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Métapo infos - Page 588

  • Le modèle Macron, le peuple n’en veut pas !...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque la fronde autour de la réforme des retraites. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

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    Alain de Benoist : « Grève contre la réforme des retraites ? Le modèle Macron, le peuple n’en veut pas ! »

    En matière de retraites, Emmanuel Macron veut nous vendre un « régime universel » qui soulève une vive opposition, mais auquel on ne comprend pas grand-chose. Entre le « bonus » et le « malus », l’« âge pivot » et la « clause du grand-père », de quoi s’agit-il exactement ?

    Le dossier des retraites est en effet compliqué. Essayons donc d’aller à l’essentiel. Comme vous le savez, il faut déjà distinguer deux grandes catégories : le système par capitalisation, qui est d’essence individualiste (chacun pour soi), et l’actuel système par répartition, qui repose sur le principe de la solidarité des générations. Pour justifier la nécessité de réformer ce dernier, on invoque l’allongement de l’espérance de vie et la diminution régulière du nombre des actifs par rapport à celui des retraités. Concernant l’augmentation de l’espérance de vie, on oublie trois choses : d’abord que si la durée de vie augmente, la durée de vie en bonne santé n’augmente pas forcément au même rythme ; ensuite que, par définition, la durée de vie actuelle ne nous dit rien de ce que sera la durée de vie de la prochaine génération ; enfin que l’espérance de vie n’est pas la même pour tout le monde, puisqu’elle varie selon le sexe (les femmes vivent plus longtemps que les hommes, mais personne n’envisage de leur demander de travailler plus longtemps) et selon la classe sociale (l’espérance de vie d’un ouvrier est inférieure de six ans à celle d’un cadre). Quant à la diminution du nombre des actifs, on ne doit pas oublier non plus que la productivité d’un actif est aujourd’hui très supérieure à ce qu’elle était dans le passé, puisque l’on produit toujours plus de biens et de services avec toujours moins d’hommes.

    Le régime « universel » de Macron ? Dès qu’on parle de rendre quelque chose « universel », il faut se méfier. Vouloir supprimer tous les régimes spéciaux est, par exemple, parfaitement stupide et, d’ailleurs, sans doute impossible à réaliser. Il y a des régimes spéciaux qui n’ont pas (ou plus) de raisons d’être, et il faut les supprimer, mais il n’y a aucune raison de toucher à ceux qui sont parfaitement justifiés.

    Pour faire baisser la part des retraites dans le PIB (aujourd’hui 13,8 %, mais la Commission européenne voudrait la ramener à moins de 12 %) et éviter le déficit qui s’annonce (qui est, en réalité, surtout dû à la non-compensation des exonérations de cotisations sociales par l’État et à la baisse de la masse salariale de la fonction publique), le gouvernement a choisi d’imposer le modèle de la retraite à points, que réclamaient en chœur le patronat et la Commission européenne, sans oublier Laurent Berger et Thomas Piketty. C’est le pire qui existe. Dans ce système, ce n’est plus le salaire de référence mais le nombre de points accumulés qui sert de base pour chiffrer la pension. Au lieu de travailler durant un certain nombre d’années pour obtenir une retraite complète, on cotise pour acheter un certain nombre de points, la valeur de service du point n’étant connue qu’au moment du départ en retraite. Par ailleurs, toute la carrière est prise en compte dans le calcul des retraites, et non plus seulement les quinze dernières années d’activité, ce qui pénalise les carrières morcelées, notamment celles des femmes.

    On assure que la valeur du point ne baissera pas, mais cette promesse n’a aucun sens dans la mesure même où cette valeur dépend de l’évolution de la conjoncture, laquelle est largement imprévisible. En cas de crise financière généralisée, la valeur du point diminuera automatiquement. Dans les faits, tous les pays qui ont adopté le système à points ont vu la situation des retraités se dégrader. En Suède, pays cité en exemple par Macron, le montant des retraites représente, aujourd’hui, 53,4 % du salaire de fin de carrière, contre 60 % il y a encore vingt ans, et le taux de pauvreté des plus de 65 ans a atteint, en 2018, 15,8 % (contre 7,3 % pour les Français). Ce taux de pauvreté des seniors atteint 18,7 % en Allemagne, et même 21,6 % au Royaume-Uni ! En France, l’adoption de ce système devrait entraîner, pour pratiquement toutes les catégories de population, à quelques rares exceptions près, une baisse moyenne de 20 % des pensions par rapport aux salaires des actifs, ce qui incitera bien entendu à travailler toujours plus longtemps (pour acquérir un plus grand nombre de points) ou à se tourner vers la capitalisation.

    Tel est, d’ailleurs, sans doute, l’objectif réel de la réforme : inciter les salariés à jouer leur retraite en Bourse et vendre le marché des retraités aux compagnies d’assurance, aux fonds de pension et aux marchés financiers. Le 10 mars 2016, parlant devant un parterre d’organisations patronales, François Fillon avait vendu la mèche : « Le système de retraite par points, en réalité, ça permet une chose qu’aucun homme politique n’avoue : ça permet de baisser chaque année la valeur des points et donc de diminuer le niveau des pensions. »

    Hostile au système de la retraite à points, vous soutenez donc la grève ?

    Je la soutiens à fond, bien entendu. Non seulement je la soutiens, mais j’aimerais la voir déboucher sur une grève générale ! Mais, je dois l’avouer, ce qui me choque le plus, c’est l’attitude de ces petits-bourgeois droitards qui ne manquent pas une occasion d’entonner la ritournelle des méchants grévistes qui « prennent les usagers en otages » et veulent « ruiner le pays ». Ce sont les mêmes qui condamnaient aussi les gilets jaunes. Ces gens-là, qui s’imaginent que les travailleurs en grève se privent de deux mois de salaire pour le simple plaisir d’embêter le monde, n’ont toujours pas compris que la cause majeure de nos problèmes vient de ce que nous vivons dans un monde capitaliste, dans un système de marché et dans une société d’individus. Ils ont voté Fillon, qui voulait privatiser la Sécurité sociale (ou instaurer un système de santé à deux vitesses dont profiteraient les assureurs privés), ils voteront demain Macron parce qu’à la justice sociale, ils préféreront toujours le désordre établi. S’ils le pouvaient, ils supprimeraient le droit de grève et tout le modèle social français. Ce qu’ils veulent surtout éviter, ce sont les barricades et les violences de rue. S’il y a une révolution, j’espère qu’elle les emportera.

    Après des mois de contestation des gilets jaunes, Macron doit maintenant faire face à des syndicats d’autant plus revendicatifs qu’ils sont poussés par leur base. Qu’est-ce que cela nous dit de l’état actuel du pays ?

    Cela dit tout. Une grève de cinquante jours : du jamais-vu. Des gilets jaunes qui en sont à leur 62e semaine de revendications : du jamais-vu également. Les avocats jettent leur robe publiquement, les chefs de service hospitaliers démissionnent par centaines, les paysans se suicident, les policiers aussi, les pompiers sont dans la rue, tout comme les infirmières et les enseignants. Y a-t-il, aujourd’hui, une seule catégorie sociale qui ne bouillonne pas de fureur ou de désespoir ? Ce n’est pas un hasard si la majorité des Français soutient les grévistes, tout comme elle a soutenu (et continue de soutenir) les gilets jaunes, en dépit des gênes occasionnées par le mouvement. Sauf chez les actionnaires du CAC 40, premiers bénéficiaires de la financiarisation de l’économie (qui se sont vu verser, pour 2019, le montant record de 49,2 milliards d’euros de dividendes), le pouvoir d’achat stagne et la précarité s’étend partout. La part du travail dans la valeur ajoutée est passée, en Europe, de 68 %, en 1980, à 60 %, aujourd’hui. Emmanuel Macron, qui a été placé au poste qu’il occupe pour adapter la France aux exigences du capitalisme mondialisé et d’un libéralisme qui entend laminer les protections sociales et les services publics au nom de la concurrence mondiale et de l’ouverture des frontières, a tout fait pour dresser contre lui un corps social aujourd’hui en voie de « giletjaunisation ». Le choix du système de retraite dépend, en fait, du modèle social que l’on souhaite. Le modèle Macron, le peuple n’en veut pas.

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  • Les vertus du protectionnisme...

    Les éditions du Toucan viennent de publier un essai d'Yves Perez intitulé Les vertus du protectionnisme. Économiste, Yves Perez a été professeur et doyen de la faculté de droit, économie et gestion de l’Université catholique de l’Ouest à Angers. Il enseigne actuellement aux Écoles militaires de Saint-Cyr-Coëtquidan.

     

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    " En France, comme ailleurs en Occident, le protectionnisme a eu longtemps mauvaise presse. Mis à l’index par une majorité de décideurs acquis au libre-échange, le protectionnisme est pourtant aujourd’hui dans tous les esprits, sinon dans les faits, comme en témoigne l’Amérique de Trump. Le rejet du protectionnisme a fait oublier que pendant un siècle (1873-1973) la France a vécu sous un régime « d’économie protégée » et qu’elle ne s’en est pas si mal portée. Mieux même, elle a réussi, en dépit des handicaps concurrentiels dont elle souffrait, à faire face à ses rivaux et à maintenir ses positions économiques et commerciales, avant que ne commence le déclin de celles-ci dans le cycle de la mondialisation. N’est-il pas temps de retracer et de méditer l’histoire de cette France protectionniste pour redéfinir une stratégie économique et industrielle cohérente et pérenne ? "

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  • La désinstruction nationale: non-assistance à une jeunesse en danger !...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par René Chiche à Figaro Vox à l'occasion de la sortie de son essai La désinstruction nationale (Ovadia, 2019). Professeur agrégé de philosophie,  René Chiche enseigne en lycée depuis trente ans.

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    «La désinstruction nationale: une non-assistance à une jeunesse en danger»

    FIGAROVOX.- Qu’est-ce que la désinstruction nationale que vous dénoncez dans votre ouvrage?

    René CHICHE.- Il fut un temps, pas très lointain d’ailleurs, où l’on quittait l’école en sachant convenablement lire et écrire, c’est-à-dire où l’école instruisait. On entre aujourd’hui à l’université en sachant à peine lire et en ne sachant pas du tout écrire. C’est un fait. Et cela est proprement stupéfiant. Comment peut-on tolérer que des générations entières passent une quinzaine d’années sur les bancs de l’école et parviennent jusqu’aux portes du supérieur en maniant leur propre langue comme s’il s’agissait d’une langue étrangère? Ce n’est d’ailleurs même pas assez dire pour qualifier le charabia dans lequel sont écrites la plupart des copies que je lis. Il y a toujours eu un petit nombre de très mauvaises copies comme de très bonnes mais désormais les copies indigentes à tout point de vue constituent la grande majorité des copies, au point qu’on juge bonnes des copies qui étaient hier seulement médiocres.

    Pour qu’on comprenne bien que je ne suis pas en train de hurler à la catastrophe à cause de quelques fautes d’orthographe ou de quelques perles qu’il est si facile d’exhiber mais dont on ne peut en réalité tirer aucune conclusion, j’ai pris la peine de donner un échantillon représentatif de ces copies dans le premier chapitre, lui-même intitulé «bac à l’oréat» parce que c’est ainsi que je l’ai vu écrit une fois sur l’en-tête d’une copie d’examen. J’aurais pu en remplir dix volumes. Ceux qui liront cet échantillon comprendront alors immédiatement ce qu’est la «désinstruction»: lorsque l’institution censée prendre soin de l’esprit des jeunes gens les laisse dans un tel état de quasi-illettrisme tout en leur promettant «la réussite» matin, midi et soir, je crois que ce néologisme n’est même pas assez fort pour décrire ce qui est de la non-assistance à jeunesse en danger, affamée de lettres et de culture que l’école renonce à transmettre parce qu’un grand nombre des acteurs considère que ce sont des vieilleries inutiles. L’école n’instruit plus et laisse l’esprit en jachère.

    Le problème, ou plutôt le scandale, est qu’on a interdit de dévoiler la réalité aussi bien que l’ampleur de cette désinstruction. Tous ceux qui osent soulever un coin du voile se font immédiatement rappeler à l’ordre par quelque colonel de pensée veillant à l’orthodoxie en la matière. «Les jeunes de maintenant savent d’autres choses», dit-on. Ils ont «d’autres compétences». Ah bon? Parce que la dextérité dans la manipulation du clavier virtuel serait une «compétence»? L’aptitude à baragouiner la langue de Shakespeare compenserait l’incapacité à manier passablement celle de Molière? Bien sûr que non! Ce sont des fadaises, et j’ai écrit ce petit livre pour qu’on cesse une bonne fois de nous les servir et qu’on ait enfin le courage de regarder la réalité en face. La langue est l’instrument de toute connaissance, y compris et surtout l’instrument de la connaissance de soi. On ne peut rien savoir vraiment quand le moyen de la compréhension n’est pas maîtrisé. À défaut de savoir, on apprend par cœur des cours auxquels on ne comprend strictement rien, comme je le relate par des anecdotes dont j’aurais pu là encore remplir plusieurs volumes. Or, entre croire et savoir, il faut choisir.

    Quand penser devient de plus en plus difficile pour les élèves (par manque de mots, de concepts), quelles sont les conséquences à venir pour ces futurs citoyens?

    Penser n’est pas difficile pour les élèves, penser est interdit. Vous savez, penser est difficile et le demeure, même pour des penseurs professionnels! Car «penser, c’est dire non!»: non à la première idée qui se présente, non à la facilité, non à l’habitude et ainsi de suite. Il ne s’agit donc pas que penser devienne facile. Il est si facile de se contenter d’à-peu-près. Or savoir à peu près lire, c’est en réalité ne pas savoir lire. Et ainsi du reste: penser approximativement, c’est adhérer à un discours et réagir à des mots comme un taureau devant le chiffon rouge.

    C’est croire, et non penser. On n’apprend à penser qu’en grande compagnie. Alors oui, on doit s’inquiéter des conséquences politiques de la désinstruction, parce qu’en République, l’école est d’abord instituée non pour procurer un métier ou je ne sais quel savoir-faire mais pour qu’il y ait des citoyens dignes de ce nom, capables de juger et de critiquer. Oui, il faut s’inquiéter de ce que deviendront des élèves qui n’ont presque rien lu, qui ne connaissent Montesquieu ou Montaigne que de nom, à qui l’on apprend, en croyant bien faire, à décrypter les «fake news» pendant des heures où l’on renonce à leur apprendre les subtilités de leur propre langue. Il faut s’inquiéter du devenir de ceux que l’on a privés d’heures de français au cours desquelles ils auraient acquis la maîtrise de la langue en puisant à la source et que l’on préfère faire débattre de tout et de rien sous couvert d’un prétendu «enseignement moral et civique» qui est une forme de dressage, quand on ne va pas jusqu’à faire commenter des «tweets» en classe!

    Mais la formation du citoyen n’est pas seulement intellectuelle, elle est aussi morale, et de ce point de vue encore, l’école renonce. Presque personne n’ose déplaire. Il faut non seulement aimer mais faire aimer la difficulté si l’on veut penser et se tenir debout, puisque c’est la difficulté surmontée qui fait progresser. Mais on fait tout le contraire: on cherche à intéresser au lieu d’instruire et l’on traite l’élève en consommateur, allant jusqu’à dévoyer la pédagogie pour la mettre au service de la paresse et de la désinstruction. Songez par exemple que le Code de l’éducation lui-même a banni le mot «instruction» de la loi et que la noble tâche de l’école n’est plus d’instruire, comme le voulait Condorcet, mais de garantir (oui, garantir!) la «réussite»! La belle affaire! On réclamera bientôt la réussite par pétition!

    D’ailleurs on le fait déjà. On oublie toutefois que la réussite présuppose le travail, l’effort et même l’échec, duquel on apprend à se relever par persévérance, et c’est cela qui est formateur. Les professeurs sont aux premières loges de ce triste spectacle et ne cessent de dénoncer et déplorer ce fonctionnement absurde auquel tous cependant consentent ou se résignent. Un élève qui a des difficultés passera tout de même dans la classe supérieure, où ses difficultés grossiront et ainsi de suite jusqu’à ce qu’elles deviennent des lacunes qui paraîtront insurmontables. On ne lui fera pas trop remontrance, de peur de le traumatiser. Il parviendra jusqu’en Terminale en ne sachant pas écrire. Il se trouve enfin des gens, même parmi les professeurs, ceux que j’appelle les militants de la désinstruction, pour justifier ce passage automatique d’un niveau à l’autre. Ils ont d’ailleurs supprimé la notion même de niveau et l’ont fait remplacer par celle de «cycle» en prétextant qu’il fallait respecter les «rythmes» d’apprentissage: voilà, entre autres choses, comment des élèves arrivent jusqu’au baccalauréat non seulement en ne sachant pas s’exprimer avec clarté mais en n’ayant parfois jamais travaillé.

    Face aux «pédagogistes», existe-t-il encore des enseignants fidèles à un enseignement classique, historiquement républicain?

    On ne devrait pas qualifier de «pédagogistes» ceux qui s’emploient à détourner la pédagogie de sa vocation, qui n’est pas de s’adapter mais bien d’élever. Il y a en effet une poignée de militants de la désinstruction, y compris dans le corps enseignant, mais ce qui est en cause, c’est le fonctionnement de l’institution plutôt que le rôle et la responsabilité de tel ou tel. Les «pédagogistes» sont avant tout des carriéristes. Quand on aime son métier, on le fait et on ne passe pas son temps à en parler. L’artiste puissant, dit Alain, ne parle guère.

    Dans un chapitre intitulé «Les boutons de manchettes», j’explique et décris assez crûment la façon dont le professeur que vous qualifiez de «classique», c’est-à-dire «à l’ancienne» (manière de parler à la fois révélatrice et dramatique), est aujourd’hui menacé par ceux qui étaient auparavant chargés de le protéger, chefs d’établissement aussi bien qu’inspecteurs. Il faut aller sur le terrain pour observer comment les choses se passent. Les chefs d’établissement sont poussés à se prendre pour des «managers» et, pour se faire bien voir de leur propre hiérarchie, ont tendance à inciter les professeurs à faire de même. On voit ainsi proliférer une nouvelle espèce d’enseignants prompts à faire des «projets», à faire parler d’eux, à faire les intéressants. La plupart du temps, ces «projets» sont affligeants. Mais, voyez-vous, un professeur qui fait simplement son travail, qui ne fait pas de bruit, qui ne cherche pas à faire parler de lui dans le journal de la commune, est considéré par sa hiérarchie comme un mauvais professeur, voire un encombrant que l’on attend de pouvoir remplacer par un enseignant (j’emploie ce mot à dessein pour le distinguer de celui de professeur) docile, recruté par contrat, taillable et corvéable à merci.

    On parle désormais de «l’équipe» pédagogique comme de «la communauté éducative»! Il y a cependant toujours des professeurs, de vrais hussards noirs, et en réalité ils le sont encore presque tous, et cela en vertu de leur mode de recrutement. Car un professeur est avant tout un intellectuel. C’est sans doute la raison profonde pour laquelle, si on veut en finir avec les hussards et les remplacer par des animateurs ou de simples assistants dans le face-à-face entre l’élève et l’écran auquel certains voudraient que ressemble dorénavant l’enseignement, on cherchera d’abord à réformer le mode de recrutement et le concours, qui fait encore la part belle à la maîtrise d’un champ disciplinaire. L’autorité morale du professeur a pour fondement son autorité intellectuelle. Et depuis toujours ceux qui font profession de penser ont pour ennemis jurés, à leur corps défendant, tous ceux qui mettent l’administration des choses au-dessus du gouvernement des hommes et du soin que l’on doit à l’esprit.

    René Chiche, propos recueillis par Marguerite Richelme (Figaro Vox, 10 janvier 2020)

     

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  • A la recherche du Haut Roi...

    Les éditions Les Moutons électriques viennent de publier le quatrième et dernier volet de Chasse royale, la deuxième branche de Rois du monde, la trilogie celtique de Jean-Philippe Jaworski. Ce formidable roman archaïque et mythologique met en scène l'élévation du prince biturige Bellovèse  Professeur de français, Jean-Philippe Jaworski réussit grâce à son style à nous immerger aussi bien dans une ambiance de magie et de sacré que dans la violence des combats.

    L'auteur a également à son actif le roman Gagner la guerre (Les Moutons électriques, 2009) et les recueils de nouvelles Janua Vera (Les Moutons électriques, 2007) et Le sentiment du fer (Hélios, 2015) qui s'inscrivent dans sa série des Récits du Vieux Royaume.

     

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    " Dans la Celtique ravagée par la guerre, le mystère plane sur le sort du haut roi.

    Ambigat est-il mort ? Est-il encore en vie ? L'incertitude excite les convoitises et ajoute au désordre. Par loyauté et par ambition, Bellovèse se lance à la recherche du roi caché. À travers les contrées écumées par des bandes féroces, mais aussi à travers la géographie des rêves et des oracles, il remonte la piste du souverain. Toutefois nombreuses sont les meutes qui lui disputent son gibier. Au terme de la courre, après s'être déchirés à belles dents, combien de limiers auront-ils encore la force de faire curée ? "

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  • Gilets jaunes, plus d’un an après...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son site Huyghe.fr et consacré au mouvement des Gilets jaunes plus d'un après sa naissance. Spécialiste de la stratégie et de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe enseigne à la Sorbonne et est l'auteur de nombreux essais sur le sujet, dont, récemment, La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015), Fake news - La grande peur (VA Press, 2018), Dans la tête des Gilets jaunes (VA Press, 2019) avec Xavier Desmaison et Damien Liccia, et dernièrement L'art de la guerre idéologique (Cerf, 2019).

     

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    Gilets jaunes, plus d’un an après

    Qui a-t-il eu de plus paradoxal dans le mouvement des Gilets jaunes ? Qu’il soit né il y a plus d’un an de façon spontanée (une dame met une pétition en ligne, une seconde se plaint de la fiscalité en vidéo, un camionneur pose un gilet sur son pare-brise, et voila le pays en émoi) ? Que des gens, qui, souvent, n’avaient jamais manifesté de leur vie continuent à se mobiliser pour soixante samedi ou plus ? Ou que plus d’un an après le premier acte, il soit tout aussi difficile d’en prédire les développements ?

    Peu de gens parieraient sur le renouveau du mouvement, beaucoup sur son usure (même s’il y a encore des manifestations en janvier 2020).
    D’autres facteurs peuvent changer la donne. L’un est le hasard de la violence : il y a déjà eu des morts accidentelles, des yeux crevés côté Gilets jaunes, des scènes de guérilla... Mais tout rentrait dans l’ordre la semaine suivante. L’hypothèse qu’il y ait un jour un martyr, d’un côté ou de l’autre, et que cela serve de déclencheur n’est pas à exclure. De même, difficile de spéculer sur les rapports à venir les gilets jaunes avec des grèves et manifestations autour d’autres thèmes : convergence des luttes, ou fin de la parenthèse brouillonne et populiste ? Éventuellement au profit des mouvements hiérarchisés, organisés, avec lesquels on peut négocier. Mais le relais des Gilets jaunes par les syndicats hostiles à la réforme des retraites n’empêche ni la violence physique dans les manifestations, ni la violence symbolique (jets de robes ou de blouses, boycott, intrusions dans un théâtre ou un local syndical, etc.), certes mineures, mais répétitives.

    Tout fut surprenant dans le mouvement Gilet jaune sans chefs ni porte-paroles incontestés, sans représentation politique ni perspectives électorales crédibles, sans idéologie structurée, sans organisation de forme traditionnelle, sans références aux formes usuelles de protestation et presque sans alliés... Mais capable de se coordonner sur les réseaux sociaux, d’inventer de nouvelles formes de spectacularité (à commencer par le fameux gilet), de pratiquer la démocratie directe, de rassembler des couches sociales isolées, de faire trembler le gouvernement, d’obtenir en une soirée - par le discours présidentiel du 16 décembre - presque 17 milliards sans renoncer, d’inspirer des pratiques à Hong Kong ou Barcelone... Les références historiques souvent évoquées, jacqueries, 1789,1848,1968, Bonnets rouges ou autres ne nous éclairent guère.

    Rapports de force, rapports de croyance

    Le mouvement s’est développé sur la base de revendications matérielles, voire matérialistes : prix de l’essence, fiscalité, niveau de vie. Ce sont les reflet de conditions bien repérées. Il n’a donc pas manqué d’explications sociologiques qu’il serait trop long de résumer ici. Christophe Guilluy a parlé d’une France périphérique : son éloignement géographie des grandes métropoles bénéficiant de la mondialisation provoquerait un éloignement social et culturel, donc politique. D. Goodhart ne dit pas quelque chose de très différent, lorsqu’il décrit une Grande-Bretagne du Brexit fractionnée entre les Quelque-Part et les Partout (les somewhere et les everywhere), grosso modo ceux qui, mobiles, diplômés, plutôt prospères, profitent de l’ouverture et de la mondialisation contre les enracinés qui ont à y perdre. Jérôme Sainte-Marie oppose plutôt un bloc élitaire à un bloc populaire. Pour Jérôme Fourquet nous risquons plutôt le délitement d’une société d’archipels. D’autres analystes du populisme parleront de facteurs psychologiques comme le manque de confiance de ceux d’en bas envers les élites, les médiations ou même leurs simples voisins...

    Que l’on choisisse des critères géographiques, économiques, culturels, éducationnels, identitaires, que l’on parle de perdants, de pessimisme, de nouvelles classes en déshérence ..., cela ramène toujours sur l’idée d’une fracture verticale. Elle explique aussi largement le vote anti-système - qu’il se dirige vers le Rassemblement National, la France Insoumise ou l’abstention -. Difficile de douter de la corrélation sociologique entre tous ces facteurs et l’engagement pour les Gilets jaunes. Le rapport objectif avec un niveau de vie ou de diplôme, l’assignation à un territoire ou le recul des perspectives d’évolution sociale, les conditions quotidiennes, etc., ne se résume pas à des simplifications de type prolo versus bobo : la conscience d’être invisibles ou condamnés à regarder passer l’ascenseur social ne jouent pas moins. L’expression de soi, notamment le besoin de se raconter, de s’identifier à un peuple exploité mais uni, voire de raconter les misères du quotidien pendant les rassemblera joue un rôle indéniable dans les manifestations.

    Une telle situation ne se comprend pas sans la rapporter à son expression politique. Celle-ci se manifeste dans la répétition du « nous sommes le peuple » et dans une méfiance envers toute forme de représentation, à commencer par la classe politique. Elle débouche vite sur une revendication de démocratie directe avec le référendum d’initiative citoyenne. Si le populisme est compris comme la revendication d’une légitimité directe et un appel au salut de ce peuple, le mouvement est incontestablement populiste, mais hors repères et évolutif.

    À leurs débuts, les Gilets jaunes ont subi les accusations rituelles (parallèlement à l’hostilité des syndicats et partis de gauche, d’abord paniqués par cette concurrence suspecte) : extrême-droite, homophobes, racistes, etc. Dans un pays où presque un tiers des électeurs vote Marine Le Pen et où le RN s’appuie les catégories, ouvriers, employés, petite bourgeoisie, également surreprésentées dans le mouvement, il n’est pas statistiquement aberrant qu’il y ait eu des manifestants très à droite. Et il n’est pas surprenant non plus que des caméras aient pu enregistrer des injures sexistes que l’on entendrait au bistrot.

    Mais la thèse d’une infiltration par l’extrême-droite n’est guère convaincante et les arguments censés l’établir (drapeaux à fleurs de lys ou à croix celtique, manifestant filmé qui aurait fait « heil Hitler », chemises brunes sous gilets jaunes...) se sont révélés souvent des fake news ou des interprétations délirantes d’images pourtant claires. Le gauchissement progressif du mouvement -notable dans les slogans, les revendications, le positionnement de certains représentants,... - n’est pas pour autant le résultat d’un complot ou d’une infiltration sophistiqué : il est plus vraisemblable que le vide - programmatique, ou manque de pratique des mouvements collectifs - a été rempli par ce qui était disponible.
    S’ajoute l’action violente des black blocs et le débat sur ses finalités et sur la façon dont elle est tolérée, provoquée ou exploitée. Finalement, le mouvement Gilet jaune doit moins être compris selon les catégories classiques droite/gauche, que par la rupture stratégique qu’il représente dans le mouvement social : occupation emblématique des carrefours, rituels des déambulations à Paris, utilisation des médias sociaux, etc...

    Le conflit des symboles

    La dimension la plus significative est sans doute symbolique. À travers la question de l’identité proclamée, pour commencer. Dans la fraternisation des carrefours ou dans les rues, ensuite où le « nous le peuple » a exprimé la fureur envers les élites ; pour ne prendre qu’un exemple, voir l’hostilité aux médias « classiques », soupçonnés d’être au service des riches et des dominants, de nier la souffrance de ceux d’en bas et la situation réelle, de discréditer le mouvement avec des accusations de violence et anti-républicanisme. Le thème de l’arrogance des dirigeants, des riches et des oligarques renforce le sentiment d’être trompés par des représentations biaisées. S’ajoute la protestation presque existentielle contre une vie sans perspective, la fierté d’être ensemble et de ne pas céder. L’hostilité envers la personne de Macron, incarnant une classe et un style politiques et dont on ressassait les marques de mépris, en est le complément logique.

    Enfin, tout acteur historique est déterminé par ceux à qui il s’oppose, par ses adversaires. Avec le recul, et sans parler de l’ampleur de la répression, on reste surpris par les réactions des élites (y compris des médias, du show business, etc.). La désignation de l’hydre populiste - avec appel à lutte contre les phobies, l’antisémitisme, la haine, l’émeute, le refus des valeurs, l’ochlocratie etc.- a été proportionnelle à la panique éprouvée. Pour une bourgeoisie plus traditionnelle qui (voir les élections européennes) ne demande parfois qu’à redevenir le parti de l’ordre, comme pour les libéraux libertaires ou ouverts « progressistes ». Ces dernières sont habituées à penser selon le schéma : ouverture menacée par le populisme d’en bas (dû la désinformation des foules et à leur propension aux « fantasmes » et complotismes). Ces élites n’ont souvent pas été les moins virulentes, au point de faire ressembler par moment le conflit à un affrontement idéologique entre partisans apeurés du monde tel qu’il est - libéralisme, ouverture, Europe, technologie, individualisme. - et les perdants en colère.

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  • Manuel de sagesse païenne...

    Les éditions Le Passeur viennent de publier un essai de Thibault Isabel intitulé Manuel de sagesse païenne. Docteur ès lettres, rédacteur en chef pendant plusieurs années de la revue Krisis, Thibault Isabel a publié plusieurs essais ou recueils d'articles comme Le champ des possibles (La Méduse, 2005), La fin de siècle du cinéma américain (La Méduse, 2006) , Le paradoxe de la civilisation (La Méduse, 2010) ou Pierre-Joseph Proudhon, l'anarchie sans le désordre (Autrement, 2017).

     

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    " Comment bien conduire son existence ? Cette question se pose d'autant plus aujourd'hui que la société européenne n'est plus organisée autour d'un ensemble de dogmes religieux. Sans doute y avons-nous gagné en liberté ; mais cela nous oblige aussi à explorer de nouvelles voies spirituelles et morales pour redonner un sens à notre vie.
    Les sagesses antiques peuvent nous servir de guide. Que ce soit en Grèce, à Rome ou en Chine, les philosophes nous ont appris à vivre en harmonie avec le cosmos, avec les autres et avec nous-mêmes, afin d'établir l'équilibre qui nous permettra d'accéder au souverain bien : le bonheur.
    Dans un style vivant, Thibault Isabel montre de quelle façon Héraclite, Confucius, Plutarque et leurs contemporains pourraient nous aider à rebâtir une nouvelle conception de la spiritualité. En remontant le fil de notre histoire, nous découvrirons la clé d'un monde où l'esprit ne dominait pas encore la chair, et où la culture ne dominait pas encore la nature.
    Il s'agit alors de remettre au centre de nos existences l'écologie, la réhabilitation du corps, de la beauté et des plaisirs charnels ; le développement d'une morale qui ne soit pas fondée sur le péché ; le rapport à la vie et à la mort ; l'importance de l'éducation et de la culture ; la promotion des valeurs féminines dans la société et la réhabilitation du culte de la Déesse-Mère et enfin l'adoration mystique du monde dans sa sacralité. "

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