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Points de vue - Page 266

  • Notre samizdat...

    Nous reproduisons un point de vue intéressant de Bertrand Renouvin, cueilli sur son blog et consacré au contournement de l'oligarchie et de ses intellocrates chiens de garde par les nouveaux moyens d'expression et de diffusion.

    bertrand renouvin,hétérodoxes, communication, dissidence, intelligentsia, Jacques Sapir, médias

    Notre samizdat

     

    En Union soviétique, dans les trente dernières années, les écrits des dissidents circulaient sous forme de dactylographies, dupliquées au papier carbone. Cette auto-édition (samizdat) clandestine a joué un rôle significatif dans le mouvement d’opposition au régime et dans son retentissement à l’étranger.

     

    En France et en Europe de l’Ouest, les adversaires de l’ultralibéralisme ont leur propre  samizdat, au sens strict du terme (1). Je m’empresse d’ajouter qu’ils ont, par rapport aux citoyens soviétiques, des avantages incomparables : ils peuvent publier leurs textes en toute liberté et les diffuser massivement. Cette transformation des moyens de diffusion constitue un évènement majeur, que Jacques Sapir illustre en publiant les statistiques de son blog (2). Pour le mois de novembre, le carnet RussEurope a reçu 194 221 visites, provenant de 75 688 visiteurs uniques. Comme les articles sont repris sur plusieurs blogs français et étrangers, il faut compter en moyenne 100 000 visiteurs mensuels. D’autres blogs ont également un retentissement considérable – ceux de Paul Jorion, de Frédéric Lordon, d’Olivier Berruyer – si bien qu’on peut établir l’existence et la vitalité d’un mouvement d’opinion hétérodoxe qui se manifeste hors des cadres partisans.

    Ce mouvement est d’autant plus impressionnant que les textes publiés sont d’un abord difficile et exigent de lecteurs qui ne sont pas tous bardés de diplômes – les commentaires postés en témoignent – un véritable travail. Jacques Sapir montre que ses lecteurs viennent chercher des informations factuelles, introuvables dans les médias traditionnels, et qu’ils demandent des analyses de fond.  Cette volonté de savoir et de comprendre est le signe d’une double défaite :

    Défaite des médias officiels (radio, télévision, quotidiens nationaux) et de l’idéologie de la communication dont ils sont les vecteurs. La Pensée correcte diffusée par formules-chocs, le moralisme compassionnel et les arguments des experts médiatiques ne parviennent pas à « formater » l’opinion publique. Preuve manifeste : le débat sur le prétendu « traité constitutionnel » et son rejet par référendum à la suite de la première bataille politique menée sur la Toile. Depuis 2005, un nouveau système d’information critique s’est développé et le débat public n’a cessé de s’enrichir, sans pour autant tuer le livre et la presse sur papier qui est en train de se renouveler – je pense à « Causeur » – comme elle l’a toujours fait.

    Défaite des puissances financières, propriétaires de quotidiens, d’hebdomadaires et de chaînes de télévision qui perdent chaque année un peu plus de leur influence. Face à ces médias déclinants, un citoyen peut créer un blog sans grandes compétences techniques et presque gratuitement puis se lancer dans le débat démocratique national et international. Sa notoriété sera fonction de ses qualités éditoriales, et d’elles seulement. Ce n’est pas un changement, c’est une révolution dans la médiasphère : elle contribue au discrédit des dirigeants et des partis politiques qui vivent en osmose avec les médias de la fin du 20ème siècle ; elle fait des intellectuels médiatiques – Bernard-Henri Lévy, Jacques Attali – des colosses aux pieds d’argile qui ne savent pas à quel point leurs postures et impostures sont brocardées.

    D’où une situation paradoxale : les intellocrates et les oligarques se croient au centre du monde alors qu’ils sont marginalisés par une nouvelle génération intellectuelle. Ses représentants s’appuient sur des convictions profondes, récusent le Capital et n’ont nul besoin de capitaux. Cette nouvelle intelligentsia savante n’a pas seulement disqualifié les « experts » : elle est la référence du prolétariat intellectuel méprisé et réduit au chômage par l’oligarchie, de militants de tous bords et de nombreux Français qui cherchent à s’engager en politique. Cet ensemble, que j’évoque à gros traits, peut former une contre-société à vocation révolutionnaire…

    Je ne dis pas que notre samizdat vole vers la victoire car notre crise peut aussi trouver des issues violentes qui ruineraient ses projets. Mais les nouveaux mouvements qui se manifestent dans la rue ou dans les urnes en Italie, en Grèce, en Espagne, en Belgique… nous incitent à persévérer dans l’effort afin que nous puissions dire à notre tour : Bien creusé, vieille taupe !

    Bertrand Renouvin (Blog de Bertrand Renouvin, 16 décembre 2014)

     

    Notes :

    (1)     Samizdat se traduit par auto-édition à partir du pronom réfléchi sam et de izdatiélstvo, édition – donc sans référence à l’idée de clandestinité.

    (2)    Cf. RussEurope et les visiteurs : http://russeurope.hypotheses.org/3095

    (1)     Samizdat se traduit par auto-édition à partir du pronom réfléchi sam et de izdatiélstvo, édition – donc sans référence à l’idée de clandestinité.

    (2)     Cf. RussEurope et les visiteurs : http://russeurope.hypotheses.org/3095

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  • Pour apaiser la colère de nos maîtres...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 9 décembre 2014 et consacrée à la loi Macron...

     


    Éric Zemmour : "La piétaille judiciaire... par rtl-fr

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  • Occident-Russie : un tango stratégique à haut risque...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli sur le site du Point et consacré à la crise ouverte entre l'Occident et la Russie. Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre(Nuvis, 2013).

     

     

    Tango.jpg

    Occident-Russie : un tango stratégique à haut risque

    Danser le tango sur un volcan les yeux fermés, c'est grisant. Cela donne une illusion de puissance. Mais le tango est une danse où l'on ne peut tenir son partenaire à distance, encore moins le mépriser ou le sous-estimer, sans se prendre les pieds dans le tapis. Il faut sinon s'aimer, du moins se rapprocher assez pour avancer sans chuter.

    L'Europe et, derrière elle, l'Amérique sont un peu dans cette situation. Elles croient encore mener la danse, mais humilient tant leur partenaire russe qu'elles vont faire advenir ce qu'elles redoutent. Une prophétie autoréalisatrice dramatique pour la paix et la sécurité mondiales. Notre indécrottable ethnocentrisme pourrait nous entraîner dans une surenchère diplomatico-militaire jusqu'au cratère incandescent de l'affrontement militaire sans autre issue qu'un affaiblissement stratégique durable de notre continent.

    Incapables d'ouvrir les yeux sur nous-mêmes comme sur ce "Grand Russe" et son peuple enamouré d'un autre d'âge, qui heurtent notre conception de la modernité politique, on croit avoir enfin trouvé la parade en criant à la provocation et au complot. Selon l'Occident, les menaces de Vladimir Poutine ne traduisent pas la crispation croissante d'une puissance acculée qui montre les dents en attendant une main tendue pour baisser les babines. C'est la marque belliqueuse d'une volonté de puissance incompréhensible et intolérable. Interprétation confondante de simplisme et d'ignorance.

    La stratégie du pire

    Qui a provoqué qui ? Le grand méchant tsar Poutine ? L'Occident qui en veut à la Russie de vouloir survivre comme puissance globale ? Au point où l'on en est, il serait temps de faire preuve d'un minimum d'honnêteté intellectuelle et de dédramatiser la situation. Avant que les "jusqu'au-boutistes" locaux de chaque camp ne rendent le conflit incontrôlable et n'attisent les braises d'autres théâtres de confrontation globale avec Moscou où nous ne pouvons que perdre.

    Le risque en effet n'est pas seulement de pousser la Russie à compliquer, en représailles, notre lutte contre le salafisme combattant en Orient, en Irak ou en Syrie. Elle aussi en souffre dans le Caucase, avec la réapparition opportune d'un sombre émir tchétchène qui promet de porter le feu sur son territoire. On en vient surtout à craindre que l'Europe et l'Amérique ne se laissent entraîner dans un conflit militaire direct contre la Russie. Au prétexte - seriné à nos oreilles naïves par certains dirigeants ukrainiens - que l'Ukraine constituerait l'ultime rempart de l'Occident et de l'Europe contre la "barbarie néo soviétique" ! La montée en gamme courroucée des capitales occidentales contre Moscou et les "appels à l'aide" de Kiev rappellent une autre stratégie du pire, celle des autorités de Sarajevo en 1991-1992, avec les résultats sanglants que l'on connaît...  

    Si le président P. Porochenko, oligarque pragmatique, paraît vouloir lancer la réforme du pays le plus corrompu d'Europe, son Premier ministre A. Iatseniouk s'affaire à répandre des bonbonnes d'huile sur le feu en bombardant les faubourgs des villes pro-russes ; en refusant de payer fonctionnaires et retraités des régions félonnes, consolidant ainsi la séparation politique et économique des populations orientales d'avec celles de l'ouest du pays ; en faisant de Kiev le nouveau hot spot pour les responsables de l'Otan en goguette ; en remettant les clefs des Finances ukrainiennes à une Américaine du Département d'État opportunément naturalisée, celles de l'Économie à un Lituanien, la réforme du système de santé à un Géorgien dont on peut imaginer les soutiens et les allégeances.

    "La Russie éternelle"

    Ce n'est plus un chiffon rouge, mais un grand drap cramoisi que l'on agite sous le nez de Moscou. Tout est fait pour que la situation dégénère, que Poutine perde son calme, que ses "proxys" locaux, réels ou autoproclamés, en profitent, que les marionnettes des deux camps s'affranchissent de leurs "animateurs" pour mettre le pays à feu et à sang. Tout cela dans un contexte de faillite imminente du pays et de sanctions qui affaiblissent durablement l'économie russe, donc poussent son chef à plus de rigidité et de contrôle sur sa population.

    Un peuple qui l'adule dans son immense majorité. Pourquoi ? Vladimir Poutine lui propose de se vivre comme grand et incompris ; il l'appelle au sauvetage de la patrie et au sacrifice au nom d'une orthodoxie vivante jumelée au pouvoir politique. Il ne s'agit pas d'être pour ou contre cette alliance détonante et efficace. Poutine n'a pas besoin de notre accord ni qu'on vienne lui faire la leçon ou lui reprocher ses menaces de représailles dans l'affaire des Mistral. Il s'agit de comprendre que cette dimension sacrificielle du peuple russe constitue le socle d'un régime qui incarne la "Russie éternelle" - dont les cérémonies des Jeux de Sotchi ont donné une somptueuse métaphore -, la destinée glorieuse et souffrante d'un peuple différent par essence, qui doit survivre et trouver sa place dans le monde sans se soumettre.

    Ce vécu collectif intense est le moteur d'une formidable résilience populaire, qui protège le régime de nos assauts et que nous serions bien inspirés de mesurer, car il impacte directement l'efficacité de toute "stratégie" dans cette crise. Crise vue par les Russes, même les plus simples, surtout les plus simples, comme symbolique de la lutte en cours pour la redéfinition des "valeurs" et principes structurants de l'Occident au sens large, dont, ne nous en déplaise, Moscou se considère comme l'un des piliers.

    Un dogmatisme inopérant

    Mais, à Paris du moins, on ne prend pas le chemin de la lucidité ou de la conciliation. On s'enkyste dans un dogmatisme inopérant, on croit pouvoir encore dire à Moscou que l'on n'est pas content, que Vladimir Poutine doit faire acte de repentance, se soumettre à nos desiderata, laisser l'Ukraine basculer dans notre camp, entrer dans l'UE et l'Otan ; qu'il doit abandonner ses populations russophones à notre influence bienveillante et renoncer à une quelconque ambition de préserver et/ou de restaurer sa sphère d'influence régionale ancienne, qui nous appartient désormais. Un point c'est tout.

    Souhaitons que la récente rencontre-éclair de notre président avec le maître du Kremlin ne soit pas qu'un "coup" à visée politique interne, mais traduise une prise de conscience salutaire et durable, redonnant ainsi à notre pays une place de médiateur utile sur de multiples fronts de crise, à l'instar du rôle précieux joué par la France entre Moscou et Washington durant la guerre froide.

    En matière internationale, savoir tendre la main à l'adversaire est toujours plus fécond que lui enfoncer la tête sous l'eau lorsqu'il se noie. Mais l'Occident n'a jamais eu le triomphe modeste, pas plus aujourd'hui qu'en 1991, lorsque, l'URSS décomposée, la Russie s'est enfoncée dans la déstructuration économique et politique sous notre patronage. On n'a rien appris de cette décennie que l'on a assimilée à une "victoire".

    Dans l'affaire malheureuse des bâtiments de projection et de commandement (BPC), au lieu de gagner en crédibilité aux yeux de Moscou, de travailler la relation de confiance, on crie "au loup" tous les matins et on nourrit la défiance. On juge conforme aux intérêts nationaux et même européens de céder aux pressions américaines, polonaises et baltes (qui ne devraient pas faiblir avec la nomination de l'ancien Premier ministre polonais Donald Tusk à la présidence du Conseil européen, symbole éclatant de la mise sous tutelle de l'UE) et de renier la signature de la France en reportant sine die la livraison de nos bâtiments et en la soumettant au respect de l'accord de Minsk du 5 septembre, comme si son respect ne dépendait que de la seule Russie !

    Le coup perdant-perdant

    On dira que l'on ne pouvait pas faire moins que de surseoir à nos engagements d'État, que l'on devait cela à nos alliés. Ils se frottent les mains de notre naïveté et, comme en Iran, préparent les alternatives à nos manquements et préservent leurs relations commerciales avec Moscou - en obtenant, par exemple, l'exclusion du champ des sanctions des produits pétroliers et gaziers indispensables à l'économie allemande, ou des services financiers vitaux pour la City de Londres. Qui veut-on convaincre de notre fiabilité ? Les Russes, les Chinois, les Indiens, les Saoudiens, les Américains, les Européens ?

    Paris a inventé un nouveau coup stratégique : le coup "perdant-perdant". Désormais, nos alliés sont convaincus de notre pusillanimité, nos adversaires de notre insignifiance stratégique, nos putatifs clients en matière d'armement de notre faiblesse commerciale et Moscou de notre incapacité à constituer un canal de médiation utile. Car la politique étrangère d'un État, même en nos temps cathodiques sans histoire ni mémoire, ne s'adresse pas à sa population, mais au reste du monde. Elle doit définir et suivre un cap, mettre en cohérence des objectifs stratégiques constants, envisager les rapports de force dans leur globalité, ne pas "saucissonner" artificiellement les problèmes, mais se donner les moyens d'une influence multicanal sur un maximum de théâtres de friction ou de conflit.

    La bannière patriotique

    Or la crise ukrainienne n'est que le témoin inquiétant de l'état de la relation douloureuse de la Russie à l'ensemble du monde occidental. Elle nous impose de comprendre (ce qui ne veut pas dire admettre ou partager) la problématique d'un État multinational et fédéral, la relation d'un peuple complexe avec son dirigeant qui heurte nos consciences amollies. Car, il faut l'admettre, seule l'Union européenne a renoncé à la puissance globale et l'a réduite à son expression économique et commerciale. Le reste du monde croit plus que jamais à la souveraineté, à la projection de puissance et éventuellement de forces, à l'affirmation d'une ambition collective, à la mise en ordre de marche de populations derrière une bannière pas forcément nationaliste, mais certainement patriotique. Ce n'est pas un mouvement fasciste ou anti-moderne, mais une réaction aux illusions destructrices d'une hyper-modernité individualiste et mercantile qui trahit l'idéal libéral démocratique qu'elle prétend incarner.

    Quoi qu'il en soit, même si Washington et Pékin le déplorent, la multipolarisation à géométrie variable des centres de puissance du monde que revendique Moscou existe de fait, comme existe la lutte maladroite contre l'hégémonisme américain. La charge symbolique des postures martiales de Vladimir Poutine ne relève pas de la magie noire. Elle s'explique aisément.

    Ce qu'est la Russie ?

    Depuis la fin de la guerre froide, la Russie a fait face à un double défi unique au monde pour un empire : renoncer à sa vision d'elle-même comme pôle alternatif régionalement intégré de puissance et d'influence globale, et réformer en profondeur son système étatique et social pour le rapprocher des standards politiques et économiques occidentaux. Les difficultés rencontrées durant la décennie 1990 pour achever cette mutation colossale l'ont conduite à rechercher une voie nationale spécifique permettant d'échapper au démembrement social, au dépeçage de son économie et à l'effacement stratégique.

    La question de "ce qu'est la Russie" (le vieil ideinost) demeure centrale pour l'unité nationale d'un pays immense au coeur d'un ensemble à la fois fédéral et multinational. De ce point de vue, la triade conservatrice tsar-peuple-orthodoxie soude l'identité russe en protégeant le peuple des ferments de dilution nés de l'ouverture des années 1990. Un conservatisme garant d'une continuité historique qui transcende en les synthétisant la période impériale, celle du socialisme et celle de la démocratisation post-1991.

    La stabilité politique est dès lors vécue comme un atout et le changement comme un risque, même si la nostalgie d'un paradis soviétique perdu est essentiellement folklorique et ne signifie pas volonté d'un retour à l'âge communiste. Être à la fois différents et puissants, moderniser la tradition, trouver une forme russo-compatible du modèle démocratique : voilà la quadrature du cercle dans laquelle se débattent les dirigeants russes. Au lieu de les stigmatiser comme d'antédiluviens autocrates, l'Europe et la sécurité du monde ont tout à gagner à les aider à opérer cette délicate synthèse.

    Caroline Galactéros (Le Point, 11 et 14 décembre 2014)

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  • Ce que cache l'interdiction des crèches de Noël...

    Nous reproduisons ci-dessous un excellent point de vue de Jean-Paul Brighelli, cueilli sur le site du Point et consacré à l'interdiction des crèches dans les lieux publics. Ou comment le multiculturalisme avance sous le masque du laïcisme le plus stupide...

     

    Crèche.jpg

    Ce que cache l'interdiction des crèches de Noël

    Oh, comme ils sont malins ! Ils se drapent dans les oripeaux de la laïcité pour mieux imposer une société multiculturaliste ! Ils prétendent agir au nom de la loi de 1905, quand leur agenda personnel a l'ambition d'ouvrir la France au communautarisme, dont l'avènement rampant marque la dilution de notre société ! Ils font mine de s'en prendre à un symbole de la chrétienté (un faux symbole en fait) afin de promouvoir l'égalité des religions, et de se faire les propagandistes d'un islam qui est tout de même très loin d'être majoritaire. Et de l'autre côté, certains élus s'arcboutent sur des traditions religieuses qui ne sont en fait que des traditions populaires : l'aveuglement partout. Alors faisons le point.

    Légendes et traditions

    D'abord, éclairons ceux qui ne savent pas : la tradition de la crèche remonte au chapitre XIV d'un évangile apocryphe, le Pseudo-Matthieu, écrit en plusieurs étapes entre le VIe et le XIIIe siècle. Si l'on veut être tout à fait exact, un bas-relief sur un sarcophage représente pour la première fois le Christ entre le boeuf et l'âne au IVe siècle. Et l'on n'a pas besoin d'être docteur en théologie pour savoir que cette histoire d'animaux qui adorent Jésus est tout ce que l'on voudra sauf catholique : dans la tradition judéo-chrétienne, les animaux n'adorent pas Dieu, seul l'homme peut le faire. Cette histoire de crèche ressemble bien davantage à un recyclage de traditions païennes (tout comme le sapin de Noël, symbole de la verdure persistante et qui renaîtra bientôt - faut-il rappeler que ce n'est pas tout à fait par hasard que l'on a fait coïncider Noël avec le solstice d'hiver ?) qu'à une vénération authentiquement chrétienne. Les Rois mages, eux, n'apparaissent que dans les Excerpta Latina Barbari, qui remontent au VIe siècle et qui sont un recueil de légendes.

    Ajoutez à cela que le Père Noël, qui vient tout droit de Julenisse, petit lutin des légendes nordiques assimilé par la suite à saint Nicolas, n'est pas d'une chrétienté bien plus évidente que le Père Fouettard, et vous avez avec la crèche un méli-mélo de légendes populaires charmantes et naïves, dont on se demande qui elles peuvent heurter - sinon les catholiques rigoureux qui devraient y voir à juste titre un fatras de superstitions. D'ailleurs, le Concile de Trente a fermement condamné le principe même de la crèche en 1563.

    Démagogie

    En pratique, la crèche, qu'elle soit provençale, génoise ou napolitaine, sert essentiellement à mettre en scène tout ce petit peuple dépourvu d'image dans l'art officiel. La mairie de Marseille en réalisait une dans la Bourse de la ville où les santons, de belle taille, représentaient l'ensemble des figures et des métiers de Provence - y compris les comparses de la partie de cartes pagnolesque, fort loin de toute référence chrétienne.

    Je mets le verbe à l'imparfait : Jean-Claude Gaudin s'est avisé un jour qu'une crèche pouvait heurter les croyances de ceux de ses concitoyens qui croient en un autre dieu que Jésus. Et il l'a supprimée. J'ai évoqué le fait ici-même - à propos, déjà, de laïcité. Et pour le déplorer. Ce n'était pas respect de la laïcité, de la part d'un maire qui orne son bureau de photos de Jean-Paul II. C'était démagogie.

     
     

    La laïcité, faux nez du communautarisme

    Car les "ayatollahs de la laïcité" (l'expression est de Robert Ménard, en butte lui-même à Béziers à une injonction préfectorale pour supprimer la crèche installée dans sa mairie) qui s'insurgent, en Vendée et ailleurs, contre cette tradition populaire qui ne fait de mal à personne et qui alimente l'industrie du santon, à Aubagne et Marseille, ont peut-être en tête un agenda tout autre que le strict respect de la loi de 1905. Ces manifestations insupportables, à les entendre, d'un catholicisme rampant, ont l'inconvénient de rappeler que, comme le disait de Gaulle, "nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne. Qu'on ne se raconte pas d'histoires !" (cité par Alain Peyrefitte dans C'était de Gaulle, Fayard, 1994-2000).

    Qu'un homme comme Jean Baubérot, avec lequel j'ai déjà rompu quelques lances par le passé et qui a refusé jadis de signer les conclusions de la commission Stasi sur les signes religieux ostentatoires (à l'origine de la loi de 2004 sur l'interdiction des signes religieux ostentatoires à l'école) en vienne immédiatement à comparer l'interdiction d'une crèche vendéenne et la "répression" en France de l'islam est révélateur de l'agenda multiculturaliste, pour ne pas dire plus, de certains : "Dès le moment, dit-il à l'Obs, où un climat anti-islam s'instaure, il y a, par ricochet, un durcissement à l'égard des autres religions, qui aboutit à un climat d'intolérance générale dangereux pour les libertés publiques."

    Nous y voici. La répression des crèches témoignerait en fait d'une laïcité agressive, révélée par l'interdiction du voile islamiste. Alors que c'est exactement le contraire. Interdire les crèches, qui ne sont jamais que des manifestations de "traditions locales culturelles" et populaires, comme l'a d'ailleurs souligné l'Observatoire de la laïcité, c'est affirmer qu'il n'y a plus en France de tradition majoritairement chrétienne, que tout se vaut, et qu'il faut respecter non la laïcité, mais toutes les croyances. Ce sont moins les athées militants qui applaudissent cette interdiction que les multiculturalistes rampants.

    Mathieu Bock-Côté, dans un article du Figaro, rappelle qu'au Québec déjà en 2009, on était passé de "Joyeux Noël" à "Joyeuses fêtes", puis à un curieux "Joyeux décembre", afin de ne choquer aucun des sectateurs de l'islam : "Les symboles de Noël ne sont pas attaqués d'abord en tant que symboles religieux, mais en tant que symboles identitaires de la "majorité chrétienne" dont il faudrait contester les privilèges symboliques. C'est en fait la querelle du multiculturalisme qui se révèle (...) On veut déconstruire la culture nationale pour mieux accueillir ceux qui arrivent."

    La France soluble

    Dans ce contexte, les agnostiques de la Libre pensée qui se sont battus pour l'interdiction de la crèche vendéenne sont contre leur gré les idiots utiles d'un agenda communautariste : on interdit une crèche pour égaliser toutes les religions dans une tradition française qui pourtant ne connaissait que l'héritage gréco-latin - la Révolution, qui a éclaté en plein néoclassicisme, en fit ses choux gras - et judéo-chrétien - la IIIe République a instauré la séparation de l'Église et de l'État, mais elle a pris en charge la réfection et l'entretien des milliers d'édifices religieux de France : la restauration du Mont Saint-Michel, c'est la République, et ce n'était certes pas au nom de principes religieux, mais artistiques. Mais désormais, l'islam aura le droit de revendiquer un même traitement, en affirmant qu'il est la tradition culturelle de demain - puisque aussi bien on aura éradiqué les traditions culturelles d'hier.

    Le lecteur voudra bien m'excuser de m'être exprimé, aujourd'hui, sur les marges de la question scolaire, à laquelle ces chroniques sont ordinairement consacrées. Mais outre le fait que la laïcité, elle, est en plein dans le débat sur l'éducation, et que je lui ai consacré ici même maintes pages, il faut pour en finir proclamer que, oui, la France est soluble dans le communautarisme et le multiculturalisme. Oui, soluble, et bientôt dissoute.

    Et cela ne m'est pas tout à fait indifférent.

    Jean-Paul Brighelli (Le Point, 9 décembre 2014)

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  • Logique de guerre...

    Nous reproduisons ci-dessous la première chronique de Richard Millet publiée sur son site personnel. Ecrivain, Richard Millet a écrit de nombreux romans ainsi que des récits, comme La confession négative (Gallimard, 2009) ou des essais comme L'opprobre (Gallimard, 2008), Arguments d'un désespoir contemporain (Hermann, 2011), Fatigue du sens (Pierre-Guillaume de Roux, 2011) ou Langue fantôme (Pierre-Guillaume de Roux, 2012). Il vient de publier Le corps politique de Gérard Depardieu (Pierre-Guillaume de Roux, 2014).

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    Logique de guerre

    Je ne cède pas seulement, en créant ce site, à l’amicale pression de rares amis non plus qu’à la seule beauté du mot site qui dit la demeure élective, à côté d’autres, maison natale ou résidence forcée ; ce site participe à une logique de guerre. Mes rapports avec la presse n'ont jamais été bons: pouvait-il en être autrement, puisque je ne me révélais pas celui qu'on voulait que je fusse, et cela dès mon premier livre, plus récemment depuis que la presse officielle, après avoir lâché ses chiens contre moi, prône le silence à mon sujet, avec de temps à autre une piqûre de rappel dénonçant l’ennemi du Bien ? Le parti dévot ne me fera pas désarmer. Je ne retournerai pas, comme le voudraient certains, à une activité "purement" romanesque par laquelle abjurer je ne sais quels péchés politiques. Je continue : essais, romans, récits, textes inclassables, et aujourd’hui ce site, non pas monument à ma gloire mais outil pour contrer les rumeurs et l’opprobre, et aussi, rompant le silence, pour rendre visibles l’ensemble de mes livres, désormais témoignages. La presse prétendue littéraire n’accomplissant plus sa tâche, les critiques remplacés par des échotiers serviles, et leurs articles uniquement lus par les attachées de presse, les auteurs et les commerciaux qui déterminent financièrement la visibilité des livres recensés (on dit plus volontiers chroniqués, ce qui est une offense à la noblesse du chroniqueur, et contre quoi il faut instaurer une contre-chronique, de la même façon qu’il y a eu la Contre-Réforme et la Contre-Révolution), on peut affirmer que cette presse n’est plus que publicitaire puisqu’elle ne parle plus que de livres pour la plupart insignifiants, donc illisibles, ce qui importe peu, d'ailleurs, en un temps où il ne s'agit plus de lire mais de consommer du Culturel.

    La parole critique a émigré sur les sites, les blogs, les forums généralement tenus par des écrivains ou des lecteurs, du moins ceux qui ne se laissent pas tromper par la Propaganda Staffel ni par le silence de l'opprobre. Ce silence, j’y suis habitué. Je le recherche, même, dans la mesure où il peut recevoir le nom d’anonymat, lorsque les livres que nous avons écrits finissent par dessiner de nous une figure qui nous échappe à la longue et qui est, ici bas, notre vraie gloire. C’est pourquoi je ne me suis jamais vraiment soucié de l’accueil fait à mes livres : il me suffit qu’ils paraissent et que j’aie des lecteurs ; et je me demande comment vivent les auteurs régulièrement encensés par la critique, et quel rapport de maquereautage ils entretiennent avec la presse.  Celle-ci, de droite comme de gauche, n'est plus que la voix de l’idéologie dominante, social-démocrate, antiraciste, philanthropique, antichrétienne, mondialiste, déculturée, moralisatrice; et il ne me paraît pas que les "difficultés" qu'elle connaît représentent un "danger pour la démocratie"; la disparition, même, d’un journal comme Libération serait anecdotique, voire insignifiante dans le système d'inversion générale et de mensonge qui caractérise le capitalisme mondialisé ; bien au contraire, on ne pourrait que s'en réjouir, tout comme du fait que la démocratie puisse être réellement menacée, révélant ainsi sa nature satanique : il me semble que nous sortirions de l’état d'hébétude et de servilité à quoi nous condamnent la prière quotidienne à la démocratie et la bondieuserie humaniste dans quoi le renoncement au catholicisme fait choir ceux qui ne savent plus qui ils sont. Pourquoi vouloir être informé, si cette information n’est que le bruit de la Propagande et le fond de roulement de l’inversion générale des valeurs ? Je n’ai que faire de l’opinion, qui est en grande partie prostitutionnelle, en tout cas pornographique, comme les "débats" ou les "talk shows". A l’opinion, j’ai toujours préféré la parole libre, de la même façon que je vis dans la vérité du Christ, et qu'aux tièdes post-chrétiens je préfère les moines-soldats. 

    Ce qu’on dit de moi étant généralement haineux et mensonger, je ne me contenterai plus d'en sourire. La chiennerie s'en prend à ma figure d'homme, non plus seulement à l'écrivain; d'où la nécessité de ce site. Je ne peux plus m’en tenir à un détachement olympien : n’ayant pas accès à la presse, et pour cause, je crée mon propre organe. Je le redis : je suis en guerre. J’ai appris à frapper pendant la guerre du Liban. Je suis entré dans l’impardonnable. La guerre fait partie de mes tâches, avec la prière, l'écriture et la musique. Il y a un plaisir de la guerre, que seuls connaissent ceux qui ont tenu des armes, notamment des armes automatiques.

    Je frapperai sans relâche: c'est tout autre chose que par haine, comme l'affirmait récemment un fils d'archevêque à propos de ma Lettre aux Norvégiens sur la littérature et les victimes, qu'il n'a évidemment pas lue. Je frapperai ; il y va de ma vie, c'est-à-dire de cette somme de souffrance et de joies qui m'est propre et que je dédie sans relâche à la vérité.

    Richard Millet (Site officiel de Richard Millet, 4 décembre 2014)

     

     

     

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  • Domination et pouvoir : les nouveaux dominants...

    Nous reproduisons ci-dessous un excellent point de vue de Jean-Paul Baquiast, cueilli sur Europe solidaire et consacré aux nouvelles formes de domination. Énarque, Jean-Paul Baquiast a consacré sa carrière administrative au développement des technologies de l'information. Il est l'animateur du site Europe solidaire, ainsi que du remarquable site d'actualité technoscientifique Automates intelligents

     

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    Domination et pouvoir. Les nouveaux dominants

    Il serait très important d'essayer de comprendre pourquoi, au sein de l'espèce humaine, certains individus ou groupes d'individus, généralement minoritaires, se donnent la possibilité de s'imposer aux dépends de tous les autres. Une telle situation ne se rencontre pas ou ne se rencontre qu'exceptionnellement à l'intérieur des autres espèces animales. Elle est dans ce cas très mal documentée. La seule domination qui s'y observe relève du sexuel (domination d'un sexe, généralement le masculin, sur l'autre) ou, beaucoup plus banalement, de l'inégalité dans la répartition des capacités individuelles.

    Dans le monde animal, au sein de chaque espèce, les individus dits dominants se donnent un certain nombre de privilèges sur leurs congénères. Globalement les dominants sont ceux qui disposent de moyens physiques ou intellectuels supérieurs à ceux des autres. Dans le monde animal s'observent également des compétitions permanentes entre espèces, mais ce phénomène relève de la sélection darwinienne, avec élimination possible des espèces se révélant les moins adaptées. Notons que le même phénomène s'observe aujourd'hui, l'espèce humaine semblant sur le point de provoquer une nouvelle grande extinction de peut-être 80% des autres espèces dans le siècle qui vient.

    Mais intéressons nous ici aux sociétés humaines. L'histoire des hommes, depuis qu'elle a fait l'objet d'études, montre que dès le passage d'une organisation sociale simple, dite parfois des chasseurs-cueilleurs, à celle plus complexe des empires a généré des inégalités considérables entre les individus et les groupes, se traduisant par un accès lui-même très inégal au pouvoir. En simplifiant beaucoup, appelons pouvoir la capacité dont dispose un individu pour se comporter dans le monde au mieux de ce qu'il estime être ses intérêts, à l'intérieur évidemment des limites naturelles que lui impose ce même monde. Un individu isolé n'a guère de possibilités en ce domaine. Ses forces trouvent vite des limites. Mais ses possibilités augmentent considérablement s'il peut obliger ses congénères à mettre leurs propres forces à son service. A plus forte raison s'il peut les obliger à ne conserver pour eux que ce que nous appelons en termes modernes le minimum vital, en remettant gratuitement au détenteur du pouvoir, que nous appellerons ici le dominant, tout le reste des biens qu'il a produit, ce que Marx appelait la valeur ajoutée.

    Pour obtenir ce résultat, le dominant peut utiliser différents moyens. Le plus évident est la contrainte physique, mais d'autres plus subtils existent, relevant notamment de l'emprise psychologique. Comme rappelé ci-dessus, un individu seul ne peut pas cependant aller très loin dans cette voie. Il doit s'agréger avec quelques autres poursuivant le même objectif pour atteindre à eux tous des résultats significatifs. On peut admettre qu'aux origines de l'histoire, devenaient dominants des individus disposant, comme chez les animaux, d'une force supérieure. Mais ils devaient aussi disposer, dans des sociétés utilisant le langage, de capacités intellectuelles supérieures, leur permettant d'utiliser celui-ci comme une arme.

    Une histoire de la domination

    Des que des systèmes de domination sont apparus dans l'histoire des hommes, ils ont réussi à survivre, quitte à se transformer, face à la résistance des dominés. On peut suivre ainsi d'âge en âge la persistance et la diversification de tels systèmes, depuis les époques de l'esclavage jusqu'au Moyen Age puis à ce que l'on appelle en France l'Ancien Régime, avant la révolution de 1789. Dans l'ensemble, la domination était exercée d'un commun accord par les Eglises, utilisant l'emprise psychologique, et par les féodaux détenteurs des moyens militaires, utilisant la force physique. Loin de se combattre, ces deux grandes classes de dominants se sont assistés réciproquement, pour maintenir dans le statut de dominés ceux cherchant à y échapper. Les plus-values résultant du travail des dominés, « accaparées » (selon le terme marxiste), par les dominants ne servaient pas seulement à accroitre le niveau de vie de ceux-ci. Elles ont donné naissance à des oeuvres durables, cathédrales, châteaux-forts ornés, oeuvres artistiques, par lesquelles les dominants pouvaient se permettre de laisser parler leur ubris créateur – tout en renforçant leur domination sur les travailleurs de la base. Ceux-ci se convainquaient en effet de leur insignifiance en constatant qu'ils n'étaient pas capables de réaliser seuls de tels chefs-d'oeuvre.

    Lorsque la révolution industrielle a fait apparaître de nouvelles techniques permettant de produire de nouvelles valeur, le processus dans son ensemble n'a pas changé. Une nouvelle classe est apparue, celle des possesseurs des moyens industriels de production (la bourgeoisie, pour reprendre le terme marxiste). Cette classe s'est alliée aux dominants précédents, hommes d'Eglise et militaires, pour se partager les nouveaux pouvoirs. Mais les minorités dominées sont restées dans l'ensemble les mêmes, passant du statut de serf à celui de prolétaire. Avec la colonisation, de nouvelles populations provenant des pays colonisés les ont rejoint.

    Il ne faudrait évidemment pas croire que de tels processus générateurs d'inégalités se soient limités au monde dit occidental. Ils sont apparus dans le même temps en Asie et dans le monde arabo-musulman, où ils se maintiennent sous des formes voisines malgré la relative homogénéité apportée par la mondialisation et les technologies de la communication. Pour que de telles inégalités disparaissent, il faudrait que les dominés se saisissent des moyens leur permettant de s'émanciper. Mais par définition, sauf accident, ils ne le peuvent pas. Dès que les dominants suspectent l'apparition de formes de rébellion fussent-elles modestes, ils s'empressent de les étouffer dans l'oeuf, faisant appel à tous les moyens de coercition dont ils disposent, physiques comme intellectuels.

    De nouveaux dominants

    Or aujourd'hui, de nouveaux dominants étendent leurs pouvoirs sur le monde. Ils ne se substituent pas aux anciens, prêtres, féodaux, bourgeois industriels, colonisateurs, ou aux formes prises par eux aujourd'hui. Ils s'y ajoutent. Mais le point important est l'orientation géopolitique de leurs efforts pour la conquête du pouvoir mondial. Ils sont dorénavant au service de ce qui a été nommé l'Empire américain. Beaucoup d'observateurs du monde géopolitique affirment aujourd'hui que cet Empire n'existe plus, ayant reculé à la suite d'échecs successifs. Mais c'est une erreur. Il s'est transféré sur un nouveau monde en pleine ascension, celui des réseaux numériques, de l'informatique avancée, de la robotique et de l'intelligence générale artificielle. L'émergence de ce monde numérique et son emprise sur le monde ancien n'ont sans doute pas été dues aux seuls intérêts américains, mais ceux-ci mieux que tous autres concurrents ont réussi à en faire un pouvoir pour la domination mondiale.

    Nous ne développerons pas ici ces points, souvent abordés par nous. Bornons-nous à rappeler le visage que prennent aujourd'hui les nouveaux dominants. Pour simplifier, disons qu'il s'agit d'une coalition multi-fonctionnelle que nous appellerons l'entité Google, Darpa, DOD. Google est le représentant des géants du web américains qui réussissent l'exploit de faire travailler au service de leurs ambitions des centaines de millions de nouveaux esclaves, dont nous sommes tous. La Darpa est l'agence de recherche du ministère américain de la défense , agence qui invente sans cesse de nouveaux produits et usages, sans souci de restrictions budgétaires. Le DOD est ce même ministère, mais intervenant sur tous les théâtres d'opération pour déployer et utiliser les données et outils civils et militaires résultant de l'activité des deux premiers. Il s'agit de maintenir sous contrôle les travailleurs de la base fournissant, contre un salaire minimum, les valeurs ajoutées qu'utilise l'entité.

    Certains objectent que désormais, les minorités dominantes américaines ne sont plus seules à développer ces instruments de pouvoir et de contrôle. Illusion. Certes d'autres apparaissent, mais les Google, Darpa, DOD disposent d'une avance considérable, qui s'auto-entretient et se développe spontanément, d'une façon que nous mêmes, du fait que nous sommes instrumentalisés par elle, ne nous représentons pas clairement. Ne dit-on pas que s'est déjà mis en place du fait de leurs efforts de conquête un cerveau global aux ambitions quasi-cosmologiques. Tous les jours nous lui apportons les valeurs-ajoutées produites par nos petits cerveaux, heureux, lorsque nous ne sommes pas au chômage, de survivre grâce aux SMIC qui nous sont concédés. Or ce cerveau ne sera pas européano-centré, russo-centré, sino-centré. Il est déjà et restera américano-centré.

    Jean-Paul Baquiast (Europe solidaire, 1er décembre 2014)

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