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Points de vue - Page 270

  • Ebola, une menace mondiale ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Paul Baquiast, cueilli sur son site Europe solidaire et consacré à l'épidémie de fièvre hémorragique Ebola et à la menace qu'elle représente en particulier pour la France...

     

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    Ebola. Une menace mondiale

    L'extension de plus en plus rapide du virus Ebola, qui a fait et surtout qui fera bien plus de morts que l'Etat islamique, n'avait jusqu'ici inquiété que les pays touchés, mais guère les pays africains voisins et pas du tout les pays dits développés.

    Beaucoup d'émotions et de peur sont générées par le développement récent du soi-disant Etat islamique. Celui-ci a déjà fait des centaines de victimes au Moyen-Orient. Il est probable que la menace s'étendra dans d'autres régions du monde, l'Afrique, l'Europe, l'Amérique. Il est légitime de réagir à cette menace, en s'efforçant de mettre hors d'état de nuire les djihadistes, quel qu'en soit le coût.

    Mais ironiquement, l'extension de plus en plus rapide du virus Ebola, qui a fait et surtout qui fera bien plus de morts que l'Etat islamique, n'avait jusqu'ici inquiété que les pays touchés, mais guère les pays africains voisins et pas du tout les pays dits développés. Cependant le risque est considérable et nul n'y échappera, tant du moins que des vaccins ne seront pas mis au point...ce qui n'est pas près d'être fait..

    Un début de prise de conscience

    Or les esprits sont en train de changer, devant l'ampleur grandissante, quasi exponentielle, que prend l'épidémie. Le Conseil de Sécurité le 18 septembre a publié une Résolution déclarant que celle-ci était devenue une menace à la paix et à la sécurité dans le monde, pouvant si elle n'est pas contenue entrainer des troubles civils, des tensions sociales et une détérioration générale du climat politique mondial. L'ONU indique que un milliard de dollars serait dès aujourd'hui nécessaire pour contenir l'épidémie, sans évidemment préciser d'où ces sommes pourraient provenir. Devant le Conseil de Sécurité, Margaret Chan, Dr. Gen. De l'OMS, avait renforcé le message. Il « s'agit d'une menace à la sécurité des nations, au delà des pays déjà infectés ».

    C'est que les alertes s'accumulent. Les cas connu à la date de cet article dépassent 6.000 et leur nombre double tous les 15 jours. On estime par ailleurs qu'un grand nombre de malades ne sont pas identifiés, pour des raisons diverses. Les US Centers for Disease Control prévoient qu'un million de personnes seront atteintes en Afrique de l'Ouest en janvier prochain (avec une mortalité rappelons-le de 50 à 70%). A partir de là, le virus circulera non-stop dans toute l'Afrique et s'étendra progressivement au reste du monde.

    Des coûts économiques

    Une Mission de l'ONU pour les réponses d'urgence à Ebola (Ebola Emergency Response) qui vient de se réunir à Accra organisera le déploiement de moyens militaires et civiles que viennent de s'engager à fournir les Etats-Unis, la Chine, la France, le Royaume Uni et Cuba. D'autres pays sont en voie de faire de même. C'est que les gouvernements commencent à se rendre compte que tous les pays seront rapidement touchés, non seulement au plan sanitaire, mais compte tenu des conséquences de l'épidémie sur le commerce mondial et sur les circuits financiers.

    Selon la Banque Mondiale, le virus imposera à l'Afrique de l'Ouest des coûts de plusieurs milliards de dollars d'ici 2015. D'ores et déjà, l'activité économique est en récession au Libéria, en Guinée et au Sierra Leone. Ces pays sont gros producteurs de riz. Or à ce jour environ 40% des agriculteurs sont décédés ou ont fui. Le mouvement ne s'arrêtera pas, car Ebola s'étendra nécessairement à d'autres pays.

    En Afrique et hors d'Afrique, les villes mal équipées en terme d'hygiène générale ou surpeuplées seront atteintes. Les voyageurs infectés et non encore détectés comme contagieux disperseront très vite le virus, d'autant plus que, contrairement aux premières affirmations des épidémiologistes, certaines personnes ne manifestent de symptôme que 3 semaines après avoir été atteintes. Que l'une d'entre elle atteignent Calcutta ou Mexico et très vite ces centres urbains deviendront des foyers explosifs d'épidémie.

    Le danger menace les populations des pays riches eux-mêmes, Etats-Unis, Europe. Mais avant cela – et l'argument ne laisse pas indifférents les milieux d'affaire – le commerce international avec l'Inde ou le Brésil sera durement touché, avant que ne le soient les échanges transatlantiques ou inter-européens.

    Prévention et lutte difficiles

    En termes de prévention et de lutte, l'appel aux militaires – merci pour eux – ne suffira pas. Il faudra recruter et former des milliers de nouveaux professionnels de santé, en les dotant de tous les moyens de protection disponibles. Mais les volontaires, compte tenu des risques encourus, ne seront sans doute pas assez nombreux. Dans l'idéal, il faudrait former des dizaines de milliers de personnes potentiellement menacées à se protéger elles-mêmes – ce que dans certains pays, pour des raisons religieuses ou politiques, elles refusent de faire.

    A terme, il faudra prévoir que, même si la prolifération de l'épidémie est ralentie, celle-ci deviendra endémique, notamment en Afrique de l'Ouest. ce qui signifiera que le virus sera présent dans l'ensemble des populations, ne se manifestant que par vagues. En théorie un virus aussi contagieux continue à se répandre jusqu'au moment où toutes les personnes exposées sont mortes ou se sont immunisées spontanément.

    Certains hommes politiques, en Europe, dont l'un très connu en France que nous ne nommerons pas, estiment que le virus est une réaction naturelle à la surpopulation dans certaines zones du monde dont l'Afrique, et qu'il faut laisser faire. Dans les réseaux sociaux se tient un autre discours: tout ceci résulte de campagnes alarmistes montées par les laboratoires de santé (la « big pharma »). On ne nous refera pas le coup de la grippe H5N1, affirment ces bons esprits. Mais lorsque les uns et les autres réalisent qu'eux-mêmes ou leurs intérêts immédiats pourraient être victimes du virus, ils changent de discours.

    Pourquoi alors ne pas investir les milliards qui seront de toutes façons dépensés en conséquence de la pandémie au profit de recherches sur les vaccins. Les spécialistes répondent que, même si certaines souches vaccinales semblent prometteuses, il faudra de nombreux mois avant de les produire et de les diffuser en quantités industrielles. Vacciner 50% de la population pourrait suffire à stopper l'épidémie, mais d'ores et déjà cela voudrait dire vacciner des millions ou dizaines de millions de personnes dans les pays pauvres – ce qui est impossible, ne fut-ce que par les vaccins ne sont pas encore au point.

    Quant à interdire ou fortement limiter les transports aériens, les agents propagateurs de virus les plus actifs, aucun spécialiste ne le conseille. Il en découlerait un blocage généralisé des échanges, dont en tout premier lieu ceux intéressant les personnels de santé. Il en résulte que des modèles de propagation du virus établis récemment montrent qu'en Afrique, les pays les plus à risque sont en Afrique le Ghana et la Gambie, et hors d'Afrique la Belgique, la France et les Etats-Unis.

    Une systémique des virus

    Pour en revenir à notre propos initial, concernant la propagation du virus du djihad dans les pays du Moyen Orient, les spécialistes des épidémies considérées comme des phénomènes systémiques affectant l'ensemble du monde connecté d'aujourd'hui pourront faire d'intéressantes études comparatives. Il en sera de même des spécialistes de la mémétique, ayant déjà démontré que les mêmes, qu'ils soient bénéfiques pour la société ou mortels (tel que l'envie d'égorger un prétendu infidèle) se propagent dans les sociétés anthropotechiques selon des modes viraux très voisins de ceux responsables de la grippe et aujourd'hui d'Ebola. La science a encore beaucoup de choses à apprendre.

    Jean Paul Baquiast (Europe solidaire, 24 septembre 2014)

     

    Références

    * Résolution 2177 du Conseil de Sécurité http://www.un.org/en/ga/search/view_doc.asp?symbol=S/RES/2177%20%282014%29 18 septembre 2014

    * Communication de l'OMS devant le Conseil de Sécurité http://www.who.int/dg/speeches/2014/security-council-ebola/fr/

    * Mission de l'ONU pour les réponses d'urgence à Ebola http://www.un.org/apps/news/story.asp?NewsID=48760#.VCLH-hZWKcH

    Modèle pour évaluer les risques d'expansion de l'épidémie http://currents.plos.org/outbreaks/article/assessing-the-international-spreading-risk-associated-with-the-2014-west-african-ebola-outbreak/
    Voir notre article précédent en date du 29/08  http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2014/148/ebola.htm

     

     

     

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  • Ecosse, Catalogne, Corse, Pays basque : même combat ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Paul Brighelli, cueilli sur son blog Bonnet d'âne et consacré à la poussée des régionalismes identitaires. Une analyse intéressante (et étonnante de la part de son auteur) sur un sujet profondément ambivalent...

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    Ecosse, Catalogne, Corse, Pays basque : même combat !

    Les Ecossais ont donc majoritairement voté No au référendum sur l’indépendance : le contraire aurait été surprenant, vu le matraquage opéré non seulement par les Anglais, soudain inquiets de perdre le contrôle de la poule aux œufs d’or, mais globalement par le monde entier, soucieux de ne pas encourager un si vilain exemple. Pour l’Europe, particulièrement, malgré le pseudo-exemple allemand, qui serait à la source des recompositions de régions voulues par François Hollande, le type qui n’a jamais fait de géographie, et qui semble croire que le Bordelais lorgne sur le Limousin, l’Auvergne sur Rhône-Alpes et la Corse — ben la Corse, on n’y touche pas, on sait trop bien ce qui arrive aux bâtiments publics quand on les contrarie. Et puis pour l’économie mondialisée, ces histoires de région, cela sonne un peu archaïque. Dans l’optique des Nouveaux Maîtres — Alibaba et Goldmann-Sachs réunis —, la planisphère s’article autour de la Chine industrielle (production) en une très vaste périphérie regroupant le reste du monde (consommateurs). Bref, l’Empire du Milieu mérite à nouveau son nom.
    « À titre personnel, oui, je suis heureuse, parce qu’on n’aime jamais voir les nations qui constituent l’Europe se déliter… », a dit Najat Vallaud-Belkacem sur les ondes de France-Info, en ouverture de son interview du 19 septembre. Ma foi, elle a presque touché du doigt l’essentiel de cette élection ratée — mais une occasion manquée ne peut manquer d’amener une nouvelle occasion plus réussie — en Catalogne par exemple. L’essentiel, c’est que les Etats sont morts, dans le Grand Projet Mondialisé. Le pur jacobin que je suis s’en émeut, mais il constate : « l’Etat, c’est moi », disait Louis XIV — et l’Etat, désormais, c’est Hollande. On mesure la déperdition de sens. Le soleil s’est couché.

    Dans un livre qui vient de paraître (la France périphérique — Comment on a sacrifié les classes populaires, Flammarion), le géographe Christophe Guilluy montre fort bien que la France est désormais une galaxie de malaises additionnés tournant autour des « villes mondialisées » que sont Paris et deux ou trois autres centres urbains. Ce qui, explique-t-il, entraîne des réactions, frictions, émeutes et vote FN dans des endroits fort éloignés des bastions historiques du lepénisme. Les cartes de la désindustrialisation et de la montée des extrêmes se superposent exactement. Et après les Bonnets rouges, précise-t-il, on peut s’attendre à d’autres jacqueries — au moment même où je lisais son analyse, les Bretons incendiaient le Centre des impôts de Morlaix. Et la Bretagne, pour tant, est fort éloignée de Hénin-Beaumont ou de Vitrolles. Mais voilà : ce sont désormais les périphéries qui flambent.
    Eh bien, je vois la tentation indépendantiste de l’Ecosse, de la Catalogne ou du Pays basque comme des réactions périphériques au viol permanent opéré par la mondialisation. Ce ne sont pas des réactions contre les Etats — il n’y a plus d’Etat —, mais contre les abolisseurs de frontières, les importateurs de saloperies à deux balles, les financiers transnationaux, contre ceux qui trouvent que le McDo est meilleur que le haggis ou le figatelli, contre les appétits qui pompent du pétrole pour assouvir la City, ou qui exploitent Barcelone pour faire vivre Madrid.
    En fait, soutenir les régions, aujourd’hui, a un sens exactement à l’opposé de ce qu’il a pu avoir en 1940-1944 — il faut être bête comme Askolovitch pour croire qu’exalter le vrai camembert normand est une manœuvre pétainiste. Soutenir les régions, c’est combattre l’uniformisation voulue par les oligarques du gouvernement mondial, et, plus près de nous, les valets de l’ultra-libéralisme qui ont fait de l’Europe le champ de manœuvres de leurs intérêts — les leurs, pas les nôtres.

    Jean-Paul Brighelli (Bonnet d'âne, 22 septembre 2014)

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  • Les contradictions de l'intervention occidentale en Irak...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 18 septembre 2014 et consacrée à l'intervention occidentale en Irak contre l'Etat islamique en Irak et au Levant...

     


    Éric Zemmour : "Les contradictions de l... par rtl-fr

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  • A la recherche d'un ennemi...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Julien Rochedy, cueilli sur son blog, Rochedy.fr, et consacré à la question de l'ennemi. Responsable du Front national de la jeunesse, Julien Rochedy est l'auteur de deux essais, Le marteau - Déclaration de guerre à la décadence moderne (Praelego, 2010) et L'union européenne contre l'Europe (Perspectives libres, 2014).

     

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    A la recherche d'un ennemi

    L'Europe contemporaine est-elle devenue lévinassienne ? C'est la question que pose Alain Finkielkraut dans son livre d'entretien avec le philosophe allemand Peter Sloterdijk. On pourrait aussi ajouter : est-elle devenue enfin chrétienne ? Car cette question dépend de notre inédit rapport à l'Autre, figure certes essentielle de l’œuvre d'Emmanuel Lévinas, mais qui vient de loin dans la réflexion de l'humanité. Si notre rapport à l'Autre est la mesure de notre humanisme et de notre moralité, alors en effet l'Europe est désormais lévinassienne, chrétienne, ou peut-être même, pour vulgariser le tout : de gauche. L'aménité spontanée vis à vis de l'Autre serait une idée neuve en Europe, au point que, passé les affres du XXeme siècle, elle en serait devenue l’étendard essentiel, son véritable emblème axiologique. Pour s'en convaincre, il suffit de jeter un coup d’œil sur les idées reçues les plus rependues depuis trente ans chez le commun des européens, qu'il soit riche ou pauvre d'ailleurs : les drames et la « barbarie » de l'Histoire européenne trouveraient ses causes dans l'oubli et le mépris de l'Autre, tandis que l'ouverture toute moderne à l'Autre et l'obligatoire tolérance à son égard, seraient naturellement les germes d'une nouvelle société débarrassée des monstruosités du passé. On pourrait simplifier les choses en affirmant que c'est avec un tel truisme que notre échelle des valeurs s'est articulée depuis les années 70 et que sont nés concrètement le sans-frontiérisme et le libéralisme qui règnent en Union Européenne, son goût absolu de l'universel et du cosmopolitisme, ainsi que son désir immodéré d'immigration et de multiculturalisme. Ce truisme, de nature dogmatique, fut porté par la génération de l'après 1945, soit exactement le moment historique où se renversèrent peu à peu toutes les valeurs de l'Europe anté-seconde guerre mondiale, celles qui, précisément, malmenèrent longtemps la figure de l'Autre, et qui, avec le fascisme, décrétèrent même dans une poussée d'effroi que l'Autre était par nature un ennemi.

    Aujourd'hui c'est entendu : l'Autre est par nature un ami, et s'il ne l'est pas en pratique, c'est encore parce que nous ne l'avons pas accueilli comme un ami. Dans cette disposition d'esprit, l'âme européenne refuse désormais catégoriquement le principe même d'ennemi. L'Autre étant bénéfique par nature, il ne peut plus être un ennemi. Encore une fois, si ce dernier devait, lui, ne pas se montrer spontanément bienveillant à notre égard, les causes seraient à chercher en nous-mêmes, non chez lui, puisqu'il est ontologiquement, en tant qu'Autre, bon par nature. Aussi entendons-nous, par exemples, que s'il existe des terroristes ou des délinquants, c'est sans doute à cause de la pauvreté ou de la frustration, lesquels sont nécessairement imputables à nous-autres.

    Car le problème avec la pensée de l'Autrolâtre, c'est qu'à considérer que nous n'ayons pas d'ennemi à chercher chez l'Autre, le nouvel et seul ennemi qui peut subsister est par conséquent nous-mêmes. De la sorte, l'unique ennemi de l'Europe est devenu elle-même. Elle veut désormais se battre contre les forces qui pourraient s'opposer à l'autrolâtrie. Croyant encore que « le ventre de la bête est encore fécond », elle cherche à abattre les dernières forces qui pourraient s'opposer à sa nouvelle axiologie : patriotes, identitaires, traditionalistes, conservateurs, etc – autant d'êtres broyés tous ensemble dans la géhenne de « l 'extrême-droite » contre laquelle il faudrait sans cesse se prémunir. Pour ne plus jamais ressembler à un passé fantasmé comme cauchemardesque, l'Europe ne doit surtout plus discriminer, rejeter, interdire, distinguer, sélectionner et trancher ; l'ouverture à l'Autre est sa nouvelle raison d'être, et elle n'a par conséquent plus d'ennemi sinon ce qu'elle était et peut encore être.

    Cette Europe autrolâtre est singulière dans le monde, car les autres puissances n'hésitent pas à se déterminer des ennemis et à être capable de serrer les rangs pour détruire ceux-ci. C'est bien d'ailleurs la cause de l'incompréhension entre Européens et Américains, ces derniers fonctionnant encore, en tant que puissance, sur le mode schmittien de l'ennemi. L'Europe révèle par le truchement de cette lubie son incapacité contemporaine à être quelque chose, car sans aller à dire comme le Zarathoustra nietzschéen que « l'amour des autres n'est que le mauvais amour de soi-même », il est évident que l'ouverture à l'Autre en tant que « différent » est une carence du soi, et que la volonté de n'avoir pas d'ennemi est une preuve du non-amour de soi, car haïr quelque chose suppose en aimer une autre, l'absence totale de rejet de l'Autre étant par conséquent une absence totale d'amour de soi.

    En vérité cependant, il y a déjà comme du retard quand on évoque l'autrolâtrie des européens. Si celle-ci existe encore et règne toujours dans de nombreux esprits, elle décline toutefois, déclinant d'ailleurs logiquement avec la disparition progressive de la génération qui l'a portée. Les européens contemporains recommencent à se chercher des ennemis autres qu'eux mêmes, car les fables sur l'Autre naturellement bon se sont évanouies dans la clarté de la réalité. L'européen moderne qui commence à désapprendre la douceur de vivre à cause du chômage, de la précarité et de l'insécurité qui reviennent à sa porte, redevient humain et veut à nouveau un Autre à regarder de travers. C'est ce qui explique également le déclin de la gauche morale en de nombreux pays et la remontée de ce que la première appelle un peu bêtement « l'extrême-droite ». Toutefois, il se trouve que l'Europe vient de dégoter par là une autre façon d'être l'ennemie d'elle-même, car même si la volonté d'ennemis resurgit, celle-ci est bien incapable d'en déterminer un en particulier. Les forces politiques et sociales qui s'opposent actuellement en Europe, y compris dans le camp de la soi-disant « extrême-droite » ont chacune un ennemi à elles qu'elles cherchent à faire avaler à l'autre. Les uns jugent que l'Autre en tant qu'ennemi est le mondialiste, l'américain ou le sioniste, les autres l'Islam et les musulmans, d'autres encore l'immigré, quelle que soit sa religion, certains le Russe ou le chinois, etc. En fin de compte, nous assistons à un village gaulois dont la place du marché politique est couverte du sang de ses habitants qui s'écharpent tous les dimanche à propos de l'ennemi véritable. Pendant que les autres puissances et grands réseaux de ce monde avancent à l'aide d'ennemis qu'ils ont, eux, bien identifiés, l'anarchie de l'ennemi triomphe en Europe. Neutralisée par une partie de ses habitants qui baignent encore dans l'irénisme de l'absence d'ennemi, et par l'autre partie qui, elle, en cherche désespérément mais confusément, l'Europe et ses nations semblent être, pour bien des années encore, vouées à l'incapacité d'une projection de puissance dans le monde.

    L'indéfinition pathologique d'un ennemi : voilà donc encore un symptôme de notre sortie dramatique de l'Histoire.

    Julien Rochedy (Rochedy.fr, 14 septembre 2014)

     

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  • Le thriller a-t-il tué le polar ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un article de Pierric Guittaut, cueilli sur son blog Fin de chasse et consacré au polar, comme genre littéraire, à son agonie et à sa possible renaissance... Chroniqueur à la revue Éléments, Pierric Guittaut est également l'auteur de trois excellents romans, Beyrouth-sur-Loire, Marshall Carpentel et La fille de la pluie (Gallimard, 2013).

     

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    Le thriller a-t-il tué le polar ?

    Macabre découverte en ce début de troisième millénaire : le roman policier classique agonise dans les rayons de vos bibliothèques. Déjà, tous les soupçons se portent sur son frère sulfureux, le thriller. Enquête et analyse au coeur des enjeux éditoriaux de la fiction populaire criminelle.

    Premier constat : le suspect brouille les pistes. La distinction entre polar et thriller pourrait passer pour jargonneuse. Une « querelle d'allemands » entre rejetons revanchards de l'impérialisme anglo-saxon, un simple débat esthétique, voire une évaluation du niveau de prostitution de son auteur dans un contexte marchand (où le thriller serait la simple version « commerciale » du polar, et son auteur un « social-traître » notoire).

    Les différences entre polar et thriller ne sont ni spécieuses, ni esthétiques et n’ont rien à voir avec son potentiel de rentabilité économique. Les deux genres n’ont pas les mêmes fonctions auprès du lecteur. Si leurs conceptions du désordre sont compatibles et complémentaires, elles ne sont pas similaires, et donc non concurrentielles.

    Le cas du polar

    Dans le roman policier, « l'Enigme » est un meurtre (ou une série de meurtres). C'est l'évènement qui perturbe l'ordre du monde. Cette atteinte n'est pas acceptable pour le lecteur, qui va attendre sa résolution, c'est-à-dire l'identification du ou des coupables. Pour cela, son protagoniste principal (policier, détective, journaliste ou simple quidam) applique une méthodologie immuable, une « procédure » inspirée de la démarche policière, basée sur une successions de rencontres et d'échanges verbaux et de collecte de données.


    Cette identification est participative : le lecteur essaye de désigner le coupable en même temps que l'enquêteur, voire avant celui-ci (le fameux : « ah, je le savais »), ce qui explique la popularité de ce type de roman, qu'on pourrait qualifier « d'interactif ». Si le récit conclut en désignant X comme « l'Ennemi » - d'après des observations concrètes, des témoignages recevables et des preuves matérielles - le lecteur adhère à cette conclusion puisqu'il y a lui même participé.

    La fonction du roman policier est de proposer au lecteur un exercice de désignation participative d'un ennemi commun. Désigner l'ennemi, soit le fondement de toute démarche politique. Cette fonction permet d'expliquer la dimension dite fallacieusement « sociale » du genre. Certains ont en effet eu tout intérêt à remplacer le politique par le « social », le terme n'étant qu'un mot creux approprié par la novlangue d'ingénierie humaine des dominants qui souhaitent conserver un visage humain. 

    Le thriller

    Dans ce genre littéraire, « l'Enigme » est souvent multiple. Si meurtre il y a, celui-ci n'est qu'un sous-ensemble inaugural. L'ordre des choses a été bousculé mais sa perturbation inacceptable n'a pas encore été commise. Elle arrive par la suite et le lecteur ne peut concevoir qu'elle puisse se produire tant elle est terrifiante : ce sont les fondations mêmes des rapports de force qui sont menacées. Le monde du  personnage est en péril face à « l'Enigme » protéiforme qui se concrétise alors dans une machination ourdie par un groupe d'ennemis, vite identifiés (soit par une désignation antérieure au récit via l'actualité - par exemple le terrorisme, soit par désignation rapide dans le récit  lorsque le héros met à jour un complot mené par des ennemis déjà connus : les gouvernements, les militaires, les lobbys pharmaceutiques ou industriels, etc.).

    Il s'agit alors d'empêcher que leurs plans ne se réalisent, de contrer leur attaque - dont on découvre peu à peu l'ampleur et la dangerosité. C'est cette course contre la montre face aux plans de « l'Ennemi » qui va caractériser la procédure narrative du thriller. Le protagoniste va devoir réagir en deux temps : survivre à la menace dans un premier temps, avant de la contrer pour sauver « son » monde.

    La fonction du thriller est donc d'entretenir la peur de « l'Ennemi » en jouant sur les dimensions imminentes et paranoïaques de sa dangerosité. Cette fonction n'est ni moins politique, ni moins essentielle que celle du roman policier, comme l'ont démontré les « armes de destructions massives » de Saddam Hussein en Irak, les stocks d'armes chimiques de Bachar-El-Assad en Syrie ou la bombe atomique qu'on nous promet depuis plusieurs années aux mains de l'Iran.

    Cette distinction éclaire les raisons pour lesquelles le polar a connu un essor dans les années trente, puis un renouveau dans les années soixante-dix, phases d'intenses questionnements politiques où les choix étaient multiples ; et pourquoi le thriller est revenu en force depuis la fin des années quatre-vingt, où l'effondrement terminal du bloc soviétique a proclamé une fin temporaire de l'histoire politique pour entrer dans une phase de globalisation marchande. Une post-modernité où la peur est l'un des principaux ressorts de l'acte d'achat chez les classes populaires, et où la peur est donc devenue nécessaire aux dominants pour un bon fonctionnement de la société mondiale.  

    L’âge d’or du polar, avatar de la société bourgeoise

    Pour expliquer le lent déclin du roman policier en termes de ventes, certains ont tenté d'évoquer la lassitude du lectorat, explication vite démentie par le nombre ahurissant de séries policières qui existent aujourd'hui sur des dizaines de chaînes de télévision, ou la lente érosion de la lecture chez les classes populaires face à la dite télévision.

    Pourtant, le roman érotique Cinquante Nuances de Gray de E.L. James s'est vendu à plus de 40 millions d'exemplaires, le thriller ésotérique Da Vinci Code de Dan Brown s'est vendu à près de 90 millions d'exemplaires et le roman fantastique Harry Potter de J.K. Rowling à plus de 400 millions d'exemplaires. Ces trois romans sont des succès de « littérature populaire », preuves que les classes laborieuses ou moyennes lisent encore (et dans des proportions désormais globalisées).

    Le déclin du polar s'explique surtout par le changement d'époque. L'après-guerre est  une époque de confort matériel marquée par l'affrontement de deux blocs idéologiques antagonistes, où les jeunes lecteurs ressentent le besoin qu'on leur explique quel camp choisir, et leurs parents qu'on leur confirme qu'ils ont fait le bon choix. Dans un contexte de société bourgeoise où la famille est encore une valeur de référence, la désignation de « l'Ennemi » est primordial pour le confort intellectuel de tous.

    L'âge d'or du roman policier d'après-guerre, d'origine américaine, correspond à celui du maccarthysme, à un besoin des classes moyennes d'identifier les criminels et les dissidents pour qu'à chaque fin de roman on puisse restaurer l'ordre traditionnel. Une époque où les illustrateurs de collection poche, tels James Avati aux USA ou Michel Gourdon en France, créent des couvertures flamboyantes où se mêlent les délinquants juvéniles, les épouses infidèles, les strip-teaseuses, les mauvais garçons, et tous les archétypes possibles de la Tentation et de la Chute pour l'honnête homme d'alors. 

    L’impasse du polar français : le néo-polar

    A partir de la fin des années soixante, les jeunes auteurs français de roman policier sont presque tous issus du gauchisme politique. Cette génération intègre deux héritages : les « vieilles » Série Noire des années cinquante et  l'expérience de mai 68, ce qui lui permet de réaliser un hold-up idéologique en convaincant les lecteurs, les éditeurs et les attachés de presse que le roman policier est un genre forcément « social ». Ce glissement sémantique était nécessaire pour asseoir leur domination idéologique. Le terme « politique » laissait encore trop de champ libre aux potentiels empêcheurs de collectiviser en rond , il fallait un terme tout aussi parlant mais beaucoup plus réducteur, qui permette une association d'idée immédiate et obligatoire avec le marxisme, d'où la trouvaille du roman « d'intervention sociale » de Jean-Patrick Manchette. Il n'y croira pas très longtemps, mais ses adeptes en feront une véritable religion. Derrière l'agit' propagande, cette jeune génération gauchiste avait parfaitement compris que la fonction du roman policier était de désigner « l'Ennemi », et elle n'allait pas s'en priver. Inversant sans vergogne les codes du roman policier classique, elle a systématiquement mis en valeur les exclus, les marginaux, les délinquants, non plus pour servir d'épouvantails sur les couvertures, mais afin de mener « la révolte des masses contre l'ordre établi et l'oppression fasciste ».

    Le néo-polar ne fut donc qu'un mouvement littéraire révolutionnaire, sans approche esthétique particulière ou novatrice (si ce n'est un « comportementalisme » hideux emprunté aux auteurs américains et venu du journalisme), et qui fut avant tout un cache misère pour beaucoup d'auteurs médiocres, dénués de style ou de puissance d'évocation, et dont le but était d'écrire des tracts politiques via le biais de fictions criminelles où « l'Ennemi » est toujours le même.

    En l'espace de quelques années, le filon est épuisé et le genre finit par se caricaturer, avant de sombrer dans le totalitarisme. Il ne pouvait en être autrement : l'idéologie avait confisqué la fonction première du genre. Avec le néo-polar, le lecteur n'est plus « convaincu », il est sommé de « croire », sous peine d'être dénoncé comme « complice de l'Ennemi ». Le néo-polar cessa d'être populaire (les pauvres n'aimant bizarrement pas payer pour se faire insulter) pour devenir la propriété d'une classe aisée de fonctionnaires et d'universitaires, qui eurent alors beau jeu de fustiger la télévision pour tenter d'explication son abandon par les classes laborieuses.  
    Au maccarthysme littéraire du polar des années 50 à destination du père de famille, le néo-polar français répondit par une crise d'adolescence à destination du fils rebelle. En l'absence de nouvelle vision de la structure narrative ou de nouveaux ressorts de l'intrigue, le néo-polar se condamne à n'être qu'une transition, pour ne pas dire un effet de mode. La littérature étant un art, la vraie révolution ne pouvait se faire qu'en matière esthétique. Les auteurs de néo-polars ne l'ont jamais compris, aveuglés par l'idéologie, ou n'en ont jamais eu les moyens littéraires, le néo-polar ayant surtout créé des vocations chez des esprits militants et non chez des esprits créatifs.

    Le nouveau règne du thriller

    La fin des années quatre-vingt marque le début du règne sans partage du thriller, forme régénérée du « roman de suspense ». L'instant historique de sa réapparition n'est pas anodin. Lorsque sortent en 1990 puis en 1991 deux adaptations cinématographiques à succès de thrillers américains ( A la poursuite d'Octobre Rouge », d'après un roman de Tom Clancy de 1984, et le « Silence des Agneaux » d'après une oeuvre de Thomas Harris écrite en 1988), les spectateurs ne savent pas qu'ils viennent d'assister à une passation de pouvoir narratif au sein de la fiction populaire.

    Dans le premier, suspense classique sur fond militaro-politique, « l'Ennemi » est encore le bloc soviétique, c'est à dire un adversaire idéologique des américains. Dans le second, aux allures de polar mais devant tout au thriller, « l'Ennemi » est désormais une figure archétypale qui va s'imposer dans la majorité des fictions criminelles : celle du tueur en série. A l'aube de l'effondrement du communisme soviétique d'état, le Silence des Agneaux est un roman précurseur qui s'inscrit dans son époque charnière.

    C'est le roman de la post-modernité politique, où la Russie se rallie à l'idéologie de marché la plus mafieuse, où la Chine prépare son nouveau règne industriel ultra-libéral. Puisque la guerre froide est désormais obsolète, puisque règne partout l'idéologie de la marchandise, voici venue l'ère des adversaires indistincts et anonymes, psychopathes tuant au hasard selon des logiques incompréhensibles. Le nouvel « Ennemi » de la fiction populaire est à l'image de son époque : absurde  et hyperviolent.  Sans ennemi extérieur, la société est condamnée à se dévorer elle-même, d'où la figure du personnage anthropophage,  « Hannibal le cannibale », pour incarner ce symbolisme.

    Le ressort fondamental de l'identification conjointe du coupable entre lecteur et auteur s'efface pour laisser la place au seul suspense de l'ultime rebondissement. La démonstration rationnelle de la culpabilité est obsolète dans une société privée de toute possibilité de faire de la politique - puisqu'il n'y a plus qu'un modèle possible. Reste alors aux auteurs de fiction criminelle populaire la seule possibilité de jouer sur la peur de « l'Ennemi », qui est la fonction du thriller.

    C'est de ce changement majeur dans l'appréhension du monde que va venir la contamination progressive du roman policier par les codes du thriller, parce que ceux-ci sont désormais les seuls à parler et intéresser les lecteurs, ils sont les seuls à bien se vendre, et vont entraîner de fait les éditeurs à vouloir « thrilleriser » leurs fictions policières à grand renfort de tueurs en série, de rebondissements et d'hémoglobine, tous les ressorts de la mise en scène de la peur, et non outils de déduction rationnelle.

    En France, les mêmes qui n'admettent pas la fin du communisme d'état vont alors être ceux qui n'admettent pas le déclin du roman policier et du néo-polar. Face à la montée inexorable du thriller, ils ne pourront que se réfugier dans un élitisme pourtant aux antipodes de leurs soit disantes convictions (qu'on pourrait traduire par : « au peuple le thriller, à l'élite le Roman Noir »).

    Le thriller s'est imposé parce qu'il correspond au nouvel ordre mondial, au nihilisme grandissant. Le thriller, par sa fonction et ses ressorts « spectaculaires » est la littérature parfaite du « sentiment imminent de la catastrophe générale » qui s'est emparé de beaucoup de populations mondiales, pas dupes du règne du « divertissement/abrutissement ». 

    N'importe quel thriller correctement écrit dépeint désormais bien mieux le monde qui nous entoure et ses principaux enjeux que les sempiternelles enquêtes policières ou journalistique dont les modèles narratifs sont dépassés face à la dictature de l'image, de la mise en réseau, de la violence relationnelle, de la compétition permanente, de l'impérieuse nécessité du bruit. 

    Le pouls du polar bat-il encore ?

    Si nous poursuivons dans la voie d'un nihilisme croissant, celui-ci entraînera la dilution terminale du roman policier originel dans le thriller, le polar à l'ancienne se contentant d'une survivance sous perfusion via un marché de niche, en attendant peut-être la fin de la littérature elle-même dans l'indifférence et le bruit du spectacle permanent.
    Si nous estimons que le retour d'un questionnement politique, ou au moins la remise en cause du libéralisme comme modèle unique, est le prélude d'évènements qui annoncent une rupture et un monde nouveau, à l'image des années trente (le roman policier américain moderne a émergé de la crise de 1929, de l'exode rural massif, et a bénéficié de la seconde guerre mondiale pour s'imposer en Europe), il reste des raisons de croire encore à cette forme d'expression populaire. Un retour du politique, de la possibilité réaffirmée de faire des choix réels, réactiverait le besoin de désigner des ennemis propres (et non plus imposés par le marché), et donc un retour de la fonction première du roman policier.

    Quelles formes esthétiques prendrait alors ce roman policier de demain ? C'est tout l'intérêt des prochaines années qui sont devant nous.

    Pierric Guittaut (Fin de chasse, 30 juillet 2014)

     

     

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  • Que devient le Front national ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une excellente analyse de Jean-Louis de Morcourt, cueillie sur Nouvelles de France et consacrée à la transformation du Front national...

     

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    Que devient le Front national ?

    Depuis que Marine Le Pen a succédé à son père à la présidence du Front National, ce parti a été affecté par des changements de fond. Qu’on le déplore ou qu’on s’en réjouisse, force est de constater que ces évolutions obéissent à une logique cohérente.

    La fin du nationalisme folklorique

    « Marine Le Pen a compris ce qu’est la politique : un moyen d’accéder au pouvoir, pas une façon de ‘témoigner’ ou de rassembler une ‘famille’. Je porte à son crédit d’être restée sourde aux piaillements des excités de tout poil, des anciens combattants des guerres perdues, des revenants de ceci ou de cela, des nostalgiques des régimes d’avant-hier et des époques révolues », déclare le philosophe Alain de Benoist. Il est maintenant entendu qu’a contrario de son père se contentant du rôle de porte-parole d’une France traditionnelle ayant une fâcheuse tendance à fonctionner comme une réserve indienne, Marine Le Pen désire accéder au pouvoir et est prête à s’en donner les moyens. Il est d’ailleurs à noter que malgré son opposition idéologique avec Nicolas Sarkozy, la démarche de la candidate frontiste de faire intégrer à son parti une culture du résultat est très proche de celle conduite au sein de l’UMP par l’ancien président.

    Une constante dans l’histoire des mouvements classés à la droite de la droite est que selon un processus darwinien logique, ils finissent toujours par être dominés par ceux qui d’une part savent ce qu’ils veulent, d’autre part sont prêts à payer et à faire payer le prix pour l’obtenir sans être limités par des inhibitions mal placées. Ce processus a notamment été à l’œuvre au début du siècle dernier au sein du courant royaliste, les partisans d’une restauration à l’identique de l’ancien régime étant supplantés par les « royalistes positifs » de l’Action Française. Comme illustré par le politologue Patrick Buisson dans son livre 1940-1945 Années érotiques, c’est également ce processus qui s’est produit au sein du régime de Vichy, les tenants de « l’ordre moral » étant peu à peu supplantés par ceux de « l’ordre viril ». Il s’est plus tard répété au sein de l’Organisation Armée Secrète, comme le montre le journaliste Robert Buchard, voyant le général catholique Raoul Salan menant un combat « pour l’honneur » céder la place à l’ex-leader étudiant Jean-Jacques Susini. Cela se vérifie enfin aujourd’hui au sein du Front National, au sein duquel la vieille garde d’anciens combattants axée sur les valeurs cède la place à un aréopage ayant fait sienne la tautologie du spin-doctor britannique Alastair Campbell : « Sans le pouvoir, on ne peut rien faire ».

    Une évolution idéologique, sociologique et structurelle cohérente

    Comme relevé par le think tank socialiste Terra Nova, en dehors de la fameuse « dédiabolisation » de son parti, la principale innovation apportée par Marine Le Pen consiste en la définition d’une offre politique cohérente. Tout en conservant l’axe souveraino-identitaire historiquement défendu par le parti, Marine Le Pen tourne par contre le dos à la doctrine économique libérale du FN historique en promouvant un programme de protection sociale, tout en réduisant son engagement sur l’axe moral. Cette mutation idéologique vise autant à acter qu’à encourager la mutation sociologique de la base électorale du FN, passant selon le mot du philosophe Alain de Benoist  « de l’incarnation de la droite de la droite à l’incarnation du peuple de France ». Prenant acte de la forte rétraction de la sociologie catholique traditionaliste ayant constitué à l’origine les gros bataillons du parti, ainsi que de l’impasse sociologique du « national-libéralisme » théorisé par le Club de l’Horloge, Marine Le Pen l’oriente à présent vers un programme de défense globale des classes populaires précarisées. Le calcul est simple : pour assurer le succès institutionnel de l’axe souveraino-identitaire, il est nécessaire de sacrifier les axes moraux et libéraux peu rentables voir contre-productifs au plan électoral.

    Cette évolution sociologique n’est du reste pas seulement motivée par des considérations de quantité électorale, mais également de qualité militante. « Face au remplacement de population, je ne crois pas du tout à une réaction des élites bourgeoises, le voudraient-elles que leur conformisme timoré les en empêcherait. La réaction viendra des petits cols blancs déracinés », prophétisait l’historien Bernard Lugan interviewé par le futur président du Front National de la Jeunesse Julien Rochedy. Si l’on postule que l’objectif premier est la défense de l’axe souveraino-identitaire, alors les meilleurs militants pour le défendre seront ceux pour qui il constitue un impératif vital, par opposition à ceux pour qui il n’est qu’une préoccupation secondaire comparée au fait de pouvoir « monter sa boîte ». Ceci explique par ailleurs la non-participation de Marine Le Pen aux manifestations contre la loi Taubira, parfaitement logique si l’on tient compte du fait que son cœur électoral ne peut littéralement pas se payer le luxe de s’intéresser à ce qui se passe dans le Marais.

    Différencier les combats électoraux et idéologiques

    Une erreur classique commise par nombre de nos sympathisants est de confondre le combat idéologico-spirituel et le combat électoral. Le premier vise à diffuser des idées dans l’opinion publique et auprès des décideurs, le second vise à gagner des élections, deux démarches qui n’obéissent pas à la même logique. Une erreur d’analyse fondamentale commise par de nombreuses personnes est d’avoir cru que le mouvement d’opposition à la loi Taubira était le signe d’un retour au premier plan de la morale individuelle dans le débat public. Or, les manifestants ayants pris part au mouvement de l’an dernier ne seraient pour la plupart jamais descendus dans la rue en l’absence des provocations gratuites de nos adversaires, en particulier d’une Christiane Taubira glosant à l’infini sur le changement de civilisation, comme le reconnait le politologue socialiste Gaël Brustier. Les manifestants du printemps 2013 ne se sont pas tant battus contre le mariage homosexuel que pour la défense de notre civilisation, ce qui ne s’inscrit pas dans la même logique.

    Cette erreur d’analyse est parfaitement illustrée par l’échec de la liste Force Vie impulsée par Christine Boutin lors des élections européennes de mai dernier, à la suite d’une campagne mêlant posture antisystème peu crédible de la part de l’ancienne ministre chiraquienne et niaiseries catéchistes sur le « paganisme » supposé du FN. Les 0,78% des voix obtenus par cette liste émanant d’un Parti Chrétien Démocrate purement identifié comme défenseur des valeurs morales auront fait pâle figure face aux 25% d’un FN faisant le plein des participants aux manifestations du printemps 2013 malgré l’absence de sa présidente. Ce résultat devrait faire réfléchir ceux qui ont analysé le succès des Manifs pour tous comme l’expression d’un désir d’une société de béatitude intégrale fleurant bon la Bibliothèque rose, et qui ont une fâcheuse tendance à confondre politique et rassemblement de boys scouts.

    Conclusion : d’un parti de témoignage à un parti politique

    « Constituée d’hommes bien nés qui ne veulent pas se donner le ridicule de mourir pour une idée, la vraie droite n’est pas sérieuse, » énonce Jean Raspail dans la préface de son Camp des saints. Ceux qui dénoncent le fait que le FN devienne soi-disant un parti de gauche déplorent en réalité le fait qu’il devienne un parti sérieux. Le prix à payer pour qu’il soit en capacité d’accéder au pouvoir est de passer par pertes et profits les états d’âme de ceux dont la connaissance encyclopédique de l’histoire de France ou de la Bible, voir la truculence de bon vivant, n’a souvent d’égal que l’inefficacité politique.

    Jean-Louis de Morcourt (Nouvelles de France, 13 septembre 2014)

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