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Points de vue - Page 299

  • Bougisme et présentisme...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à l'omniprésence de la technique dans nos vie...

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    Facebook ? Le simulacre des « amis » sans amitié...

    Naguère, les polémiques politiques venaient d’émissions fracassantes à la télévision ou de dépêches de l’AFP. Aujourd’hui, c’est Twitter ; soit le règne de l’immédiateté. Comme si le temps de la réflexion avait tendance à se raccourcir…

    Toutes les dimensions constitutives de la temporalité sont aujourd’hui rabattues sur le moment présent. Ce « présentisme » fait partie de la détresse spirituelle de notre époque. Twitter n’en est qu’un exemple parmi d’autres. L’importance qu’on donne aujourd’hui aux tweets est une sorte d’assomption métaphysique de la brève de comptoir. Elle mesure une déchéance. C’est la raison pour laquelle je ne « tweete » jamais. Je n’ai pas non plus de compte Facebook. Je n’utilise ni « smartphone », ni « Blackberry », ni tablette tactile, ni iPad, ni iPod, ni aucun autre gadget pour petits-bourgeois numérisés et connectés. D’ailleurs, je me refuse même à avoir un téléphone portable ; car l’idée de pouvoir être joint en permanence m’est insupportable. La disponibilité totale relève d’un idéal de « transparence » totalitaire. Il faut lui opposer des opacités bienfaisantes.

    Vous êtes technophobe ?

    Je ne suis pas technophobe, mais je suis profondément préoccupé par ce technomorphisme qui transforme nos contemporains en prolongement de leur télécommande ou en terminal de leur ordinateur. Je crois que la technique n’a rien de neutre, et qu’elle cherche à nous soumettre à sa logique propre. De même que ce n’est pas nous qui regardons la télévision, mais la télévision qui nous regarde, ce n’est pas nous qui faisons usage de la technique, mais la technique qui se sert de nous. On le réalisera mieux encore quand nous aurons des codes-barres et des puces RFID insérés sous la peau – ou lorsqu’on aura réalisé la fusion de l’électronique et du vivant. On ne peut, dans le monde actuel, faire l’économie d’une réflexion sur la technique, dont la loi première est que tout ce qui devient techniquement possible sera effectivement réalisé. Comme l’écrit Heidegger, « Nous pouvons utiliser les choses techniques, nous en servir normalement, mais en même temps nous en libérer, de sorte qu’à tout moment nous conservions nos distances à leur égard. Nous pouvons dire “oui” à l’emploi inévitable des objets techniques et nous pouvons en même temps lui dire “non”, en ce sens que nous les empêchions de nous accaparer et ainsi de fausser, brouiller et finalement vider notre être. » Dans le rapport à la technique, c’est l’humanité de l’homme qui est en jeu.

    On peut certes gloser sur ce « bougisme » que nous impose Internet. Mais au moins a-t-il l’avantage de permettre aux citoyens de base que nous sommes de prendre part au débat. Vous qui n’aviez rien contre la « démocratie participative » prônée par Ségolène Royal lors de l’élection présidentielle de 2007, quelles éventuelles réflexions ce changement de donne peut-il vous inspirer ?

    Comme toute forme de démocratie, la démocratie participative exige un espace public où puisse s’exercer la citoyenneté, c’est-à-dire d’un espace radicalement distinct de l’espace privé où se meut la « société civile ». Internet fournit des sources d’information alternatives, mais il est avant tout un outil de surveillance totale. Rapporté aux exigences démocratiques, il n’est qu’un simulacre. Jean Baudrillard l’avait déjà dit il y a vingt ans : nous vivons au temps des simulacres. Les touristes qui visitent la grotte de Lascaux n’en visitent aujourd’hui qu’une copie. En ce moment, un théâtre parisien propose un opéra « virtuel » où la cantatrice vedette n’est qu’une image de synthèse, un hologramme. Les imprimantes en trois dimensions peuvent désormais produire des répliques d’œuvres d’art qui ne se distinguent plus de l’original, relief compris. Elles produiront demain des organes humains. Walter Benjamin avait écrit en 1935 un beau texte méditatif sur « L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique ». Nous n’en sommes déjà plus là, car la réplique va très au-delà de la copie. Elle abolit même la notion de copie. Le virtuel est cette catégorie immatérielle dans laquelle nous fait vivre le monde des écrans. Il ne relève ni du réel, ni de l’irréel, ni même du surréel. Il relève de cet hyperréel qui prend peu à peu la place de la réalité sans que nous nous en rendions compte. À terme, c’est l’univers de Matrix qui se dessine à l’horizon.

    Dans votre revue Eléments, dont vous fêtez cette année le quarantième anniversaire, vous évoquez souvent la perte du lien social. Si on vous objecte que les « réseaux sociaux » peuvent être une façon de le retisser, cela vous fait-il sauter au plafond ?

    Cela me fait plutôt sourire. Ces « réseaux sociaux » n’ont de « sociaux » que le nom. Ils ne proposent eux aussi qu’un simulacre de socialité. Avec Facebook, on noue des liens avec des « amis » qu’on ne verra jamais, on visite des pays où l’on ne mettra jamais les pieds. On bavarde, on se défoule, on se raconte, on inonde la terre entière de propos insignifiants, c’est-à-dire qu’on met la technique au service du narcissisme immature. La dé-liaison sociale est le fruit de la solitude, de l’anonymat de masse, de la disparition des rapports sociaux organiques. Elle résulte du fait que l’on se rencontre de moins en moins. La socialité véritable exige l’expérience directe que le monde des écrans tend à abolir. La seule utilité de Facebook est de mettre à la disposition de la police plus d’informations sur nous-mêmes qu’aucun régime totalitaire ne pouvait hier espérer en rassembler. Libre aux naïfs de contribuer eux-mêmes à renforcer les procédures de contrôle dont il leur arrive par ailleurs de se plaindre !

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 1er décembre 2013)

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  • Zemmour répond au Point...

    Dans une chronique vigoureuse, datée du 29 novembre 2013, Eric Zemmour répond au magazine Le Point et à son dossier sur les "nouveaux conservateurs à la française"...

     


    "Non, les conservateurs, ce sont eux !" par rtl-fr

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  • Le Point découvre un complot néocons...

    Nous reproduisons ci-dessous une analyse de François Bernard Huyghe, cueilli sur son site huyghe.fr et consacré au dossier du magazine Le Point de cette semaine. Quand Franz-Olivier Giesbert (FOG) et ses petits camarades se livrent à une subtile opération de brouillage idéologique...

     

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    Le Point découvre un complot néocons

    Curieuse stratégie sémantique du Point qui, cette semaine, dénonce sur sa couverture "Les néocons", gens dont on nous révèle qu'ils "détestent" l'Europe, le libéralisme et la mondialisation, qu'ils représentent "le triomphe de l'idéologie du repli" et qu'ils on des "réseaux à gauche et à droite". La photo de la même couverture montre un château de sable, dont la dérisoire fragilité, rassure ceux que le titre aurait affolés et qui songeraient déjà à émigrer avant qu'on n'ouvre des Guantanamo en France.
     
    Des noms ? Outre les inévitables et médiatisés Zemmour ou Polony, sont convoqués au tribunal Chevénement, Marine Le Pen, Montebourg,  Guaino, Debray, Buisson, Michéa, Dupont-Aignan, Cochet, c'est-à-dire des gens qui s'inscrivent sur un arc allant de l'extrême-droite à l'extrême-gauche de l'éventail politique mais à qui le journal prête une triple phobie commune (libéralisme, mondialisation, Bruxelles). Cela les mettrait dangereusement en contradiction avec le sens de l'histoire : leur vrai ancêtre, révèle le Point, est Maginot, constructeur de la ligne du même nom et que symbolisait le château de sable (passons sur le fait que le très modéré général Maginot, ministre de Millerand ou de Tardieu puisse difficilement être considéré comme un ultra-réac en rupture avec les valeurs de son époque). 
    Par ailleurs, si l'on prend le critère du "contre", pourquoi ne pas intégrer Abdelhakim Dekhar qui a attaqué BFM, Libération et la Société Générale - symboles incontestables de la même trilogie libéralisme, EU, mondialisation - dans la liste ? Ou Besancenot ? Ou les bonnets rouges ?

    Cela rappelle un peu l'affaire dite des "nouveaux réactionnaires", un pamphlet ("Le rappel à l'ordre") de D. Lindenberg publié il y a onze ans et qui, d’Alain Finkielkraut à Jacques Julliard, de Philippe Sollers à André Glucksmann, de Michel Houelbeck à Alain Minc, de Luc Ferry à Pascal Bruckner, d'Alain Badiou à P. A. Taguieff, dressait la liste des auteurs coupables du même crime contre l'esprit. Crime dont l'auteur semblait penser qu'il consisterait à trahir leur mission d'intellectuels en prenant fait et cause contre le voile islamique, en s'inquiétant des émeutes de banlieue ou en réclamant de la discipline à l'école. 

    Bien entendu, les critères de Lindenberg (ne dénonçant que des intellectuels et s'appuyant sur des critères plus "sociétaux" pour définir le crime) ne sont pas ceux du Point, plus droitiers. Les premiers conspirateurs (ceux du "rappel à l'Ordre") sont plutôt des anti bobos se réclamant de la République, les seconds, ceux du Point, sont décrits comme des nuls en économie, frileusement repliés sur la Nation. L'hebdomadaire se place surtout du point de vue d'un supposé réalisme économique, même s''il doit concéder qu'il se trouve aussi des économistes sérieux pour contester les bienfaits de l'euro et du lasser-passer. 
    Le Point a parfaitement le droit de chanter les bienfaits du libre-échange, de la commission européenne et de la mondialisation heureuse. Et de considérer tous ceux qui pensent autrement comment destinés aux poubelles de l'histoire (mais en ce cas, pourquoi nous peindre leurs rapprochements supposés comme redoutables ?). On peut moins apprécier  la technique du "Machin à rencontré Truc qui a voté Chose qui, comme lui, est hostile à l'Otan..". Passons... Si l'hebdomadaire s'était borné à s'en prendre aux souverainistes ou au eurosceptiques, et à leur prêter des niaiseries et des connivences, en titrant "tous nuls en économie", il n'y aurait rien à redire, nous resterions dans le cadre du débat, primaire, mais du débat.

    Notre embarras vient l'emploi du terme "néocons" qui a une connotation historique précise : la guerre d'Irak . À l'époque, tout le monde (y compris l'auteur de ses lignes) écrivait sur ces idéologues qui avaient poussé G.W. Bush à  renverser le régime de Bagdad (en attendant, espéraient-ils de s'en prendre à la Syrie, à l'Iran). Passons sur le fait que probablement 100% de ceux qu'épingle le Point aient été opposés à cette guerre.
    Le problème est que les néocons américains sont des partisans affirmés de la mondialisation et du libre-échange planétaire. Quant à l'U.E. c'est une institution dont ils ne cessent de faire l'éloge, le seul reproche qu'ils aient fait  à lui faire  étant que certains États européens (qui n'ont pas suivi en Irak)  profitent  de la protection militaire américaine mais refusent de s'engager dans des conflits qui intéresse le camp des démocraties.
    L’essentiel du discours néo-conservateur est un  mélange de scepticisme et d’idéalisme.  Scepticisme à l'égard du multilatéralisme des concessions, des solutions diplomatiques. Les néocons sont  persuadés de l’excellence des principes de liberté incarnés par l’Amérique et, en ce sens, ils ont bien davantage le culte des droits de l’homme que d’autres situées plus à leur gauche. Surtout, ce sont des wilsoniens musclés : ils pensent qu’ils ont le devoir de faire un usage moral du pouvoir militaire pour combattre ce qu'ils appellent les quatre fascismes : nationaliste, nazi, (brun), communiste (rouge) et islamiste (vert). Quand des néocons emploient des formules aussi niaise que «An end to Evil» (il faut mettre fin au mal, titre d’un best-seller de Richard Perle), ils sont moins utopistes qu’optimistes. 

    Ils croient que les dictatures ne demandent qu’à s’effondrer et les peuples qu’à adopter la démocratie, une fois débarrassés de leurs tyrans. Ils croient que l’adversaire n’est jamais fort que de votre propre faiblesse. Ils croient que l’Histoire leur a donné raison sous Reagan et sous G.W. Bush. Ils croient que l’audace paie toujours et le compromis jamais. Ils croient que leur modèle étant le meilleur tout homme doté de raison et à qui on donne la liberté de l’information et du choix, finira par l’adopter avec reconnaissance.Ils croient qu'il faut affirmer toujours des valeurs universelles démocratiques et lutter contre tous les relativismes.
     Ajoutons que les néoconservateurs ont dit du bien de Sarkozy au moment de la Libye, de Hollande au moment du Mali et de Fabius au moment de la négociation avec l'Iran. Tandis que, pour la presse néoconservatrice Chevénement est un paléo-stalinien et Marine Le Pen, une dangereuse chauvine populiste.

    À ce compte, en jouant sur le sens du mot "liberal" outre-Atlantique, où il est à peu près équivalent de "gauchiste" ou de "soixante-huitard" chez nous, pourquoi ne pas titre "les néo-libéraux attaquent",  pour présenter  un numéro sur Christine Taubira, Nicolas Demoran et Cécile Duflot ?

    François-Bernard Huyghe (huyghe.fr, 29 novembre 2013)

     

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  • Hantés par la Chine ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 26 novembre 2013 et consacrée aux grandes manœuvres géopolitiques des États-Unis dont le souci exclusif semble être devenu la montée en puissance de la Chine...

     

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  • L'Essec m'a tuer...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue, cueilli sur A moy que chault ! et consacré à la trahison de la bourgeoisie française...

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    L'Essec m'a tuer

    La droite école de commerce qui fait des blagues racistes autour d'un barbecue dans le parc de la maison secondaire de bon papa à l'île de Ré me file de l'urticaire. Pour être plus proche de la réalité, je devrais dire qu'elle me fait gerber. Mais trop de dégueulis tue le dégueulis, et comme autrefois, selon les préceptes de Chateaubriand, il fallait être économe de son mépris, il convient désormais d'être avare de ses nausées.

    On me rétorquera sans doute qu'il y a des cibles plus prioritaires, des ennemis plus absolus, des néfastes plus immédiats.. Je ne le crois nullement, car il est normal, sinon impérieux, de demander – d'exiger même - des comptes à ceux qui ont tant reçu et qui prétendent encore davantage... Car comme le poisson qui pourrit toujours par la tête, c'est bien plus dans les salons dorés et les conseils d'administration que dans les banlieues et les halls d'immeubles taggués qu'ont été scellés et entérinés le bradage et l'avilissement de notre nation... C'est parce que ses « élites » - sociales et financières à défaut d'autre chose - ont abandonné le domaine public au profit du seul bénéfice personnel et familial que la maison France s'est effondrée aussi rapidement... C'est parce que les nobles « conservateurs » ont dédaigné – et continuent de moquer – la culture, l'éducation et l'intérêt général pour se vouer au culte passionnel de la Bourse et de la Banque que le champs a été ouvert à la médiocrité rampante de « gauchistes » de pacotille qui ne sont que les piteux épouvantails d'un « marché » qui a a tant besoin d'oppositions vaines et factices. C'est parce que ce sont les patrons qui ont voulu et organisé l'immigration qu'ils sont illégitimes à en dénoncer aujourd'hui les conséquences incontrôlées.. C'est parce que les hiératiques lecteurs de Raspail et paroissiens empressés ont préféré engendrer et élever des avocats d'affaires, des agents immobiliers, des « consultants » et des vendeurs en tous genres plutôt que des militants politiques, des artisans et des artistes que notre pays ressemble chaque jour davantage à une misérable succursale de multinationale américaine peuplée de zombies illettrés et acculturés.

    En bref, c'est parce que la bourgeoisie française est bourgeoise avant d'être française qu'elle est fondamentalement coupable et doit être combattue avec toute la force et la vigueur de notre patriotisme social. Et il ne s'agit nullement ici d'une posture post-adolescente ou d'un romantisme désincarné comme se plaisent à le dire en ricanant les amateurs de cigares, de golf dominical et de whiskys hors d'âges (occupations somme toute respectables quand elles ne deviennent pas des finalités), mais bien d'un impératif politique fondamental, indispensable préalable au renouveau d'une nation organique, méritocratique et sociale.

    (A moy que chault ! , 24 novembre 2013)

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  • La colère de la France d'à côté...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Christophe Guilluy et Serge Guérin, cueilli sur le site du quotidien Le Monde et consacré à la recomposition sociale et culturelle de la France périphérique...

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    Écoutons la colère de la France d'à côté

    Étonnement des médias et des politiques devant la Bretagne intérieure qui plonge dans les jacqueries. C'est que les représentations territoriales et sociologiques des élites sont obsolètes. L'Ouest, et notamment la Bretagne, est encore identifié comme une « France tranquille », celle des classes moyennes bien insérées dans l'emploi et l'économie mondialisée. Si longtemps la hausse de l'emploi public a caché le déclin de l'industrie, si longtemps les subventions ont masqué les faiblesses d'un modèle agro-industriel mal positionné et catastrophique pour l'environnement, si longtemps les régions du Grand Ouest ont été tenues à l'écart des flux migratoires, leur récente recomposition économique, sociale et démographique a changé la donne.

    Du centre de la Bretagne à Villeneuve-sur-Lot (Aquitaine), du département de l'Oise à Brignoles (Var), des zones industrielles du Nord et de l'Est frappées par le chômage de masse aux régions rurales et industrielles de l'Ouest et du Sud-Ouest atteintes par la crise du modèle intensif et l'essoufflement des capacités redistributives, le décrochage frappe des territoires différents mais qui ont en commun d'être à l'écart des métropoles. Cette France périphérique, qui rassemble 60 % de la population, est celle où se déroule le destin de la grande majorité des catégories populaires.

    On peut ainsi relever qu'à l'Ouest la crise ne frappe pas Nantes ou Rennes, mais d'abord les espaces ruraux et industriels et les petites villes. La carte des plans sociaux est calée sur celle de la France périphérique, pas celle de la France métropolitaine, qui produit l'essentiel du PIB français. Pour la première fois dans l'histoire, les catégories populaires ne vivent pas là où se crée la richesse.

    Ce qui implose sous nos yeux, ce n'est pas seulement un modèle économique, ce sont aussi nos représentations des classes sociales. Or il faut saisir que des catégories hier opposées, ouvriers, employés, petits paysans, petits indépendants, artisans et commerçants, ou encore retraités populaires, salariés fragilisés du privé comme du public, partagent un sort commun face aux conséquences désastreuses de l'adaptation à marche forcée au modèle économique mondialisé.

    UNE SOCIÉTÉ DÉCENTRÉE S'INVENTE

    La montée de l'abstention et du vote Front national dans cette France pas si tranquille ne doit pas cacher le développement de nouvelles formes de mobilisations solidaires de proximité, hors des cadres traditionnels et institués. L'émergence d'une contre-société qui ne croit plus aux modèles anciens, loin de marquer une droitisation des Français, montre la volonté d'une part croissante des acteurs de reprendre leur destin en main. Face à des fractures sociales et identitaires, une société décentrée s'invente, souvent avec le soutien de communes, de collectivités territoriales ou de bailleurs sociaux, à travers l'économie sociale, des associations, mais aussi des aidants bénévoles qui font face à la fragilité d'un proche ou des habitants qui se regroupent, coopèrent, mutualisent… Une partie de la société civile innove dans des formes de solidarité centrées sur la proximité, réinvestit de manière contrainte son territoire et privilégie l'économie circulaire, adapte son mode de consommation à un pouvoir d'achat en chute libre, invente des nouvelles manières de soutenir le développement local.

    Si la construction métropolitaine a démontré son efficacité à produire des richesses et à permettre l'intégration économique des populations qui vivent dans ces territoires en phase avec l'économie-monde, en revanche, un modèle économique et social alternatif et complémentaire reste à inventer. C'est à partir des réalités économiques et sociales locales que les solutions sont et seront trouvées. Politiques locales de réindustrialisation, manifeste des nouvelles ruralités, réflexions sur de nouveaux pôles d'enseignement supérieur dans des petites villes, mutualisation des services publics, prise en charge des nouveaux besoins pour les retraités populaires, les initiatives ne manquent pas. Mais ne perdons pas de vue que cette contre-société qui vient ne se développera pas dans un consensus mou.

    L'émergence de ces nouvelles fractures territoriales dessine une nouvelle géopolitique locale, de nouveaux rapports de force. Comme l'a parfaitement démontré la géopoliticienne Béatrice Giblin, les territoires ont parfois des intérêts divergents, structurent et recomposent en permanence les rapports de force politiques. Nous en sommes là. Il est donc urgent de traduire institutionnellement les réalités des territoires et les besoins des populations, en sortant du débat stérile sur le meilleur échelon territorial à privilégier, pour inventer de nouvelles formes de politique publique adaptée aux réalités et permettant l'expérimentation et l'innovation sociale.

    La recomposition sociale et politique de la France périphérique dessine non seulement les lignes de nouvelles fractures culturelles, mais aussi une redynamisation à venir du débat et même du conflit en politique. Il convient désormais d'ouvrir les yeux sur le sort des catégories populaires dans la mondialisation. Plutôt que les leçons de morale et les discours incantatoires, prenons au sérieux un malaise social et identitaire qui affecte désormais une part majoritaire de la population.

    Serge Guérin et Christophe Guilluy (Le Monde,  22 novembre 2013)

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