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europe - Page 47

  • Nietzsche l'actuel...

    Julien Rochedy vient de publier un essai intitulé Nietzsche l'actuel - Introduction à la philosophie nietzschéenne, complété par un texte sur Nietzsche et l'Europe. Publiciste et essayiste, Julien Rochedy est une figure prometteuse de la mouvance conservatrice et identitaire. L'ouvrage est disponible sur son site personnel.

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    " J’ai voulu écrire ce livre pour partager aux autres ce que Nietzsche m’a offert.

    Incontestablement, il a changé ma vie. J’étais un petit jeune de province très en colère contre la société et frustré en moi-même, plein de ressentiment et d’aigreur, et je ne sais franchement pas ce que je serais devenu si je ne l’avais jamais rencontré.

    Grâce à lui, j’ai acquis une nouvelle façon de regarder le monde et les hommes ; j’ai appris  à distinguer entre ce qui appartenait au noble ou au médiocre ; j’ai rejeté toutes les conneries moralistes avec lesquelles on essayait de me culpabiliser depuis que j’étais jeune ; et j’ai compris que le secret du surhomme résidait dans la capacité à aimer toujours plus la vie à la condition de se transformer constamment, comme disait Nietzsche, « en lumière et en flamme ».

    Ce cadeau, je l’ai synthétisé pour en faire un livre qui soit à la fois accessible au néophyte tout en stimulant le confirmé, de sorte à ce que les débutants puissent acquérir une connaissance essentielle de la philosophie nietzschéenne, et que les connaisseurs puissent comparer leurs interprétations aux miennes. Car mon idée, en plus de présenter les grands concepts de Nietzsche, était de les confronter au réel, et de toujours montrer en quoi ils sont importants pour comprendre le monde d’aujourd’hui.

    En pour cause : Nietzsche écrivait que nous devions le lire 100 ans après sa mort. Nous y sommes, et c’est précisément pourquoi je crois que sa philosophie est primordiale pour analyser les grands phénomènes postmodernes et nihilistes qui nous environnent.

    Alors voilà : Nietzsche est actuel, il nous aide et nous transforme dans nos vies personnelles tout en nous indiquant les voies à suivre pour combattre radicalement la dégénérescence et la médiocrité du dernier homme.

    En résumé, Nietzsche écrivait qu’il était de la dynamite : rien n’est plus vrai.

    Eh bien l’ambition de mon livre, c’est d’être une allumette. "

     

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  • Sortir du rang...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros cueilli sur Geopragma et consacré aux conséquences géopolitiques de la crise. Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et de Vers un nouveau Yalta (Sigest, 2019). Elle a créé en 2017, avec Hervé Juvin, entre autres, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

     

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    Sortir du rang

    Lucidité, humilité, solidarité, coopération, empathie, inventivité : une pandémie comme celle qu’affronte le monde entier depuis quelques mois aurait pu et dû être, par l’ampleur de la vulnérabilité humaine qu’elle révèle, l’occasion pour les hommes ‒ notamment les politiques occidentaux qui aiment tant la grandiloquence humanitariste ‒ de se montrer enfin concrètement grands et généreux au-delà de leurs postures moralisantes cyniques, jamais suivies d’effet.

    Après la phase d’urgence sanitaire et d’improvisation plus ou moins heureuse, la récession économique et sociale généralisée qui attend la planète est en effet le socle idéal d’un rapprochement des intelligences, pour une fois affectées au bien commun et à l’amélioration d’une gouvernance mondiale en miettes. Elle aurait même pu mettre sur pause les innombrables affrontements armés mais aussi économiques et financiers (pensons aux arsenaux de sanctions manifestement contreproductives). Bref la Covid-19 est un kairos inespéré pour l’avènement du réalisme éthique dans les relations internationales. Certains y croient ou le disent, avec sincérité ou hypocrisie. Dans un cas comme dans l’autre, c’est rafraîchissant… mais parfaitement improbable. 

    Il n’est que de voir le rejet, à deux reprises, par les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Union européenne (donc la France) mais aussi le Japon, la Corée du Sud ou le Canada, du projet russe de résolution proposant un moratoire sur les sanctions pour les pays affectés par le coronavirus. Dans un assourdissant silence médiatique et une indifférence générale, les uns et les autres de ces pays, en chœur ou en canon, ont jugé cette proposition motivée par un pur opportunisme et une volonté d’instrumentalisation russe de la pandémie… On se demande comment il est encore possible, après la masse d’avanies américaines lancées au front de la servile Europe, que celle-ci n’ait toujours pas compris que son larbinisme aggravé ne lui rapportait rien et qu’elle devait enfin apprendre à réfléchir et à agir par elle-même, comme une grande, sans toujours attendre les ordres de Washington qui la méprise et se sert d’elle.

    Rappelons que ce projet était non seulement appuyé par Pékin, mais aussi par le groupe des 77 (les anciens « non alignés ») et par rien moins que le Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, dont l’audace lui coûtera peut-être bientôt son poste ou certains de ses budgets. Tous ces États, toutes ces personnalités parlent dans le désert, ou plutôt dans la jungle redevenue épaisse d’un multilatéralisme dévasté et d’une brutalisation croissante des rapports interétatiques.

    Les ratés du Regime change par le sang ou par les « révoltes populaires » en Europe comme au Levant ont tant crispé l’Empire en déclin, tant fait le jeu du soft power chinois et d’un relèvement imprévu de la puissance et de l’influence russes ‒ en dépit de tombereaux de sanctions qui ne parviennent pas davantage à décapiter un régime iranien récalcitrant ‒ que l’Amérique ne croit plus avoir d’autre choix que de « se défendre » comme elle l’a toujours fait : en attaquant. Elle s’y emploie en construisant plus que jamais l’ennemi pour justifier les coalitions, en battant le rappel de ses alliés-vassaux, en les forçant à prendre parti par le chantage et l’intimidation et en détruisant méthodiquement, sans plus prendre aucun gant, tous les mécanismes de dialogue ou d’entente multilatéraux qui contraignaient encore les volontés de puissance des uns et des autres. C’est évidemment vrai en matière stratégique (accords Start, FNI, JCPOA, traité ABM), climatique (accord de Paris), commerciale (TPP), Culturelle (Unesco) et désormais aussi sanitaire, avec le retrait de la participation financière américaine à l’OMS, en pleine pandémie. C’est délirant, c’est stupide, c’est indigent humainement, tactiquement et stratégiquement. C’est exactement l’inverse de ce qu’il faudrait faire, car, la nature ayant horreur du vide, Pékin réinvestit sans résistance tous les espaces d’influence délaissés par Washington. Mais les États-Unis croient que, de cette façon, le monde redeviendra unipolaire, que leur infaillibilité et leur invulnérabilité s’imposeront de nouveau à tous les autres acteurs. 

    Dans le cadre de cette approche ouvertement belliciste des rapports interétatiques, Washington suit deux grands axes.

    Le premier est une vieille parade qui a fait ses preuves : la diversion. Il faut donc trouver un coupable. Pékin est responsable du désastre sanitaire américain ! La Chine n’a pas créé la Covid-19, mais elle en a sciemment retardé l’annonce au monde pour nuire à la Grande Amérique, qui, si elle avait su plus tôt ce qui se passait, aurait naturellement pris la mesure de l’événement et les bonnes dispositions pour en prémunir sa population. Et nous, gentils petits serviteurs européens de l’infaillibilité américaine, au lieu d’élever enfin le débat, de libérer le monde de sa médiocrité complotiste, nous appuyons cette bronca débilitante, nous appelons au jugement de Pékin qui devra rendre des comptes. Il est vrai que la vision punitive du monde fait gagner tant d’argent… La guerre tue (de préférence les autres), mais elle paie bien.

    Le second axe de « défense », lui aussi toujours maintenu en état opérationnel mais réactivé avec plus d’énergie encore, consiste à renforcer la tutelle stratégique sur l’Europe, comme on prétend protéger une vieille cousine sénile alors qu’on la déleste progressivement de tous ses biens. L’OTAN est l’instrument de cette captation ‒ un outil majeur pour la construction, la désignation et le harcèlement de « l’Autre ennemi », dans un processus classique de projection victimaire que le docteur Freud aurait adoré décortiquer. L’ennemi, c’est évidemment toujours la Russie, comme si le Pacte de Varsovie tonnait à nos portes (alors que la majorité de ses membres ont été récupérés par l’Alliance, mais on n’est pas à une contradiction près) ; comme si Moscou allait envahir la Pologne et les pays baltes, comme si Vladimir Poutine voulait l’éclatement de l’UE plus sûrement encore que Washington ou Pékin ! Alors, face à cette puissance maléfique qu’un arsenal de sanctions inédit n’arrive toujours pas à faire vaciller d’un iota et qui gère sérieusement la pandémie, on n’hésite plus à franchir un cap gravissime. On relance le harcèlement pour exciter la bête : l’ours. En effet, si les manœuvres de l’OTAN « Defender 2020 », prévues en Europe orientale en avril et mai, ont été reportées pour qu’elles puissent être menées en toute sécurité sur le plan sanitaire, ce report ne change rien à leur nature ni au franchissement d’un seuil dramatique. Le projet des États-Unis est désormais d’entraîner leurs alliés continentaux dans ces folies bellicistes et de leur faire cautionner l’emploi éventuel, sur le champ de bataille européen, de munitions nucléaires tactiques tout récemment mises en service dans les armées américaines. 

    Si d’aucuns ont osé croire un instant que plus rien ne serait jamais comme avant, voilà de quoi les détromper. Ce ne sera pas comme avant. Ce sera pire. Et la Covid-19 n’est en l’espèce qu’un retardateur pour le franchissement d’un seuil qui paraît inéluctable dans l’état actuel d’apathie intellectuelle et morale et de servilité des affidés otaniens de Washington.

    Comment la France peut-elle cautionner une telle folie qui contrevient radicalement à sa propre doctrine de dissuasion et portera un coup fatal à son prétendu dialogue stratégique avec la Russie ? Mystère et boule de gomme. C’est un reniement politique, stratégique et éthique incompréhensible, au moment même où Paris devrait sortir du rang et proposer un rapprochement stratégique à Moscou, initiant enfin une projection européenne vers le cœur de l’Eurasie. Si la France était capable d’une telle audace, elle serait bientôt rejointe par d’autres États européens dont les yeux se décilleraient, et offrirait à l’Europe le plus beau des présents : l’impulsion salutaire qui, seule, peut désormais lui permettre de survivre stratégiquement et économiquement entre Chine et Amérique. Évidemment, pour cela, Il faudrait enfin du courage et de la vision. Manifestement, nos stratèges en chambre, toujours affectés d’un autre virus tout aussi dévastateur que le corona, le double syndrome de Stockholm et de Pavlov, préfèrent continuer à voir le monde en noir et blanc et à se tapir sous l’aile immaculée d’un allié qui les rabaisse plus que jamais. 

    Caroline Galactéros (Geopragma, 26 mai 2020)

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  • L'esprit des polythéismes...

    Les éditions de La Nouvelle Librairie viennent de publier, dans la collection Longue mémoire, patronnée par l'Institut Iliade, un court essai de Jean-François Gautier intitulé A propos des dieux - L'esprit des polythéismes. Docteur en philosophie, essayiste, musicologue et historien des sciences, Jean-François Gautier collabore à différentes revues et a notamment publié  L’univers existe-t-il ? (Actes Sud, 1994) et Le sens de l'histoire (Ellipse, 2013).

     

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    " Sur les terres d’Europe, les religions antiques ont toujours présenté le divin de manière plurielle. Jean-François Gautier s’attache ici à restituer le sens oublié de ces polythéismes. Les complémentarités entre les figures divines, par exemple les couples Hestia / Hermès ou Apollon / Dionysos, ouvrent vers un cosmos composite, sans finalité propre, sans valeurs universelles, qui ne prend forme que par l’action raisonnée et courageuse des humains. La permanence de ces visions du monde dans les philosophies européennes et leurs implications politiques sont également mises au jour. "
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  • Coronavirus : fin de modèle et nouvelle donne ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Xavier Guilhou cueilli sur le site de la revue Conflits et consacré aux conséquences géopolitiques de la crise sanitaire. Spécialiste de la gestion des crises, Xavier Guilhou a exercé des responsabilités au sein de la DGSE puis au sein de grandes entreprises privées.

     

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    Coronavirus : fin de modèle et nouvelle donne ?

    Un simple virus, au demeurant connu, très contagieux, a réussi à mettre à genoux toutes les puissances du monde en à peine trois mois. Avec l’entrée de l’Inde, nous avions au mois de mars près de 3 milliards de personnes et une cinquantaine de pays sur 175 en logique de confinement total ou partiel, soit près de la moitié de la population, mais 95 % du PIB mondial. Il ne s’agit pas d’une « crise » au sens propre du terme. Nous sommes confrontés à quelque chose de beaucoup plus important qui touche pour le moment la globalité de nos systèmes de vie à l’échelle de l’hémisphère nord. La perspective d’une contamination par le Covid-19 de l’hémisphère sud nous fera rentrer assez rapidement dans d’autres scénarios sanitaires qui seront moins mercantiles et financiers dans leurs conséquences et plus préoccupants sur les plans humanitaires et sécuritaires.

    Nous sommes face à une catastrophe mondiale provoquée par un épisode pandémique qui impacte les puissants et les riches du monde, avec un pilotage sur le terrain qui ressemble étrangement sur le plan politico-médiatique à celui d’une quasi-guerre bactériologique. Et pourtant, nous ne sommes pas confrontés à une « guerre » classique avec un ennemi désigné. Au-delà des querelles d’experts, que pouvons-nous retenir d’ores et déjà de la lecture des événements comme points fondamentaux ?

    Dans un premier temps, la fulgurance de cette épidémie qui balaye tous les méridiens de la planète pose la question des limites de la globalisation comme clé de voute de l’organisation des facteurs de puissance au niveau mondial. Cette pandémie démontre que les marqueurs de la globalisation, appelés aussi « chaîne de la valeur », peuvent voler en éclats instantanément dès que des questions vitales se posent pour les populations. Elle fait non seulement ressortir la fragilité de nos interdépendances avec les ruptures des supply chain, la vulnérabilité de nos réseaux de communication et surtout l’extrême fébrilité des dispositifs financiers qui vivent sur l’instrumentalisation de spéculations virtuelles. Or ce simple coronavirus fait la démonstration que, dès que tout s’arrête pour des questions vitales, cette utopie de l’uniformisation bascule immédiatement en mode échec. De fait, la vraie catastrophe qui se cache derrière cette pandémie va être vraisemblablement l’explosion des bulles financières. Elle interpelle aussi nos populations sur la validité à terme de nos modèles de vie qui risquent d’imploser, notamment en termes de gouvernance, tant ils se révèlent superficiels et peu robustes face à de tels événements. Mais ne prenons pas trop nos rêves pour des réalités, la pratique des crises montre qu’il y a une propension à oublier rapidement et à réitérer les mêmes erreurs, la nature humaine et la cupidité étant ce qu’elles sont…

    Du retour des frontières

    Le second constat que nous pouvons faire en observant les postures adoptées sur les différents continents est le retour incontestable des frontières. Les grandes organisations internationales qui ont porté le multilatéralisme et le multiculturalisme ont disparu des écrans. Les plates-formes intergouvernementales ont été inefficientes et inaudibles, qu’il s’agisse du G7, du G20, de l’Union européenne, ou étrangement absente comme l’OMS. Tout ce qui faisait illusion sur les débats climatiques ou énergétiques s’est évaporé au fil des semaines. Les procédures éditées par des armées de bureaucrates pour normaliser les relations internationales ont été contournées pour rallier des postures adaptées à chaque territoire. À cet égard, l’Union européenne a été sûrement l’organisation la plus inconséquente et indolente face à cette urgence sanitaire, ce qui n’a fait qu’aggraver les fractures entre les membres et contribuer à accentuer son discrédit en plus de son impuissance. De fait, nous avons assisté à un repli quasi immédiat de tous les pays sur leurs frontières historiques avec la réémergence des principes de souveraineté attachés à chaque peuple. Ceux qui ont pratiqué le refus ou le déni ont été vite rattrapés par la brutalité de la réalité, voire l’intransigeance de leurs voisins immédiats. À l’angélisme un peu infantile porté par les tenants d’une mondialisation heureuse s’oppose désormais le retour brutal de la question de fermetures des frontières, voire de la construction de murs sur nos glacis stratégiques, pour ne prendre que l’exemple du chantage turc avec ses cohortes de migrants sur le flanc oriental de l’Europe.

    À la réaffirmation de la culture

    De fait, chacun a réimprimé sa marque en termes de gouvernance en s’appuyant sur une affirmation de ses fondamentaux culturels, voire civilisationnels entre l’Asie et l’Occident, dans le traitement des événements. La Chine, à l’instar des autres pays asiatiques concernés par la pandémie, a pratiqué la méthode coercitive autoritaire, que nous pouvons toujours contester avec notre vision des libertés en Occident, mais qui correspond parfaitement à l’esprit asiatique où le collectif l’emporte sur l’individu. Il suffit de relire La tentation de l’Occident d’André Malraux pour bien comprendre les ressorts de l’adhésion des populations soumises en Chine, ou civiques comme en Corée, au Japon ou à Singapour, face à des événements où la valeur de la vie n’a pas la même signification que sur nos rivages imbibés de monothéismes. Cette prégnance des différences culturelles est encore plus explicite dans nos postures européennes. En Allemagne, comme en Suisse, ou dans les pays de l’Europe du Nord, tout est piloté à partir des Landers, des provinces, des cantons et des villes avec une très forte décentralisation et une responsabilisation de chacun, du fait de la culture protestante. Les pays latins qui sont très marqués par l’individualisme et le catholicisme sont aux antipodes. C’est aussi le cas de la France, avec son mode de fonctionnement État-nation centralisé avec une vision régalienne, protégé par des corps d’experts accrédités. Il est intéressant aussi d’observer l’organisation nord-américaine qui est singulière, notamment en termes de résilience. Les Américains ont une véritable culture du risque, associée à leur pratique de la démocratie soutenue par une croyance évangélique que l’on ne peut pas sous-estimer. C’est un peuple issu d’une culture de migrants qui « fait face » et qui a une véritable éducation des crises majeures. Même chose pour la Russie qui, en plus de sa très grande rusticité, incarne une vision salutaire de sa mission, celle de la troisième Rome, lui permettant d’accepter des niveaux d’abnégation et de patriotisme comme peu de peuples en sont capables. Après il y a le reste du monde, soit quasiment la moitié de la population mondiale, où le pilotage se fait sur des critères communautaires, claniques, ethniques, religieux et où la gouvernance est marquée par une corruption endémique. Sur ces territoires de l’hémisphère sud, voire sur nos propres zones grises, nous ne sommes plus sur des approches rationnelles avec des moyens sanitaires sophistiqués et la résilience se confond avec la précarité des logiques de vie.

    L’hystérie dans la gestion

    Enfin, nous ne pouvons pas occulter le côté hystérique de la surmédiatisation de cette actualité. Le monde a vécu de multiples pandémies avec des niveaux de mortalité que nous ne connaissons plus depuis un siècle. Les dernières en date qui sont présentes dans l’inconscient collectif sont les vagues de grippes asiatiques en 1957/1958 et en 1968/1970 qui ont fait au niveau mondial 1 million de morts, voire la grippe espagnole avec ses 50 millions de morts en 1918. Le VIH depuis les années 1980 totalise à lui seul entre 25 et 35 millions de morts. Plus personne n’a une idée de ce que fut la mortalité mondiale sur ces questions épidémiologiques rapportée à la démographie au cours des siècles du fait des progrès de la médecine et de la science. Pourtant, les modes de représentation qui sont véhiculés actuellement avec quelques dizaines de milliers de victimes au niveau mondial sont quasiment apocalyptiques pour celui qui n’a pas un peu de capacité de recul et d’esprit critique. Cette question des ressentis et des imaginaires collectifs est fondamentale dans ce type d’événements. Comme le dit très bien Michel Maffesoli, nous avons quitté le monde de la rationalité pour entrer dans celui de la postmodernité où l’émotion et l’instantanéité deviennent les éléments dimensionnant de nos modes de perception du réel. Tous les bilans chiffrés qui sont énoncés par les scientifiques ou les politiques à l’écran sont systématiquement interprétés comme l’annonce d’un effondrement immédiat du monde. Nous ne pouvons que constater actuellement la surcharge d’irrationalité qui règne à tous les niveaux, peut-être encore plus dans les étages décisionnels qui sont pris dans leurs dilemmes à la fois idéologiques, corporatifs et technocratiques. Il y a une vraie difficulté pour prendre en compte le réel d’autant que nos sociétés, notamment européennes, n’ont plus connu de véritables catastrophes depuis sept décennies. Elles n’ont connu que des crises de bien-être et n’ont plus de vrais référentiels en termes de maîtrise des risques. Elles sont au contraire imprégnées quotidiennement de « risque zéro » et de « zéro mort ». C’est ce choc entre la brutalité de la réalité et la virtualité des concepts qui fait exploser les peurs et développe de façon virale la défiance envers les élites. Les peurs générées deviennent quasiment plus dangereuses et pernicieuses que le virus lui-même. Elles saturent les écrans, submergent les réseaux sociaux, sidèrent les opinions et affolent les populations !

    Un gagnant, la Chine ?

    En conclusion, la conjonction de tous ces processus de délitement des utopies, du retour des frontières et de l’emprise de l’irrationnel dans le fonctionnement de nos sociétés, ne peut que nous interpeller sur ce que sera « la sortie de crise » de cette pandémie mondiale. Il est à craindre que la sortie soit le prétexte de l’ouverture d’un nouveau grand jeu international où, forts de tous les effets dominos générés par ces événements, les puissants de ce monde soient tentés de réactualiser les postures en termes de rapports de force. Cela paraît inévitable, d’autant que nous étions, juste avant l’arrivée du Covid-19, face à un agenda géopolitique très incertain avec entre autres les inconnues liées au Brexit, à l’élection américaine, à la succession de Poutine et aux critiques internes envers Xi Jinping. Il est clair que l’agenda provoqué par cette vague épidémique au niveau mondial arrive paradoxalement à un moment opportun, si ce n’est décisif pour Xi Jinping. Après sa communication planétaire autour de la route de la soie, il est temps pour lui de bien faire comprendre que la Chine va enfin devenir en 2020/2021 la première puissance mondiale. La tentation est très forte de profiter de cet espace-temps stratégique avec des élections américaines qui pourraient être déstabilisées par une récession inattendue. L’Amérique ne serait donc plus first and great again ! Comment pourrait réagir l’oncle Sam face à un tel déclassement ? Et pourtant, cette crise révèle au monde combien tous nos pays sont devenus dépendants et redevables de la Chine ! Les grands groupes mondiaux le savent, ils ont tout fait pour que les États abandonnent toute souveraineté et valident délocalisations et transferts de richesse. Nous payons aujourd’hui le prix de ce pacte faustien !

    On ne peut qu’essayer de se projeter en termes d’anticipation stratégique. Pour Xi Jinping cette actualité lui permet non seulement de réduire à néant ses oppositions internes, de réduire toute dissidence au sein de ses instances dirigeantes et désormais de se porter en quasi sauveur du monde. De façon symbolique, il se montre « chevaleresque » en produisant et distribuant aux Européens des milliards de masques, mais il va beaucoup plus loin en démontrant au monde qu’il est aussi devenu leader sur les systèmes d’information et sur les questions de santé grâce à sa maîtrise de l’intelligence artificielle, seule réponse à un monde interconnecté avec 60 % de la population urbanisée. Ce n’est pas pour rien que Donald Trump est entré dans le pilotage de cette pandémie entouré, non pas de généraux, mais des patrons de la Silicon Valley et des grandes compagnies pharmaceutiques. Les guerres du xxie siècle ne se jouent plus avec de la métallurgie, mais avec des algorithmes. Finalement, à qui va profiter le crime ?

    Cette pandémie va contribuer à redistribuer les cartes à très grande vitesse et de fait toutes les instrumentalisations vont être bonnes pour désigner qui sera demain dans le bien ou le mal. Les Chinois ont commencé en accusant les Américains d’être désormais à l’origine du virus ! Et un leader comme Trump n’hésite pas pour sa réélection à parler du « virus chinois ». Il faudra bien expliquer aux électeurs du Middle West pourquoi des Américains sont morts alors que la reprise économique et le plein-emploi étaient au coin de la rue. Et surtout pourquoi l’Amérique ne pourra plus être great again. Il n’est pas inimaginable que dans cette perspective, Trump bouscule les conventions internationales et discute ouvertement avec Poutine, désormais assuré de sa propre succession, de la construction d’un nouveau leadership des vieux mondes chrétiens sur l’hémisphère nord pour faire face aux prétentions chinoises. D’autant que Vladimir Poutine verrouille l’ancien monde, celui issu des énergies fossiles du xxe siècle, avec ses victoires tactiques sur le nœud syriaque et son pilotage de la crise actuelle sur les cours du pétrole face à l’Arabie saoudite. Le Coronavirus est peut-être une bonne illustration de cet art subtil pratiqué par les Asiatiques qui consiste à gagner des guerres sans avoir à livrer bataille. Mais dans cette partie à trois, il ne faut pas sous-estimer l’oncle Sam et le tsar, ils n’ont pas encore été frappés d’impuissance comme l’Europe…

    Xavier Guilhou (Conflits, 18 mai 2020)

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  • Drieu la Rochelle...

    Les éditions Pardès viennent de publier dans la collection Qui suis-je un Drieu la Rochelle de Thierry Bouclier. Avocat à la Cour, Thierry Bouclier a déjà publié chez le même éditeur un A.D.G. et un Châteaubriant. Il est également l'auteur de deux polars, Le Dernier des occupants (Auda Isarn, 2018)  et Rouge et jaune pour le Hussard (Auda Isarn, 2019).
     

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    " Pierre Drieu la Rochelle (1893-1945): "Si on refuse un combat, on ne peut qu'en engager un autre. On ne peut se dérober à la loi du combat qui est la loi de la vie. [...] L homme n'existe que dans le combat, l'homme ne vit que s'il risque la mort. Aucune pensée, aucun sentiment n'a de réalité que s'il est éprouvé par le risque de la mort." (Gilles.) Né en 1893 dans une famille bourgeoise, élevé entre un père et une mère qui se déchirent, étudiant malchanceux, soldat de la boue et des tranchées, suicidaire, amant constamment insatisfait, la vie de Pierre Drieu la Rochelle irrigue l'ensem­ble de son oeuvre littéraire. Ses poèmes, ses essais, ses nouvelles, ses pièces de théâtre et ses romans racontent toujours une part de lui-même. Du Feu follet (1931) à Gilles (1939), en passant par La Comédie de Charleroi (1934) et Rêveuse Bourgeoisie (1937), le lecteur suit sa destinée à travers des pages magnifiques, mais souvent désespérées. Dans les années 1920, ses amis les plus proches se nomment Louis Aragon, Gaston Bergery, Emmanuel Berl et André Malraux. Mais, habité par le spectre de la décadence (décrit dans Mesure de la France), conscient de la nécessaire unité des patries européennes (développée dans L'Europe contre les patries) et chantre d'un socialisme viril, il n'hésite pas à se proclamer fasciste au lendemain des évènements du 6 février 1934. Une profession de foi (exposée dans Socialisme fasciste) qui le conduira, à se perdre dans les méandres de la Collaboration. Le 15 mars 1945, il met fin à ses jours. Ceux qui l'ont connu surent souligner sa sensibilité, son élégance, son courage et son sens de l'amitié. Au fil des années ayant suivi son suicide, sa figure de dandy, errant sur les quais de la Seine, a donné naissance à un véritable mythe. "
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  • Économie : En territoire inconnu

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré aux conséquences économiques de la crise sanitaire. Économiste de formation, vice-président de Géopragma et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Candidat aux élections européennes sur la liste du Rassemblement national, il a publié récemment un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

     

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    Économie : En territoire inconnu

    Wall Street a connu début avril sa meilleure semaine depuis… 1938 ! Au moment même où les États-Unis annonçaient un nombre record d’inscriptions au chômage : 16 millions ! Malgré l’extension mondiale de la pandémie de Covid19, la paralysie d’un nombre croissant d’économies et la réduction du commerce international, de l’ordre de 30 %, ni les produits de taux, ni les actions n’ont subi les conséquences de la crise en proportion des effets attendus sur les résultats des entreprises, à l’exception des valeurs directement impactées ; tourisme, aéronautique, etc.

    Les marchés lead l’économie

    Que se passe-t-il ? Aucun hasard dans cet apparent paradoxe, aucune raison non plus d’en appeler à la ritournelle de ceux qui veulent que tout ça n’ait aucun sens, que les marchés aient perdu toute utilité, et qu’il suffise de fermer les Bourses, d’interdire le versement des dividendes, et accessoirement de nationaliser les entreprises. Les Cassandre finissent toujours par avoir raison, elles ne savent ni quand ni pourquoi, ce qui les rend dérisoires.

    Mieux vaut regarder en face les trois faits révolutionnaires qui changent tout ce que nous croyions savoir sur les marchés.

    D’abord, ce ne sont plus les chiffres d’affaires et les résultats qui font les mouvements des valeurs d’actifs, c’est l’action des Banques centrales. Business ne fait plus-value. Ceux qui croient encore que les sociétés privées dirigent le monde doivent y réfléchir. Depuis un mois, les États décident du versement des dividendes et des rachats d’action, les États décident de l’implantation des usines et des autorisations de vente à l’étranger ou d’importation de produits industriels, et les États décident de la vente ou non d’entreprises privées à d’autres entreprises privées, le blocage de la vente de Photonis à Télédyne en France en donnant un bon exemple !

    Nous sommes loin de l’abandon d’Alcatel, d’Alstom, de Morpho-Safran, de Technip, des Chantiers de l’Atlantique, etc. Et ceux qui croient encore que les marchés s’autorégulent doivent abandonner leurs illusions ; les banques centrales ont tiré la leçon de 2008, elles savent que les marchés s’autorégulent encore moins qu’ils ne sont transparents et équitables, et elles en tirent la conséquence ; à elles de faire les prix de marché — pour le meilleur ou pour le pire, c’est une autre histoire !

    L’endettement

    Ensuite, la Nouvelle Politique Monétaire (NPM) et son application signifient que l’émission de monnaie est devenue le vrai moteur des économies, et que tout peut être fait, rien ne doit être exclu, qui assure le maintien des valorisations boursières. Les banques centrales sont le premier acteur de l’économie nouvelle. Les marchés ont été nationalisés ; ou, plutôt, les marchés financiers sont devenus trop importants pour les laisser à la confrontation des acheteurs et des vendeurs. Le citoyen avait disparu, effacé par le consommateur, le consommateur disparaît, effacé par l’investisseur, devenu l’acteur central de la société globale, ou par son symétrique, le consommateur endetté, État ou particulier, qui doit avoir la certitude, non de rembourser ses dettes, ne rêvons pas, mais de pouvoir s’endetter davantage !

    Nous sommes passés d’un univers dans lequel le crédit bancaire et les aides d’État déterminaient l’activité, au monde dans lequel la valorisation boursière commande la propriété et in fine décide de l’activité du crédit. Quelle Nation pourrait accepter que les plus belles entreprises nationales soient rachetées à vil prix parce que les cours de leurs actions ont baissé ? Trois solutions : la nationalisation, à la fois suspecte et coûteuse ; l’interdiction par la loi, qui trouve vite ses limites géopolitiques ; le soutien des cours. D’où cette conviction appliquée, il faut faire tout ce qu’il faut pour que les valorisations demeurent élevées, et progressent, c’est la condition de la stabilité économique ! La surabondance monétaire booste les cours des actions. Est-ce la nouvelle règle du jeu ? 

    Enfin, c’en est fini de la diversité des anticipations, cette fiction convenable des marchés où les prix étaient le résultat de l’appréciation du risque, et des anticipations d’acteur divers par leurs horizons de gestion, leurs objectifs de rendement, leur appétence pour le risque, etc. Jamais la détention d’actions n’a été aussi massivement concentrée entre les mains des 1 % de « superriches » — aux États-Unis, de toute leur histoire ! Et jamais la concentration des pouvoirs (ou la confiscation de la démocratie) n’a joué aussi manifestement pour protéger les super-riches contre tout événement fâcheux, et leur garantir la poursuite accélérée de leur enrichissement !

    Les banques centrales sont prêtes à tout

    Les données publiées par le site « Zerohedge » indiquent plus de 16 000 milliards de dollars ont été engagées par la FED pour sauver les banques américaines, leurs actionnaires et leurs dirigeants, de la faillite et de ses conséquences judiciaires pour les uns, financières pour les autres ! Ce qu’elles n’indiquent pas, c’est ce phénomène bien connu et si bien exploité ; la surrèglementation nourrit l’hyperconcentration. Seuls, les très gros, très riches et très forts bénéficient des seuils réglementaires et normatifs qui excluent les plus petits, plus faibles, moins riches.

    Le temps est venu de ranger au bazar des accessoires défraîchis les enseignements de l’économie classique sur la fabrication des prix et les racontars sur « la concurrence libre et non faussée » que nul n’a jamais rencontrée nulle part ailleurs que dans les manuels d’économie et les discours de la Commission européenne à la Concurrence ! Les marchés actions doivent progresser, les Banques centrales en sont garantes, et on ne gagne jamais contre les banques centrales, c’est bien connu ! Voilà qui met à bas tout ce que nous croyions savoir sur les politiques de gestion d’actifs. Les politiques de gestion raisonnables, différenciées, basées sur les fondamentaux des entreprises ou des États n’ont plus de sens quand ce sont les injections de liquidités et les politiques de rachat de tout et n’importe quoi par les banques centrales qui font les cours. S’il est une conclusion à tirer de l’énormité des engagements des banques centrales, Fed comme BCE, c’est bien qu’elles sont prêtes à acheter n’importe quoi pour que la musique continue !

    Dans ces conditions, le couple risque-rentabilité qui dirigeait les allocations d’actifs raisonnées n’est plus de saison. La sélection des titres est un exercice vain. Tout simplement parce que la partie « risque » s’est évanouie, ou que l’action des banques centrales fait qu’il est impossible de l’évaluer. Il n’y a plus de prix pour le risque, ce qui interroge au passage sur le nouveau tour du capitalisme et le sens du mot « entrepreneur ». La logique est : qui va bénéficier des actions de la FED et du Congrès, de la BCE et des décisions du Conseil et de l’Eurogroupe ?

    La richesse ne vient plus du travail

    Au moment d’entrer en territoire inconnu, que conclure ? D’abord, essayer de comprendre les règles du « new normal ». Les règles ne sont pas les mêmes, ce qui ne signifie qu’il n’y a pas de règles ; elles sont nouvelles, c’est tout. Ensuite, s’efforcer de prévoir l’évolution dans le temps de ces règles et de leurs impacts, leur nouveauté même pouvant réserver toutes les surprises. Enfin, reconnaître l’intérêt de la France, et faire en sorte que la France sorte gagnante d’un jeu qui fera des gagnants et des perdants.

    Sauver l’effet richesse, c’est la nouvelle règle du chef d’orchestre. La richesse dans les pays riches ne vient plus du travail, mais de la détention ou de l’attraction du capital (cas exemplaire des start-up qui ne sont riches ni de produits, ni de clients, ni de chiffre d’affaires, mais du capital qu’elles lèvent sans limites, et qu’elles consomment également sans limites ; voir Uber, Tesla, etc. !) Et voilà comment des compagnies aériennes américaines qui ont racheté pour 45 milliards de leurs propres actions (soit 96 % de leur cash flow disponible) pour enrichir leurs actionnaires demandent… 54 milliards d’aides au gouvernement pour ne pas faire faillite (Boeing a suivi la même politique, consacrant la totalité de son cash flow disponible en dix ans au rachat de ses propres actions et demande également le sauvetage par l’argent public) !

    Le compromis entre le capital et le travail a été rompu dans les années 1990 pour être remplacé par un compromis entre les détenteurs du capital et les banques centrales ; il ne s’agit plus de partager des gains de productivité, il s’agit de s’enrichir sans fin ! Il ne s’agit plus de redouter une « stagnation séculaire » de la croissance dans les pays riches, il s’agit d’assurer l’enrichissement des plus riches par la création monétaire déversée sur les marchés d’actifs ! Ce ne sont plus les plus vulnérables qui sont protégés, ce sont les plus riches qui peuvent se servir. Il est permis d’espérer, mais ce n’est pas demain que le monde du travail retrouvera les leviers qui lui avaient permis de négocier le partage des gains de productivité qu’assurait l’industrie — d’ailleurs, il n’y a plus chez nous ni industrie ni gains de productivité ! Pour s’en convaincre, et contrairement à tout ce que suggèrent la situation actuelle et la célébration méritée du courage des soignants, des gendarmes et des policiers, des caissières et des livreurs, il suffit de regarder où va l’argent émis par les banques centrales ; les marchés ont l’argent, les soignants ont l’ovation de 20 heures aux fenêtres chaque soir ! Paradoxalement, la pandémie marque un nouveau bond en avant du capitalisme libéral. Certains peuvent rêver que ce soit le dernier.

    L’Europe laissée de côté pour le véritable affrontement

    Éviter la confrontation au réel et ruiner l’adversaire, c’est le jeu du moment. Un jeu impitoyable dans la confrontation des faibles aux forts. La Chine est annoncée grande gagnante de l’épreuve actuelle. Attendons. Il serait paradoxal que le pays d’où est parti la pandémie, qui l’a probablement aggravé par sa politique de censure des informations critiques, ou simplement des mauvaises nouvelles, et par le retard mis à en reconnaître le caractère expansif et non maîtrisé, en tire un bénéfice géopolitique et financier, mais nous sommes installés en plein paradoxe (le fait qu’une chose et son contraire puissent être affirmés en même temps est caractéristique de la situation présente, c’est-à-dire du chaos cognitif et de la confusion mentale) ! Attendons pour en juger de voir quels engagements en faveur de la relocalisation massive de nos productions stratégiques seront effectivement tenus.

    Tout indique que les États-Unis se détournent de l’Europe pour engager la confrontation avec le pays qu’ils jugent leur premier adversaire du XXIè siècle, une confrontation dont tout indique qu’elle mobilisera la gamme entière des stratégies non conventionnelles et des armes non militaires, les moyens de paiement, les systèmes d’information et les attaques biologiques constituant quelques-uns des moyens d’un arsenal varié. Bitcoin, 5G, biotech — nous n’avons encore rien vu des ressources que la monnaie et la finance de marché peuvent mobiliser pour appauvrir l’ennemi, pour diviser l’ennemi, pour obliger l’ennemi à composer.

    Plus besoin des canonnières du commodore Perry pour obliger un pays à s’ouvrir et à se plier ! Au choix, on considérera les milliers de milliards de dollars mis sur la table par la FED depuis ces dernières années comme une arme de destruction massive pour les détenteurs de papier libellé en dollar, ou pour le système financier occidental lui-même… les paris sont ouverts ! Et on sera attentif au projet attribué au macronisme de confier la gestion des réserves d’or de la France à une banque américaine ; après le pillage d’Alstom, le pillage de la Banque de France ? Pendant la pandémie, le hold-up continue !

    Protéger le patrimoine national et l’activité nationale devient une priorité pour chaque État. C’est la priorité de la France. La sécurité monétaire, la sécurité économique et patrimoniale, s’imposent au premier rang des enjeux de sécurité globale. Derrière les soubresauts boursiers, les risques de prise de contrôle de tel ou tel fleuron technologique ou industriel sont multipliés. Derrière la suppression de la monnaie papier, les enjeux de contrôle, de détournement, et de vol, sont gigantesques. Derrière la naïveté avec laquelle les administrations européennes prétendent se moderniser en substituant au papier et au guichet l’Internet obligé se cache mal l’exploitant américain ou chinois et un retour au temps des colonies, quand quelques compagnies privées, aventureuses et pirates, se partageaient des continents.

    Et qu’en sera-t-il si le traçage individuel grâce aux données collectées à partir des téléphones portables se justifie par des motifs sanitaires pour devenir la règle imposée à toute la population, au bénéfice des prestataires qui s’en félicitent déjà ? La pandémie n’arrête pas les (bonnes) affaires d’Atos et de ses concurrents (écouter à ce sujet sur RTL l’étonnant discours du commissaire européen Thierry Breton, ex-PDG d’Atos, ouvrant sereinement la voie au contrôle numérique de la population européenne !) Derrière l’échappée belle de toutes les règles budgétaires de rigueur imposées par l’Union, s’annonce une course qui fera des gagnants et des perdants.

    La France doit saisir dans la pandémie une bonne occasion de rompre avec les contraintes que l’Union européenne impose aux choix nationaux, à la protection du marché national, à la préférence pour les entreprises nationales. La France doit utiliser au maximum les facilités qui sont offertes par la BCE, par un mécanisme européen de solidarité (MES) débarrassé de toute conditionnalité, par le fonds européen de relance annoncé.

    Elle doit le faire au profit des entreprises françaises, des projets français, de l’indépendance de la France – et sauver les entreprises familiales du commerce et de la restauration, contre les ambitions prédatrices des chaînes mondiales de « malbouffe ». Elle doit mobiliser toutes les capacités que l’Union européenne peut offrir dans son propre intérêt, comme l’Allemagne, comme les Pays-Bas, comme les autres Nations le font. Et elle doit plus encore considérer les marchés financiers pour ce qu’ils sont, un outil à la disposition de qui choisit de s’en servir. Voilà qui n’invalide pas le rôle des marchés, mais qui le transforme.

    Tout simplement parce que nous sortons du monde du bon père de famille qui savait que rembourser des dettes enrichies. Dans le nouveau monde, non seulement les dettes ne seront jamais remboursées, mais celui qui s’enrichit est celui qui peut émettre le plus de dettes. Dans le nouveau monde, ce ne sont plus des créanciers exigeants et sourcilleux qui achètent la dette, ce sont des banques centrales d’autant plus accommodantes qu’elles jouent elles-mêmes leur survie — au cours des dernières semaines, la nouvelle Présidente de la BCE, Christine Lagarde, l’a bien compris !

    Et l’impensable arrive. La France de 2020 doit savoir s’enrichir de sa dette et mobiliser sans freins la dépense publique, si elle sait l’employer à relocaliser son industrie, à relancer une politique territoriale qui commence par le soutien au secteur de l’hôtellerie, de la restauration familiale et du petit commerce, à relancer de grands projets (le second porte-avion, le cloud français ?) et à réduire le coût du financement de son économie, l’exemple allemand étant sur ce sujet à méditer.

    Mieux vaut danser en cadence quand s’arrêter donne le vertige. Les colonnes du temple européen s’effondrent les unes après les autres, de Maastricht à Schengen, ce n’était que des colonnes en papier. Mais que l’entreprise privée, libre de sa stratégie, que les marchés concurrentiels où se forment les prix, que l’allocation des capitaux selon le rapport rendement-risque disparaissent par la magie complaisante des banques centrales, voilà qui mérite attention ; ce sont cette fois les bases du libéralisme qui sont mises à mal. Certains diront ; changeons de partition ! D’autres diront plus simplement ; tant que la musique joue, il faut continuer à danser, seuls ont tort ceux qui pensent d’en tirer en s’isolant dans leur coin. Mais la seule question qui compte est tout autre ; vaut-il mieux être celui qui joue dans l’orchestre, celui qui danse sur la piste, ou celui qui agite son mouchoir sur le quai en regardant partir le Titanic, tous pavillons flottant au vent ?

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 13 avril 2020)

     

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