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europe - Page 15

  • Christian Harbulot : "Les USA profitent de la guerre et l’Europe en pâtit !"

    Vous pouvez découvrir ci-dessous l'entretien donné par Christian Harbulot à Régis Le Sommier sur Omerta, dans lequel il évoque la complexité des intérêts économiques qui guident la guerre en Ukraine.

    Introducteur en France, au début des années 90, de l'intelligence économique et fondateur de l’École de Guerre Économique, Christian Harbulot a notamment  publié Fabricants d'intox (Lemieux, 2016) et Le nationalisme économique américain (VA Press, 2017).

     

                                               

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  • Derrière la Guerre...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré au monde de l'Inde...

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste localiste intitulé Chez nous ! - Pour en finir avec une économie totalitaire (La Nouvelle Librairie, 2022).

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    Derrière la Guerre

    Pendant que les nouvelles du front occupent l’attention, le monde bouge. Son mouvement s’accélère, à la faveur d’une guerre qui a pour sérieuse conséquence de rendre les Nations européennes aveugles à ses enjeux. Qu’ils soient régionaux, continentaux, ou mondiaux, ces enjeux sont pourtant d’une immense importance. D’abord, parce qu’ils déjouent bien des vérités acquises et des principes établis. Ensuite, parce qu’ils réécrivent la carte des puissances, que ce soit au niveau régional, en Europe, au niveau continental, en Eurasie, ou dans le monde, entre aires de civilisation. Enfin, et surtout, parce qu’ils font éclater des vérités cachées depuis la fondation du monde — de ce monde qui est né en 1944, et qui s’achève sous nos yeux grands fermés.

    La Pologne, la Lithuanie, l’Estonie, la Lettonie, ont-elles pris le pouvoir au sein de l’Union européenne ? 

    La rhétorique anti-russe de rigueur, comme l’engagement illimité derrière l’Ukraine, comme les prises de parole imposées, facilite un déplacement majeur du pouvoir et de l’influence en Europe. Tout se passe comme si l’Allemagne et la France avaient perdu cette capacité d’entraînement qui a permis à leur accord de diriger l’Union — et de la maintenir en vie. Tout se passe comme si la fin du pari allemand — unir sa technique et ses capitaux aux ressources de la Russie pour bâtir une puissance continentale mondiale à l’abri du parapluie américain — laissait la première puissance européenne désemparée, sans plan de rechange et sans projet national — subir l’occupation américaine n’y suffit pas. Et comment reconnaître une ambition ou un projet dans les errements de la France ? En quelques mois, voilà son Président passé d’une posture de recherche d’autonomie stratégique sans les moyens de celle-ci, et d’abord l’indépendance financière, et d’abord un modèle national-européen de réindustrialisation, de maîtrise des mouvements de capitaux et de protectionnisme éclairé, à un alignement sur la stratégie anglo-américaine dont l’histoire dira si elle est de conviction, d’opportunité ou d’obligation…

    L’obsession britannique de toujours — bloquer l’accès de la Russie aux mers chaudes, interdire toute alliance continentale qui menacerait la supériorité maritime et le commerce anglais — s’accorde avec l’intérêt américain — désigner un ennemi, mobiliser contre l’ennemi et défaire l’ennemi pour oublier le désordre intérieur… rien de nouveau. Et rien de nouveau non plus dans une tactique éprouvée qui consiste à faire faire les guerres par les autres, à laisser les autres s’épuiser sous les encouragements, pour mieux partager la victoire sans avoir combattu, relever les ruines et dominer vainqueurs et vaincus également ruinés.

    À cet égard, l’affrontement entre la Russie et la Grande-Bretagne reproduit un agenda historique bien connu. Comme toujours il ne manque pas de Nations européennes assez naïves ou assez confuses pour servir la logique britannique. Comme toujours, la Pologne s’empresse de se donner une importance que la suite dramatique de ses échecs historiques ne lui donne pas. Le très intéressant papier de M. Potocki (publié dans Le Figaro, 25 février 2023), proposant à la France une alliance stratégique, révèle une ambition inédite — ou une prétention injustifiée. Et comme toujours, il ne manque pas de bons apôtres pour expliquer que cette fois, c’est différent — en oubliant l’histoire, et les morts. Il est plus nouveau que l’Allemagne et la France soient les deux grandes perdantes d’un jeu dont elles n’ont pas pris la mesure — parler d’indépendance sans en avoir les moyens n’est pas un crime, mais c’est une faute que la France paie, comme elle avait payé son refus justifié de participer à l’invasion de l’Irak. L’Empire punit ses tributaires insolents.

    Reclassement du monde

    Pas de semaine, de jour même, où le reclassement du monde ne fasse entendre son fracas aux oreilles attentives. Un jour, de grandes manœuvres maritimes réunissent en Afrique du Sud la Chine, la Russie, et l’Afrique du Sud — avec essai annoncé d’un missile hypersonique sans concurrent ni parade connus. Un jour, l’Iran est admis dans les Brics, et le surlendemain, c’est l’Arabie Saoudite qui demande à adhérer à l’Organisation de Shanghai. Un jour, c’est le Bangladesh qui est célébré comme l’économie connaissant la plus forte croissance au monde, et annoncé comme plate-forme de services et de production incontournable dans la décennie qui vient — capitale de 25 millions d’habitants qui ne menace personne, Dacca deviendrait-elle capitale de l’Indo-Asie sans que nul ne l’ait vue venir ?

    Encore un pays où le dividende démographique, mis en valeur par une politique volontariste de formation des jeunes, joue et va jouer à plein… Un jour, la Chine annonce l’émission d’obligations d’État, en renminbi, à des conditions qui devraient attirer les capitaux de toute l’Asie hors des T-bonds américains, après que la Russie et l’Iran aient annoncé mettre en œuvre un système interbancaire de paiements hors SWIFT qui suscite un intérêt régional marqué. Un jour encore, le Mexique confirme son refus de s’associer aux sanctions contre la Russie, rejoignant ainsi les grands pays d’Amérique du Sud. Et le lendemain, se dévoile une nouvelle organisation des Routes de la Soie, qui ouvre un corridor de communication partant de Khashgar, au Sing Kiang, pour déboucher à la fois par le CPEC sur le port de Gwadar au Pakistan, et sur le port de Chababar, en Iran, à 80 km de là — deux ports en eau profonde, ouverts sur l’Océan Indien et le golfe Persique, deux ports connectés à la Russie et à l’Asie centrale aussi bien qu’à la Chine, au cœur de cette zone qui, des Émirats et de l’Iran à l’Inde, avec la Chine et la Russie en arrière-cour, devient l’un des centres du monde. Le 20 février, le Ministère chinois des affaires étrangères a publié un document historique sur lequel nous reviendrons — « US hegemony and its perils ». Et le G20 de Bangalore a échoué dans sa prétention à « weaponizer » la politique économique — de quoi se mêlent-ils ?  

    Bien sûr, le nouveau Président du Brésil, Lula, se révèle collaborateur dévoué des États-Unis, comme ses confrères socialistes et verts européens. Bien sûr, les populations de l’Est européen, y compris en Moldavie, y compris en Biélorussie, et bien sûr dans la majeure partie de l’Ukraine, regardent vers l’Ouest comme vers un conte de fées — et non sans raisons ni sans illusions. Bien sûr, le soft power américain demeure, voire se nourrit d’un conflit qui envoie chacun à son intime conviction — non pas ; qui souhaite vraiment être gouverné par Moscou, ou Pékin ? Mais ; qui veut vraiment se gouverner soi-même, et en payer le prix ? Dans la poussière de faits, de traités, d’alliances stratégiques et de circonstance, une réalité devrait alerter l’Europe. Le monde s’organise pour ne plus subir la loi des intérêts stratégiques, financiers et écologiques des pays du Nord. Entendre les ONG faire la leçon à la Chine, comme j’ai dû le subir la semaine dernière, n’est plus seulement ridicule. C’est dangereux. Ils ne savent pas ce qu’ils font.

    Lire tout cela en fonction des seuls intérêts des parties en présence serait sacrifié à cet économisme qui fait tant de ravages.

    Car bien plus que de l’argent est en cause. Des économistes indiens ont chiffré, paraît-il, à 45 000 milliards de dollars les coûts de la colonisation britannique. La Grande-Bretagne, responsable entre autres des millions de morts et personnes déplacées lors de la partition de l’Inde, mesure-t-elle l’arrogance qui lui fait accuser dans un reportage de la BBC Narendra Modi de ne pas avoir protégé les musulmans de l’État qu’il dirigeait, le Gujarat, voici vingt ans ? Les Bangladeshis n’oublient pas que leur industrie textile florissante a été brutalement détruite par une colonisation qui en a fait un atelier à bas prix, bas salaire et sous-développement, comme elle a détruit le luxe indien, le premier au monde avec celui de la Chine. Le Pakistan, par sa ministre de la lutte contre le changement climatique, nous disait en novembre ce que tous là-bas savent ; avec 0 ; 2 % des émissions mondiales de CO2, le Pakistan est victime du développement inconsidéré que l’Occident a imposé au reste du monde, pour l’intérêt de la ploutocratie qui le dirige. Qui a parlé du commerce anglais comme crime contre l’humanité ? 

    Nous ne referons pas l’histoire. Mais il nous coûtera cher de l’avoir oubliée. Car eux ne l’ont pas oublié, ni les Palais pillés, ni les trésors volés au profit du British Museum — quand leurs voleurs rendront ils les frises du Parthénon ? —, ni les populations appauvries, dépossédées, réduites au sous-développement. Ils l’oublient d’autant moins que les États-Unis, la Grande-Bretagne, et la France hélas, continuent de se poser en donneurs de leçons, continuent de se comporter en maîtres du monde, continuent d’adopter des postures naturelles aux géants violents et géniaux qui ont assuré leur fortune, de Cécil Rhodes à Théodore Roosevelt, sans en avoir ni le génie, ni la force. Les États-Unis et leurs collaborateurs sont près de se trouver bien seuls. Seuls, face à un monde qui les supporte de moins en moins, qui assiste avec un mélange d’amusement et de dégoût à la décadence de l’Amérique Woke, et qui est décidé à ne plus écouter ses leçons, sa morale à sens unique et les beaux principes qu’elle trahit si bien.

    La guerre livrée contre la Russie en Ukraine est-elle le moment de ce renversement du monde qui s’est joué lors du traitement inique de la crise de 2007-2008 par les autorités américaines qui ont fait payer au monde les turpitudes de la tribu financière qui les gouverne ? Semaine après semaine, les enjeux montent, et aussi les risques. Seules face à l’Asie, face à l’Afrique, seuls même face à une Amérique du Sud qui sait ce qu’elle a payé pour la doctrine Monroe, et qui attend moins de la Chine sa liberté qu’un contrepoids face à l’étouffement américain, les Nations que les États-Unis croient leurs alliés, et qui leur sont seulement soumises, doivent se livrer à un salutaire exercice pour distinguer l’ennemi principal, les adversaires et les concurrents.

    La désinformation qui sévit ne les aide pas à y voir clair, par exemple sur la pauvreté que subit la population russe aux mains des oligarques milliardaires qui forment l’entourage du Président Poutine, comme celui du Président Zelensky, et qui se ressemblent au point de suggérer que cette guerre est aussi un affrontement d’intérêts privés. Derrière la scène, les mêmes se réjouissent qui gagnent à la victoire comme à la défaite – et font se battre les autres.

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 10 mars 2023)

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  • Lettres du Ouaquanda...

    Paul Fortune vient de publier un nouveau roman intitulé Lettres du Ouaquanda.  Le livre est disponible sur Amazon et dans toutes les bonnes librairies, dont La Nouvelle Librairie à Paris.

    Paul Fortune est déjà l'auteur de deux romans, Poids lourd et Dérive

     

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    " Venus du lointain et mystérieux Ouaquanda, des migrants tentent de se frayer un passage au cœur de l’Europe afin de trouver les conditions d’une vie meilleure. Au fil des lettres qu’ils s’envoient, nous sommes entraînés dans un safari riche en rebondissements dans lequel ces migrants nous brossent un panorama des travers de la France contemporaine, de ses absurdités et de ses délires. Rien n’échappe à l’œil acéré et au jugement faussement naïf de ces hommes qui nous renvoient une image bien peu complaisante de ce que nous Français sommes devenus.
    Invoquant les mânes des maîtres du roman épistolaire, l’auteur se livre au pastiche d’un prédécesseur fameux qui lui fait se demander « Comment peut-on être Ouaquandais ? » "

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  • Paneurope et fascisme...

    Les éditions Ars Magna viennent de publier Paneurope et fascisme, un recueil de textes de Julius Evola consacré à Richard Coudenhove-Kalergi , publiciste conservateur révolutionnaire  tschécoslovaque d'origine japono-austro-hongroise, et à son projet de Paneurope.

     

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    " Pour son plus grand malheur, l’œuvre de Richard Nikolaus von Coudenhove-Kalergi est tombée un jour entre les mains d’un front bas conspirationniste.
    Celui-ci ne l’a naturellement pas comprise et, de là, est né le mythe du «Plan Kalergi» qu’une ribambelle d’imbéciles nous rabâchent ad nauseam en le liant parfois à d’autres complots tout aussi stupides mettant en cause les gnostiques, les juifs, les francs-maçons, etc.
    Or, il n’existe pas de « Plan Kalergi » et le comte von Coudenhove-Kalergi ne fut qu’un révolutionnaire conservateur mineur.
    Ce dossier, constitué autour de deux contributions de Julius Evola remettra les pendules à l’heure et rendra son honneur à un homme à la pensée aussi profondément aristocratique que méconnue. "

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  • Construire la puissance européenne !...

    Le 7 mars 2023, Pierre Bergerault recevait sur TV libertés Pietro Ciapponi pour évoquer avec lui son essai Les défis de l'Europe (La Nouvelle Librairie, 2023).

     

                                             

    " Envahie, divisée et culpabilisée, l’Europe semble se résigner à s’effacer discrètement et à sortir de l’histoire. Aux yeux de nombreux Européens, leur continent, défiguré par les technocrates de Bruxelles, n’apparaît plus que comme une entité géographique sans frontières ni souveraineté, prélude à la construction d’un grand espace cosmopolite. L’Europe est avant tout une unité ethnique, anthropologique, culturelle, spirituelle et politique, une unité qui peut devenir un centre dans les eaux agitées de l’actuel désordre mondial. Et si c’était justement dans une prise de conscience de leurs racines et des défis auxquels leur civilisation est confrontée au XXIe siècle que les Européens pouvaient retrouver le chemin d’une existence propre ? C’est à une juste estimation de ces défis qu’est consacré l’essai de Pietro Ciapponi "Les défis de l'Europe". Cet essai, écrit en Italie, nous offre une vision lucide des enjeux et des épreuves qui attendent nos peuples et dévoile l’immense potentiel qui sommeille encore en eux. Il est temps de reprendre conscience de nos origines et de tracer notre route vers des destinées plus glorieuses. "

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  • 2023 : Les illusions perdues ou le miroir brisé de Narcisse...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, donné au site Le Dialogue et cueilli sur Geopragma, dans lequel elle en appelle à un retour au pragmatisme pour sortir de la dangereuse impasse dans laquelle la France et l'Europe se sont enfermées depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine.

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    2023 : Les illusions perdues ou le miroir brisé de Narcisse

    Le monde va mal. En ce début 2023, le paysage international apparait à la fois plus polarisé et plus fragmenté que jamais. La régionalisation du monde, sa multipolarisation de fait ne sont plus contestables. Pourtant, l’ancien hégémon le nie et veut forcer l’allégeance renouvelée à ses couleurs en berne. Qu’on se le dise : le « monde libre », exclusif socle des « valeurs » modernes, est toujours Le Graal ! L’Otan est en grande forme et l’Europe n’a jamais été aussi unie contre la barbarie russe ! C’est beau comme l’Antique…mais c’est faux. C’est du stuc, du trompe l’œil, un décor de théâtre. L’Otan, qui aboie chaque jour des oukases martiaux, s’adresse en fait à ses membres, dont tous ne sont pas également désireux d’affronter une puissance russe désormais restructurée en mode guerre. Quant à l’Alliance atlantique, elle serait bien en peine de mener une guerre directe victorieuse contre la Russie. « Même pas peur ! » persifle cette dernière. L’Europe enfin, est un panier de petits crabes sans pinces, vindicatifs et impuissants, qui sont parvenus à un tel degré de servilité que pas un n’a protesté, ne serait-ce que verbalement, lorsqu’ « On » leur a coupé le gaz au sens propre pour hâter leur mise sous tutelle énergétique, leur passer l’envie de rester liés à Moscou et, last but not least, mettre l’Allemagne au pas en la privant de son moteur de croissance principal et promouvoir le nouvel allié de revers européen : la Pologne ! Le vieux cauchemar géopolitique de l’Amérique – l’union des ressources naturelles et démographiques russes et de la puissance industrielle allemande qui leur permettrait de dominer l’Eurasie- parait enfin conjuré… 

    De ce point de vue, le conflit en Ukraine, cruellement prolongé par une surenchère occidentale sans perspective de renversement du rapport de force en faveur de Kiev, est un pan de la vaste manœuvre américaine pour empêcher cette multipolarité du monde de s’affirmer et enfoncer un coin définitif entre l’UE et la puissance eurasiatique cardinale qu’est la Russie. « La Russie, c’est fini ! » Voilà une aberration stratégique et un camouflet culturel et politique permanent qu’il faut abattre une fois pour toutes. Le corridor stratégique Pays baltes-Pologne- Roumanie- Bulgarie- (qui comme par hasard coupe le tracé des gazoducs Nord Stream) doit y pourvoir. 

    Il y a tout de même un léger problème : c’est que – tout le monde le sait à Washington du moins – l’Ukraine a perdu la guerre et la poursuite de l’actuel poker menteur pourrait coûter cher à l’Amérique dans le reste du monde. En effet, le sur-investissement militaire et financier prolongé sur l’Ukraine sans victoire militaire a minima « présentable », se fait au détriment d’autres théâtres plus impérieux pour la puissance américaine, où son influence, pour perdurer, doit s’appuyer sur des moyens militaires et une attention soutenus. Je pense à l’Indopacifique et à la Chine naturellement, mais aussi au Moyen-Orient, où les positions américaines se sont nettement détériorées. Sans parler de l’Europe, économiquement sacrifiée sans vergogne à la « cible » russe. Sans vergogne, mais pour l’heure sans succès. Les sanctions innombrables sont un échec patent et les ¾ de la planète, quand ils ne le soutiennent pas, observent avec gourmandise le « niet » opposé par Moscou à l’insatiable impérialisme américain. Jusqu’à quand les Européens vont-ils admettre de payer et d’obéir au sein de l’Alliance pour l’obsession américaine d’une Russie à genoux, fantasme chaque jour plus proche de l’utopie et du whishful thinking? Il ne faudrait pas se tromper trop longtemps de priorité. Quelques courageux responsables militaires comme le Chef d’état-major américain Mark Milley le disent depuis déjà des mois ; la Rand Corporation, Think Tank historique et influent du Pentagone mais aussi voix et poids du Complexe militaro-Industriel et du grand business américains, vient de produire une « étude » qui enjoint aux Etats-Unis de sortir au plus tôt de ce guêpier sous peine de tomber dans un engrenage à la vietnamienne. Selon ces analystes, il faut se recentrer sur l’essentiel (la Chine), trouver les termes d’un accord viable avec Moscou et admettre que l’Ukraine ne doit pas rejoindre l’OTAN. Malheureusement, les faucons néoconservateurs autour de A. Blinken, J. Sullivan ou V. Nulland n’ont cure d’un tel avertissement et poursuivent leur folle escalade. Ils cherchent à faire oublier l’étude de la Rand en faisant subitement à Moscou « des propositions qu’on ne peut refuser » (propositions évidemment inacceptables au moment où l’armée russe avance et l’emporte sur le terrain). Quoi qu’il en soit, il est intéressant que s’entende enfin un autre son de cloche au sein des élites américaines de plus en plus inquiètes pour l’économie nationale, la position chaque jour plus menacée du dollar, et leurs investissements en Ukraine, si jamais le pays devait finir par se trouver coupé de la mer….

    Car les faits et les chiffres sont là. La propagande la plus outrancière, celle que l’on endure notamment en France depuis bientôt un an, les images et les informations soigneusement triées, ne suffisent pas. La guerre, ce sont des maths. Et L’Ukraine a la mauvaise équation. Elle est sous perfusion militaire et financière occidentale. Si celle-ci cesse, elle s’effondre. Elle est clairement distancée en matière d’artillerie comme de ressources humaines, réduite à enrôler de force de malheureux jeunes et vieux subcarpathiques pour servir de chair à canon à des offensives en pure perte (telle celle de Bakhmut) tant l’évidence de la déroute a laminé la volonté de se battre des jeunes Ukrainiens. Et ce ne sont pas  3 brigades (20 000 hommes), une centaine de chars (à supposer qu’elle arrive et avec tous les problèmes de maintenance associés), 150 véhicules de combats blindés et même quelques F16 qui vont changer la donne face à un demi-million de soldats russes déterminés à combattre et dument armés et soutenus. 

    Le conflit en Ukraine est donc une guerre par proxy…dont le proxy est épuisé face à l’évidence de la supériorité militaire russe. La Russie peut tenir, longtemps, très longtemps, le rythme d’une guerre d’attrition patiente mais implacable. Moscou entend  épuiser la capacité de l’armée ukrainienne à tenir dans la durée. Son usage massif d’une artillerie apparemment inépuisable lui permet de préserver ses troupes régulières, insuffisantes lors de la phase initiale de l’Opération militaire spéciale » mais désormais reconstituées en nombre. L’héroïsme des soldats ukrainiens est incontestable, mais la « masse » – en hommes comme en équipements – n’y est pas. Les pertes (morts et blessés) sont colossales (dans un rapport de 1 à 7-8 avec la Russie) et le déversement des armes occidentales ne peut permettre d’espérer un renversement du rapport de force. Sauf à lancer sur le sol ukrainien des dizaines voire des centaines de milliers de troupes polonaises (la mobilisation d’au moins 200 000 hommes a été annoncée par Varsovie) mais aussi américaines, et à lancer depuis l’ouest du pays une offensive visant à sécuriser la zone au profit de Varsovie dont les prétentions historiques sont bien vivantes et les ambitions de domination européenne contre Berlin grandissantes. On peut même craindre, dans ce scénario fou, que l’armée polono-ukrainienne avec des Américains sous uniforme ukrainien servant leurs chars ou batteries Patriot ne tentent une reprise de la Crimée… Alors, ce sera la fin. Mais pas forcément celle de la Russie… A Berlin, on semble clairvoyant et on s’oppose publiquement à une guerre ouverte de l’Otan contre la Russie. Le Chancelier Scholtz est furieux d’avoir été joué par Washington dans l’affaire des chars (poussé à fournir des Léopards alors que l’on ne verra pas d’Abrahams américains sur le théâtre avant très longtemps voire jamais). Les Allemands reprendront ainsi plus facilement langue avec Moscou que les Français qui poussent à la roue. 

    L’armée ukrainienne est donc exsangue, ses options tactiques et opératives perdantes face au rouleau compresseur russe et le temps joue contre elle. La guerre pourrait être pliée à l’automne et il faudra bien alors négocier avec Moscou sur la base de la réalité sur le terrain…Le Pentagone sait tout cela. Le Département d’Etat et le Conseil de Sécurité national ou même la CIA aussi. Mais l’acceptent-ils ?  C’est moins sûr. La « leçon » donnée par Moscou à l’Empire en déroute est trop humiliante, et le soutien d’une très large partie du monde à ce camouflet est insupportable pour « la nation indispensable ». Car, qu’on le veuille ou non, V. Poutine a réussi quelque chose de très important, bien au-delà de l’Ukraine : il a montré grandeur nature que la révolte était possible, que l’on pouvait protéger des frontières, la sécurité d’une nation, une culture, une histoire, une singularité civilisationnelle, une économie, que le rouleau compresseur Woke n’était pas non plus une fatalité, que les nations en somme n’étaient pas promises à la dissolution si elles refusaient de se soumettre à un ordre obsolète et osaient en prendre les moyens. Nul doute que cette démonstration a mis du baume au cœur à bien des chefs d’Etat qui ne sont pas tous des dictateurs. Je ne fais nullement ici l’apologie d’un autocrate. J’observe ; car si l’on n’observe pas, si l’on ne se met jamais à la place de l’autre et que l’on ne fait que juger et condamner, alors on ne comprend rien. Et on subit. Tant que nous n’aurons pas compris cela, nous subirons la force de la révolte russe et de ses émules innombrables.

    Malheureusement, on est très loin, dans les cercles du pouvoir à Washington ou Paris, de cette neutralité analytique, de cette capacité à l’inversion du regard, basique dans le milieu du renseignement. D’ailleurs, tous les experts européens ou anglosaxons qui ont une vision large de ce conflit viennent du monde des services spéciaux et sont structurellement dépourvus d’œillères idéologiques. Mais on ne les écoute pas, on les accuse de complotisme et de pro russisme … « L’Occident collectif  se rassure », préfère la fuite en avant dans la surenchère, fait la sourde oreille aux avertissements de Pékin qui condamne désormais haut et fort les USA pour avoir cherché l’affrontement, et appelle à l’arrêt immédiat des livraisons d’armes à Kiev. On veut croire que, comme Pékin, Moscou bluffe, que V. Poutine est pusillanime, contesté, affaibli (même mourant !) et que l’on peut continuer le harcèlement sans danger. Dangereux calcul. Comment va-t-on masquer l’énormité de notre mensonge  sur la « victoire de l’Ukraine » le jour où il va sur le terrain militaire s’imposer ? 

    L’ahurissante propagande servie depuis un an bientôt par des médias mainstream inconscients et dévoyés aux peuples européens pour leur faire admettre le prix de la soumission énergétique et stratégique définitive à Washington pourrait faire politiquement très mal, et favoriser l’éclatement du branlant édifice européen. Et la montée d’un populisme dangereux. C’est le problème quand on ment et que l’on est découvert. On ne vous croit plus.

    Pour l’instant, on s’enfonce dans le déni, on prolonge le massacre des forces ukrainiennes et la destruction du pays. Au nom de la sauvegarde du peuple ukrainien évidemment ! Washington noie l’Ukraine sous les dollars et la possède, au sens propre comme figuré. Il lui faut juste doser le jusqu’au boutisme fébrile et les récriminations permanentes du président Zelenski pour pouvoir faire durer son supplice et espérer ainsi, dans le temps long, user la Russie et provoquer la fin du monstre Poutine, Babayaga moderne assoiffée du sang ukrainien et européen. La récente et vaste « purge », en pleine guerre, de l’appareil d’Etat ukrainien et des proches du président, sous couvert de subite lutte contre la corruption (sic !) pourrait bien en fait avoir été orchestrée de plus loin, pour l’isoler et préfigurer sa marginalisation voire son « remplacement » par une figure plus encline à négocier le moment venu la partition de l’Ukraine dans un probable scénario à la coréenne. Car il le faudra bien, d’ici quelques mois sans doute. Plus on attend plus elle sera douloureuse. Les remplaçants putatifs ne manquent pas, prêts à se montrer plus dociles envers Washington. 

    C’est donc la course contre la montre. Kiev implore chaque jour de nouvelles livraisons massives d’armements qui n’arriveront de toute façon pas assez vite ni en assez grande quantité pour changer la donne. Moscou accélère pour lancer une offensive d’envergure avant que l’Ukraine ne soit renforcée, même insuffisamment, par les réserves polonaises en cours de mobilisation et que n’arrivent les chars promis et autres missiles de longue portée… Sinon, c’est reparti pour des mois voire des années… L’Europe ne s’en relèvera pas. Mais 100 chars ou même 300 ne feront pas la différence face aux milliers de l’armée russe et à des effectifs recomplétés et étendus, sans parler des munitions et armements qui semblent inépuisables d’une économie de guerre qui tourne à plein régime. Depuis le début, Moscou ne veut pas frapper les populations civiles ukrainiennes ; sinon l’Ukraine ressemblerait depuis 6 mois déjà à la Tchétchénie et on n’en parlerait plus. Mais cette retenue voulue par le président russe pour des raisons politiques évidentes et que nous n’admettrons jamais, couplée à la surenchère du soutien occidental au régime de Kiev fait durer le supplice et surtout donne du temps à Washington pour que les fous de guerre qui entourent le malheureux président Biden poussent à la roue. Le secrétaire d’Etat Blinken ne sait pas ce qu’est la guerre. Il ne l’a jamais faite, et ça se voit. Sa fureur antirusse, ses déboires diplomatiques à l’étranger face à une Russie qui poursuit sa diplomatie tous azimuts et à une Chine indifférente à son hostilité, l’enferment dans un dogmatisme enragé dont le peuple ukrainien, bien plus que le russe, fait et fera les frais. 

    Comment peut-on arriver à un tel niveau d’orgueil et d’aveuglement ? Et surtout pourquoi ? Mystère et boule de gomme ! Ne voit-on pas le danger d’un dérapage incontrôlé de part ou d’autre ? Que veut l’Amérique en Ukraine ? Certainement pas la sauver, moins encore préserver ce qui reste de la nation et du peuple ukrainiens lancés à corps perdu dans un affrontement inégal et sans issue autre que l’effondrement. Il  veut juste l’aider à poursuivre cette boucherie, sacrifice nécessaire croit-on encore à Washington, pour affaiblir au maximum et durablement la Russie, finir par déstabiliser le pouvoir actuel et remplacer l’ombrageux Poutine par un nouvel Eltsine complaisant qui permettra de reprendre le pillage des ressources de ce richissime et immense pays interrompu à la fin des années 90.  Mais il n’y aura pas de nouvel Eltsine ! La décennie 90 a été pour les Occidentaux une aubaine  leur permettant de se jeter sur la dépouille encore chaude de l’URSS… et pour les Russes un cauchemar. Ils ne se laisseront plus jamais berner.

    Nul ne semble donc prendre la mesure du danger d’un enfermement dans une guerre longue en Europe. Un danger sécuritaire et physique naturellement, mais aussi social et économique dont nous sommes à la fois l’arme par destination, la cible et la victime toute désignée et déjà blessée si l’on considère le délitement de nos économies. 

    Nous sommes tous entrés dans un vaste marché de dupes. Le pouvoir de Kiev à pieds joints, qui fut poussé à l’affrontement contre Moscou et se rend compte qu’il n’en a tout simplement pas les moyens ; l’Europe les bras ouverts, sans comprendre qu’elle doit reprendre la main ou disparaitre à jamais dans l’insignifiance stratégique. Ce ne sont pas les annonces budgétaires des uns et des autres en matière militaire qui nous feront prendre au sérieux à Pékin, Moscou, Téhéran, le Caire ou Ankara. Et je ne parle pas des autres…

    Pourtant, tandis que monte la menace d’un affrontement titanesque entre cet « empire » d’Occident placé face aux limites de sa puissance collective, et un « contre monde » qui coagule jour après jour plus étroitement des puissances globales et régionales majeures et consolide une alternative économique, financière et politique viable à l’ordre américain, nous mettons la tête dans le sable. Nous ne voulons pas voir l’éléphant dans la pièce. Ce déni entêté du réel ne nous suffit pas. Furieux, envieux, humiliés, nous jetons des braises permanentes sur un feu qui ne couve plus mais menace bel et bien d’embraser l’Europe dans la guerre avant de l’ensevelir à jamais dans un rôle d’appendice impécunieux d’une Amérique en plein spasme de déliquescence impériale.  Car la bascule du monde a déjà eu lieu. La dédollarisation de l’économie mondiale est en cours, comme l’a notamment montré le pivot saoudien, mais aussi celui d’une partie grandissante de l’Afrique. Le conflit ukrainien n’a fait que l’accélérer en une sorte de boomerang stratégique à conflagration perlée. Et, contrairement à ce que l’on veut à toute force nous faire croire, ce n’est pas l’ours russe qui est blessé, mais bien l’aigle américain.

    L’affrontement est global. Il se joue en Europe mais aussi en Afrique, en Asie, en Asie centrale aussi, qui sera certainement une zone de déstabilisation future, dans le Caucase et naturellement au Moyen-Orient. Là encore, ce n’est ni l’Amérique ni ses vassaux européens qui ont la main. La dédollarisation de l’économie mondiale est en route, une monnaie des BRICS (la R5) est en train de naitre, le non-alignement est redevenu très « tendance ». Seule notre Europe reste dans l’allégeance béate à un empire en pleine déréliction intérieure comme extérieure, dont les forces armées elles-mêmes – en dépit du gigantisme budgétaire-, sont de moins en moins capables technologiquement voire quantitativement dans certains domaines, d’affronter leurs rivaux géopolitiques chinois ou russe. 

    Le retour à la raison est donc urgentissime. En est-on capables ? Je n’en suis pas certaine. La vanité domine le cœur des hommes. Plus personne ne s’intéresse aux conditions d’un dialogue minimal, à l’apaisement des tensions, moins encore à la paix, notion plus utopique que jamais. La défiance est à son comble. La haine et le mensonge dominent face à « l’ennemi systémique russe » qui s’est finalement résolu à l’affrontement pour briser son encerclement de fait et est, démonisé, défiguré par des amalgames honteux. Pourtant, penser à la paix et en préparer les contours sur une base réaliste n’a jamais été aussi impératif. Il faut une initiative de paix proposée par ceux qui ont gardé quelque lucidité et l’ouverture de pourparlers entre militaires russes et ukrainiens sans préconditions. Vite. 

    La Russie est notre voisine, à jamais, et n’est pas une ennemie. Elle a lancé son « Opération Militaire Spéciale » en sachant qu’elle tombait dans un tragique piège. Avait-elle le choix ? Son invasion du territoire souverain de l’Ukraine est illégale, mais cette évidence ne clôt pas le débat, le vrai : celui de la sécurité en Europe qui est en lambeaux. L’Europe a tout perdu dans ce traquenard. Elle ne comprend pas qu’elle doit et peut encore trouver sa place dans le nouveau monde, fruit de cette bascule gigantesque amorcée depuis 20 ans déjà. Quant à la France, elle ne comprend décidément plus rien à la marche du monde et précipite délibérément sa puissance et son influence résiduelles dans un magma européiste qui ne compte plus stratégiquement, s’il a jamais compté. Ses grands voisins allemand, italien, espagnol jouent leur partition nationale sans se soucier le moins du monde d’une solidarité avec Paris. Nous sommes arrivés au point où il n’est plus possible de se satisfaire d’utopies, moins encore de discours. Il faut tout reprendre, en Afrique, en Asie, en Europe aussi, vis à vis des États-Unis, de la Russie comme de la Chine. Il faut refonder notre politique étrangère sur des bases pragmatiques correspondant à nos intérêts. « Sans argent, l’honneur n’est qu’une maladie » faisait dire Racine à ses Plaideurs. Le discours sur la défense des « valeurs » sans défense de nos intérêts propres est sans écho et nous ridiculise. La France doit s’impliquer dans le soutien à des Etats pivots pour la stabilité régionale et qui luttent comme elle contre les ferments de dissolution nationale et l’extrémisme islamique. Je pense à l’Egypte, mais aussi à l’Algérie. L’histoire du monde n’est pas l’histoire de « Oui Oui au Pays des rêves bleus ». Elle est faite de conquête, de sang, d’apports culturels mais aussi de prédations, de cynisme, de mensonges. C’est ainsi. Il n’y aura de coexistence pacifique qu’au prix de la reconnaissance de la souveraineté des Etats et de l’arrêt de l’impérialisme culturel européen et américain. Ce discours ne passe plus la rampe. L’universalisme est le moteur d’une domination. C’est une évidence. Cela a eu lieu. Pour autant, il faut cesser pour de bon de battre notre coulpe et de permettre à autres de jouer sur notre culpabilité. C’est ridicule et c’est suicidaire. L’histoire est ainsi faite. L’anachronisme ne rapporte rien en diplomatie. Il faut ne pas rater le présent ni le futur au lieu de se défausser sans arrêt sur les erreurs et insuffisances du passé.

    La paix n’est pas le silence, l’asservissement ou la domination définitive. La paix est un équilibre nécessairement imparfait mais supportable. Dans le cas présent, c’est la reconnaissance que nous sommes allés, les uns comme les autres, beaucoup trop loin. L’Ukraine ne peut appartenir à l’OTAN pour d’évidentes raisons, qui vont très au-delà de son sort propre pour toucher la sécurité de l’ensemble du continent européen. Il va falloir reconstruire ce pays en lambeaux. Le gouvernement de Kiev et ses supports suprémacistes blancs et antis-slaves doivent être définitivement éloignés du pouvoir. Il faut négocier au plus tôt entre gens raisonnables ayant les yeux en face des trous. Plus on attend, plus cette négociation sera une reddition aux conditions russes. Si l’entrée de la Russie en Ukraine est illégale, il est hypocrite de faire comme si on ne l’avait pas souhaitée ardemment et préparée depuis au moins 2014. Même Angela Merkel, même Oleksiy Arestovytch, conseiller spécial du président Zelenski aujourd’hui « débarqué » l’ont avoué publiquement. Toute cette mascarade se fait aux dépens d’un peuple sacrifié comme le furent les peuples irakien, syrien ou libyen au nom du Regime change et de la supériorité du modèle démocratique et libéral occidental, et pour masquer une volonté de puissance et de contrôle et de prédation sur les richesses hier irakiennes, libyennes, et syriennes, aujourd’hui russes. 

    Ce long focus sur l’Ukraine vise à montrer le tragique d’une situation difficilement rattrapable pour l’Occident qui est en morceaux mais qui l’a cherché, porté par une ubris déconnectée de la réalité. Il meurt de son complexe de supériorité qui est désormais une antiquité risible pour le reste du monde. Son étoile a pâli avant tout car le gouffre entre discours moralisateur et cynisme des agissements est apparu au grand jour et a nourri ce discrédit. 

    Pour dialoguer, il faut éprouver du respect pour l’autre et être capable de lui accorder un minimum de confiance et d’attention à ses préoccupations fondamentales. Or la Russie a fini de faire confiance et même de respecter les Européens et les Américains (ne parlons pas des Britanniques). Quant à nous, Occidentaux, nous nous sommes volontairement claquemurés dans une haine inexpiable et pensons que le respect ou le dialogue pour et avec Moscou sont sans objet, confortés dans notre autisme stratégique par le mensonge d’une victoire ukrainienne sur le terrain. Que faire dans ce contexte ? Appeler malgré tout à l’arrêt immédiat des combats et à la négociation sans condition sur la base du statu quo territorial actuel ; soutenir la « neutralisation » stratégique de l’Ukraine et l’impossibilité pour elle d’entrer jamais dans l’OTAN, un système de garanties croisées étant sa meilleure protection ; reconstruire le maillage d’accords sur la sécurité en Europe détruit essentiellement par les Etats-Unis ; en finir avec les sanctions qui mettent l’Europe à genoux. 

    La France peut et doit être à l’initiative de cette révolution pragmatique. Il faut un grand courage mais c’est faisable. Je l’appelle de mes vœux depuis des années déjà. Si « la morale » n’a aucun cours dans les relations internationales, l’éthique, elle, y a toute sa place. Le retour aux principes initiaux de la Charte des Nations Unies parait le seul socle possible d’une coexistence supportable. Elle sanctifie le respect de l’intégrité territoriale des Etats mais aussi le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Le débat fait rage. Le problème est que la pratique occidentale post Guerre froide nous a totalement disqualifiés pour donner des leçons (Kossovo, Irak, Libye, Syrie, silence sur la guerre du Donbass, …). Il faut sortir de la haine et se souvenir de ce qui fait l’humanité : sa diversité. L’année 2023 sera celle des illusions perdues de l’Occident : celles qu’il avait sur les autres mais aussi celles qu’il croyait pouvoir conserver sur lui-même. 

    Je souhaite ardemment que le Dialogue, ce nouveau média dans lequel je m’exprime aujourd’hui, soit  le lieu où il sera enfin possible et utile de discuter librement et sans anathèmes de tout ce qui fait la chair du monde, de sa violence mais aussi de la nécessité pour tous les peuples et les nations qui le composent de mieux se comprendre et se tolérer. Ce n’est pas de l’altruisme ni de l’angélisme, encore moins du relativisme. C’est le refus du cynisme et des postures moralisatrices. Tant de morts innocents sont là pour témoigner qu’il est plus que temps de changer drastiquement d’attitude.

    Caroline Galactéros (Geopragma, 2 mars 2023)

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