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Métapo infos - Page 293

  • Qui isole qui ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré à la recomposition du monde provoquée par la guerre russo-ukrainienne...

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

     

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    Qui isole qui ?

    Le conflit engagé à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie est planétaire. Son enjeu est la fin de la prétention occidentale à définir un ordre du monde au-dessus des Nations, des civilisations, et du droit des peuples à décider de leurs lois, de leurs mœurs et de leur régime politique. C’est la fin de l’occidentalisation du monde. Et son enjeu est l’avenir de l’Europe, une Europe que l’Union tire vers la soumission, une Union qui sacrifie le dur effort vers l’autonomie au confort de l’occupation américaine.

    Le 25 mars 2022, la réunion des ministres des Affaires étrangères des pays membres de la Conférence islamique s’est réunie à Islamabad, au Pakistan, en présence du ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi. Réunissant 57 Nations, soit plus du quart des Nations représentées à l’ONU, elle a publié une déclaration qui condamne les sanctions contre la Russie et refuse de s’y associer. Déclaration appuyée lors de la rencontre des Premiers ministres malais et vietnamien à Hanoï ; les seules sanctions légitimes sont celles imposées par le Conseil de Sécurité des Nations Unies.

    Dans un entretien accordé à l’Humanité (publié le mardi 15 mars), Macky Sall, le Président du Sénégal, également président de l’Organisation de l’Unité africaine, a expliqué le choix de s’abstenir lors du vote condamnant la Russie, au nom de son pays, mais aussi de tous ces pays africains qui savent ce qu’ils ont dû à l’Union soviétique, ce qu’ils doivent encore à une Russie qui demeure présente, qui distribue de l’aide alimentaire et remporte un soutien populaire marqué.

    La même semaine, les Émirats arabes unis recevait le Président de la Syrie, Bachar El Assad, annonçait que son pétrole pouvait être payé en roubles, et refusait de recevoir l’envoyé américain.

    De son côté, l’Inde négociait un contrat d’approvisionnement en énergie « roubles contre roupies », tandis que pour la première fois depuis des décennies, le ministre des affaires étrangères chinois annonçait se rendre en Inde, et que le ministre indien des Affaires étrangères se rendra à Pékin, l’un et l’autre balayant les provocations auxquelles se livrent les États-Unis et les Anglais complices pour réanimer le conflit marginal à la frontière himalayenne, ou pour susciter des incidents avec cet État-frère que fut le Pakistan.

    Pendant ce temps, l’Union européenne accueille un Boris Johnson hilare du bon tour joué à l’Europe en choisissant le grand large et en rejoignant des États-Unis fermement décidés à renforcer leur occupation de l’Europe, ouverture de bases militaires, par exemple en Bulgarie, et arrivée massive de militaires américains faisant foi. Peu importe ce qu’un Joe Biden cacochyme pourra dire, par exemple reprocher à Poutine d’envahir la Russie, confondre l’Ukraine et l’Iran, ou saluer sa mère morte depuis quinze ans (trois preuves récentes de la sénilité d’un Président par défaut). Le plus grave n’est pas que l’Union européenne se plie à l’alliance que la peur, l’histoire et les traités lui imposent. Le plus grave est que nul ne semble capable de comprendre ce qui se passe, et qui se dit en trois mots.

    Racisme. L’analyste indien Bhadrakumar a dit tout haut ce que tous pensent tout bas. Cinq cents, sept cent mille, peut-être un million de victimes irakiennes de l’invasion américaine et britannique n’ont pas ému les belles consciences occidentales. Les dizaines de milliers de victimes de l’agression illégitime contre la Libye n’ont pas ému les belles âmes et les généreuses fondations. Et pas davantage les centaines de milliers de victimes afghanes de l’occupation américaine, ou les milliers de victimes serbes de l’agression otanienne. La crise humanitaire qui a frappé le Liban, qui frappe la Syrie du fait des sanctions n’empêche aucun activiste des ONG et Fondations américaines de dormir. Ne parlons même pas des millions de morts au Congo, en partie victime de l’entretien des groupes armés par les compagnies minières occidentales. La réalité est irrecevable de ce bon côté du monde, mais elle est ; les victimes blondes aux yeux bleus ukrainiennes mobilisent une fraternité dont les Européens ne mesurent pas à quel point elle est insultante pour tous ceux qui n’ont jamais eu le droit à la moindre compassion — pas même quand une Mme Allbright déclarait ne pas se soucier des milliers d’enfants irakiens morts faute de médicaments ! Il y a les bonnes victimes, et il y a les victimes dont nul ne se soucie. Le problème est qu’ils le savent, et qu’ils ont compris la leçon formulée par un dirigeant américain ; « on nous accuse de massacres, mais n’oubliez pas que les victimes n’étaient pas des Américains » !

    Injustice. Les avoirs de la Banque centrale russe ont été saisis. Une telle saisie n’est pas sans précédent. Les avoirs de la Banque centrale d’Iran avaient été saisis et un immeuble propriété de l’Iran à New York, acquis en toute légalité, volé. Les avoirs du Venezuela ont également été volés. Plus récemment, après la déroute américaine en Afghanistan, les avoirs de la Banque centrale ont été saisis, à hauteur de 7 milliards de dollars. Cette saisie, qui représente une part significative du PIB d’un des pays les plus pauvres du monde, contribue à une crise humanitaire de grande ampleur, qui menace de famine des millions d’Afghans — mais, c’est vrai, ils ne sont pas Américains. Iran, Venezuela ou Afghanistan sont à la fois des acteurs marginaux des échanges monétaires et financiers mondiaux, et les cibles prévisibles de sanctions américaines dont ils sont les adversaires directs.

    La saisie des avoirs de la Banque centrale russe est de toute autre conséquence. La Russie n’est pas en guerre avec les États-Unis. Ces avoirs correspondaient à des échanges légaux, et étaient légitime propriété de la Russie. Au sens propre, ils ont été volés. La Russie, membre du Conseil de Sécurité des Nations-Unies, vraie civilisation et pays-continent étendu sur 12 fuseaux horaires est une puissance nucléaire qui peut tenir en respect les États-Unis. Passons sur les impacts techniques potentiels, et sur l’infinie complexité des relations entre Banques centrales elles-mêmes, banques commerciales et marchés financiers.

    L’unilatéralisme américain vient de passer la ligne rouge, une ligne rouge qui signifie que c’en est fini de la suprématie du dollar, de l’addiction mondiale au dollar, et de la capacité des pays occidentaux de vivre au crédit du reste du monde. Il n’est plus aujourd’hui dans le monde un seul pays qui ne s’interroge ; et si les États-Unis décidaient de saisir les avoirs de ma Banque centrale ? La propagande écrasante à laquelle nous sommes soumis nous empêche de nous poser la question, voire de comprendre la réponse qui s’impose, d’Asie en Afrique ; le monde serait meilleur sans les États-Unis d’Amérique du Nord.

    Sans doute, la Russie est coupable d’agression contre l’Ukraine, la Russie n’est pas un régime démocratique selon la définition qu’en donnent les États-Unis et l’Union européenne, la Russie n’accepte pas la propagande LGBT, les Fondations et les ONG qui sont autant de lobbys américains, désignent la Russie qui les expulse comme un « rogue State », la Russie est coupable de ne pas accepter l’extension de l’OTAN à ses frontières, la Russie est coupable d’entretenir des relations étroites avec les peuples européens de religion orthodoxe. Qui a parlé de souveraineté, de non-ingérence, ou, simplement de diplomatie ?

    La Russie est bannie de la communauté bancaire internationale — ou de ce que la tribu financière anglo-américaine désigne comme telle. Situation sans précédent. Même au temps de la Seconde Guerre mondiale, les banques centrales, dont la Banque d’Allemagne, continuaient de travailler ensemble en Suisse. Ce que les États-Unis et leurs collaborateurs veulent légitimer au nom du Bien, un Bien dont ils disposent à leur convenance, est pur et simple vol. Aucune règle internationale ne couvre leur décision unilatérale. Certains voudront voir un progrès dans ce qui est une régression de la civilisation, cette civilisation des mœurs qui veut que même quand la guerre fait rage, il faut se parler, il faut échanger, et il faut que les populations vivent. Bien sûr, ceux qui ne rêvent que d’ajouter de la guerre à la guerre et de se battre jusqu’au dernier Ukrainien n’ont que faire du mot « civilisation ».  

    Arrogance. Le Bien est ce que les États-Unis et leurs complices ont déterminé qu’il soit. Des ONG et des Fondations décident quel est le bon régime, quel est le mauvais et choisissent selon les intérêts de leurs financeurs les « abus manifestes » et les « entraves insupportables » aux droits de l’homme qu’elles oublient si bien de dénoncer ailleurs. Tout cela au nom d’un universalisme de pacotille qui ramène les États-Unis au temps de la conquête du Far West !

    Répondant à une arrogante journaliste anglaise de la BBC — en est-il d’autres ? — qui l’accusait de réprimer la presse, le Président de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, lui a justement retourné la question ; quel est le sort fait par la justice britannique à Julian Assange, qui a seulement révélé les crimes de l’Amérique, et pour cela paie de sa vie en dehors de toute légalité ? « Vous n’avez aucun droit de prétendre à une quelconque supériorité morale » ; ce que le Président de l’Azerbaïdjan dit à une blonde journaliste anglaise, le monde le dit à l’Occident (ceci écrit sans aucune prétention à défendre la politique de l’information en Azerbaïdjan !)

    S’il suffisait de tuer tous les méchants ! et s’il était si simple de distinguer les bons des méchants ! La question a peu de chances de perturber le fonctionnement binaire des « stratèges » de Washington, elle a moins de chance encore de refonder la diplomatie, cet art d’entendre l’adversaire, de comprendre les raisons de l’ennemi, ses buts de guerre, d’entretenir le dialogue et la conversation, qui sont les seuls moyens de paix durables et de traités viables. L’arrogance américaine est partout ressentie, surtout dans ces pays d’immense civilisation que sont l’Inde, la Chine, les Etats islamiques, qui n’ont que mépris pour des pays comme l’Australie ou les États-Unis, déversoirs de l’Europe. Pour une fois, il convient d’être fier d’être Français ; le Président Emmanuel Macron a été le seul à relever l’indécence des propos tenus par Joe Biden à l ’encontre du Président Vladimir Poutine.

    Combien de siècles, de guerres, de défaites et de morts faudra-t-il aux États-Unis pour peut-être construire une civilisation ? La question est de savoir s’il restera encore des États-Unis pour y prétendre édifier — tant s’y sont essayés, qui ont disparu sans laisser de traces ! Et la question est désormais ; cette grande civilisation qu’a été l’Europe, cette civilisation qui est la nôtre, choisira-t-elle de s’abîmer avec un allié américain qui lui apporte l’illusion de sa sécurité au prix de sa soumission, ou choisira-t-elle d’en finir avec une dépendance dont chaque jour montre un peu plus qu’elle l’éloigne du monde, et qu’elle la prive de sa plus grande force; l’intelligence du monde ?

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 27 mars 2022)

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  • Marshal Carpentel...

    Les éditions Auda Isarn viennent de publier Marshal Carpentel, un polar de Pierric Guittaut qui constitue la suite de Beyrouth-sur-Loire, réédité en 2020. 

    Écrivain et chroniqueur, Pierric Guittaut est déjà l'auteur de plusieurs romans et polars dont La fille de la pluie (Gallimard, 2013), D'ombres et de flammes (Gallimard, 2016),  Ma douleur est sauvagerie (Les Arènes, 2019), Docteur Geikil & Mister Hussard (Auda Isarn, 2020) et L'heure du loup (Les Arènes, 2021) ainsi que d'une passionnante enquête consacrée à la Bête du Gévaudan, La Dévoreuse (De Borée, 2017).

     

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    " Un maire corrompu et vieillissant assiégé par l’opposition dans sa propre mairie. Un commissaire de police psychotique et toxicomane qui règne par la violence et le crime. Un campement d’immigrés clandestins passé par les armes. De jeunes identitaires au profil de coupables idéaux. Une journaliste en quête de rédemption. Un fantôme libanais en exil qui pourrait se lancer sur le chemin de la vengeance.

    Si les brutes et les truands pullulent dans une France désindustrialisée et confrontée à la faillite généralisée de ses institutions, les bons s’y comptent désormais sur les doigts d’une main. Et ce ne sont pas les Jeux Olympiques à venir qui risquent de calmer les appétits des vautours qui se pressent sur la carcasse d’une nation en proie au pillage généralisé. Le capitaine de gendarmerie De Rambert aura fort à faire pour tenter de démêler les fils arachnéens qui se tissent autour d’elle dans un chassé-croisé dont l’issue pourrait se révéler fatale à beaucoup.

    Après Beyrouth-sur-Loire, Pierric Guittaut signe le western crépusculaire d’un pays ravagé par la mondialisation et le déclassement. "

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  • Les manœuvres de l'antiracisme d'Etat...

    " Connaissez-vous la Dilcrah, la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (ouf) ? Non ? Alors, rappelez-vous du film magnifique "Le Corbeau" de 1943 de Georges Clouzot avec l’épatant Pierre Fresnay. Le film est inspiré d’un fait divers réel survenu en 1922, l’affaire de Tulle. Plus de cent lettres anonymes dénonçaient alors la "mauvaise conduite " de certains, l’adultère des uns, l’enfant naturel des autres. L’auteur, une vieille fille frustrée signait "L’œil du tigre" et ajoutait le dessin d’un corbeau. Le corbeau dénonce un tel qui couche avec une telle alors qu’il est marié, ou celui qui ne braie pas avec le troupeau, mais le corbeau exige aussi la punition par l’intercession du jugement moral de la communauté.

    Roland Hélie, Philippe Randa et Pierre de Laubier reçoivent, dans leur émission Synthèse, Claude Chollet, collaborateur de la revue Éléments qui vient de publier La Dilcrah, fossoyeur de nos libertés (La Nouvelle Librairie, 2020) ; il dénonce, au nom de la salubrité publique, sa nuisance souvent haineuse et toujours partisane. "

     

                                                

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  • Amour, luxe et capitalisme...

    Les éditions Krisis viennent de publier un essai de Werner Sombart, datant de 1921, intitulé Amour, luxe et capitalisme, avec une préface de Guillaume Travers. Économiste, historien et sociologue connu dans le monde entier, disciple de Marx dans sa jeunesse, Werner Sombart (1863-1941) a exercé une influence profonde dans les années 1920 sur une partie des auteurs conservateurs révolutionnaires. Plusieurs de ses œuvres, dont Le socialisme allemand et Le Bourgeois, ont été traduites en français.

     

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    " Le capitalisme, un fruit du luxe ? Et, plus encore, la conséquence lointaine d’un changement des rapports hommes-femmes ayant pris place à partir du Moyen Âge ? C’est là la thèse incroyablement audacieuse que formule Werner Sombart en 1913 – et qui fait de lui l’une des figures fondatrices de la sociologie du luxe, aux côtés de Thorstein Veblen et Georg Simmel. Historiquement, le luxe est d’abord celui des cours princières et papales, qui se détournent des grandes manifestations de générosité publique du Moyen Âge pour adopter un luxe privé : celui de l’aménagement intérieur, de la décoration, des raffinements vestimentaires et culinaires. Pourquoi ce basculement ? Pour vivre des sentiments amoureux davantage tournés vers les sens, ces sentiments qu’exaltent d’abord les troubadours et qui trouveront vite à s’exprimer dans les bras des courtisanes et des demi-mondaines. Une fois mise en route, la dynamique du luxe est un dissolvant qui mine tout l’ordre social, en permettant à des parvenus d’afficher une consommation qui dépasse très largement leur rang social, en transformant la noblesse d’épée en noblesse d’argent, et en ouvrant la voie à des dépenses sans fin. Économiquement, la demande de luxe est à l’origine de la grande entreprise, et a considérablement stimulé les circuits d’échanges mondiaux à l’ère moderne, jusqu’au commerce des esclaves. "

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  • La guerre d’Ukraine : leçons pour une politique nationale...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre de Lauzun, cueilli sur le site de Geopragma et consacré au besoin de la définition d'une politique visant à la défense des intérêts nationaux de notre pays. Membre fondateur de Geopragma, Pierre de Lauzun a fait carrière dans la banque et la finance.

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    La guerre d’Ukraine : leçons pour une politique nationale

    On tend trop souvent à analyser la guerre d’Ukraine en termes émotionnels, ou comme grande lutte des régimes autoritaires et des régimes démocratiques. Je me placerai ici sur un plan différent : celui des relations internationales. Non pour évoquer la question des réactions à la crise (sanctions, etc.) ni celle des perspectives de sortie. Mais pour me concentrer sur les leçons à en tirer pour la détermination d’une politique nationale pour la France.

    1. Pour cadrer le débat

    Rappelons le principe de base en matière internationale : chaque pays est autonome et responsable de son action. Cela ne veut pas dire qu’il ne considère que ses seuls intérêts. Membre d’une communauté internationale, il prend aussi en compte ses relations avec les autres pays, tant pour coopérer que pour la recherche de la paix. Or, dans le contexte international, un principe essentiel pour la recherche de la paix est le respect de la souveraineté et donc des frontières. Ce principe n’est pas absolu ni totalement inviolable, et il y a des précédents graves, comme la guerre d’Iraq qui était une guerre d’agression (malgré l’excuse des attaques antérieures de l’Iraq sur ses voisins). Mais il reste par nature un repère majeur. 

    De ce point de vue, l’attaque russe sur l’Ukraine, agression généralisée d’un Etat souverain par un autre, sans provocation ou menace du premier directement sur le second, ne peut faire l’objet que d’une condamnation nette. Même si comme on sait les responsabilités occidentales et notamment américaines sont significatives. Le joueur d’échec que paraissait être Poutine a renversé la table, d’une façon peu rationnelle. Notons incidemment que sur ce plan l’invasion contredit la doctrine affichée par le grand allié de la Russie, la Chine (rappelons que Taiwan est considéré partie de la Chine).

    2. Le paysage international à la suite de l’attaque russe 

    Par son ampleur et sa nouveauté, une telle agression représente un tournant majeur dans les relations internationales. D’un côté, c’est le retour à la guerre comme instrument de rapports entre Etats, autrement que dans des cas qui pouvaient être présentés à tort ou à raison comme une forme de police internationale. Et d’un autre côté, c’est une rupture franche entre la Russie et le monde occidental, et par là aussi le mode de régulation internationale que celui-ci affiche. Bien entendu, une appréciation complète dépend des buts ultimes côté russe : volonté de puissance et de revanche, reconstitution d’une grande Russie ou d’une forme d’URSS, etc. L’attaque montre en tout cas qu’on n’a pas affaire à un patriotisme pur et simple, comme en témoignait déjà l’intervention en Syrie, acte de puissance et non de défense de la patrie russe.  

    Par ailleurs, la guerre en Ukraine fait sortir les Européens de leur monde rêvé où la paix est une situation normale et où la question de la guerre ne se pose qu’au loin, dans des pays où sévissent encore d’affreux tyrans qu’une bonne police internationale doit pouvoir faire disparaître. Ce qu’ils découvrent est la possibilité de la guerre en Europe, en outre avec une puissance nucléaire majeure.  Derrière, se profile ce qui était pourtant clair depuis des années : l’émergence d’un monde multipolaire qui est un monde de puissances, où la guerre est possible, que j’ai décrit dans mon livre de 2017 appelé justement Guide de survie dans un monde instable, hétérogène, non régulé

    Ce qui est particulièrement évident en Asie, avec présence de grandes puissances actuelles ou potentielles, tant dans la région (Chine, Russie, Inde, dans une certaine mesure Japon) que venant du dehors (Etats-Unis) ; plus des puissances moyennes mais ayant un poids réel appréciable (Iran, Pakistan, Arabie Saoudite, Indonésie, Corée, Vietnam, sans parler de la Turquie et d’Israël à l’ouest du continent). Les rapports entre ces nombreuses puissances sont complexes et évolutifs (y compris entre Russie et Chine, malgré les apparences), mais avec un point commun : les lignes de clivages ne sont pas idéologiques, ni vraiment des conflits de civilisations, et le patriotisme est partout une réalité de base indiscutable. Les réactions à la guerre en Ukraine le confirment, avec très peu de condamnations franches venant de cette zone. Or, l’Asie est de plus en plus le centre de gravité de la planète et elle donnera de plus en plus le ton. 

    À cela s’ajoute bien sûr la situation toujours complexe et belligène du Moyen-Orient, et la dérive croissante du Sahel, de la corne orientale de l’Afrique ou de la zone congolaise, et plus généralement d’une bonne partie de l’Afrique. Conflits, instabilité et guerres, mais là aussi, pas de conflit véritablement idéologique.

    3. Dans un monde de puissances, l’importance clef d’un patriotisme sain et lucide et non d’une croisade idéologique

    À l’opposé, la tentation latente en Europe et aux Etats-Unis reste l’idéologisation : en l’espèce, interpréter l’alliance de la Russie et de la Chine comme la sainte alliance des régimes autoritaires contre les démocraties, et tout voir en termes de grand combat manichéen de celles-ci contre ceux-là. La guerre d’Ukraine a considérablement ravivé cette tendance, parfois jusqu’à une forme d’hystérie. Mais en fait, seuls les ‘Occidentaux’ mettent en avant leur idéologie. Or comme je l’ai déjà relevé par ailleurs, la tentation idéologique est très dangereuse en matière de relations internationales, et cela indépendamment du bien-fondé de ce qu’on appelle ses ‘valeurs’. En termes clairs, il faut dans la plupart des cas choisir entre l’idéologie et la recherche de la paix. En outre, cette attitude, qui se veut moralisante, est celle qui rencontre le moins d’écho en dehors du monde occidental, d’autant que cela peut à un moment ou un autre menacer la plupart des pays ou régimes et a justifié dans le passé des agressions occidentales stupides, sanglantes et contreproductives (Iraq, Lybie etc.). Dans le cas ukrainien, condamner une agression manifeste est parlant ; y voir la lutte du bien et du mal est moins convaincant. 

    Ce qui n’empêche évidemment pas de souligner les différences entre les différents régimes politiques, de considérer que tel ou tel est mauvais, et de promouvoir des valeurs qu’on juge essentielles. Rien n’empêche en effet d’avoir ses idées et de porter des jugements, notamment sur les régimes jugés brutaux, agressifs, ou a fortiori totalitaires, et d’aider des évolutions dans un sens qu’on juge meilleur. Mais cela doit s’inscrire dans un cadre de relations internationales où on doit admettre qu’on est un pays ou ensemble de pays parmi d’autres, qu’on est perçu par les autres comme défendant sa position et ses intérêts, et où surtout la guerre au sens propre (et l’escalade) est en général contreproductive, en dehors même de ses horreurs. 

    Mais si ce qui compte est, là où on est, de jouer son rôle et s’assumer ses responsabilités, le patriotisme est plus que jamais à l’ordre du jour. Patriotisme pacifique, inscrit dans une communauté des Etats et le respect mutuel, mais patriotisme profond et exigeant. Cela implique, non seulement de disposer d’un outil de défense puissant et efficace, donnant la plus grande autonomie possible et donc des budgets militaires appréciables, mais aussi un esprit de combat, de défense, que nous avons perdu (et dont les Ukrainiens montrent à nouveau l’importance). Nous en sommes encore bien loin. C’est évidemment pour nous la leçon centrale de ces évènements. 

    4. Quelles alliances militaires pour un pays comme la France ? 

    Reste la question des alliances. Un pays comme la France à la fois une tradition d’action autonome (décrite couramment sous le terme de gaullisme), qui s’est étiolée au fil du temps, mais a pu encore se traduire récemment ici ou là, et une inscription dans des alliances ou constructions politiques : l’Alliance atlantique et l’Union européenne. Dans leur principe, on ne peut que conserver ces deux éléments, mais en les délimitant. 

    Une alliance est utile lorsqu’elle permet de maintenir une solidarité face à ce qui serait un agression franche de la part d’une puissance, lorsque cette solidarité est justifiée. L’Alliance atlantique a fondamentalement pour rôle de parer à une menace soviétique puis russe. Cette menace pouvait être perçue comme moins actuelle, mais l’agression russe de l’Ukraine lui a donné une certaine crédibilité. Bien sûr, cela dépendra aussi de l’issue militaire de ce conflit. Et même si la Russie se tirait bien de cette affaire mal engagée, elle n’est à l’évidence pas en état de menacer grand monde en dehors de son ancienne zone d’influence. Mais justement, le choix russe de mener cette agression fait qu’on doit intégrer au moins l’hypothèse d’une telle attaque contre d’autres pays d’Europe orientale, ce qui redonne un sens à l’Alliance, même si la Russie ne sera à court terme sans doute pas à même de le faire. Et pour la France, une telle attaque éventuelle et la vassalisation de l’Europe orientale ne seraient pas acceptables. Mais naturellement cela ne vaut que pour l’Europe (orientale). Il n’y a aucune raison pour que cela s’étende à d’autres zones.

    Et ces motifs n’impliquent pas un alignement général, d’abord sur les Etats-Unis, qui sont la colonne vertébrale de l’Otan, mais qui ont commis suffisamment d’erreurs dans le passé pour ne pas être suivis partout ; comme aussi sur des Européens dont nous sommes loin de partager toutes les vues, ni n’avons toujours les mêmes intérêts de défense (notamment sur le plan naval, avec notre immense domaine maritime), ni la même capacité à agir. L’Alliance devient notamment contreproductive si elle se traduit par le suivi servile des errements de la politique américaine ou de leurs intérêts qui ne se confondent souvent pas avec les nôtres, ou, pire, par des agissements qui sont des menaces pour la paix. Concrètement, en l’espèce, il aurait par exemple fallu continuer à s’opposer fermement à l’hypothèse même de l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan. Dès lors, sur le plan militaire, autant une interopérabilité peut être utile, voire indispensable pour des actions communes qu’on juge appropriées, autant il faut viser le maximum d’autonomie opérationnelle possible. Entre autres exemples, la Russie y parvient technologiquement alors que son économie est plus réduite que la nôtre ; Israël, encore plus petit, dans une large mesure aussi. 

    Ce qui conduit à poser la question de notre participation à l’organisation intégrée de l’Otan. Elle n’est pas indispensable (on s’en est passé pendant quarante ans) et il aurait mieux valu ne pas y entrer. Ce qui nous éviterait aussi de nous endormir sous la protection américaine, réelle ou non, comme l’Otan conduit à le faire. Logiquement cette analyse implique d’en sortir au moment opportun (et donc pas dans les circonstances actuelles), tout en restant dans l’Alliance. Une telle politique renforcerait la crédibilité de la France dans ses tentatives d’intermédiation ou d’influence. 

    S’agissant de l’Union européenne, elle ne peut être un cadre adéquat pour une politique de défense, contrairement à ce que prétend E. Macron. D’une part, les autres pays européens en quasi-totalité (et surtout à l’Est) sont plus que jamais convaincus que le lieu adéquat pour cela est l’Otan, et que leur défense est assurée d’abord et surtout par les Etats-Unis ou avec eux, y compris quand ils renforcent leur propre effort de défense. D’autre part, dans la plupart des cas, les divergences de vues sur l’opportunité d’une action militaire et sur sa direction sont notables entre Européens. L’agression russe de l’Ukraine est une exception, puisque l’accord de tous était d’emblée évident, au moins sur le principe ; mais les mesures prises auraient pu l’être dans le cadre d’un simple instrument de concertation entre Etats, sans besoin d’une défense commune. En outre, ces mesures (sanctions, livraisons d’armes) étaient justifiées au départ mais tendent à devenir irrationnelles (boycott de musiciens !) et surtout contreproductives, ainsi le désengagement des entreprises de Russie, au seul profit des Russes. Enfin, cette défense commune n’est pas prévue par les traités ; et le paragraphe des traités sur la solidarité entre Européens face à une agression n’y conduit pas, sauf cas particulier. 

    Il ne faut donc pas s’obnubiler sur le mythe d’une défense européenne autonome, qui dans l’état actuel des choses ne serait au mieux qu’une variante au sein de l’Otan, et au pire la clef de notre immobilisme. Et d’ailleurs, même si ce mythe se réalisait, à savoir une défense européenne totalement intégrée et bien équipée, pour la plupart des Européens elle ferait moins bien que l’Otan face à une puissance nucléaire majeure comme la Russie, dans le cas ukrainien ou ailleurs. 

    En revanche, une coopération avec les autres Européens, notamment dans les industries de défense, est nécessaire et bénéfique, tout en prenant garde d’avoir une réelle réciprocité, contrairement à ce qu’on voit (ainsi récemment pour les avions américains achetés par l’Allemagne – après bien d’autres cas), et de ne pas se faire lier les mains, ou, pire, déposséder de notre outil par idéologie ou esprit de système. 

    Pierre de Lauzun (Geopragma, 28 mars 2022)

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  • Le Coran sous l'oeil de la science...

    Le nouveau numéro de la revue Éléments (n°195, avril - mai 2022) est en kiosque!

    A côté du dossier consacré à la privatisation du monde, on découvrira l'éditorial d'Alain de Benoist, les rubriques «Cartouches», «Le combat des idées» et «Panorama» , un choix d'articles variés, des entretiens, notamment avec les philosophes Marcel Gauchet et Michel Onfray, le cinéaste Patrice Lecomte, l'historien Sylvain Gouguenheim et l'acteur Gérard Depardieu ... Et on retrouvera également les chroniques de Xavier Eman, d'Olivier François, de Laurent Schang, d'Hervé Juvin, de Nicolas Gauthier, de Bruno Lafourcade, de Guillaume Travers, d'Yves Christen, de Bastien O'Danieli et de Slobodan Despot, ainsi que celle d'Ego Non consacrée à la philosophie politique...

     

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    Éditorial

    Eh oui, il y a une idéologie dominante ! Par Alain de Benoist

    Agenda, actualités

    L’entretien

    Les leçons de Marcel Gauchet : Macron, la droite, la gauche et nous

    Cartouches

    L’objet politique : le Peugeot 103. Par Nicolas Gauthier

    Une fin du monde sans importance. Par Xavier Eman

    Cinéma : La Loi de Téhéran sur l’enfer du crack. Par Nicolas Gauthier

    Carnet géopolitique : Que se cache-t-il derrière la puissance ? Par Hervé Juvin

    Champs de bataille : en Voïvodine, la gloire et les os. Par Laurent Schang

    Les succubes volants (2/2). Par Bruno Lafourcade

    Économie. Par Guillaume Travers

    Les sortilèges de Francis de Miomandre. Le regard d’Olivier François

    Bestiaire : Les poissons peuvent conduire des voitures ! Par Yves Christen

    Sciences. Par Bastien O’Danieli

    Le combat des idées

    Guerre en Ukraine : l’Europe au bord du gouffre. Par Hervé Juvin

    Tovaritch Gérard Depardieu, un roi en exil. Par François Bousquet

    Les vérités de Gérard Depardieu : « Je suis contre cette guerre fratricide». Propos recueillis par François Bousquet

    Bruno Cremer – Jean Gabin, le match des monstres sacrés. Par Christophe A. Maxime

    Patrice Leconte : « Simenon, l’écrivain des petites gens, pas des grands». Propos recueillis par François Bousquet et Nicolas Gauthier

    Pour saluer Marcel Conche, le sage qui « croyait » aux dieux païens . Par Christopher Gérard

    La quête de Sylvain Gouguenheim : les derniers païens d’Europe. Propos recueillis par Thomas Hennetier

    Le monde n’est pas une table rase : que penser de l’anthropologie anarchiste ? Par Guillaume Travers

    Michel Onfray sur l’art contemporain : « Le Beau est mort, vive le beau!». Propos recueillis par Alix Marmin

    Quel homme de droite êtes-vous M. Alain de Benoist ? Propos recueillis par Pascal Eysseric

    Jean Kanapa et l’héritage stalinien : les leçons d’un itinéraire idéologique. Par Bruno Lafourcade

    Philippe Hemsen : dernières nouvelles de Jean Raspail. Propos recueillis par Marie de Dieuleveult

    Alfred Eibel, cavalier viennois : quand l’esprit autrichien règne sur l’univers. Par Olivier François

    À la gauche de la gauche : Günter Maschke, le schmittien « subversif ». Par Alain de Benoist

    Dossier
    Le Coran sous l’œil de la science

    L’authenticité du Coran en débat : comment l’islam a-t-il vu le jour ? Par Arnaud Dotezac

    L’émergence géopolitique musulmane : pour en finir avec l’omerta. Par Arnaud Dotezac

    L’islam, une religion judéo-chrétienne ? Au-delà du tronc commun des trois monothéismes. Par Alain de Benoist

    Panorama

    L’œil de Slobodan Despot

    Reconquête : le miroir de la sorcière. Par Slobodan Despot

    La leçon de philo politique : Pierre-Joseph Proudhon. Par Ego Non

    Au pays de Zemmour et Taubira : bobos et immigrés, la partition inachevée. Un reportage de Daoud Boughezala

    Bande dessinée : Ulysse avait un but. Par Patrice Reytier

    Un païen dans l’Église : la bataille des deux ours, basilique de Saulieu. Par Bernard Rio

    C’était dans Éléments : Alexandre Douguine, le théoricien de l’eurasisme. Propos recueillis par Alain de Benoist

    Éphémérides

    Lien permanent Catégories : Revues et journaux 0 commentaire Pin it!