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Points de vue - Page 267

  • Non, défendre la langue française n'est pas réac !...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un point de vue de Jacques Drillon, cueilli sur le site de l'Obs (ex-Nouvel Observateur) et consacré à la défense de la langue française... Jacques Drillon est journaliste dans la presse musicale, écrivain et linguiste.

     

     

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    Une du quotidien Libération en mai 2013 pour soutenir le projet de loi du ministre de l'enseignement supérieur destiné notamment à introduire l'enseignement en anglais à l'université...

     

    Non, défendre la langue française n'est pas réac !

    Il existe des rayons bio dans tous les hypermarchés, mais nous parlons une langue traitée à mort. Dans son livre «De quel amour blessée», le poète et essayiste Alain Borer institue la notion de «réchauffement linguistique»... C'est cela: nous cherchons à préserver notre eau, notre air, notre sol, nous voulons conserver notre modèle social, notre système de santé, le peu d'industrie qu'il nous reste, nous ravalons les façades d'immeubles, nous protégeons notre patrimoine, mais celui qui s'avise de défendre le français passe pour un barbon, un vieux ronchon hors course - et de droite, par-dessus le marché.

    C'est automatique. Au mieux, il passe pour un poseur, un fayot, un intello. Et pourtant, le français, ce que nous avons de plus précieux, se porte mal. Sa maladie est interne, elle est externe - dans les deux cas volontaire, provoquée, et même revendiquée. Et c'est le plus tragique. L'Etat nous y invite le plus souvent, et c'est le plus absurde.

    Méthodiquement, nous appauvrissons notre vocabulaire. Nous avions deux mots, nous n'en avons plus qu'un : nous avions homonyme (= de même nom) et éponyme (= qui donne son nom), nous n'avons plus qu'éponyme, qui paraît plus chic; nous tirons les conséquences, au lieu des conclusions, nous laissons proliférer les pléonasmes (préparer à l'avance, risque potentiel), nous répétons à la fois (il est à la fois beau, et à la fois riche) parce que nous ne réfléchissons plus à ce que nous disons; nous pervertissons la syntaxe, toujours dans le sens de l'appauvrissement: abuser une femme veut dire la flouer, abuser d'une femme veut dire la violer, et nous ne disons plus qu'abuser une femme (la violer).

    Ajoutons que cela fait suite à la quasi-suppression du verbe violer, lui-même proscrit, parce que trop précis - et nous avons appris à haïr la précision (on n'apprend plus à écrire en cursive, à l'école, mais en attaché). L'anglais y aide: nous avions déroulement, emploi du temps, délai, moment, synchronisation, minutage, nous n'avons plus qu'un seul mot, timing, qui les dit tous, donc aucun.

    Méthodiquement, nous distordons le lien entre écriture et prononciation, puisque nous accueillons les mots anglais sans les franciser dans leur orthographe et en les prononçant à l'anglaise, aïePhone, même s'ils sont français d'origine (entendu l'autre jour: «Il est pauvre comme djob.»). Nous cherchons à tout prix à intégrer les immigrés, mais leurs mots, eux, peuvent rester fichés dans le français sans qu'on en souffre le moins du monde. Nous faisons du communautarisme linguistique.

    Méthodiquement, nous raccourcissons les mots de plus de deux syllabes à coups d'apocopes qui laissent entendre que la rapidité vaut mieux que tout: le docu, le bénef, l'ordi, l'homo, l'info, à tout' ou encore le réac... Ne sommes-nous pas passés, ici même, du «Nouvel Observateur» à «l'Obs»? Nostra culpa. Le raccourcissement, multiplié par l'appauvrissement du vocabulaire, donne des résultats atroces, des images figées, des stéréotypes, comme dans le «langage SMS»: mdr (mort de rire), asv (âge sexe ville)...

    Méthodiquement, nous décourageons toute la créativité lexicale, ricanons des mots nouveaux (courriel, bogue), non parce qu'ils sont recommandés par les autorités, mais uniquement parce qu'ils sont d'apparence française: nous voulons faire perdre toute tonicité à notre langue, parce que c'est la nôtre.

    Et si nous l'encourageons, comme dans la féminisation des noms de titres et fonctions, c'est pour mieux oublier qu'il existait en français une classe de mots dits épicènes (des deux genres), comme un ou une enfant, un ou une secrétaire, un ou une cinéaste, et qu'il suffisait de l'élargir à professeur, auteur, chef sans aller jusqu'aux barbarismes que sont professeure, auteure, cheffe... L'impayable féministe Geneviève Fraisse n'a-t-elle pas parlé des «sans-papières» d'Amsterdam?

    Que le niveau d'orthographe des élèves ait baissé, plus personne ne le conteste (c'est vrai des élèves, c'est vrai des professeurs). Mais la nouveauté est que la faute ne touche plus la seule orthographe d'usage: les pratiques ont toujours un peu flotté sur ces questions, sans qu'on ait à s'en offusquer: combien d'r à embarrasser? quel est le genre du mot écritoire?

    Le français est aussi un jeu de société très prisé, et parfois difficile; non, la faute nouvelle concerne la nature grammaticale des mots, la différence qu'on établit entre un verbe et une préposition, entre un adjectif et un article: je mais mon manteau, je m'est mon manteau... Cette confusion est infiniment plus grave, plus profonde, justement parce qu'il s'agit d'une confusion, non d'une erreur.

    Que la nature des mots ne soit plus fixée, que la construction des verbes soit laissée au hasard, l'emploi des temps anarchique, et c'est toute la logique grammaticale qui s'effondre comme un pan de falaise. Que l'oral et l'écrit divorcent (une part de bri, une règle de gramaire, deux heuros), et c'est un autre pan qui s'écroule.

    Que des hommes politiques (le «care» de Martine Aubry !) ne parlent bien qu'une seule langue, la langue de bois, et c'est encore un pan de moins.

    Que les organismes publics matraquent des fautes cent fois par jour, et c'est la noyade. La SNCF s'excuse «pour la gêne occasionnée», sans complément d'agent (occasionnée par), et vous recommande: «Assurez-vous de n'avoir rien oublié dans le train» (au lieu de que vous n'avez). La langue est un lien multiple, mais elle est elle-même faite de liens, elle est une construction compliquée, un appareil fragile dont chaque constituant est indispensable à l'équilibre général.

    Et nous nous y prenons toujours de travers. Mauvais choix, stratégies inefficaces, lois inapplicables et/ou inappliquées. Prenons le cas de l'anglais.

    L'Etat s'est montré ferme à cet égard en une première occasion: en 1539, dans l'ordonnance de Villers-Cotterêts, qui instituait le français, aux dépens du latin, comme seule langue dans les documents publics (administration, justice) - loi toujours en vigueur. Une deuxième fois, en 1975, en stipulant:

    Une troisième fois, par la loi Toubon (1994), qui précisait la précédente et visait à donner au consommateur et au citoyen le droit de recevoir toute information utile en français (contrats, modes d'emploi, garanties...). Elle rappelait de surcroît l'article II de la Constitution: «La langue de la République est le français.»

    Mais personne ne sait ce que c'est que la République. En sorte que le Conseil constitutionnel, qui devrait le savoir davantage, eut beau jeu de trancher dans le vif de cette loi, et même, pourrait-on dire, de la châtrer, au nom de la liberté d'expression, qui a parfois bon dos. Furent exclues du champ de son application la publicité, la télévision, la radio. Ne restait plus que le «service public», pas mieux cerné que la République.

    Et puis, plus récemment, la loi Fioraso, votée en 2013 par une petite trentaine de députés, autorise les enseignements en langue étrangère (= anglaise), une première depuis Villers-Cotterêts. Et «le Quotidien du peuple» chinois s'étonne: «En formant ses élites en anglais, la France envoie un mauvais signal aux pays francophones.»

    Pendant ce temps-là, pendant ces allers-retours, ces ordres et contrordres, l'anglo-américain imbibe toutes les couches du sol linguistique français comme le nitrate breton. Certes, la langue évolue, nul ne le nie, encore qu'on comprenne toujours La Fontaine et Ronsard, mais peut-être faudrait-il lui éviter d'arriver en phase terminale.

    L'anglais est le symbole d'une société «ouverte à l'autre» (l'autre, c'est l'Américain), qui suit son temps et l'évolution technique (ils disent «technologique»). Bref, d'une société «moderne». Fausse modernité, modernité de province. Jeunesse de vieux. Ce qu'était Paris à la province, l'Amérique l'est devenue à la France. C'est la même pensée de Formica, qui somnole après le boeuf en daube, rideau de fer tiré, le dimanche après-midi, sur le magasin Au Bon Chic parisien.

    Les mots anglais, c'est plus coule, c'est plus feune, c'est pas comme chez nous. On a l'air moins bête en commandant en anglais, chez Quick, un pepper crazy chicken: comment le faire en français sans rougir?

    L'anglais est aussi un voile pudique jeté sur la stupidité: voilà une pensée retendue, botoxée jusqu'aux oreilles, une pensée de jeunes nés vieillards. Cela vous attire le chaland, une enseigne en anglais, cela brille dans les esprits. Optic 2000, c'est quand même plus vivant qu'Optique 2000, non? Vivant, mais si tarte, et qui date d'une époque où l'an 2000 était encore loin devant !

    Quand arrive ici une troupe de danse japonaise, et qu'il faut mettre son nom sur l'affiche, on le traduit en anglais. Pourquoi ? Nous n'osons même plus être banals, nous ne disons plus à bientôt, mais see you soon. Nous irons bientôt acheter nos lunettes chez Affleloo.

    Honte d'être ce qu'on est, haine de ce qu'on est. Empressement devant tout mot qui permet de se faire remarquer, comme dans une loge d'Opéra, parmi ceux qui sont au courant les premiers. La soif d'anglais est un simulacre, donc une illusion. Elle s'arbore comme ces marques, apposées visiblement sur les vêtements pour faire croire qu'on est autre. Ou pour faire croire qu'on est riche, alors qu'on vit dans un taudis.

    La soif d'anglais, c'est le syndrome du crocodile, cousu sur les polos des banlieusards ou les chemisettes des bourgeois, et qui signifie seulement: vêtement cher. En être ou ne pas en être, là est la question. Voyez la hâte piteuse avec laquelle nous avons dit Beijing pour Pékin. Comme nous aimons perdre ! Comme nous aimons notre servitude ! Quelle fierté nous tirons de notre propre abaissement ! Comme elle était heureuse, Christine Ockrent, de pouvoir interroger en anglais Shimon Peres, qui parle parfaitement le français ! Quelle impatience dans l'humiliation !

    Car enfin, pourquoi disons-nous c'est un peu short ou j'ai dispatché le job? Que disons-nous de plus qu'avec c'est un peu court, ouj'ai réparti le travail? Dans son livre magnifique, violent, précis, impitoyable, Alain Borer cite le secrétaire de Marguerite de Navarre: «On n'a jamais écrit aucune chose en autres langues qui ne se puisse bien dire en celle-ci.»

    C'était en 1545... Et aujourd'hui, on se rappelle le premier discours de Giscard d'Estaing président, qui était en anglais (si on peut appeler ça de l'anglais), et l'on se rappelle aussi qu'en se félicitant de nos derniers prix Nobel, Manuel Valls, qui par ailleurs se ridiculise avec son anglais d'école primaire, a cru faire « un pied de nez au «french bashing"», sans comprendre qu'en utilisant ce terme, il confirmait le french bashing, il en faisait lui-même, du french bashing, il se tirait une balle dans le pied. Et dans le nôtre.

    La vraie modernité est celle des prises de conscience. Nous sommes à l'âge des conséquences, des effets pervers, et de leur prise en compte vigoureuse. On ne peut plus vivre comme avant, lorsqu'on consommait vingt litres aux cent. Cette époque est révolue. Il n'y a plus que les bourges inconscients et satisfaits de l'être pour rouler en 4×4 dans le Marais.

    Nous avons fait notre plein d'incurie, de laisser-aller, d'ultralibéralisme; le temps est venu de réagir, de contrôler notre consommation d'anglais. Faute de quoi nous ne serons plus nous-mêmes, et notre place dans le monde, intellectuelle, économique, politique, se réduira à celle du foie gras et du champagne - qui pèsent peu face au limited edition burger. D'autant que nous parlerons toujours moins bien l'anglais que nos maîtres américains, et que cette infériorité se paie.

    Méditons ce fait : au Japon, où la concurrence n'existe plus, Amazon fait payer le port de ses envois. S'il est quasi gratuit ici, c'est que les libraires existent encore, que nous résistons, et qu'on nous courtise. Or, tandis que huit Tibétains s'immolent par le feu pour défendre leur langue, le ministère des Affaires étrangères («gardien de la francophonie», rappelle Borer) appose une grande affiche publicitaire pour l'A380: «France is in the air.»

    Borer cite de Gaulle : «Il y a d'autres peuples qui veulent nous interdire de parler notre langue», et rappelle que le film français qui se fait couronner aux Etats-Unis est un film muet (titré en anglais tout de même: The Artist); que le groupe français qui a remporté tous les prix est Daft Punk, dont les musiciens ne disent ni ne chantent un mot de français, pour un album intitulé Random Access Memories.

    Le Maître ne récompense que ses fidèles sujets. Le Maître fait mine d'ignorer que 63% de son vocabulaire est d'origine française. L'ancien maître du Maître, George W. Bush, a dit pour fustiger notre passivité: «The problem with the French is that they don't have a word for entrepreneur.» Pardon, c'est intraduisible - mais savoureux.

    Si l'on arpente un boulevard parisien, on constate qu'une enseigne sur trois est rédigée en anglais : Al Shoes, Choco Story, Carrefour City; les cafés vous proposent de consommer pour moins cher aux happy hours (le bistrot conquis par l'économie de marché). Les titres de films, de séries télévisées, ne sont plus jamais traduits, mais «Euronews», «Money drop», «Teleshopping», «Anarchy», «WorkinGirls», «Hero Corp» sont des productions françaises...

    Peut-être pourrions-nous (disons la chose en bon français) arrêter de déconner? Cet effondrement est le meilleur moteur de l'asservissement, car il a trouvé le moyen de se faire appeler progrès: une tricherie dans les termes, signature habituelle du totalitarisme en train de s'instituer.

    Jacques Drillon (L'Observateur, 30 novembre 2014)

    De quel amour blessée. Réflexions sur la langue française,
    par Alain Borer, Gallimard, 352 pages, 22,50 euros.

    PS : Que faire ?

    La restauration d'un français sain, fort et moderne, passera par l'école, pour les bases orthographiques et syntaxiques, et par la presse et la publicité, pour la formation continue...

    Le Québec, petite province en état de siège linguistique, a pris des mesures extrêmement efficaces (dans sa Charte, connue sous le nom de loi 101), quoique peu coercitives. Elles sont principalement préventives: par exemple, un magasin doit faire agréer son nom par une commission. «La plupart du temps, en cas de litige, nous discutons. Mais cela peut parfois aller jusqu'au tribunal», rapporte Jean-Pierre Blanc, porte-parole de l'Office québécois de la Langue française.

    En France, nous ne sommes plus en état de siège, puisque le cheval de Troie est entré depuis longtemps dans nos murs, et que nous sommes aux petits soins pour lui. La lutte sera donc sauvage. Bien entendu, le gouvernement et les services publics sont tenus d'être irréprochables, de respecter et de faire respecter les lois existantes. Mais la presse, la publicité et la télévision doivent, d'elles-mêmes, spontanément, leur emboîter le pas. Epaulés ou non par la loi.

    Si le président de France Télévisions ou le directeur d'Europe 1 dit: «A partir de maintenant, nous parlons français, nous ne dirons plus à l'antenne qu'un groupe a publié son disque sur le label Universal, mais chez Universal», le personnel obéira. On a vu à quelle vitesse, en quelques jours, Radio-France est passée d'Etat islamique, qui voudrait se travestir en Etat, à Groupe Etat islamique: la consigne a été comprise.

    De même qu'on éteint la lumière en sortant et qu'on ferme le robinet pendant qu'on se brosse les dents, on peut dire facilement équipe et non plus team, groupe et non plus pool. Nous devrons le faire seuls.

    Nous n'avons guère à attendre de l'Académie française, dont le pouvoir est asymptotique, qui n'est formée ni de linguistes, ni de lexicographes, et ne peut que se lamenter de la fuite du temps, de ce temps où il fallait un décret du roi pour admettre que, oui, le sang circule dans les vaisseaux sanguins. Mais la Délégation générale à la Langue française (Franceterme.culture.fr) propose des équivalents, souvent excellents, à tous les nouveaux mots anglais réputés intraduisibles.

    En attendant, commençons par ne pas traduire en anglais ce qui existe en français.

    J. Dr.

     

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  • Comment les pédagogistes ont tué l'école...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Paul Brighelli, cueilli sur le site du Point et consacré à l'action criminelle des pédagogistes au sein de l’Éducation nationale.

    Professeur en classes préparatoires et défenseur de l'élitisme républicain, Jean-Paul Brighelli a publié dernièrement dernièrement Tableau noir (Hugo et Cie, 2014), un nouvel essai sur l’école.

     

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    Comment les pédagogistes ont tué l'école

    Républicains contre pédagos (pour "pédagogistes") : cet affrontement entre les tenants d'une tradition scolaire héritée de Jules Ferry et les jusqu'au-boutistes de l'expérimentation pédagogique a commencé il y a une trentaine d'années, lorsque les premiers, qui comptaient sur Jean-Pierre Chevènement pour faire avancer leurs idées, ont été supplantés par les seconds, arrivés dans les fourgons de Lionel Jospin. Dans le Figaro du 25 novembre, un sociologue québécois réputé, Mathieu Bock-Côté, analyse avec une grande finesse les enjeux de cette guerre - dont, disons-le tout de suite, la conclusion est d'ores et déjà connue : l'école républicaine, qui mettait le savoir au coeur du système, est morte, vive l'école de la pédadémagogie, qui met "l'élève au centre" et cherche son bonheur immédiat, au détriment de sa formation, de sa culture et de sa réussite future.

    Le pédagogue Ponce Pilate

    Par parenthèse, que ce soit dans le Figaro que cet excellent article paraisse ou que j'écrive dans les colonnes du Point.fr n'est pas tout à fait indifférent : en face, les pédagogistes ont le Monde, l'Obs et Libération. Cet affrontement entre deux conceptions violemment antagonistes de l'école est aussi une rivalité de presse, sous-tendue en partie par une opposition droite/gauche. Même si le noyau dur des républicains est constitué de chevènementistes, voire d'anciens gauchistes. Paradoxe, c'est le Front national qui aujourd'hui reprend sans vergogne, avec un opportunisme impeccable, les thèses des républicains (sans que cela implique en quoi que ce soit que lesdits républicains adhèrent aux thèses du Front national), et le PS se coule dans les propositions des pédagos. Par exemple, comme le souligne Bock-Côté, la récente décision de remplacer les notes par des pustules vertes, ou de renoncer définitivement au redoublement tout en imposant l'évaluation par compétences et non par performances, est une victoire majeure du clan pédago, qui proclame que c'en est fini de l'évaluation-sanction : désormais, tout le monde s'aime, et tout le monde réussira. Encore un effort, et l'élève s'autoévaluera, ce qui, soyons-en sûrs, lui évitera tout traumatisme. On est tellement mieux dans le coton. 80 % d'une génération au bac - on y est. Et puis après... Après, c'est l'écrasement contre le mur du supérieur - mais là aussi, on arrondit les angles, on n'a que 50 % de pertes en première année. Après, c'est l'éclatement contre le mur de l'embauche. Évidemment, Ponce-Pilate-pédago s'en lave les mains, il n'est plus concerné.

    La mise à mort de la culture

    Pour que des non-enseignants comprennent bien les enjeux de cette lutte, il faut énoncer les choses clairement. Le remplacement de la transmission de connaissances par l'évaluation de compétences revient à mettre à mort la culture classique - à commencer par la maîtrise de la langue. À qui s'étonnerait que les enfants et les adolescents maîtrisent désormais de façon fort aléatoire les codes du français, à commencer par l'orthographe, si discriminatoire, les pédagos rétorqueront qu'il ne faut pas s'arcbouter sur des codes bourgeois désormais dépassés. Et que s'accrocher à l'apprentissage de la lecture par des méthodes alpha-syllabiques (le B.-A. BA), c'est vouloir perpétuer une école à deux vitesses, où les enfants de classes dominantes voyaient confirmés à l'école les codes appris à la maison, pendant que les enfants du peuple ramaient pour les rejoindre. Désormais tous nuls, les voici à égalité. Apprendre à lire de façon méthodique, c'est l'horreur pédagogique, affirme, encore récemment, la grande prêtresse des pédagos, Évelyne Charmeux. Dans le même élan, les chronobiologistes et les didacticiens, deux tribus constituant des sous-groupes de la nouvelle élite autoproclamée, affirment que l'enfant ne doit pas commencer en même temps toutes les opérations de base, mais n'en venir à la multiplication que bien après - quant à la division, la voici désormais reléguée en CM1. Que les mathématiciens déplorent la dyscalculie qui en résulte pendant que les profs de français pleurent sur la dysorthographie n'émeut guère nos révolutionnaires. Philippe Meirieu, gourou en chef, ne proclamait-il pas jadis qu'il fallait apprendre à lire sur les modes d'emploi des appareils ménagers ? Voir ce qu'en pense Jean-Paul Riocreux, qui en tant qu'ancien inspecteur d'académie, a vu de près les dégâts de cette idéologie qui se fait passer pour "naturelle". Autre grand ancêtre de ces déconstructeurs, Pierre Bourdieu, qui n'a pas hésité à affirmer que dans la transmission de la culture, le problème, c'est la culture. Éliminons-la : l'enfant ne s'en portera que mieux. Il y a du rousseauisme dégénéré dans ces conceptions mortifères.

     

    Les plus fragiles sacrifiés

    La distinction droite/gauche est d'autant moins pertinente que les grands nuisibles mis au pouvoir sous Jospin sont demeurés en place sous la droite - et se sont même renforcés, tant les ministres de Chirac et de Sarkozy, à la louable exception de Xavier Darcos, étaient ignorants des rouages de la rue de Grenelle. Robien, par exemple, voulut promouvoir la méthode syllabique : ses services, infiltrés à tous les étages, à commencer par les corps d'inspection, par les réformateurs pédagos, en sortirent une circulaire sur la liberté pédagogique des enseignants. Et les plus jeunes, les plus tendres, formatés dans les IUFM (et désormais dans les ESPE) institués tout exprès pour promouvoir les théories des gourous, continuèrent à utiliser des méthodes létales, sous la houlette (ou la cravache) d'inspecteurs primaires particulièrement motivés. Comprenons-nous bien : ce qui se joue depuis trente ans, c'est la mort programmée de l'école - ça, c'est quasiment acquis - et, en sous-main, la mort décidée de la France - ou tout au moins son déclin. Parce que le pédagogisme ne s'arrête pas aux méthodes de lecture. Le pédagogisme, c'est le collège unique, la "séquence pédagogique" qui a remplacé le cours et qui saucissonne la transmission, c'est aussi une façon de "comprendre" les filles qui arrivent voilées, la libre expression de tous les extrémismes, et la fin des inégalités insupportables nées de cette "constante macabre" qui suppose qu'il y a - quelle honte - des bons élèves à côté d'élèves en difficulté : inventer un ministère de la Réussite scolaire participe de cette idéologie mortifère à force d'être lénifiante. À terme, ces destructeurs de l'École publique qui se veulent de gauche entraînent le glissement des élèves et des parents vers une école de plus en plus privée. Le succès des structures indépendantes ne s'explique pas autrement. À terme également, ce sont les plus fragiles qui paient le prix de ces illusions : les élèves de ZEP, par exemple, pour lesquels on feint de faire des efforts, mais qui sont de moins en moins incités à aller au bout de leurs capacités - ce à quoi devrait se limiter l'école, et ce serait déjà une grande idée républicaine et humaniste.

    Jean-Paul Brighelli (Le Point, 28 novembre 2014)

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  • Nos amies les féministes...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue percutant de Sylvain Pérignon, cueilli sur le site du Cercle Aristote et consacré aux féministes...

     

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    Nos amies les féministes

    Guide pour devenir le collabo docile de la pensée officielle

    Tu es français, blanc, mâle, hétéro, de culture gréco-latine et de sensibilité chrétienne. C’est déjà un acte d’accusation et avec un pareil dossier, tu as intérêt à te faire tout petit. Tu ne fais partie d’aucune franc-maçonnerie, d’aucune nomenklatura, d’aucune caste surprotégée, d’aucune minorité souffrante et tes identités se veulent discrètes. Détestant l’exhibitionnisme idéologique, tu es plutôt « majorité silencieuse » sur bien des sujets.

    Tu es contre la guerre, la famine, le viol, la torture, l’esclavage et le travail des enfants au fond des mines, mais tu n’éprouves pas le besoin de le clamer sur tous les toits et de faire admirer  tes postures.

    Dans l’isoloir, tu essayes de voter pour le moins menteur, le moins démagogue et le moins clientéliste, sans grandes illusions d’ailleurs.

    Tu vois ce que tu vois, tu entends ce que tu entends, tu penses ce que tu penses. Hé bien, garde le pour toi. Tu ne fais pas le poids.

    Tu ne fais pas le poids devant les sachants, les doctes, les experts, les pontes, les consultants qui t’écrasent de leur mépris souriant si tu n’emploies pas les mots autorisés ou si tu dévoiles de suspects questionnements.

    Tu ne fais pas le poids devant les artistes rebelles qui font leur promo avec leurs engagements en bandoulière, les saltimbanques « qui se sentent concernés », les  humoristes qui n’ont la dérision que méchante et sectaire.

    Tu ne fais pas le poids devant le terrorisme des communautés, qui instaurent par l’intimidation  des interdictions d’ouvrir les débats qui leur déplaisent.

    Tu as d’ailleurs intérêt à faire profil bas. N’oublie pas que nous vivons dans une société de délation, où l’État sous-traite à de multiples associations subventionnées le quadrillage de la société civile et la surveillance des atteintes à la bien-pensance. Juges indépendants et journalistes objectifs y veillent également, la main dans la main. La liste des choses-qui-ne-sont-pas-des-opinions-mais-des délits ne cesse de croître.

    Il convient donc de te guider pour que tu puisses t’en sortir et gagner l’estime de nos élites. La réserve et la discrétion ne suffisent pas, il te faudra clamer bien haut tes repentances et tes allégeances, et avant tout surjouer tes indignations.

    Tu dois d’abord apprendre quels sont tes amis. Tu dois commencer par faire allégeance au matriarcat light et faire oublier le macho en puissance que tu es. Tu seras gay friendly en demandant l’indulgence pour ton hétérosexualité. Tu tireras ta révérence devant nos amis mahométans et éviteras les amalgames et les stigmatisations. Tu plaindras et excuseras nos amis égarés, les délinquants, victimes d’une société d’exclusions et d’inégalités. Tu cesseras de considérer les écolos comme une secte obscurantiste et malfaisante. Et tu demanderas plus d’Europe, qui t’a apporté la paix et la prospérité.

    Tu devras ensuite lister tes ennemis et apprendre à les reconnaître, même lorsqu’ils se cachent sous divers masques : Les cathos, les fachos, les xénophobes, les réactionnaires, qui sont les multiples têtes de l’hydre qui ose combattre la modernité et s’interroger sur ses bienfaits. Tu déconstruiras l’idée même de nation et dénonceras sans faiblir les inquiétantes dérives populistes qui montrent en fait le véritable visage du peuple, qu’il faut savoir remettre à sa place.

    Il te faudrait un petit manuel de survie en milieu progressiste, pour t’aider à devenir le collabo docile de la pensée officielle. Tu  échapperas ainsi à  la placardisation ou à l’ostracisme  qui te guettent si tu relèves la tête. Tu cesseras de passer pour un  blaireau populiste aux yeux des personnes éclairées. Accessoirement, tu t’éviteras de sévères râteaux si jamais tu entreprenais de séduire des dames qui pensent bien comme il faut.

    Rééduque toi avant d’être forcé à le faire !!

    Aujourd’hui, nous allons te parler de nos amies les féministes. Et non pas « nos amies les femmes », qui nous donnerait plus de trente millions d’amies, mais te grillerait définitivement.

    Tu es un homme de ton temps. Tu es le premier étonné que les femmes françaises n’aient eu le droit de vote qu’en 1944, quatorze ans après les femmes turques, et que cela ait pu si longtemps faire débat. Mais sous la Troisième République, la gauche laïcarde et franc-maçonne s’y opposait farouchement, les femmes étant suspectées de suivre docilement les consignes de l’église catholique. Il te semble évidemment normal que les femmes étudient, travaillent, et disposent des mêmes droits que les hommes. Dans ton milieu  professionnel, tu n’appelles pas tes subordonnées « mon petit »,  et tu sais par expérience  que tes collègues féminines peuvent être très compétentes, tout en faisant moins de cinéma que les mecs. Mais tu n’apprécies guère qu’à une critique qui te semble fondée, on te réponde « vous dites cela parce que je suis une femme ». Si tu dépends d’une supérieure hiérarchique et qu’elle te reproche un manquement professionnel, tu te défendras comme tu pourras si tu estimes injuste ses propos, mais tu ne mettras pas cela sur le compte d’une misandrie inavouée.

    Tu es un homme de ton temps, encore un peu « macho », comme elles disent. Tu as rigolé en entendant quelques histoires de blondes, tu ne repasses pas tes chemises, tu laisses ta compagne se dépatouiller avec les histoires de contraception, tu n’aimes pas lui laisser le volant quand vous vous déplacez en voiture, sauf si vous rentrez d’une soirée où tu as un peu picolé.

    Mais comme tous les hommes, tu n’en mènes pas large devant la féminité et les jupes des filles. Tu ne peux mieux dire qu’Alain Souchon :

     «  Elles, très fières,
    Sur leurs escabeaux en l’air,
    Regard méprisant et laissant le vent tout faire,
    Elles, dans l’suave,
    La faiblesse des hommes, elles savent
    Que la seule chose qui tourne sur terre,
    C’est leurs robes légères ».

    Tu viens d’aggraver ton cas en évoquant le charme et la beauté  des femmes. Voudrais-tu les enfermer dans les rôles millénaires de la séductrice rouée, de l’allumeuse calculatrice,  de l’amoureuse intrigante ? Crois-tu que l’amour peut réellement exister tant que règnera le système hétéro-patriarcal ?

    Il est grand temps pour toi de rompre avec le machisme et de devenir un militant féministe. Mais à qui faire acte d’obédience ?

    Il y a d’abord le féminisme canal historique. Tu connais ses mantras : « On ne nait pas femme, on le devient ; la femme est un homme comme les autres ». Les menues différences d’ordre biologique  entre les sexes sont totalement secondaires par rapport aux différences culturelles imposées par la domination phallocratique. Il convient donc de revendiquer une égalité totale des droits, et surtout d’avoir un égal accès aux postes, aux places, au pouvoir, à l’argent, en éliminant par tous les moyens, même légaux, toute forme de discrimination sexiste.

    Mais il y aussi le féminisme de la féminitude, revendiquant une nature féminine, des valeurs féminines  apportant dans un monde de brute attention à autrui, douceur et compassion. Face au mâle dégoulinant de testostérone, qui ne connaîtra jamais les joies  rédemptrices de la maternité et de l’allaitement, la femme doit s’investir dans la vie publique pour faire reculer la violence, l’agressivité, le cynisme, la mauvaise alimentation et l’alcoolisme. La femme est l’avenir de l’homme. Elle ne lui est pas égale, mais supérieure, car elle seule peut être mère.

    Et tu as enfin les dures de chez dures, les radicales, les postmodernes, les queers,   pour    lesquelles le choix d’une sexualité n’a rien à voir avec le fait d’être affligé d’un sexe biologique, pure donnée de fait qui n’a aucune signification en soi. La différence des sexes est une pure construction sociale permettant la domination hétéro-patriarcale, et qu’il faut déconstruire pour permettre un libre choix d’une identité de genre. Il faut donc détruire tous les stéréotypes, les conditionnements, les préjugés qui s’opposent à ce libre choix. On concédera, du bout des lèvres, qu’il arrive (quelquefois ? très souvent ? généralement ?) que l’identité de genre choisie coïncide avec le sexe biologique, mais c’est avant tout sous la pression sociale. Il faut se défaire des années de dressage à l’hétérosexualité. D’ailleurs la lesbienne n’est pas plus une femme que l’homosexuel n’est un homme, tous deux sont des sujets humains qui ont choisi leur genre. Idem pour les bi(e)s et les trans. Cette liberté de choix est la seule voie pour mettre à bas la différenciation sexuelle et le système de hiérarchisation et d’exploitation qu’elle fonde. C’est pourquoi celles qui sont appelées « femmes » dans le langage androcentré n’ont pas besoin des hommes. Comme le disent les féministes américaines, une femme sans homme, c’est un poisson sans bicyclette. Il ne peut y avoir de complémentarité entre les sexes, puisque ceux-ci n’existent pas. Le genre chasse le sexe !

    Les grandes prêtresses des diverses églises féministes ne cessent de s’excommunier mutuellement, chacune accusant les autres de trahir la cause sacrée. Ces débats sont d’ailleurs difficiles à suivre, car il y a même des féministes qui s’opposent à l’interdiction du voile musulman dans l’espace public, au nom de la diversité des cultures et de l’anticolonialisme.

    Mais ne t’avise pas de prendre part à ces controverses (Par pitié, ne parle pas de « querelles de filles » !), elles feraient bloc contre toi, sous l’étendard de la revanche contre des millénaires d’oppression masculine, pendant lesquels le mâle a imposé sa loi, obligeant à échanger sexe contre nourriture et protection !

    Tu devras donc donner des gages à toutes les dimensions du féminisme, sous le regard pointilleux des militantes et des associations dédiées à la cause, qui te surveillent et rêvent de te punir.

    Ne crois pas que le droit de vote, la généralisation du travail des femmes et l’avortement en libre service marquent la fin des luttes émancipatrices : tout reste à faire ! Et dénonce l’amnésie des jeunes générations pour lesquelles les suffragettes n’évoquent rien, sauf quelque chose qui se situerait entre les clodettes et les majorettes.

    Tu commenceras par massacrer la langue française : Il convient de mettre fin à l’invisibilité linguistique des femmes. Tu veilleras à nommer correctement les auteures, les chercheures, les  professeures, les écrivaines, les sergentes, les bourrelles, les substitutes, les maîtresses de conférences, les cheffes de cabinet, les questrices, les rectrices, les rabbines, les sapeuses-pompières et les sans-papières. Madame la première ministre nommera des préfètes, et la députée sera rapporteuse du budget. Bon, tu t’y feras. Tu t’indigneras qu’une grammaire suintant le mépris sexiste  exige encore que le masculin l’emporte sur le féminin. Tu militeras pour qu’à cette règle odieuse se substitue la règle de proximité qui accorderait le genre et le nombre de l’adjectif avec le nom le plus proche qu’il qualifie : Ainsi, les hommes et les femmes seraient égales et belles !

    Une grande victoire a déjà été obtenue avec la suppression de l’immonde case « Mademoiselle » dans les formulaires administratifs, victoire qui a du faire chaud au cœur de nos sœurs d’Afghanistan. L’ignoble expression « en bon père de famille » a été virée du code civil. Mais il convient d’aller plus loin encore. Est-il supportable que dans le numéro de sécurité sociale le chiffre 1 désigne le mâle et le chiffre 2 la femelle ? Est-il admissible que l’école des touts petits soit dénommée « école maternelle », terme  qui renvoie une fois de plus à la fonction maternante dans laquelle on veut enfermer la femme ?

    Tu militeras ensuite pour l’égalité entre les hommes et les femmes. Pardon, pour l’égalité entre les femmes et les hommes. L’égalité des droits te semble acquise depuis longtemps, mais la réalité est cruelle : Jusqu’à nouvel ordre, ce sont encore les femmes qui font les enfants. Il y a là une assignation biologique, comme elles disent et le regrettent pour certaines. Mais après l’accouchement, auquel le père doit obligatoirement assister  même s’il trouve cela un peu gore, rien ne justifie le partage inégal des tâches domestiques et d’élevage des enfants, qui pénalise les femmes, pendant que les salopards de mâle font carrière. Les solutions du type temps partiel consacrent définitivement les inégalités de salaire et de promotion.

    Il convient donc que l’Etat réagisse. Les 35 h devaient être l’occasion pour les hommes de se réinvestir dans l’espace domestique ou familial. Pas de chance, ils en profitent surtout pour faire du travail au black, sous prétexte de ramener des sous à la maison. Il faudrait passer aux 32 h, et contrôler par tous les moyens de surveillance possibles l’amélioration du partage des tâches qui devrait s’ensuivre. Et pas question d’heures supplémentaires, surtout défiscalisées.

    Le congé parental. Que cela te plaise ou non, tu seras bientôt obligé de le prendre et de le partager à égalité avec ta compagne, sous peine de diverses sanctions. Le refus de le prendre devrait d’ailleurs être constitutif d’un délit pénalement réprimé. Dans ton travail, tu lutteras  contre la culture du présentéisme et refuseras toute réunion après l’heure du goûter. De gré ou de force, l’entreprise devra jouer le jeu. Il faut bien obliger les hommes à avoir eux aussi leur triple journée, d’actif, de père et d’époux. Et défense d’avoir la migraine !

    Tu te battras également pour la parité. L’égalité doit aboutir à la mixité de tous les métiers et à la parité dans tous les lieux de pouvoir ou de mémoire. Il est vrai que les femmes sont peu ou pas représentées au Panthéon, au Jockey club, dans les loges maçonniques et dans les régiments d’infanterie de marine.  98% des rues sont actuellement baptisées de noms masculins, dont bon nombre de négriers, de militaires, d’ecclésiastiques  ou pire encore. Et personne ne connaît le nom de la femme du soldat inconnu !

    Tu t’étonneras de la vivacité de la revendication, alors que la féminisation du travail est une réalité aveuglante, et qu’il n’est plus guère de professions ou de filières fermées au beau sexe. (Surtout, ne dis pas « elles sont partout », cela te nuirait). Mais l’égalité exige la parité, qu’il s’agisse des instances publiques  ou des conseils d’administration des sociétés ou associations.

    Ce robuste appétit de pouvoir s’accompagne de l’idée que si tout va mal en ce bas monde, c’est que le pouvoir  est accaparé par les hommes.  Comme le chante Renaud,

    « Aucune femme sur la planète
    N’s’ra jamais plus con que son frère
    Ni plus fière ni plus malhonnête
    A part peut-être, Madame Thatcher »

    Toutes les crises que nous connaissons se résument en une seule : la crise de l’hyper-masculinité des instances de pouvoir. On sait effectivement tout ce que les femmes peuvent apporter au monde en matière de douceur et de paix. De Frédégonde à Madeleine Albright, qui fit bombarder Belgrade, la participation des femmes à la vie politique en est l’illustration éclatante.

    Pour imposer la parité, tu réclameras donc la généralisation des femmes-quotas : partout, où que ce soit, dans n’importe quel lieu, dans n’importe quelle circonstance, il en va des fondements mêmes de la démocratie. Ne pense pas que cette discrimination positive soit légèrement insultante pour les femmes, et notamment pour les femmes qui sont arrivées à de hautes fonctions ou responsabilités en raison de leurs compétences, de leur travail et de leurs mérites. Pas le temps d’attendre : grâce aux quotas, tout de suite les places et les postes !  Et fait taire les vils phallocrates qui ricanent en soulignant les avantages d’une stratégie combinant promotion canapé et bon usage des quotas, on sait bien que cela ne peut exister que dans l’imagination dévoyée des mâles dominants.

    Remarque, les quotas, j’allais dire les emplois réservés mais ça c’est pour les handicapés, n’ont pas que du mauvais : Ils peuvent constituer non un plancher, mais un plafond  destiné à protéger la biodiversité. On sait que les magistrats et avocats mâles  deviennent une espèce en voie de disparition face aux espèces invasives que sont les magistrates et les avocates. Mais je te déconseille cette vision des quotas, qui sont et doivent rester à sens unique !

    Non, le problème, c’est que les femmes ne sont pas les seules à exiger des quotas  dans tous les domaines. Dans la revendication victimaire, la concurrence est rude. Minorités visibles et invisibles exigent aussi leur juste part du gâteau, ce qui risque de nous entraîner dans une combinatoire de critères difficile à maîtriser. Mais quand on commence à compter les unes et les autres, on ne sait plus où s’arrêter.

    Et si les exigences d’égalité et de parité amènent des femmes à atteindre leur niveau d’incompétence, ce n’est pas grave et c’est même rassurant. Comme l’écrivait Françoise Giroud : « La femme serait vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente ».

    Françoise Giroud peut être rassérénée. D’Edith Cresson à Cécile Duflot, son vœu s’est amplement réalisé.

    Mais il ne suffit pas de prôner l’égalité et la parité. Il faut surtout s’attaquer à la racine du mal, les stéréotypes qui dès le plus jeune âge, avec la complicité de parents rétrogrades, enferment filles et garçons dans des identités qu’ils n’ont pas choisies et dans des rôles inégaux. On devrait arracher les enfants à leurs parents, afin que l’Etat soit seul habilité à formater les jeunes âmes.

    En attendant ce jour, participe à la lutte contre le sexisme ! Quand on pense que des municipalités semi-fascisantes offrent à la rentrée des classes des cartables roses aux filles et bleus aux garçons ! Tu jetteras à la poubelle les « Martine », ouvrages pernicieux qui véhiculent des valeurs nauséabondes. « Martine infirmière », « Martine hôtesse de l’air » et « Martine petite maman » sont parmi les plus insidieux. Il conviendrait que les parents n’aient pas le droit d’acheter cette littérature, et que l’accès aux livres soit contrôlé par l’école  ou par des bibliothécaires municipaux soigneusement séléctionnés. « Jean a deux mamans », « Tango a deux papas », « La princesse qui n’aimait pas les princes », « Papa porte une robe » , voilà des lectures qui s’imposent pour remettre dans le droit chemin les gamines qui rêvent d’être princesse ou les gamins qui réclament un masque de Spiderman. Si le petit DSK avait appris à l’école l’égalité femmes-hommes, il serait aujourd’hui Président de la République.

    Avec les chiennes de garde, tu lutteras contre l’instrumentalisation du corps de la femme pour faire vendre n’importe quoi, et tu éviteras de penser que les femens font la même chose en taguant leurs nichons. Et n’avoue jamais avoir souri devant le célèbre slogan vantant la crème Babette : « Babette, je la lie, je la fouette, et parfois elle passe à la casserole ». Le sens de l’humour et du second degré se fait rare en milieu féministe.

    Tu lutteras contre la prostitution (pardon, le « système prostitutionnel ») et réclameras la pénalisation du client, ce qui est nettement plus facile que de traquer le proxo albanais ou la mamma maquerelle africaine. Et surtout, ne demande pas comment concilier cette lutte avec les projets de création d’un statut d’assistant(e) sexuel(le), destiné à régler les problèmes des personnes « en situation de handicap » (et demain ceux des « personnes avancées en âge » ?). Quand c’est un service public, ce n’est pas la même chose, voyons ! Ne demande pas non plus comment concilier la lutte contre la marchandisation du corps féminin et la lutte pour la légalisation des « mères porteuses ». Comme le déclarait Pierre Bergé, « Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l’usine, quelle différence ? ». Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?

    Et pour mieux lutter contre les stéréotypes sexués, tu te déviriliseras avec constance et méthode. Si tu deviens papa, ne sois pas un pater familias, figure de la loi et de l’autorité, mais deviens une seconde maman. D’abord, tu regretteras amèrement que les lois idiotes de la nature ne te permettent pas d’enfanter. Comme le chante Renaud ,

     Parfois c’qui m’désole, c’qui m’fait du chagrin
    Quand je r’garde son ventre et l’mien
    C’est qu’même si j’dev’nais pédé comme un phoque
    Moi j’s’rai jamais en cloque…

    Pour rattraper le coup, tu accompagneras ta compagne aux séances de préparation à l’accouchement et feras comme elle le petit phoque ou le petit chien. Tu peux même faire la couvade, c’est très mode. Tu apprendras à changer les couches (lavables, si vous êtes écolos, c’est plus amusant). Tu dénonceras le scandale des logos qui, dans les aires de repos des autoroutes, indiquent le coin « change-bébé » par la stylisation d’une maman se penchant sur l’enfant. Tu feras le kangourou portant le bébé sur ton ventre. Tu te feras discret pour ne pas troubler l’amour fusionnel entre la reine-mère et l’enfant-roi.

    N’en fais pas trop, cependant. Une maman, ça va ; deux, bonjour les dégâts !

    Dévirilise toi (et n’en profite pas pour larguer toutes tes responsabilités !). Tu liras avec profit le manifeste de John Stoltenberg : «  Refuser d’être un homme-Pour en finir avec la virilité », Editions Syllepse, 2013 (publicité gratuite). Si tu es un people, tu te feras photographier en talons haut, pour montrer ton refus des stéréotypes. Tu verras en Conchita Wurst le symbole des valeurs de l’Union Européenne. Tu laisseras ton ado aller en jupe à l’école pour démontrer  l’horreur de la sexuation vestimentaire. Tu militeras pour que les mecs fassent pipi assis, vieille revendication des féministes suédoises, y a pas de raisons ! N’aie pas peur du ridicule, tu n’en feras jamais assez pour tuer en toi le mâle prédateur hétéro-fasciste.

    Et ne sois jamais galant. Le malheureux Barack Obama en a récemment fait l’expérience. Lors d’une réunion, il avait félicité la ministre de la Justice de Californie d’être « brillante, engagée, stricte », mais il avait cru bon d’ajouter  qu’ « il se trouve aussi qu’elle est, de loin, la plus belle ministre de la Justice du pays ». Hurlements des féministes, l’éditorialiste du New York Magazine soulignant que « le degré auquel les femmes sont jugées sur leur apparence reste un important obstacle à l’égalité des sexes au travail« . On a frisé la procédure d’impeachment.

    Il faut dire que le féminisme victimaire n’a qu’une seule et unique grille de lecture de notre monde : Le sort injuste fait aux femmes dans le système de la domination masculine. Dès lors, il lui faut toujours trouver du nouveau grain à moudre, pour faire oublier ce qu’elles ont déjà obtenu et lutter contre ce qui a déjà largement disparu. Il faut sans cesse ouvrir de nouveaux fronts, dénoncer de nouvelles discriminations. Le dernier exemple en est la campagne lancée par le collectif féministe  Georgette Sand (on ne rit pas) dénonçant la « taxe rose » générée par le fait que certains produits, destinés aux femmes, seraient plus chers que leurs équivalents destinés aux mâles. Aux dernières nouvelles, le ministre de l’économie va lancer une enquête sur ce sujet, et nul ne doute que le législateur se penchera un jour sur ce grave problème.

    Et si tu émets timidement des doutes sur l’idéologie féministe, sur les statistiques bidonnées, sur les interprétations biaisées, évacuant toute la complexité des rapports entre les hommes et les femmes, prend garde à toi. Tu te heurtes à un système d’accusation mélangeant sciemment les dénonciations les plus diverses, visant les inégalités salariales, la drague lourdingue, le plafond de verre, le harcèlement, les stéréotypes, l’excision des africaines, le retard dans le paiement des pensions alimentaires, la prostitution, la part des femmes dans les instances de pouvoir politique ou économique , la burka, le trop faible nombre d’écrivaines couronnées par un prix littéraire et l’insuffisant partage des tâches ménagères.

    Tu admireras cette tactique éprouvée du monde féministe, consistant à lier indissolublement  les réalités les plus diverses. Dès lors, si tu manifestes la moindre réserve sur un des aspects du package, si tu considères que les rôles sexués ne peuvent se ramener à une simple construction sociale, si tu penses que le mâle  n’a pas le monopole des comportements malfaisants, tu seras jugé complice du système patriarcal et des crimes qu’il génère, et ta parole sera inaudible. Le féminisme est un bloc qu’il faut accepter comme tel, sous peine d’encourir la plus infamante des accusations, celle de « masculinisme ».

    Alors prosterne-toi devant la sainte alliance des féministes, des lesbiennes et des homosexuels. Essaye de répondre à leurs injonctions les plus contradictoires. Et le jour où une femme déplorera qu’il n’y a plus de vrais mecs, évite de lui répondre que le communautarisme féminin n’y est pas pour rien.

    Sylvain Pérignon (Cercle Aristote, 24 novembre 2014)

     

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  • Le choc des non-civilisations ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Fares Gilon, cueilli sur Philitt et consacré à l'absurdité de la notion de choc des civilisations. Un texte grinçant qui ne manquera pas de susciter le débat...

     

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    Le choc des non-civilisations

    Choc des civilisations vraiment ? De part et d’autre, l’entretien de cette fiction permet surtout d’oublier l’état réel de la civilisation que l’on prétend défendre, et de se lancer en toute bonne conscience dans de lyriques et exaltantes considérations identitaires. Dans ce ridicule concours des fiertés (civilisation pride ?), les divers gardiens de néant oublient l’essentiel : ils veillent sur un champ de ruines.

    Dans Respectez la joie, chronique publiée il y a déjà douze ans, Philippe Muray posait la question suivante : « Comment spéculer sur la défense d’une civilisation que nous ne faisons même pas l’effort de voir telle qu’elle est, dans toutes ses extraordinaires et souvent monstrueuses transformations ? » Face à l’ennemi islamiste, à sa haine de « l’Occident », qu’avons-nous à faire valoir pour notre défense, hormis « la liberté d’expression », « les jupes courtes », « le multipartisme », « le sexe » ou « les sandwichs au bacon » ? Pas grand-chose. Et ces éléments sont eux-mêmes illusoires : « Le seul ennui, écrit Muray, c’est que ces mots recouvrent des choses qui ont tant changé, depuis quelques décennies, qu’ils ne désignent plus rien. » Ainsi de la liberté sexuelle, brandie comme un progrès civilisationnel (ce qui en soi peut se contester), alors même qu’elle est de moins en moins effective : « On doit immédiatement reconnaître que c’est la civilisation occidentale elle-même qui a entrepris de détruire, en le criminalisant, le commerce entre les sexes ; et de faire peser sur toute entreprise séductrice ou galante le soupçon du viol ; sans d’ailleurs jamais cesser de se réclamer de la plus grande liberté. »

     

    L’Occident s’est tiré deux balles dans le pied

    L’Occident post-moderne a achevé l’Occident moderne, celui de la liberté individuelle et de la pensée critique. Et l’Occident moderne était né lui-même de la destruction de l’Occident traditionnel, de sa civilisation, de son histoire et du christianisme. L’Occident post-moderne est le fruit d’un double meurtre : d’abord celui de la royauté de droit divin, avec tout ce qu’elle comporte de représentations symboliques traditionnelles, avec toute la conception hiérarchique de l’ontologie qu’elle suppose. Puis, celui de l’individu. Muray, en vieux libéral qu’il est, est évidemment plus touché par ce dernier meurtre : l’individu réellement libre – c’est-à-dire : ayant les moyens intellectuels de l’être – n’est plus. Cela n’empêche pas toute l’école néo-kantienne de la Sorbonne – entre autres – de répéter à l’envi que le respect de l’individu caractérise notre civilisation, par opposition à la « barbarie » médiévale d’une part, et au « retard » des autres civilisations d’autre part, encore prisonnières d’un monde où le groupe, la Cité, importent davantage que l’individu. La réalité est pourtant plus amère, et il n’y a pas de quoi fanfaronner : notre civilisation a fini par tuer l’individu réellement libre, si durement arraché à l’Ancien Monde.

    Par un étrange paradoxe, c’est précisément en voulant émanciper l’individu que nous l’avons asservi. En effet, nous avons souscrit à la thèse progressiste selon laquelle la liberté politique et intellectuelle de l’individu suppose son arrachement à tous les déterminismes sociaux, à tous les enracinements familiaux, culturels, religieux, intellectuels. Seuls les déracinés pourraient accéder à la liberté dont l’effectivité « exigerait au préalable un programme éducatif ou un processus social (ou les deux) capable d’arracher les enfants à leur contexte familier, et d’affaiblir les liens de parenté, les traditions locales et régionales, et toutes les formes d’enracinement dans un lieu ». Cette vieille thèse, résumée ici par Christopher Lasch (Culture de masse ou culture populaire ?), est toujours d’actualité : Vincent Peillon, ex-ministre de l’Éducation nationale, a ainsi déclaré vouloir « arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel ».

    Elle est pourtant contredite par la réalité de la société de marché que nous avons bâtie. Ainsi que le remarque Lasch, « le développement d’un marché de masse qui détruit l’intimité, décourage l’esprit critique et rend les individus dépendants de la consommation, qui est supposée satisfaire leurs besoins, anéantit les possibilités d’émancipation que la suppression des anciennes contraintes pesant sur l’imagination et l’intelligence avait laissé entrevoir ».

     

    Le cas de l’islam en France

    Comment alors s’étonner des phénomènes que l’on constate dans les « quartiers difficiles », de l’illettrisme généralisé et de la violence banalisée qui s’y côtoient ? Comment s’étonner des effets du double déracinement des immigrés ? Voilà des gens que l’on a arraché à leur terre (ou qui s’en sont arrachés), qui ont abandonné leur culture, ont oublié leur langue, et qui n’ont dès lors plus rien à transmettre à leurs enfants. Ces enfants, parfaits cobayes de l’expérimentation de la liberté par le déracinement, sujets idéals de l’idéologie délirante d’un Peillon, sont les premiers post-humains. Sans racines, et bientôt, après un passage par l’école républicaine, sans savoir et sans attachement à leur nouvelle terre. Coupés de leurs origines sans qu’on leur donne la possibilité de s’enraciner dans une civilisation qui se sabote elle-même, ils incarnent au plus haut degré le néo-humain sans attaches, sans références, celui que rêvent les idéologues de la post-modernité. Ce n’est donc pas en tant qu’étrangers à la France que les déracinés de banlieue posent problème, mais en tant qu’ils sont les parfaits produits de la nouvelle France, celle qui se renie elle-même.

    Ce règne, chaotique dans ses effets, de la table rase n’est pas sans provoquer un certain malaise chez les individus les plus conscients. On a beau déraciner, la réalité demeure : l’enracinement est un besoin essentiel à l’humanité. On y revient toujours, d’une manière ou d’une autre. « Le déracinement détruit tout, sauf le besoin de racines », écrit Lasch. D’où le phénomène de réislamisation, processus de ré-enracinement parmi d’autres (car il en est d’autres), qui s’explique par la recherche d’une alternative à ce que l’on nomme le « mode de vie occidental » (en réalité le mode de vie mondialisé de la consommation soumise).

    Il est d’ailleurs amusant de constater que le plus grand grief que la koinè médiatique fait aux beurs réislamisés ou salafisés, plus grave encore que les attentats qu’ils projettent ou commettent, c’est « le rejet du mode de vie occidental ». Horreur ! Peut-on imaginer plus atroce blasphème ? « Comment peut-on être pensant ? » comme dit Muray. Faut-il donc être un odieux islamiste tueur d’enfants (juifs de préférence) pour trouver à redire à ce merveilleux monde démocratico-festif, qui n’est pourtant plus que l’ombre d’une ombre ?

    Face à la chute des anciens modèles occidentaux, les jeunes déracinés que nous avons produits cherchent à reprendre racine. Que certains se tournent vers l’Islam, comme vers un modèle qui leur semble traditionnel et producteur de sens, doit être compris comme une réaction au modernisme du déracinement culturel. Dans la mesure où toute alternative au « mode de vie occidental » est présentée comme une régression barbare, la radicalité de la réislamisation, le fait qu’elle se fasse notamment – mais pas uniquement – dans les termes du salafisme, paraît inéluctable : le néo-Occident permet qu’on le fuie, à condition que l’on se jette dans les impasses qu’il ménage à ses opposants.

     

    La déchéance civilisationnelle de l’islam

    Il est une autre raison à la radicalité de la réislamisation. Elle tient à la chute de l’islam comme civilisation. À l’instar de l’Occident, à sa suite et sous son influence, l’Orient en général et l’islam en particulier subissent les effets de la modernité et des bouleversements politiques, sociaux, intellectuels, théologiques qu’elle entraîne.

    Historiquement et politiquement, cela s’est fait d’abord par la pression occidentale sur le califat ottoman, qui ployait déjà sous son propre poids. N’oublions pas que le monde arabo-musulman est mis au contact de la pensée des Lumières dès 1798, avec l’expédition d’Égypte de Napoléon. À peine la France avait-elle accompli sa Révolution qu’elle tentait déjà d’en exporter les principes, appuyés par une subjuguante supériorité technique. Les Britanniques, mais aussi, dans une moindre mesure, les Français, n’eurent ensuite de cesse d’encourager l’émergence des nationalismes, insufflant chez les peuples arabes le désir de révolte contre la domination turque : ils posèrent en termes modernes, ceux des nationalismes, un problème qui ne se posait pas ainsi. Plus tard, ce fut l’islamisme dont se servirent cette fois les Américains. À ces facteurs, il faut ajouter l’apparition de la manne pétrolière, mise au service du wahhabisme (lui-même soutenu originellement par les Britanniques) et la révolution islamique iranienne. Tout concourrait à la destruction des structures politiques et sociales traditionnelles de la civilisation islamique : les interventions étrangères certes, mais également un certain essoufflement de l’Empire ottoman, qui avait manqué le train de la révolution industrielle et se trouva dépassé par les puissances occidentales.

    En l’absence de structures sociales fortes, ce fut bientôt la pensée islamique traditionnelle elle-même qui succomba. Face aux puissances occidentales, les musulmans réagirent de deux façons antagonistes, que l’excellent historien Arnold Toynbee a qualifiées de « zélotisme » et d’ « hérodianisme ». Voyant une analogie entre la réaction des musulmans à la domination occidentale, et celle des Juifs à la domination de l’Empire romain, Toynbee explique que tout bouleversement venu de l’étranger entraîne historiquement une réaction de repli sur soi, d’une part, et une réaction d’adhésion et de soumission totales aux nouveaux maîtres, d’autre part. Mais dans les deux cas, on sort de la sphère traditionnelle : ni les zélotes ni les hérodiens ne peuvent prétendre représenter la pensée islamique traditionnelle. Leurs conceptions respectives de l’islam obéissent à des circonstances historiques déterminées, et ne sont plus le résultat de la réflexion sereine d’une civilisation sûre d’elle-même.

    Les nombreuses manifestations de l’islamisme contemporain sont autant de variétés d’un islam de réaction. Couplée à la mondialisation, qui est en réalité occidentalisation – au sens post-moderne – du monde, et à ses conséquences, cette réaction a fini par produire un islam de masse, adapté aux néo-sociétés, et qu’Olivier Roy a admirablement analysé dans ses travaux. Dans L’Islam mondialisé, il montre ainsi en quoi le nouvel islam est un islam déraciné pour déracinés, et en quoi la réislamisation est « partie prenante d’un processus d’acculturation, c’est-à-dire d’effacement des cultures d’origines au profit d’une forme d’occidentalisation ».

    Dès lors, il apparaît clairement que le prétendu « choc des civilisations » procède d’une analyse incorrecte de la situation. Il n’y a pas de choc des civilisations, car il n’est plus de civilisations qui pourraient s’entrechoquer ; toutes les civilisations ont disparu au profit d’une « culture » mondialisée et uniformisée, dont les divers éléments ne se distinguent guère plus que par de légères et inoffensives différences de colorations. Ce à quoi on assiste est donc plutôt un choc des non-civilisations, un choc de déracinés.

    Fares Gillon (Philitt, 3 novembre 2014)

     

     

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  • Poutine : le De Gaulle russe ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Guillaume Faye, cueilli sur son site J'ai tout compris et consacré à Vladimir Poutine...

     

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    Poutine : le De Gaulle russe ?

    La thèse que je soutiens  ici  est que Vladimir Poutine défend une vision gaullienne de l’Europe et du monde, ainsi que de la souveraineté de la Russie. Il se heurte logiquement à l’hégémonie de Washington et des pays anglo-saxons et, comme en son temps le Général de Gaulle, il est présenté comme un danger et un ennemi. Pourtant, c’est notre meilleur allié.

    La diabolisation de Poutine

    Le journaliste du Figaro Pierre Rousselet, dans un article intitulé « Le monde sans règles de Vladimir Poutine » (30/10/2014) nous explique, au terme d’une démonstration fumeuse, que Poutine « joue avec une habileté redoutable de sa capacité de nuisance dans un monde où les règles ont de moins en moins d’emprise ».  Il veut dire par là que le Kremlin viole le droit international  à la suite de la crise ukrainienne. Il se moque du monde et, peut-être sans le savoir, il utilise la méthode de la propagande stalinienne de l’inversion de la réalité. Cette méthode est celle, paradoxalement, de Washington et d’une Union européenne aux ordres.  Le monde de Poutine n’est pas ”sans règles”, au contraire, il est ”avec des règles”. Le monde sans règles est celui  de la politique étrangère US  depuis le bombardement de la Serbie par l’Otan et l’affaire du Kossovo. 

    Poutine est présenté comme le ”nouveau Tsar”, c’est-à-dire un autocrate non élu, alors qu’il a été régulièrement élu à la présidence avec une majorité plus importante que ses homologues occidentaux. La gauche socialo-trotskiste avait accusé en son temps le général de Gaulle d’être un ”fasciste” – en particulier en Mai 68. La même mouvance idéologique rabâche les mêmes éructations contre Poutine. Et ceux qui diabolisent Poutine et la Russie – notamment tous les milieux atlantistes et ”démocrates” – se satisfont parfaitement de bonnes ententes et d’alliances avec  divers régimes tyranniques à travers le monde.  

    La colère anti russe des Anglo-Saxons

    Exclu du G8, Poutine a été très mal accueilli au sommet du G20 de Brisbane en Australie les 15 et 16 novembre. Il a interrompu son séjour avant la fin de la réunion, ce qui est parfaitement normal pour un chef d’État qui est maltraité par ses pairs. Or les médias, renversant les torts, ont expliqué que Poutine « narguait » les Occidentaux et faisait de la « provocation ». Plus incroyable, le premier ministre australien Tony Abbott (lui aussi à la botte de Washington) a reproché, à l’ouverture de la réunion, à la Russie de « vouloir restaurer la gloire perdue du tsarisme ou de l’Union soviétique ». Et alors ? Ce propos est proprement scandaleux : la Russie serait donc illégitime à vouloir redevenir une grande puissance ! Sous-entendu : seuls les USA ont vocation à être une grande puissance et la Russie doit se contenter d’être une puissance régionale soumise à la ”pax” americana. Poutine subit de la part des Anglo-Saxons la même attitude d’hostilité que le Général de Gaulle, en beaucoup plus violent du fait de la taille de la Russie.

    À la réunion de Brisbane, les quatre Anglo-Saxons (le président des États-Unis, les premiers ministres de Grande-Bretagne, du Canada et d’Australie, tous trois féaux de Washington) ont vilipendé Poutine et la Russie avec brutalité, accusant le président russe de violer le droit international, de trahir sa parole et d’agresser un pays voisin. Accusations complètement contraires à la réalité. Ils l’ont menacé d’aggraver les sanctions économiques et l’isolement de la Russie s’il continuait d’aider les séparatistes de l’Ukraine orientale – alors que c’est l’armée de Kiev, encouragée, armée et conseillée par les Anglo-Saxons, qui est responsable d’agression militaire.

    À côté de cela, le président français (M. Hollande) et surtout Angela Merkel ont longuement essayé à Brisbane de négocier avec M. Poutine pour calmer le jeu. Malheureusement, ni la France ni l’Allemagne, pratiquant une diplomatie molle et timorée, n’osent aller au bout de leur démarche. Elles sacrifient leurs intérêts pour complaire aux Anglo-Saxons. Répétons ici que l’affaire ukrainienne résulte d’une provocation américaine (voir autres articles de ce blog sur le sujet) et que les sanctions (illégales) contre la Russie, servilement acceptées par les Européens,  se font au bénéfice de l’Amérique et de la Chine et au détriment de l’UE.

    Le plus inadmissible est l’absence de l’ONU dans la résolution de la crise ukrainienne. Comme pour le Kossovo, comme pour les guerres d’Irak, l’ONU est écartée, en violation de sa Charte et de tous les traités internationaux. L’ONU est remplacée par l’unilatéralisme américain et son impérialisme décomplexé. Le Coréen du Sud, Ban Ki-moon, le Secrétaire général, est totalement absent de la diplomatie internationale. Tout le monde sait que ce personnage falot est une créature de Washington, ainsi que l’a avoué dans ses Mémoires John Bolton, ancien ambassadeur américain à l’ONU. Le Conseil de Sécurité de l’ONU a été complètement marginalisé par Washington depuis la guerre des Balkans de 1999.  (1)      

    Le piège ukrainien  tendu à la Russie

    L’escalade militaire qui se produit en Ukraine a pour origine l’armée ukrainienne et non pas les séparatistes prorusses de Donetsk et du Donbass. Kiev avait procédé à des tirs d’artillerie, près de Chakhtarsk, sur le site du crash du vol  MH17 de la Malaysia Airlines abattu le 17 juillet, comme pour empêcher une enquête objective sur le terrain. En 7 mois, les affrontements ont fait 4.000 morts, en majorités civils. Le protocole de Minsk, prévoyant un cessez-le-feu, signé le 5 septembre par Kiev et les séparatistes a été violé par le gouvernement ukrainien. Ce dernier  est encouragé par une diplomatie washingtonienne et européenne irresponsable. Des militaires américains sont présents en Ukraine. Ils observent, pondent de faux rapports et attisent les braises. Ils poussent l’Ukraine à une guerre contre la Russie.

    On accuse actuellement la Russie de faire parvenir des chars, des armes lourdes et des combattants sans insignes aux insurgés russophones du Donbass et de Donetsk.  Vraie ou fausse, cette aide militaire me semblerait logique si j’étais à la place de Poutine : peut-on rester  insensible à  une agression contre des quasi-nationaux installés dans un pays voisin ? Plutôt que de se mettre autour d’une table de négociation pour résoudre tranquillement, dans le cadre des institutions internationales, la difficile question ukrainienne, l’Occident sous domination  américaine a choisi de créer la crise, tout en tenant un discours hypocrite pseudo-pacifiste.    

    Il n’y a jamais eu d ’”annexion” de la Crimée, mais un référendum demandant le retour d’une province russe autoritairement détachée en 1954. Jamais le retour de la Crimée à la Russie n’a menacé l’ordre international. En revanche, l’invasion américaine de l’Irak a totalement déstabilisé l’ordre international et embrasé le Proche-Orient. Les donneurs de leçons de Washington sont ceux-là mêmes qui créent les désordres. À 25% par cynisme et à 75% par idéalisme naïf et stupidité.   

    Concernant les sanctions de l’Union européenne contre la Russie, en fait imposées par les USA, Renaud Girard note : « la Russie en souffre indiscutablement mais les Européens aussi ! L’Union européenne a perdu toute souplesse diplomatique, comme l’a montré son incapacité à répondre aux ouvertures de Poutine exprimées lors du sommet de Milan du 16 octobre 2014 » (Le Figaro, 11/11/2014). La raison de cette rigidité diplomatique est que l’UE n’a pas de diplomatie propre, celle-ci se décidant à Washington.

    La propagande US anti Poutine

    L’Américaine Fiona Hill, directrice de recherches à la Brookings Institution (antenne de la CIA), spécialiste de la Russie et coauteur d’un livre sur Poutine a tenu des propos russophobes très révélateurs. En gros on accuse Poutine des maux dont est soi-même coupable. Elle explique : « Poutine a interprété toutes nos actions comme une menace, ce qui l’a poussé à mettre en place une politique offensive de défense de ses intérêts, qui consiste à pousser  toujours plus loin les limites de ce qu’il peut faire ». Cette politologue gaffeuse admet donc que la Russie est illégitime à ”défendre ses intérêts” ! Seuls les USA ont le droit de ”défendre leurs intérêts”. Pas les autres.  Et que veut-elle dire par ”toutes nos actions” ? C’est un aveu. Il s’agit de l’agitprop menée par tous les réseaux US pour déstabiliser l’Europe centrale depuis 1991.

    Alors même que ce sont les USA qui recherchent une nouvelle guerre froide avec la Russie et qui essaient d’écraser dans l’œuf toute velléité d’indépendance et de puissance russe comme toute alliance euro-russe, la politologue américaine affirme que la Russie est une menace pour toute l’Europe et l’Occident. C’est ce thème romanesque qui est au centre de la propagande atlantiste actuelle. Diabolisant Poutine, elle expose : « Poutine n’est plus seulement un danger pour la souveraineté de l’Ukraine et la sécurité européenne mais un danger pour l’ordre politique européen. Très clairement, son but est de discréditer les institutions européennes et la démocratie. Il veut aussi discréditer l’Otan dont l’existence est vue comme un danger »

    Elle accuse Poutine, à la tête d’un « pouvoir dangereux et corrompu » issu du KGB, de manipuler les mouvements identitaires européens, de vouloir posséder « un droit de veto dans l’espace qu’occupait l’Empire russe et l’URSS » et –suprême délire–  de « mettre le ”gun” nucléaire sur la table, sous-entendant qu’il serait prêt à utiliser une arme nucléaire tactique ». Puis elle exhorte : « si nous ne montrons pas la force du lien transatlantique, nous perdrons, car Poutine cherche la division »

    Ce n’est pas ce ”lien transatlantique” qui compte pour l’Europe – il est source de soumission –, c’est le lien euro-russe. La propagande de Washington consiste à ahurir les Européens en construisant un ”danger russe” fantasmatique. Mais nous n’avons que ce que nous méritons : plutôt que d’être indépendants et forts afin de régler tranquillement avec la Russie, dans une ”Maison commune”, tous les problèmes continentaux qui peuvent se poser (comme l’Ukraine), nous avons préféré nous soumettre à Washington, ce faux protecteur, pour régler nos affaires à notre place.

    Or le but –compréhensible et logique – de l’Amérique est d’être notre suzerain, notre pseudo-protecteur, pour mieux nous soumettre. Dans un prochain article qui s’intitulera La  stratégie US contre la Russie et l’Europe, j’approfondirai ce point capital. La politique extérieure américaine cherche malheureusement à créer en permanence des conflits.  Toujours sous le prétexte de la ”paix et de la démocratie”. Mais ce n’est pas l’intérêt de l’Amérique elle-même, c’est-à-dire du peuple américain.

    Le poutinisme,  ou le gaullisme russe

    Frédéric Pons, dans son essai consacré à Vladimir Poutine,  (Poutine,  Calmann-Lévy) montre bien que  – quelles que soient les opinions qu’on porte sur sa politique – cet homme est un vrai chef d’État, porteur d’une vision globale pour son pays et le monde et qu’il place le destin de son pays avant sa carrière personnelle. C’est un patriote, au sens étymologique, doté d’une vision et, comme De Gaulle, d’un grand pragmatisme. Il n’a rien d’un exalté ou d’un fanatique à la Robespierre, à la Lénine, à la Hitler. Il ne ressemble pas au catastrophique G.W Bush, caricature du cow-boy décervelé.  Rien à voir non plus avec les politiciens occidentaux (français en particulier) qui changent de convictions en fonction des sondages pour assurer leur carrière. Poutine, comme De Gaulle, est un homme d’État, c’est-à-dire qu’il est d’abord préoccupé par la dimension historique de sa fonction. 

    La diplomatie russe de Poutine et du ministre des Affaires étrangères Lavrov ressemble étrangement à celle du Général de Gaulle sur plusieurs points : 1) multilatéralisme et  opposition à l’hégémonie américaine ; l’Amérique n’a pas vocation à être le ”gendarme du monde” car cela n’aboutit qu’à des catastrophes ; 2) recouvrement du statut de grande puissance et de la souveraineté nationale ; 3) refus de l’ingérence américaine dans les affaires du continent européen ;  4) hostilité envers l’Otan ; 5) construction d’une espace économique euro-russe ; 6) préférence du lien continental sur le lien transatlantique ; 7) ajoutons, sur le plan, intérieur : défense de l’identité ethno-culturelle et des traditions liée à la puissance et à l’innovation techno-scientifiques.

     Entre Poutine et De Gaulle, les comparaisons sont nombreuses. La doctrine exprimée par  Poutine le 24 octobre lors de sa conférence devant le Club Valdaï est la réaffirmation de principes gaulliens des rapports internationaux et de la sécurité en Europe. Il ne s’agit nullement d’un ”nationalisme russe” comme le prétend la propagande US relayée par les médias et les politiques en Europe. Poutine accuse l’Occident sous direction US de mener des actions de provocation et de déstabilisation, de l’Ukraine au Moyen-Orient, qui menacent la paix mondiale. Ce n’est pas lui qui a violé l’accord d’Helsinki de 1975 fondant la stabilité en Europe, pour la ”détente” et la fin de la guerre froide, c’est l’Occident sous direction US. Objectivement, la diplomatie russe n’a jamais cherché l’hégémonie russe mais a toujours été défensive. En revanche, la politique étrangère américaine a toujours été offensive et belliciste.  Dire cela n’est nullement être hostile au vrai peuple américain.

    Conclusion : Eurorussie

    Nous devons chercher, nous autres membres de l’Union européenne, notre véritable souveraineté en alliance avec la Russie. Nous devons donc aussi réfléchir aux vraies menaces. La vraie menace sur l’Europe ne vient nullement de la Russie mais d’une incursion invasive migratoire sous la bannière d’un islam de plus en plus agressif et radical ; le second problème à résoudre est notre inféodation volontaire à une Amérique qui est pourtant en situation de déclin relatif. Un énorme soleil couchant qui fascine toujours mais qui est en train de s’éteindre, doucement.   

    Si la France était dirigée par un gouvernement authentiquement gaulliste, elle serait la première à vouloir régler le problème ukrainien de manière pacifique et à choisir l’alliance franco-russe, afin d’y entrainer nos partenaires européens. Sans hostilité contre les USA : qu’ils vivent leur vie. Notre seule chance, notre seule solution, c’est de réfléchir à l’hypothèse d’une alliance avec la Russie. Nous appartenons au même peuple, à la même civilisation, nous avons un destin commun.  

    Guillaume Faye (J'ai tout compris, 19 novembre 2014)  

     

    Note :

    (1) L’ONU  n’a strictement  aucun rôle diplomatique international sérieux. La France et la Russie, pourtant membres permanents du Conseil de Sécurité ont été incapables d’avoir une influence efficace à l’ONU, organisation manipulée par les USA ; pourtant, au Conseil de Sécurité, ce sont deux membres permanents. L’ONU devrait être refondée et avoir son siège en Suisse, à Genève, pas à New-York . 

     

     

     

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  • Le fantôme de la diplomatie française (2)...

    Vous pouvez découvrir la deuxième partie de l'excellent article de Caroline Galactéros, cueilli sur le site du Point et consacré à la diplomatie française.

    Lire la première partie :

    Le fantôme de la diplomatie française (1)

    Poutine Elysée.jpg

    Le fantôme de la diplomatie française (2)

    En politique étrangère, le suivisme précipité "pour en être" ne suffit pas. Sur les fronts irakien et syrien ouverts contre Daesh, la France "en est" certes, mais... de quoi au juste ? D'une alliance aléatoire dont certains membres, non des moindres, jouent un jeu si trouble qu'il confine à la trahison ? La question est posée, car la défiance est au cœur même de cette coalition de circonstance et d'affichage.
    Notre crédibilité militaire et politique pâtit de ce vice de fond, face à l'ennemi comme aux yeux de nos propres populations. En bout de ligne, ce sont les Français qui risquent de subir dans leur chair l'impact de cette réduction de l'action diplomatique à des postures martiales. Car nous avons de fait laissé grandir la menace. En niant la gravité de phénomènes politiques et sociaux internes, en faisant mine de croire que l'Afghanistan était sur la voie de la démocratie, que l'Irak se stabilisait, que la démocratie avançait en Libye grâce à notre intervention, que l'Iran renoncerait au nucléaire militaire, que l'on pourrait contenir durablement l'offensive des mouvements djihadistes au Sahel, que l'Occident parviendrait rapidement à retrouver son leadership mondial. Péchant par orgueil, ethnocentrisme et ignorance, saisis de spasmes d'impuissance désordonnés, nous faisons en fait de l'anti-diplomatie.

    Se garder du moralisme

    Notre auto-enfermement dans un moralisme décorrélé du réel nous empêche de penser librement et de définir une vision ambitieuse et des lignes pragmatiques de déploiement de l'action diplomatique qui servent nos intérêts de puissance et d'influence. Il est vrai que ces trois derniers mots, "intérêts", "puissance" et "influence", sentent le soufre. La France, confite dans une grandiloquence abstraite, a peur de son ombre et devient la spectatrice automutilée des vastes mouvements géostratégiques en cours.
    Car le monde réel refuse d'épouser les contours des visions iréniques de nos diplomates. La parole ne fait pas plus advenir la réalité en politique internationale qu'en économie. De même que la danse de la pluie ne suffit pas pour faire venir la croissance, rêver éveillé que Bachar el-Assad "n'en a que pour quelques semaines" ou que la "résistance libyenne modérée" est une réalité politique confine à l'auto-aveuglement ! Il fut pourtant un temps où nous étions moins présomptueux et plus habiles, où la France se gardait bien de soutenir ou de condamner des régimes, se limitant à reconnaître des États. Il faut réapprendre les fondamentaux de l'action diplomatique. Le diplomate n'est pas un grand inquisiteur ni un censeur ; il peut et doit parler à tout le monde, surtout "aux pires" des interlocuteurs, à ceux qui ne pensent pas comme lui. C'est sa raison d'être. Il doit maintenir en toutes circonstances des canaux, officiels ou secrets, de communication et de renseignement avec toutes les parties au conflit. Son pire ennemi est le moralisme au petit pied qui ne fait qu'enkyster les oppositions et isoler ceux qui devront finir par se parler pour que certaines lignes bougent.

    Définir notre objectif

    Une fois ce bon sens diplomatique retrouvé, à nous de structurer une stratégie globale de puissance et d'influence. Lucidité, réalisme, ambition et humanité en sont les pierres angulaires. La capacité d'écoute, le goût de l'autre, la recherche d'effets de longue portée, le déploiement sans états d'âme de notre capacité de nuisance ou de bienveillance et l'édification de liens et de réseaux dans la durée sont ses tenons et mortaises. Certes, la France n'est plus une grande puissance, mais son histoire politique, militaire et culturelle lui offre l'opportunité d'un rôle unique et indispensable dans la comédie pathétique du monde et de ses jeux de puissance.
    Cette stratégie suppose la définition d'un objectif à long terme (en langage militaire, un "effet final recherché" - EFR) et d'un faisceau de manœuvres tactiques de moyen et court terme autour de "lignes d'opérations" (militaire, diplomatique, médiatique, culturelle, normative, économique, financière, scientifique, éducative, industrielle, etc.) visant à l'atteindre.
    Pour la France, l'EFR peut être ambitieux mais raisonnablement atteignable : forger et conserver un positionnement de médiateur incontournable et recherché sur l'ensemble des points majeurs de conflit et de crise, faire jeu égal avec Berlin en Europe, être en capacité de peser sur le cours des choses et de faire avancer, y compris lorsqu'ils ne se rencontrent pas, nos intérêts (économiques et militaires) et nos principes politiques. Cela suppose évidemment que l'on renonce au rôle de pédant professeur en maturité démocratique que ses élèves turbulents n'écoutent plus depuis longtemps.

    Se tourner vers la Russie

    Nous devons ensuite identifier des points d'appui majeurs pour le déploiement de cette stratégie. Tout en repensant une politique arabe évanouie, il faut structurer notre nouvelle assise stratégique globale autour d'une relation multicanal soutenue avec l'Iran et la Russie. Contrairement à la doxa ridicule qu'ânonne l'Europe, notamment depuis la crise ukrainienne, ces deux États sont à l'évidence des pivots de croissance et de stabilité déterminants pour nous Français et pour le continent tout entier.
    L'Europe a un besoin stratégique évident de la Russie pour exister vis-à-vis de la Chine et de l'Asie, vis-à-vis de l'Amérique, vis-à-vis du Moyen-Orient, bref, partout. Nous devons donc faire admettre à certains de nos partenaires européens, tels la Pologne ou les pays Baltes, que si nous comprenons évidemment leur relation historique douloureuse avec Moscou, on ne peut pour autant brader les intérêts stratégiques globaux de l'Union en niant par exemple l'appartenance de la Russie à l'ensemble géographique, culturel et religieux européen. Sauf à consentir à l'abaissement politique, économique et stratégique définitif de l'Union européenne au profit des USA, y compris au plan technologique et industriel. N'oublions pas que l'Otan est aussi une vitrine et un véhicule commercial redoutablement efficace pour l'industrie américaine de l'armement.

    Cesser de se tromper sur l'Iran

    Quant à l'Iran, déjà évoqué, cette puissance régionale est en passe de retrouver un rôle global de premier plan. Située à la charnière des mondes indien, chinois et russe, elle est évidemment un tampon essentiel pour l'Occident dans la reconfiguration agressive des équilibres stratégiques du monde, sans même parler de son potentiel économique. Nous l'avons vu, les États-Unis ne s'y trompent pas. Un esprit "complotiste" pourrait même faire remonter à l'invasion américaine de l'Irak en 2003 et au fait de favoriser massivement la mainmise chiite sur le pays l'amorce réelle du basculement stratégique de Washington vers la Perse, dans une tentative de rééquilibrage de sa relation avec l'Arabie saoudite et Israël. Faut-il s'en réjouir ou s'en inquiéter, la question reste entière. Quoi qu'il en soit, les Américains avancent leurs pions. Le maintien des sanctions est essentiellement dû à leur volonté de lever l'embargo au bon moment, celui où sera atteint un accord stratégique sur le nucléaire monnayé au mieux de leurs intérêts. Pendant ce temps, Téhéran fait monter les enchères, Allemands et Britanniques se placent... et Paris se trompe.

    Augmenter le budget de la défense

    Évidemment, une telle approche diplomatique ne peut réussir qu'appuyée sur un outil militaire fort et son engagement à niveau suffisant pour garantir un effet de crédibilité politique indiscutable. Cela requiert évidemment un renforcement de nos effectifs comme de nos moyens, donc une augmentation du budget de la défense.
    Last but not least, cette nouvelle "intelligence du monde" requiert une action pédagogique résolue et décomplexée vers l'opinion publique nationale pour développer son adhésion à cette diplomatie refondée. Arrêtons de prendre nos concitoyens pour des imbéciles. Expliquons-leur le monde tel qu'il est au lieu de le peindre en rose et d'être sans arrêt démentis ou ridiculisés par les faits. Ils nous en sauront gré.

    Caroline Galactéros ( Le Point, 8 novembre 2014)

     

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