Le nouveau chic : mépriser le peuple
À lire les chroniques des figures bien cotées du système médiatique, on comprend que 2016 a été une année terrible: elles ont vu le multiculturalisme qu’ils chérissent tant remis en question de bien des manières. Elles ont vu la mondialisation heureuse désavouée par ceux qui ne veulent plus faire semblant d’y voir une fête. Tout cela parce qu’on a donné la parole au peuple et qu’il n’a pas répété les comptines officielles du progressisme mondain. Rien n’est plus chic, à la veille de cette nouvelle année, que de mépriser l’homme ordinaire en le présentant comme un gueux en haillons. On se met une pince sur le nez et on damne le populisme à gros grain!
C’est la doxa de notre temps qui éclate sous nos yeux. Le meilleur des mondes vanté par la propagande médiatique pousse en fait le monde occidental à une forme de suicide politique et culturel. Ce qui s’est exprimé en 2016, c’est une révolte populaire et conservatrice contre la dissolution d’une certaine idée de la civilisation occidentale. Derrière la critique de l’immigration massive ou le refus d’une souveraineté nationale décomposée, c’est une certaine idée du monde commun qu’on veut défendre, où l’enracinement a ses droits, où la continuité historique d’un peuple les a aussi. Une vieille vérité remonte à la surface : une nation sans frontières et obligée de dissoudre son identité est condamné à la disparition. Tout simplement.
Le peuple s’est révolté. Ce n’est pas toujours de la plus belle manière qui soit, naturellement, mais il nous faudra tôt ou tard sortir de l’illusion gestionnaire qui neutralise le politique en l’aseptisant. Qu’on le veuille ou non, la querelle politique est une querelle et elle est politique. Il faut la civiliser, évidemment, mais on l’étouffe si on veut la calquer sur un séminaire universitaire où deux théoriciens ralliés au progressisme mondain discutent ensemble en se faisant des peurs à l’idée que la société se déprenne du cadre idéologique étroit où ils voudraient la circonscrire tout en assimilant tout ce qui en sort à la «post-vérité». Ce concept devra être examiné finalement dans l'année à venir, pour voir ce qu'il désigne et ce qu'il déforme dans la réalité.
Ajoutons une chose: nos élites médiatiques, qui ne cessent de voir partout des phobies à combattre et qui assimilent le désir d’enracinement à une forme plus ou moins avouée de racisme ou de xénophobie font preuve d’une immense violence idéologique. Depuis plusieurs décennies, maintenant, ce sont des aspirations existentielles essentielles qu’on étouffe pour que naisse un citoyen du monde qu’on disait libéré de tout, et qu’on découvre terriblement décharné et dépossédé. Il n’est pas très beau, le paradis mondialisé. Il propose l’errance identitaire, la perte de repères, il abat les cadres protecteurs de l’existence humaine. En un mot, il nous propose une conception appauvrie et aliénante de l'être humain.
L’heure est au procès de l’homme ordinaire et à celui du démagogue qui le bernerait. On vise aussi les intellectuels qui ne se soumettent pas aux idées dominantes dans la profession. Nos bons esprits lèvent les yeux au ciel, maudissent le commun des mortels, dénoncent ce qu’ils appellent la droite identitaire, invoquent les grandeurs d’une mondialisation sophistiquée et prient pour que 2017 ne ressemble en rien à 2016. D’ailleurs, ils le disent comme tel, sans gêne: le peuple est un mot trompeur. Ils n’en parlent plus qu’avec un soupçon moqueur. Ce n’est pas sans avantage: une fois qu’on a décrété que le peuple n’existe pas, on peut bien plus aisément se ficher de ce qu’il dit et ne pas tenir compte de son vote.
Non au repli sur soi! Non à la peur de l’autre! Vive la diversité ! Vive la différence! Vive l’harmonie! Le programme multiculturaliste est tellement habitué à répéter ses slogans qu’il les prend pour autant de belles et vraies réflexions. Mais ces slogans sonnent creux. Un paradoxe apparaît: le progressisme multiculturaliste insulte brutalement ses contradicteurs qu’il présente comme des chantres de l’intolérance et ne se rend pas compte qu’il hystérise le débat public au même moment où il appelle à un débat apaisé. En 2016, c’est l’imposture d’une démocratie vidée de sa substance qui a commencé à se dévoiler. Il se pourrait bien que ce dévoilement se poursuive en 2017.
Mathieu Bock-Côté (Journal de Montréal, 31 décembre 2016)