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crise - Page 3

  • L’immunodéficience des élites...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François Bousquet, cueilli sur le site de la revue Eléments et consacré l'échec des élites du système face à la crise sanitaire. Journaliste et essayiste, rédacteur en chef de la revue Éléments, François Bousquet a notamment publié Putain de saint Foucauld - Archéologie d'un fétiche (Pierre-Guillaume de Roux, 2015), La droite buissonnière (Rocher, 2017) et Courage ! - Manuel de guérilla culturelle (La Nouvelle Librairie, 2019).

     

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    Biopolitique du coronavirus (4). L’immunodéficience des élites

    Un jour où Maurice Barrès, le chantre du nationalisme, comparait la France à un tableau avec en son centre la « colline inspirée », celle de Domrémy, dans les Vosges, où Jeanne d’Arc grandit, Aristide Briand, onze fois président du Conseil, vingt-six fois ministre sous la Troisième République, installé à vie dans le radical-socialisme (une fois passés les élans fiévreux de la jeunesse), lui répondit : « Fort bien ! Mais nous avons les cadres ! » C’est une réponse que ni Macron ni ses pairs ne pourraient faire, d’abord parce qu’ils n’ont pas suffisamment d’esprit, ne fût-ce que celui de l’escalier ; ensuite parce qu’ils ont fait disparaître le cadre et qu’ils voudraient effacer le tableau, la France, pour la grand-remplacer par une « smart nation » tropicale. Misère des élites !

    Comment expliquer cette déchéance, d’une République à l’autre, d’une génération de maîtres à l’autre ? L’éclairage de deux sociologies que tout oppose peut nous aider à y voir plus clair : celle de Vilfredo Pareto, le grand théoricien de la production des élites, et celle de Pierre Bourdieu, le grand théoricien de leur reproduction. Pareto disait dans un passage fameux de son très épais Traité de sociologie générale que l’histoire est un cimetière d’aristocraties. À remarquer qu’en France, ce serait plutôt une morgue, dans le double sens du mot, hautain et cadavérique. Les élites y sont mort-nées, faute de circulation sanguine. Pas assez de sang neuf – l’EPO des élites – pour les régénérer et en fouetter la vitalité. À ce stade de décrépitude, les élites ne sont plus que vampiriques, elles ne recherchent plus que du sang frais dans l’espoir d’y trouver un sursaut.

    La consanguinité est reine de France. Entre des boomers décolorés, des soixante-huitards défraîchis et des « fils et filles de », la reproduction des plus nuls a définitivement remplacé la sélection des meilleurs. Au sein des institutions, l’endogamie règne sans partage. Ce qui nous vaut cette société pétrifiée, stratifiée et calcifiée – « bloquée », comme disait Michel Crozier – , régentée par une armée de clones : les experts, les conseillers, les dircabs, les technos, les énarques, qui forment l’arête supérieure des cumulards à la tête de l’État. Une néobourgeoisie arc-en-ciel, américanomorphe, libérée d’on ne sait trop quoi parce que libérée d’à peu près tout, libérale avec le monde entier exception faite de ses compatriotes, ouverte à tout sauf quand ses intérêts sont en jeu, affranchie mais d’abord de la loi, passionnément remplaciste sauf des places qu’elle occupe. Plus une caste qu’une classe sociale.

    Passe-moi la rhubarbe, je te passerai le Covid !

    Un exemple, un seul, digne du plus haut comique (républicain, cela va de soi). On se souvient que, sous Hollande, la ministre de la Santé était Marisol Touraine, autre « fille de », celle-ci du soporifique Alain Touraine, le plus puissant somnifère de la Faculté de sociologie. Il est désormais acquis qu’elle restera dans l’histoire du coronavirus comme la dame recyclage qui a envoyé au vide-ordures des centaines de millions de masques FFP2. Or, qui grenouillait dans son premier cercle ? Un joli carré d’as de l’embrouille : Benjamin Griveaux, Gabriel Attal, Jérôme Salomon, Olivier Véran. Griveaux est le premier mort du coronavirus, Piotr Pavlenski a débranché son respirateur. Le freluquet Gabriel Attal sévit auprès de Jean-Michel Blanquer comme secrétaire d’État. Mais Olivier Véran et Jérôme Salomon ? L’un dirige le ministère de la Santé, l’autre en est le directeur général. On se pince pour y croire. Passe-moi la rhubarbe, je te passerai le Covid ! Passe-moi les masques, je les ferai disparaître !

    Cela s’appelle en bon franglais le système des revolving doors. Il fonctionne en France avec une belle efficacité. C’est même la dernière chose qui fonctionne. Mais là où les élites anglo-saxonnes se contentent de passer du public au privé, les françaises y ajoutent le passage public to public, comme diraient les snobs. Emmanuel Todd a très bien identifié cette exception française dans son dernier livre quand il parle d’une énarchie stato-financière dont l’archétype est Emmanuel Caméléon. Elle ne jure que par le marché, mais ne connaît que l’État dont elle est la classe parasitaire attitrée, cumulant les défauts du public et les tares du privé. L’inertie et la rapacité. Jamais on ne lui a appris à prendre des initiatives, on lui a plutôt appris à ne surtout pas en prendre.

    Y a-t-il jamais eu une élite en France ?

    Je ne sais plus qui a dit de l’Angleterre qu’elle avait toujours été sauvée par son élite et la France par son peuple. Un sage assurément. La phrase est moins pétaradante quand on en renverse les termes, du moins de ce côté-ci de la Manche : jamais les élites n’ont sauvé la France (sans quoi quelque historien charitable nous l’aurait appris). C’est sûrement cette fatalité qui a donné à notre histoire son cours ondulatoire, instable, erratique, avec des hauts et des bas. Le tempérament national, toujours en quête d’une figure providentielle, plus populiste que conservateur, plus insurrectionnel que réformiste, réactif à défaut d’être actif, ne favorise pas l’éclosion d’une élite. Il faut dire que celle qui nous en tient lieu va chercher ses modèles à l’étranger depuis le XVIIIe siècle. Voltaire a montré la voie. Depuis lors, elle pense en anglais, quand bien même son français est irréprochable, et celui de l’auteur des Lettres philosophiques (d’abord publiées sous le titre des Lettres anglaises) l’était plus que nul autre. Ah, le fouet verbal d’Arouet ! Si l’insipide Nicolas Baverez pouvait en apprendre le maniement, ils serait au moins lisible à défaut d’être intelligible…

    Dans ce panorama, il y a tout de même eu une exception notable, la Troisième République en ses jeunes années. On peut ne pas l’aimer, rien ne nous y prédispose d’ailleurs. Elle était terne, aussi grisonnante que les rouflaquettes de ses présidents du Conseil et de ses « frères » maçons à l’allure de prélats défroqués. Ils ne rataient jamais une occasion de faire une bonne affaire et tiraient sur les ouvriers avec un sang-froid que Christophe Castaner et Laurent Nuñez n’ont jamais cru pouvoir égaler, même en rêve. Oui, oui, on est en droit de ne pas l’aimer, cette jeune Troisième, elle n’en a pas moins créé une élite – ce qui n’a jamais été donné à Macron ni à La République en marche. Ses adversaires antidreyfusards – le sabre, le goupillon et surtout la plume, les plus belles plumes d’alors que ce bon Marcel Proust s’imaginait pouvoir concilier – ont parlé de République juive, plus encore de République protestante, mais elle fut d’abord et avant tout, au milieu des avocats, la République des professeurs, titre d’un petit ouvrage croustillant d’Albert Thibaudet, qui fut mieux qu’un grand critique, l’un des plus sûrs analystes de son temps. Une incubatrice de talents. Comment ? Grâce à un remarquable système de détection et de bourses. Si du reste elle a tenu aussi longtemps, c’est qu’elle a d’abord été un régime de hussards noirs, de normaliens sortis du rang, d’instituteurs maigres et affamés de savoir, de provinciaux montés à Paris la boue aux pieds.

    Quand les boursiers formaient l’élite

    « À nous deux Paris ! » lançaient-ils comme Rastignac, mais la géographie de leur ambition, plus sage, plus académique, plus ascétique aussi, n’était pas celle de Rastignac, trépignant sur le promontoire de Montmartre : elle se tenait sous les combles de la montagne Sainte-Geneviève, dans les chambres de la rue d’Ulm, les internats de Louis-le-Grand et d’Henri-IV. Ainsi, un demi-siècle après Balzac, la montagne Sainte-Geneviève, qui abritait la pension de Madame Vauquer où couvaient les féroces appétits des jeunes lions balzaciens, accueillerait d’autres ambitions, celles qui animeraient les futurs maîtres de la Troisième République, qui furent avant tout des maîtres d’école – et l’école, leur plus belle réussite.

    En ce temps-là, l’écrasante majorité des normaliens étaient boursiers. Combien aujourd’hui le sont-ils ? Même chose avec les agrégés, même chose avec les élèves des écoles normales d’instituteurs. Barrès, le grand Barrès, professeur lui aussi mais d’énergie, vomissait ce monde-là. Il l’a férocement croqué dans sa prodigieuse trilogie, « Le roman de l’énergie nationale ». Mais ne lui en déplaise, les vrais héritiers étaient alors les boursiers. Songez à Péguy. Quid de nos jours ? Les très rares profils sortis du peuple qui ont rejoint les rangs de l’élite, les Didier Eribon, les Édouard Louis, les Annie Ernaux, sont pour la plupart des « transfuges de classe ». Autrement dit des traîtres. Ils n’appartiennent plus au monde dont ils sont issus, mais aux minorités dont ils ont épousé la cause.

    Tel maître, tel valet

    Adieu la République des professeurs ! Celle des Rastignac est revenue, mais ils s’appellent Cahuzac ; et Marsay, l’autre jeune lion balzacien, splendide, comme tout ce qu’a conçu le Surhomme qui rédigea La Comédie humaine, a déchu au rang d’un Emmanuel Macron. La nôtre, de République, est un régime d’enfants gâtés, immatures et inconsistants, frappés dès la sortie de l’école du principe de Peter – et même de Peter Pan chez Macron – qui pose que toute personne, ici toute caste, a tendance à s’élever à son niveau d’incompétence. Rien que des amateurs, Macron, parlant de son gouvernement, l’a lui-même concédé. Il faut dire que ses ministres ont tous été à bonne école. Tel maître, tel valet. Après tout, un pays qui s’affaisse lentement mais sûrement peut tolérer une élite aussi nulle. La gestion des affaires courantes s’accommode de la médiocrité générale. Elle requiert une médecine palliative que des gouvernants aux compétences limitées savent lui administrer en métronomes du déclin. Mais qu’une situation d’exception survienne, qu’une crise, qu’une pandémie apparaissent, impossible de cacher cette nullité sous la table de l’Élysée : elle est bien trop criante – insultante pour tout un peuple avide de comparaisons. Ô Allemagne qui nous donne une fois de plus la leçon, nous qui la lui faisons si souvent…

    D’une guerre à l’autre, notre bon Frankreich serait-il voué à être toujours en retard ? D’une stratégie, d’un vaccin, d’une technologie, d’une mise à jour. Depuis le début de la crise du coronavirus, Macron et Philippe traînent trois à quatre semaines de retard (Sibeth Ndiaye trois ou quatre siècles), retard incompressible, dans tous les domaines, prédictif, préventif, curatif. On n’est bon, on l’a dit, que dans le palliatif. Nul partout ailleurs. Dans l’anticipation du risque, dans la décision, dans la gestion, dans le calendrier. Pas seulement sur les masques, jugés superflus, ni sur les vaccins, déclarés inutiles, mais sur la réquisition, tardive, parcimonieuse, de nos dernières machines-outils, sur le recours – sacrilège – aux labos vétérinaires pour les tests sérologiques, sur la composition du Conseil scientifique, si prudent, si académique, si lié au privé, sur le maintien des municipales, sur la mobilisation des cliniques privées, etc.

    À chaque fois, quelques bonnes volontés ont alerté le gouvernement très en amont, mais autant parler à un sourd. À chaque fois, il a tergiversé, repoussé la prise de décision, prétextant un jour qu’on ne saurait confondre la médecine animale et la Grande Médecine, exit les vétos ; un autre jour reculant devant le refus du terrifique Gérard Larcher et des barons du Sénat, bonjour le veto sénatorial. Nul, zéro pointé, bonnet d’âne, au coin, au poteau !

    Le conformisme est son nom

    Quand Alain de Benoist a pour la première fois formulé la notion de pensée unique, il a mis un nom sur la plaie des élites en général et des françaises en particulier : le conformisme endémique. Pour elles, il n’y a jamais d’alternative, jamais de plan B, pas même des options – rien qu’une autoroute uniforme nous conduisant au bout de l’ennui. Partout un même conformisme, politiquement correct, médicalement correct, technocratiquement correct, qu’importe. Cette religion de l’unique et de sa propriété est « le » critère de sélection. Hors cela, hors la pensée unique, point de salut.

    À Sciences Po, à l’ENA, on ne fabrique plus des serviteurs de l’État, mais des serviteurs de la dette, des contrôleurs de gestion. Ces écoles sont des moules. Comment en sortirait-il autre chose que des séries ? Calibrées comme des produits industriels, programmées comme des logiciels – et c’est d’ailleurs ce qu’ils sont très exactement : ils sont là pour accomplir des programmes. On fabrique des pilotes automatiques, à peine des technocrates, tout au plus des techniciens, si médiocres qu’ils nous feraient regretter le temps des ingénieurs qui pilotaient eux du moins des programmes industriels. Comment cette espèce, qui gère si mal les situations ordinaires, aurait-elle pu faire face à une situation extraordinaire ? Impossible. À elle une fois pour toutes l’intendance et les dépendances, pas plus. À l’Élysée peut-être, mais alors à l’entretien des écuries !

    On est tellement accoutumé à ce pilotage automatique qu’on ne comprend plus les situations d’urgence et les régimes d’exception, là où l’essence schmitienne du politique se révèle. On est formaté à suivre des procédures de contrôle, à respecter des protocoles de gestion, à déchiffrer des règlements, à appliquer des process, ce qui revient à tous les niveaux à suivre scrupuleusement les critères de convergence maastrichtiens. La feuille de route tracée d’avance, sur la base de la règle des 3 %, on fait le « job », comme ils disent. Lequel job ne consiste plus qu’à trouver des marges de manœuvre et à mettre au régime sec toutes les administrations, dont les hôpitaux.

    La pierre angulaire

    On fera valoir qu’on n’a jamais que les élites qu’on mérite. Certes. Il ne faudrait cependant pas oublier qu’elles ont séquestré la représentation nationale. Tout un pays mis sous le boisseau, ce n’est pas rien, mais il aspire à retrouver la lumière. Si les Gilets jaunes ont montré une chose, c’est bien que le peuple ne consent pas à sa mort programmée, qu’il abrite, tout déglingué soit-il, tout abandonné, des réserves de colère et de vitalité. On ne voit rien de tel chez l’élite. La France d’en haut est couchée depuis si longtemps qu’on ne l’imagine pas pouvoir un jour se redresser. Il n’y a rien à attendre d’elle, on ne peut ni la réformer ni l’infiltrer, ni la changer, seulement la renverser. La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs, enseignent les Évangiles à la suite des Psaumes, c’est elle qui est devenue la pierre angulaire. Phrase fabuleuse. Il en a toujours été ainsi. Toujours. Le salut ne vient jamais du Système, mais de ses marges, de ses dissidences, là où on façonne la pierre angulaire. Persévérons à la façonner, elle finira par dominer l’édifice.

    François Bousquet (Éléments, 17 avril 2020)

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  • La macronie face au Covid-19 : communication de crise ou crise de la communication ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Geoffroy cueilli sur Polémia et dans lequel il analyse la communication de Macron et de son équipe dans la crise du Coronavirus. Ancien haut-fonctionnaire, Michel Geoffroy a récemment publié La Superclasse mondiale contre les peuples (Via Romana, 2018).

     

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    La macronie face au Covid-19 : communication de crise ou crise de la communication ?...

    On apprend [1] que la présidence de la République a modifié, une nouvelle fois, son pôle de communication. La porte-parole du gouvernement aurait fait de même. Mauvais présage car, en macronie, tout commence et finit par la communication. Pour le pouvoir, face au coronavirus, la communication de crise ne tournerait-elle pas à la crise de communication ?

    Nous sommes en guerre… mais comme en 1940

    Au début de la crise, le président de la République a choisi, comme à son habitude, une pose théâtrale : contre le virus « nous sommes en guerre », affirme-t-il au moins six fois de suite, dans son allocution du 16 mars 2020.

    Le président, qui n’a pas fait son service militaire, aime jouer au chef de guerre ou se prendre pour Clemenceau.

    Las, il est bien vite apparu que l’on faisait la guerre, mais plutôt comme en 1940 : sans stratégie bien claire ni surtout sans moyens adaptés.

    On faisait la guerre à l’épidémie, mais sans contrôler les frontières, avec des hôpitaux publics et des services d’urgence en crise, sans stocks de masques suffisants ou sans respirateurs, et sans pouvoir procéder au dépistage du virus dans la population.

    Ne restait donc dans les arsenaux que le confinement qui ne requérait que peu de moyens, sinon policiers.

    Le choix du mensonge

    Curieusement, le gouvernement a alors choisi de mentir aux Français alors même que sa responsabilité dans cette absence de moyens n’est pas exclusive, même si cela fait plus de deux ans et demi qu’il est aux affaires.

    Il a d’abord menti en faisant croire que tout était sous contrôle, au temps d’Agnès Buzyn.

    Puis, avec l’aide de ses fidèles médias mainstream, il a seriné que les masques ne servaient à rien [2] ou qu’il fallait les réserver aux personnels de santé, que les contrôles aux frontières ne servaient à rien, que les virus ne s’arrêtaient pas aux frontières, que le dépistage n’était pas utile, etc.

    Mais, à l’âge d’Internet et des réseaux sociaux, il est de plus en plus difficile à un gouvernement de mentir durablement !

    Bien vite, les témoignages du désastre sanitaire et logistique auquel étaient confrontés les personnels de santé sont apparus. Il suffisait aussi de se rendre dans une pharmacie pour voir une affichette qui résumait à elle seule la déroute française : « Pas de masques ni de gel hydroalcoolique ». Il suffisait enfin de regarder les médias pour voir qu’à l’étranger, manifestement, on pensait que les frontières, les masques et les tests étaient utiles.

    Le contraste était donc visible et palpable entre le discours martial du pouvoir et la réalité des moyens qu’il pouvait mobiliser.

    Il mentait donc pour la bonne cause : la sienne, en essayant de transformer un manque de moyens en vertu thérapeutique !

    Volte-face

    Voyant que le désastre logistique passait mal et que le fait d’applaudir à 20 heures les personnels de santé ne suffisait pas, on a ensuite fait volte-face pour communiquer sur… les commandes massives de masques ou de réanimateurs effectuées par les autorités.

    Et on annonce maintenant que l’on va procéder à des tests massifs. Comme on a rétabli les contrôles aux frontières.

    Mais alors, pourquoi ce qui était présenté comme inutile ou absurde hier, devient-il maintenant un axe fort de la communication de crise du pouvoir ?

    Une telle volte-face donne surtout à penser que les décideurs n’ont pas de cap.

    Les experts à la peine

    Le gouvernement a choisi aussi de s’appuyer en permanence sur les analyses d’un conseil scientifique, pour justifier ses décisions.

    Mais, comme il était à prévoir, cette posture allait déboucher sur une polémique entre experts sur les réseaux sociaux, démontrant à l’évidence que le corps médical dans son ensemble était loin de soutenir les choix gouvernementaux.

    Cette attitude donnait aussi le sentiment que nos gouvernants ne gouvernaient plus vraiment mais abandonnaient les choix aux experts.

    Pire, l’ancienne ministre de la santé, s’est mise à affirmer publiquement que le gouvernement n’avait pas pris suffisamment au sérieux ses avertissements quant à l’ampleur de la crise. Et que, par conséquent, la guerre avait été déclarée avec retard.

    La question de la chloroquine a constitué un autre désastre de la communication gouvernementale puisque la polémique publique opposant le conseil scientifique, le gouvernement et ses médias aux travaux et affirmations du professeur Raoult a donné le sentiment que les décideurs tergiversaient dans l’adoption d’un remède contre le virus, pour des raisons incompréhensibles ou peu avouables.

    Et, une nouvelle fois, on a diabolisé une option, pour ensuite commencer de s’y rallier à moitié !

    Tragediante ! Commediante !

    Le gouvernement a enfin choisi, avec l’aide des médias mainstream, toujours avides de catastrophisme bon pour l’audience, de tenir un discours de dramatisation, affirmant chaque jour que demain serait pire.

    « Les 15 prochains jours seront encore plus difficiles que les 15 jours écoulés », affirme ainsi le Premier ministre, le 28 mars 2020. En écho à Emmanuel Macron pour qui « la vague est là […]. Nous allons affronter une crise financière sans précédent, une crise de l’économie réelle. Nous ne sommes pas au bout de ce que cette épidémie va nous faire vivre […]. C’est une guerre. Elle va durer [3] ».

    Un discours qui a évidemment permis aussi de faire passer dans l’opinion groggy un « état d’urgence sanitaire » ouvrant la voie au gouvernement par ordonnances et au renforcement de mesures liberticides.

    Mais un discours qui donne aussi le sentiment que l’on se borne à suivre l’évolution naturelle de l’épidémie et de ses conséquences, sans les maîtriser. Car ce discours comporte en lui-même ses propres limites lorsqu’on joue au chef de guerre : si vous affirmez « savoir » que demain sera pire, on finit fatalement par vous demander : que faites-vous donc pour empêcher ce scénario ? Et si vous n’y parvenez pas, à quoi donc servez-vous ?

    Union nationale ? Non, défiance nationale

    Cette communication calamiteuse a ancré nos concitoyens dans une forte défiance à l’égard des annonces gouvernementales dans la gestion de la crise.

    L’union nationale invoquée par Emmanuel Macron a cédé progressivement la place à une nouvelle défiance nationale à l’encontre de son action et de celle du gouvernement. Après la crise des Gilets jaunes et la réforme des retraites, cela commence à faire beaucoup.

    Un sondage montre ainsi que 69 % des personnes interrogées estiment que le gouvernement n’est « pas clair » face à la pandémie de Covid-19 et 70 % qu’il « ne dit pas la vérité aux Français ». 75 % considèrent qu’il n’a pas pris les bonnes décisions au bon moment et la même proportion pense qu’il « ne fait pas ce qu’il faut pour bien équiper les hôpitaux et les soignants face à l’épidémie ». De plus, 75 % des interrogés disent ne pas être « rassurés » par un gouvernement qui, pour 79 % d’entre eux, ne « sait pas où il va [4] ».

    « Il n’est pas de vent favorable pour celui qui ne sait pas où il va », écrivait Sénèque.

    Avec le coronavirus, la macronie vient une nouvelle fois de l’illustrer.

    Michel Geoffroy (Polémia, 10 avril 2020)

     

    Notes :

    [1] Le Monde.fr du 31 mars 2020.

    [2] Sibeth Ndiaye a même expliqué que bien se servir d’un masque était compliqué, ce qui sous-entendait que les Français ne sauraient pas le faire.

    [3] Interview au JDD du 22 mars 2020.

    [4] Enquête d’opinion menée les 24 et 25 mars 2020 par Odoxa et Dentsu Consulting pour Le Figaro et France Info.

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  • La macronie face au Covid-19 : communication de crise ou crise de la communication ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Geoffroy cueilli sur Polémia et dans lequel il analyse la communication de Macron et de son équipe dans la crise du Coronavirus. Ancien haut-fonctionnaire, Michel Geoffroy a récemment publié La Superclasse mondiale contre les peuples (Via Romana, 2018).

     

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    La macronie face au Covid-19 : communication de crise ou crise de la communication ?...

    On apprend [1] que la présidence de la République a modifié, une nouvelle fois, son pôle de communication. La porte-parole du gouvernement aurait fait de même. Mauvais présage car, en macronie, tout commence et finit par la communication. Pour le pouvoir, face au coronavirus, la communication de crise ne tournerait-elle pas à la crise de communication ?

    Nous sommes en guerre… mais comme en 1940

    Au début de la crise, le président de la République a choisi, comme à son habitude, une pose théâtrale : contre le virus « nous sommes en guerre », affirme-t-il au moins six fois de suite, dans son allocution du 16 mars 2020.

    Le président, qui n’a pas fait son service militaire, aime jouer au chef de guerre ou se prendre pour Clemenceau.

    Las, il est bien vite apparu que l’on faisait la guerre, mais plutôt comme en 1940 : sans stratégie bien claire ni surtout sans moyens adaptés.

    On faisait la guerre à l’épidémie, mais sans contrôler les frontières, avec des hôpitaux publics et des services d’urgence en crise, sans stocks de masques suffisants ou sans respirateurs, et sans pouvoir procéder au dépistage du virus dans la population.

    Ne restait donc dans les arsenaux que le confinement qui ne requérait que peu de moyens, sinon policiers.

    Le choix du mensonge

    Curieusement, le gouvernement a alors choisi de mentir aux Français alors même que sa responsabilité dans cette absence de moyens n’est pas exclusive, même si cela fait plus de deux ans et demi qu’il est aux affaires.

    Il a d’abord menti en faisant croire que tout était sous contrôle, au temps d’Agnès Buzyn.

    Puis, avec l’aide de ses fidèles médias mainstream, il a seriné que les masques ne servaient à rien [2] ou qu’il fallait les réserver aux personnels de santé, que les contrôles aux frontières ne servaient à rien, que les virus ne s’arrêtaient pas aux frontières, que le dépistage n’était pas utile, etc.

    Mais, à l’âge d’Internet et des réseaux sociaux, il est de plus en plus difficile à un gouvernement de mentir durablement !

    Bien vite, les témoignages du désastre sanitaire et logistique auquel étaient confrontés les personnels de santé sont apparus. Il suffisait aussi de se rendre dans une pharmacie pour voir une affichette qui résumait à elle seule la déroute française : « Pas de masques ni de gel hydroalcoolique ». Il suffisait enfin de regarder les médias pour voir qu’à l’étranger, manifestement, on pensait que les frontières, les masques et les tests étaient utiles.

    Le contraste était donc visible et palpable entre le discours martial du pouvoir et la réalité des moyens qu’il pouvait mobiliser.

    Il mentait donc pour la bonne cause : la sienne, en essayant de transformer un manque de moyens en vertu thérapeutique !

    Volte-face

    Voyant que le désastre logistique passait mal et que le fait d’applaudir à 20 heures les personnels de santé ne suffisait pas, on a ensuite fait volte-face pour communiquer sur… les commandes massives de masques ou de réanimateurs effectuées par les autorités.

    Et on annonce maintenant que l’on va procéder à des tests massifs. Comme on a rétabli les contrôles aux frontières.

    Mais alors, pourquoi ce qui était présenté comme inutile ou absurde hier, devient-il maintenant un axe fort de la communication de crise du pouvoir ?

    Une telle volte-face donne surtout à penser que les décideurs n’ont pas de cap.

    Les experts à la peine

    Le gouvernement a choisi aussi de s’appuyer en permanence sur les analyses d’un conseil scientifique, pour justifier ses décisions.

    Mais, comme il était à prévoir, cette posture allait déboucher sur une polémique entre experts sur les réseaux sociaux, démontrant à l’évidence que le corps médical dans son ensemble était loin de soutenir les choix gouvernementaux.

    Cette attitude donnait aussi le sentiment que nos gouvernants ne gouvernaient plus vraiment mais abandonnaient les choix aux experts.

    Pire, l’ancienne ministre de la santé, s’est mise à affirmer publiquement que le gouvernement n’avait pas pris suffisamment au sérieux ses avertissements quant à l’ampleur de la crise. Et que, par conséquent, la guerre avait été déclarée avec retard.

    La question de la chloroquine a constitué un autre désastre de la communication gouvernementale puisque la polémique publique opposant le conseil scientifique, le gouvernement et ses médias aux travaux et affirmations du professeur Raoult a donné le sentiment que les décideurs tergiversaient dans l’adoption d’un remède contre le virus, pour des raisons incompréhensibles ou peu avouables.

    Et, une nouvelle fois, on a diabolisé une option, pour ensuite commencer de s’y rallier à moitié !

    Tragediante ! Commediante !

    Le gouvernement a enfin choisi, avec l’aide des médias mainstream, toujours avides de catastrophisme bon pour l’audience, de tenir un discours de dramatisation, affirmant chaque jour que demain serait pire.

    « Les 15 prochains jours seront encore plus difficiles que les 15 jours écoulés », affirme ainsi le Premier ministre, le 28 mars 2020. En écho à Emmanuel Macron pour qui « la vague est là […]. Nous allons affronter une crise financière sans précédent, une crise de l’économie réelle. Nous ne sommes pas au bout de ce que cette épidémie va nous faire vivre […]. C’est une guerre. Elle va durer [3] ».

    Un discours qui a évidemment permis aussi de faire passer dans l’opinion groggy un « état d’urgence sanitaire » ouvrant la voie au gouvernement par ordonnances et au renforcement de mesures liberticides.

    Mais un discours qui donne aussi le sentiment que l’on se borne à suivre l’évolution naturelle de l’épidémie et de ses conséquences, sans les maîtriser. Car ce discours comporte en lui-même ses propres limites lorsqu’on joue au chef de guerre : si vous affirmez « savoir » que demain sera pire, on finit fatalement par vous demander : que faites-vous donc pour empêcher ce scénario ? Et si vous n’y parvenez pas, à quoi donc servez-vous ?

    Union nationale ? Non, défiance nationale

    Cette communication calamiteuse a ancré nos concitoyens dans une forte défiance à l’égard des annonces gouvernementales dans la gestion de la crise.

    L’union nationale invoquée par Emmanuel Macron a cédé progressivement la place à une nouvelle défiance nationale à l’encontre de son action et de celle du gouvernement. Après la crise des Gilets jaunes et la réforme des retraites, cela commence à faire beaucoup.

    Un sondage montre ainsi que 69 % des personnes interrogées estiment que le gouvernement n’est « pas clair » face à la pandémie de Covid-19 et 70 % qu’il « ne dit pas la vérité aux Français ». 75 % considèrent qu’il n’a pas pris les bonnes décisions au bon moment et la même proportion pense qu’il « ne fait pas ce qu’il faut pour bien équiper les hôpitaux et les soignants face à l’épidémie ». De plus, 75 % des interrogés disent ne pas être « rassurés » par un gouvernement qui, pour 79 % d’entre eux, ne « sait pas où il va [4] ».

    « Il n’est pas de vent favorable pour celui qui ne sait pas où il va », écrivait Sénèque.

    Avec le coronavirus, la macronie vient une nouvelle fois de l’illustrer.

    Michel Geoffroy (Polémia, 10 avril 2020)

     

    Notes :

    [1] Le Monde.fr du 31 mars 2020.

    [2] Sibeth Ndiaye a même expliqué que bien se servir d’un masque était compliqué, ce qui sous-entendait que les Français ne sauraient pas le faire.

    [3] Interview au JDD du 22 mars 2020.

    [4] Enquête d’opinion menée les 24 et 25 mars 2020 par Odoxa et Dentsu Consulting pour Le Figaro et France Info.

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  • Tour d'horizon... (185)

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    Au sommaire cette semaine :

    - dans la Lettre de Comes Communication, Bruno Racouchot interroge Xavier Guilhou, ancien responsable de la DGSE et spécialiste reconnu de la prévention des risques, sur la gestion de la crise sanitaire en cours...

    Crise mondiale, jeux d'influence et affrontements géopolitiques

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    - devant l'Académie Royale de Belgique, Stéphane Courtois présente la figure de Lénine...

    Lénine et l’invention du totalitarisme

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  • Feu sur la désinformation... (276)

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un numéro de l'émission I-Média sur TV libertés consacrée au décryptage des médias et animée par Jean-Yves Le Gallou, président de la fondation Polémia, et Nicolas Faure.

    Au sommaire :

    • 1 : L’image de la semaine
      En visite à Pantin, Emmanuel Macron s’est quasiment offert… un bain de foule ! Une scène incroyable en plein confinement.
    • 2 : Terroriste soudanais : les médias osent tout !
      À Romans-sur-Isère, samedi 4 avril, un migrant soudanais a tué deux personnes et en a blessé cinq autres aux cris d’ « Allah akbar ». Les médias ont tout fait pour minimiser cette attaque islamiste et donner des excuses au meurtrier.
    • 3 : Revue de presse
      Un appel à la prière qui n’a pas eu lieu tout en ayant quand même eu lieu…
      Une hypothèse complotiste en France considérée comme crédible au Royaume-Uni…
      Cette semaine encore, les médias dominants ont fait très fort !
    • 4 : Covid-19 : bas les masques !
      Cette semaine, les médias se sont retrouvés confrontés à une nouvelle preuve de l’amateurisme gouvernemental… la position sur l’efficacité des masques ! L’occasion de mettre les hommes politiques et les décodeurs médiatiques face à leurs contradictions !

     

                                       

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  • Vers une crise économique d'une ampleur au moins égale à celle de 1929 ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Breizh Info, dans lequel il évoque les conséquences possibles de la crise du Coronavirus... Philosophe et essayiste, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017), Décroissance ou toujours plus ? (Pierre-Guillaume de Roux, 2018) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

     

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    Alain de Benoist : « Je m’attends à une crise économique qui aura au moins l’ampleur de celle de 1929 »

    BREIZH INFO : Tout d’abord, que vous inspire la direction du gouvernement, qui semble ne pas vraiment savoir où donner de la tête depuis le début de cette pandémie ? Michel Onfray évoque une fin possible de régime en conséquence, y croyez-vous alors que les cotes d’opinion d’Emmanuel Macron et d’Édouard Philippe n’ont jamais été aussi hautes ?

    ALAIN DE BENOIST. Michel Onfray a dit, avec plus de talent que je n’en ai, tout ce qu’il y avait à dire sur la désastreuse gestion de la crise sanitaire actuelle par l’équipe d’Emmanuel Macron. J’avais écrit il y a quelques années que c’est dans le cas d’exception que l’on pourrait prendre la pleine mesure du personnage. On sait maintenant ce qu’il en est. Un homme d’État décide, ordonne, réquisitionne. Macron s’en remet au conseil des « experts » qui, comme d’habitude, ne sont pas d’accord entre eux. Il redécouvre les vertus de la « souveraineté nationale et européenne », mais c’est après avoir multiplié les réformes libérales qui ont favorisé les délocalisations et la dépendance aux importations. Il salue et remercie ceux qui se battent et qui se dévouent, mais nul n’a oublié qu’avant l’arrivée du Covid-19, il s’était refusé à entendre leurs revendications.

    En témoigne l’état lamentable de nos services de santé, à qui l’on a imposé des objectifs de rentabilité à courte vue, et dont on mesure aujourd’hui le délabrement : masques et tests de dépistage manquants, lits supprimés, personnel soignant au bord du collapsus, services hospitaliers saturés. On a voulu inclure dans la logique du marché un secteur qui est par définition hors marché. On a systématiquement affaibli et détruit les services publics. Nous en payons le prix. Et ce n’est qu’un début, car le confinement va encore durer des semaines, sinon des mois. Nous ne sommes pas à la fin du début, et encore moins au début de la fin.

    Je ne crois pas un instant à la montée de la cote de popularité d’Emmanuel Macron. Dans un premier temps, comme il est de règle, tout le monde s’est serré les coudes. Mais quand on en sera arrivé au « jour d’après », et que le moment sera venu de rendre des comptes, le jugement du peuple sera impitoyable. Si, comme je le crois, toute cette affaire débouche sur une crise sociale de première ampleur, le mouvement des Gilets jaunes apparaîtra plus que jamais comme une répétition générale. On voit bien d’ailleurs dès maintenant que c’est pour les classes populaires et les classes moyennes que le confinement est le plus difficile à vivre.

    La figure du Professeur Raoult, qui a émergé récemment, ne vous apparaît-elle pas comme un besoin pour les médias, une fois de plus, de dresser des icônes (d’un côté, l’icône gouvernementale, de l’autre l’icône un peu rebelle ?) à proposer à nos concitoyens. N’est-on pas finalement en plein cœur de la société du spectacle dans cette crise ?

    Le professeur Raoult est apparemment le seul qui ait commencé à obtenir des résultats dans la lutte contre l’épidémie. Au lieu de lui en tenir gré, on l’a présenté comme un rigolo et comme l’« idole des conspirationnistes » ! On annonce maintenant des recherches « plus approfondies » qui ont surtout pour objet de mettre au point un médicament qu’on présentera comme « bien meilleur » que la chloroquine et qui aura surtout pour avantage de coûter (et donc de rapporter) beaucoup plus cher. Société du spectacle ? Nous avons plutôt affaire ici à une guerre des egos et à une querelle de gros sous.

    Il y a un mois, vous nous évoquiez votre scepticisme eu égard à la fermeture des frontières. L’êtes-vous toujours alors que l’intégralité des États ont pris ces mesures ?

    Je suis bien sûr partisan de la fermeture et du contrôle des frontières. J’ai seulement voulu dire qu’il est techniquement presque impossible d’empêcher quiconque d’entrer ou de sortir d’un pays, et qu’une frontière fermée n’est pas une frontière étanche. La preuve en est que le coronavirus fait aujourd’hui des ravages dans tous les pays, y compris ceux qui ont été les premiers à fermer leurs frontières.

    L’Union européenne n’est-elle pas en train de définitivement se suicider du fait de cette crise sans précédent ? Il semblerait en effet que ce soit chacun pour soi désormais…

    Elle ne s’est pas suicidée pour la simple raison qu’elle était déjà morte. L’un des mérites de la crise a seulement été de permettre à tout le monde de voir son cadavre. Devant l’épidémie, les dirigeants de la Commission européenne sont apparus en état de sidération. Ils vont maintenant débloquer de l’argent qu’ils distribueront par « hélicoptère », après avoir fait fonctionner un peu plus la planche à billets. Mais concrètement, rien n’a suivi. Ce n’est pas l’Europe qui est venue au secours de l’Italie, mais la Chine, la Russie et Cuba. Revanche posthume de Fidel Castro !

    Quelles conséquences économiques voyez-vous à l’horizon, dans les mois, années à venir… Le fait que l’on ne puisse plus acheter de l’or, que les États fassent tourner la planche à billets, est-ce que cela devrait nous inquiéter ?

    Je m’attends à une crise économique qui aura au moins l’ampleur de celle de 1929. Elle durera beaucoup plus longtemps que l’épidémie actuelle, fera beaucoup plus de dégâts et tuera beaucoup plus de monde. Si elle se double d’une crise financière planétaire, on assistera à un tsunami : crise économique, et donc sociale, crise financière, crise sanitaire, crise écologique, crise migratoire. J’avais publié en 2011 un livre intitulé Au bord du gouffre. Il me semble que nous y sommes.

    Mais il faut s’attendre aussi à des conséquences politiques et géopolitiques de première grandeur. Le développement de l’épidémie dans un pays comme les États-Unis, dont le système de santé, organisé bien sûr sur le mode libéral, est l’un des moins performants du monde, est appelé à jouer un rôle décisif et mérite d’être suivi de très près (l’épicentre mondial de l’épidémie se trouve aujourd’hui à New York). Les États-Unis risquent de s’en sortir beaucoup plus affaiblis que la Russie et la Chine, qui sont leurs deux seuls rivaux du moment. Encore une fois, nous n’en sommes qu’au commencement.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Yann Vallerie (Breizh Info, 2 avril 2020)

     

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