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europe - Page 49

  • Pour un "progressisme" de droite...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Romain d'Aspremont, cueilli sur Rage et consacré à la nécessité pour la droite de construire sa propre vision de l'avenir et du progrès... Romain d'Aspremont est l'auteur d'un essai intitulé Penser l'homme nouveau - Pourquoi la droite perd la bataille des idées, disponible sur Amazon.

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    Pour un progressisme de droite

    Si la droite perd, c’est qu’elle évolue au sein d’un logiciel chrétien. Les sociétés occidentales sont fondamentalement marquées par la morale chrétienne ; il n’est pas étonnant que l’idéologie gauchiste s’y épanouisse – et, sur le temps, ne cesse de gagner du terrain – tandis que les droitistes doivent perpétuellement batailler pour paraître fréquentables. C’est le principe même du Bien qui doit basculer de l’égalitarisme vers l’élitisme, et du pacifisme vers la compétition et la lutte.

    La seconde raison de la défaite perpétuelle de la droite, c’est son conservatisme. Les réaco-conservateurs assimilent trop souvent l’avenir à un déploiement inéluctable des forces progressistes. Ils en viennent à prendre l’objet (l’avenir) façonné par le sujet (la gauche) pour le sujet lui-même. Le futur étant devenu synonyme d’avancées « progressistes », l’unique remède ne pourrait être que son contraire – le passé – plutôt qu’un avenir alternatif. Or il y a là une forme de défaitisme, comme si la droite assimilait sa propre déconfiture, ratifiant le monopole de la gauche sur l’avenir. Puisque l’Histoire n’est qu’une longue série de victoires progressistes, c’est l’avenir lui-même qu’il faudrait brider, plutôt que les acteurs qui le façonnent. Ralentir le temps et sanctuariser certaines institutions apparaît alors comme la solution par défaut.

    Cette analyse, plus ou moins consciente, est une variante de la croyance en un progrès linéaire : l’avenir n’est plus une irrésistible ascension, mais une lente décadence. Ainsi, tout en ridiculisant l’idée d’un « sens de l’Histoire », les réaco-conservateurs considèrent implicitement que le temps fait le jeu de la gauche. S’il leur arrive – du bout des lèvres – de se satisfaire d’une nouveauté, ils n’iront jamais jusqu’à batailler pour la faire advenir, non plus qu’ils ne mobiliseront leur énergie intellectuelle pour concevoir un nouveau « de droite ». Leurs forces sont toutes entières consacrées à faire l’éloge du passé. 

    Le progressisme au sens strict repose sur des postulats infirmés par l’Histoire. Le pacifiste et le jouisseur finissent toujours par se soumettre au guerrier. Mais le conservatisme lui-même n’en repose pas moins sur des présupposés erronés, car les projets d’Homme nouveau, loin de se réduire à des utopies illusoires, sont un des moteurs de l’Histoire. 

     La posture d’un Schopenhauer, qui écrit « le progrès, c’est là votre chimère, il est du rêve du XIXème siècle comme la résurrection des morts était celui du Xème, chaque âge a le sien », n’est plus tenable. La véritable erreur, c’est de croire que les chimères sont sans prise sur le réel – surtout quand ces chimères peuplent les cerveaux des élites. Chaque époque a sa conception particulière du progrès, et ceux qui se refusent à proposer la leur doivent renoncer à écrire l’Histoire. De même, Nietzsche peut bien déclarer que le Progrès est « une idée fausse », il n’empêche que sa philosophie du surhomme est progressiste – progressiste de droite.

    Notre ennemi ne doit pas être le progressisme au sens large, mais uniquement le progressisme de gauche. Non pas l’idée de progrès, mais la direction que veulent lui faire prendre nos adversaires. Car « l’idée de progrès constitue moins une idéologie que la présupposition de toutes les idéologies, systèmes de représentations et de croyances proprement modernes ». C’est pourquoi la droite doit développer son propre progressisme, qui doit viser la réunification de l’Occident (plutôt que la défense des Etats-nations) et encourager l’évolution anthropologique (plutôt que sanctifier la tradition). Par définition, le futur a toujours raison du passé. Aussi, le duel du Passé et de l’Avenir doit s’effacer au profit d’un choc entre un avenir de gauche et un avenir de droite.

    Notre progressisme doit promouvoir une exigence de dépassement, sur tous les plans, y compris moral. Cette morale sera « vitaliste » : valorisant tout ce qui élève l’espèce et combattant ce qui la bride, l’affaiblit et la mutile. Appliquée aux débats sociétaux qui suscitent le plus de crispations, son verdict sera différent de celui des réaco-conservateurs. Ainsi, la PMA et la GPA sont souhaitables dans la mesure où elles élèvent le capital biologique et intellectuel des Occidentaux (ingénierie génétique).

    Un progressisme de droite ne doit pas borner son horizon au domaine anthropologique (entreprise de création d’un homme nouveau) ; il doit l’étendre au domaine institutionnel et étatique. Faute de proposer une vision de l’Europe qui soit autre chose qu’un simple retour à l’ère gaullienne – « l’Europe des nations » – les souverainistes se privent du formidable potentiel mobilisateur propre à tout idéal nouveau. Philippe de Villiers explique que ceux qui ont affronté le traité de Maastricht ont cru combattre un super-État (une entité politique susceptible d’incarner une Europe-puissance, pesant en propre sur la scène internationale), pour ensuite découvrir que le projet européen n’a jamais été de bâtir les Etats-Unis d’Europe, mais de substituer l’économique (le marché) au politique.

    En fait, les souverainistes ont bien fait de s’opposer à Maastricht, mais pour de mauvaises raisons. En effet, le dépassement des nations et l’unification de l’Europe ne sont pas des idées condamnables en soi ; elles méritent d’être évaluées à l’aune de l’idéal qui les porte. Le malheur n’est pas que l’Europe soit gouvernée par un « despotisme doux et éclairé » (Jacques Delors), mais que ce despotisme soit anti-européen dans l’âme. Or, par une ruse de l’Histoire, les Européistes nous ont offert le cadre institutionnel et administratif pouvant servir notre vision de l’Europe : plutôt que de détruire ces leviers de pouvoir, emparons-nous-en afin d’impulser une renaissance civilisationnelle, qui passe par la création des Etats-Unis d’Europe, puis des Etats-Unis d’Occident (Etats-Unis d’Amérique, Russie, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande compris).

    Les souverainistes ne jurent que par l’État-nation et le retour à l’ordre ancien. Dans de nombreux domaines (immigration, éducation, justice), ce retour est vital, mais il faut se rappeler que les États-nations sont eux-mêmes issus de l’effondrement de l’Empire romain christianisé. Ils sont la conséquence lointaine des invasions barbares du Ve siècle, et une fragmentation de l’unité politique de la chrétienté. Car enfin, l’âme européenne vaut plus que le respect tatillon de la souveraineté des États-nations. Ne confondons pas le moyen – les institutions – et la fin – la pérennité des cultures nationales et de la civilisation européenne. À ceux qui prétendent que cette dernière est un fantasme, et que seules existent les cultures nationales, qu’ils parcourent donc le monde et ils distingueront sans peine ce qui relève de la nuance (les différentes cultures européennes) de ce qui relève de la différence essentielle (les civilisations).

    Notre projet doit être la restauration de l’Europe unie, plutôt que le combat acharné pour la pérennité de son éclatement. Il ne s’agit pas de pratiquer une fuite en avant vers le dépassement des États-nations mais, puisque ce dépassement se fera, avec ou sans nous, il nous faut en avoir la maîtrise. Trop longtemps, les défenseurs de l’âme européenne ont laissé aux européistes le monopole de l’idéal européen. Les souverainistes se cantonnent soit à une négation (NON à l’Europe fédérale), soit à une nostalgie gaulliste (OUI à l’Europe des nations). Il nous faut penser un horizon nouveau, sans quoi l’histoire du continent sera écrite par nos adversaires, notre rôle se limitant à celui de retardateur, grippant provisoirement l’engrenage de la déconstruction civilisationnelle.

    L’Europe des nations, les souverainistes vous le répètent, c’est l’Europe du « bon sens ». Mais l’homme n’est pas qu’un être de raison. Pour Karl Jung, l’homme a un besoin de sacré. Mais il a également un besoin d’idéal et d’utopie. S’il est disposé à se sacrifier pour fonder une nation, il ne l’est plus quand il s’agit de la rafistoler. L’Europe des nations est un conservatisme ; il lui manque la force du nouveau. Or le Neuf est souvent nécessaire à la sauvegarde de l’Ancien.

    Nous sommes tellement habitués à voir le pouvoir politique européen déconstruire notre civilisation et nos identités nationales, que nous réagissons avec hostilité à toute idée de pouvoir européen, que nous assimilons à l’idéologie remplaciste. Or, le lieu du pouvoir ne préjuge pas de son contenu ; à nous d’en édifier un qui œuvre à notre renaissance civilisationnelle. 

    Nietzsche écrit ainsi: « Ce qui m’importe […] c’est l’Europe unie. Pour tous les esprits vastes et profonds du siècle, la tâche où ils ont mis toute leur âme a été de préparer cette synthèse nouvelle et d’anticiper à titre d’essai l’« Européen » de l’avenir.  Aux heures de faiblesse seulement, ou quand ils vieillissaient, ils retombaient dans les perspectives étroites de leurs patries ».

    Romain d'Aspremont (Rage, 8 janvier 2020)

     

    Références :
     1. F. Nietzsche, L’Antéchrist, § 4, Oeuvres philosophiques complètes, Paris, Gallimard, 1974, t. VIII, p. 162.
    2. Pierre-André Taguieff, Les contre-réactionnaires, Le progressisme entre illusion et imposture, Denoël, 2007, p. 243.
    3.  Philippe de Villiers, Le moment est venu de dire ce que j’ai vu, Albin Michel, 2015.
    4.  Friedrich Nietzsche, La volonté de puissance, tome II, Gallimard. p. 293. 

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  • Vincent Desportes : «L’OTAN est devenue un protectorat américain dirigé par un allié brutal»...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par le général Vincent Desportes le 18 décembre 2019 à RT France et dans lequel il développe son analyse de l'OTAN et des ambitions de l'Europe de la défense. Spécialiste de la stratégie, le général Desportes est notamment l'auteur de Comprendre la stratégie (Economica, 2001), de Décider dans l'incertitude (Economica, 2004) et, dernièrement, de Entrer en stratégie (Robert Laffont, 2019).

    analyse de l'OTAN qui célèbre ses 70 ans cette année, avant de décrypter les ambitions de l'Europe de la défense.

    En savoir plus sur RT France : https://francais.rt.com/international/69181-vincent-desportes-otan-est-devenue-protectorat-americain-dirige-allie-brutal
    analyse de l'OTAN qui célèbre ses 70 ans cette année, avant de décrypter les ambitions de l'Europe de la défense.

    En savoir plus sur RT France : https://francais.rt.com/international/69181-vincent-desportes-otan-est-devenue-protectorat-americain-dirige-allie-brutal

     

                                       

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  • Une nouvelle mission historique pour l'Europe ?...

    Les éditions Ars Magna viennent de publier un essai de Yohann Sparfell intitulé Res Publica Europae - Nouvelle mission historique de l'Europe pour le XXIe siècle. L'auteur anime le  blog In Limine.

     

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    " En notre époque qui marque un carrefour pour la destinée de l’Europe, il ne subsiste que deux voies : soit nous continuons à nous enferrer naïvement et irrémédiablement dans l’aporie du suprémacisme économiste et l’aventurisme post-humain de la modernité tardive néo-libérale, soit nous décidons d’élever nos regards vers certains principes intemporels qui constituèrent en d’autres temps le socle spirituel et politique de notre humanisme originel. Ces principes, cet ouvrage a pour dessein de les faire radicalement sortir et de leur galvaudage et de leur latence afin que notre civilisation européenne puisse s’y abreuver de nouveau et ainsi adopter un nouvel enthousiasme pour l’avenir commun de ses peuples.
    Pour ce faire, l’auteur a tâché de redonner à certains mots qui servent à nommer ces principes leur force d’évocation et d’inspiration prescriptive, en leur restituant tout simplement leur sens. En revisitant les notions fondamentales, l’auteur participe d’un travail de fond qui croît de façon occulte au sein même de la dégénérescence postmoderniste.
    Le travail publié dans cet ouvrage est en outre une expression de la volonté consistant à vouloir élever notre civilisation européenne au niveau de la nécessité vitale et humaine actuelle d’instaurer un ordre mondial multipolaire. Il est une participation à l’affirmation idéale d’un dépassement des vieilles idéologies qui nous ont menées à l’impasse de l’autodénigrement de nos êtres. Ce livre est donc une lecture indispensable pour tous ceux qui s’intéressent ou qui voudraient participer à l’élaboration d’une Quatrième Théorie Politique pour l’Europe. "

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  • L'OTAN est morte, qu'on en sorte !...

    Le 16 décembre 2019, Martial Bild recevait, sur TV libertés, Xavier Moreau, animateur de Stratpol, pour évoquer la question de l'OTAN, une organisation en état de "mort cérébrale", comme l'a reconnu Emmanuel Macron. Saint-Cyrien ancien officier parachutiste et spécialiste des questions géopolitiques, Xavier Moreau est l'auteur de La nouvelle grande Russie (Ellipses, 2012) et Ukraine - Pourquoi la France s'est trompée (Rocher, 2015).

     

                                               

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  • L'énergie nucléaire et la transition énergétique...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Jean-Marc Jancovici à Figaro Vox et consacré à la question de la transition énergétique. Polytechnicien, spécialiste des questions énergétiques, Jean-Marc Jancovici est l'auteur ou le co-auteur de plusieurs essais sur le sujet, dont "Dormez tranquille jusqu'en 2100", et autres malentendus sur le climat et l'énergie (Odile Jacob, 2017). On peut découvrir les thèses de cet auteur dans de nombreuses vidéos, dont celle de sa leçon inaugurale à Science Po en août 2019 : "Vous avez dit « transition énergétique » ? ".

     

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    Jean-Marc Jancovici: «L’Allemagne est le contre-exemple absolu en matière de transition énergétique»

    LE FIGARO.- Vous évoquez souvent l’immense décalage entre le coût de l’énergie et son utilité sociale. Nous ne nous rendons pas compte de la valeur de l’énergie? Est-ce l’impensé de l’écologie?

    Jean-Marc JANCOVICI.- La quantification économique a pris le pas sur d’autres métriques pour juger l’utilité de quelque chose. On pense spontanément que ce qui est utile vaut cher, que tout ce qui fait notre vie s’achète, or comme l’énergie ne coûte pas très cher dans notre poste de dépense (environ 10% pour un ménage pour logement et transports), le lien de dépendance n’est pas ressenti. Or ce qui fait notre mode de vie: les villes, le pouvoir d’achat, les études longues, le basculement dans le tertiaire, les week-ends, les 35h, les retraites, les six semaines de congés payés, la viande à tous les repas, c’est l’énergie, et très majoritairement les combustibles fossiles.

    Les machines sont invisibles dans la convention économique: on continue à dire que les gens travaillent mais en réalité ce sont surtout les machines qui produisent. La puissance des machines dans le monde occidental, c’est 500 fois la puissance des muscles des Occidentaux. Pour que la France produise ce qu’elle produit aujourd’hui, sans machines, il faudrait multiplier sa population par 500 à 1000. Les machines sont totalement dépendantes de l’énergie, qui est un facteur beaucoup plus limitant que la force de travail pour l’économie. On ne se rend pas compte car on juge les choses à travers leur prix, convention humaine qui ne tient pas compte des réalités physiques. Dans le système économique moderne, on a considéré que tout ce qui venait de la nature était gratuit, n’avait pas de prix. En ce sens le pétrole est aussi gratuit que le vent car personne n’a rien payé pour qu’il se forme. La gratuité de ces sources énergétiques fait qu’elles ne sont pas dans notre radar. Nous sommes des urbains déconnectés des flux physiques qui nous permettent de vivre. Le thé que nous sommes en train de boire en ce moment a poussé à des milliers de kilomètres d’ici!

    Vous ne croyez pas à la possibilité d’une transition énergétique à 100% vers le renouvelable?

    J’y crois tout à fait: il suffit de revenir à là où on en était en 1700, un monde à 100% renouvelables, avec 500 millions d’agriculteurs. Est-ce que c’est possible? La réponse est oui. Est-ce que ce sera le monde actuel, avec 8 milliards d’habitants consommant ce qu’ils consomment? La réponse est non. Le monde actuel repose sur les combustibles fossiles, qui ne sont pas renouvelables. On en aura un jour de moins en moins, c’est inexorable. Cela a déjà commencé en Europe depuis 2006: nous avons déjà une baisse du gaz, du pétrole et du charbon disponibles, et cela ne vient pas de politiques climatiques, qui pour le moment restent bien trop timides.

    Ne faites-vous pas l’impasse sur la possibilité du progrès technologique? Ne va-t-on pas trouver des façons de stocker l’énergie verte?

    Je vous retourne la question: souhaitez-vous vous reposer en totalité sur la possibilité d’une avancée qui pour le moment n’existe pas? Peut-être que ça va arriver. Mais, si vous êtes raisonnable, vous ne pariez pas sur sa survenue certaine. Avec les connaissances qui sont les miennes, je pense que le pari le plus intelligent à faire n’est pas de croire qu’on va trouver des solutions techniques inédites pour résoudre les problèmes environnementaux et garantir le niveau de vie. Le changement climatique a des effets différés après le maximum des émissions. Donc même si on trouve une solution miracle il y a des dégâts irrémédiables qui sont déjà là.

    Est-ce à dire que le nucléaire seul pourra sauver le climat?

    Le nucléaire fait partie des canots de sauvetage. À partir du moment où le navire principal -les fossiles - prend l’eau, et que vous devez le saborder aussi vite que possible pour des raisons climatiques, il vous reste les canots de sauvetage: les économies d’énergie, les énergies renouvelables et le nucléaire. Les militants qui s’opposent au nucléaire disent en fait «je ne veux pas utiliser un des canots de sauvetage car le gouvernail pourrait grincer». Ça ne fait pas baisser le risque global, ça l’augmente!

    La France a-t-elle eu tort d’abandonner la quatrième génération de réacteurs nucléaires?

    Bien sûr. D’une manière générale, la France gère ses filières de long terme à la petite semaine, au nom d’une idéologie discutable - la concurrence généralisée, et d’une démagogie électorale, «l’antinucléaire qui fait peur». Dans le domaine des infrastructures, qu’il s’agisse d’un réseau électrique, d’un système de production, de transports, ou d’aménagements du territoire, la période pertinente pour penser le système est de l’ordre d’un siècle. Cela ne peut se gérer en se basant sur les prix du marché de la semaine dernière ou des objectifs court-termistes de rentabilité. La mise en concurrence généralisée dans ces domaines est un piège qui déstructure totalement le pilotage des investissements et raccourcit les horizons de temps. Et pour planifier on doit défaire d’une main ce que l’on a fait de l’autre: les tarifs d’achat sur les renouvelables consistent justement à sortir un mode de la concurrence après avoir créé cette dernière…. Les travaux gigantesques de fortification mise en œuvre par Vauban n’auraient pas été possibles si on avait dû le mettre en concurrence! C’est la même chose dans le ferroviaire, ou le nucléaire qui a besoin d’un système planifié. Démagogie électorale ensuite: Superphenix le réacteur de quatrième génération créé dans les années 1970 a été arrêté pour des raisons électorales en 1997 par Jospin. Fessenheim a été arrêté par Hollande pour des raisons similaires. Satisfaire 3% d’antinucléaires dans un électorat est plus important que l’avenir de long terme..

    Que pensez-vous de l’exemple allemand?

    L’Allemagne est l’exemple de tout ce qu’il faut ne pas faire en matière de transition énergétique. Elle a commencé à supprimer son nucléaire avant de supprimer son charbon. Elle est vent debout contre les contraintes sur les émissions de l’industrie lourde, via un système de quotas, et contre une réglementation sévère sur les voitures neuves vendues. L’Allemagne plaît beaucoup aux antinucléaires, mais l’Angleterre est un pays beaucoup plus intéressant pour nous. Cette attitude est un vrai problème pour l’axe franco-allemand, moteur de l’Europe.

    On l’a vu pendant la crise des gilets jaunes, une simple augmentation de la taxe carbone peut avoir des conséquences sociales violentes. Il y a une tension grandissante entre le désir de consommation des classes populaires et l’impératif écologique prôné d’abord par l’élite (les plus gros scores des verts sont dans les métropoles). Pensez-vous que la transition énergétique puisse se faire sans douleur sur le portefeuille des classes populaires occidentales ou est-ce un mensonge?

    Malheureusement, quand on regarde la physique, on se rend compte que même le niveau de vie d’un smicard est trop consommateur de ressources non renouvelables pour qu’on puisse le maintenir en l’état. Son niveau de vie n’a rien à voir avec celui d’un paysan, et même d’un baron du Moyen Âge. Il vit dans un appartement chauffé, a un poste de télévision, part en vacances, mange à sa faim, et mobilise un énorme flux de ressources pour sa consommation de produits de toute nature. À 8 milliards, se remettre dans un système compatible avec les limites de la planète ne pourra se faire sans un effort de tous, y compris des classes populaires. Certes les plus riches devront donner l’exemple et être sur le front, pas à l’arrière, mais tout le monde va devoir faire des efforts.

    «L’humanité n’a pas dit son dernier mot», a assuré le premier ministre Édouard Philippe avant sa visite à la COP25. Faut-il être comme lui optimiste? Attendez-vous quelque chose de cette COP?

    De manière un peu désabusée, on pourrait dire que toutes les COP qui ont précédé n’ont servi à rien. La concentration de CO2 dans l’atmosphère n’a pas augmenté moins vite dans l’air depuis le début des réunions de ce type en 1995. Il n’y a eu aucune inflexion. Une COP, c’est une assemblée de 198 copropriétaires, où chaque pays-propriétaire possède une voix, qu’il possède un placard à balais ou le duplex du dernier étage, et qui doivent se mettre d’accord à l’unanimité sur une rénovation de l’immeuble de fond en comble, sans syndic, sans projet de résolutions, où les charges seront payées par chacun au prorata de sa surface. Les chances de réussite sont nulles.

    Quelle est la bonne échelle?

    La puissance publique, la puissance privée, les particuliers ont chacun des possibilités d’agir. L’ONU ne fait qu’entériner ce que ces trois corps ont déjà décidé par ailleurs.

    Que peuvent faire les individus?

    Nous avons sorti une étude avec Carbone 4 intitulée «Faire sa part» pour essayer de calculer comment diminuer de moitié son empreinte carbone par des gestes et des investissements sans que ça soit trop violent. Il y a quatre gros postes d’émissions carbone chez les particuliers. D’abord l’alimentation: un premier geste peut être de manger moins de viande. En France, il faudrait diviser le cheptel bovin par deux et multiplier les prix unitaires par trois pour que les éleveurs puissent se payer correctement. Ensuite, les déplacements. Le particulier doit privilégier les voitures les plus petites possibles, et les déplacements sans voiture (bus, vélo, marche, train, diminution des trajets en portée, ou covoiturage). L’état devrait mettre une prime à la casse extrêmement élevée dès lors qu’on achète une voiture neuve qui consomme moins de la moitié de l’ancienne. Il peut aussi remettre en place la vignette et réglementer à la baisse les émissions des voitures neuves. Troisième poste d’émission: la consommation: il faut acheter moins de «tout», que ce soit des vêtements ou de l’électronique (cette dernière représente un pas qui croit très vite!). Enfin, le chauffage: on peut baisser le thermostat, isoler, ou changer sa chaudière fioul ou gaz pour une pompe à chaleur ou au bois en milieu rural.

    Et au niveau de l’état, quelle serait la mesure la plus urgente à mettre en œuvre qui aurait le plus d’impact?

    D’abord, je dirais, passer du temps à bien comprendre le problème! Ensuite, arrêter demain matin le soutien au solaire et à l’éolien et réorienter les quelques milliards d’euros qui y sont consacrés chaque année dans des mesures vraiment efficaces: aider les ménages modestes à passer à la pompe à chaleur, à isoler, à acquérir des voitures consommant très peu tout en obligeant les constructeurs à en faire, à faire des pistes cyclables et de l’agriculture moins émissive, etc..

    Jean-Marc Jancovici, propos recueillis par Eugénie Bastié (Figaro Vox, 13 décembre 2019)

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  • Un nouvel ordre mondial ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous Le Samedi Politique de TV Libertés, diffusé le 30 novembre 2019 et présenté par Élise Blaise, qui recevait Caroline Galactéros, pour évoquer le nouvel ordre multipolaire et l'absence de l'Europe dans le jeu des puissances. Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et de Vers un nouveau Yalta (Sigest, 2019) et intervient régulièrement dans les médias. Elle a créé en 2017, avec Hervé Juvin, entre autres, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

     

                                 

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