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Métapo infos - Page 294

  • Écologie, énergie et intelligence économique...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un point de vue d'Olivier Maison Rouge, cueilli sur le Journal de l'économie et consacré à la nécessité d'intégrer la question environnementale à la réflexion en matière d'intelligence économique au niveau européen...

    Olivier de Maison Rouge, Écologie, énergie, intelligence économique, europe

    Écologie, Énergie et Intelligence Économique

    L’écologie a été largement préemptée par la sphère politique et idéologique ; c’est un fait.
    Pour autant, la réflexion environnementale ne doit pas être absente de l’intelligence économique, bien au contraire. Cela doit en être une donnée essentielle et structurante dans le traitement de l’information stratégique et la maîtrise de l’environnement dans toutes ses composantes.

    De l’indépendance énergétique à la pénurie coupable
     
    En matière énergétique, par exemple, la France du général de Gaulle avait su investir massivement sur le nucléaire civil, afin de contribuer à son indépendance. On sait depuis lors combien ce choix fut payant pour la France, d’une part, et de quelle manière elle fut la cible privilégiée des guerres informationnelles autour de l’atome, d’autre part.
     
    Ce choix avec une hauteur de vie indéniable – au-delà de l’autonomie stratégique destinée à réduire la dépendance aux autres acteurs économiques et puissances concurrentes– devait s’avérer prémonitoire et audacieux en matière environnementale. On sait désormais que cette énergie est faible consommatrice en carbone, parmi les plus neutres au monde (3 grammes CO2 / kWh).
     
    D’ailleurs, même le Japon, qui a été profondément ébranlé par une catastrophe naturelle lors du tsunami de 2006 (drame de Fukushima) qui avait affecté l’une de ses centrales, avait abandonné cette énergie avant d’y revenir désormais. Il ne s’agit pas ici de louer aveuglément cette énergie qui présente également des risques certains. Pour autant, elle a largement fait ses preuves et fait l’objet d’un contrôle strict.
     
    Pour l’avenir, la course à la fusion nucléaire devient un impératif stratégique. C’est dire si les esprits ont changé sur le sujet longtemps décrié.
     
    La France avait incontestablement un avantage acquis dans ce domaine que peu d’acteurs pouvaient lui disputer. Pour une fois, elle devançait même l’Allemagne qui – bien que soucieuse de son industrie – avait abandonné l’atome pour relancer ses centrales à charbon (870 grammes CO2/kWh), contribuant à reconstituer une économique carbonée tout en se lançant dans un Green Deal européen de manière assez schizophrène…
     
    Elle a néanmoins abdiqué sous le poids des dénonciations médiatiques, d’une part, et des mécanos politico-industriels Framatome-Areva-Orano, d’autre part. L’Europe a eu sa part dans cet affaiblissement indirectement téléguidé par les Allemands. Areva et EDF ont depuis lors été recapitalisées chacune pour près de 5 milliards d’Euros chacune par l’État français alors qu’elles étaient extrêmement rentables, en plus d’assurer l’autonome stratégique de la Nation.
     
    EDF avait longtemps le monopole de la vente d’électricité. À travers elle, l’État avait investi sur des énergies autonomes, au bénéfice de la population française, selon un prix réglementé et une production assurée. La libéralisation et l’Europe – ainsi que les menées antinucléaires – ont eu la peau de ce fleuron. Alors que ses réserves financières étaient considérables il y a encore 15 ans, permettant d’assurer l’indépendance stratégique en finançant à long terme des transformations industrielles, EDF a vu depuis lors – en vendant à perte de l’électricité à ses propres concurrents au nom d’une prétendue concurrence, forcément asymétrique, car les nouveaux acteurs n’ont jamais supporté les investissements originels – sa trésorerie asséchée (tarif ARENH). EDF est désormais menacée de démantèlement par Bruxelles (plan Hercule). Elle n’a pas pu conserver son savoir-faire, ni davantage entretenir et investir dans son parc, au bénéfice d’opérateurs privés. C’est donc le potentiel énergétique de la France qui a été atteint.
     
    Ce faisant, d’exportateur d’électricité, la France est devenue importatrice, à l’heure où la balance commerciale est déjà très déséquilibrée, à son désavantage. 
     
    Des énergies alternatives peu dirimantes
     
    À ce stade, il est encore vain de croire que d’autres énergies renouvelables seront suffisantes à court terme.
     
    Mais la France ne manque toutefois pas d’atouts. L’énergie hydraulique, verte par excellence est méprisée alors que la France est un château d’eau. Elle est même la proie d’objections idéologiques, qui affaiblissent la cohérence d’une production énergétique durable et respectueuse de l’environnement, tout en étant pleinement profitable et diversifiée.
     
    À défaut, nous voyons pulluler de prétendues énergies nouvelles – faiblement décarbonées – telles que le photovoltaïque ou l’éolien. À l’heure où l’on abandonne – sans doute à juste titre – le moteur à explosion à énergie thermique, le besoin d’énergie électrique n’a jamais été aussi pressant. Or, non seulement ces ressources alternatives n’offrent pas les mêmes capacités de production, mais par surcroît elles créent une nouvelle forme de pollution, plus grande encore. En effet, que penser des fermes à panneaux solaires – comme il en pousse en Espagne – ou des champs d’éoliennes, désormais off shore, en mer qui porte atteinte à notre magnifique littoral ; le béton des côtes n’avait pourtant pas suffi ? Ces infrastructures consomment tout d’abord davantage qu’elles ne le prétendent, mais encore elles défigurent nos territoires, constituant une autre forme d’atteinte à l’environnement in fine.
     
    Précisément, il n’est malheureusement pas suffisamment pris en compte la pollution visuelle, comme d’ailleurs la pollution sonore. À l’heure on l’on institue un délit d’écocide, il faudra prendre en considération ces atteintes dans l’avenir portées au cadre de vie. Précisément, puisque l’urgence climatique a été décrétée, il convient de penser cette harmonie dans son ensemble, et s’abstenir, au nom d’un autre productivisme court-termiste, de sombrer dans de nouveaux actes portant atteintes à l’environnement. En effet, il ne s’agit pas de limiter la protection de l’environnement exclusivement à ses données carbone, pollutions des eaux, appauvrissement des sols, émissions de gaz, etc. C’est un tout non négociable, un ensemble savant et cohérent comme l’avait déjà pensé Blaise Pascal dans les deux infinis.
     
    Protection de l’environnement et intelligence économique
     
    Par voie de conséquence, le respect des écosystèmes, dans toutes leurs composantes, doit être intégré à la politique géoécologique, sans exclure les atteintes aux territoires, aux paysages et aux cadres de vie.
     
    La nature est en effet un ordonnancement harmonieux, fécond pour l’homme et son environnement ; mais c’est aussi un équilibre fragile et précaire, qu’il ne s’agit pas de brutaliser sans discernement et sans conséquence.
     
    Ce faisant, l’Europe, qui conserve un vieux fond humaniste qui intègre la place de l’homme dans son élément, a souvent su éveiller les consciences et parfois prendre les devants en la matière. Même si les efforts sont modestes, il n’en demeure pas moins que l’Occident est en mesure d’être un modèle.
     
    D’aucuns diront cependant que l’Europe a bonne conscience a œuvrant ainsi à donner des leçons de morale, privant les pays émergents de pouvoir atteindre un niveau de productivité légitime, tandis que l’Europe n’a pas eu les mêmes pudeurs auparavant. Pour ces détracteurs, l’écologie serait même un facteur de déséquilibre économique mondial destiné à laisser dans la misère industrielle les pays qui n’ont pas eu accès au développement économique auquel ils aspiraient. Cette accusation – relayée par des déclinistes verts – serait fondée sur un droit à polluer des pays émergents, tandis que les économies européennes devraient tendre à la décroissance.
     
    Au-delà d’une chimère stérile, un tel vœu tend en réalité à maintenir l’Europe dans un asservissement économique au bénéfice des industries avancées de l’Asie. Voilà un exemple des pensées déviantes radicales qui néanmoins fait son nid chez certains, adeptes de la décroissance, contre les économies occidentales. Comme si la culture de l’excuse permanente devait faire une politique publique écologique.
     
    L’Europe a su cependant devenir une forme de référence en matière de protection de la nature, héritage de son humanisme.
     
    Dès lors, ces choix politiques doivent trouver à s’imposer au-delà de nos frontières. De la même manière qu’elle a su faire respecter le respect de la vie privée numérique avec le RGPD, y compris de manière extraterritoriale, c’est avec la même rigueur fondamentale que l’Europe doit ériger ses propres critères environnementaux à l’égard des pays tiers avec lesquels elle échange. Ce cadre s’est encore imposé avec les sociétés mères et les entreprises donneuses d’ordre avec la loi de mars 2017 relative au respect des droits humains, contraignant les entreprises françaises et leurs sous-traitants étrangers.
     
    Sur ce modèle, l’Europe doit définir le principe fort de protection de l’environnement – dans toutes les composantes civilisationnelles telles que recensées ci-avant – et l’intégrer à sa politique commerciale, imposant ses standards aux produits importés, à peine de taxation ou de retour à l’expéditeur.
     
    À l’instar des normes CE (1) en matière de santé, sécurité, hygiène, etc., l’écologie intégrale doit s’imposer à ses cocontractants extraeuropéens. L’idée n’est d’ailleurs pas nouvelle et déjà, en 2011, Arnaud Montebourg l’avait-il intégré à son programme de présidentiable à l’occasion de la primaire socialiste.
     
    Puisque le monde est en voie de déglobalisation, cette opportunité est à saisir dès à présent, faisant du respect de l’homme et des civilisations un enjeu fondamental dans le cadre des rapports économiques asymétriques, au même titre que les intérêts fondamentaux de la Nation.
     
    Olivier de Maison Rouge (Journal de l'économie, 12 septembre 2022)
     
    Note :
    1 - Conformité aux exigences de l'UE
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  • La mécanisation de l'esprit...

    Les éditions Le Verbe haut viennent de publier un essai de Jacques Carbou intitulé La mécanisation de l'esprit - Cybernétique, Intelligence Artificielle, Transhumanisme, avec une préface de Guillaume Travers. Docteur en philosophie politique, ancien élève de Raymond Ruyer, Jacques Carbou, qui a enseigné la philosophie à l'université de Caracas et à celle de Bogota, est déjà l'auteur de La critique sociale de Raymond Ruyer (Le Verbe Haut, 2021).

     

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    " Dans cet essai, Jacques Carbou date la naissance de la cybernétique en 1948, avec le livre de Norbert Wiener. Cette discipline nouvelle a suscité beaucoup d’intérêt chez les scientifiques. Raymond Ruyer publie en 1954 un livre sur la cybernétique dont il critique les postulats et présupposés tout en reconnaissant les avancées intéressantes. Il met l’accent sur l’origine de l’information qui semble oubliée par la cybernétique. A la fin des années 1960, l’engouement pour la cybernétique est retombé, remplacé par l’informatique. L’apparition de l’ordinateur explique le développement de l’intelligence artificielle par les ingénieurs. L’auteur montre, à travers cet ouvrage synthétique, que les analyses de Ruyer restent pertinentes pour critiquer certains postulats de l’IA. En outre, les différentes formes de transhumanismes qui s’appuient sur certaines données de l’IA peuvent être critiquées par les mêmes arguments utilisés par Ruyer. Il existe, en effet, un fil directeur de la cybernétique au transhumanisme en passant par l’intelligence artificielle qui consiste en la mécanisation de l’esprit. C’est ce fil que tire l’auteur pour donner au lecteur une vision concise mais précise des idéologies de ce mouvement, et des acteurs qui les portent. Ces derniers considèrent le cerveau et le corps humain comme des machines sur lesquelles nous nous accordons tous les droits d’agir pour de supposées bonnes raisons. En décrivant, puis en poursuivant, la pensée de Ruyer, Jacques Carbou réfute cette mécanisation de l’esprit qui simplifie à l’excès le fonctionnement complexe du cerveau et du corps humain.

    Un ouvrage pertinent et efficace qui donne les clefs de compréhension et les bases pour de futurs développements philosophiques sur les questions épineuses de l’avenir de l’homme dans les cent prochains siècles. "

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  • Renaud Camus, Olivier Rey et la dépossession du monde...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un débat organisé par la revue Éléments, et présenté par François Bousquet, entre Renaud Camus et Olivier Rey.

    Écrivain, Renaud Camus est notamment l'auteur de plusieurs essais dont Le Grand Remplacement - Introduction au remplacisme global (La Nouvelle Librairie, 2021), Le Petit Remplacement (La Nouvelle Librairie, 2021) ou La Dépossession (La Nouvelle Librairie, 2022). Quant à lui, Olivier Rey, qui est chercheur au CNRS et enseignant en faculté, est l'auteur de plusieurs essais comme Une folle solitude - Le fantasme de l'homme auto-construit (Seuil, 2006), Une question de taille (Stock, 2014), Quand le monde s'est fait nombre (Stock, 2016), L'idolâtrie de la vie (Gallimard, 2020) ou dernièrement Réparer l'eau (Stock, 2021).

     

                                              

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  • Anarchy in the U.S.E....

    Les éditions Au diable vauvert viennent de publier un roman de John King intitulé Anarchy in the U.S.E. Figure de la littérature populiste anglaise, John King est l'auteur d'une trilogie percutante consacrée au monde des supporters de football, amateurs de bière et de bagarre, Football Factory (L'Olivier, 2004), La Meute (L'Olivier, 2000) et Aux couleurs de l'Angleterre (L'Olivier, 2005), mais aussi de Skinheads (Au diable vauvert, 2012) ou de White Trash (Au diable vauvert, 2014).

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    " Dans un avenir où les nations individuelles de l'Europe n'existent plus, l'United States of Europe est une dictature dirigée par les EB - Entreprises Bénéficiaires -, qui promeut la Nouvelle Démocratie.
    L'Internet s'est transformé en outil de propagande/ surveillance Interzone, l'exactitude et la censure écrasent la liberté d'expression, les copies physiques de livres, enregistrements audio et films sont illégales, la culture populaire systématiquement volée et revendue sous des formes déformées, tandis que la numérisation forcée a vu l'histoire éditée, supprimée et réécrite.
    De bons Européens dirigent les villes, les autres vivent comme des citoyens de seconde classe. Mais dans toute l'Europe, les groupes de résistance résistent, et la Grande- Bretagne n'y échappe pas. À Londres, un jeune bureaucrate ambitieux qui utilise le logiciel Suspic' pour identifier les menaces contre l'USE, est témoin d'un meurtre choquant...
    Avec tout le talent d'écriture de John King, une vision dystopique en légère anticipation d'une Europe qui fait froid dans le dos. "

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  • La «cancel culture» fabrique-t-elle une génération d'ignorants ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Hubert Heckmann au Figaro Vox pour évoquer la question de la cancel culture et de ses effets dans l'enseignement.

    Agrégé et maître de conférences en littérature médiévale à l'université de Rouen, Hubert Heckmann est membre fondateur de l'Observatoire du décolonialisme et vient de publier Cancel ! De la culture de la censure à l'effacement de la culture (Intervalles, 2022).

    Cancel culture.jpg

    La «cancel culture» fabrique-t-elle une génération d'ignorants ?...

    FIGAROVOX. - L'expression de cancel culture (culture de l'effacement) n'est-elle pas oxymorique ?

    Hubert HECKMANN. - Au départ, comme dans l'expression «culture d'entreprise», «culture» ne désigne dans l'anglicisme cancel culture  qu'un ensemble de comportements au sein d'une communauté fédérée par des valeurs. Il s'agit en l'occurrence des pratiques d'ostracisation (cancel) de personnes dont les propos sont jugés choquants par les membres de certaines communautés idéologiques. Mais ces valeurs et ces comportements que véhicule la cancel culture ont des implications pour la culture elle-même, entendue comme le domaine de l'activité intellectuelle et artistique. Le terme cancel culture est un terme polémique qui n'est utile que dans la mesure où il permet de décrire le réel: la montée en puissance d'une culture de la censure entraîne de fait un véritable recul, la menace d'un effacement de la culture.

    La cancel culture réduit-elle l'œuvre à son auteur ?

    De ce point de vue, la cancel culture agit comme un effet paradoxal du culte de l'artiste: le mythe romantique du génie puis l'autopromotion de l'artiste contemporain ont fait passer au second plan les œuvres d'art, derrière la personne de l'auteur qui captive l'intérêt du public. En croyant parler d'art, on commente souvent la vie de l'artiste. Mais l'art, c'est avant tout les œuvres, qu'il faut considérer pour elles-mêmes si on veut pouvoir les comprendre et les apprécier. Or, pour l'art contemporain, l'œuvre ne réside plus dans l'objet mais dans l'expérience que l'objet va provoquer, et donc dans le discours qui conditionne et accompagne cette expérience, ce qui peut conduire à brouiller les frontières entre l'œuvre et la personne de l'artiste. Appliquer cette conception de l'art aux œuvres du passé, c'est céder à l'anachronisme. L'artiste en tant que personne ne doit pas pouvoir se soustraire au jugement moral, mais cela n'affecte pas le jugement esthétique, d'une tout autre nature, que l'on porte sur son œuvre. Savoir que Michel-Ange était d'un tempérament exécrable ne me conduit pas à préférer à ses œuvres les peintures et les sculptures d'artistes plus gentils…

    En faisant du texte littéraire un discours ordinaire qui doit provoquer adhésion ou rejet en fonction des valeurs et du message qu'il suppose, la cancel culture dégrade-t-elle la littérature ?

    Si les œuvres sont réduites à un rôle de message, alors il faut en effet ou bien les «aimer» (dans le sens très restreint du like des réseaux sociaux, qui est la manifestation d'une adhésion), ou bien les réprouver. C'est méconnaître la spécificité des genres littéraires, la diversité des niveaux de lecture, la puissance de l'ironie provoquée par les effets de décalage ou de citation… Par exemple, on attribue trop souvent au romancier les propos qu'il place dans la bouche de ses personnages. Ce n'est pas seulement la littérature qui est dégradée par une lecture aussi réductrice, c'est plus généralement notre capacité à accepter et à approfondir les nuances, jusque dans nos discours ordinaires qui s'en trouvent eux aussi appauvris.

    Le jeu de l'ambiguïté, qui fonde l'art d'écrire, s'adresse à l'imagination du lecteur pour susciter sa réflexion: les œuvres littéraires ne sont pas des recueils d'opinions et de commandements à l'interprétation univoque. La littérature est un art dont la particularité est de prendre les mots pour matériau, mais aucun art véritable ne trouve sa raison d'être dans la fonction de communication. Kundera écrit dans Les Testaments trahis: «vu que les tendances politiques d'une époque sont toujours réductibles à deux seules tendances opposées, on finit fatalement par classer une œuvre d'art ou du côté du progrès ou du côté de la réaction ; et parce que la réaction c'est le mal, l'inquisition peut ouvrir ses procès. (…) Depuis toujours, profondément, violemment, je déteste ceux qui veulent trouver dans une œuvre d'art une attitude (politique, philosophique, religieuse, etc.), au lieu d'y chercher une intention de connaître, de comprendre, de saisir tel ou tel aspect de la réalité.»

    Qu'est-ce qu'une littérature qui répond «aux besoins et aux critères d'un temps» ? Fait-on du livre un produit de consommation qui ne peut plus s'inscrire dans le temps long ?

    Certains éditeurs français recourent déjà à des sensitivity readers, chargés de passer les manuscrits au crible pour relever les passages qui risqueraient d'être perçus comme offensants ou désobligeants envers les minorités. Or, comme l'écrit Belinda Cannone, «la bêtise s'améliore»: de nouvelles susceptibilités éclosent continuellement, toujours plus chatouilleuses sur des sujets qui paraissaient hier anodins aux lecteurs les plus «conscients» et les plus «éveillés». Les livres qui répondent à un cahier des charges commercial et idéologique imposé par l'actualité sont donc ceux qui sont voués à sombrer le plus rapidement ou bien dans l'opprobre ou bien, si l'auteur est chanceux, dans l'oubli… Je cite dans mon livre le cas d'un auteur qui confesse, quelques années seulement après la publication d'un roman, que ce qu'il avait écrit est devenu choquant depuis le mouvement #MeToo. La date de péremption est atteinte ! La «révolution culturelle» permanente des réseaux sociaux invite à la création d'une littérature jetable, «annulable» au fur et à mesure des perfectionnements du conformisme.

    Vous abordez un point absolument essentiel: le respect de «l'altérité culturelle des époques passées». Comment éviter l'anachronisme et le jugement de temps disparus ?

    Le lecteur qui juge le passé à l'aune de ses propres critères moraux est aussi détestable que le touriste qui s'indigne, à l'étranger, de mœurs différentes des siennes ! Longtemps, la culture bourgeoise s'est considérée comme le terme d'une évolution à l'aune duquel il fallait interpréter le passé. La cancel culture perpétue la vieille illusion bourgeoise: elle se tient pour l'accomplissement du progrès et ne voit dans l'héritage culturel qu'une poubelle de l'histoire où s'accumulent les mêmes tares que celles qui restent à dénoncer aujourd'hui chez les ennemis du progrès… Au contraire, nous devons travailler à faire apparaître l'altérité, l'étrangeté des cultures anciennes, en partant de questions qui se posent à nous dans le présent sans faire du passé l'écran de projection de nos préoccupations morales contemporaines. Pour sortir de ce nouvel ethnocentrisme, il faut percevoir et faire sentir les différences dans l'ordre culturel, car ce sont elles qui mesurent le temps. La lecture des œuvres du passé peut être aussi bouleversante qu'une rencontre, mais il n'y a pas de rencontre authentique sans la reconnaissance d'une altérité, et cela représente une réelle prise de risque pour nos «identités» de plus en plus agressives et figées.

    Qu'est-ce que l' «auto-totalitarisme de la société» dont parlait Václav Havel ?

    Si la cancel culture peut rappeler certaines dérives propres aux sociétés totalitaires, la comparaison trouve sa limite car nous ne vivons pas sous le règne de la terreur nazie ou stalinienne: les victimes de la cancel culture ne sont pas encore physiquement éliminées, Dieu merci ! Et pourtant, l'intimidation idéologique fonctionne, sans même avoir recours à la menace des camps. La cancel culture ressemble donc au système communiste des années 1970 en Europe de l'Est, que Václav Havel a qualifié de «post-totalitaire» parce qu'il prolongeait la dictature sans employer les moyens de répression du stalinisme : «Dans le système post-totalitaire, la ligne de conflit passe de facto par chaque individu, car chacun est à sa manière victime et support du système. Ce que nous entendons par système n'est donc pas un ordre que certains imposeraient aux autres, mais c'est quelque chose qui traverse toute la société et que la société entière contribue à créer».

    «L'auto-totalitarisme de la société», c'est ce phénomène par lequel je me soumets par lâcheté aux mots d'ordre idéologiques, pour me faire bien voir de mes semblables que j'incite à obtempérer en même temps que je cède moi-même. Les réseaux sociaux recréent aujourd'hui un tel système de surveillance réciproque et d'intimidation dont les victimes consentantes de la cancel culture sont aussi les premiers chiens de garde. L'engrenage auto-totalitaire est actionné par la veulerie collective, mais il peut être enrayé par le grain de sable du courage individuel.

    Comment faire survivre la littérature ?

    La littérature en a vu d'autres, elle survivra. La littérature authentique a toujours représenté un péril pour le conformisme social, justement parce qu'elle est irréductible à un message univoque. La violence du procès intenté à la littérature n'étonnera pas l'historien, et peut-être la littérature s'est-elle mieux portée dans les époques où elle a subi les attaques des bigots, des bien-pensants et des polices politiques, plutôt que dans les époques où elle ne suscite que l'indifférence. Mais en voulant aujourd'hui «protéger» la jeunesse d'une contagion morale que répandraient la littérature et l'art du passé, on ne fait qu'aggraver la rupture de transmission culturelle. En effet, la cancel culture creuse les inégalités et accroît l'exclusion sociale, menant tout droit à l'opposé des bonnes intentions qu'elle proclame: en entravant l'accès d'une génération au savoir et à la culture, elle nuit gravement à la capacité de chacun de progresser vers la réflexivité et l'autonomie, portant préjudice en premier lieu aux plus pauvres et aux plus faibles.

    Ce qui me préoccupe, plutôt que la survie de la littérature, c'est la question de notre propre survie dans une société qui s'interdit de rechercher le vrai et le beau parce qu'il faudrait tout soumettre à l'exigence du bien, indexée sur le cours fluctuant des valeurs morales à la bourse des bons sentiments. Serions-nous assez lâches pour renoncer à la quête de la vérité comme à la recherche de l'émotion esthétique, sous la seule pression de quelques provocateurs vociférant qui ont décrété que le savoir et le plaisir étaient coupables ? La soif de vérité et la soif de beauté sont inextinguibles. La production commerciale et l'enrégimentement politique d'un art idéologiquement correct ne pourra jamais apaiser cette soif, ni même la tromper.

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  • La traîne des empires...

    Les éditions Passés Composés viennent de publier un essai de Gabriel Martinez-Gros intitulé La traîne des empires - Impuissance et religions

    Professeur émérite d’histoire de l’Islam médiéval à l’université de Nanterre, Gabriel Martinez-Gros est l’auteur, notamment, de Brève histoire des empires (Seuil, 2014), de L’Empire islamique (Passés Composés, 2019) et de De l’autre côté des croisades (Passés Composés, 2021), tous succès critiques et publics.

     

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    " Christianisme, islam, bouddhisme, les trois religions aux milliards de fidèles sont des créations de fin d’empire, les traînes des trois empires-mondes que sont Rome, la Chine et l’Islam. De ces religions Gabriel Martinez-Gros ne retient ici qu’un point commun, le moment où elles sont nées, lorsque l’impuissance croissante du pouvoir impérial dissocie son action politique de son système de valeurs, lorsqu’il passe de l’agir militaire et politique au dire religieux.

    La résonance avec le monde moderne est frappante. La fin de l’extraordinaire poussée économique et démographique de la modernité (1800-2050), où l’Occident, empire informel, étendit sa domination, devrait ainsi voir une nouvelle émergence religieuse, de la même façon que l’affaiblissement de Rome aux IIIe-IVe siècles, la disparition des Han à la même époque, le naufrage du califat islamique entre IXe et XIe siècle ont abouti à des éclosions religieuses. Telle est l’idée majeure de ce livre aussi brillant que novateur, porté par une érudition confondante. "

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