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Points de vue - Page 289

  • Poutine ou le Maître de la Parole...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte remarquable de Philippe-Joseph Salazar, cueilli sur le site Les Influences et consacré à Vladimir Poutine et à sa parfaite maîtrise de la parole dans la conduite de la crise ukrainienne. Philippe-Joseph Salazar est philosophe et spécialiste de la rhétorique.

     

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    Poutine ou le Maître de la Parole

    On se souvient de la phrase du philosophe allemand Hegel, le génial auteur de la Phénoménologie de l’Esprit, quand il vit Napoléon passer sous sa fenêtre, en octobre 1806 : « J’ai vu l’âme du monde à la manœuvre » [1]. Eh bien, voilà un mois en écoutant Vladimir Poutine s’adresser à la Diète fédérale russe, lors de la réincorporation des terres irrédentes de Crimée à la Mère Patrie Russe, j’ai entendu parler l’âme du monde. J’ai entendu, et vu, la plus puissante des paroles se déployer, avec une telle sûreté de ton, une telle acuité d’arguments, une telle saisie du moment qu’une autre phrase de Hegel m’est venue naturellement aux lèvres : Poutine explique la politique « comme l’oiseau de Minerve qui prend son vol à la nuit tombée », pour mieux saisir sur le vif ceux qui n’y voient goutte, qui sont dans la nuit de leurs idées toutes faites, et ne savent plus ni parler, ni écouter – je veux dire « l’Ouest » comme le disent les médias, ces perroquets câblés.

    Vladimir Poutine, âme du monde ? Ça mérite une explication. Maître absolu de la parole ? Ça mérite une analyse.

    Depuis l’Irak et l’Afghanistan les directeurs de la communication des Etats-Unis et de l’OTAN ont mis au point une technologie rhétorique dite de « stratcomm », « communication stratégique », d’une simplicité qui s’est voulu génialement opérationnelle (ça tient sur une carte qu’on met dans la besace du trouffion, littéralement) et qui s’est révélée accablante d’efficacité, comme on le sait. Le spectacle désolant qu’offrent ces deux pays, jadis féodaux mais en paix, désormais féodaux mais en guerre, suffit à démontrer la terrible stupidité de la « stratcomm ». La stratcomm est supposée suppléer à la force brutale par l’influence persuasive, en alimentant le discours public et la propagande à coups de mots simples comme « stabilité, paix, prospérité » [2].

    Dans le cas de l’Ukraine le mot clef, dès que l’Union Européenne, les Etats-Unis et l’OTAN ont mis le doigt dans l’engrenage, a été « désescalade ». Il faut « désescalader » ont répété les perroquets et les perruches médiatiques.

    Le terme est codé : il implique que l’adversaire a « escaladé » ; en bon français (mais qui s’en soucie) le mot est très récent (1970) et il est militaire : « Ensemble d’opérations stratégiques visant à diminuer ou à supprimer la gravité des mesures militaires » [3]. On a bien lu : « mesures militaires ». Dans ce langage codé que parlent entre eux les services secrets, qui manipulent les médias en usant d’honorables correspondants, ou en plantant des infos sur les fameux réseaux sociaux, et les services de communication/propagande, le concept est militaire. Dire « désescalade » c’est déjà accuser la Russie d’avoir « escaladé ».

    Qu’a fait Vladimir Poutine. Rien. Il a laissé dire. Sachant que s’il dit le mot, il est pris au piège.

    Quel piège ? Celui-ci : le problème, avec le langage de la stracomm, c’est qu’il faut que l’adversaire le parle aussi. En philo on appelle ça le « différend » : vous m’accusez de ceci, et vous voulez que j’utilise pour me défendre les mots que vous employez pour m’accuser ? Le piège est grossier ! Car me défendre avec les termes que vous employez, c’est déjà accepter que c’est vous qui définissez le cadre de ma défense. Je suis cuit. Allez au diable ! Je « diffère » [4], et je dis autrement.

    Un autre terme a donc été lancé par les services de stratcomm de l’OTAN et Cie, pour tenter de cerner et donc de cataloguer les récusants russophones d’abord de Crimée et depuis des régions frontalières orientales : ils ont été « radicalisés ». Les protestataires (on ne dit pas qu’ils sont des agents russes, ce qui est aussi difficile à prouver que de démontrer qu’à chaque fois qu’un chef de la CIA vient à Kiev, deux jours plus tard, comme par miracle, les Ukrainiens ont une poussée d’adrénaline et de frais uniformes), les protestataires, donc, sont « radicalisés ».

    Ce terme est apparu lors de l’attentat de Boston par les frères Tsarnaev. « Ces jeunes gens ont été radicalisés » jacassait la presse américaine, aussitôt relayée par les médias français, jamais en retard d’une attrape. Or le terme est toujours employé à la voix passive : « ils ont été radicalisés », pas « ils se sont radicalisés » . Il existe un « par », un agent qui radicalise. Ici : la Russie, bien sûr [5].

    Ce qui est intéressant est que, devant la faillite rhétorique de « désescalade/escalade », la stratcomm a tenté de lancer « radicalisation ». Mais, derechef, bec dans l’eau. Vladimir Poutine (et à faire pâlir d’envie le Quai d’Orsay, ce grand diplomate à la Metternich ou à la Kissinger, M. Lavrov), à la manœuvre, a fait comme si rien n’avait été dit. Il a ignoré. Magistral.

    On va me dire : tout cela est un langage entre eux, nous, les péquins, on s’en tamponne le château arrière comme le déclama un jour Régine Crespin, sur la scène du Châtelet, dans son immortelle Grande Duchesse de Gérolstein. Or justement, la réplique de Vladimir Poutine à cette ligne de stratcomm a été de réduire l’OTAN, et les bavards de Bruxelles, non loin du GQG, à n’être que des grandes duchesses d’opérette. Il a simplement ignoré le mot, et donc mis de côté l’implication.

    C’est alors que Poutine a retourné contre la communication « occidentale » sa propre méthode, à la stupéfaction des commentateurs américains depuis dix jours (Wall Street Journal, Reuters). Par exemple, il a ré-expédié à « l’Ouest » un autre terme clef de la stratcomm : « faire la guerre contre son propre peuple ».

    De fait, dans l’arsenal rhétorique de la bienfaisance militaire occidentale, « to wage war against your own people », « faire la guerre contre votre propre peuple », a été l’expression clef, la litanie médiatique issue du glossaire américain de la stratcomm, pour justifier l’invasion de l’Iraq, l’intervention en Lybie et l’appui donné à la rébellion en Syrie : « Assad/Yanoukovitch, si vous faites la guerre contre votre propre peuple, alors nous, qui sommes les représentants de la démocratie, c’est à dire, du droit des peuples, nous avons le droit d’intervenir, car ce droit est moral ». Certes, mais encore ?

    Vladimir Poutine a retourné l’expression. Les putschistes en place à Kiev « font la guerre à leur propre peuple ». Donc la Russie endosse le manteau dont s’est drapé jusque là « l’Ouest », pour venir à la défense des opprimés.

    Du coup soudain, la chandelle est soufflée, et on n’entend plus l’expression naguère favorite de M. Obama. Lequel, par une de ces bévues dont il parsème ses discours quand il se prend lui-même dans les réticules séduisants de sa propre éloquence, a nommé la Russie : « Une puissance régionale ». Je suppose que ça a dû plaire à son auditoire américain, très cultivé, mais il suffit de regarder une mappemonde pour voir que ladite région, ma foi … Vladimir Poutine n’a de nouveau rien répliqué. Il laisse dire. Il ne pratique pas le jeu psychanalytique du fort-da, du tu me donnes, je te prends, je t’envoie, tu me renvoies, qui, chez Freud, est une marque d’infantilisme.

    Quand on a rétabli les armoiries de la Russie impériale sur son drapeau, qu’on prépare un grandiose défilé militaire célébrant la victoire de l’Armée rouge sur l’Allemagne, qu’on méprise les fameuses sanctions comme un pauvre arsenal de boutiquier capitaliste, s’entendre dire que son empire, qui va de l’ancienne capitale Teutonique et prussienne de Königsberg à Vladivostok, on ne peut que sourire et laisser dire.

    La maladie infantile du néo-capitalisme communicationnel est la fièvre de la réponse instantanée, de la re-réponse, de la re-re-réponse. Je ne vais pas vous faire un dessin. Voyez internet.

    Laisser dire, un grand art. A « l’Ouest » règne l’irrépressible désir de parler, toujours, encore, et plus. De Russie, qui est aussi occidentale que nous le sommes, on mesure ses mots, comme à la manœuvre. Car, une des forces de la machine rhétorique de M. Poutine, est sa capacité à ne parler le langage de l’adversaire quand ça lui sert, et à ne rien rétorquer quand ça ne lui sert pas.

    Car l’art du pouvoir exige le silence, la réponse mesurée à l’effet à obtenir, ce contrôle exigeant de soi-même à ne pas parler. A attendre. Et à frapper.

    Dans la saga tragicomique et saignante de l’Ukraine, une vraie pièce d’Alfred Jarry, tout le monde est là à parler, à s’époumoner, à vitupérer, à baragouiner dans un anglais de bastringue (je recommande les débats désopilants sur France24 où des experts français bafouillent dans un anglais d’Auvergnat devant des Ukrainiens d’opéra-bouffe, sous l’œil ironique du très patient M. Picard), évidemment afin de satisfaire les médias – tandis que Vladimir Poutine, maître de la parole, calibre chaque conférence de presse, juge exactement du timing d’un communiqué, prend à chaque fois l’ « Ouest » au dépourvu, et simplement impose son rythme, son calendrier, sa marche, sa « manœuvre » en un mot.

    Vladimir Poutine est donc l’âme du monde, au sens exact du « monde » dont il s’agit ici, le monde du politique, et au sens exact où « âme » signifie principe – Vladimir Poutine nous donne à voir ce que nous vîmes jadis à l’œuvre avec le Général, quand la France comprenait ce qu’est la puissance : la politique comme principe vital du monde où nous vivons, et la parole politique comme mesure de l’action à entreprendre.

    Et l’âme, bien sûr, c’est aussi là où se loge, dans un fusil, la balle.

    Philippe-Joseph Salazar (Les influences,  6 mai 2014)

     

    Notes :

    [1On traduit toujours mal cette phrase en français (« j’ai vu Napoléon passer à cheval », pourquoi pas en patinette ?) car, dans l’allemand de haute précision de Hegel, elle est terrible, et le mot clef y est « recogniziert » : Napoléon est là, dans une manœuvre de reconnaissance du terrain. Relisez cette phrase hautaine et décisive, où la langue ennemie devient presque du latin cicéronien : « Den Kaiser – diese Weltseele – sah ich durch die Stadt zum rekognoszieren hinausreiten ».

    [3Trésor de la langue française, en ligne.

    [4Tout ça, of course, dans Lyotard.

    [5Dans l’attentat des Tsarnaev, les services de sécurité, incapables et d’avoir prévu et d’expliquer si/comment/pourquoi/avec qui, ont lancé dans la presse l’expression « self-radicalized », auto-radicalisés – ce qui était une manière de dire : nous n’avons pas à chercher plus loin qu’eux. La propagande n’a pas pris : les médias ont laissé tomber car un terroriste auto-radicalisé ne fournit par une « histoire » avec des complices, des réseaux, des épisodes, bref du tirage.

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  • Une victoire au-delà de la gauche et de la droite !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la victoire de Marine Le Pen et du Front national aux élections européennes...

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    Marine Le Pen : une victoire qui va au-delà de la gauche et de la droite !

    C’est peut-être votre paradoxe personnel. Vous êtes militant européen depuis belle lurette. Mais les mouvements dissidents qui vous lisent avec assiduité sont, eux, souvent enclins à des options plus nationalistes. Comment résoudre cette équation à inconnues multiples, sachant qu’on ne sait pas toujours de quelle Europe on parle ?

    Le plus grand reproche qu’on puisse faire à l’Union européenne est d’avoir discrédité l’Europe, alors que les conditions objectives de la nécessité d’une Europe politiquement unie sont plus présentes que jamais. Tout en estimant que le souverainisme ne mène nulle part, parce qu’aucun État isolé n’est en mesure de faire face aux défis planétaires actuels, à commencer par la maîtrise du système financier, je comprends très bien les critiques que les souverainistes adressent à l’Union européenne. Mieux encore, je les partage puisque la souveraineté qu’on enlève aux nations ne se trouve pas reportée au niveau supranational, mais disparaît au contraire dans une sorte de trou noir. Il est tout à fait naturel, dans ces conditions, d’être tenté par un repli sur l’État-nation. Pour moi, cependant, le mot d’ordre n’est pas « Pour la France, contre l’Europe », mais plutôt « Pour l’Europe, contre Bruxelles ».

    Que vous inspire l’indéniable victoire du Front national aux récentes élections européennes ?

    Elle confirme que les Français n’en peuvent plus de voir, année après année, se succéder des partis de gouvernement qui font la même politique libérale sans jamais tenir leurs promesses ni obtenir de résultats. À tort ou à raison, le FN leur apparaît, dès lors, comme l’ultime espoir. En même temps qu’il marque un tournant historique (mais il faudra attendre les résultats des prochaines élections régionales pour savoir si le FN est vraiment devenu le premier parti de France), le résultat du parti de Marine Le Pen est riche d’enseignements. Il montre d’abord, non seulement que la diabolisation dont il a fait l’objet ne fonctionne plus, car les gens ne croient tout simplement plus à des arguments trop répétés pour conserver encore un sens, mais que cette diabolisation, dont l’objectif était de délégitimer un compétiteur gênant en le transformant en ennemi répulsif et haïssable, a abouti exactement au résultat inverse, à savoir l’installation durable du FN au centre de la vie politique française. Comme l’expliquait ces jours-ci Pierre-André Taguieff dans Le Figaro, à l’occasion de la parution de son excellent livre intitulé Du diable en politique : « La propagande antilepéniste aura globalement joué le rôle d’un puissant facteur de la montée du FN. » Quand on aura compris cela, on aura compris beaucoup.

    Cette victoire électorale montre également combien Marine Le Pen a eu raison de résister à ceux qui la poussaient à se positionner de façon préférentielle en parti de la « droite nationale ». Le FN, aujourd’hui, transcende avec bonheur le clivage droite-gauche. C’est chez les jeunes et dans les classes populaires qu’il obtient ses meilleurs scores : aux européennes, 43 % des ouvriers ont voté pour le Front, 8 % seulement pour le PS ! Cette assise populaire montre que le FN a cessé d’être un parti de protestation pour devenir un parti capable d’aspirer au pouvoir – son adversaire prioritaire restant plus que jamais l’UMP.

    Dans la foulée, que pensez-vous de la montée en puissance de tous ces mouvements « identitaires » et « eurosceptiques » en Europe ?

    Leur dénominateur commun est de toute évidence le populisme. Il ne faut pas se lasser de rappeler que le populisme n’est pas une idéologie, mais un style, et que ce style est compatible avec des orientations très différentes. Il suffit d’ailleurs de comparer le FN avec la Ligue du Nord en Italie, ou le Vlaams Belang en Flandre, pour voir à quel point leurs positions divergent, que ce soit à propos du régionalisme, du programme économique et social ou de la « laïcité ». La montée en puissance des mouvements populistes traduit évidemment le discrédit des partis de la Nouvelle Classe, aujourd’hui totalement coupés du peuple, et la défiance dont ils font l’objet, qui alimente désormais de véritables paniques morales. Elle met aussi en lumière l’incroyable ampleur de la crise de la représentation. Le FN, arrivé en tête du scrutin du 25 mai, ne dispose que de deux ou trois députés à l’Assemblée nationale. L’UKIP, premier parti britannique depuis 1910 à avoir distancé à la fois les conservateurs et les travaillistes, ne dispose pas d’un seul siège au Parlement de Londres ! Et on s’étonne que ça craque ?

    À ce stade électoral, que faire de l’Europe ? La redéfinir ? La remettre sur d’autres rails ? En finir avec elle une bonne fois pour toutes ou, tout au contraire, lui redonner une autre vie, en admettant que ce soit encore possible ?

    L’Europe est aujourd’hui un grand corps malade, paralysé, bloqué, incapable de définir son identité, prêt à sortir de l’Histoire pour devenir un objet de l’histoire des autres, comme en témoigne son docile consentement à se fondre dans une grande zone de libre-échange atlantique où les normes environnementales, sanitaires et sociales américaines s’imposeraient inéluctablement. Cette Europe-là s’est construite depuis le début en dépit du bon sens, du haut vers le bas, sans tenir compte du principe de subsidiarité, sans se fixer de frontières et sans que les peuples soient jamais associés à sa construction. Elle baigne dans l’angélisme et l’inconscience de soi, elle a fait siens les principes du libéralisme le plus destructeur. La remettre sur ses rails impliquerait qu’elle décide d’être une puissance souveraine avant d’être un marché, et que cette puissance soit capable d’incarner un modèle de culture et de civilisation capable de jouer son rôle dans un monde redevenu multipolaire. On en est loin.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 26 mai 2014)

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  • Défense : la facture du bradage...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un point de vue de Jean-Michel Quatrepoint, cueilli sur Xerfi Canal et consacré au bradage du budget de la défense nationale, qui se prépare dans les bureaux des technocrates de Bercy, et à ses conséquences. L'analyse est lumineuse !...

     

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  • "Les Français veulent retrouver une certaine sécurité culturelle"...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien de la rédaction d'Eléments avec Pierre Le Vigan, cueilli sur le blog de la revue et consacré au succès du Front national aux élections européennes.

    Collaborateur des revues Éléments, Krisis et Le Spectacle du monde, Pierre Le Vigan a récemment publié L'effacement du politique (La Barque d'Or, 2014).

     

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    «Avec intelligence, Marine Le Pen parle moins du rejet de l’Europe que de l’Union européenne»

    Eléments : Pensez-vous comme Ségolène Royal que la première place obtenue par le Front national aux élections européennes est un « choc à l'échelle du monde » ? 

    Pierre Le Vigan: C’est bien entendu beaucoup plus que cela : un choc à l’échelle de la Voie lactée ! Plus sérieusement, on a dit cela à propos des 14,4 % de Jean-Marie Le Pen aux présidentielles de 1988, et à propos des 16,8 % et surtout de la seconde place, de la présence donc au deuxième tour du même Jean-Marie Le Pen en 2002. Les 25 % du FN aux européennes de 2014, et sa première place, à 4 % devant l’UMP, constituent un nouveau « choc » et surtout une nouvelle validation de la légitimité démocratique et populaire du Front national. Notons qu’avec Dupont-Aignan, les souverainistes sont à plus de 28 %. Oui, le FN est en tête de toutes les forces politiques et ce n’est pas rien. Il n’est certes pas majoritaire (qui le serait ?), mais, dans un contexte de défiance vis-à-vis de tous les partis politiques, il est celui qui soulève encore quelque espoir. Tout cela vient du positionnement très intelligent de Marine Le Pen (soit elle est intelligente soit elle a la grande intelligence de s’entourer de gens qui le sont – ce qui revient au même). Elle parle moins du rejet de l’Europe que du rejet de l’Union européenne. Elle parle même moins d’un rejet que d’une positivité. Laquelle ? La récupération d’une souveraineté : c’est le maître-mot de Marine Le Pen. Il n’est pas haineux, il n’est pas hargneux. Il est positif, ce mot d’ordre. C’est ce mot de souveraineté. Reprendre nos propres affaires en main. Ce mot d’ordre va bien plus loin que « La France aux Français ». Il n’est pas un mot d’ordre de boutiquier (« à moi mes chaussettes ! »), il est un mot d’ordre de liberté. Il dit : « Les décisions à prendre pour la France appartiennent aux Français ».

        Marine Le Pen a compris que, dans un vieux pays républicain, profondément républicain comme la France, allergique à tout racisme, mais même à tout « racialisme », le seul discours tenable est celui de la souveraineté. Dire qu’elle se trompe de niveau, que c’est au niveau européen et pas au niveau français que la souveraineté est – ou serait – possible,  c’est, pour le coup, très exactement un « point de détail ». Le discours souverainiste doit se tenir là où il s’entend, là où il résonne, or, il résonne auprès du peuple de France, et dans la langue du peuple de France. Ensuite, il sera toujours temps de se rendre compte qu’une Europe carolingienne, protégeant ses frontières, peut-être à construire, à condition de ne pas être les seuls à vouloir rendre la parole et le pouvoir au peuple.

    Eléments : Florian Philippot, vice-président du Front National, a-t-il raison de dire que les Français ont exprimé un « vote d'adhésion à la souveraineté nationale » ?

    Pierre Le Vigan: Florian Philippot est un peu dans la langue de bois. Son talent proprement politique est réel – Dieu sait s’il a pu aider Marine Le Pen depuis deux ans –, mais l’arrivée de nouvelles têtes au FN fera sans doute le plus grand bien à ce parti. Bien entendu, 25 % des votants ont exprimé une aspiration à ressaisir leur destin, mais cela va au-delà de l’adhésion à la souveraineté nationale au sens étroit. Les Français veulent retrouver une certaine sécurité culturelle, ils veulent vivre à nouveau dans un écosystème qui leur convienne, où la langue qui résonne dans l’espace public soit plus souvent le français, et moins souvent l’arabe, le kurde ou l’indi. Les Français aspirent à vivre dans un pays qui ne se fragmente pas, ne se balkanise pas, ou moins qu’à l’heure actuelle. « Notre pays ne se métisse pas, il se fragmente », a relevé Alain Finkielkraut. Les Français veulent que les étrangers cherchent à s’assimiler. Ils ne demandent pas la lune, ils demandent le minimum. Ils sont presque le seul peuple au monde à demander si peu. On (les « élites ») leur dit que ce « si peu » c’est déjà trop. Veut-on les rendre fous ?

    Eléments : La faiblesse du Parti socialiste est sans équivalent depuis un demi-siècle. La gauche va-t-elle disparaître

    Pierre Le Vigan: Le PS a déjà fait des scores du même ordre et s’en est remis. Il a fait 16 % en 2009 alors que la situation était favorable pour lui (il était dans l’opposition), et 14,5 % en 1994, mené par Michel Rocard. Trois ans après, en 1997, le PS gagnait les législatives avec Jospin. Il serait plus intéressant de voir à quel point le PS est abandonné par les classes les plus populaires. C’est d’ailleurs ce qu’a compris Jean-Luc Mélenchon. Ce que par contre il ne comprend pas, c’est que la classe ouvrière n’a jamais confondu internationalisme et cosmopolitisme, négation des patries. Ni la France, ni les ouvriers de France n’ont rien à voir avec la négation des patries à la sauce Terra Nova. Que Jean-Luc Mélenchon n’aime pas le Front national c’est son droit et une France dans laquelle tout le monde aimerait le FN serait sans doute parfaitement emmerdante, mais qu’il croit sincèrement que le FN est purement « d’extrême-droite », voire de nature « fasciste », alors qu’il est « populiste » avant tout, cela me laisse franchement perplexe. Cela l’amène à gaspiller ses énergies, me semble-t-il. Dommage, car le Front de gauche ne dit pas que des bêtises, notamment sur l’Europe et sur l’euro.

    Pierre Le Vigan, propos recueillis par Pascal Eysseric (Blog Eléments, 28 avril 2014)

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  • L'idéal de puissance...

    Vus pouvez découvrir ci-dessous une analyse passionnante de Philippe Grasset, infatigable animateur du site De Defensa, consacré à l'idéal de puissance comme forme de l'hybris du système...

    Philippe Grasset est l'auteur des essais intitulés Le Monde malade de l'Amérique (Chronique sociale - EVO, 1999), Chroniques de l'ébranlement (Mols, 2003), et de La grâce de l'Histoire (Mols, 2014).

     

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  • L'Europe des Européens...

    Nous reproduisons ci-dessous un beau point de vue de Michel Lhomme, cueilli sur Metamag et consacré à l'Europe, à l'occasion des élections pour le parlement européen qui se déroulent aujourd'hui...  

     

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    L'Europe des Européens

    Le vote de dimanche est essentiel. Il est essentiel qu'à cette Europe des Européens, nous consacrions tous nos efforts de réflexion pour en assurer l'avènement par la libre décision. Ce qui s'est accompli jusqu'à nos jours, n'est pas l'Europe des Européens. Ce qui s'est accompli jusqu'à nos jours, c'est une nouvelle organisation de l'Europe, une Europe para-étatique, exclusivement dans le domaine de l'économie, dans celui de la satisfaction des besoins matériels de l'homme. C'est une Europe matérialiste enrichissant les Eurocrates, appauvrissant le peuple. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, ce que les Eurocrates ont entrepris et poursuivi avec tant d'énergie et de persévérance, c'est la reconstruction de l'Europe matérielle. Il fallait sans doute le faire car l'Europe fut détruite sous une pluie de bombes ou par l'invasion à l'Est de l'armée rouge. Mais la reconstruction purement matérialiste et économique de l'Europe présentait dès le départ un danger non pas seulement théorique mais un danger de caractère éminemment pratique, un danger de nature politique : le danger économiste.

    Devons-nous blâmer aujourd'hui les victimes de cette confusion européenne ? Ecoutons les anciens mots : charbon et acier, liberté de circulation des marchandises, mouvement des capitaux, dérégulation financière, suspension des droits de douane, contingents et quotas, privatisation, monnaie unique... Il n'était  question que de politique commerciale, de politique agricole, de politique des transports, de politique sociale, de politique de conjoncture. Il n'était en réalité jamais question de politique tout court. En fait, dans le scrutin de dimanche, c'est essentiellement de cela qu'il s'agit : de l'Europe politique.
    Il ne s'agit plus du bien-être matériel des peuples, il ne s'agit plus de l'expansion d'une économie moribonde, du progrès social, des possibilités industrielles et commerciales. Pour certains, bien sûr, il s'agit encore d'y croire et de vanter les bienfaits du futur traité transatlantique qui, dans le dos des peuples, sans aucune concertation sera signé et précipitera la misère du peuple européen désormais inféodé aux diktats des grandes multinationales sans aucune norme sanitaire ou droit social. Mais pour nous, avant cela, il s'agit de défendre et de sauver dès à présent une civilisation, des règles morales, une conception de la vie et de la mort et même une certaine vision de l'amour, une position poétique.
    Il s'agit de dire non au mirage mercantile. Il s'agit de dire oui à la démocratie.
    Au-delà de l'Europe mercantile, du traité transatlantique, il importe samedi soir de se poser très honnêtement, très franchement la question : l'idée européenne, la construction européenne telle qu'on nous la propose à savoir l'élargissement sans fin sous le parapluie de l'Otan ont-elles été réellement approuvées, consciemment soutenues par les peuples, par la plus grande majorité des habitants européens ? Même les responsables des institutions européennes ne s'y trompent plus. Ils savent bien que leur gestion des problèmes ne correspond plus aux soucis de la vie journalière de l'homme européen et que pire, ils les aggravent, ils savent bien que tout a été décidé dans leur dos. 
    Ce sont les hommes du grand renoncement.
    Avant même qu'on construise l'Europe, notre continent possédait un riche patrimoine commun d'ordre culturel et spirituel que les dissensions, les divisions et les luttes souvent dues à la passion nationaliste parfois légitime, n'ont pu qu'estomper, mais jamais détruire. Ce n'est pas le moment, ce soir, d'approfondir ce qu'est une civilisation, ce que vaut le nationalisme mais nous sentons tous que si de notre passé grandiose, tout s'estompe et se perd dans la brume, il nous reste des valeurs, des principes, une éthique auxquelles nous croyons et qui nous distinguent nous, Européens convaincus et non sceptiques, des autres habitants du monde.
    Aujourd’hui, il faut bien faire le bilan : l'intégration économique dans laquelle nous nous sommes engagés n'a produit aucun résultat. L'échec de l'Europe n'est donc pas seulement l'échec économique mais l'échec d'une vision économique qui n'a rien produit au niveau moral, qui n'a produit que des hommes désincarnés ayant perdu tout lien de solidarité, des travailleurs et des chômeurs pour offrir leurs bras aux plus offrants, pour des salaires de misère. A ce titre, le vote de dimanche sera aussi un vote moral et social car les Eurocrates vantent la libre circulation des travailleurs européens comme facteur authentique d'intégration, comme l'ABC de l'interpénétration de nos peuples. Effectivement, la Commission européenne a toujours promu les mouvements migratoires et proposa même de donner à ces mouvements une ampleur considérable. Les Eurocrates furent aussi les hommes du grand remplacement, de l'échange des jeunes travailleurs, de l'ouverture sans fin des frontières, de la baisse des salaires et de la suppression programmée de la sécurité sociale et des retraites.
    Ce furent aussi les hommes de l'européanisation de nos entreprises familiales qui s'achève presque dans le sang : faillites des petites entreprises sans repreneurs, ventes aux puissances étrangères de nos plus beaux fleurons. Et pourtant, il en est qui osent encore parler de la richesse de l'Europe et qui vantent même ses vertus pacifiques, occultant superbement et délibérément les bombes sur la Yougoslavie, les attentats dans l'Italie des années de plomb, l'indépendance illégitime du Kosovo, les manipulations de l'Ukraine. Ils parlent alors d'une violence contenue sur le territoire français au prix d’une future guerre civile qui menace.
    La force de l'homme européen c'est, n'en déplaise à Spinoza, la force du libre-arbitre. Le libre-arbitre, c'est un peu pour l'homme européen comme le don précieux que les Dieux ont déposé à son berceau. Le vote de Dimanche offre une nouvelle possibilité au libre-arbitre de l'homme européen, il offre à ce libre-arbitre la possibilité rare de ne pas se confiner au libre-choix illusoire du consommateur et de son caddie. Le libre-arbitre de Dimanche, c'est le libre-arbitre de la communauté de destin des Européens, du rapprochement authentique entre les hommes européens sur le sort spirituel qui leur est commun. Ce sort, l'idée forte d'une autorité européenne, d'un Parlement européen authentique qui exprimerait le souci de l'intérêt commun d'un nouveau droit européen à construire, d'une assemblée constituante européenne.
    Il ne faut donc pas dimanche disperser ses voix. Il faut aussi choisir. Et puis, la France n'est pas seule. Depuis dix ans, partout en Europe, les yeux se sont décillés et la résistance de nos peuples s'est progressivement mais imperceptiblement rapprochée. Bien sûr, cela n'est pas dû aux progrès de l'Union ! Mais, le fait fondamental existe et subsiste : une certaine forme de conscience européenne est née et se développe, le sentiment d'appartenir à une civilisation commune qui incarne des idéaux et des valeurs spirituelles et morales communes. Ce n'est pas une conscience d'élites, c'est bien une conscience populiste. Mais nous, nous n'avons jamais eu peur du peuple car on reparle enfin de l'Europe comme politique, de l'Europe morale et philosophique, de l'Europe poétique, de Goethe, d'Hugo mais aussi l'Europe de Drieu et de Bardèche.
     
    Il faut donc voter librement pour cette Europe, pas dans le ressentiment, pas dans la colère mais dans la joie seulement, la joie de Beethoven qui saluait dans son hymne une vie nouvelle. C'est du vote de ce dimanche que notre Europe naîtra.
     
    Michel Lhomme (Metamag, 22 mai 2014)
     
     
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