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Métapo infos - Page 590

  • La crise du Coronavirus ou le grand retour du tragique...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Maffesoli, cueilli sur Figaro vox et consacré à l'ébranlement que provoque dans notre société la pandémie de coronavirus. Penseur de la post-modernité, Michel Maffesoli a publié récemment  Les nouveaux bien-pensants (Editions du Moment, 2014) , Être postmoderne (Cerf, 2018), La force de l'imaginaire - Contre les bien-pensants (Liber, 2019) ou, dernièrement, La faillite des élites (Lexio, 2019).

     

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    Michel Maffesoli: «La crise du Coronavirus ou le grand retour du tragique»

    Sans craindre les foudres d’une intelligentsia apeurée, on ne dira jamais assez que nous assistons à la décadence inéluctable de la modernité. Fin d’un monde se manifestant, au quotidien, dans une dégénérescence intellectuelle, politique, sociale dont les symptômes sont de plus en plus évidents.

    Dégénérescence de quoi, sinon du mythe progressiste? Corrélativement à l’idéologie du service public, ce progressisme s’employait à justifier la domination sur la nature, à négliger les lois primordiales de celle-ci et à construire une société selon les seuls principes d’un rationalisme abstrait dont l’aspect morbide apparaît de plus en plus évident. Les réformes dites «sociétales» (mariage pour tous, PMA-GPA, etc.) en étant les formes caricaturales.

    Le point nodal de l’idéologie progressiste, c’est l’ambition voire la prétention de tout résoudre, de tout améliorer afin d’aboutir à une société parfaite et à un homme potentiellement immortel.

    Qu’on le sache ou non, la dialectique: thèse, antithèse, synthèse est le mécanisme intellectuel dominant. Le concept hégélien de «dépassement» (Aufhebung), est le maître mot de la mythologie progressiste. C’est stricto sensu, une conception du monde «dramatique», c’est-à-dire reposant sur la capacité à trouver une solution, une résolution permettant d’accéder à la perfection à venir.

    Il est une formule de K. Marx qui résume bien une telle mythologie: «L’humanité ne se pose jamais que les problèmes qu’elle peut résoudre.» Ambition, prétention de tout maîtriser. Et que l’on veuille ou non le reconnaître, il existe, gauche et droite confondues, une véritable «marxisation» des esprits. L’élite moderne: politiques, journalistes et divers experts, est contaminée par cette prétention quelque peu paranoïaque. Dans un avenir, plus ou moins proche, l’on arrivera à réaliser une société parfaite!

    C’est bien cette conception dramatique, donc optimiste qui est en train de s’achever. Et, dans le balancement inexorable des histoires humaines, c’est le sentiment du tragique de la vie qui, à nouveau, tend à prévaloir. Le dramatique, je l’ai dit, est résolument optimiste. Le tragique est aporique, c’est-à-dire sans solution. La vie est ce qu’elle est.

    Plutôt que de vouloir dominer la nature, on s’accorde à elle. Selon l’adage populaire, «on ne commande bien la nature qu’en lui obéissant.» La mort, dès lors, n’est plus ce que l’on pourra dépasser. Mais ce avec quoi il convient de s’accorder.

    Voilà ce que rappelle, en majeur, la «crise sanitaire». La mort pandémique est le symbole de la fin de l’optimisme propre au progressisme moderne. On peut le considérer comme une expression du pressentiment, quelque peu spirituel, que la fin d’une civilisation peut être une délivrance et, en son sens fort, l’indice d’une renaissance. Indice, «index», ce qui pointe la continuité d’un vitalisme essentiel!

    La mort possible, menace vécue quotidiennement, réalité que l’on ne peut pas nier, que l’on ne peut plus dénier, la mort qu’inexorablement l’on est obligé de comptabiliser, cette mort, omniprésente, rappelle dans sa concrétude que c’est un ordre des choses qui est en train de s’achever.

    Ce qui est concret, je le rappelle: cum crescere, c’est ce qui «croît avec», avec un réel irréfragable. Et ce réel c’est la mort de cet «ordre des choses» ayant constitué le monde moderne!

    Mort de l’économicisme dominant, de cette prévalence de l’infrastructure économique cause et effet d’un matérialisme à courte vue.

    Mort d’une conception purement individualiste de l’existence. Certes, les élites déphasées continuent à émettre des poncifs du type «compte tenu de l’individualisme contemporain», et autres sornettes de la même eau. Mais l’angoisse de la finitude, finitude dont on ne peut plus cacher la réalité, incite, tout au contraire, à rechercher l’entraide, le partage, l’échange, le bénévolat et autres valeurs du même acabit que le matérialisme moderne avait cru dépasser.

    Encore plus flagrant, la crise sanitaire signe la mort de la mondialisation, valeur dominante d’une élite obnubilée par un marché sans limites, sans frontières où, là encore, l’objet prévaut sur le sujet, le matériel sur le spirituel.

    Souvenons-nous de la judicieuse expression du philosophe Georg Simmel, rappelant que le bon équilibre de toute vie sociale est l’accord devant exister entre le «pont et la porte». Le pont nécessaire à la relation, et la porte relativisant cette relation afin d’accéder à une harmonie bénéfique pour tout un chacun.

    C’est ce que j’ai appelé «Écosophie», sagesse de la maison commune. En termes plus familiers, il s’agit de reconnaître que «le lieu fait lien». Toutes choses rappelant qu’à l’encontre du leitmotiv marxiste: «l’air de la ville rend libre», formule archétypale du déracinement, la glèbe natale retrouve une force et vigueur indéniables.

    Enracinement dynamique rappelant que, comme toute plante, la plante humaine a besoin de racines pour pouvoir croître, avec force, justesse et beauté! Ainsi face à la mort on ne peut plus présente, est rappelée la nécessité de la solidarité propre à un «idéal communautaire» que certains continuent à stigmatiser en le taxant, sottement, de communautarisme.

    La mort de la civilisation utilitariste où le lien social est à dominante mécanique, permet de repérer la réémergence d’une solidarité organique. Organicité que la pensée ésotérique nomme «synarchie». Ce qu’avait également bien analysé Georges Dumézil en rappelant l’interaction et l’équilibre existant, à certains moments, entre les «trois fonctions sociales».

    La fonction spirituelle, fondant le politique, le militaire, le juridique et aboutissant à la solidarité sociétale. Ainsi, au-delà d’une suradministration déconnectée du Réel, c’est bien un tel holisme que l’on voit resurgir de nos jours.

    Mais la prise en compte d’une telle synarchie organique nécessite que l’on sache le dire avec les mots étant le plus en pertinence avec le temps. Il est amusant, il vaudrait mieux dire désolant, de lire sous la plume de la plupart des observateurs sociaux que la situation est dramatique et quelques lignes plus loin parler de son aspect tragique. Ce qui montre bien que la formule de Platon est toujours d’actualité: «la perversion de la cité commence par la fraude des mots!»

    La conception «dramatique» est le propre d’une élite croyant trouver à tout une solution opportune. Le «tragique», bien au contraire, s’accorde à la mort. Il sait, d’un savoir incorporé, savoir propre à la sagesse populaire, vivre la mort de tous les jours.

    Voilà en quoi la crise sanitaire porteuse de mort individuelle est l’indice d’une crise civilisationnelle, celle de la mort d’un paradigme progressiste ayant fait son temps. Peut-être est-ce cela qui fait que le tragique ambiant, vécu au quotidien, est loin d’être morose, conscient qu’il est d’une résurrection en cours. Celle où dans l’être-ensemble, dans l’être- avec, dans le visible social, l’invisible spirituel occupera une place de choix.

    Michel Maffesoli (Figaro Vox, 23 mars 2020)

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  • Mesure et démesure de la ville...

    Les  éditions du CNRS viennent de publier un essai de Thierry Paquot intitulé Mesure et démesure des villes. Philosophe de l'urbain et tenant d'une écologie existentielle, Thierry Paquot a déjà publié une soixantaine d'essais.

     

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    " Y a-t-il une " juste taille " des villes et une " bonne échelle " des territoires de notre existence ? Les métropoles actuelles, lancées dans une extension sans limites, encombrées de gratte-ciel et de centres commerciaux, sont-elles la solution ? Faudra-t-il privilégier des villes plus petites ?
    Depuis Platon, avec sa cité idéale de 5040 foyers, jusqu'à Ivan Illich, nombre de philosophes et d'intellectuels se sont penchés sur ces questions de la taille des villes, de leur mesure. Au-delà des statistiques, c'est bien une question existentielle et politique qui se pose à chacun d'entre nous.
    Dans cet essai foisonnant, Thierry Paquot entrelace démographie, histoire, urbanisme, écologie et nous guide dans le labyrinthe des idées et des expérimentations : naissance et croissance des cités, utopies phalanstériennes de Fourier, garden-city d'Ebenezer Howard, shrinking cities américaines... Il nous initie aussi à la pensée de théoriciens souvent méconnus en France (Kohr, Schumacher, Bookchin, Bairoch, Magnaghi, Sale...), parmi lesquels les partisans du small is beautiful ou des biorégions.
    Périple intellectuel et bibliographique, cet ouvrage propose des pistes concrètes pour définir une urbanité nouvelle, libre, respectueuse des humains et du monde vivant, des temps et des territoires. "

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  • Quand on accuse les gens de prendre le confinement à la légère il arrive qu'on soit lourd...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique de la France de Campagnol, par Christian Combaz, consacrée à la crise du coronavirus et aux mesures de confinement. Romancier et journaliste, Christian Combaz est notamment l'auteur de Gens de Campagnol (Flammarion, 2012), de Portrait de Marianne avec un poignard dans le dos (Le retour aux sources, 2018) et de La France de Campagnol (La Nouvelle Librairie, 2020).

     

                                        

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  • Le Fils d'un Roi...

    Le nouveau film de Cheyenne-Marie Carron, intitulé Le Fils d'un Roi est sorti en DVD. Cinéaste indépendante, Cheyenne-Marie Carron a déjà réalisé une dizaine de films dont, notamment, Patries (2015), La chute des hommes (2016), La morsure des Dieux (2017) ou Le Corps Sauvage (2019).

    Le DVD est disponible sur le site officiel de l'auteur ou sur les grands sites de distribution en ligne.

     

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    " Enfant d’ouvriers, Kevin, 17 ans, reconsidère la société et ses injustices quand son meilleur ami Elias lui parle des bienfaits de la monarchie dans son pays d’origine. La réflexion des deux lycéens à l’occasion d’un exposé d’Histoire les confrontera à de nombreux réfractaires, mais aussi à la découverte de l’héritage réel de la Monarchie Française. "

                              

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  • Édouard Limonov, la rock star du national-bolchevisme...

    Nous reproduisons ci-dessous un hommage de François Bousquet publié sur le site de la revue Éléments à la suite de la mort de l'écrivain et combattant politique russe Edouard Limonov.

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    Édouard Limonov, la rock star du national-bolchevisme

    « Tout le monde ne peut chanter,
    Il n’est pas donné à chacun
    De tomber comme une pomme aux pieds des autres.
    C’est ici la suprême confession d’un voyou. »

    Ces vers sont de Sergueï Essenine, un poète aussi immense que sa patrie – cosaque, paysanne, mais aussi soviétique. Oh que non, tout le monde ne peut pas chanter. Chanter, c’est ce qu’Édouard Limonov faisait le mieux, les femmes et la guerre. Ses femmes, qu’il épousait, indécrottable romantique, mais d’un romantisme noir (cinq mariages – et un enterrement désormais), sortaient d’un tableau de la Fronde ou d’une planche de Corto Maltese, entourées d’odeurs de canon et de venin envoûtant. Quant à la guerre, il en chérissait la violence sans aucune restriction. Chante, déesse, la colère d’Édouard !

    Curieux destin que le sien. Il est resté jeune jusqu’au bout, mort à soixante-dix-sept ans dans la fleur de l’âge. Même vieux, il demeurait tel qu’il était au sortir de l’adolescence. Il possédait le pouvoir miraculeux de ne pas vieillir, par la seule grâce de la génétique et de la poétique. Jusqu’à ses derniers jours, il a ainsi conservé cette inaltérable jeunesse, Rimbaud des steppes aux semelles de vent, la peau légèrement ridulée et l’énergie fiévreuse des survivants chevillée au corps. Survivant, il l’était depuis ce jour de 2016 où un chirurgien avait extirpé de son cerveau en feu un caillot de sang gros comme un poing. Il a raconté tout cela dans Et ses démons (2018). « J’ai été pratiquement dans l’autre monde. » Oui, il venait d’un autre monde, univers de vieillards brejnéviens, d’idéaux fanés et de maréchaux séniles et congestionnés dont il fut l’enfant terrible, doublement dissident : de la gérontocratie soviétique et du Grand hospice occidental (1993).

    Rouge et brun

    Caïd dans la banlieue de Kharkov, ville russe d’Ukraine, où il a grandi, animateur de l’underground moscovite (le « souterrain » dostoïevskien) sous Brejnev, héros bukowskien à New York, cosaque à Saint-Germain-des-Prés, où il a connu son heure de gloire dans les années 80, précédé d’une réputation sulfureuse, avec dans ses bagages un livre tapageur et scandaleux, Le poète russe préfère les grands nègres (1979), où il retraçait sa vie de clochard new-yorkais, après s’être fait expulser d’URSS. En quelques mois, le Paris branché adopta celui qui se présentait comme le premier punk d’Union soviétique, le « Johnny Rotten de la littérature », du nom du chanteur déjanté des Sex Pistols. On le regardait à l’instar d’un animal de cirque, comme si on entrait sous un chapiteau pour admirer une bête sauvage ramenée d’une expédition lointaine, un reliquat de barbarie exotique, à califourchon sur une bouteille de vodka et une kalachnikov, qui signait ses livres avec le tranchant d’un tesson de bouteille, dans une langue crue, explosive, directe, aussi directe qu’une série de jabs qui vous envoient au tapis, à des années-lumière de la Russie folklorique et de ses airs de balalaïka. De son vrai nom, il s’appelait Édouard Savenko. Pourquoi Limonov ? Parce que c’est la contraction de limon en anglais, le citron, et de limonka, la grenade en langue verte russe. Il dégoupillait ses phrases comme des grenades et appellera le journal de son parti Limonka.

    Rapidement, Jean-Edern le Magnifique le repéra. C’était une créature selon son goût. Il engloutissait des quantités phénoménales d’alcool, en portant des toasts à l’Armée rouge et à la Sainte Russie, tout en célébrant l’esthétique fasciste. Ce qui jetait un froid dans les dîners en ville, mais pas dans le cerveau en ébullition de Jean-Edern Hallier. À eux deux, il furent un peu les Bonnie and Clyde de la polémique. Limonov signait des papiers dans L’Idiot international et Le Choc du mois qui réconciliaient la gauche réactionnaire et la droite révolutionnaire. Rien ne résume mieux cette ligne transversale que l’article qu’Alain de Benoist signa en 1991 dans le journal de Jean-Edern. Il était intitulé « Barrès et Jaurès ». Tous ceux qui aspiraient à ce que le clivage droite-gauche disparaisse pouvaient s’y reconnaître. Un an plus tard, en 1992, le vote sur le traité de Maastricht leur donnerait l’occasion d’exprimer dans les urnes leur sécession. Didier Daeninckx, une fouine alors en vogue, polardeux insipide entre deux courriers de délation, dénonça un complot rouge-brun, quelque chose comme le retour du pacte germano-soviétique prêt à enfoncer les lignes Maginot de l’antiracisme. On était en 1993, mais « Didier dénonce » nous télétransportait en 1933 – le complot russe en supplément. Or, en fait de complot, il n’y avait que des écrivains et des intellos qui rêvaient de refaire le Conseil national de la Résistance (CNR).

    Le pavillon noir de la piraterie

    Dans la bande, un seul était authentiquement rouge-brun – Limonov. D’ailleurs, la première grande affaire qu’il mena, aussitôt de retour en Russie, après un passage éclair et pyrotechnique dans les Balkans, où il défendit les Serbes de Bosnie fusil d’assaut à la main, fut de lancer en 1993 avec Alexandre Douguine, le barde de l’eurasisme, le Parti national-bolchevique, dissous par Poutine en 2007, qui tenait plus du phalanstère paramilitaire que de l’organisation de masse. En rouge et brun, certes, mais sous le pavillon noir de la piraterie. De quoi faire perdre le nord à l’antifascisme des rédacteurs de l’AFP, notre agence Tass à nous, qui crurent déceler en lui un « écrivain ultra-nationaliste d’extrême gauche » (sic).

    Ceux qui l’avaient connu « dans la dèche » durant ses années de vagabondage à l’étranger ne pouvaient certes pas imaginer une pareille reconversion. Pourtant, le guérillero perçait déjà sous le junkie illuminé, enfant du nihilisme soviétique et de ce « No future » punk passé en contrebande dans l’URSS poststalinienne. De Woodstock à Vladivostok, la voie était toute tracée. « Donnez-moi un million de dollars et j’achèterai des armes et je susciterai un soulèvement dans n’importe quel pays », annonçait-il dans son Journal d’un raté (1983).

    Un punk homérique

    Le plus curieux, c’est que le punk, chez lui, cohabitait avec un héros digne d’une « vie » de Plutarque, jouant Sparte contre Athènes, aussi fascinant que fascisant. Il y avait quelque chose d’homérique dans son hooliganisme. Une conception héroïque de l’existence. Ce fut l’Homère de l’underground, plus proche de Terminator que d’Achille, qui produisait sur vous une impression étrange tant il était pâle et chétif, rétracté dans une sorte de nanocorps que des lunettes à double foyer rétrécissaient un peu plus – sans rien retirer de sa prodigieuse énergie. Dans la somme qu’il lui a consacrée en 2011, Emmanuel Carrère en a fait un mélange de « Barry Lyndon soviétique » et de « Jack London russe », tant il y avait d’ingénuité dans son cynisme et de poésie dans sa violence. Pougatchev, Mandrin, Robin des bois devaient approcher cette combinaison nitroglycérinée. Comme disait de Pougatchev, le héros de la grande jacquerie contre Catherine II au XVIIIe siècle, Sergueï Essenine, toujours lui, grand frère de tous les François Villon russes, « Gloire à cet homme ! […] Le peuple l’aime, lui, sa bravade, son toupet. » La plus belle définition du chef populiste !

    Limonov était plus futuriste que populiste. On ne peut s’empêcher d’admirer son énergie intacte et son narcissisme enfantin, celui d’un homme confiant dans sa destinée héroïque, vivant dans l’attente d’un cataclysme géopolitique, auquel il se préparait depuis l’adolescence en s’astreignant à une discipline spartiate. Darwinien, nietzschéen et vitaliste, il pouvait réciter, à la croisée des années 2000-2010, devant des Parisiens ébahis, des chapitres entiers de L’Agression du biologiste prix Nobel Konrad Lorenz.

    Avec Anna Politkovskaïa et Garry Kasparov

    Même si la littérature n’était pour lui que la continuation de la guerre par d’autres moyens, il aurait préféré rater ses livres et réussir ses coups de force à la Malaparte. C’est l’inverse qui se produisit. Il rêvait de prendre le Kremlin, le Kremlin va tout lui prendre, le jetant en prison sous l’inculpation de trafic d’armes et de tentative de coup d’État au Kazakhstan, à la frontière duquel, dans les montagnes de l’Altaï, il avait installé un camp retranché de 1998 à 2001 avec ses militants du Parti national-bolchevik, les « natsbols ». Arrêté en 2001 par une centaine d’hommes du FSB (ex-KGB), qu’il comparait à l’Okhrana, la police politique de Nicolas II, il sera condamné à quatre ans de prison, avant d’être relâché au bout de deux ans et demi. Il s’est alors mis à jouer au démocrate, peinant cependant à cacher qu’il était plus intéressé par les bruits de botte et l’odeur de la poudre que par les droits de l’homme. Il finira d’ailleurs par avouer qu’il voulait, lui et ses troupes natsbols, arracher au Kazakhstan les régions russophones « kazakhizées » de force par Noursoultan Nazarbaïev. C’est pour cela qu’on l’a autant aimé. Son dernier engouement fut pour les Gilets jaunes. Il a du reste eu tout juste le temps de préfacer avant sa mort un magnifique album qui leur est consacré, Gilets jaunes. Une année d’insurrection et de révolte dans Paris (éditions Yellowpshere).

    La dissidence était sa patrie intérieure. Sous Brejnev comme sous Poutine, peut-être même plus encore sous Poutine ! Les années 2010 le virent ainsi codiriger le mouvement Stratégie 31, qui manifeste tous les 31 du mois et évoque l’article 31 de la Constitution russe garantissant le droit de manifester. Il est ainsi devenu l’une des vedettes de l’opposition à Poutine. La télévision lui a même consacré un téléfilm, évidemment à charge, La chasse au fantôme. La journaliste Anna Politkovskaïa le défendait. À la fin des années 2000, on apercevait sa silhouette dans la coalition de l’ex-champion d’échecs Garry Kasparov, Drougaïa Rossia, L’Autre Russie, aujourd’hui disparu, qui avait les faveurs des Occidentaux et rassemblait les opposants à Poutine. Ce qui ne laisse pas de surprendre, tant le nouveau tsar du Kremlin a accompli plus que n’en pouvait espérer l’auteur du « Manifeste du nationalisme russe ». Sa devise, devenue celle du Parti national-bolchevique, résume à elle seule son combat politique : « La Russie est tout, le reste n’est rien ! » On ne saurait être plus clair. En réalité, Limonov était contre, tout contre, Poutine, qui lui a volé son rêve : la restauration de la puissance russe.

    Mad Max made in USSR

    La jeune et tonitruante littérature russe sort de sa cuisse. N’avions-nous pas consacré, sous la plume de Pascal Eysseric, un papier sur le renouveau des lettres russes, titré « Les bâtards de Joseph Staline et d’Édouard Limonov » ? Combien de ces jeunes auteurs ont d’abord été des « natsbols » ? Une bonne école, de balistique et de stylistique. Des gens comme Zakhar Prilepine n’en viennent-ils pas, quand bien même ils se sont rapprochés du Kremlin ? Tout comme les premiers volontaires russes dans le Donbass, en 2014, que Moscou se fera un plaisir d’expulser. Alexandre Soljenitsyne, qui ne l’aimait guère, l’a un jour traité de « petit insecte qui écrit de la pornographie ». En vérité, tout séparait les deux hommes. L’auteur de L’Archipel du Goulag était un homme de l’âge classique ; celui de La sentinelle assassinée, un personnage post-apocalyptique – Mad Max made in USSR. Mais tous deux appartiennent à la galaxie russe, plus particulièrement à la constellation dostoïevskienne, celle qui confronte la Russie des « saints » et celle des « possédés ». On n’ose dire « Paix à son âme ! » tant elle fut toujours en guerre.

    François Bousquet (Éléments, 19 mars 2020)

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  • Lève-toi et tue le premier...

    Les éditions Grasset ont publié récemment une enquête de Ronen Bergman intitulée Lève-toi et tue le premier - L'histoire secrète des assassinats ciblés commandités par Israël. Ronen Bergman est journaliste et spécialiste des questions de défense au Yediot Aharonot, le plus grand quotidien israélien.

     

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    " «  Face à celui qui vient te tuer, lève-toi et tue le premier.  » C’est par cette citation du Talmud que s’ouvre le livre-événement de Ronen Bergman, le premier ouvrage exhaustif sur les programmes d’assassinats ciblés menés par les services du Mossad, du Shin Bet et de l’armée israélienne. Depuis les mois qui ont précédé la création de l’État jusqu’aux menaces les plus contemporaines, Israël s’est appuyé sur le renseignement et les opérations secrètes pour préserver sa sécurité en exécutant, sur son sol ou à l’étranger, ses ennemis. Depuis la Seconde Guerre mondiale, les Israéliens ont ainsi éliminé  de manière ciblée  plus d’individus que n’importe quel autre pays occidental.
    Il a fallu plusieurs décennies d’enquête à l’auteur pour réunir ces milliers de documents – dont beaucoup sont encore aujourd’hui classifiés – et pour mener des centaines d’entretiens avec des responsables du Mossad, des anciens Premiers Ministres israéliens, ou encore des membres de commandos parfois célèbres, remontant ainsi toute la chaîne depuis les agents exécutants jusqu’aux plus hautes sphères politiques. Bergman nous fait revivre les grands succès de ces opérations secrètes, certains échecs également, et écrit ainsi une histoire parallèle de l’État hébreu. Une histoire de l’ombre dont on comprend dès les premières pages qu’elle est ancrée dans l’ADN de la nation israélienne.
    Il s’agit d’un projet extrêmement ambitieux mais aussi d’un fabuleux page-turner qui se dévore, chapitre après chapitre, à l’instar des meilleures séries télévisées. Et pourtant nous ne sommes pas du côté de la fiction, Bergman nous raconte un monde secret mais bien réel qui continue, encore aujourd’hui, de modeler le Moyen-Orient et les relations internationales. "

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