Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 27 octobre 2014 et consacrée aux obsèques du patron de Total, Christophe de Margerie...
Christophe de Margerie : "Le peuple n'était pas... par rtl-fr
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Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 27 octobre 2014 et consacrée aux obsèques du patron de Total, Christophe de Margerie...
Christophe de Margerie : "Le peuple n'était pas... par rtl-fr
Nous reproduisons ci-dessous un texte de Gérard Dussouy, cueilli sur Metamag et consacré au retour du politique en Europe après une longue période de vide.
Ancien professeur de géopolitique de l'université de Bordeaux, Gérad Dussouy est l'auteur d'un essai intitulé Fonder un état européen (Tatamis, 2013).
Vide du politique/Politique du vide/Révolution
La société du vide que dépeignait Yves Barel, en 1984, est bien là. Elle est consécutive au triomphe de la consommation, à la prévalence de l’activité marchande et financière sur toutes les autres formes d’activités humaines. Corrélativement, elle a vidé le politique de sa substance. Cette mutation globale n’est ni un fait du hasard, ni une nécessité historique. Mais, elle est le résultat d’une stratégie de longue haleine inspirée par l’interprétation véhémente de la philosophie libérale (celle que redoutait et condamnait David Hume), et, plus précisément, par une extrapolation du « paradigme smithien » qui convient si bien au monde des affaires, lequel sait l’instrumentaliser avec le plus grand cynisme.
En effet, il a été emprunté à Adam Smith deux idées qui fondent et légitiment l’argumentaire des hommes politiques occidentaux contemporains. Au-delà de leurs nuances partisanes, qu’elles soient de droite ou de gauche. La première, la plus connue, est que la généralisation de l’économie de marché et de l’échange, qui satisfait à la recherche du gain individuel, est la meilleure façon de développer « la richesse des nations ». La seconde est qu’il existe chez l’homme « un plaisir de sympathie réciproque » (in Théorie des sentiments moraux) tel que l’élévation du produit global, accouplée à l’expansion de la communication universelle, doit lui permettre de sortir de l’animosité latente de la sociabilité politique. L’homme mondialisé, sans appartenance identifiée, dépolitisé, sans préférences nationales ou culturelles, est ainsi devenu, en dépit de toutes les réalités qui en contredisent l’existence, l’icône de la pensée occidentale moderne. Au point que l’on voudrait enlever aux Européens leur droit à conserver leurs différences, et interdire qu’ils s’opposent, dès lors et à ce titre, au fait d’être remplacés sur leurs propres terres par des populations venues d’ailleurs.L’éviction du politique en Occident
La fin du politique a été stratégiquement réfléchie au lendemain de la Grande guerre, dont il faut dire, mais la seconde guerre mondiale aussi, combien elle a illustré les effets néfastes et catastrophiques de la part d’irrationnel qui peut habiter l’animal politique qu’est l’homme. Plutôt que dans l’internationalisme du président américain Wilson, c’est dans la conception d’un monde unifié (One World) qui occupe l’esprit de Franklin D. Roosevelt, laquelle lui est inspirée par son conseiller le géographe américain Isahïa Bowman, qu’il faut situer cette réflexion. Ce dernier cultivait l’idée d’un fédéralisme mondial, réalisable le jour où les Etats-Unis parviendraient à débarrasser le monde de ce qu’il jugeait être « la force la plus rétrograde du Vingtième siècle », à savoir l’Etat-nation. Dans les faits, il aura fallu attendre la fin de la Guerre froide, et que les Etats-Unis aient vaincu le communisme après avoir écrasé le nazisme, pour que l’économicisation des sociétés et des relations internationales devienne effective. Le nouvel ordre mondial, qui s’est esquissé à la fin du Vingtième siècle, n’est pourtant pas celui attendu par Washington. Il est demeuré, ou redevenu, un « concert de puissances », nouveau par sa configuration géographique et parce qu’il a, maintenant, un chef d’orchestre asiatique qui, lui, n’a pas perdu le sens du politique. C’est donc en Europe que l’éviction de celui-ci est le plus net. A tel point que la bonne gouvernance (ou le « bon gouvernement ») consiste principalement à aligner, à coup d’ajustements vers le bas, les économies nationales sur les critères du marché mondial ; et d’abord, sur celui du travail. Il est symptomatique que ce que l’on tient pour être la « réussite » de l’Allemagne consiste à ce qu’elle y parvienne mieux que ses partenaires. Bien qu’elle soit plus fragile qu’il n’y paraît, et qu’elle doive tout à la bonne spécialisation internationale industrielle de la RFA (qui pourrait pâtir bientôt d’une insuffisance de ses investissements). Et sans qu’il s’agisse en contrepoint, car ce serait trop facile, d’exonérer les gouvernements français successifs de leurs propres gestions calamiteuses, cette « réussite » révèle une résignation consécutive à une impuissance du politique.
Cette impuissance est celle des Etats européens face à un environnement international dont ils sont incapables de mettre en cause les règles. Elle découle, à la fois, de leur dépassement structurel dans une mondialisation qu’ils ont voulue, et de l’adhésion obstinée de leurs élites au « paradigme smithien ».La politique du vide
Le vide du politique est, dès lors, comblé, au niveau des partis de gouvernement, par une logorrhée convenue qui s’efforce d’expliquer qu’il n’existe pas d’alternative à l’inclusion dans un système mondial de plus en plus contraignant et régressif. Qu’il faut donc accepter la fin du modèle social européen (gravement menacé, de toutes les façons, par l’état de la démographie des pays concernés), pour un autre plus inégalitaire et qui fait cohabiter, tant bien que mal, une élite compradore avec différentes catégories de nationaux. Parmi ceux-ci, les plus aisés ont à charge d’assister ceux qui le sont moins, ainsi d’ailleurs que tous les nouveaux venus sur le sol européen. Les partis politiques sont aidés dans cette tâche par une pléthore de journalistes et d’informateurs dont la « fausse conscience » est remarquable (falsches bewusstein, dixit Franz Mehring). Elle consiste dans le fait que toutes ces personnes ne se rendent pas compte (ou ne veulent pas savoir) qu’elles sont là où elles sont, et rémunérées en conséquence, pour tenir le discours qu’elles tiennent. Alors qu’elles se croient porteuses d’objectivité, elles ne font que participer à un travail de persuasion. La politique du vide conduit ainsi à vivre sur des acquis, à essayer de les faire durer le plus longtemps possible, tout en sachant qu’ils sont incompatibles avec la logique du système mondial en marche. En son sein, les rapports sont devenus trop inégaux et trop pénalisants pour n’importe lequel des Etats européens, pour qu’il en soit autrement. La conscience de la chose éveille certains, mais la décadence est une période confortable, au moins tant qu’il y a du patrimoine à liquider ou de l’épargne à épuiser (les Français en disposeraient, tous ensemble, de quelques 10 000 milliards d’euros). Cette résignation est, sans doute, ce qu’il y a de plus préoccupant dans la situation présente de l’Europe. Car, loin des théories sur la manipulation des foules, ou loin aussi de l’on ne sait quel complot mondial, il faut admettre que la situation est ce qu’elle est car elle satisfait, encore, à la quiétude de populations qui n’entendent pas se remettre en cause, ni du point de vue matériel, ni du point de vue symbolique (celui de leur idéologie et de leurs croyances), ni encore du point de vue comportemental. Par exemple, le problème de l’immigration, qui prend des proportions considérables, est avant tout celui de la démographie européenne, de la dénatalité et du vieillissement. Il est symptomatique d’une dégradation sociétale ancienne et d’essence individuelle. Et, malgré les déséquilibres démographiques internationaux, il va de soi qu’il se poserait avec moins d’acuité si les populations européennes étaient jeunes et dynamiques. La politique du vide est donc sans perspective politique et sans vision stratégique globale. Elle se résume à une gestion économique « au fil de l’eau » ; ou, pour être plus académique, à une « politique au fil de la croissance ».Cependant, l’économie ne règle pas tout, surtout que la croissance s’étiole. Et ce n’est pas demain qu’elle va retrouver des taux enchanteurs. Il ne peut pas y avoir en Europe de reprise forte et durable. Cela pour deux raisons : (1) la faiblesse structurelle de la demande interne (en termes de consommation comme d’investissement) à cause du vieillissement de la population et de la saturation des marchés (que l’on essaie de surmonter à coups de gadgetisation des produits) ; (2) le recul de la demande extérieure à cause des transferts de technologie et de la montée en gammes des productions des économies émergentes. L’impasse économique qui se dessine est d’autant plus à redouter que l’on sent bien que la mondialisation est au bord de l’implosion (il ne s’agit de quelques années) par suite au déferlement migratoire qui s’annonce, aux pandémies qui se développent, aux vertiges politiques et culturels (ou religieux) induits par la nouvelle donne de la puissance.Le retour du politique : du chaos à la révolution européenne
S’il doit avoir lieu, et tout ce que l’on a appris de l’Histoire le donne à penser, le retour du politique en Europe se fera à l’occasion du chaos (pour l’éviter, pour le surmonter ou parce que celui-ci l’aura rendu inéluctable), pris ici dans le sens d’une « destruction créatrice » (Schumpeter). Le retour se fera nécessairement sous des formes politiques nouvelles, à l’occasion d’une révolution européenne, au sens propre (celui du changement et de l’innovation), parce qu’on ne peut pas affronter des défis de dimension globale avec des instruments du passé. C’est ce qui, entre parenthèses, rend la démarche intellectuelle du Front National obsolète et dérisoire, son programme inadapté au réel et même contreproductif, et sa pratique partisane si incertaine, notamment quant à ses alliances. Et, parce qu’en plus d’innover, il faut voir grand et loin devant, la restauration du politique sera le fait de jeunes Européens menacés de devenir minoritaires dans leurs propres patries. Pour cette bonne raison, mais aussi parce qu’ils ont appris à se connaître (c’est le bon côté de la « génération Erasmus ») et à transcender leurs nationalités, ils auront compris que leur cadre d’action est continental.
Renouer avec la primauté du politique, c'est donner la priorité aux intérêts matériels et symboliques des Européens contre ceux du marché ou encore ceux de la pseudo-société mondiale ; c’est se débarrasser, en même temps, des inhibitions idéologiques et des prescriptions de la pensée dominante. Cela devrait être permis par le chaos parce que, comme l’enseigne l’épistémologie pragmatiste, quand le contexte change, les valeurs changent aussi, comme les faits. On est donc en droit de croire, ou d’espérer, que le chaos va enclencher une révolution cognitive, soit amener une autre façon de percevoir le monde et de penser le réel qui va remplacer le « paradigme smithien », épuisé. L’opportunité intellectuelle et cognitive créée par le chaos n’aura néanmoins de traduction politique possible que si les Européens ne se trompent pas sur la direction à suivre, en regardant en arrière et en voulant restaurer des institutions périmées, et si, en conséquence, ils savent se donner les moyens pour agir. L’instrument politique qu’ils doivent forger, et ils n’ont pas d’autre choix, parce que tout le reste n’est qu’illusion mondialisante ou, au contraire, aveuglement passéiste, est l’Etat européen révolutionnaire. Il est le seul moyen, pour les jeunes générations européennes, de mener à bien « les travaux d’Hercule » qui les attendent (remigration, restauration et autonomisation de l’économie européenne, relance de l’innovation technologique, etc.), pour se sauver.
La meilleure manière de se préparer mentalement à vivre cette mutation historique et à la conduire à bon terme serait de préfigurer l’instrument étatique dans un parti européen révolutionnaire. Ce serait là, le cadre transnational idoine pour expérimenter le vivre-ensemble-européen et pour préparer communautairement des solutions communes aux immenses difficultés qui se précisent. Faute de ce retour du politique à la dimension du continent, il y a tout lieu de craindre que le chaos ne se prolonge, et cela sans la moindre contrepartie créatrice, en entraînant le délitement de la civilisation européenne. Surtout si, par malheur, la fragmentation nationaliste venait ajouter ses effets délétères aux contraintes du monde extérieur à l’Europe.Gérard Dussouy (Metamag, 23 octobre 2014)
Vous pouvez découvrir ci-dessous un excellent point de vue d'Eric Conan, cueilli sur le site de Marianne et consacré aux réactions à l'affaire du plug géant de la place Vendôme. Dans ce domaine également, le système commence à se fissurer...
Deux réalisations de Paul Mccarthy...
Le "plug anal" de McCarthy place Vendôme : un accident industriel ?
Que se passe-t-il ? Si le sabotage du « plug anal » géant de Paul MacCarthy - lui-même géant de la création contemporaine - érigé place Vendôme pour l’ouverture de la Foire internationale d’art contemporain (Fiac) a produit l’habituel concert de basse-cour des coucous suisses piaillant par réflexe « Réacs ! Réacs ! Réacs ! », de grandes voix ont significativement divergé. A commencer par celle de l’un des commissaires politiques les plus écoutés du marché de l’art contemporain, le critique Philippe Dagen. Cette fois-ci, au lieu de hurler avec les idiots utiles de l’avant-gardisme chic et de la provocation toc, il a condamné dans sa chronique du Monde une opération relevant selon lui du « vulgaire » et de la « trivialité » : « Il y a mieux à faire que gonfler un phallus couleur sapin dans les beaux quartiers de Paris ».
La surprenante mise en garde de Philippe Dagen est en fait un signal d’alarme lancé à un monde dont lui-même fait partie : la bulle spéculative de l’art contemporain qui s’emballe depuis quelques années. Il prévient qu’elle pourrait exploser et le pot aux roses être découvert à cause d’erreurs comme celle qui a fait « pschitt ! » place Vendôme. Les komsomols à front bas de l’art contemporain se réjouissent du scandale McCarthy - selon eux une réussite totale : l’artiste est un héros d’avoir été agressé physiquement par un dangereux crétin et sa baudruche est grandie d’avoir été dégonflée. Mais Philippe Dagen, lui, a compris autre chose. Et il sermonne le Comité Vendôme (qui réunit les enseignes de luxe de la célèbre place), les organisateurs de la Fiac et la Mairie de Paris pour avoir mis en scène cet « enculoir » (selon la traduction de Delfeil de Ton dans L’Obs) rebaptisé « Tree » pour les petits enfants et les grands journalistes faux-culs. Attention, leur fait comprendre la vigie culturelle du Monde, le choix de ce spécialiste des « provocations pornographiques et scatologiques » risque de mettre à nu les ressorts du système économique de l’art contemporain : une coterie de riches, de critiques et de fonctionnaires de la Culture s’accaparant l’espace public pour décréter « œuvres » des signes qui servent de plus en plus la rente financière et sa défiscalisation massive. Un secteur en plein essor.
L’art dit contemporain suscite en effet aujourd’hui plus de commentaires dans les pages « Finances » et « Argent » des journaux que dans la rubrique « Culture ». Le Monde Eco Entreprise nous apprend que « 76% des collectionneurs l’achètent pour faire un investissement » : pour les très riches à la recherche de bons placements, « l’art est aujourd’hui le plus porteur. Selon Artprice, son indice a augmenté depuis 2012 de 12 % quand celui de l’or baissait de 49 % et les prix immobiliers de 3 % ». Ce marché, qui a augmenté de 40 % en un an et de 1 000 % sur dix ans, vient d’être rassuré par le gouvernement anti-passéiste de Manuel Valls qui assomme les retraités et les familles mais a maintenu pour les riches l’exonération des œuvres d’art de l’impôt sur la fortune.
« L'art des traders »
L’un des artistes les plus côtés, Jeff Koons (les homards gonflables…), lui même un ancien financier, est représentatif de cet « art des traders » analysé par Jean Clair, historien de l’art et ancien directeur du Musée Picasso : « Est arrivée la crise de 2008. Subprimes, titrisations, pyramides de Ponzi : on prit conscience que des objets sans valeur étaient susceptibles non seulement d’être proposées à la vente, mais encore comme objets de négoce, propres à la circulation et à la spéculation financière la plus extravagante ». Le développement de cette bulle spéculative confirme les pronostics faits bien avant la crise par Jean Baudrillard, critique regretté des simulacres de la société de consommation. Il avait décrit la capacité de cet autre marché à « faire valoir la nullité comme valeur » : « Sous le prétexte qu'il n'est pas possible que ce soit aussi nul, et que ça doit cacher quelque chose », l’art contemporain « spécule sur la culpabilité de ceux qui n'y comprennent rien, ou qui n'ont pas compris qu'il n'y avait rien à comprendre. Autrement dit, l'art est entré (non seulement du point de vue financier du marché de l'art, mais dans la gestion même des valeurs esthétiques) dans le processus général de délit d'initié ».
Délit d’initiés, car, comme les subprimes et la titrisation, cette valorisation financière de la nullité repose sur une division du travail tacite entre collectionneurs privés, fondations (qui défiscalisent à hauteur de 60 %), musées d’Etat et journalistes afin de décider dans le dos du public des valeurs à la hausse. Dans ce système, l’artiste est en fait plus créé qu’il ne crée. « Les commissaires se sont substitués aux artistes pour définir l’art », résume Yves Michaud, philosophe et ancien directeur de l’Ecole des Beaux-Arts. L’important n’est pas l’artiste mais ce processus associant collectionneurs, fonctionnaires et critiques qui le désignent. Dans un milieu de plus en plus fluide : les collectionneurs pénètrent les conseils des musées publics, les « artocrates » passent du ministère de la Culture, aux musées et aux fondations, les grands collectionneurs prescrivent le marché tandis qu’à coup d’expositions et d’achats, les fonctionnaires d’un Etat culturel de plus en plus co-financé par le mécénat privé orientent l’argent des contribuables pour valider auprès du public la cote des artistes sélectionnés. C’est l’un de ces petits marquis de la rue de Valois qui avait dit il y a quelques années au peintre Gérard Garouste qu’il n’aimait pas sa peinture « qui ne représentait en rien l’art français ».
Imposture en bande organisée
Comme toute les impostures en bande organisée, cet art d’initiés additionne les risques. D’abord ceux que représentent les grands enfants que sont ces nouveaux artistes. Ils peuvent vendre la mèche comme l’avait fait un jour Jeff Koons : « Mon œuvre n’a aucune valeur esthétique… Le marché est le meilleur critique ! » Une fois qu’ils sont starisés, il est parfois difficile de les contrôler et ils peuvent se montrer approximatif dans le réglage du niveau de provocation, comme McCarthy ou comme cet autre génie qui avait, la nuit, pendu aux arbres d’une place de Milan des imitations d’enfants pour se gausser des ploucs locaux horrifiés au petit matin... Car leur créativité sans bornes est aussi facile que risquée : n’importe qui peut être candidat à l’art conceptuel. Ce qu’avait anticipé Claude Levi-Strauss dans son fameux article sur « le métier perdu » en peinture a bien muté : il n’y a plus besoin d’une formation technique aux métiers de l’art pour récupérer une vieille palette sur un chantier, faire faire un tonneau à une voiture, mettre du caca en conserve ou produire des pénis en chocolat. « L’acte artistique ne réside plus dans la fabrication de l’objet, mais dans sa conception, dans les discours qui l’accompagnent, les réactions qu’il suscite », explique la sociologue Nathalie Heinich, auteur du Paradigme de l’art contemporain (Gallimard).
Le risque peut venir aussi des collectionneurs, qui par inculture ou passion spéculative, ne savent pas s’arrêter quand il faut, parce qu’ils se flattent, au travers de leurs actes d’achat, d’ignorer le passé, l’histoire, la culture dont il faut faire table rase. « Avoir un Jeffs Koons chez soi dispense de justifier ses gouts tout en envoyant un message clair : "Je suis riche" », explique la marchande d’art Elisabeth Royer-Grimblat. « De la culture au culturel, du culturel au culte de l’argent, c’est tout naturellement que l’on est tombé au niveau des latrines, souligne Jean Clair, Le fantasme de l’enfant qui se croit tout puissant et impose aux autres les excréments dont il jouit ».
La machine à cash dévoilée
A ce propos, Philippe Dagen est assez inquiet pour se permettre dans son rappel à l’ordre de sermonner aussi François Pinault. Il reproche au grand collectionneur d’avoir lui aussi commis l’erreur d’exposer dans sa Fondation les œuvres scatologiques de McCarthy et d’autres petits génies dont l’inventivité se réduit à représenter divers carnages, sodomies et supplices sexuels. Il recommande à Pinault et à ses « conseillers » de suivre plutôt l’exemple de son frère ennemi en spéculation artistique, Bernard Arnault, dont la Fondation Vuitton, « loin de chercher le scandale », sait maintenir les apparences, avec un « art ni transgressif ni régressif ».
Car, insiste Dagen, s’il se réduit à la « blague salace », à la « provocation grasse » et au « scandale sexuel », l’art contemporain aura du mal à continuer de faire croire qu’il est autre chose qu’une machine à cash fonctionnant au coup médiatique. Le risque le plus grave serait de perdre la complicité des élus-gogos et des fonctionnaires drogués au mécénat. Car ces provocations programmées ont besoin de disposer de lieux publics emblématiques et prestigieux (Tuileries, Versailles, Grand Palais, place Vendôme, etc.), la profanation de ces célèbres écrins historiques permettant de sacraliser des « œuvres » – poutrelles de ferraille, animaux gonflables, carcasses de voitures, étrons géants, etc. – qui n’auraient pas le même effet sur un parking de supermarché ou un échangeur d’autoroute. Dagen explique qu’un bug pas banal comme le plug anal « fournit des arguments à tous ceux qui, avec Luc Ferry pour maître à penser, tiennent l’art d’aujourd’hui pour uniformément nul – une vaste blague ». Le philosophe dénonce en effet régulièrement, avec exemples confondant à l’appui, l’« imposture intellectuelle » de cet « art capitaliste jusqu’au bout des ongles », qu’il analyse comme une version nihiliste de la « destruction créatrice » de Schumpeter étendue de l’économie à la culture.
Derrière les cris des perroquets hurlant aux « réacs »
Pour l’instant, les réflexes sont toujours là. Canal + continue à ânonner le catéchisme habituel : « Avec cet art qui appuie là où ça fait mal, McCarthy n’a pas fini de déranger et de briser les tabous, et c’est tant mieux pour nous ! ». Et la ministre de la Culture Fleur Pellerin a gagné le prix de la célérité à atteindre le point Godwin de nazification de l’affaire McCarthy en tweetant : « On dirait que certains soutiendraient volontiers le retour d'une définition officielle de l'art dégénéré ». Plus significatif était le retrait et l’embarras très inhabituel de l’autre ministre de la Culture, Jack Lang, sur le plateau du Grand Journal : il ne dissimulait pas son peu d’empathie pour McCarthy, préférant s’inquiéter de la « spéculation » et de « l’unanimisme » régnant depuis quelques années dans le monde de l’art. Autre parole remarquée, l’aveu récent, au moment de partir à la retraite, d’un des plus grands marchands d’art, Yvon Lambert : « J’arrête aussi parce que mon métier a changé, il n’y a que le fric qui compte ».
Philippe Dagen a donc estimé urgente sa mise en garde et son article remarqué constitue un tournant historique dans ce petit milieu spéculatif. Le puissant critique du Monde a bien senti, derrière les cris des habituels perroquets hurlant aux « réacs », le silence gêné des professionnels de la profession se demandant si l’affaire du plug anal de 24 mètres de la place Vendôme n’était pas le premier accident industriel du juteux business de l’art contemporain. Philippe Dagen est leur « lanceur d’alerte ».Eric Conan (Marianne, 26 octobre 2014)
Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Guillaume Faye, cueilli sur son blog J'ai tout compris et consacré à la politique de défense désastreuse poursuivie par les gouvernements successifs de notre pays depuis trente ans...
Destruction de l'Armée française et sacrifice de la Défense
Depuis maintenant près de trente ans, sous les gouvernements de droite de gauche, l’Armée française est sacrifiée. Dans ses effectifs, ses équipements, son budget. Analysons ce drame, le sacrifice de la Défense, son ampleur, ses causes, ses conséquences et ce qu’il faudrait faire pour y remédier. Bien entendu, les autres pays européens suivent la même voie funeste de diminution drastique des budgets de Défense. Ce qui donne l’impression que l’Europe, aux frontières ouvertes, baisse la garde. Au moment même où les menaces intérieures et extérieures s’accroissent.
Sacrifier la Défense : une constante politique droite/gauche.
Chirac a été le premier à restreindre le budget militaire et a entamer la réduction du format des armées et même, à réduire les vecteurs de la dissuasion nucléaire aux composantes sous marines et aériennes en supprimant les composantes fixes et mobiles terrestres. Chirac, le pseudo-gaulliste, a entamé la démolition de l’armée française. Non pas tant en supprimant le service militaire qu’en inaugurant une diminution des effectifs et des budgets des armées professionnelles.
Aucune des LPM (lois de programmation militaire) n’a vraiment été respectée depuis trente ans. Non seulement on baisse régulièrement les crédits de l’armée française, mais les promesses de ”sanctuarisation” du budget de la défense n’ont jamais été tenues. Tous les gouvernements, adeptes du mensonge élastique, se sont assis sur les besoins des armées. Avec à peine 1,9% du PIB, leur budget est ridiculement insuffisant.
Moins naïfs que les Européens et pas si bêtes, les Américains maintiennent leurs capacités militaires. Le budget du Pentagone représente 50% de tous les autres budgets militaires internationaux. Partout dans le monde, on réarme, sauf en l’Europe où l’on désarme. Depuis 30 ans, l’armée ne cesse de fondre comme peau de chagrin ; un tiers des départements n’a plus de garnison ; cette désertification militaire provoque à la fois un délitement du tissu social et un recul de l’activité économique locale. Entre 2009 et 2019, au terme de la loi de programmation militaire en cours, l’armée professionnelle aura perdu 80.000 hommes, soit un quart des effectifs. Beau suicide, accompli au nom de la ”rationalisation”. La loi de programmation militaire 2008-2014, votée par l’UMP et le PS, a sabré 54.000 postes. Les socialistes prévoient encore 23.500 suppressions d’ici 2019. Dissoudre des régiments, couper dans les budgets d’équipement ou les reporter, voici les principales missions des ministres de la Défense successifs. Aucun(e) n’a osé protesté, droite et gauche confondues, puisque leur carrière politicienne passe avant tout.
À la paupérisation des unités s’ajoute l’obsolescence des matériels. L’armée accomplit ses opérations dans des conditions acrobatiques. Les réformes successives de réduction du format des armées les ont affaiblies dans leurs capacités et minées dans leur solidité psychologique. On se dirige vers une situation de rupture, de la troupe comme de l’encadrement. L’armée est employée à 120% de ses capacités. Chaque année, la liste des régiments dissous s’accroit.. On s’attaque même maintenant à l’hôpital militaire du Val de Grâce ! Cette réduction globale des moyens et du format des trois armées avait commencé avec Chirac, preuve qu’il s’agit bien d’une politique (suicidaire) consensuelle partagée par la classe politicienne de droite comme de gauche.
Nos voisins et amis européens belges, néerlandais, italiens, espagnols, allemands, scandinaves, portugais, etc. suivent la même politique de baisse des budgets de la Défense, négligeant leurs capacités militaires. La situation des armées allemandes, Bundeswehr, Luftwaffe et Bundesmarine, (seulement 1,4% du PIB ) est dramatique : plus de 50% des matériels des trois armes, déjà très réduits, sont hors d’usage, faute de crédits de renouvellement et de maintenance. Bien sûr, en tout, les Européens entretiennent 1,5 millions de militaires. Mais ces chiffres sont fallacieux et cachent une autre réalité : de moins en moins de soldats capables de se battre, des matériels hors d’usage, des moyens de transports déficients.
Sacrifier la Défense : une ineptie économique.
Sacrifier les dépenses et investissements de la Défense, en les considérant comme variables d’ajustement budgétaire est d’une stupidité économique totale à notre époque. Car le secteur de la Défense, porteur de hautes technologies aux retombées importantes multisectorielles, est capital pour les exportations et l’emploi. Restreindre les crédits d’achats et d’équipements pour l’Armée française induit une baisse des exportations de notre industrie de Défense, aéronautique, maritime, terrestre, électronique, équipementière, etc. L’industrie de la Défense assure, de manière directe ou indirecte, par sous-traitance et retombées technologiques civiles, environ un million d’emplois. Et pas n’importe lesquels : des emplois hautement qualifiés, pas des balayeur ou des livreurs de pizzas. Sacrifier le budget de la Défense, c’est torpiller un peu plus l’industrie et la recherche françaises. Comme politique ”anti-croissance”, il n’y a pas plus efficace que de sabrer dans le budget de la Défense. Le programme spatial européen Ariane est la retombée directe de budgets militaires français sur les missiles.
Internet (dont la domination mondiale est américaine) est né grâce aux budgets de la défense du Pentagone. Les commandes du complexe militaro-industriel américain alimentent toujours le dynamisme des grands groupes américains, notamment informatiques et numériques. Idem en Chine. Le budget d’équipement de nos armées est le seul budget d’État qui soit créateur, en termes de retombées technologiques dans tous les secteurs innovants. Et c’est le seul que l’on sacrifie. Cherchez l’erreur. Elle est le fruit de la bêtise idéologique.
Sacrifier la Défense : un ineptie idéologique et stratégique
Derrière cette diminution constante du budget de la Défense et de la réduction de la taille de l’outil militaire se cachent des relents d’idéologie antimilitariste et antipatriotique. Ainsi qu’une vision pacifiste et irénique du monde, naïve et irréaliste. Mais il faut mentionner aussi une inconscience géopolitique : on s’imagine que le XXIe siècle sera pacifique, dominé par les négociations, les petites crises gérables, les interventions humanitaires des armées. Après l’effondrement de l’URSS, on s’est dit que toutes les guerres étaient finies et que seules ne compteraient plus sur une planète globalisée que les opérations de police ponctuelles. Or les conflits majeurs, les guerres de haute intensité ont autant de chance de disparaître que le soleil de cesser de se lever chaque matin.
Au moment où le monde s’arme, la France et l’Europe désarment. Très intelligent ! La Russie est le seul pays européen à accomplir un effort de défense et à essayer d’augmenter ses capacités. Mais on présente la Russie de Poutine comme agressive, comme un danger, un contre-exemple. C’est au contraire un exemple
Pour s’amuser, les chefs d’État (Sarkozy, puis Hollande) lancent des OPEX (Opérations extérieures), mini-guerres inefficaces, improvisées, en Afrique ou au Proche-Orient, avec de moins en moins de moyens, puisqu’ils coupent eux mêmes dans les budgets. Pour ces OPEX, l’armée est à bout de souffle, en capacités ou en moral. Moins on lui donne de moyens, plus on la sollicite sur des terrains extérieurs, et souvent pour des missions stupides et contre productives, lancées par des présidents de la République avides de se poser, de manière immature, en ”chefs de guerre”. Ces opérations inutiles et précipitées réduisent d’autant plus les budgets.
Prendre le budget militaire comme variable d’ajustement sacrificielle constitue une quadruple faute : sur le plan de la cohésion nationale, du rang international de la France (et de l’Europe), de la croissance économique et de la sécurité face aux menaces prévisibles et imprévisibles. Quand le ministre de la Défense, Le Drian, raconte qu’ « il faut faire porter aux armées leur part dans l’effort budgétaires du pays », il se moque du monde. Car, en réalité, seules les armées sont appelées à faire des efforts.
Où sont les efforts sérieux d’économie dans l’Éducation nationale pachydermique et impotente, les dépenses sociales délirantes de l’État Providence, les aides et allocations aux migrants clandestins, etc. ? En réalité, deux catégories ont été sacrifiées : les familles des classes moyennes (par hausses fiscales et coupes dans les allocations familiales) et les armées. Tout un symbole : la famille et l’armée. Tout ce que déteste sans l’avouer vraiment une oligarchie formatée selon certains dogmes idéologiques officialisés depuis Mai 68.
Les deux seuls secteurs qui ne devraient pas ”faire d’effort” dans la rigueur budgétaire mais au contraire bénéficier de crédits accrus sont précisément la politique familiale et la Défense ! Et c’est sur eux qu’on s’acharne ! Toujours ce suicide français. Les bla-blas politiciens flatteurs sur l’ ”armée, symbole de la République et de la Nation” ne doivent tromper personne. Ils sont destinés à prévenir une possible révolte (sous forme de démissions d’officiers et de rébellion gréviste ?) des forces armées.
Questions polémologiques prédictives et inquiétantes
Il est facile de sacrifier le budget de la Défense, puisqu’on s’est habitué à ce les militaires (de tout rang) se taisent, obéissent, se sacrifient. Mais à un moment, trop c’est trop. La corde casse à partir d’un certain seuil de tension. Un risque d’implosion des armées existe, ce qui, depuis que nous connaissons ce qui s’est produit dans les légions romaines au IVe siècle, se nomme d’un terme dévastateur : la désobéissance. Les chefs militaires sont souvent tentés de créer un clash et de dire les choses clairement. Mais les dirigeants de la ”grande muette” renoncent et, en bons fonctionnaires obéissants, pratiquent la langue de bois ou se taisent. Pour combien de temps ?
L’armée est la colonne vertébrale de la Nation – de toute Nation pourvue d’une ambition de rang et de rayonnement, d’indépendance et de souveraineté – parce qu’elle représente, d’un point de vue pratique et moral, l’organe de sa sécurité et de sa crédibilité. De plus, répétons-le, au XXIe siècle, les budgets de défense sont devenus des facteurs centraux de cristallisation et de retombées technologiques et économiques de pointe dans la recherche et innovation (R&D) et les exportations. Les grandes et moyennes puissances mondiales l’ont parfaitement intégré. Apparemment pas les gouvernements européens, ni les opinions publiques. Ce genre d’indifférence peut devenir dramatique.
Au XXIe siècle, nous sommes entrés dans un monde ”plurimenaçant”. Les menaces sont polymorphes et viennent de partout. La chute de l’URSS en 1991 a joué comme une gigantesque illusion pour les Européens. Qui peut savoir – au delà de la ”menace terroriste” et de la ”cyberguerre” souvent exagérées – si l’Europe au XXIe siècle ne risque pas une guerre civile ethnique, une ”attaque intérieure” armée sur son propre territoire ? Voire même une agression extérieure sous une forme classique, voire nucléaire ? Les armées européennes seront-elles capables d’assurer la défense du territoire ? Au rythme actuel d’embâcle et de fonte des moyens, certainement pas. Et inutile de faire un dessin : la menace physique ne vient plus du tout de l’Est européen slavo-russe, mais du Sud et du Moyen-Orient.
Et ce ne sont pas les Etats-Unis qui nous défendront. Notre seul véritable allié serait la Russie.
Faute d’une armée robuste et disciplinée, suffisamment nombreuse et équipée, la France ajoute encore un handicap aux autres. Pour l’instant, elle n’a pas encore, comme la Grande Bretagne, sacrifié sa dissuasion nucléaire, mais qui sait si nos politiciens pusillanimes ne vont pas être tentés de le faire ? La logique suicidaire est une pente savonneuse. D’autre part, un autre problème lourd se pose : le recrutement très important dans l’armée de personnels issus de l’immigration, notamment musulmane. Cette question, c’est le tabou absolu. Je n’aborderai pas ce point ici mais un parallèle éclairant doit être fait avec les légions romaines du Bas-Empire qui engageaient pour défendre Rome les frères de ceux qui l’assaillaient. On sait comment la tragédie s’est terminée.
La constitution d’une armée européenne, serpent de mer récurrent depuis la CED des années 50, faussement revigorée depuis vingt ans par toutes les tentatives d’”euroforces”, franco-allemandes ou autres, est une impossibilité, qui s’appuie sur des gadgets. L’Europe n’a aucune politique étrangère commune, mis à part la blague des Droits de l’homme et la soumission volontaire à Washington et à l’OTAN.
Le Front National a raison de protester contre le sacrifice du budget des armées. Il demande un minimum de 2% du PIB consacré à la Défense – ce qui est d’ailleurs encore insuffisant, il faudrait 3%. C’est un point positif dans son programme, par rapport à ses positions erronées socialo-étatistes dans l’économie. Mais il se méprend quand il affirme que c’est ”Bruxelles” qui oblige les pays européens à tailler dans leurs dépenses militaires ; même l’Otan incite au contraire à les augmenter ! Ce qui pousse la classe politicienne française à tailler dans les budgets de Défense, c’est un mélange d’indifférence, de solutions de facilités à court terme et d’ignorance des enjeux stratégiques et économiques. Il est tellement plus facile de sacrifier des régiments ou des commandes d’équipement que de s’attaquer à la gabegie de l’ État Providence.
Les sept pistes à suivre
Examinons maintenant ce qu’il faudrait faire, dans l’absolu :
1) Rétablir le budget de la Défense à 3% du PIB minimum.
2) Honorer et augmenter les commandes de l’armée à l’industrie nationale de défense, dans les domaines terrestres, aéronautiques/spatiaux et maritimes, mais aussi dans les budgets R&D.
3) Mettre en chantier un second porte-avion à propulsion nucléaire.
4) Rétablir les régiments dissous et durcir les conditions de recrutement.
5) Effectuer les commandes promises à la Russie de navires BPC.
6) Construire un ensemble techno-industriel européen de défense indépendant, avec obligation pour chaque pays de l’UE de pratiquer la préférence de commandes à l’industrie européenne et non plus américaine.
7) Travailler intelligemment à moyen terme, avec pragmatisme et avec diplomatie à une dissolution de l’OTAN au profit d’une organisation militaire intra-européenne puis euro-russe. Sans que, bien entendu, les USA n’aient rien à craindre et ne soient désignés comme ennemis. Au contraire, ils pourraient être des alliés s’ils ont l’intelligence de comprendre qui sont les véritables ennemis communs.
Guillaume Faye (J'ai tout compris, 24 octobre 2014)
Vous pouvez découvrir ci-dessous une courte conférence d'Alain Damasio consacré à la question du transhumanisme. Alain Damasio est l'auteur de deux romans de science-fiction importants La zone du dehors (Cylibris, 1999 et La Volte, 2007) et La horde du contre-vent (La Volte, 2004).
Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Jacques Sapir, publié sur son blog RussEurope et consacré aux voies et moyens pour sortir de la crise économique qui sévit en Europe...
Là où il y a une volonté, il y a un chemin...
Q- Pensez-vous que l’entrée de l’UE dans une phase déflationniste longue à la japonaise est inéluctable?
Je dois commencer par dire qu’il n’y a rien, en économie ni en politique, que l’on puisse dire inéluctable. Souvenons nous que dans l’action humaine, comme à la guerre, un désastre refusé est à moitié effacé. C’est l’acceptation de la catastrophe, la résignation au malheur, qui conduit à l’abîme. Parce que la volonté ne peut pas tout, certains s’imaginent qu’elle ne peut rien et, supposant son impuissance, lui tournent le dos. Mais, sans volonté, il n’y a pas d’action. Sans volonté, il ne saurait y avoir de politique, et la politique économique c’est aussi de la politique.
Ceci étant posé, il est clair que l’ensemble des règles fixées par le TSCG, par ce que l’on appelle le « Pacte de Stabilité », nous conduit à la déflation comme la pente attire la boule. Le mécanisme du multiplicateur des dépenses publiques nous entraîne dans une logique implacable. Au vu de sa valeur actuelle, comprise entre 1,4 et 1,5, il implique que toute réduction des dépenses publiques, par un accroissement des impôts ou par une contraction des dépenses, aura un effet récessif important. Au nom d’une logique purement comptable, qui est incapable d’imaginer la dynamique possible des actions, on a accepté effectivement de s’engager sur la voie qui fut celle du Japon dans la « décennie perdue ».
Et il est vrai que les similitudes entre la situation de l’Union Européenne, et plus spécifiquement de la Zone Euro et celle du Japon au départ de la cette fameuse « décennie perdue » sont nombreuses. Mais, les différences doivent aussi être comprises et assimilées. Le Japon est un pays, et la Zone Euro une alliance de pays. Si cela apporte son lot de contraintes, cela laisse ouvert la possibilité de changer rapidement de règles en refusant de se plier à ce que l’on veut nous imposer. Assurément, si nous acceptons, en maugréant peut-être, les règles qui ont été fixées de Francfort à Bruxelles, la déflation va bien prendre l’apparence d’un destin inéluctable. Et ceux qui prétendent qu’il en était ainsi s’en trouveront conforté en apparence. Mais, ce sera avant tout parce que nos dirigeants auront manqué de volonté.
Nous constatons aujourd’hui, comme de Gaulle l’écrivit à propos de 1940, qu’il manque deux choses à François Hollande, comme elles ont manqué à Paul Reynaud, pour qu’il soit un chef d’Etat : un Etat, et d’être un chef. Et il est vrai qu’ayant accepté les différentes usurpations de l’UE, les petites comme les grandes, il ne reste pas grand-chose de la souveraineté de l’Etat. Le constat de reniements et des abandons a été fait depuis des années. Aujourd’hui, nul ne l’ignore. Quant à être un chef, c’est à dire avoir tout ensemble cette volonté d’agir, cette foi dans l’action, et cette capacité à entraîner autour de cette action ceux qui vous entourent, cela implique une discipline de tous les instants. C’est bien ce qui manque à notre Président, comme à une bonne partie de la classe politique, dont nous voyons bien qu’elle est composée de viveurs individualistes, d’adolescents attardés. Le problème, ici, dépasse l’homme Hollande, avec ses défauts et ses qualités. On ne mesure pas à quel point, quant on a dit la fin de l’héroïsme, quand on a célébré la « normalité » en politique, on a signé la fin de l’action politique.
Pour autant, si une génération, et une classe politique, ont largement failli, ceci n’implique nullement que les qualités nécessaires à l’action politique aient disparue. On peut le constater tous les jours, quand on regarde les acteurs du système associatif, de certains syndicats, ces militants anonymes qui sont d’autant plus humiliés qu’il sont d’autant plus trahis. Face au désastre qui nous menace, il faut une révolution. Celle-ci commencera d’abord en nous-mêmes. Il nous faut réapprendre à servir, et non à se servir, si nous voulons être capables de commander. Il nous faut retrouver l’idée collective. Il nous faut retrouver la vertu, non dans un sens moral mais au sens politique, la force d’âme, si nous voulons vivre en République.
Techniquement, la situation actuelle nous remet en mémoire deux grands principes de l’économie. Le premier est que la politique monétaire est efficace quand il s’agit de freiner l’économie, dans le cas d’une surchauffe, et de faire baisser l’inflation, mais pas pour relancer celle-ci quand elle est à l’arrêt. L’expansion de la demande est nécessaire, et cette expansion ne peut être obtenue QUE par la politique budgétaire. Le second principe est la dissymétrie entre les taux d’intérêts et les revenus. Pour les taux d’intérêts ce qui compte n’est as le taux nominal, mais le taux réel. Mieux vaut emprunter à 6% quand il y a 4% d’inflation qu’à 3% quand l’inflation est nulle. Par contre, pour ce qui est des revenus, et ceci vaut tout autant pour les ménages, pour les entreprises que pour l’Etat, les revenus nominaux sont en fait plus importants que les revenus réels dans la mesure où il y a des coûts fixes. En fait, ceci traduit le fait que les prix n’ont pas tous la même élasticités tant à la hausse qu’à la baisse. Aussi, en période de déflation (baisse des salaires) certains coûts vont baisser moins vite. Inversement, en période d’inflation, et en particulier d’inflation salariale, certains coûts vont s’accroître plus lentement que les salaires. C’est pourquoi l’inflation est préférable pour les salariés, pour les entrepreneurs et in fine pour l’Etat (via la TVA). Ces deux principes étaient connus dans les années 1960. Je les ai appris à mon entrée à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, en 1971. Nous les redécouvrons aujourd’hui en période de déflation.
Q – En quoi la réforme du système financier que vous appelez de vos vœux est-elle un préalable à toute autre réforme?
Le système financier doit se lire à partir d’une analyse de la financiarisation de nos économies. Le capitalisme moderne a besoin d’un système financier, d’une monnaie de crédit. Parce que les productions deviennent toujours plus complexes, avec des délais importants de la conception au retour sur investissement, le crédit, c’est-à-dire l’avance de capital, pour investir et pour consommer, devient plus essentiel. Mais, ce processus qui implique un changement d’attitude par rapport à la monnaie n’est pas la financiarisation. Cette dernière tire l’origine de son développement actuel de la décomposition du cadre de Bretton Woods, qui s’est jouée en deux temps, d’abord en 1971 puis en 1973. Dès lors, on assiste à deux phénomènes qui sont étroitement liés. D’une part, le métier de la banque tend à s’éloigner des activités de crédit, qui impliquent une connaissance et un lien réciproques entre le banquier et son client, pour s’orienter de plus en plus vers des activités dites « de marché », c’est-à-dire des activités de spéculation. De l’autre, des « quasi-banques » se forment à partir des fonds d’investissement et des hedge funds ou fonds spécialisés dans les opérations spéculatives. Les grandes entreprises elles-mêmes, dont on a suivi précédemment la « multinationalisation » découvrent à travers la gestion de leur trésorerie la possibilité de réaliser de nouveaux profits. Ce phénomène n’aurait jamais pu voir le jour sans le processus de déréglementation que l’on a connu depuis maintenant plus de trente ans. La déréglementation bancaire et financière s’est mise en place depuis 1980. Au États-Unis, il a commencé en effet avec le Depository Institutions Deregulation and Monetary Control Act de 1980 qui a entamé le démantèlement des cadres réglementaires issus de la crise de 1929. Il a culminé avec le Gramm-Leach-Bliley Act de 1999[1] qui a annulé le Glass-Steagall Act de 1933[2] et ouvert la porte à la fusion entre banques et assurances, au plus grand profit de Citicorp. Il faut ici signaler que ce processus a été largement le produit d’un consensus bipartisan aux États-Unis. Le première loi de 1980 avait été préparée durant la présidence Carter (1976-1980) et la deuxième le fut sous le second mandat de Bill Clinton (1996-2000). Un processus analogue eut lieu en Europe, avec la déréglementation de la City de Londres, bientôt imitée en France sous l’impulsion du ministre des Finances socialiste de l’époque, Pierre Bérégovoy, et renforcée en 1993 sous le gouvernement conservateur d’Édouard Balladur. Ces pratiques ont été consolidées à l’échelle européenne par diverses directives et renforcées par les principes adoptés au sein de la zone Euro.
Elle a entraîné un accroissement très important de la part des profits financiers dans le total des profits. Ces derniers constituaient entre 10 et 15 % des profits dans les profits totaux au cours des années 1950. Ils atteignent, aujourd’hui, de 35 à 40 %. Encore faut-il se souvenir que ces profits « financiers » sont ceux d’entreprises dites financières. Mais quand une entreprise qui n’a a priori rien à voir avec la finance développe une activité financière, les profits qu’elle réalise alors sont comptabilisés dans les profits des sociétés dites non financières. On peut donc raisonnablement estimer que plus de 50 % des profits réalisés par les entreprises américaines proviennent des activités financières. Telle est bien le visage que prend la financiarisation des économies, qui n’est que l’autre versant de la globalisation financière.
D’un point de vue théorique, la financiarisation, c’est avant tout la puissance du capitaliste, de « l’homme aux écus » sur la société. Et cela implique une compréhension de ce que sont tant les prix que la monnaie pour comprendre le mécanisme de défense de la rente financière et comment il aboutit à étrangler l’économie. Il faut savoir que dans une économie capitaliste les prix ne sont pas le produit d’un équilibre entre une offre et une demande. Car, offre et demande sont liées, et sont par ailleurs le reflet de bien d’autres facteurs. Les prix, et donc la monnaie, sont des vecteurs d’un conflit entre plusieurs acteurs : « Les prix monétaires résultent de compromis et de conflits d’intérêt; en ceci ils découlent de la distribution du pouvoir. La monnaie n’est pas un simple “droit sur des biens non spécifiés” qui pourrait être utilisé à loisir sans conséquence fondamentale sur les caractéristiques du système des prix perçu comme une lutte entre les hommes. La monnaie est avant tout une arme dans cette lutte; elle n’est un instrument de calcul que dans la mesure où l’on prend en compte les opportunités de succès dans cette lutte[3]. »
Ces conflits, on le sait depuis l’origine de l’économie politique classique, opposent en fait trois acteurs, d’uns part les salariés, qui n’ont pas d’autre choix que de louer leur force de travail, les entrepreneurs, et les rentiers. Keynes, Bien avant qu’il n’ait écrit la Théorie Générale, l’a expliqué de manière lumineuse.
Dans un texte tirant le bilan des désordres monétaires qui suivirent la fin de la Première guerre mondiale, il écrivait ces lignes qui résonnent encore aujourd’hui avec une profonde actualité: « Depuis 1920, ceux des pays qui ont repris en mains la situation de leurs finances, non contents de mettre fin à l’inflation, ont contracté leur masse monétaire et ont connu les fruits de la Déflation. D’autres ont suivi des trajectoires inflationnistes de manière encore plus anarchique qu’auparavant. Chacun a pour effet de modifier la distribution de la richesse entre les différentes classes sociales, l’inflation étant le pire des deux sous ce rapport. Chacun a également pour effet d’emballer ou de freiner la production de richesses, bien que, ici, la déflation soit le plus nocif.[4] ». Keynes va même plus loin et lie explicitement l’inflation et la déflation, c’est à dire la dépréciation de la monnaie ou au contraire son appréciation face aux prix des autres biens, au mouvement historique qui voit de nouveaux groupes sociaux s’affranchir de la tutelle des anciens dominants: « De tels mouvements séculaires qui ont toujours déprécié la monnaie dans le passé ont donc aidé les “hommes nouveaux” à s’affranchir de la main morte; ils profitèrent aux fortunes de fraîche date aux dépens des anciennes et donnèrent à l’esprit d’entreprise des armes contre l’accumulation des privilèges acquis [5]».
On voit alors que l’inflation correspond à une alliance des salariés et des entrepreneurs contre les rentiers. Inversement, la déflation favorise les rentiers. Mais, pour pouvoir la mettre en œuvre ils doivent soit s’associer aux entrepreneurs, et dans ce cas faire peser la totalité du poids de leur victoire sur les salariés (ce fut le scénario de la crise de 1929 à 1935), soit chercher à convaincre les salariés de s’allier à eux, et pour cela ils doivent réduire le taux de marge des entrepreneurs (ce qui s’est historiquement passé depuis une quinzaine d’années en France et en Italie). La spécificité de la position des rentiers est qu’ils peuvent basculer d’une alliance à une autre, tandis que salariés et entrepreneurs se querellent constamment alors qu’ils devraient faire front commun ensemble sur des stratégies inflationnistes. Il faut ici signaler que cette terminologie, salariés, entrepreneurs et rentiers, renvoie tout autant à des individus qu’a des fonctions. Marx le montre à plusieurs reprises dans le Capital quand il parle de l’entrepreneur capitaliste, qui risque ses propres capitaux. En cet individu se combinent en fait deux fonctions, celle de gérant du capital (ce que nous appelons l’entrepreneur) et celle du capitaliste proprement dit ou du propriétaire du capital. La confusion entre les fonctions de gestion et de propriété du capital, qui est naturelle, empêche cependant de comprendre les dynamiques réellement à l’œuvre. Aujourd’hui, dans les grandes entreprises, la distinction entre les fonctions de gestion et de propriété du capital est évidente, et matérialisée par des personnes différentes.
La monnaie apparaît dès lors sous deux faces, analytiquement distinctes et systémiquement liées. Elle est bien sur l’indispensable moyen de calcul inter-temporel qui permet de sublimer les obstacles posés sur la route des échanges par l’hétérogénéité. Cette dernière fonde la nécessité d’un instrument particulier fonctionnant comme norme d’homogénéisation d’une réalité non homogène, une réalité que la théorie standard se refuse à reconnaître[6]. Mais cet instrument n’est pas neutre. Il est aussi un vecteur des rapports de force sociaux. La monnaie, pour reprendre les termes de Max Weber, est à la fois un “droit sur des biens non spécifiés” et un instrument dans la lutte entre les individus et les groupes sociaux autour de l’appropriation de ce type de droit. La double nature, contradictoire, de la monnaie est l’une des bases de l’analyse de M. Weber[7].
Il faut souligner ici l’importance et le caractère extrêmement moderne de sa distinction entre une rationalité “formelle” et “substantielle”. Pour Weber, la rationalité “formelle” est celle qui dérive du calcul économique quand celui-ci peut être entièrement fait à partir des valeurs monétaires. Par contre, la rationalité “substantielle” définit pour sa part une situation où les besoins d’une population donnée sont satisfaits en accord avec le système des valeurs de cette population et les normes qui en découlent. Cependant, ces facteurs substantiels limitent fondamentalement le champ d’application de la rationalité issue du calcul monétaire, et c’est pourquoi elle est qualifiée de “formelle”. Le conflit entre la nature “formelle” et la nature “substantielle” est indépassable dans les sociétés réelles. En d’autres termes, la notion de calcul monétaire n’a de sens qu’à partir d’une connaissance de la distribution des revenus[8], elle est contingente à l’organisation sociale. Weber refus l’aporie rationaliste comme quoi tout serait réductible au calcul monétaire. Les bases de ce dernier sont des normes et des valeurs qui ne sont pas exprimables en des termes monétaires. Cet argument ici reprend explicitement celui d’Otto Neurath[9], il n’est jamais possible de tout calculer.
Q – Peut-elle être envisagée dans un cadre strictement national ?
Le processus auquel nous avons été confronté depuis la fin des années 1970 est celui d’une montée en puissance des relations financières, en partie du fait de l’hétérogénéité croissante du monde, mais aussi en partie du fait d’une bataille qui se déroulait entre salariés, entrepreneurs et rentiers. Dans cette montée en puissance, les rentiers avaient une position particulièrement favorable car ils contrôlaient la ressource de la financiarisation, la liquidité monétaire. Ce faisant, ils ont progressivement imposé des institutions particulières, comme l’indépendance des banques centrales et en Europe l’Euro, afin de garantir leur place prééminente dans l’économie en s’assurant que des épisodes inflationnistes, comme ceux que l’on avait connu de 1945 à 1980, ne se reproduiraient plus. Dans cette construction institutionnelle, la clef de voute est constituée par l’Euro, au nom duquel les principales institutions et règles de la financiarisation ont été imposées. C’est pourquoi, aujourd’hui, combattre la financiarisation (et non pas une « finance » indistincte et largement mythique) passe par le combat contre la monnaie unique. On dit, et c’est un des arguments des thuriféraires « de gauche » de l’Euro que son abolition ne changerait rien et que seul compte le combat contre la financiarisation. Mais ceci oublie fort à propos que la financiarisation aujourd’hui tient grâce à l’Euro. L’indépendance de la Banque Centrale a été inscrite dans le traité de Maastricht, qui contenait lui-même l’Union monétaire, c’est-à-dire l’Euro. En fait, abolir l’Euro, c’est provoquer un changement tel des règles que l’on devra adopter un autre régime monétaire, un régime dans lequel de nouvelles institutions deviendront nécessaires et qui, pour reprendre la formule de Keynes, aidera les entrepreneurs qu’il qualifie « d’hommes nouveaux [10]» de s’affranchir de la main-morte du passé et de développer l’économie.
Il est clair que ce changement nécessitera une coopération entre pays. Mais, celle-ci surviendra après que dans chaque pays on aura retrouvé sa souveraineté monétaire. Il n’est pas exclu que dans certains pays le rapport des forces soit tel que les rentiers puissent maintenir une forme dégénérée de leur pouvoir. Mais dans d’autres, des alliances spécifiques pourront se tisser entre salariés et entrepreneurs autour d’institutions nouvelles.
Q – Que pensez-vous de la place du débat sur l’UE/ l’Euro dans le milieu universitaire, et au delà dans l’espace médiatique ? Existe-t-il une spécificité française en Europe en matière d’information sur ces questions ?
Il est incontestable qu’il y a une spécificité française, voire franco-italienne, sur le débat concernant l’Euro. Dans d’autre pays, comme en Allemagne, aux Pays-Bas, et bien entendu en Grande-Bretagne, cette question est dépouillée du contenu quasi-mystique qu’elle prend en France. .Sa réalité et sa légitimité sont reconnues à l’étranger ; même le journal allemand Spiegel lui a consacré il y a des années de cela un long dossier[11]. En France, il se fait que nous avons construit la monnaie en religion et l’Euro en fétiche. L’Euro, c’est la religion de ce nouveau siècle, avec ses faux prophètes et ses grands prêtres toujours prêts à fulminer une excommunication faute de pouvoir en venir aux bûchers, avec ses sectateurs hystériques. C’est cette déformation du débat qui explique la violence des réactions que toute tentative d’avoir un débat sur l’Euro, et sur une possible sortie de la monnaie unique, suscite, A lire les accusations multiples qui pèsent sur vous dès que l’on aborde un tel sujet, on est en droit de douter de la santé mentale de vos interlocuteurs. Pourtant, le débat est en train de s’imposer. Il a été longtemps nié par une large part de la classe politique et en particulier le Parti « se disant socialiste ». En France, qu’un dirigeant du Parti socialiste parle sur ce sujet et sa phrase commence immanquablement par un verset sur les « bienfaits » de l’euro (mais sans jamais préciser, et pour cause, lesquels) ou sur la « nécessité » de défendre la monnaie unique. Il semble constituer un impensé ou, à tout le moins, une question que l’on voudrait à tout prix refouler. La monnaie unique concentre en elle, comme on l’a montré plus haut, des projets économiques et politiques. Mais, elle concentre aussi des représentations symboliques. Ce sont ces interrelations qui rendent le débat à la fois nécessaire et extrêmement difficile. Ceci explique aussi la violence des réactions dès que l’on touche au principe de la monnaie unique. Nombreux, en effet, sont ceux qui ont chanté sur tous les tons les louanges de la monnaie unique, parfois avec des arguments qui étaient parfaitement recevables, mais parfois avec des arguments relevant plus de la « littérature (ou l’argumentation) à l’estomac ». L’engagement en faveur de la monnaie unique a été tel que tout débat implique une remise en cause de l’autorité morale de ces personnes, et toute remise en cause peut provoquer la perte de légitimité pour ces dirigeants ainsi que pour leurs conseillers et autres économistes à gages
La crise de l’euro s’impose cependant, constituant pour l’instant un horizon indépassable. Les dernières tensions sur les marchés financiers de la semaine du 12 au 17 octobre 2014, le fait que les taux d’intérêt remontent dans les pays périphériques (Grèce, Espagne) en témoigne. Il y a donc bien une particularité franco-française à ce débat ou, plutôt, à son refus qui ne cède qu’aujourd’hui sous les coups de boutoirs de la réalité. La violence des réactions, et l’outrance des amalgames, qui parsèment la presse française traduisent pourtant le fait qu’en dépit d’un effet d’étouffoir médiatique sans précédent ce débat est en train de percer[12]. De nombreuses personnalités, tant proches du gouvernement que dans l’opposition, en parlent en privé.
Dans le monde universitaire, le débat a en un sens toujours été légitime. Mais il est lourdement chargé en technique, ce qui rend les travaux peu accessibles du grand public. Cette situation semble satisfaire certains collègues, qui pourront ainsi dire qu’ils étaient conscients des méfaits de la monnaie unique, mais qui évitent prudemment de prendre position publiquement sur cette question. J’avoue que je ne comprend pas et que je ne partage pas cette attitude. Un scientifique ne fait pas des recherches « pour soi » mais pour la collectivité qui l’entretient et qui lui permet de travailler dans de bonnes (ou parfois, hélas, de moins bonnes) conditions. Il y a donc un impératif moral à diffuser le résultat de nos recherches.
Jacques Sapir (RussEurope, 19 octobre 2014)