en profitant des armes et avantages consentis par l'Occident. La Russie s'est montrée beaucoup plus avisée. Concernant la Syrie, il serait encore temps de revenir à plus de prudence. Par ailleurs, en ce qui concerne le « printemps arabe » en Tunisie et en Egypte, l'Europe devrait sans attendre se désolidariser de gouvernements dits islamistes modérés qui oppriment de plus en plus les oppositions démocratiques et les femmes.

    Concernant enfin le djihad au Sahel, les Européens et plus particulièrement la France devraient prendre garde à ne pas confondre des mouvements islamistes radicaux, se réclamant tel l'AQMI d'El Quaida, avec les représentants de communautés touaregs berbères souhaitant accéder à une indépendance qu'elles avaient perdue depuis longtemps.

    5. La CEDEAO, soutenue par l'ONU et bien évidemment par la France, souhaite actuellement mettre en place une coalition de moyens militaires et civils visant à lutter contre les groupes combattants islamistes. Il faut y arriver mais ce sera difficile, pour de multiples raisons tenant notamment aux divergences entre Etats et à leur impréparation. Mais il faut voir plus loin. Les Européens devraient se persuader que s'ils n'offrent pas à ces Etats des projets de développement économique et social, à partir notamment d'investissements productifs qu'ils devront aider sans perspectives de profit, cette stabilisation de la région ne se produira pas. Les pays européens seront les premiers à en souffrir. On peut craindre cependant que cette perspective d'une coopération à long terme France-Afrique et Europe-Afrique, constamment évoquée dans les discours, ne reste un voeu pieux – à moins que l'aggravation de la crise actuelle n'oblige les diverses parties à s'entendre de façon constructive. La France dans ce domaine, par sa bonne connaissance de la région, et par les bons contacts qu'elle y a conservés, aurait un rôle essentiel à jouer – tout néo-colonalisme mis à part. La France, par ses universités, pourraient rendre de grands services en offrant des soutiens aux universitaires et scientifiques africains souhaitant accéder à la formation et à la recherche. Des projets d'écoles doctorales ont été abandonnés face aux menaces islamistes. Ils devront être repris.

    6. Dans son combat actuel pour la reconstruction du Mali et la lutte contre le djihadisme, la France doit impérativement se trouver des alliés proches. A cet égard, l'Algérie a montré une très grande ouverture, à la suite de l'engagement français au Mali. Ce devrait être une occasion pour que la coopération entre les deux pays trouve enfin la dimension politique qu'elle n'avait pas encore pleinement. Les obstacles restent nombreux, notamment dans les esprits des populations. Mais les retombées réciproques en seraient si grandes qu'lle ne devraient plus être différés. Certaines voix  prétendent qu'il existerait une connivence entre l'Algérie et les Etats-Unis pour accepter un certain degré de terrorisme au Sahel, dont profiteraient les faucons dans les deux pays. Disons simplement qu'un approfondissement de la coopération entre l'Algérie et la France pourrait compenser de façon constructive l'influence souvent irresponsable et en tous cas totalement égoïste des Américains en Afrique. 

    7. Sur le plan militaire, comme nous l'avions indiqué dans des articles précédents, la France vient de montrer qu'elle était seule capable de mobiliser en quelques heures une force de projection, aussi modeste soit-elle. La machine gouvernementale, chef de l'Etat et ministre de la défense, s'est à cette occasion révélée aussi efficace qu'il était possible. Les Français de gauche comme de droite doivent en tirer la conclusion que la restriction des dépenses militaires entreprise sous prétexte de rigueur serait à terme suicidaire. Il faut au contraire renforcer les moyens en hommes, matériels et technologies avancées dont disposent la défense et la sécurité intérieure, en dehors de toutes préoccupations d'équilibre budgétaire.

    8. Ces évènements ont également montré que le concept de défense européenne, dans l'état actuel des esprits en Europe, demeure un rêve hors de portée. Les Européens sont donc condamnés, hors de l'appel à l'Amérique via l'Otan coûtant toujours plus cher en perte d'indépendance qu'il ne rapporte, à se priver de toute défense – ou demander l'aide de la France. Nous formons le vœu pour notre part que, dans le cadre d'une marche au fédéralisme qui semble inévitable, ce concept de défense européenne reprenne rapidement vie, ne fut-ce que dans les termes a minima proposés par l'ex premier ministre belge Verhofstadt dans Médiapart.

     

    Jean Paul Baquiast (Europe solidaire, 19 janvier 2013)

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