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guerre - Page 50

  • Le refus de désigner l’ennemi ne le fait pas disparaître...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la question de la guerre et de l'ennemi...

     

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    « Le refus de désigner l’ennemi ne le fait pas disparaître. »

    De longue date, la guerre obéissait à des règles plus ou moins écrites. Au cours de l’histoire, théologiens chrétiens et musulmans ont même théorisé le concept de « guerre juste ». Aujourd’hui, malgré la révérence obligée au « droit international », la plupart des États semblent s’en affranchir complètement. La guerre a-t-elle changé ?

    Le trait le plus frappant, par rapport à la « guerre en forme » dont parlait Vattel au XVIIIe siècle, c’est la fin des distinctions traditionnelles entre les combattants et les civils, le front et l’arrière, la police et l’armée, l’intérieur. La distinction entre combattants et civils s’effaçant, la proportion de civils tués au cours des guerres augmente de façon drastique. L’armée conduit des guerres qualifiées désormais d’« opérations de police internationale », tandis que les policiers se voient de plus en plus confier des tâches militaires. Finalement, c’est la frontière entre l’état de guerre et l’état de paix qui disparaît, puisque les guerres ne font plus l’objet d’une déclaration en bonne et due forme, et qu’elles se poursuivent une fois que les armes se sont tues, par le biais des diverses formes de « réparations » ou de « rééducation » des populations.

    L’une des causes de ce brouillage, c’est le retour des « guerres justes », c’est-à-dire des guerres à « juste cause » (justa causa), par opposition aux guerres classiques de l’ère westphalienne, qui étaient des guerres à « juste ennemi » (justus hostis). Dans les guerres justes, l’ennemi n’est plus un adversaire du moment, dont on peut éventuellement comprendre le point de vue, mais une figure du Mal, un criminel qu’on ne cherche pas seulement à vaincre, mais à éradiquer. La guerre juste des temps modernes, c’est la guerre idéologique où chaque camp se considère comme l’unique représentant du Bien. Contre le Mal, tout est permis, puisqu’on ne saurait négocier ou conclure un accord de paix avec lui. L’attaque préventive devient du même coup justifiée, tandis que le respect mutuel devient coupable : « Aucun respect mutuel ne peut unir des combattants bien près de se dénier les uns aux autres la qualité d’hommes » (Hervé Juvin).

    Les stratèges calquent souvent l’idée des conflits à venir sur le modèle de ceux qui ont déjà eu lieu, ce qui leur vaut en général de grands déboires. Quelles seront les guerres de demain ?

    De même que le refus de désigner l’ennemi ne le fait pas disparaître, la fuite hallucinée devant l’idée même de puissance ne nous fait pas aller vers la paix, mais vers une transformation de la guerre. Les guerres inter-étatiques ne sont déjà plus les plus nombreuses. S’y ajoutent les guerres intra-étatiques, infra-étatiques ou para-étatiques, tous conflits dits « de basse intensité » qui n’ont pas fait moins de 30 millions de morts depuis 1945. Ajoutons-y les guerres asymétriques, les guerres pour les ressources naturelles, les guerres spatiales, les guerres cybernétiques. La récente cyberattaque contre TV5 a déjà donné une idée des conséquences d’une offensive similaire contre la tour de contrôle d’un aéroport, ou contre une place boursière internationale, voire la « déconnexion » brutale d’une ville ou d’un pays tout entier.

    En dépit de son organisation en réseaux, qui équivaut à une déterritorialisation, le terrorisme se situe dans le sillage de la « petite guerre », ainsi qu’on dénommait autrefois la guerre des partisans. Terroristes et partisans sont des « irréguliers », qui ne portent pas d’uniforme et ne peuvent être immédiatement distingués du reste de la population, ce qui leur vaut d’être considérés comme des criminels ou des « pirates », contre qui les forces armées sont tenues d’entreprendre des opérations de police. Le terrorisme frappe les esprits, non en raison du nombre de ses victimes (qui est relativement peu élevé en comparaison des autres conflits armés), mais de son caractère spectaculaire et insaisissable (les terroristes peuvent être partout), son principe étant que le message se confond avec le dommage. « Un attentat terroriste fait toujours moins de victimes qu’il n’a de spectateurs, d’où la relation intime et traumatisante qui s’établit entre le terrorisme et l’opinion […] Ce qui veut dire que les médias font eux-mêmes partie de la terreur. En ce sens, le terrorisme est bien le fils de la société de consommation et du spectacle », écrit très justement Georges Maurice.

    Les guerres « économiques » ne seraient-elles pas les plus meurtrières, parce que généralement plus discrètes ?

    La théorie « de la paix démocratique », qui remonte au Projet de paix perpétuelle (1795) de Kant, repose sur l’idée souvent répétée que les démocraties ne se font pas la guerre entre elles. Les auteurs libéraux en déduisent que la démocratisation est intrinsèquement facteur de paix (sans trop s’attarder sur les moyens belliqueux employés par ceux qui prétendent apporter la démocratie à des pays réputés l’ignorer, avec pour seul résultat d’instaurer la guerre civile et le chaos). C’est ignorer à la fois la réalité historique (la guerre anglo-américaine de 1812, la guerre hispano-américaine de 1898) et l’importance des guerres économiques et commerciales qui opposent tous les jours les démocraties, démentant du même coup les rêveries sur les effets pacificateurs du « doux commerce ». Et ne disons rien de la guerre résultant du soft power, de l’invasion technologique, des flux d’images, de la captation des imaginaires. Les affaires sont bien la poursuite de la guerre par d’autres moyens. Le même mouvement qui universalise le contrat et le marché conduit à la guerre de tous contre tous.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 21 avril 2015)

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  • Guerre et stratégie...

    Les Presses universitaires de France publient cette semaine Guerre et stratégie - Approches, concepts, un ouvrage collectif dirigé par Stéphane Taillat, Joseph Henrotin et Olivier Schmitt. Stratégiste, Joseph Henrotin est notamment l'auteur de Techno-guerilla et guerre hybride (Nuvis, 2014) et d'une étude sur le penseur de la puissance maritime, Julian Corbett (Argos, 2013).

     

     

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    " Cet ouvrage constitue la meilleure synthèse disponible en français sur le thème des études stratégiques. Les chapitres, rédigés par les meilleurs experts français et étrangers, reviennent sur l’histoire intellectuelle de la discipline et son développement, abordent les principaux concepts théoriques (dissuasion, coercition, etc.), et offrent une grille de lecture complète des enjeux de sécurité internationaux. Les nombreuses références et la bibliographie raisonnée placée en fin de chaque chapitre permettent au lecteur intéressé de prolonger sa réflexion. Résolument pluridisciplinaire, l’ouvrage accueille des contributions d’historiens, de politistes, d’internationalistes, de juristes, de philosophes et de sociologues, montrant ainsi la vitalité intellectuelle de ce domaine d’études. Il offre ainsi au chercheur, au décideur civil comme militaire et au citoyen des outils d’analyse pertinents pour comprendre le monde contemporain."

    Table des matières

    Avant-propos. Faut-il avoir peur de la stratégie ?
    Introduction : stratégie, études et analyse stratégiques

    Première partie : Le cadre de l’action
    Histoire de la pensée stratégique

    Le raisonnement stratégique
    Les acteurs du processus stratégique
    Système international et enjeux stratégiques
    L’histoire militaire comme instrument d’analyse
    Les catégories spatiales de l’action stratégique : place et apport de la géostratégie
    La notion de culture stratégique dans les études stratégiques
    Opinions publiques et action stratégique
    Ethique et action stratégique

    Deuxième partie : Analyse stratégique
    Analyse militaire

    L’analyse capacitaire, l’armement et le rôle de la technologie
    Les niveaux de la guerre. Une « Kriegsanschauung » américaine
    Modes de guerre : stratégies irrégulières et stratégies hybrides
    L’analyse du renseignement : savoir et comprendre pour agir
    Stratégie navale et stratégie maritime
    Stratégie aérienne
    Cyberstratégie

    Troisième partie : Concepts stratégiques
    Innovation et adaptation

    L’exercice de la stratégie : actualité des débats en pensée stratégique
    Course aux armements, désarmement, et contrôle des armements
    La dissuasion
    La coercition
    La surprise stratégique
    Planification de défense : la belle Arlésienne ?

    Postface : Strategic Studies et War Studies

     

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  • Le capitaine Danrit et le lieutenant-colonel Driant...

    Les éditions du Polémarque viennent de publier un court essai de Jean Mabire, intitulé Driant - Danrit et consacré à l’œuvre d’Émile Driant. Officier et homme politique, mort au combat à Verdun, Émile Driant fut également, sous le pseudonyme de capitaine Danrit, un auteur à succès de roman d'anticipation et de géopolitique-fiction. Son oeuvre foisonnante ne pouvait pas avoir échappé au lecteur sagace et insatiable que fut Jean Mabire...

     

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    " Parmi les figures admirées de longue date auxquelles Jean Mabire redonna vie le temps d’un livre, avec tout l’enthousiasme communicatif qui le caractérisait, il manquait un nom. Un nom, ou plutôt deux : Émile Driant, aussi connu sous le pseudonyme anagramme de Capitaine Danrit. Officier – il fut tué au combat aux premières heures de la bataille de Verdun, le 22 février 1916 – et romancier visionnaire, surnommé « le Jules Verne militaire » de son vivant (avec l’assentiment de ce dernier, s’il vous plaît !), Driant était un homme taillé sur mesure pour la machine à écrire de Jean Mabire.

    Considérable à tous les points de vue, l’œuvre de Driant jalonne la longue carrière d’écrivain de Jean Mabire. Driant/Danrit avait, sinon tout prévu (La Guerre fatale entre la France et l’Angleterre n’eut jamais lieu), tout imaginé, des guerres modernes du XXe siècle (les trois tomes de La Guerre de demain : La Guerre de forteresse, La Guerre en rase campagne, La Guerre en ballons) aux luttes des races et des religions (L’Invasion noire, L’Invasion jaune). Ni la montée en puissance des États-Unis, ni la modernisation à marche forcée du Japon n’échappèrent à sa sagacité.

    Driant termina d’écrire son dernier roman, La Guerre souterraine, dans les tranchées du bois des Caures en 1915. Jean Mabire nous laisse un tapuscrit complet, qui démêle l’écheveau d’une bibliographie prolifique, rendue confuse par la propension de Driant à écrire des romans fleuve, comprenant plusieurs tomes, eux-mêmes scindés en autant de volumes que de sous-parties. Une clarification bienvenue pour les collectionneurs. Le titre du livre, Driant Danrit, frappant, concis, est aussi de lui. "

     

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  • Carl Schmitt, un Prussien catholique...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien avec David Cumin, cueilli sur l'excellent site Philitt et consacré au juriste et politiste allemand Carl Schmitt. Juriste, maître de conférence à l'université Jean Moulin de Lyon, David Cumin est un connaisseur de l’œuvre de Carl Schmitt auquel il a consacré une biographie intellectuelle et politique (Cerf, 2005). Spécialiste du droit de la guerre, il est l'auteur d'un copieux manuel publié aux éditions Larcier, qui fait déjà référence, et également d'une Histoire de la guerre (Ellipses, 2014).

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    Entretien avec David Cumin : « Carl Schmitt est un catholique prussien, un Prussien catholique. »

    PHILITT : Dans votre biographie politique et intellectuelle de Carl Schmitt, vous relativisez sans occulter le rôle qu’il a joué dans l’administration du IIIe Reich. Pourquoi réduit-on l’œuvre de Schmitt à cet épisode, et pourquoi est-ce, selon vous, une erreur ?

     

    David Cumin : J’ai été le premier en France, dans ma thèse soutenue en 1996 à démontrer l’engagement de Carl Schmitt dans le IIIe Reich. Autrefois, cet engagement était plus ou moins occulté, négligé voire oublié. Et c’est en 1994 à la bibliothèque universitaire de Strasbourg que j’ai exhumé tous les textes de Carl Schmitt juriste et politiste de la période qui s’étend de 1933 à 1945. Personne ne l’avait fait depuis la Libération, et c’est en lisant, traduisant, analysant ces textes que j’ai pu avérer ce fait là.

     

    Son engagement a été très fort, mais on ne peut pas réduire la production intellectuelle de Schmitt aux années 1939-1945. Il a écrit avant et après cette période, et il y a des points de ruptures certes, mais aussi une vraie continuité sur certains sujets. Par exemple après 1933, par opportunisme, il intègre la doctrine raciale dans sa conception du droit et de la politique, mais de façon superficielle et controversée. Controversée par les nationaux-socialistes eux-mêmes ! On lui reprochera, à la suite d’une enquête de la SS en 1936, d’être un vrai catholique et un faux antisémite. Dès lors, sa carrière est bloquée. Il aurait peut-être apprécié d’être le juriste du IIIe Reich, mais il n’y est pas parvenu, parce que sa conception raciale était superficielle. Le véritable juriste du IIIe Reich était un rival de Schmitt : Reinhard Höhn.

     

    Si on réduit le personnage et son œuvre à cette période c’est évidemment pour des raisons polémiques, pour les discréditer. Et pourtant, nombreux sont les critiques de Schmitt qui ne connaissent pas ses écrits de la période 1939-1945, qui n’ont toujours pas été traduits pour nombre d’entre eux. Il y a d’ailleurs des textes de cette période qui n’ont rien d’antisémites ou de raciaux, notamment sur le concept discriminatoire de guerre qui reste un texte majeur de droit international.

     

    PHILITT : Voyez-vous une contradiction entre l’héritage intellectuel des grands penseurs politiques classiques (Hobbes, Thucydide, Machiavel, Bodin) porté par Carl Schmitt d’une part, sa catholicité d’autre part, et son adhésion au NSDAP (Parti national-socialiste des travailleurs allemands) ?

     

    David Cumin : Effectivement, Schmitt est un classique, imprégné de culture française, latine, catholique. Il a pour références Bonald, Maistre, Cortès… C’est un Européen catholique ! Mais en même temps il est un nationaliste allemand. Et il se trouve qu’il a, en 1933, les mêmes ennemis qu’Hitler. Il est contre Weimar, contre Versailles et contre le communisme. Or, c’est à ce moment qu’il arrive au sommet de sa carrière, mais il doit concilier sa culture classique et sa catholicité avec son adhésion au NSDAP. Même si ce dernier n’est pas anticatholique dès 1933 puisqu’un Concordat relativement favorable à l’Église catholique est signé, le problème se pose plus tard, et se cristallise autour du problème de l’embrigadement de la jeunesse. Cette lutte contre l’Église met Schmitt dans une situation inconfortable, mais il la surmonte : depuis toujours il a connu la difficulté d’être à la fois catholique et prussien de naissance. En 1938 dans un livre sur Hobbes il formule une critique de l’Église qu’il accuse d’avoir une influence indirecte ou cachée, lui qui faisait l’éloge d’une autorité visible. Mais définitivement, Schmitt est un paradoxe ! Tout en étant catholique, il a divorcé. Ses deux épouses étaient des orthodoxes serbes, autre paradoxe… Mais ce qui est absolument essentiel chez Schmitt, c’est l’ennemi. Pour lui l’ennemi primait sur tout, il disait :  « l’ennemi est la figure de notre propre question ».

     

    PHILITT : Faut-il donc considérer la pensée de Schmitt, et celle de la Révolution conservatrice allemande de manière globale, comme un réel moteur du NSDAP ou comme une simple caution intellectuelle ? 

     

     

    David Cumin : Ce n’est pas un moteur, ce n’est pas non plus une caution. C’est davantage une connivence. Le NSDAP est un parti de masse, un parti de combat, mais qui n’a pas de réelles idées neuves. Toute la production intellectuelle est due à la Révolution conservatrice allemande, pour autant beaucoup d’auteurs sont distants : Ernst Jünger se distingue immédiatement, Martin Heidegger s’engage mais sera vite déçu. Carl Schmitt est peut-être celui qui s’est le plus engagé, mais comme nous l’avons dit dès 1936 sa carrière est bloquée. Et n’oublions pas que le NSDAP est composé, tout comme la Révolution conservatrice allemande, de différents courants. Par exemple certains sont catholiques, d’autres se réclament du paganisme etc…

     

    Mais il y a tout au plus des passerelles, des connivences, le principal point commun étant le nationalisme et l’ennemi : Weimar, Versailles, le libéralisme et le communisme. D’ailleurs, le NSDAP méprisait les intellectuels, et plus particulièrement les juristes. Encore un problème pour Schmitt, donc.

     

    PHILITT : Une erreur du NSDAP n’est-elle pas d’avoir voulu bâtir une notion d’État stable et pérenne sur des idées (celles de la Révolution Conservatrice Allemande) nées d’une situation d’urgence et d’instabilité, celle de l’entre-deux guerres ?

     

    David Cumin : Effectivement, des deux côtés il y a une pensée de l’urgence, de l’exception, de la crise, de la guerre civile. Les partis communistes, socialistes, le NSDAP, ont tous à l’époque leurs formations de combats. Mais attention sur la question de l’État. Si la plupart des conservateurs, comme Schmitt, mettent au départ l’accent sur l’État, le NSDAP lui met le Volk, le Peuple, la race, au centre. Et après 1933, Schmitt va désétatiser sa pensée : il théorise la constitution hitlérienne selon le triptyque État – Mouvement – Peuple. L’État n’est plus qu’un appareil administratif, judiciaire et militaire. C’est donc le parti qui assume la direction politique, et la légitimité est tirée de la race, du peuple. L’État est en quelque sorte déchu, et le Peuple est réellement au centre. Schmitt pense alors le grand espace, qui reste une pensée valable au lendemain de la guerre ! Dans le contexte du conflit Est-Ouest, ce n’est pas l’État qui est au centre mais c’est bien cette logique des grands espaces qui domine.

     

    PHILITT : Toujours s’agissant du contexte historique, l’appellation de Révolution conservatrice allemande est-elle justifiée ? Les penseurs de ce mouvement intellectuel peuvent-ils réellement être rangés dans le triptyque réaction/conservatisme/progressisme ou faut-il considérer ce mouvement comme spécifique à une époque donnée et ancrée dans celle-ci ?

     

    David Cumin : C’est un moment spécifique à une époque, en effet, et l’expression me semble très judicieuse. Armin Mohler, qui fut secrétaire d’Ernst Jünger, a écrit La Révolution conservatrice allemande en 1950, traduit en France une quarantaine d’années plus tard. C’est donc lui qui a forgé l’étiquette, qui me semble très appropriée. Ce sont des conservateurs, qui défendent les valeurs traditionnelles, mais ils sont révolutionnaires dans la mesure où ils luttent contre la modernité imposée à l’Allemagne (le libéralisme, le communisme). Ils sont révolutionnaires à des fins conservatrices. Ils admettent la modernité technique, qui les fascine, mais veulent la subordonner aux valeurs éternelles. Leurs valeurs ne sont pas modernes. Et ce qui est intéressant, c’est qu’ils s’approprient les concepts modernes de socialisme, de démocratie, de progrès notamment, pour les retourner contre leurs ennemis idéologiques. Par exemple la démocratie pour Schmitt n’est pas définie comme le régime des partis, la séparation des pouvoirs, mais un Peuple cohérent qui désigne son chef.

     

    PHILITT : Vous êtes professeur et auteur d’ouvrages sur l’Histoire de la guerre et le droit de la guerre et de la paix. Avec le recul, pensez-vous que les travaux de Schmitt (sur la figure du partisan, sur le nomos de la terre, par exemple) restent des clés de lectures valides et pertinentes après les bouleversements récents de ces deux domaines ?

     

    David Cumin : Absolument, Le Nomos de la terre et L’Évolution vers un concept discriminatoire de guerre restent deux ouvrages tout à fait incontournables. Le Nomos de la terre est absolument fondamental en droit international, en droit de la guerre. De même que la théorie du partisan, qui pourrait être améliorée, amendée, actualisée, mais demeure incontournable. On peut d’ailleurs regretter que ce ne soit que très récemment que les spécialistes français en droit international se soient intéressés à Schmitt. Pourtant il y a toujours eu chez lui ces deux piliers : droit constitutionnel et droit international. Par exemple, ses écrits sur la Société des Nations sont tout à fait transposables à l’ONU et donc tout à fait d’actualité.

     

    PHILITT : Peut-on considérer qu’il y a aujourd’hui des continuateurs de la pensée de Carl Schmitt ? 

     

    David Cumin : Schmitt a inspiré beaucoup d’auteurs, dans toute l’Europe. Il a été beaucoup cité mais aussi beaucoup pillé… Très critiqué également notamment par l’École de Francfort et Habermas qui a développé son œuvre avec et contre Schmitt. Un ouvrage britannique, Schmitt, un esprit dangereux, montrait bien toute l’influence de Schmitt dans le monde occidental et dans tous les domaines. Le GRECE et la Nouvelle Droite se sont réclamés de Schmitt, mais dans une perspective plus idéologique.

     

    Dans un registre plus scientifique, en science politique, Julien Freund a revendiqué deux maîtres : Raymond Aron et Carl Schmitt. Il en a été un continuateur. Pierre-André Taguieff a été inspiré par Schmitt également, et plus récemment Tristan Storme. Schmitt a influencé énormément d’auteurs à droite comme à gauche. Giorgio Agamben, Toni Negri, la revue Telos aux États-Unis située à gauche sont fortement imprégnés de l’œuvre de Carl Schmitt. On peut difficilement imaginer travailler sur le droit international sans prendre en considération l’œuvre de Carl Schmitt.

     

    PHILITT : Finalement, comment résumeriez-vous la pensée de Carl Schmitt ? 

     

    David Cumin : Tout le paradoxe de l’existence et de l’œuvre publiée de Schmitt se résume ainsi : Carl Schmitt est un catholique prussien, un Prussien catholique. Sa catholicité expliquant son rapport à l’Église qui est pour lui le modèle de l’institution. Son origine prussienne expliquant son rapport à l’État, et surtout à l’armée. Il avait donc ces deux institutions, masculines, pour références, qui fondent le parallèle entre la transcendance et l’exception. Les polémistes disent « Schmitt le nazi », ce qui correspond à une période de sa vie, où il n’était pas forcément triomphant. Je préfère parler du « Prussien catholique », qui met en exergue le paradoxe de son existence et de son œuvre toutes entières.

    David Cumin, propos recueillis par Valentin Moret (Philitt, 13 mars 2015)

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  • Or noir, la grande histoire du pétrole...

    Les éditions La Découverte viennent de publier un essai de Matthieu Auzanneau intitulé Or noir - La grande histoire du pétrole. Journaliste, Matthieu Auzanneau anime le blog " Oil Man, chroniques du début de la fin du pétrole "...

     

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    " Depuis les premiers puits désormais à sec jusqu'à la quête frénétique d'un après-pétrole, du cartel secret des firmes anglo-saxonnes (les "Sept Sœurs") jusqu'au pétrole de schiste, Or noir retrace l'irrésistible ascension de la plus puissante des industries. Dans cette fresque passionnante, on croise les personnages centraux des cent dernières années – Churchill, Clemenceau, Roosevelt, Staline, Hitler, De Gaulle, Kissinger, sans oublier les présidents George Bush père et fils... –, mais aussi John Rockefeller, probablement l'homme le plus riche de tous les temps, ainsi que des personnalités moins connues ayant joué des rôles décisifs, tels Calouste Gulbenkian, Abdullah al-Tariki ou Marion King Hubbert. Ce livre éclaire d'un jour inattendu des événements cruciaux – l'émergence de l'URSS, la crise de 1929, les deux guerres mondiales, les chocs pétroliers, les guerres d'Irak, la crise de 2008, etc. –, bousculant au passage beaucoup de fausses certitudes. Le pétrole, notre source primordiale et tarissable de puissance, est présent à l'origine des plus grands déchaînements du siècle passé, comme du sucre versé sur une fourmilière. Jusqu'à une date récente, l'emprise du pétrole s'oubliait ; elle allait tellement de soi. Croissance, climat, guerre, terrorisme : cette emprise ressurgit aujourd'hui à travers de gigantesques menaces. Or notre avenir dépend de celui que nous donnerons au pétrole, ou bien de celui qu'il nous imposera. La fin du pétrole, en tant que carburant de l'essor de l'humanité, devrait se produire bien avant que ce siècle ne s'achève. De gré ou de force. Et nul ne peut dire où cette fin va nous conduire... "

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  • Solitude du témoin - Chronique de la guerre en cours...

    " La civilisation post-moderne, post-historique, post-chrétienne ne produit pas du vide : elle est le vide, la jouissance du vide, du présent perpétuel, du light, de l'insignifiant, de la « glisse » , de l'absence de mémoire, etc. Le multiculturalisme d’État est un des visages de ce vide. "

     

    Les éditions Léo Scheer publient cette semaine Solitude du témoin - Chronique de la guerre en cours, un recueil de textes de Richard Millet. Romancier, essayiste et polémiste, Richard Millet a écrit, notamment,  La confession négative (Gallimard, 2009), Arguments d'un désespoir contemporain (Hermann, 2011), Fatigue du sens (Pierre-Guillaume de Roux, 2011), Langue fantôme (Pierre-Guillaume de Roux, 2012) ou dernièrement Le corps politique de Gérard Depardieu (Pierre-Guillaume de Roux, 2014) et le Dictionnaire amoureux de la Méditerranée (Plon, 2015).

     

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    " Bêtise souveraine, perte des valeurs, politiquement correct, doxa littéraire, sous-culture, déchéance de l’esprit critique  : voilà quelques-unes des formes que prend la guerre en cours, aux yeux de l’écrivain qui n’a, aujourd’hui, presque plus de voix, dans un monde où règne l’insignifiance.
    D’où ces textes, de nature diverse, le plus souvent brève ou fragmentaire, qui envisagent ce qui s’achève tout en se maintenant comme cadavre : la culture, quasi morte, parce que tuée par le refus d’hériter et devenue le pouvoir culturel.
    Il faut donc repenser la figure de l’écrivain comme partisan sans parti, comme témoin animé de la volonté de dire ce qu’il voit, chaque jour, en France et ailleurs. "

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