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Points de vue - Page 303

  • Les dissidents du XXIe siècle ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Geoffroy, cueilli sur Polémia et consacré au nouvelles formes de dissidence en ce début de XXIe siècle...

     

    Snowden-Assange.jpg

    France / Occident : les dissidents du XXIe siècle

    Honneur aux dissidents

    Les dissidents soviétiques avaient bonne presse en Occident dans les années 1970, car ils permettaient d’attaquer l’URSS sur les droits de l’homme – dont l’idéologie commençait à prendre sa forme moderne – et en particulier sur le droit d’émigrer (déjà…). Ils révélaient aussi la réalité cachée du communisme, même si en fait on savait déjà tout depuis Victor Kravtchenko (J’ai choisi la liberté, 1946) et même bien avant.

    On se souvient notamment de V. Boukovski, d’A. Zinoviev, d’A. Ginsburg, des frères Kopelev, ou Medvedev, de L. Pliouchtch et, bien sûr, d’A.Soljenitsyne.

    Les dissidents ont cependant commencé à moins intéresser l’Occident quand, ayant quitté l’URSS, ils ont commencé à déclarer que le « monde libre » n’était pas non plus le paradis. Et plus encore quand ils ont préféré revenir en Russie après la chute du communisme, comme Soljenitsyne, par exemple. Mais tant qu’il s’agissait de mettre en accusation l’Union soviétique, l’Occident souhaitait la bienvenue aux dissidents. Mais aujourd’hui les rôles se sont inversés.

    Le phénomène de dissidence marque l’usure d’un système

    L’apparition de la dissidence montre qu’un système touche à sa fin.

    Le phénomène de dissidence correspond au fait qu’un jour, et d’une façon imprévisible, des personnes du système décident de ne plus jouer le jeu en acceptant, en outre, d’en supporter personnellement les conséquences. Ce qui signifie qu’ils ne croient plus au système dans lequel ils vivent et qu’ils n’ont en outre plus peur de vouloir le changer.

    Ainsi, recrutés avant tout parmi les intellectuels et les chercheurs choyés par le régime, les dissidents soviétiques montraient que le mythe communiste ne faisait même plus rêver « l’avant-garde du prolétariat ». Comme le décrit A. Soljenitsyne dans son livre Le Chêne et le Veau, l’existence de la dissidence portait des coups de boutoir répétés sur le régime soviétique d’autant plus redoutables qu’elle provenait de l’intérieur du système lui-même. Comme un jeune veau têtu peut finir par abattre à la longue un vieux chêne.

    Ce phénomène s’est déjà produit dans l’histoire, notamment à la fin de l’Ancien Régime, quand une partie de la noblesse s’est ralliée aux « Lumières ».

    Les dissidents du XXIe siècle 

    La dissidence réapparaît aujourd’hui en Occident.

    Julian Assange, Bradley Manning et Edward Snowden sont en effet des dissidents du XXIe siècle. Et comme leurs homologues soviétiques, ils annoncent que le système occidental se fissure de l’intérieur.

    Bien qu’anglo-saxons, donc issus de la population dominant le système occidental, ces trois dissidents ont décidé un jour, et d’une façon imprévisible, de révéler au monde la réalité cachée de la politique américaine, en faisant la lumière sur les activités secrètes d’écoute des communications mondiales par la NSA auxquelles il participait, pour Snowden, ou en organisant la divulgation de documents diplomatiques ou militaires américains classifiés, pour Assange et Manning, via Wikileaks.

    Ces dissidents ne pouvaient ignorer les risques auxquels ils s’exposaient. Ils les ont pourtant assumés en démontrant par là même qu’ils plaçaient l’exigence de vérité plus haut que leur propre sécurité ou que leur loyauté vis-à-vis du système occidental.

    Leur dissidence porte aussi sur les télécommunications et l’internet : donc sur le cœur du réacteur occidental contemporain et sur le levier principal de sidération des populations.

    Tous les trois sont jeunes, enfin : ce qui montre que la contestation monte des profondeurs du système.

    Comme en URSS

    Le sort des dissidents occidentaux n’a rien à envier à celui des soviétiques. Les dissidents soviétiques ne trouvaient pas asile dans les pays du Pacte de Varsovie. Il en va de même pour les dissidents du XXIe siècle : aucun pays « libre » du bloc occidental – qui croule pourtant sous les « réfugiés » venus de toute la terre – n’a couru le risque de les accueillir et de mécontenter ainsi le « grand frère » américain. Y compris les pays espionnés par la NSA et qui se sont donc montrés pas très rancuniers ! L’oligarchie présente, bien sûr, les dissidents comme des délinquants et des hooligans, comme au temps de l’URSS.

    Manning, qui a déjà passé 1200 jours sous les barreaux, a été condamné à 35 ans de prison, même s’il a évité l’incrimination de « collusion avec l’ennemi » qui lui faisait courir le risque d’emprisonnement à vie. Manifestement, pour la justice militaire américaine le reste du monde s’assimile donc à un territoire ennemi, cela soit dit en passant. Peut-être le retrouvera-t-on un jour pendu dans sa cellule, comme cela arrive parfois en Occident ? Assange, réfugié à l’ambassade d’Equateur à Londres, se trouve sous le coup d’une demande d’extradition et de différentes accusations notamment d’abus sexuel. On a fait aussi circuler la rumeur qu’il se compromettait avec l’extrême droite (Le Monde du 23 août 2013), ce qui correspond en Occident au crime suprême de « contre-révolution » dans le bloc soviétique. Snowden, accusé d’espionnage, de vol et d’utilisation illégale de biens gouvernementaux, n’a pu obtenir que l’asile temporaire en Russie.

    Le goulag médiatique

    Les médias, habituellement si aimables avec les délinquants de toute sorte, n’ont cessé, avec un bel ensemble, de dévaloriser la portée de leurs gestes (ils n’auraient révélé qu’un secret de Polichinelle) ou leur personnalité.

    Manning, que l’on présentait ainsi comme un « jeune homme » un peu dépassé, en a d’ailleurs profité habilement devant le tribunal militaire pour faire adoucir sa peine ! Le goulag médiatique est, certes, plus soft que le goulag soviétique, mais il vise à produire les mêmes effets : réduire au silence et condamner à la mort sociale.

    L’Occident, URSS du XXIe siècle

    Les dissidents se multiplient en réalité en Occident, pour la même raison qu’en Union soviétique. Car on croit de moins en moins aux mensonges idéologiques sur lesquels repose le Système et ses résultats inspirent de plus en plus la défiance.

    Dissidents littéraires qui rejettent la médiocrité et le conformisme, artistes dissidents qui refusent l’art officiel cosmopolite déraciné, dissidents politiques qui ne croient plus aux partis institutionnels, dissidents médiatiques qui ne supportent plus les bobards, dissidents économiques qui préfèrent l’exil au fiscalisme, dissidents moraux qui manifestent contre le mariage homosexuel, dissidents scolaires qui fuient le naufrage de l’école publique, dissidence populaire qui ne fait plus confiance à l’oligarchie, dissidence identitaire contre le grand remplacement programmé des Européens, dissidents contre les fauteurs de guerre occidentaux.

    Malgré la police, malgré le goulag médiatique, malgré la menace économique, la dissidence progresse partout en Occident. Parce que le Système craque de toute part.

    Nous sommes tous des Assange, des Manning et des Snowden !

    Michel Geoffroy (Polémia, 15 septembre 2013)

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  • La fabrique de l'impuissance ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Bertrand Renouvin, cueilli sur son blog et consacré à l'impuissance de la classe politique européenne...

    bertrand renouvin, gouvernance, individualisme, institutions européennes, marcel gauchet,oligarchie, ultralibéralisme

     

    La fabrique de l'impuissance

    Après l’aveuglement volontaire sur l’économie et maintes bévues, l’échec humiliant dans l’affaire syrienne. Faute de pouvoir arrêter maintenant ce cours funeste, essayons une nouvelle fois de comprendre ce qui se passe dans la tête de François Hollande. Il n’y aura pas de réplique efficace, à terme, si nous nous contentons de dénoncer la trahison sociale-libérale et la dérive atlantiste de l’équipe au pouvoir. Le hollandisme n’est qu’une illustration de la crise du Politique qui affecte cruellement les principaux pays de l’Union européenne.

    Dans un entretien récemment publié, Marcel Gauchet apporte sur ce point des explications décisives (1). Nous sommes « sous le règne d’une oligarchie qui tend à s’affranchir des mécanismes démocratiques au nom de la bonne gouvernance économique ». Cet état de fait est une spécificité ouest-européenne car il est intimement lié à l’idéologie et aux mécanismes de l’Union : ceux-ci  tendent à « vider les appareils politiques nationaux de toute substance » et à construire un appareil post-national et post-étatique régulé par le droit et l’économie – celui de la « gouvernance » qui remplacera les gouvernements élus.

    Cette évolution nous est présentée comme une nécessité et même comme une fatalité. Depuis les années cinquante du siècle dernier, le « dépassement des nations » est affirmé comme Loi de l’histoire – une histoire qui trouverait sa fin finale dans le divin marché. Cette version lénifiante du déterminisme historique n’est qu’une vaste foutaise. C’est une volonté collective qui est à l’œuvre, celle des élites européistes qui ont trouvé une formidable combine : tirer tous profits de la présence au gouvernement en se débarrassant des responsabilités qu’implique l’action gouvernementale. Il y a une « impuissance fabriquée », voire « souhaitée » par les principaux artisans de la construction européenne. Cette vérité est difficile à comprendre : les chefs de parti déploient une telle volonté de puissance qu’on espère toujours qu’il en restera quelque chose lorsqu’ils exerceront le pouvoir. Le volontarisme de Nicolas Sarkozy a séduit maints nostalgiques du général de Gaulle et François Hollande eut en 2012 quelques beaux accents avant d’aller plus avant sur la voie des redditions.

    Oh ! bien sûr, au fil des discours, on tente encore de nous vendre le rêve européen. Mais « qui se sent représenté aujourd’hui par le Parlement européen ? Qui peut avoir envie de s’en remettre aux inspirations de Manuel Barroso ? » ; la Cour de justice européenne, « c’est le sommet de l’aberration puisqu’elle prétend faire de la politique avec du droit » et le fédéralisme européen « c’est terminé ». Ces affirmations s’appuient sur des analyses approfondies, aux conclusions parfaitement angoissantes. Ainsi, « l’Union européenne est incapable de penser politiquement la mondialisation : sa logique spontanée est de s’y dissoudre ».

    Les peuples de l’Ouest-européen rejettent cet européisme dissolvant mais cela ne signifie pas que des insurrections populaires dans la rue ou dans les urnes provoqueraient immanquablement une renaissance politique car les peuples sont en proie à de rudes contradictions : on nous offre « la liberté totale de chacun et l’impuissance complète de tous » et nous vivons douloureusement l’individualisme… qui suppose « une socialisation intégrale de l’existence ».

    Marcel Gauchet n’est pas désespéré. La collectivité nationale peut se réaffirmer, l’Europe est à repenser sur le mode de la coopération et de grands hommes politiques pourraient tirer parti de nos contradictions pour le bien public s’ils nous expliquaient clairement comment on peut concilier la liberté individuelle et le projet commun. Ces grands hommes, nous ne les trouvons pas. Les tribuns des deux Fronts désignent d’autres impasses – celle du nationalisme, celle du socialisme hors-sol. Il faut donc à la France une nouvelle génération politique. Elle se formera grâce à ceux qui ont une pensée – une pensée rigoureuse à tous les sens du terme. L’urgence est de faire connaître les livres, les entretiens, les articles qui inspireront, chez quelques-uns, les engagements salvateurs. Il faut Aristote pour qu’il y ait Alexandre.

    Bertrand Renouvin (Blog de Bertrand Renouvin, 22 septembre 2013)

     

    Note :

    (1)    Cf. la revue « Au fait », n° 3, septembre 2013. Pages 62-78.

    Après l’aveuglement volontaire sur l’économie et maintes bévues, l’échec humiliant dans l’affaire syrienne (1). Faute de pouvoir arrêter maintenant ce cours funeste, essayons une nouvelle fois de comprendre ce qui se passe dans la tête de François Hollande. Il n’y aura pas de réplique efficace, à terme, si nous nous contentons de dénoncer la trahison sociale-libérale et la dérive atlantiste de l’équipe au pouvoir. Le hollandisme n’est qu’une illustration de la crise du Politique qui affecte cruellement les principaux pays de l’Union européenne.

    Dans un entretien récemment publié, Marcel Gauchet apporte sur ce point des explications décisives (2). Nous sommes « sous le règne d’une oligarchie qui tend à s’affranchir des mécanismes démocratiques au nom de la bonne gouvernance économique ». Cet état de fait est une spécificité ouest-européenne car il est intimement lié à l’idéologie et aux mécanismes de l’Union : ceux-ci  tendent à « vider les appareils politiques nationaux de toute substance » et à construire un appareil post-national et post-étatique régulé par le droit et l’économie – celui de la « gouvernance » qui remplacera les gouvernements élus.

    Cette évolution nous est présentée comme une nécessité et même comme une fatalité. Depuis les années cinquante du siècle dernier, le « dépassement des nations » est affirmé comme Loi de l’histoire – une histoire qui trouverait sa fin finale dans le divin marché. Cette version lénifiante du déterminisme historique n’est qu’une vaste foutaise. C’est une volonté collective qui est à l’œuvre, celle des élites européistes qui ont trouvé une formidable combine : tirer tous profits de la présence au gouvernement en se débarrassant des responsabilités qu’implique l’action gouvernementale. Il y a une « impuissance fabriquée », voire « souhaitée » par les principaux artisans de la construction européenne. Cette vérité est difficile à comprendre : les chefs de parti déploient une telle volonté de puissance qu’on espère toujours qu’il en restera quelque chose lorsqu’ils exerceront le pouvoir. Le volontarisme de Nicolas Sarkozy a séduit maints nostalgiques du général de Gaulle et François Hollande eut en 2012 quelques beaux accents avant d’aller plus avant sur la voie des redditions.

    Oh ! bien sûr, au fil des discours, on tente encore de nous vendre le rêve européen. Mais « qui se sent représenté aujourd’hui par le Parlement européen ? Qui peut avoir envie de s’en remettre aux inspirations de Manuel Barroso ? » ; la Cour de justice européenne, « c’est le sommet de l’aberration puisqu’elle prétend faire de la politique avec du droit » et le fédéralisme européen « c’est terminé ». Ces affirmations s’appuient sur des analyses approfondies, aux conclusions parfaitement angoissantes. Ainsi, « l’Union européenne est incapable de penser politiquement la mondialisation : sa logique spontanée est de s’y dissoudre ».

    Les peuples de l’Ouest-européen rejettent cet européisme dissolvant mais cela ne signifie pas que des insurrections populaires dans la rue ou dans les urnes provoqueraient immanquablement une renaissance politique car les peuples sont en proie à de rudes contradictions : on nous offre « la liberté totale de chacun et l’impuissance complète de tous » et nous vivons douloureusement l’individualisme… qui suppose « une socialisation intégrale de l’existence ».

    Marcel Gauchet n’est pas désespéré. La collectivité nationale peut se réaffirmer, l’Europe est à repenser sur le mode de la coopération et de grands hommes politiques pourraient tirer parti de nos contradictions pour le bien public s’ils nous expliquaient clairement comment on peut concilier la liberté individuelle et le projet commun. Ces grands hommes, nous ne les trouvons pas. Les tribuns des deux Fronts désignent d’autres impasses – celle du nationalisme, celle du socialisme hors-sol. Il faut donc à la France une nouvelle génération politique. Elle se formera grâce à ceux qui ont une pensée – une pensée rigoureuse à tous les sens du terme. L’urgence est de faire connaître les livres, les entretiens, les articles qui inspireront, chez quelques-uns, les engagements salvateurs. Il faut Aristote pour qu’il y ait Alexandre.

    ***

    (1)    Cf. sur ce blog les chroniques 84, 85, 86 et 87.

    (2)    Cf. la revue « Au fait », n° 3, septembre 2013. Pages 62-78.

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    Après l’aveuglement volontaire sur l’économie et maintes bévues, l’échec humiliant dans l’affaire syrienne (1). Faute de pouvoir arrêter maintenant ce cours funeste, essayons une nouvelle fois de comprendre ce qui se passe dans la tête de François Hollande. Il n’y aura pas de réplique efficace, à terme, si nous nous contentons de dénoncer la trahison sociale-libérale et la dérive atlantiste de l’équipe au pouvoir. Le hollandisme n’est qu’une illustration de la crise du Politique qui affecte cruellement les principaux pays de l’Union européenne.

    Dans un entretien récemment publié, Marcel Gauchet apporte sur ce point des explications décisives (2). Nous sommes « sous le règne d’une oligarchie qui tend à s’affranchir des mécanismes démocratiques au nom de la bonne gouvernance économique ». Cet état de fait est une spécificité ouest-européenne car il est intimement lié à l’idéologie et aux mécanismes de l’Union : ceux-ci  tendent à « vider les appareils politiques nationaux de toute substance » et à construire un appareil post-national et post-étatique régulé par le droit et l’économie – celui de la « gouvernance » qui remplacera les gouvernements élus.

    Cette évolution nous est présentée comme une nécessité et même comme une fatalité. Depuis les années cinquante du siècle dernier, le « dépassement des nations » est affirmé comme Loi de l’histoire – une histoire qui trouverait sa fin finale dans le divin marché. Cette version lénifiante du déterminisme historique n’est qu’une vaste foutaise. C’est une volonté collective qui est à l’œuvre, celle des élites européistes qui ont trouvé une formidable combine : tirer tous profits de la présence au gouvernement en se débarrassant des responsabilités qu’implique l’action gouvernementale. Il y a une « impuissance fabriquée », voire « souhaitée » par les principaux artisans de la construction européenne. Cette vérité est difficile à comprendre : les chefs de parti déploient une telle volonté de puissance qu’on espère toujours qu’il en restera quelque chose lorsqu’ils exerceront le pouvoir. Le volontarisme de Nicolas Sarkozy a séduit maints nostalgiques du général de Gaulle et François Hollande eut en 2012 quelques beaux accents avant d’aller plus avant sur la voie des redditions.

    Oh ! bien sûr, au fil des discours, on tente encore de nous vendre le rêve européen. Mais « qui se sent représenté aujourd’hui par le Parlement européen ? Qui peut avoir envie de s’en remettre aux inspirations de Manuel Barroso ? » ; la Cour de justice européenne, « c’est le sommet de l’aberration puisqu’elle prétend faire de la politique avec du droit » et le fédéralisme européen « c’est terminé ». Ces affirmations s’appuient sur des analyses approfondies, aux conclusions parfaitement angoissantes. Ainsi, « l’Union européenne est incapable de penser politiquement la mondialisation : sa logique spontanée est de s’y dissoudre ».

    Les peuples de l’Ouest-européen rejettent cet européisme dissolvant mais cela ne signifie pas que des insurrections populaires dans la rue ou dans les urnes provoqueraient immanquablement une renaissance politique car les peuples sont en proie à de rudes contradictions : on nous offre « la liberté totale de chacun et l’impuissance complète de tous » et nous vivons douloureusement l’individualisme… qui suppose « une socialisation intégrale de l’existence ».

    Marcel Gauchet n’est pas désespéré. La collectivité nationale peut se réaffirmer, l’Europe est à repenser sur le mode de la coopération et de grands hommes politiques pourraient tirer parti de nos contradictions pour le bien public s’ils nous expliquaient clairement comment on peut concilier la liberté individuelle et le projet commun. Ces grands hommes, nous ne les trouvons pas. Les tribuns des deux Fronts désignent d’autres impasses – celle du nationalisme, celle du socialisme hors-sol. Il faut donc à la France une nouvelle génération politique. Elle se formera grâce à ceux qui ont une pensée – une pensée rigoureuse à tous les sens du terme. L’urgence est de faire connaître les livres, les entretiens, les articles qui inspireront, chez quelques-uns, les engagements salvateurs. Il faut Aristote pour qu’il y ait Alexandre.

    ***

    (1)    Cf. sur ce blog les chroniques 84, 85, 86 et 87.

    (2)    Cf. la revue « Au fait », n° 3, septembre 2013. Pages 62-78.

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    Après l’aveuglement volontaire sur l’économie et maintes bévues, l’échec humiliant dans l’affaire syrienne (1). Faute de pouvoir arrêter maintenant ce cours funeste, essayons une nouvelle fois de comprendre ce qui se passe dans la tête de François Hollande. Il n’y aura pas de réplique efficace, à terme, si nous nous contentons de dénoncer la trahison sociale-libérale et la dérive atlantiste de l’équipe au pouvoir. Le hollandisme n’est qu’une illustration de la crise du Politique qui affecte cruellement les principaux pays de l’Union européenne.

    Dans un entretien récemment publié, Marcel Gauchet apporte sur ce point des explications décisives (2). Nous sommes « sous le règne d’une oligarchie qui tend à s’affranchir des mécanismes démocratiques au nom de la bonne gouvernance économique ». Cet état de fait est une spécificité ouest-européenne car il est intimement lié à l’idéologie et aux mécanismes de l’Union : ceux-ci  tendent à « vider les appareils politiques nationaux de toute substance » et à construire un appareil post-national et post-étatique régulé par le droit et l’économie – celui de la « gouvernance » qui remplacera les gouvernements élus.

    Cette évolution nous est présentée comme une nécessité et même comme une fatalité. Depuis les années cinquante du siècle dernier, le « dépassement des nations » est affirmé comme Loi de l’histoire – une histoire qui trouverait sa fin finale dans le divin marché. Cette version lénifiante du déterminisme historique n’est qu’une vaste foutaise. C’est une volonté collective qui est à l’œuvre, celle des élites européistes qui ont trouvé une formidable combine : tirer tous profits de la présence au gouvernement en se débarrassant des responsabilités qu’implique l’action gouvernementale. Il y a une « impuissance fabriquée », voire « souhaitée » par les principaux artisans de la construction européenne. Cette vérité est difficile à comprendre : les chefs de parti déploient une telle volonté de puissance qu’on espère toujours qu’il en restera quelque chose lorsqu’ils exerceront le pouvoir. Le volontarisme de Nicolas Sarkozy a séduit maints nostalgiques du général de Gaulle et François Hollande eut en 2012 quelques beaux accents avant d’aller plus avant sur la voie des redditions.

    Oh ! bien sûr, au fil des discours, on tente encore de nous vendre le rêve européen. Mais « qui se sent représenté aujourd’hui par le Parlement européen ? Qui peut avoir envie de s’en remettre aux inspirations de Manuel Barroso ? » ; la Cour de justice européenne, « c’est le sommet de l’aberration puisqu’elle prétend faire de la politique avec du droit » et le fédéralisme européen « c’est terminé ». Ces affirmations s’appuient sur des analyses approfondies, aux conclusions parfaitement angoissantes. Ainsi, « l’Union européenne est incapable de penser politiquement la mondialisation : sa logique spontanée est de s’y dissoudre ».

    Les peuples de l’Ouest-européen rejettent cet européisme dissolvant mais cela ne signifie pas que des insurrections populaires dans la rue ou dans les urnes provoqueraient immanquablement une renaissance politique car les peuples sont en proie à de rudes contradictions : on nous offre « la liberté totale de chacun et l’impuissance complète de tous » et nous vivons douloureusement l’individualisme… qui suppose « une socialisation intégrale de l’existence ».

    Marcel Gauchet n’est pas désespéré. La collectivité nationale peut se réaffirmer, l’Europe est à repenser sur le mode de la coopération et de grands hommes politiques pourraient tirer parti de nos contradictions pour le bien public s’ils nous expliquaient clairement comment on peut concilier la liberté individuelle et le projet commun. Ces grands hommes, nous ne les trouvons pas. Les tribuns des deux Fronts désignent d’autres impasses – celle du nationalisme, celle du socialisme hors-sol. Il faut donc à la France une nouvelle génération politique. Elle se formera grâce à ceux qui ont une pensée – une pensée rigoureuse à tous les sens du terme. L’urgence est de faire connaître les livres, les entretiens, les articles qui inspireront, chez quelques-uns, les engagements salvateurs. Il faut Aristote pour qu’il y ait Alexandre.

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    (1)    Cf. sur ce blog les chroniques 84, 85, 86 et 87.

    (2)    Cf. la revue « Au fait », n° 3, septembre 2013. Pages 62-78.

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  • Quand la réalité rattrape les donneurs de leçons...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Xavier Raufer, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré au clergé de la bien-pensance et à ses turpitudes...

     

    Tartuffe.jpg

    Quand la réalité rattrape les donneurs de leçons...

    " Selon divers besoins, il est une science
    D’étendre les liens de notre conscience
    Et de rectifier le mal de l’action
    Avec la pureté de notre intention "

    Molière, Le Tartuffe, acte IV, scène 5.

    Qu’un criminologue s’intéresse aux crimes et délits, quoi de plus normal ? Et mieux encore, aux infractions commises dans le champ du politique ? Car, bien sûr, la sécurité est surtout politique — là se situe même le pacte fondateur de l’État-nation, entre gouvernants et gouvernés. Souvenons-nous de la formule de Raymond Aron sur le rôle du souverain qui, aux origines de l’État-nation, doit d’abord rendre sa terre « respectée à l’extérieur, en paix à l’intérieur ».

    Or, considérons les gouvernants de la France d’aujourd’hui et le clergé — disons, plutôt, l’Inquisition — dont elle s’est dotée pour imposer sa propre morale à la population : on est frappé par leur proximité avec des affaires, soit sordides, soit criminelles.

    Les gouvernants, d’abord. Trois ministres, et non des moindres — Justice (!), Affaires étrangères et Santé —, ont des rejetons mis en cause ou condamnés pour des crapuleries parfois graves (vol à main armée, etc.). Des drames familiaux dont il est injuste d’accabler ces ministres, dit la presse aux ordres.

    Eh bien non, justement. Car ces ministres défendent, et vigoureusement, la théorie du genre et autres lubies sociétales libertaires, dont le fondement idéologique — cent fois martelé — est que la nature n’est rien, mais que tout tient à la culture et aux « constructions sociales », comme ils disent.

    Comment croire à la fois qu’à sa naissance, l’enfant est une pâte vierge, sans hérédité qui vaille — tout en lui relevant donc forcément d’une éducation dont les parents sont pleinement responsables — et s’exonérer ensuite du fait que cet enfant, par eux éduqué, a mal tourné ? En toute logique, les théories du genre impliquent forcément la responsabilité de l’éducateur, qui ne peut exciper d’un néfaste chromosome venu d’ailleurs, ou de loin.

    Passons au clergé. Il exerce surtout son emprise moralisatrice dans le domaine du racisme, notamment par le biais de l’association SOS Racisme. À propos du racisme, d’abord ceci. Comme jadis les maoïstes, les criminologues ont leur Petit Livre rouge : le Code pénal. Le racisme est une infraction visée par ce code : il n’y a pas à y revenir. Si, dans sa collective sagesse, le corps législatif a fait du racisme une infraction, ainsi soit-il.

    Ce qui pose problème, en revanche, c’est l’utilisation — chantage, disqualification — que des gauchistes grimés en humanistes font de cette infraction. Avant de commettre eux-mêmes, à l’abri de ce rôle moral, une kyrielle de délits. Voyons donc ce que font nos Tartuffes, éternels donneurs de leçons.

    D’abord les Tartuffes violents.

    En 2007, Me Francis Terquem, avocat de SOS Racisme et du MRAP, figure emblématique de la « gauche morale », est accusé par son épouse d’avoir « tenté de l’étrangler avec une laisse de chien ». Il avait été condamné en 2006 pour « escroquerie au jugement ».

    Lilian Thuram, dont l’AFP nous dit ce mois-ci qu’il dirige une fondation contre le racisme et qui, selon la plainte de son amie, l’aurait « agrippée par les cheveux, et poussée contre le réfrigérateur ». Pressions ? L’amie retire bientôt sa plainte et parle d’ « éléments sans gravité » et de « l’estime la plus profonde » qu’elle a pour son ex-compagnon. Rappel historique : déjà à Byzance, s’en prendre à une icône vous valait de sérieux ennuis…

    Ensuite les Tartuffes filous.

    Harlem Désir, « ex-icône antiraciste devenu bon soldat » comme le roucoule Les Échos (19/10/2012), condamné en décembre 1998 pour recel d’abus de biens sociaux – un emploi fictif alors même qu’il dirige SOS Racisme.

    Et Julien Dray, « rappelé à la loi » avec une considérable mansuétude par le procureur de Paris, pour un superbe festival de carabistouilles financières… frais non justifiés… transferts anormaux… encaissement de chèques et restitutions en espèces… flux financiers atypiques… chèques trafiqués… fausses factures… À faire pâlir de jalousie les plus habiles experts ès carambouilles.

    Et — le sort s’acharne — l’ex-secrétaire de M. Dray, Samira Z., mise en examen pour « vol avec arme », le braquage d’une bijouterie de Lorient commis avec son compagnon, braqueur et dealer de stupéfiants.

    Et Faouzi L, « conseiller à l’égalité et à la diversité » de M. François Hollande, poursuivi en décembre 2012 pour « faux et usage de faux ».

    Et Arezki D., autre idole antiraciste, visé puis condamné en septembre 2011 pour « escroquerie, corruption et trafic d’influence » – il vendait des inscriptions universitaires indues à des étudiants étrangers.

    Et l’humoriste, parrain de SOS Racisme, Jean-François D. condamné pour avoir traité de « sale nègre » un agent de sécurité.

    Et Patrick L, fondateur et président du Conseil représentatif des associations noires, poursuivi pour « blanchiment » et « abus de confiance », des mouvements de fonds bizarres avec le World Children’s Fund, objet en 2009 d’une information judiciaire pour « abus de confiance et escroquerie ».

    Arrêtons-nous là, nous lasserions le lecteur. Car, au fond, la méthode est ancienne. Molière, déjà, avec le Tartuffe. Complétons par deux experts de la noirceur de l’âme humaine, Céline et Philippe Muray.

    Céline (Mea culpa) : « Parler morale n’engage à rien ! Ça pose un homme, ça le dissimule. Tous les fumiers sont prédicants ! Plus ils sont vicelards, plus ils causent. »

    Philippe Muray (L’Empire du bien) : « Une seule déclaration philanthrope vous ouvre des paradis fiscaux plus vastes, encore mille fois plus inattaquables que les îles Caïmans ou Panama. »

    Xavier Raufer (Boulevard Voltaire, 21 septembre 2013)

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  • Une triple défaite française...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 17 septembre 2013 et consacrée à la défaite diplomatique française dans l'affaire syrienne. L'analyse, encore une fois, est d'une cruelle lucidité...

     


    Syrie : une triple défaite française par rtl-fr

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  • Sortir de l'Euro pour sortir de la crise ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de l'économiste Jacques Sapir, cueilli sur Causeur et consacré à la sortie de l'euro comme mesure nécessaire à la sortie de la crise...

     

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    Pour sortir de la crise, sortons de l'euro

    Depuis la fin du printemps, un concert de « bonnes nouvelles » nous vient des pays d’Europe du Sud. La croissance reviendrait au Portugal et en Espagne, et même en Grèce. Les taux se maintiennent à un niveau considéré comme « raisonnable ». En bref, la crise de la zone Euro serait derrière nous. Pourtant, à mieux y regarder, on peut sérieusement douter de la réalité de ces affirmations.

    Sommes-nous sortis de la Crise ?

    Il y a beaucoup de manipulations, mais un peu de vérité dans ces affirmations. Commençons par le peu de vérité qu’elles contiennent. Oui, la crise est en train d’atteindre un plancher. C’est évident en Espagne où le chômage semble désormais stabilisé, quoiqu’à un niveau très élevé (25% de la population active). La crise ne semble plus s’aggraver ces derniers mois, mais ceci est loin d’être équivalent avec une sortie de crise. Ajoutons que des nuages plus que noirs s’accumulent à l’horizon : le crédit est toujours en train de se contracter (en particulier en Italie et en France), l’investissement se réduit toujours (et avec lui les perspectives de croissance future). Rien ne permet de dire que les pays d’Europe du Sud vont trouver dans les prochains mois le ressort d’une croissance leur permettant d’effacer la crise qu’ils connaissent. La perspective d’une nouvelle crise politique en Italie, venant s’ajouter aux difficultés économiques (notamment la montée des impayés dans le bilan des banques, indicateur très sûr d’une économie fragile), est une forte probabilité.

    On peut d’ailleurs estimer que l’amélioration de la balance commerciale dans ce pays est liée à la chute des importations et non à une hausse des exportations. Compte tenu de l’importance de l’économie italienne, qui est la troisième économie de la zone Euro, il est donc clair que la zone Euro est loin, très loin, d’être tirée d’affaires.

    Au mieux, la crise va durer au même niveau qu’aujourd’hui. Au pire, et c’est ce que l’on peut craindre quand on regarde l’évolution du crédit et de l’investissement, après cette pause provisoire, les résultats devraient recommencer à se dégrader dès la seconde moitié de 2014. D’ores et déjà, il est clair qu’il faudra un nouveau plan de sauvetage pour la Grèce d’ici la fin de 2013.

    Ceci nous conduit aux manipulations, largement évidentes dans nombre de médias. On ne parle plus que de la « reprise » alors que l’ensemble des indicateurs reste très inquiétant. Il y a un consensus dans une partie de la presse, essentiellement pour des raisons politiques, qui conduit à proclamer ce retour à la croissance alors que tout le dément. On a eu un exemple de ces pratiques à propos des statistiques du chômage en France. Ceci est instructif, tant quant à l’état de certains médias en France que du point de vue plus général de l’attitude des élites sur ce problème. Alors que l’on continue de discuter de la crise de l’euro en Allemagne, en Italie et en Espagne, le thème semble avoir disparu en France.

    La crise en perspective.

    La zone Euro a souffert de plusieurs maux : l’absence de flux financiers massifs pour égaliser les structures économiques des pays membres ; une Banque Centrale indépendante calée sur une politique inopérante ; et une politique de déflation salariale initiée par l’Allemagne, s’apparentant à une politique de « passager clandestin »– aussi qualifiée « d’opportuniste » ou de « non-coopérative » – qui a exacerbé les tendances préexistantes aux évolutions inégales des salaires et de la productivité.

    Il faut ici rappeler que la crise de la zone Euro ne date pas des années 2010-2011, mais qu’elle a des racines bien plus anciennes. L’introduction de l’Euro impliquait aussi une politique monétaire unique pour les pays de la zone. Or, tant les conjonctures économiques que les déterminants structurels de l’inflation –les problèmes de répartition des revenus, mais aussi la présence de chaînes logistiques plus ou moins sensibles à des hausses de prix susceptibles de se reporter – entraînent des taux d’inflation structurelle différents selon les pays. Cette situation résulte de la présence de rigidités importantes dans l’économie, qui invalident la thèse d’une « neutralité » de la monnaie.

    Cependant, dans le cadre d’une monnaie unique, les divergences d’inflation ne peuvent être trop importantes en raison des problèmes de compétitivité interne à la zone. Un certain nombre de pays ont alors dû avoir une inflation inférieure à leur niveau structurel. Cela les a, par suite, conduits à avoir un taux de croissance inférieur à leur taux de croissance optimal (Italie, Portugal). De fait, ces pays ont perdu sur les deux tableaux : en compétitivité et en niveau de croissance.

    Si l’économie européenne va de langueur en récession depuis 2000, c’est bien à cause de l’Euro. Le fait que l’Allemagne ait tiré son épingle du jeu confirme cela, tant en raison des avantages comparatifs spécifiques de ce pays que de la politique qui y a été menée depuis 2002 (les « réformes » Harz-IV). L’Euro est au cœur du problème de l’Europe. Il condamne la majorité des pays l’ayant adopté à la récession ou à la crise, comme en Europe du Sud. L’Allemagne a « exporté » vers ces autres pays entre 4 et 5 millions de chômeurs.

    L’option d’un fédéralisme européen, outre les problèmes politiques qu’elle introduit, se heurte à l’ampleur des flux de transferts que l’Allemagne devrait consentir au bénéfice des pays de l’Europe du Sud. L’Allemagne supporterait en effet 90% du financement de la somme de ces transferts nets, soit entre 220 et 232 milliards d’euros par an (ce qui équivaut à 2200 à 2320 milliards sur dix ans), entre 8% et 9% de son PIB. D’autres estimations donnent des niveaux encore plus élevés, atteignant 12,7% du PIB. Il convient donc d’en tirer toutes les conséquences : le fédéralisme n’apparait pas comme une option réaliste pour les pays de l’Europe du Nord et en premier lieu pour l’Allemagne. Il est sans objet de la présenter comme une possible solution.

    La dissolution, seul horizon raisonnable ?

    L’ampleur de la récession qui frappe de nombreux pays annonce un retour de la crise. La solvabilité des États n’est plus garantie. L’effondrement des ressources fiscales dans de nombreux pays constitue un accélérateur de la crise. Cette situation témoigne bien de la présence de défauts structurels dans la conception et dans la mise en œuvre de la monnaie unique. Ces derniers, trop longtemps niés ou minimisés, sont aujourd’hui en passe d’être reconnus

    Une dissolution de la zone Euro ne serait pas une « catastrophe » comme on le prétend souvent, mais au contraire une solution salvatrice pour l’Europe du Sud et la France. C’est ce que montre l’étude « Les Scénarii de Dissolution de l’Euro », publiée au début du mois de septembre. On peut y lire, suivant les différentes hypothèses étudiées, non seulement l’effet très bénéfique des dévaluations sur l’économie française, mais aussi sur celles des pays aujourd’hui ravagés par la crise, comme la Grèce, le Portugal ou l’Espagne. Bien entendu, suivant les hypothèses retenues, à la fois sur le caractère plus ou moins coopératif de cette dissolution mais aussi sur la politique économique suivie, les estimations de la croissance divergent. Au pire, il faut s’attendre à une croissance cumulée de 8% la troisième année après la fin de l’Euro et au mieux une croissance de 20%. Pour l’Europe du Sud, la croissance cumulée est en moyenne de 6% pour l’Espagne, de 11% pour le Portugal et de 15% pour la Grèce dans l’hypothèse la plus défavorable pour ces pays. Une première leçon s’impose alors : la dissolution de la zone Euro ramènerait la croissance dans TOUS les pays d’Europe du Sud et provoquerait une baisse massive et rapide du chômage. Pour la France, on peut estimer la baisse du nombre de chômeurs de 1,0 à 2,5 millions en trois ans. Par ailleurs, cela rétablirait l’équilibre des régimes de retraites et de protection sociale. Dans le cas de la France, ce retour à l’équilibre serait très rapide (en deux ans). Il aurait des effets importants sur les anticipations des ménages dont l’horizon serait dégagé des inquiétudes que font peser des réformes à répétition. La consommation augmenterait, et avec elle la croissance, même si on ne peut estimer cet effet. Cette dissolution redonnerait à l’Europe du Sud sa vitalité économique, mais serait aussi profitable à l’Allemagne, car une Europe du Sud en expansion continuerait de commercer avec son voisin du nord après un réajustement des compétitivités.

    Les inconvénients seraient très limités. Compte tenu des taxes, l’impact d’une dévaluation de 25% par rapport au Dollar sur les prix des carburants ne provoquerait qu’une hausse de 6% à 8% du produit « à la pompe ». L’Euro disparu, les dettes des différents États seraient re-libellées en monnaie nationale.

    Une telle politique imposerait aussi des contrôles des capitaux dans chaque pays. Notons que c’est déjà le cas à Chypre ! Ces contrôles, outre qu’ils contribueraient à définanciariser ces économies, limiteraient considérablement la spéculation et permettraient aux Banques Centrales de viser des objectifs de parité. Une fois ces parités atteintes, un système de fluctuations coordonnées des monnaies, comme du temps de l’ECU, pourrait être mis en place. Historiquement, ce qui a sonné le glas de ce système a été la spéculation monétaire. Celle-ci supprimée, ou fortement réduite, le système pourrait à nouveau fonctionner.

    De la « monnaie unique » à la « monnaie commune » ?

    Cette idée attire un certain nombre de personnalités politiques. Et elle est loin d’être absurde, bien au contraire. En fait, une monnaie commune aurait dû être adoptée dès le début.

    De quoi s’agit-il donc ? On peut imaginer que le système monétaire européen reconstitué que l’on aurait à la suite de la dissolution de l’Euro débouche sur une monnaie commune venant s’ajouter aux monnaies existantes, qui serait utilisée pour l’ensemble des transactions (biens et services mais aussi investissements) avec les autres pays.

    Cette dissolution de la zone Euro, si elle résulte d’un acte concerté de la part des pays membres, devrait donner naissance à un système monétaire européen (SME) chargé de garantir que la nécessaire flexibilité des changes ne tourne pas au chaos. Si un tel système est mis en place, il aurait nécessairement des conséquences importantes sur le système monétaire international.

    Ce système correspondrait en réalité à l’existence d’une monnaie conçue comme une unité de compte venant s’ajouter aux monnaies nationales existantes. Cette situation serait très propice à la résurrection de l’Euro, mais sous la forme d’une monnaie commune

    Ceci donnerait à l’Europe à la fois la flexibilité interne dont elle a besoin et la stabilité vis-à-vis du reste du monde. Un « panier de monnaie » étant intrinsèquement plus stable qu’une monnaie seule, cette monnaie commune pourrait devenir à terme un puissant instrument de réserve, correspondant aux désirs exprimés par les pays émergents des BRICS.

    La dissolution de l’Euro, dans ces conditions, signerait non pas la fin de l’Europe comme on le prétend mais bien au contraire son retour gagnant dans l’économie mondiale, et qui plus est un retour qui profiterait massivement, tant par la croissance que par l’émergence à terme d’un instrument de réserve, aux pays en développement d’Asie et d’Afrique.

    Jacques Sapir (Causeur, 18 septembre 2013)

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  • Russie en première ligne et Israël en retrait...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à Nicolas Gauthier et publié sur Boulevard Voltaire. Alain de Benoist y évoque le rôle de la Russie et la position d'Israël dans la crise syrienne...

     

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    Russie en première ligne et Israël en retrait

    Valse et tango en Syrie, un pas en avant et deux ou trois en arrière. L’embrasement du proche et du Moyen-Orient que vous laissiez prévoir il y a quelques jours est-il inéluctable ?

    Aux dernières nouvelles, l’option diplomatique semble devoir l’emporter. Mais pour combien de temps ? Ce dont il faut être conscient, c’est que dans toute cette affaire il existe un parti de la guerre, qui est loin de se cantonner aux États-Unis. Le chaos ne lui fait pas peur, puisque c’est précisément ce qu’il cherche à instaurer. L’objectif a été exposé de longue date, notamment par les auteurs “néocons” du « Projet pour un nouveau siècle américain » : il s’agit d’éliminer dans toute la région les pouvoirs stables et forts, de balkaniser les pays les plus puissants et d’instaurer partout un état, jugé profitable, de guerre civile endémique et de chaos. C’est la mise en œuvre du vieux principe « diviser pour régner ».

    De ce point de vue, la crise syrienne doit être replacée dans une perspective historique. Les États-Unis n’ont cessé, depuis des décennies, de combattre les mouvements nationalistes arabes laïcs et de soutenir les islamistes sunnites les plus radicaux. Ils le faisaient déjà à l’époque de Nasser. En Afghanistan, au temps de l’occupation soviétique, ils ont apporté leur appui aux Talibans. Aujourd’hui, alors même qu’ils sont en train d’acquérir une indépendance énergétique qui devrait à terme les rendre moins dépendants des pétromonarchies, ils restent plus que jamais fidèles à leur alliance avec une Arabie saoudite qui encourage dans tout le monde arabe le wahhabisme et le massacre des chiites. Pour le parti de la guerre, la Syrie est une opportunité parmi d’autres. C’est la raison pour laquelle le Proche-Orient reste un bouillonnant chaudron dont peut très bien sortir une nouvelle guerre mondiale.

    Vladimir Poutine n’en finit plus de tirer la sonnette d’alarme. Ces mises en garde peuvent-elles être suivies d’effets ? Et que penser du rôle de nos médias après le témoignage de Domenico Quirico et Pierre Piccinin, journalistes retenus en otages en Syrie par l’ASL et qui imputent l’usage d’armes chimiques aux rebelles ?

    Chaque jour qui passe donne un peu plus à penser que l’emploi des armes chimiques dans la région de Damas est un montage qui n’est pas sans faire penser à celui de Timisoara. Quant à Poutine, il ne se borne plus à tirer la sonnette d’alarme, puisque ce sont ses initiatives qui ont déterminé l’évolution de la crise. En prenant au mot John Kerry, qui avait annoncé que les États-Unis pourraient renoncer à frapper Damas au cas où le régime syrien renoncerait à son stock d’armes chimiques, il s’est révélé comme un joueur d’échecs de haut niveau. À la faveur de l’affaire syrienne, et dans un contexte qui n’a plus rien à voir avec celui de la Guerre froide, la Russie a retrouvé ses prérogatives de grande puissance. Dans les années qui viennent, la politique internationale ne pourra plus compter le Kremlin comme une force négligeable. La géopolitique, du même coup, a retrouvé ses droits. Ce grand retour de la Russie est un événement historique de première grandeur. À un moindre niveau, le refus du Parlement britannique d’approuver la guerre d’agression qu’envisageaient de lancer David Cameron, Barack Obama et le petit Hollande, est un autre événement historique. L’hostilité massive à la guerre manifestée par une opinion publique américaine échaudée par les mensonges de l’administration Bush et les résultats catastrophiques des interventions militaires en Irak et en Afghanistan est aussi un phénomène nouveau, dont il ne faut pas sous-estimer l’ampleur.

    Depuis le début de l’affaire, on a senti Barack Obama lui-même réticent. Comme s’il voulait demeurer fidèle à son discours inaugural, prononcé au Caire dès son intronisation à la Maison Blanche. Comme si l’homme était écartelé entre des forces opposées…

    Obama est de toute évidence soumis à des pressions contradictoires : le Pentagone, par exemple, est beaucoup moins favorable à une intervention en Syrie que ne le sont les néoconservateurs du Congrès. Il sait aussi que l’argument de la « ligne rouge » correspondant à l’usage des armes chimiques peut se retourner contre lui. Depuis les bombes de Hiroshima et de Nagasaki, les États-Unis n’ont eux-mêmes cessé d’employer des armes « de destruction massive » : bombes au phosphore, napalm, agent Orange, défoliants divers, munitions à l’uranium appauvri, etc. En 1990, les Américains avaient déclaré posséder 30 000 tonnes d’armes chimiques ! Ils s’étaient engagés à les détruire avant 2012, ce qui est loin d’avoir été fait. Les 2611 tonnes de gaz moutarde aujourd’hui entreposées à Pueblo, dans le Colorado, pour ne citer qu’elles, ne pourront pas être détruites avant 2018. Les armes chimiques stockées dans le Kentucky ne le seront au mieux qu’en 2023. Quant à la Convention pour la destruction des armes chimiques, à laquelle la Syrie a maintenant décidé d’adhérer, Israël fait partie des pays qui l’ont signée, mais ne l’ont jamais ratifiée.

    Dans cette affaire, précisément, le silence le plus bruyant aura été celui d’Israël. Qu’en déduire ? Qu’en conclure ?

    On pourrait penser qu’Israël a choisi de faire profil bas pour ne pas apparaître ouvertement comme le principal bénéficiaire d’une frappe américaine en Syrie. L’AIPAC, qui représente le lobby israélien aux États-Unis, n’en a pas moins appelé Obama à faire usage au plus vite de ses missiles. Mais en fait, là aussi, les experts sont divisés. Il y a d’un côté ceux qui préfèrent voir Bachar el Assad rester au pouvoir au motif que c’est au moins un ennemi prévisible (qui a d’ailleurs laissé Israël occuper les hauteurs du Golan), et de l’autre ceux qui préféreraient à tout prendre voir les djihadistes s’emparer du pouvoir en Syrie au motif que le chaos qui s’ensuivra créerait en fin de compte une situation plus favorable, l’essentiel étant de supprimer un allié du Hezbollah au Liban et surtout de l’Iran, considéré comme le « grand Satan » le plus dangereux. Evoquant à la fois el Assad et la rébellion, Alon Pinkas, ancien consul général d’Israël à New York, déclarait ces jours-ci : « Le mieux serait qu’ils saignent à mort tous les deux ». Qu’en sera-t-il si une nouvelle provocation des rebelles syriens devait demain viser Israël, ainsi que Poutine en a évoqué la possibilité ? Une situation aussi périlleuse, où tout peut être remis en cause d’un jour à l’autre, demande pour être correctement analysée des compétences que François Hollande et Laurent Fabius n’ont visiblement pas.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 15 septembre 2013)

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