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Points de vue - Page 291

  • La Stasi pour tous...

    Nous reproduisons ci-dessous un article de Laurent Cantamessi, cueilli sur Idiocratie et consacré à la surveillance totale qui se met en place et à laquelle nous collaborons tous. Cet article a été publié initialement dans la revue Causeur.

     

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    La Stasi pour tous

    Si on la compare à d’autres polices politiques, et en particulier à celle du grand-frère russe, la Staatssicherheit (ou Stasi), police d’Etat est-allemande créée en février 1950, s’est montrée très modérément meurtrière. Même si la sinistre organisation s’est rendue coupable d’arrestations arbitraires, voire d’enlèvements pratiqués à l’ouest, de tortures et, de façon beaucoup plus exceptionnelle, d’assassinats politiques, la Stasi a adopté à partir de la fin des années cinquante une approche à la fois originale et très ambitieuse de la sécurité d’Etat, passant de la répression à la « prévention ». En accord avec l’ambition des dirigeants est-allemands de faire en sorte que le parti, le SED, englobe toute la société allemande, priorité est donnée, à « l’éducation des citoyens »,  et il n’est rien de dire que la Stasi a pris ce programme très à cœur. 

    Il est ainsi rapidement apparu plus utile à Erich Mielke, éternel chef de la Stasi de 1957 à 1989, de laisser en place les groupes d’opposition et de les infiltrer ou d’en isoler graduellement les membres en utilisant toutes sortes de stratagèmes : lettre de dénonciation, tracasseries administratives, gel de la promotion professionnelle, message anonyme envoyé à l’épouse ou l’époux pour dénoncer une infidélité imaginaire, ou encore aux amis pour dénoncer … un informateur de la Stasi ! Dans certains cas, les méthodes d’intimidation employées par la police politique témoignaient d’un degré d’inventivité extrême. Ainsi, les agents de la Stasi n’hésitaient pas à s’introduire chez les citoyens placés sous surveillance pour y dérober tous les rouleaux de papier hygiénique, déplacer les objets ou le mobilier de la maison ou tout simplement laisser le courrier ouvert bien en évidence dans la boîte aux lettres. 

    L’essentiel étant, plus encore que de surveiller, de faire savoir aux « suspects » qu’ils étaient surveillés ou susceptibles de l’être. Afin d’exercer un contrôle plus efficace sur la population, les services d’Erich Mielke s’appuyaient également sur presque 200000 Inofizielle Mitarbeiter, les « informateurs non-officiels », recrutés de manière très discrète parmi les habitants de toutes origines auxquels on proposait de rendre « un service », qui allait d’un simple dépôt de courrier dans une boîte aux lettres jusqu’à la rédaction de rapports circonstanciés et quotidiens sur les proches, les amis, voire l’époux ou l’épouse. Chacun était « libre » d’accepter ou de refuser les propositions de la Stasi. Il s’agissait simplement de tester la résistance à l’incitation, le dévouement à la cause du parti ou, au contraire, la déloyauté, invariablement consignés dans un rapport qui allait grossir les archives dont on a retrouvé plus de 180 kilomètres après la réunification allemande, en dépit des efforts désespérés pour en détruire le plus possible après l’annonce de la chute du mur. La Stasi employait 91000 personnes au plus fort de son activité et possédait au moins 5 millions de dossiers (sur un total de 17 millions d’habitants). Elle s’est employée, pendant quarante ans, à rendre les Allemands de l’est complètement paranoïaques. Pourtant, un quart de siècle après la chute du mur et de la DDR, les efforts de la sinistre agence de renseignement pour contrôler l’Allemagne de l’est apparaissent dérisoires en regard des moyens de contrôle dont disposent nos sociétés parfaitement démocratiques. 

    Le développement impressionnant de la vidéosurveillance en est un aspect. Le territoire français compte aujourd’hui 935000 caméras de surveillance ; chiffre qui paraît presque ridicule en regard de la couverture du Royaume-Uni : 65 000 à 500 000 caméras rien qu’à Londres et plus de 4 millions sur tout le territoire. Ce vaste réseau de surveillance promettait certainement d’être plus efficace que les fausses moustaches et les écoutes de la défunte Stasi rendues célèbres par le film La vie des autres.  Pourtant les critiques fusent depuis vingt ans, mettant sérieusement en cause  la stratégie de la  vidéosurveillance qui a un coût certain pour les finances publiques, en premier lieu parce qu’il ne suffit pas d’installer des caméras partout, encore faut-il payer des gens pour les regarder. Pourquoi d’ailleurs investir autant de moyens humains et financiers dans la surveillance quand on peut tout simplement laisser les individus faire ce travail eux-mêmes ? 

    Dans Surveiller et punir, Michel Foucault reprenait un célèbre motif, celui du panoptique de Jérémy Bentham, sorte de prison modèle dans laquelle un gardien, logé dans une tour centrale, avait la possibilité d’observer tous les prisonniers, enfermés dans des cellules individuelles autour de la tour, sans que ceux-ci puissent savoir s'ils étaient observés et sans qu’ils puissent s’observer les uns les autres. Ce dispositif devait, nous dit-on, créer un « sentiment d'omniscience invisible » chez les détenus, identique à celui que cherchait à créer les agents de la Stasi chez les malheureux dont ils subtilisaient de façon perverse les rouleaux de papier toilette. 

    Foucault avait pressenti quels types d’applications pouvait trouver le modèle du panoptique dans nos sociétés modernes, à l’ère de l’ « open space ». Le concept d’aménagement de « bureaux paysagers », conçu dans les années 1950 en Allemagne par les frères Eberhard et Wolfgang Schnelle, au moment où la Stasi été créée de l’autre côté du mur, a en effet influencé les pratiques, les manières d’être et les comportements de manière d’autant plus radicale que ce nouveau rapport au monde a été amplifiée par la révolution relationnelle et communicationnelle engendrée par l’avènement du Web 2.0. L’ère de « l’open space » est devenue l’ère de la transparence, dans laquelle la multiplication des revendications en termes de droits – et de désirs – individuels s’est mêlée à l’obsession de la visibilité. A la différence du panoptique de Bentham, les surveillés sont aussi les surveillants et s’observent les uns les autres avec autant d’assiduité qu’ils se donnent en spectacle. Sans sombrer dans le complexe de Big Brother, on admettra que certains chiffres donnent le tournis. Facebook compte aujourd’hui 1,3 milliards d’utilisateurs, Twitter, 242 millions, tandis que Linkedin, Tumblr, Pinterest, Google+ ou Instagram en rassemblent presque 800 millions. 

    Même si tout le monde ne se sent pas obligé de généreusement disperser données personnelles et photos de vacances sur son compte personnel, l’inflation de ce nouveau mode de socialisation numérique est en train de modifier graduellement le rapport que nous entretenons à notre propre intimité et la manière dont nous concevons les relations humaines, transformées en une véritable économie relationnelle par les réseaux sociaux. Sans compter les fiches de renseignement toujours réactualisées que nous remplissons dès la création d’un compte, le développement de ce village numérique, que Marshall Mc Luhan n’aurait pas envisagé dans ses rêves les plus fous, nous amène à quantifier très précisément la valeur des amitiés nouées sur internet à coup de « like », « tweet » et autres signalétiques qui permettent de gagner en popularité, monnaie d’échange plus précieuse que toute autre à l’ère 2.0. Ainsi, derrière le décor idyllique dépeint par les généreux discours sur le partage global se profile un futur moins séduisant : celui d’une société dans laquelle des relations codifiées à l’extrême par l’omniprésence des réseaux sociaux se mesureront seulement à l’aune de la maximisation du plaisir et du caractère strictement utilitaire des rapports sociaux, tout cela au nom de l’amélioration constante de la communication entre les hommes. Nous n’en sommes pas encore là, c’est certain, mais les ex-agents de la Stasi qui sont encore en vie de nos jours doivent se dire qu’ils ont loupé quelque chose. Peut-être le rapportent-ils très consciencieusement sur le statut de leur compte Facebook.

    Laurent Cantamessi (Idiocratie, 6 mai 2014)

     

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  • En matière de délinquance, notre Etat fait illusion...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique cruellement lucide d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 6 mai 2014 et consacrée à l'explosion de la délinquance et à l'impuissance de l'état face à cette situation...

     


    En matière de délinquance, notre État fait... par rtl-fr

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  • Cinq mythes sur la Russie actuelle...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Yvan Blot, cueilli sur le site de La Voix de la Russie et consacré aux clichés que les médias occidentaux ne cessent de véhiculer, de façon pas vraiment innocente, à propos de la Russie d'aujourd'hui...

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    Cinq mythes sur la Russie actuelle

    Certains de nos contemporains croient vivre dans un siècle de lumières alors que l’obscurantisme continue à faire des ravages. Cet obscurantisme concerne tout particulièrement nos relations avec la Russie.

    L’écrivain Wodzinsky [1] constate : « nos clefs pour comprendre la Russie rouillent sous l’effet de la nouveauté (.) Nous nous efforçons de déchiffrer la Russie à l’aide de codes périmés de barbarie (asiatique) et de démocratie (européenne) en fabriquant des poncifs stériles (..). La Russie contInue à remplir pour l’Europe une fonction archaïque de catharsis, de remède à ses souffrances internes. (..) L’Occident à exporté à l’Est ses propres déchets. Peut-être y a-t-il perdu son âme ! »

    Après tout, Hitler est bien un produit de l’Occident (son livre de chevet fut longtemps un livre sur les Juifs de Henry Ford, l’industriel américain !). Le marxisme allemand aussi et la Terreur révolutionnaire qu’admirait tant Lénine fut une invention française ! Alors pourquoi diaboliser la Russie comme si elle avait le monopole de l’arriération et du totalitarisme ?

    Les cinq « clés rouillées » que nous utilisons encore sont les idées d’économie de rente, de continuité du totalitarisme, d’effondrement démographique, de persistance du goulag et de l’immoralité.

    Le premier mythe est celui de l’économie de rente

    La Russie serait, selon la formule absurde de Kissinger, la Haute Volta équipée d’un armement atomique. Aujourd’hui, on dit plutôt, à l’instar d’Alain Juppé : la Russie est une économie de rente dont le socle est la production de gaz et de pétrole. Renseignements pris, le gaz et le pétrole représentent 10 % du PNB russe ! Il faut comparer cela avec les 41 % du Pib en Arabie Saoudite : là, on a vraiment une économie de « rente » !

    D’après la direction générale du Trésor, l’agriculture représente 5 % du PIB, (3ème exportateur mondial de blé), le secteur secondaire (industrie) représente 28 % du PIB ; La production de matières premières dont le pétrole et le gaz représente 10 % du PNB, mais 70 % des exportations. Le secteur tertiaire (finances, communications, distribution) représente 66 % de l’économie. Selon ces critères donnés par notre propre ministère des finances, la Russie est bien un pays développé !

    Un bon indicateur de l’activité économique est aussi la production d’électricité où la Russie est en 2012 troisième ex aequo avec le Japon derrière la Chine et les Etats-Unis. (860 milliards de kw/H contre 461 pour la France). La Russie contrôle un tiers du commerce mondial de constructions de centrales nucléaires. Elle a le monopole de l’envoi d’êtres humains dans la station spatiale orbitale grâce à ses fusées Soyouz que la France utilise en Guyane. La Russie possède plus de têtes nucléaires que les USA et la deuxième marine de combat du monde. Selon le magazine 01Business, la Russie reste une grande puissance technologique : même en informatique, le moteur de recherche Yandex a devancé historiquement Google et Kaspersky reste numéro 1 de l’antivirus informatique. Mais on veut ignorer tout cela. On veut à toute force que la Russie soit sous développée et moins « intelligente » que l’Occident. On va donc inventer un mythe : faire passer la Russie pour une économie de rente pétrolière comme le sont l’Arabie Saoudite ou le Qatar !

    Le deuxième mythe est celui de la continuité du totalitarisme depuis 1000 ans.

    Le régime tsariste n’était certainement pas un régime totalitaire. L’histoire témoigne qu’il a beaucoup plus respecté les indigènes de Sibérie que ne l’ont fait les Etats-Unis avec les Amérindiens parqués dans des réserves. Il a connu le servage, c’est vrai, mais non l’esclavage fondé sur la race, à la différence des Etats-Unis. L’église était un contre- pouvoir important. Assimiler le pouvoir tsariste à celui des nomades mongols n’est pas sérieux. La Russie a même connu des expériences de démocratie directe comme en Suisse : républiques de Novgorod et de Pskov au moyen âge, démocratie « cosaque » dans le sud-est. Certes, le Tsarisme était formellement une autocratie. Mais en réalité, la société russe vivait aussi des contre-pouvoirs que formaient ses traditions et le tsar ne pouvait ni les ignorer, ni les déraciner : aurait-il pu détruire l’orthodoxie, la famille, l’autorité des grands-mères sur la jeunesse ? Non ! Ce n’était d’ailleurs nullement son projet. Et les bolcheviks, malgré leur violence, ont aussi échoué à étouffer les traditions : Comme de Gaulle l’avait prophétisé à l’encontre de tant de « soviétologues » incapables : « la Russie boira le communisme comme le buvard boit l’encre !

    Le totalitarisme est venu de l’Occident : la matrice initiale a été le pouvoir de la Terreur jacobine sous Robespierre admiré par Marx et Lénine. Le marxisme est une invention occidentale comme Lénine l’a souligné à juste titre dans son livre « l’Etat et la Révolution » : une synthèse d’économie anglaise (Ricardo), d’idéologie politique française socialiste et de philosophie allemande (Hegel et Feuerbach). L’URSS a été une rupture avec la Russie traditionnelle comme le 3ème Reich en Allemagne avec l’Empire allemand.

    La nouvelle Russie n’est pas plus totalitaire que ne l’est l’Allemagne actuelle depuis la chute d’Hitler. Cela aussi, on ne veut pas l’admettre car on a besoin d’un ennemi pour se réfugier sous le parapluie américain ! L’Europe officielle ne veut pas devenir adulte ! il faut donc construire un mythe d’un ennemi éternel, la Russie !

    Le troisième mythe est celui de l’effondrement démographique.

    Certes, cet effondrement a eu lieu après la chute de l’Union soviétique et la démoralisation importée de l’Occident pendant les années Eltsine. Mais les chiffres montrent un redressement très net : la population augmente depuis 2009 ; depuis 2012, le taux de natalité a rattrapé le taux de mortalité (13,3 pour mille habitants) et le taux de fécondité qui fut au plus bas en 1999 (1,17) n’a cessé de remonter pour atteindre 1,69 en 2012 ; le nombre d’avortement par femme est tombé de 3,4 en 1990 à 1,2 en 2006. L’espérance de vie masculine a augmenté de 4 ans entre 2005 et 2010 (69 ans aujourd’hui).

    La Russie pratique une politique familiale exemplaire tout en contemplant le suicide démographique de l’Occident. Chaque famille touche à la naissance d’un enfant une prime d’environ 7000 euros. Les incitations financières sont complétées par une revalorisation du mariage, de la fidélité et de la natalité avec la création d’une fête annuelle d’Etat pour décorer les couples méritants. Pendant ce temps, l’Occident prône l’idéologie du « childfree » (libre d’enfants) : le mot est choisi à dessein : on ne dit pas « childless » (sans enfants) ce qui serait neutre : la liberté, c’est l’absence d’enfants ! On est fort loin des valeurs de la charité chrétienne. Si l’on ajoute à cela, l’affirmation de l’égalité en valeur du couple volontairement stérile et du couple hétérosexuel fécond, et si l’on prend en compte la volonté de favoriser l’euthanasie des malades incurables, comme sous le 3ème Reich, on a du mal à ne pas croire le Pape Jean-Paul II lorsqu’il dénonçait la montée d’une culture de mort en Occident ! La Russie, comme l’a dit le président Poutine ou le patriarche Cyril, voit cette évolution avec inquiétude et prend le « parti de la vie » ! Qui s’en plaindra ?

    Le quatrième mythe est celui du « goulag » persistant

    Le goulag soviétique n’existe plus. Contrairement aux idées reçues, il n’y a que 800 000 prisonniers en Russie contre 2,5 millions aux Etats-Unis : le taux d’incarcération américain est de 714 prisonniers pour 100 000 personnes (2007) contre 532 en Russie. Les Etats Unis ne respectent pas la suppression de la peine de mort votée par le Conseil de l’Europe, (Texas : 500 exécutions depuis 1976, 39 exécutions pour tous les USA pour la seule année 2013) : que dirait-on si c’était la Russie ? Ce serait le scandale médiatique assuré !

    Soit dit en passant, la Tsarine Elisabeth avait abolit de facto cette peine et Anatole Leroy Beaulieu disait dans son « Empire des Tsars » que la Russie état la première du monde par la douceur de son code pénal (due à l’influence de l’Eglise orthodoxe). Les USA, grands donneurs de leçons de morale et de droit, ne respectent aucun des droits de la défense à Guantanamo : que dirait-on si cette prison était russe ?

    Le goulag est aussi une importation de l’Occident : les Anglais ont inventé les camps de concentration en Afrique du sud et Lénine a voulu copier la Terreur de Robespierre. On a exporté cet enfer répressif vers la Russie et, peut-être pour nous disculper, on l’accuse d’avoir généralisé ce système dont la victime numéro un a été le peuple russe lui-même !

    Le cinquième mythe est celui de l’immoralité foncière de la Russie

    C’est un conflit vieux comme l’histoire qui remonte à la mise à sac par les Croisés de Constantinople lors de la quatrième croisade en 1204 (contre la volonté du pape de l’époque, doit-on préciser). L’hostilité aux Byzantins est devenue l’hostilité à l’égard de la Russie. L’antislavisme de l’Occident ressemble beaucoup à l’antisémitisme. Les Russes seraient « génétiquement » cruels, voleurs, malhonnêtes, et inaptes à la liberté. L’Occident fait le silence sur ses propres turpitudes, guerres de religion (guerre de trente ans où le tiers de la population allemande disparait), inquisition, terreur de la révolution française, génocide de la Vendée décidé officiellement par la Convention (décret Barrère), première et deuxième guerres mondiales : tout cela est-il de la faute des Russes ?

    Les statistiques de criminalité ne sont pas toujours favorables à l’Occident. Par exemple, si l’on prend le marché de la drogue, les Etats Unis et l’Australie sont bien plus atteint que la Russie pour le cannabis, l’ecstasy ou la cocaïne.

    Mais au-delà de ce genre de comptabilité, on peut se poser la question de savoir si l’état moral général des Russes est meilleur ou non que celui des Occidentaux. Depuis les années 1960, (mai 68 en France), la situation des valeurs s’est dégradée : résultat, en France le nombre des crimes et délits est passé de 1,5 à 4,5 millions par an : est-ce un bon signe ?

    Dostoïevski nous donnera le mot de la fin : le starets Zossime, (starets : saint homme issu du peuple), déclare que la liberté sans discipline intérieure en Occident consiste à multiplier ses besoins sans limites : les hommes deviennent dépendant des objets et matérialistes. L’égalité sans amour conduit à l’envie, la jalousie et le meurtre. La fraternité sans racines est un verbiage : on constate en fait l’isolement croissant des hommes. Face à ce désert spirituel, la Russie offre l’exemple d’un christianisme vivant qui peut s’associer au christianisme occidental pour défendre les valeurs de notre civilisation commune.

    Nous Européens avons tout intérêt à nous associer à la Russie : l’intérêt économique est évident, l’intérêt politique aussi pour ne pas devenir une simple colonie de la superpuissance du moment, l’intérêt humain est de sauver les valeurs familiales face à la culture de mort et l’intérêt spirituel est de renouer avec les valeurs bimillénaires du christianisme et de l’antiquité classique. C’est une voie plus sûre que celle fondée sur le mépris de l’autre, le Russe en l’occurrence, qui empêche l’Europe d’être unie alors que le rideau de fer est tombé depuis longtemps.

    Yvan Blot (La Voix de la Russie, 24 avril 2014)

    Notes :

    [1] Wodzinsky « transe, Dostoïevsky, Russie ». L’âge d’homme 2014 p. 18

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  • Puissance et souveraineté...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Claude Empereur, cueilli sur le site Europe solidaire et consacré à la nécessité pour l'Europe de rechercher la puissance  et la souveraineté...

     

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    Puissance et souveraineté

    Les prochaines élections européennes risquent de se traduire par une nouvelle diminution des capacités de puissance et de souveraineté dont dispose l'Union Européenne. En France, la démission des Pouvoirs Publics face au démantèlement annoncé de l'entreprise Alstom ne fait que confirmer cet inquiétant pronostic

    La perspective des élections européennes, la négociation sur l'Accord de partenariat transatlantique, dans un climat général de méfiance envers les institutions européennes ,  devraient inciter médias et responsables politiques à s'interroger sur les concepts de puissance , d'indépendance et de souveraineté appliqués à la construction de l'Union Européenne et à rompre enfin avec une stratégie d'évitement sémantique qui à prévalu jusqu'à maintenant dans l'expression de ces concepts.

    La question de la puissance de l'Europe est essentielle mais à deux conditions :
    -    Que les Européens s'entendent sur son contenu,
    -   Qu'ils la considèrent non comme une fin en soi mais comme l'élément  d'un concept plus riche : la souveraineté européenne.

    Si la réconciliation des Européens avec la puissance est une nécessité,  l'impératif essentiel reste la conquête de la souveraineté,  c'est-à-dire la volonté de maitriser un  destin collectif. La puissance  n'est qu'un élément de la souveraineté, un chemin d'accès. Elle n'a pas de valeur en soi. C'est un concept relatif, au contraire la souveraineté est un concept absolu.
    La puissance se définit par  un contenu, la souveraineté  par une vision.

     La puissance : quel contenu ?

    Depuis  des années les responsables  politiques  comme  les médias ne cessent d'invoquer,   en toutes circonstances, à temps et à contretemps, la notion d'  « Europe puissance ». Rares sont ceux qui se hasardent à en définir le contenu. Pire,  les dirigeants  de l'Union Européenne, effrayés à l'idée d'être accusés d'exprimer ne serait ce que l'esquisse de la moindre volonté de puissance, intention qui pourrait les renvoyer « aux âges sombres de notre histoire », se sont ingéniés à affirmer, pour preuve de leur bonnes intentions, une volonté d'impuissance exemplaire. Ils croient devoir ainsi quémander l'approbation du reste d'un monde pourtant engagé dans une compétition multipolaire acharnée, dont le ressort est précisément l'expression de la puissance  sous toutes ses formes.

    Or, aujourd'hui rien ne permet de penser que les Etats membres de l'Union :
    -    se font la même idée de la puissance, de son usage et de sa finalité,
    -    sont d'accord sur ses différentes composantes,
    -    partagent une vision commune de la manière de les hiérarchiser,
    -    envisagent d'y affecter le même type ou même niveau de moyens,
    -    en ressentent même, pour certains, le besoin.

     Poser la question est déjà y répondre. Il suffit d'énumérer, pêle-mêle, quelques uns de ces éléments de la puissance : finance, démographie, défense, énergie, technologie, industrie, numérique, espace, océans, culture, etc. , pour s'apercevoir qu'il n'existe actuellement aucun consensus européen.
    Ceci ne signifie pas néanmoins qu'il faille renoncer à  l'idée de construire une « Europe puissante » notion concrète et opérationnelle, plutôt d'ailleurs  qu'une « Europe puissance » concept purement incantatoire, tout juste utile à servir de leurre dans les congrès  ou les assemblées de la bien-pensance européiste.

    Bien au contraire, il s'agit d'une impérieuse nécessité. Il est temps de  mettre en perspective  l'ensemble du dispositif de puissance nécessaire à la survie de l'Europe dans un monde qui globalement ne lui est pas favorable et perçoit l'Europe, au mieux comme un marché, au pire comme un ensemble  économiquement  anémique, démographiquement vieillissant et politiquement inexistant.

    Ayant depuis trente ans favorisé l'irénisme économique sur le volontarisme politique, le court-termisme du marché  sur la vision à long terme, l'Union s'est montrée incapable de mettre en œuvre ce dispositif de puissance dans des domaines aussi stratégiques que la recherche fondamentale et appliquée, l'énergie , les technologies génériques, le numérique, la sécurité alimentaire, la défense mais aussi les politiques de population ou d'identité culturelles.

    La réussite indiscutable de certaines grandes aventures technologiques ou industrielles, dans le domaine de l'aérospatial ou du nucléaire, est  due, pour l'essentiel, à des initiatives françaises relayées le plus souvent par l'Allemagne et parfois par d'autres partenaires européens.  Outre le fait que ces aventures  ont été initiées il ya plus de quarante ans, cette réussite certes brillante  masque le fait que les nouveaux domaines de la puissance n'ont guère été explorés depuis lors,  si ce n'est par des rapports ou des livres blancs.

     L'aversion pour toute politique industrielle, l'obsession de la concurrence libre et non faussée rendrait sans doute impossible aujourd'hui le lancement d'Airbus.  C'est non sans mal que l'on a réussi à construire l'A 400M, outil majeur de souveraineté par sa capacité de projection, ou réussi à poursuivre  le programme Galileo, instrument de géolocalisation indispensable à la sécurité et à la gestion des flux économiques. La livraison du premier se fait au compte goutte, compte tenu de la réduction des budgets de défense, le second a du accepter de nombreux  compromis d'interopérabilité avec le GPS américain préjudiciables à l'indépendance de l'Europe.

    Ce dernier point illustre clairement la volonté affichée par les Etats Unis, non seulement  face à l'Union Européenne, mais aussi au reste du monde, Chine notamment, de maintenir en permanence un « gap » technologique décisif seul susceptible de préserver une  volonté  de « full spectrum dominance », concept  ô combien  éclairant et non négociable de  leur stratégie d'hégémonie.

    L'affaire Snowden a révélé, par ailleurs, comment la NSA, l'une des agences de renseignement la plus emblématique de la souveraineté technologique et numérique américaine, bien au-delà du simple système d'écoute tentaculaire que l'on s'est borné à présenter, constituait, en réalité, le « pivot numérique » de cette stratégie.

    Pour paraphraser Mackinder et sa théorie du « pivot géographique », on peut affirmer en effet que celui qui contrôle et  commande  le « pivot numérique », contrôle le monde.

    La National Security Agency (NSA) dont Edward Snowden  a révélé l'ampleur des activités constitue l'axe central d'un pouvoir numérique planétaire.
    Ce pouvoir numérique qui se déploie, à vitesse exponentielle, dans tous les secteurs, de la défense à l'économie et à la culture est malheureusement hors d'atteinte pour les Européens qui ont renoncé à toute compétence en ce domaine, il y a quarante ans, par manque de vision technologique, industrielle et géopolitique, risquant ainsi de condamner l'Europe à n'être qu'une puissance incomplète.

    La souveraineté, quelle vision ?

    L'expression d'une puissance européenne sans but affiché  n'a  aucune valeur. Cette puissance doit être ordonnée à un objectif. A minima il s'agit d'assurer la survie  du Vieux  Continent ou, si l'on a plus  d'ambition, de défendre une certaine conception du monde et de la société, bref de maîtriser un destin.

    Or,  depuis  Bodin et  Hobbes, la  volonté de  se donner les moyens de cette maîtrise,  de  ne dépendre de qui que ce soit, de  protéger son  peuple , ses biens, son patrimoine , sa mémoire, s'appelle la souveraineté.

     Mais pour des raisons historiques, géopolitiques mais aussi  de psychologie collective les Européens vivent depuis la fin de la seconde guerre mondiale  dans le déni de souveraineté.

    Cette attitude de déni n'affecte en aucune manière les autres acteurs du monde multipolaire et de la soi-disant communauté internationale , qu'il s'agisse notamment  de la Chine , des Etats-Unis, de la Russie, de l'Inde, d'Israël ou du Brésil. Bien au contraire, ce monde  est le théâtre d'un affrontement permanent de souverainetés. Cet affrontement  est même la caractéristique essentielle d'un « monde redevenu  normal » pour reprendre l'expression du géopolitologue américain Robert Kagan.

    Mais le fonctionnement de leurs institutions condamne les membres de l'Union Européenne à ce déni.  Bien plus, ces institutions n'ont de cesse  d'absorber années après années, par délégations successives et irréversibles, la substance même des souverainetés nationales,  sans transformer ce processus en construction d'une souveraineté européenne à la fois « surplombante » et partagée  capable de s'exprimer face au reste du monde.
    Peu à peu s'est installée une conception à deux faces de la souveraineté européenne : l'une à usage interne, tournée vers les Etats membres, coercitive, culpabilisante voire punitive, l'autre à usage externe, complexée, frileuse et quasi inexistante à l'égard du reste du monde.
    Cette dissymétrie de plus en plus mal perçue par l'opinion est largement responsable de l'affaiblissement du sentiment européen.

    Elle est manifeste dans la gestion de la monnaie unique. Chacun a fini par comprendre que les sacrifices consentis en termes d'abandon de souveraineté dans ce domaine particulièrement sensible de la psychologie collective n'étaient pas compensés par l'émergence d'une monnaie qui, malgré une certaine réussite au plan international, ne parvenait pas à  s'imposer dans une  guerre des monnaies ou s'affrontent, pour l'essentiel, le Dollar et le Yuan, seules monnaies réellement souveraines car adossées à de véritables puissances.

     Il est vrai que, selon la tradition juridique, la souveraineté prenant nécessairement appui sur trois éléments : un Etat, un peuple et un territoire, l'Union européenne se trouve en porte à faux, révélant ainsi toute l'ambigüité de son projet.

    La difficulté est d'autant plus grande qu'au-delà et en complément  des puissances traditionnelles, se développent, à un rythme accéléré, d'autres vecteurs de puissance le plus souvent étroitement  reliés entre eux : le réseau des entreprises financières et leurs instruments de marché et celui des entreprises numériques publiques et souveraines, NSA, CIA et autres... ou privées  Google, Amazon, Facebook  etc....

    Les unes et les autres, aujourd'hui, sont, pour l'essentiel, dépendantes de l'hyperpuissante américaine.  Certains observateurs  pronostiquent le déclin de celle-ci. Tout montre au contraire qu'elle ne fait que se renforcer, sur les théâtres du monde où elle est vraiment importante. Par ailleurs  de nouvelles puissances émergentes ou ré-émergentes se sont engagées, à leur tour, dans une gigantesque compétition visant à  l'  « arraisonnement du monde », pour reprendre le concept qu'Heidegger appliquait au développement technologique postmoderne.

    Confrontés à une situation aussi complexe, porteuse de menaces pour leur avenir, paralysé par des institutions inadaptées au monde qui vient, tourmentés par un sentiment de culpabilité et parfois même de haine de soi, dépourvus de toute vision géopolitique collective, que peuvent faire les Européens pour échapper à cet arraisonnement « gullivérien » ?

    On a souvent dit que l'Union Européenne était une  construction juridique « sui generis » sans précédent  dans l'histoire. C'est sans doute vrai, elle n'est  ni un  Etat, ni une  fédération, ni une confédération. Il ne faudrait pas que cette singularité devienne maintenant un piège dans la compétition multipolaire qui se déploie sous nos yeux.

    Aux Européens d'inventer désormais une nouvelle forme de souveraineté  « sui generis », partagée, coopérative, surplombante, « hors sol » etc. pour peu que cette souveraineté, sans étouffer les souverainetés des Etats-membres, soit à la fois protectrice, libératrice et anticipatrice, seule capable de rompre avec cette « géopolitique de l'impuissance » qui semble inspirer l'Europe depuis cent ans.

    En l'absence de réflexion collective sur ces sujets,  la crise du sentiment européen ne cessera de s'aggraver.  Elle s'exprime aujourd'hui par une désaffection déjà très avancée de nos concitoyens vis-à-vis des institutions européennes. Ils constatent chaque jour, médusés, qu'elles ne répondent pas aux défis qu'imposent la crise et la recomposition du monde en résultant. Mais que l'on se rassure, si l'on peut dire.  Dans le collapse généralisé qui s'annonce,  il sera toujours possible de descendre plus bas. 

    Jean-Claude Empereur (Europe solidaire, 03 mai 2014)

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  • Un triste Hobbit...

    Nous reproduisons ci-dessous la critique éclairée de Ludovic Maubreuil consacrée au deuxième volet du film Le Hobbit, de Peter Jackson, et publiée dans la revue Éléments (n°150, janvier - mars 20014). Si les trois films que Peter Jackson avaient tiré de l’œuvre de J.R.R. Tolkien, Le Seigneur des Anneaux, étaient contestables , voire irritants, ils ne manquaient pas d'un réel souffle épique, avec quelques très belles scènes, et des paysages magnifiques. Le Hobbit, en revanche, n'est qu'un film d'action à la sauce hollywoodienne, dans lequel tout l'esprit de l’œuvre originale a disparu. Dommage...

    On peut lire les critiques de films et de livres de Ludovic Maubreuil sur son blog Cinématique.

     

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    Le Hobbit

    Comme il l'avait fait pour son adaptation du Seigneur des Anneaux (2001-2003), Peter Jackson dans sa nouvelle trilogie inspirée cette fois du Hobbit (2012-2013), invente des personnages et des situations presque autant qu'il en oublie. Ainsi remodèle-t-il l'épopée à sa guise, construisant à force d'ajouts et d'omissions, un tout autre récit que celui inventé il y a plus d'un demi-siècle par l'écrivain britannique JRR Tolkien.

    Dans Un voyage inattendu (2012), apparaît ainsi un certain Radagast, absent du roman. Celui-ci n'est toutefois pas inventé par Jackson, puisqu'il est cité par Tolkien dans Le Seigneur des anneaux et les Contes et légendes inachevés, mais c'est sa présentation qui pose question. Celui-ci appartient en effet, comme Gandalf et Saroumane, à la mystérieuse caste des Mages, lesquels font partie des Maiar, qui comptent parmi les premiers êtres du monde et sont apparentés à des divinités. S'il est à peine décrit chez Tolkien, Radagast rivalise ici de mimiques grotesques et de balbutiements hébétés, des fientes d'oiseaux plein les cheveux. Ce qui a pour conséquence, non pas d'amener un peu de légèreté (car règne ici un redoutable esprit de sérieux et la plupart des scènes gaies ou cocasses du roman sont gommées), mais bien d'altérer la taxinomie de Tolkien et de brouiller ses classifications. Montrer un Mage farfelu au lieu d’imposant, c'est du même ordre que faire d'un Nain comme Thorin, dans La Désolation de Smaug (2013), un individu noble et courageux, plutôt que pompeux et grippe-sou. Et ce, en complète contradiction avec le roman qui n'a jamais fait dire à ce descendant de roi qu'il venait reprendre son royaume, mais bien en premier lieu son trésor ! Là où Tolkien s'est attaché, pour chacune de ses créatures, à établir des caractéristiques et des spécificités, le compresseur hollywoodien ne veut voir que des humains interchangeables, faillibles et attachants, gentiment déguisés. Sur ce principe syncrétiste, l'Elfe Tauriel et le Nain Kili peuvent alors se faire les yeux doux sans grand dommage, alors que ceci demeure inconcevable dans l'univers tolkienien. Selon une logique de complémentarité bien comprise, les différentes communautés n’y coopèrent en effet qu’en fonction de ce qui les sépare. Passer outre la barrière d’espèce ne peut en aucune manière constituer une routine mais bien une dramatique exception, comme en témoigne la tragique histoire d’Arwen et Aragorn. 

    Arrêtons-nous sur Tauriel. Inventée de toutes pièces, sa présence sert évidemment un objectif commercial, puisque si le livre est totalement dépourvu de personnages féminins (exception faite des Araignées voraces), un film de cette ampleur financière doit permettre l'identification du plus grand nombre. Mais cette Elfe des bois est surtout un tribut payé au cinématographiquement correct, lequel tient à ses quotas. Elle s'inclut dans toute une série d'entorses aux descriptions du roman, comme ce Roi des Elfes résolument queer, ce nain obèse (Bombur) décimant ses ennemis non pas malgré son surpoids mais bien grâce à lui, ces visages enfin noirs parmi les Hommes habitant Lacville. Ce dernier détail, rien moins qu'anodin, associé au fait que le plus cruel des Orques est albinos, s'emploie à récuser  tout racisme, accusation qui commençait à poindre devant cette opposition trop systématique au goût de certains, entre la noblesse des «blancs» et l’indignité des «noirs» ! Oui, Tauriel est bien une héroïne idéologique de plus. Reprenant à son compte des attributs classiquement masculins comme la bravoure ou les capacités décisionnelles, tout en conservant des valeurs féminines de protection et de soin, elle prouve que la dé-genrisation des comportements sert avant tout la domination d'un nouveau sexe, et sous une forme inédite : le maternage autoritaire.

    C'est toutefois la place démesurée réservée à Azog qui modifie profondément l'âme du récit. L'anachronique histoire de vengeance entre cet orque et le Nain Thorin qui l'aurait blessé autrefois, transforme les pérégrinations des héros en fuite en avant. En rajoutant cette meute à leurs trousses, l'histoire contée tient alors davantage de la traque que de la quête. Ainsi contrairement au roman, n'y a t-il pas jamais d'attente, d'hésitation ou de rumination avant la Rencontre initiatique, car celle-ci se réduit à une succession d'obstacles, vite surmontés et vite oubliés. Chez Tolkien, la durée du trajet est capitale : c'est par le temps passé à prendre conscience de ce qu’on a perdu ou à espérer en ce qui va renaître, que l'on s'aguerrit. Ce n'est pas pour rien que des combats peuvent y être relatés en quelques lignes et des errances sur plusieurs pages (les films à l'inverse démultiplient les premiers et sacrifient les secondes). Remplacer la quête par la traque, c'est déclasser l'épiphanie du moment présent au nom de la crainte phobique de ce qui pourrait nous rattraper. C'est privilégier l'accumulation maladive qui refoule le passé aux épreuves de maturation qui le cristallise. C'est ne vivre l'événement que selon un principe de diversion, plutôt que d'y goûter une expérience précieuse. Poussée par les conséquences d'une faute (d'un péché?) autrefois commise, la course éperdue des héros jacksonniens leur interdit l’essentiel : considérer avec gravité ce qui s’effondre tout en s’inclinant devant les prévenances du Destin.

    Homogénéisation forcenée sous couvert de diversité parodique, utilitarisme névrotique comme seul manière d’être au monde, voilà donc le Hobbit de Jackson. On ne peut faire plus contraire à l'esprit tolkienien. Privilégiant l'interdépendance entre toutes les manifestations de la Nature, et donc entre le «bien» et le «mal», interdépendance rendue efficiente par la différenciation même de chacune de ses parties, défendant une éthique de l'audace et de la responsabilité, faisant tout autant fi du remords et de la honte que de l'orgueil et de l'envie, celui-ci se révèle tout simplement irréductible à la morale volontariste et manichéenne d'Hollywood.

    Ludovic Maubreuil (Éléments n°150, janvier - mars 2014)

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  • L'oligarchie mondialiste, fléau de l'Amérique et de l'Europe ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Arnaud Imatz, cueilli sur le site du Cercle Aristote et consacré au rôle délétère de l'oligarchie et de son idéologie mondialiste...

     

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    L'oligarchie mondialiste, fléau de l'Amérique et de l'Europe

    Lorsqu’on vit depuis des années à l’étranger un sujet régulier d’étonnement est le mélange de répulsion-fascination que suscitent les États-Unis dans les grands médias de l’Hexagone. Certes, il ne s’agit pas d’une nouveauté. La généalogie de l’américanophobie et de l’américanophilie est bien établie. Les historiens la font remonter au XVIIIe siècle. Mais l’ampleur du parti pris journalistique à l’heure de traiter l’information sur l’ami-ennemi américain, est proprement sidérante. Le matraquage « obamaniaque », à l’automne 2012, quelques jours avant les élections présidentielles, n’en est qu’un exemple criant. Le message était d’un simplicité enfantine : il y avait d’une part, Barack Obama, le « bon », le réformateur, le « créateur » du système de protection sociale, et, d’autre part, Mitt Romney, le « méchant », le réactionnaire-opportuniste, le mormon milliardaire, le capitaliste va-t-en-guerre. Oubliée la loi de protection de la santé adoptée par l’État du Massachusetts, en 2006, sous l’impulsion du gouverneur Romney. Oubliées les interventions répétées de l’armée américaine sous les ordres du président démocrate sortant, les attaques de drones qui violaient le droit international (10 fois plus nombreuses que sous Bush Jr.) en particulier au Pakistan et au Yemen, l’envoi de 33000 hommes en Afghanistan, l’intervention en Lybie… En démocratie, disait le théoricien des relations internationales, Hans Morgenthau, « la propagande est inévitable, elle est un instrument de la politique », et son contrôle ne peut être qu’un travail de Pénélope. On ne supprime pas la propagande, pas plus qu’on n’élimine la conflictivité, au mieux, on la minimise.

    En attendant le prochain déferlement de passion, il n’est peut être pas inutile de s’interroger sereinement sur l’hyperpuissance mondiale, sur son oligarchie et son peuple. Que penser de « l’Amérique et des Américains » ? Vaste question ! J’entends déjà mes amis d’Amérique hispanique s’insurger avec raison : « Ne vivons-nous pas en Amérique ? Ne sommes-nous pas, nous aussi, des Américains ? ». Mais passons. Faute d’espace, et à défaut d’analyses rigoureuses, voici quelques sentiments, opinions et pistes de réflexion.

    Fonctionnaire international à l’OCDE, émanation du célèbre Plan Marshall, j’ai eu la chance de travailler dans l’entourage immédiat du Secrétaire général et de côtoyer moult ambassadeurs et hauts fonctionnaires d’Amérique du Nord et d’Europe. Par la suite, fondateur et administrateur d’entreprise, j’ai entretenu des relations suivies avec un bon nombre de cadres d’universités et d’hommes d’affaires des États-Unis et du Canada. Une expérience restreinte, limitée à la classe directoriale et aux milieux urbains (après plus de trente voyages je reste avec l’envie d’admirer un jour les grands espaces !), mais néanmoins une connaissance directe, tirée de situations vécues pendant trois décennies. Disons le tout de suite, l’image qui en ressort est nuancée, voire ambigüe. Un peuple jeune, dynamique, agressif, violent, sans racines, né de la fusion d’apports les plus divers, a-t-on coutume de répéter. Je dirai pour ma part que les Américains du Nord sont généralement des gens aimables, ouverts, spontanés, simples, sympathiques et très « professionnels ». Ils méritent en cela considération et respect. La cuistrerie, le pédantisme, la suffisance, l’arrogance, le ressentiment, l’esprit de caste et la manie de la hiérarchisation reposant sur les écoles, les titres et les diplômes, ces plaies sociales de notre vieux continent, omniprésentes dans la pseudo-élite française, qu’elle soit intellectuelle, politique ou économique, sont nettement moins répandus outre-Atlantique. À tout prendre, je préfère d’ailleurs l’amabilité commerciale, pourtant très artificielle, du diplômé de Yale, Harvard ou Stanford à la fatuité et la présomption de tant d’énarques, de polytechniciens voire de docteurs d’État de l’Hexagone.

    J’admire sans réserves l’attachement, presque indéfectible, du peuple américain au premier amendement de sa Constitution : « Le Congrès ne fera aucune loi qui touche l’établissement ou interdise le libre exercice d’une religion, ni qui restreigne la liberté de la parole ou de la presse, ou le droit qu’a le peuple de s’assembler paisiblement et d’adresser des pétitions au gouvernement pour la réparation des torts dont il a à se plaindre ». Je sais bien sûr l’aptitude des juristes à réinterpréter un texte constitutionnel, parfois même dans un sens absolument contraire à l’esprit des pères fondateurs, afin de satisfaire les intérêts de la classe politique ou de répondre à ses injonctions. Je ne suis pas non plus naïf au point de croire que cette fidélité au Bill of Rights est appelée à perdurer éternellement sans aucune faille. Mais à ce jour, malgré les accrocs et les accusations répétées de violations, le principe et son application me semblent résister. Et ce n’est pas rien ! Il suffit de comparer la situation états-unienne avec celle de la France pour s’en convaincre. Une loi mémorielle, qui imposerait le point de vue officiel de l’État sur des faits historiques, est tout-à fait inconcevable aux États-Unis.

    J’admire aussi évidemment les découvertes scientifiques et surtout techniques de cette grande nation. Il faudrait d’ailleurs être dépourvu de raison et de cœur pour les ignorer. Je fais en outre le plus grand cas de la littérature nord-américaine. Qui oserait prétendre qu’elle n’a pas souvent atteint les plus hauts sommets ? Même le cinéma hollywoodien ne me semble pas aussi médiocre qu’on le prétend. Quantitativement pitoyable, soit ! Mais il réalise chaque année de véritables chefs d’œuvres. Peut être 1 % de la production, qui a toujours rivalisé en nombre et en qualité avec le meilleur du cinéma européen et qui, depuis déjà près de trente ans et à l’exclusion de quelques rarissimes exceptions, distance ce dernier de très loin. Enfin, dans le domaine qui m’est le plus familier, l’histoire des faits et des idées et les sciences politiques, j’ai la ferme conviction qu’au tournant du XXIème siècle, les travaux d’auteurs aussi différents que Christopher Lasch, Paul Gottfried, Robert Nisbet, John Lukacs ou Paul Piconne, égalent, et parfois dépassent, ceux de n’importe quelle figure intellectuelle européenne.

     

    Les codes de la nouvelle classe dirigeante américaine

    Cela-dit, il y a plus d’une ombre au tableau. Après avoir longtemps structuré la nation nord-américaine, la pensée et le mode de vie des WASP (White Anglo-Saxon Protestant) ont fait long feu. Le puritain, animé par l’idéal abstrait de renoncement personnel et de perfectionnement de soi, l’homme pieux, pour qui la réussite personnelle est secondaire par rapport à l’œuvre sociale, relève du souvenir lointain. Mort !, l’individualiste farouche d’antan, le cow-boy tenté par l’aventure de la vie sauvage. Enterré !, le « self made man », l’archétype du vieux rêve américain, cet être loyal, solidaire, zélé au travail, autodiscipliné, modéré, épargnant, refusant de s’endetter. Il y a belle lurette que la majorité de la société américaine n’accorde plus d’intérêt à ces valeurs et idéaux.

    En cinquante ans, les « codes » de l’élite politico-économico-médiatique « américaine » ont changé considérablement. Le style de vie de la classe directoriale est désormais marqué par l’anomie, le manque de racine, l’anxiété, le changement perpétuel, l’incertitude, le narcissisme, la hantise du « standing », l’obsession de la bonne santé physique, l’assujettissement à la consommation de la marchandise, la complaisance pour les hétérodoxies sexuelles, le mépris des traditions populaires jugées trop « réactionnaires », l’asservissement à la tyrannie de la mode, la fascination pour le marché capitaliste, l’admiration des formes de propriété anonyme, la recherche frénétique du profit, le culte passionné de l’accomplissement personnel, de la performance, du spectacle, de la réussite et de la célébrité.

    Ostensiblement égalitaire, antiautoritaire, cosmopolite, communautarienne et multiculturaliste,  la nouvelle classe dominante se distingue par ses revenus et son train de vie élevés. Elle tourne le dos à la question sociale et au peuple, mais fait le plus grand cas des questions de société telles que la lutte contre l’homophobie, le mariage gay, l’aide à la famille mononucléaire et monoparentale, le soutien de la pratique des mères porteuses, l’enseignement de l’idéologie du genre, la dépénalisation des drogues « douces », l’éloge de la discrimination positive en faveur des minorités ethno-religieuses, etc. Parmi ses membres, se recrutent les adeptes les plus fervents de la libre circulation des marchandises et des personnes. Ils sont les zélateurs du libre-échange et de l’immigration illimités. « Vivre pour soi-même et non pour ses ancêtres et sa postérité » ou « Avant moi le néant après moi le déluge » pourrait-être leur devise. Le conformisme « progressiste », la hantise des « valeurs périmées et dépassées », masque chez eux la diligence empressée à l’égard d’un nouvel ordre social banalisé, une domination reformulée, un contrôle social remodelé.

    Si vous devez négocier avec le représentant d’une grande entreprise ou d’une quelconque bureaucratie publique ou privée, avec un « CEO » (PDG) ou un haut fonctionnaire fédéral et ses conseillers, attendez-vous à toutes les chausse-trapes. Mensonge, félonie, dol, boniment, duplicité, sont permis. La fin justifie les moyens. On me dira bien sûr que j’ai tort de mettre en cause l’ensemble de cette « élite » ou plutôt « pseudo-élite », qu’il est faux de laisser entendre que tout le milieu est à l’image de quelques uns, que c’est ignorer la complexité de la nature humaine, pire, que c’est faire le jeu du « populisme » démagogique. Je ne nie pas qu’il y ait des exceptions remarquables, mais malheureusement, après des décennies d’expérience, je reste dans l’expectative de les rencontrer. La réalité, évidemment contestée par les intéressés, est que la lâcheté, l’hypocrisie et l’opportunisme sont  omniprésents parmi eux. Que pourrait-on d’ailleurs attendre d’autre de la part d’experts en communication, de spécialistes de la désinformation, de la manipulation, de la séduction et de l’impression produite sur les autres ? Exit donc l’idéal de la vieille culture américaine, celui du devoir et de la loyauté. La culture dominante des pseudo-élites modernes états-uniennes est résolument hédoniste, individualiste et permissive.

     

    Un modèle vénéré par les « élites » européennes de droite comme de gauche

    Je me refuse pour autant à reprocher à l’Amérique ou aux Américains du Nord les attitudes d’une caste interlope ou les défauts d’un modèle de société que la majorité de nos oligarques européens développe et vénère au quotidien. Dans le cœur et l’esprit de ces derniers, l’identité culturelle n’est-elle pas aussi ostensiblement remplacée par l’exaltation de la croissance du PNB, la glorification de l’accès massif à la consommation, la volonté d’étendre le mode de vie occidental au reste du monde, l’espoir fou que le développement des forces de production peut se perpétuer partout indéfiniment sans déclencher de terribles catastrophes écologiques ? Les « valeurs universelles », les « droits de l’homme » ne sont-ils pas sacralisés par la classe dirigeante européenne qui magnifie elle aussi la croisade démocratique mondiale et méprise souverainement les circonstances historico-culturelles données ? Le discours /récit des grands médias européens n’a-t-il pas lui aussi pour fonction de revêtir les aspirations et les intérêts matériels des nations « occidentales » sous l’apparence d’objectifs moraux universels ?

    Nul n’en disconviendra, les États-Unis occupent une place exceptionnelle sur la scène internationale. Ils sont les détenteurs du leadership mondial. Ils sont la superpuissance, l’hyperpuissance ou l’Empire (terme le plus exact, bien qu’il soit généralement évité pour prévenir l’accusation d’antiaméricanisme). Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis se voulaient le fer de lance de l’anticolonialisme, mais en réalité, leurs interventions dans le monde pour défendre leurs intérêts se comptent par milliers depuis le XIXe siècle. Pour le seul cas de l’Ibéro-Amérique, on n’en compte pas moins de 50 majeures et 700 mineures. L’application historique de la doctrine Monroe (1823) a montré que la devise « L’Amérique aux Américains » signifiait en réalité « L’Amérique aux Américains du Nord ».

    Dans la phase actuelle de recomposition des pôles politico-économico-culturels mondiaux, l’Empire thalassocratique perd de l’influence, mais il n’en conserve pas moins une position hégémonique. Au tournant du XXIe siècle, aucune puissance émergente n’est en mesure de surpasser les États-Unis. Ils produisent un peu moins du quart de la richesse mondiale, peuvent exploiter de fabuleux gisements de gaz de schiste et disposent d’une force militaire écrasante. Leur décadence, leur déclin, est semble-t-il inéluctable, mais la chute peut être ralentie durablement.

    L’hybris états-unienne, la démesure dictée par l’orgueil des pseudo-élites nord-américaines, constitue néanmoins un redoutable danger pour la stabilité de la planète. La guerre économique, dont ils sont un fauteur majeur depuis plusieurs décennies, est une réalité planétaire. La guerre du pétrole et du gaz n’en est qu’un des aspects les plus criants. Nier ou ignorer tout ce qui est en jeu : le contrôle des réserves énergétiques et agroalimentaires mondiales, la domination de l’information, des communications, de l’intelligence civile et militaire, est le signe de l’aveuglement, de l’incompétence ou de la trahison.

    Mais cela dit, l’honnêteté intellectuelle impose de souligner la complicité active ou la collaboration bienveillante dont bénéficie la nouvelle classe dirigeante américaine en Europe, sans oublier le rôle très discutable et la marge d’action considérable des managers des multinationales. Patriotes ou nationalistes sans complexes, les présidents Américains, démocrates ou républicains, nous répètent à l’envi que le peuple des États-Unis est « élu et prédestiné », que « le destin de la nation américaine est inséparable du Progrès, de la Science, de l’intérêt de l’Humanité et de la volonté de Dieu », mais c’est bien l’hyperclasse mondiale dans son ensemble qui reprend à l’unisson : « L’histoire des États-Unis d’Amérique se confond avec celle de la liberté, de la prospérité, de la démocratie et de la civilisation ».

     

    L’espoir d’une recomposition et d’une relève politique  

    Que les choses soient claires : « l’Amérique » ou les Américains du Nord ne sauraient être tenus pour l’adversaire principal.  L’adversaire est en nous, il est chez nous. L’adversaire, c’est l’idéologie mortifère de la pseudo-élite de gauche comme de droite ; c’est celle des leaders et apparatchiks (non pas des militants et sympathisants) des principaux partis européens au pouvoir, néo-sociaux-démocrates et néolibéraux, si proches des sociaux-libéraux du parti démocrate et des néoconservateurs du parti républicain d’outre-Atlantique ; c’est celle des maîtres de la finance mondiale et de leurs affidés médiatiques gardiens jaloux du politiquement correct ; c’est celle des « intellectuels organiques », contempteurs inlassables du populisme démagogique. Ce populisme, qui, selon eux, mettrait en cause dangereusement la démocratie, alors que, malgré d’inévitables dérapages, il est le cri du peuple, la protestation contre un déficit de participation, l’appel angoissé à la résistance identitaire, à la restauration du lien social, à la convivialité ou à la sociabilité partagée. L’adversaire, c’est bien l’idéologie des néolibéraux et des néo-sociaux-démocrates, et celle de leurs « idiots utiles », les altermondialistes, qui, à leur manière, rêvent de parfaire la transnationalisation des personnes et l’homogénéisation des cultures.

    Soulignons-le encore : le combat culturel ne se livre pas entre l’Europe et l’Amérique du Nord, mais entre deux traditions culturelles qui se déchirent au sein de la modernité. L’une, aujourd’hui minoritaire, est celle de l’humanisme civique ou de la République vertueuse, qui considère l’homme d’abord comme un citoyen qui a des devoirs envers la communauté, et qui conçoit la liberté comme positive ou participative. L’autre, majoritaire, est celle du droit naturel sécularisé, de la liberté strictement négative entendue comme le domaine dans lequel l’homme peut agir sans être gêné par les autres. L’une revendique le bien commun, la cohérence identitaire, l’enracinement historico-culturel (national, régional et grand continental), la souveraineté populaire, l’émancipation des peuples et la création d’un monde multipolaire ; l’autre célèbre l’humanisme individualiste, l’hédonisme matérialiste, l’indétermination, le changement, l’homogénéisation consumériste, l’État managérial et la « gouvernance » mondiale, sous la double bannière du multiculturalisme et du productivisme néo-capitaliste.

    Pour les tenants du « Républicanisme » ou de l’humanisme civique, les néolibéraux, néo-sociaux-démocrates et altermondialistes sont incapables d’engendrer un attachement solide au bien commun. Ils savent que le principal danger de la démocratie vient d’une érosion de ses fondements spirituels, culturels et psychologiques. Avec Aristote, Montesquieu, Rousseau, Jefferson, et tant d’autres, ils reconnaissent que la démocratie est impossible sans un territoire limité et un degré élevé d’homogénéité ou de cohésion socioculturelle. Ils savent qu’il n’y a pas un seul modèle de libre marché, le capitalisme dérégulateur anglo-saxon, et que des légions de défenseurs du libre marché se sont opposés au système de laisser-faire et de marchandisation globale. Ils savent que depuis les pionniers de l’économie politique de l’École de Salamanque au XVIème siècle, jusqu’aux théoriciens de l’ordolibéralisme de l’après-Deuxième-Guerre mondiale, en passant par les non-conformistes des années 1930, de très nombreux et prestigieux économistes considèrent que  le libre marché doit dépendre de la politique, de l’éthique et de la morale.

    Les partisans d’une troisième voie moderne (laquelle ne se confond pas avec les versions décaféinées de Clinton, Blair ou Bayrou), défendent le principe de la petite et moyenne propriété (individuelle, familiale et syndicale) des moyens de production coexistant avec de plus grandes formes de propriété rigoureusement réglementées dans le cadre d’une économie régionale autocentrée. Ils se dressent contre le capitalisme monopolistique et financier, contre les processus de concentration du grand marché néolibéral, contre le collectivisme socialo-communiste, contre toutes les formes de bureaucratisations publiques et privées. Ils considèrent que le protectionnisme entre ensembles régionaux homogènes (non pas entre pays) aux niveaux de vie très différents, est non seulement justifié, mais nécessaire. Enfin, ils accordent une priorité absolue aux mesures de politique démographique et au contrôle de l’immigration qui sont d’une importance vitale pour la survie de l’identité culturelle, de la sécurité et du progrès économique et social.

    Depuis près de 40 ans, à droite comme à gauche, le lobby immigrationniste occupe une position dominante. Pour ne pas être diabolisées, les rares voix discordantes des partis majoritaires ont été contraintes au silence ou à manier la litote. Après avoir défendu « la limitation de l’immigration » et plaidé pour « la réduction de l’immigration clandestine », elles ont fini par soutenir du bout des lèvres « l’immigration choisie ». Mais au fil du temps, malgré les efforts désespérés de l’oligarchie « discuteuse » en faveur d’une main-d’œuvre afro-maghrébine abondante et bon marché, une partie croissante de l’opinion a décroché. Les complaisances d’usage pour « l’islamisme pluriel et pacifique », des esprits affaiblis, tétanisés par la peur du conflit, ne font plus recette. Les arguties, les insultes et les réactions passionnées des Fukuyama, Morin, Lévy, Touraine, Habermas et autres gardiens jaloux du temple se révèlent de plus en plus inefficaces. L’influence sur l’opinion du discours politique de l’oligarchie dominante ne cesse de décroître. La bipolarisation droite-gauche, sacralisée par les élites politiques et leurs soutiens que sont les bobos des grandes villes, les fonctionnaires et les retraités, ne correspond plus à rien pour les classes populaires. Ouvriers, employés, petits agriculteurs et petits commerçants prennent conscience que les prétendues « valeurs républicaines ou démocratiques », réduites aux seuls droits de l’homme, signifient en réalité les valeurs du grand marché. Ils ne croient plus à la vieille rengaine : « la mondialisation bénéficie à tous », « l’immigration est une chance  » ou « il n’y a pas trop d’immigrés ».  Ils savent qu’ils sont au contraire et resteront irrémédiablement les exclus du mondialisme et du multiculturalisme. Par ailleurs, un bon nombre de jeunes se rebellent. Pour perdurer, l’oligarchie  doit en tenir compte malgré les vœux et les cris d’Orphée que poussent encore ses membres les plus dogmatiques.

    « Toute vérité franchit trois étapes, disait fort justement Arthur Schopenhauer. D’abord, elle est ridiculisée. Ensuite, elle subitune forte opposition. Puis, elleest considéréecomme ayant toujours étéuneévidence ». C’est un honneur que d’aller contre les modes, les interdits, le « politiquement correct »  de son temps ; que de refuser le chemin de la servitude, du totalitarisme de l’argent et du magma mondialiste. C’est un honneur que de s’inscrire dans la filiation des Charles Péguy, Miguel de Unamuno, Daniel-Rops, Georges Bernanos, Simone Weil, Wilhelm Röpke, Julien Freund, Jules Monnerot, Christopher Lasch, Maurice Allais et tant d’autres résistants au fléau de l’oligarchie mondialiste. Notre Europe n’a jamais été celle des disciples de Jean Monnet, celle des multinationales, sous la tutelle définitive des États-Unis d’Amérique, « l’Europe où, comme disait Charles de Gaulle, chaque pays perdrait son âme ». Notre Europe est celle du meilleur gaullisme, celle des peuples, celle de la « troisième force », celle de l’axe grand-continental ou grand-européen.

    Arnaud Imatz (Cercle Aristote, 28 octobre 2013)

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