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Points de vue - Page 107

  • Jusqu’où Erdogan veut-il pousser ses pions ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue du général Jean-Bernard Pinatel cueilli sur Geopragma et consacré aux frictions entre la Turquie et la Grèce, appuyée par la France, en Méditerranée orientale... Officier général en retraite et docteur en sciences politiques, Jean-Bernard Pinatel a déjà publié plusieurs essais dont Russie, alliance vitale (Choiseul, 2011) et Carnet de guerres et de crises 2011-2013 (Lavauzelle, 2014).

     

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    Jusqu’où Erdogan veut-il pousser ses pions ?

    La France, Chypre, la Grèce, et l’Italie, ont lancé le 26 août l’initiative Eunomia, afin de « contribuer à la baisse des tensions en Méditerranée orientale ». Eunomia se traduira par une série d’exercices interarmées. Le premier se tiendra sur trois jours, entre Chypre et la Grèce, et rassemblera les quatre pays de l’initiative. La France a déployé dès le 24 août trois Rafale de la 4e escadre de chasse de Saint-Dizier. La France aligne en outre la frégate La Fayette, actuellement en mission MEDOR (Méditerranée orientale). Deux Rafale et le La Fayette avaient déjà participé à un exercice commun avec Chypre début août. Les chasseurs s’étaient ensuite posés en Crète, en forme de soutien à la Grèce. L’Italie a déployé une frégate, Chypre des hélicoptères et un navire, et la Grèce des F-16, des hélicoptères, et une frégate. Furieux de cette initiative, Erdogan a insulté la France et son Président qu’il a jugé « en état de mort cérébrale », et le 30 août il s’en est pris ouvertement à Athènes déclarant à propos des ressources gazières qu’il convoite illégalement : 

    « Le peuple grec accepte-t-il ce qui va lui arriver à cause de ses dirigeants cupides et incompétents ? Lorsqu’il s’agit de combattre nous n’hésitons pas à donner des martyrs. Ceux qui s’érigent contre nous en Méditerranée sont-ils prêts aux mêmes sacrifices ? »                               
     

    Erdogan veut retrouver le leadership spirituel et temporel que la Sublime Porte a exercé sur le pourtour méditerranéen, en Irak, et sur la péninsule arabique.

    Sa stratégie se déploie à plusieurs niveaux sur lesquels il est, plus ou moins, en position de force.

    Au niveau spirituel, il se voit incarner le renouveau islamique que voulait promouvoir Al Banna lorsqu’il créa les Frères Musulmans en 1933, et il veut s’en servir comme levier pour reconstituer l’Empire ottoman. La transformation de Sainte-Sophie en mosquée dans l’ancienne capitale de l’Empire byzantin constitue la preuve éclatante de son objectif islamique. Pour le mettre en œuvre, Erdogan s’appuie à l’intérieur de la Turquie sur le « Parti de la justice et du développement » ou AKP (Adalet ve Kalkınma Partisi) qui, malgré une érosion récente due aux difficultés économiques, reste le socle de son pouvoir. 

    Au niveau diplomatique, Recep Tayyip Erdogan se comporte comme le successeur des califes ottomans, agissant comme si le XXème siècle n’avait pas existé. Il développe une stratégie révisionniste, qui consiste à s’affranchir de tous les traités internationaux comme celui de Lausanne de 1923, et de ceux qui établissent le droit maritime international. Il vient de concrétiser cette stratégie près de l’île grecque de Kastellórizo, située à trois kilomètres de la Turquie, en y envoyant prospecter un bâtiment de recherche sismique escorté par des navires de guerre. La nature grecque de cette île a été reconnue par le Traité de Lausanne que la Turquie n’a d’ailleurs pas ratifié. Cette stratégie est habile car créant un fait accompli, il rend ainsi responsables d’escalade les grecs si ceux-ci décidaient d’employer la force pour l’obliger à se retirer de leur Zone économique exclusive (ZEE). A Ankara le 13 août, il menace de nouveau : « Nous disons que si vous attaquez notre Oruc Reis (le bâtiment de recherche sismique), vous aurez à payer un prix très élevé ».

    Au niveau militaire, il dispose une armée de terre importante presque entièrement déployée dans les zones de peuplement kurdes et aux frontières de la Syrie et de l’Irak. Et d’une bonne aviation mais d’une marine qui n’est pas compétitive face aux grandes marines occidentales car elle ne possède ni SNA ni porte-avion. La France seule, avec ses 5 SNA[1] dont trois sont opérationnels en permanence, est capable d’envoyer par le fond la flotte turque de méditerranée orientale. Ainsi, Erdogan n’a pas les moyens maritimes de ses ambitions. Néanmoins, la très grande proximité de la côte turque d’une vingtaine d’îles grecques comme Kastellorizo rend leur conquête possible par surprise sans réelle supériorité maritime, alors que leur reprise demanderait aux Grecs des moyens sans commune mesure avec ceux utilisés pour les occuper. 

    Au niveau économique, même si récemment la Turquie cherche à diversifier ses échanges vers la Russie, l’Irak et les pays du Golfe, elle reste très vulnérable à des sanctions économiques européennes. En effet, L’Union européenne à 28 demeure le premier partenaire commercial de la Turquie avec une part de marché stable (42% en 2018 et 41% en 2019). La Turquie a exporté pour $ 83 Mds de biens vers l’UE, qui absorbe ainsi 48,5% des exportations turques (contre 50% en 2018), et a importé pour $ 69 Mds de biens en provenance de l’UE (34,2% des importations turques), soit une baisse de 14% par rapport à 2018[2] .

    Quelles sont les cartes diplomatiques dans la main d’Erdogan pour mener à bien sa stratégie pan-Ottomane ?

    Erdogan est conscient qu’il ne peut bénéficier de l’appui des USA dans sa stratégie de reconquête. 

    Ses attaques contre les Kurdes en Syrie ont été très critiquées au Sénat et à la Chambre des représentants outre-Atlantique. Aussi dès le coup d’état manqué, il s’est tourné vers Poutine qui y voit une opportunité conjoncturelle pour son industrie de la défense.   Ainsi, le 5 avril 2018, la Turquie a acheté 4 systèmes S-400 à la Russie (contrat de $ 2,5 Mds) plus performants que le Patriot américain. Et le 12 juillet 2019, Ankara recevait les premiers composants du système de défense russe S-400. 

    La réponse américaine ne s’est pas fait attendre. Mi-juillet 2019, les États-Unis ont annoncé la décision d’exclure la Turquie du programme de chasseur-bombardier de 5e génération F-35 Lightning II[3]. De plus, des voix se sont élevées au Congrès pour exclure la Turquie de l’OTAN car son achat des S-400 russes est une violation de l’embargo sur les armes [4]

    Cette stratégie de renversement d’alliance militaire a des limites car il est évident que compte tenu du rôle que joue l’église orthodoxe en Russie, Poutine n’abandonnera pas la Grèce en cas de crise militaire. Ses liens actuels avec Erdogan lui permettront probablement de jouer une fois de plus le rôle de médiateur pour une désescalade en Méditerranée orientale.

    Ne pouvant bénéficier d’un appui ni de la Russie ni des Etats-Unis pour sa stratégie révisionniste et de reconquête, Erdogan a-t-il la capacité de dissuader l’UE de réagir face à une agression contre la Grèce ? 

    La communauté turque en Europe représente environ 6 millions de personnes dont presque la moitié résident en Allemagne (2.7 millions) et 600.000 en France. Erdogan essaie de se servir de cette diaspora tant sur le plan religieux que politique, pour dissuader les Européens de toute condamnation, sanction, et voire une réaction militaire, à sa politique. Mais sa capacité d’influencer la politique des Etats européens est limitée notamment parce qu’une partie de cette immigration est Kurde (1 million en Allemagne, 250.000 en France). Par ailleurs, la communauté turque en France est bien mieux intégrée que la communauté d’origine arabe ; la preuve : la délinquance y est beaucoup moins élevée. Les accusations et les mots d’ordre prononcés par des mouvements fascistes turcs seront peu suivis par les citoyens franco-turcs. En revanche, Erdogan entretient un réseau d’activistes nationalistes capables d’actions violentes comme ceux qui ont saboté les kiosques à journaux lorsque le Point avait comparé Erdogan à Hitler.  Ces activistes sont manipulés par les services secrets turcs et sont capables de mener des assassinats ciblés contre les Kurdes et les Arméniens, mais ils sont bien suivis par la DGSI et ne sont pas capables de dissuader le Président français d’agir. Cette diaspora n’est qu’un des facteurs qui explique la modération d’Angela Merkel vis à vis de la Turquie, les liens historiques et économiques étant plus déterminants. En revanche, la menace d’une nouvelle vague de migrants n’est plus aussi crédible, la Bulgarie et la Grèce ayant fermé leurs frontières avec la Turquie, et renforcé leurs moyens de contrôle depuis la pandémie. De plus l’UE, non sans mal, a officiellement décidé de renforcer Frontex, qui disposera d’un contingent permanent de 10.000 garde-frontières et garde-côtes d’ici 2027 pour assister les pays confrontés à une forte pression migratoire.

    Quelles peuvent être les options militaires d’Erdogan et les ripostes possibles de l’UE et donc les objectifs stratégiques d’Erdogan ?

    Option 1 

    Il a les moyens militaires de s’emparer par surprise et par la force d’une ou plusieurs îles grecques qui sont à seulement 3-5 kilomètres de la côte turque, et probablement de les conserver, car la Grèce ne disposera pas des alliés nécessaires pour les reconquérir, le prix humain étant trop élevé. 

    En revanche, son exclusion de l’OTAN serait inévitable. Déjà, depuis le coup d’état en 2016 et l’achat de plusieurs batteries S-400 à la Russie, des voix s’élèvent aux USA comme celles du sénateur Lindsay Graham et du représentant Eliot Angel, et au Canada, pour exclure de l’OTAN les états qui ne partagent pas les valeurs « démocratiques ». 

    La France trouverait des alliés pour bloquer le soutien qu’il fournit actuellement aux milices islamiques qui contrôlent Misrata et Tripoli en Lybie, et interdire tout mouvement aux navires de commerce et à la marine de guerre turque en Méditerranée orientale. 

    Sur le plan économique, il est difficile de voir comment l’UE pourrait justifier des sanctions économiques contre la Russie à cause de la Crimée, et ne pas sanctionner économiquement la Turquie. Cette option militaire semble être déraisonnable car le prix à payer serait supérieur au bénéfice tiré, et Erdogan ne l’envisagerait que s’il était assuré d’une neutralité allemande et anglo-saxonne. 

    Option 2 

    Erdogan pourrait poursuivre la recherche et la production illégale de gaz dans les ZEE qui, selon le traité de Lausanne et le droit maritime international, appartiennent à la Grèce et à Chypre[5], faisant porter à ses deux états la responsabilité d’une escalade militaire. 

    Ainsi, lorsque Chypre a annoncé le 8 novembre 2019 avoir signé son premier accord d’exploitation de gaz, d’une valeur de $ 9,3 Mds avec un consortium regroupant les sociétés anglo-néerlandaise Shell, l’américaine Noble, et l’israélienne Delek[6], Ankara lui a contesté le droit de procéder à des explorations et à de la production dans sa ZEE, arguant que les autorités chypriotes-grecques, qui contrôlent le sud de Chypre, ne peuvent exploiter les ressources naturelles de l’île, tant qu’elle n’est pas réunifiée. Mais, presque simultanément en juin 2019, la Turquie annonçait l’envoi d’un second navire de forage pour explorer les fonds marins au nord de Chypre à la recherche de gaz naturel. Chypre a immédiatement délivré un mandat d’arrêt pour les membres d’équipage du bateau de forage turc, le Fatih. 

    Dès avril 2019, le département d’Etat américain avait exprimé sa préoccupation et demandé à la Turquie de ne pas poursuivre ses projets visant à entamer des activités de forage de gaz dans la “ZEE de Chypre”.

    A l’issue du sommet des sept pays d’Europe du Sud à La Valette, le 14 juin 2019, une déclaration commune a été publiée enjoignant la Turquie de « cesser ses activités illégales » dans les eaux de la ZEE de Chypre. « Si la Turquie ne cesse pas ses actions illégales, nous demanderons à l’UE d’envisager des mesures appropriées »[7], ont-ils ajouté. 

    Le ministère turc des Affaires étrangères a estimé samedi que cette déclaration était « biaisée » et contraire aux lois internationales.

    Enfin, le 23 juillet 2020, en présence de son homologue chypriote Nicos Anastasiades à l’Élysée, le Président Macron a tenu « à réaffirmer une fois de plus l’entière solidarité de la France avec Chypre et aussi avec la Grèce face à la violation par la Turquie de leur souveraineté. Il n’est pas acceptable que l’espace maritime d’un État membre de notre Union soit violé ou menacé. Ceux qui y contribuent doivent être sanctionnés. »

    Conclusion

    La déclaration du Président Macron ouvre une nouvelle étape dans les relations de l’UE et de la France avec la Turquie : celle des sanctions.

    Le premier stade des sanctions serait des sanctions économiques ciblées. Elles accentueraient les difficultés économiques de la Turquie et éroderaient la base électorale de l’AKP, mais pourraient inciter Erdogan à choisir l’option militaire plutôt que de le calmer, car visiblement il est condamné à une sorte de fuite en avant. 

    L’autre option serait évidemment l’arraisonnement des bâtiments d’exploration et de production turcs dans les ZEE de la Grèce et de Chypre, ces derniers faisant partie de l’UE et de l’OTAN. 

    Cette option légitime risquerait de transformer ce différend en crise militaire aigüe.  Néanmoins, si la diplomatie échouait, on ne voit pas comment à long terme la Grèce et Chypre pourraient accepter sans réagir cette violation de leur ZEE. Rien ne dit qu’ils ne le feront pas, même sans l’appui initial diplomatique de l’UE et militaire d’au moins une grande puissance navale comme la France. 

    En revanche si la Turquie décidait de s’emparer par surprise d’iles grecques en espérant l’absence de réaction militaire à court terme, l’UE serait obligée d’infliger à la Turquie les mêmes sanctions qu’elle a infligé à la Russie pour son coup de force sur la Crimée ; l’exclusion de l’OTAN serait alors en jeu.

    Les récentes élections en Turquie ont montré la fragilisation de la base du pouvoir d’Erdogan notamment du fait des difficultés économiques. Il ne faut pas exclure que la fuite en avant nationaliste puisse lui paraître comme une solution pour sécuriser son pouvoir.

    Général (2s) Jean-Bernard Pinatel (Geopragma, 7 septembre 2020)

     

    Notes :

    [1] Le SNA à l’inverse des sous-marins classiques turcs est capable de rester en plongée tout le temps de s’y déplacer à grande vitesse ; alors qu’un sous-marin classique déchargerait ses batteries en quelques heures et devrait remonter son schnorkel pour les recharger. La furtivité d’un SNA est incomparable à celle d’un sous-marin classique. Pour mémoire, lors des manœuvres interalliées de Péan en 1998, le SNA Casabianca réussit à “couler” le porte-avions USS Dwight D. Eisenhower et le croiseur de classe Ticonderoga qui l’escortait. Lors de COMPTUEX 2015, un exercice mené par l’US Navy, le SNA Saphir a vaincu avec succès le porte-avions USS Theodore Roosevelt et son escorte, réussissant à “couler” le porte-avions américain

    [2] Le poids des trois principaux clients de la Turquie (Allemagne, Royaume-Uni et Italie, qui représentent respectivement 15,4 Mds USD, 10,9 Mds USD et 9,3 Mds USD) recule en 2019 de même que les exportations vers les Etats-Unis (8,1 Mds USD, qui demeure le 5ème client et vers l’Espagne (7,6 Mds USD) qui demeure le 6ème client de la Turquie. La part de la France (7ème client) parmi les clients de la Turquie est passée de 4,3% en 2018 à 4,5% en 2019, soit une progression constante depuis 2017.  A l’inverse, les exportations vers l’Irak (4ème client) augmentent de 7,8% (9 Mds USD) de même que celles vers la Hollande (8ème client, +14,4%), vers Israël (+11,9%) qui devient le 9ème client et vers la Russie (+13,4%) qui devient le 11ème client de la Turquie. In fine, on notera que les exportations des principaux fournisseurs de la Turquie ont toutes enregistré des baisses importantes en 2019 par rapport à 2018, sauf la Russie.     

    [3]  Ergodan au Salon international de l’aéronautique et de l’espace MAKS qui s’est tenu dans la région de Moscou du 27 août au 1er septembre 2019 se fait présenter Su-57 « Frazor », le nouveau chasseur-bombardier russe de 5e génération. D’après plusieurs agences de presse dont Associated Press le président turc a demandé à M. Poutine si cet appareil était « disponible à la vente pour des clients et Poutine a répondu oui. 

    [4] Le 20 aout 2020, Monsieur Cardin un haut administrateur de la commission des affaires étrangères du Sénat a envoyé une lettre au secrétaire d’État Rex Tillerson et au secrétaire au Trésor Steve Mnuchin au sujet de l’achat des S-400 par la Turquie où il indique : « La législation impose des sanctions à toute personne qui effectue une transaction importante avec les secteurs de la défense ou du renseignement de la Fédération de Russie », a déclaré M. Cardin dans la lettre. M. Cardin a également demandé à l’administration Trump d’évaluer comment l’achat turc pourrait affecter l’adhésion de la Turquie à l’OTAN et l’aide américaine à la sécurité à Ankara.

    [5] L’indépendance de l’île est proclamée en 1960. En 1974 le régime des colonels au pouvoir en Grèce fomente un coup d’Etat afin d’annexer l’île. Des soldats turcs débarquent alors dans le nord. Ils créent la République Turque de Chypre du Nord (38% du territoire), reconnue uniquement par la Turquie, soumise à un embargo et trois fois plus pauvre que le sud de l’île. Les Chypriotes grecs réfugiés dans le sud sont expropriés. L’armée turque est présente dans le Nord de l’Ile. 

    [5] La licence d’exploitation, d’une durée de 25 ans, concerne le champ gazier Aphrodite, le premier découvert au large de l’île méditerranéenne, par la société Nobel en 2011. Ses réserves sont estimées à 113 milliards de mètres cubes de gaz.

    [7] « Nous réitérons notre soutien et notre entière solidarité avec la République de Chypre dans l’exercice de ses droits souverains à explorer, exploiter et développer ses ressources naturelles dans sa zone économique exclusive, conformément au droit de l’UE et au droit international. Conformément aux conclusions précédentes du Conseil et du conseil européen, nous rappelons l’obligation incombant à la Turquie de respecter le droit international et les relations de bon voisinage. Nous exprimons notre profond regret que la Turquie n’ait pas répondu aux appels répétés de l’Union européenne condamnant la poursuite de ses activités illégales en Méditerranée orientale et dans la mer Égée et nous manifestons notre grande inquiétude au sujet de réelles ou potentielles activités de forage au sein de la zone économique exclusive de Chypre. Nous demandons à l’Union européenne de demeurer saisie de cette question et, au cas où la Turquie ne cesserait pas ses activités illégales, d’envisager les mesures appropriées, en toute solidarité avec Chypre ». https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/06/14/sommet-des-pays-du-sud-de-lunion-europeenne

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  • L’épopée touristique des covidiens en bermuda...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jure Georges Vujic, cueilli sur Polémia et consacré à la farce du tourisme sanitairement correct pour covidiens normalisés. Avocat franco-croate, directeur de l’Institut de géopolitique et de recherches stratégiques de Zagreb, Jure Georges Vujic est l'auteur de plusieurs essais, dont Un ailleurs européen (Avatar, 2011) et  Nous n'attendrons plus les barbares - Culture et résistance au XXIème siècle (Kontre Kulture, 2015).

     

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    L’épopée touristique des covidiens en bermuda

    On s’était habitué à ce que les Occidentaux, décervelés par des décennies de manipulation mentale, se soumettent passivement aux mots d’ordre du système marchand, mais, avec la vague de covidisation des âmes et surtout en période estivale, nous pouvons dire que nous touchons le fond. De même que l’on s’était accoutumé à ce que les braves citoyens de l’Europe de Bruxelles sacrifient leur identité et leur mémoire, leur fierté nationale sur l’autel du confort matériel, de l’idéologie de la repentance, des lubies du sanding et de la consommation ostensible, un pas en avant est franchi avec le spectacle à la fois absurde et grotesque du tourisme covidien normalisé. En effet, nous sommes loin des grandes migrations touristiques saisonnières de « l’ancienne normalité », des grandes vagues charterisées de transmutations globales de troupeaux de touristes fébriles sur les rivages lointains des pâturages hôteliers de masse. Cependant, dans un état d’urgence sanitaire, on assiste au spectacle des vagues touristiques covidiennes à la fois dosées, sanitairement sélectionnées et contrôlées, découvrant combien les covidiens occidentaux sont dépendants de quelques jours de plage, atteints d’une véritable addict-holidays épidémiologiquement suivie. On peut tout nous supprimer : liberté d’expression, de rassemblement, de sortir, de s’embrasser, de protester, du lien social, du vivre-ensemble, mais quelques jours de vacances, ça, non ! Plutôt crever ! Bref, nous sommes en pleine crise de caprice hédoniste aiguë ! Les vacances, le tourisme, deviennent alors cet horizon indépassable du mental occidental moyen covidianisé. On est prêt à braver le péril épidémiologique pour le prix d’un selfie sur la plage, qu’on mettra sur Instagram pour faire baver les copains. Pour ce faire, on prend soin de choisir sa destination, si possible un pays corona free en plus d’être gay friendly, en s’armant des nouvelles applications Covid-19 pour smartphone qui nous permettent de détecter à la plage le vilain contaminé lambda en maillot de bain, affalé sur sa bouée, et de le balancer à la police épidémiologique. On met sa serviette et son parasol si possible loin d’une éventuelle maison de retraite pleine de vieux pestiférés et le plus près d’une tente sanitaire à test rapide. Le tout consiste à suivre les corridors sanitaires touristiques organisés et se bronzer à la plage, tout en suivant les nouvelles à la minute près pour remballer en panique à la première alerte rouge, direction le retour au pays au cas où les expertocrates rétabliraient la quarantaine du jour au lendemain. Bref, reposez-vous au soleil, mais en sursis, toujours à l’affût d’une nouvelle vague subite de contamination, et soyez toujours prêt sur les starting-blocks au cas où…

    Bulles touristiques et destinations sécuritaires

    Bien sûr, à ce petit jeu se prêtent de « grandes politiques » et des stratégies sanitaires touristiques fumeuses, les fameuses « tourism policy measures covid-19 » de pays paupérisés par la crise sanitaire et touristique, qui sont là pour organiser, drainer, gérer et orienter tous ces covidiens en culotte courtes, apeurés et désœuvrés à la recherche de havres désinfectés. Alors on a recours à toute la panoplie des mesures, les fameux « greens corridors », les corridors touristiques, la « clusterisation » de territoires épidémiologiquement sécurisés et les fameuses « bulles touristiques » pour y stocker le maximum de touristes socialement distanciés… D’autres mesures géniales devraient voir le jour, comme le passeport immunitaire ou comme des bulles ou box en Plexiglas à installer sur les plage d’Italie, autour des familles de baigneurs.

    La destination sécuritaire n’a plus la même connotation négative et devient salutaire et ludique. Le voyage ne rime plus avec le dépaysement mais avec sécurité, la destination sécuritaire du voyageur covidien, n’ayant plus la même connotation négative, devient salutaire et ludique. Bref, afin de jouir de quelques jours au soleil et sous contrôle, c’est un peu le parcours du combattant, le chemin de croix du covidien touriste, à la recherche des lieux saints de villégiatures estivales et bon marché, une véritable épopée, un peu comme celle de Gilgamesh à l’assaut des Aquaparc, celle des Argonautes à la recherche de la toison « corona free ». Il s’agit bien d’un eudémonisme de masse épidémiologiquement assisté, une compensation concédée par l’expertocratie sanitaro-politique, une mesure de relaxation avant le déclenchement imminent de la seconde vague en automne, ce qui coïncide très bien avec la reprise du marché du travail. On est en plein dans le règne non pas de la bulle fondatrice civilisationnelle évoquée par P. Sloterdijk mais bien la surexpansion égotique de la bulle du désir refoulé, un sursis accordé aux covidiens frustrés par le confinement et les mesures de quarantaine, une forme de bonheur éphémère sous perfusion. Car, attention, rien n’est définitif et irréversible, cette petite concession, ce temps de relaxe peut ne pas se répéter, et c’est pourquoi il faut donner mauvaise conscience. L’idéologie covidianiste est profondément eschatologique : les humains à l’âge d’or vivaient tout, comme le relatent les mythes fondateurs, dans un état originel de bonheur et de liberté, mais ils ont été chassés de ce paradis à la suite de la consommation du fruit de l’arbre de la connaissance. Ce récit transposé à l’instant covidien explique pourquoi les citoyens doivent respecter scrupuleusement les rituels, les injonctions sanitaires, ne pas transgresser les règles de bonne conduite (port du masque, distance physique, etc.), et surtout ne pas pécher en critiquant, ne pas s’insurger mais se soumettre sous peine de se voir châtiés par la punition, la seconde vague, ou le lockdown total, le monstre effrayant de tout covidien qui se respecte. À l’ère du loisir de la société de l’abondance et de la gratuité se substitue la société covidienne du loisir anxiogène en sursis et de la précaution. On est loin de la signification originelle du loisir, en grec skholè, en latin, otium, où liberté et temps libre coïncident. Le loisir à l’ère covidienne correspond à une faveur, un luxe à risque, un temps virtuellement libre puisqu’il est prescrit par les informations, les gestes barrières, des rituels sanitaires, la distanciation physique, les prescriptions sécuritaires sanitaires. Certains covidiens, plus hardis, revendiquent même le droit d’être contaminés et de mourir en bermuda, héroïquement, dans le nirvana du déconfinement, en apothéose, au rythme d’une beach party ou échoué, cramé par les ultraviolets comme une baleine de supermarché… Bien sûr, en passant, comme dans un voyage initiatique à trottinette électrique, on n’oubliera pas d’aller vénérer, par les cultes hygiénistes du panthéon coronarien, des dieux asymptomatiques de l’immunité et des déesses mères du masque et du désinfectant, de consulter les oracles de l’anticorps, la pythie du sérum magique, et surtout d’honorer les héros et vestales du personnel soignant.

    Le prix de l’évasion

    Comment ne pas évoquer l’analogie de cette réalité covidienne avec les romans dystopiques, comme Globalia de Jean-Christophe Ruffin, qui trace les contours d’un monde futur, un État mondial avec des villes-bulles s’étalant sur l’hémisphère nord, dans lequel les citoyens dociles jouissant de la sécurité et du bien-être matériel, vivent dans des cités sous des dômes permettant une température idéale en permanence. À l’extérieur des zones sécurisées, s’étendent des non-zones mystérieuses et dangereuses. On retrouve un scénario semblable dans le roman Un bonheur insoutenable (titre original : This Perfect Day) d’Ira Levin, dans lequel l’humanité (désignée sous le nom de Famille), unifiée, est régie par une méga-intelligence artificielle, un ordinateur caché sous les Alpes : UniOrd ou Uni, qui contrôle tout, oriente, autorise ou non les mariages et la procréation. Dans ce monde idéal, où la volonté humaine semble avoir disparu, et où la pluie n’existe plus, certains membres de la Famille se révoltent et souhaitent rejoindre les « incurables » qui se réfugient sur des îles non contrôlées par l’ordinateur. Cet horizon dystopique de villes-bulles sécurisées et aseptisées n’est pas si lointain, car à l’heure covidienne de l’état d’exception médicalement assisté, nous sommes déjà tous « bullisés » et « googlisés ». En effet, l’idée de bulle touristique vient renforcer le dispositif biopolitique de surveillance généralisée, déjà présent sous la forme de bulles numériques, informationnelles et ludiques (smartphone, réseaux sociaux, Instagram, etc..) omniprésentes, qui sont constitutives de notre réalité sociale quotidienne.

    L’évasion, la fuite, le déconfinement total est-il possible ? Y a-t-il une possibilité rédemptrice de « l’île », d’insulation humaine dans ce huis clos global ? À quel prix le bonheur individuel ? La réponse pourrait se trouver dans le destin de Patrick McGoohan alias John Drake dans la série TV Le Prisonnier, confiné dans un lieu, « le village », dont on ne pouvait s’échapper. Celui qui essayait de s’en évader était aussitôt rattrapé par une énorme bulle qui servait de police interne. Ayant sacrifié la liberté au nom de la sécurité et du petit bonheur médicalement concédé, les covidiens deviennent prisonniers de leur propre bulle, celle du désir anxiogène et narcissique, une sorte de servitude consentie ayant neutralisé toute forme de velléités de fugue et d’émancipation.

    Jure Georges Vujic (Polémia, 02 septembre 2020)

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  • La vérité sur l'esclavage...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une présentation par Bernard Lugan de son livre Esclavage, l'histoire à l'endroit, publié sous couvert de sa revue L'Afrique réelle.

    Historien et africaniste, Bernard Lugan a publié de nombreux ouvrages, comme  Osons dire la vérité à l'Afrique (Rocher, 2015), Heia Safari ! - Général von Lettow-Vorbeck (L'Afrique réelle, 2017), Atlas historique de l'Afrique (Rocher, 2018) et Les guerres du Sahel (L'Afrique réelle, 2019), mais aussi deux romans avec Arnaud de Lagrange, dont Les volontaires du Roi (réédition, Balland, 2020) et un récit satirique, Le Banquet des Soudards (La Nouvelle Librairie, 2020).

     

                                         

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  • Macron ventriloque de la farce masquée...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Maffesoli, cueilli sur Le Courrier des stratèges et consacré à la question de la généralisation du port du masque et à sa signification politique. Penseur de la post-modernité, Michel Maffesoli a publié récemment  Les nouveaux bien-pensants (Editions du Moment, 2014) , Être postmoderne (Cerf, 2018), La force de l'imaginaire - Contre les bien-pensants (Liber, 2019) ou, dernièrement, La faillite des élites (Lexio, 2019).

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    Maffesoli : Macron ventriloque de la farce masquée

    Le poème quelque peu apocalyptique de Lord Byron : Darkness, peut nous aider à comprendre un monde où le chaos tend à prévaloir. En effet, l’empire des ténèbres se répand un peu partout. Et les protagonistes essentiels en sont ceux qui se réclament de la philosophie des Lumières. Ceux qui font la loi. Ceux qui d’une manière hypocrite ne veulent pas reconnaître les conditions troubles de la loi qu’ils imposent en promouvant les défilés de masques, qui outre le caractère ridicule de ces accoutrements, sont l’expression par excellence d’une mise en scène on ne peut plus fallacieuse.

    Mascarade et empire des ténèbres

    Oui, la mascarade généralisée est bien la cause et l’effet d’un empire des ténèbres se généralisant. Mais l’apocalypse n’a pas seulement le sens péjoratif que lui donnent généralement les collapsologues de tous poils. C’est, ne l’oublions pas, stricto sensu, une révélation de ce qui est en train de s’achever et du coup, de ce qui également, émerge. Ce qui est en train de cesser, c’est l’organisation rationnelle d’une société progressiste. Et ce qui émerge, c’est sa caricature : « la société du spectacle » (Guy Debord).

    Il est une phrase bien connue du vieux K. Marx qui garde une étonnante pertinence : « Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce ».

    C’est bien cette farce qui prospère et qui s’exprime dans les lieux communs de l’époque agonisante. Lieux communs répétés, ad nauseam, par les sophistes du moment. Mais lieux communs répétés maladroitement et sur un ton emphatique et n’arrivant plus à cacher l’aspect simpliste et sans profondeur des propos officiels. Ce sont des poncifs hypocrites, de ceux n’ayant aucune assise et n’étant amarrés à rien.

    Stratégie de la peur et gouvernement de la terreur

    Poncif d’une élite en perdition qui, pour perdurer met en scène une stratégie de la peur réclamant l’obéissance en faisant trembler. En la matière en agitant le fantasme d’une « pandémie » dont de nombreux scientifiques soulignent l’inanité, mais qui justifient un gouvernement de la terreur. Ce qui d’antique mémoire est le plus sûr moyen d’infantiliser puis de soumettre le peuple. Ce que résume bien Machiavel en rappelant que « celui qui contrôle la peur des gens devient le maître de leurs âmes ».

    La mascarade généralisée est bien le moyen contemporain de contrôler la peur et, par là, sinon d’empêcher du moins de minimiser la résistance qui semble de plus en plus prête à s’exprimer. Mais revenons à cette dialogie entre le tragique et la farce.

    Souvenons-nous ici du « larvatus prodeo » de Descartes. Il avance masqué par prudence. Pour éviter de donner prise aux tenants du pouvoir contrôlant la pensée et donc l’âme collective, c’est en étant masqué qu’il put élaborer ces écrits qui servirent de fondement à la Modernité qui s’amorçait. Le « doute » et la raison souveraine seront d’utiles et on ne peut plus efficaces instruments pour lutter contre les dogmatismes dominants et ce dans la vie politique comme dans le domaine intellectuel.

    Mais progressivement ce masque ne favorise plus la résistance. Bien au contraire il sert de protection à une bureaucratie voulant à tout prix maintenir son pouvoir et qui, gauche et droite confondues, se sent perdue quand elle ne trouve pas à portée de main ses charentaises et les lieux communs de la bienpensance qui l’accompagnent. Le masque étant pour elle le moyen d’assurer et d’assumer ce que Pascal nomme, judicieusement, le divertissement. La facinatio nugacitalis, cette fascination du frivole ou enchantement de la bagatelle.

    Théâtrocratie et tartufferie

    L’époque s’achevant, il est dans la logique des choses que le tragique devienne farce : la société du spectacle à son apogée. Platon en parlant de « théâtrocratie » souligne bien que ceux qu’il nomme « les montreurs de marionnettes », n’ayant pas un véritable savoir, mais sophistes utilisant une rhétorique abstraite pour manipuler le tout venant.

    Le spectacle politique a maintenant atteint son apogée. Un président de la République, structurellement « théâtreux », exemple achevé d’une tartufferie dont tous les mots d’ordre sont ventriloques. Mais il a fait école. Et tel ministre passe sans coup férir d’une émission à la vulgarité affichée au ministère de la Culture. Malraux doit se retourner dans sa tombe !

    Le cinéaste Cl. Lelouch, quant à lui souligne qu’avec Dupont-Moretti il perd un « acteur formidable ». C’est tout dire. La loi sur la mascarade est entre de bonnes mains. La Justice devient une clownerie dont on n’a pas fini de voir les désastreuses conséquences.

    Intéressant également de noter dans la presse, les radios et même à l’université que c’est la parodie qui tient le haut du pavé. Les billets d’humeur (d’humour ?), la comédie sont les garants du succès et par exemple chaque radio paye à prix d’or le clown qui va, dans la matinale, assurer son audience.

    Depuis ce qui se nomme la « nouvelle philosophie », c’est une pensée du « show-biz » qui donne ses lettres de noblesse à une société du spectacle lisse et complètement aseptisée. Dans les domaines de la politique, de la presse, de la connaissance, le « people » a remplacé le peuple. Confusion révélatrice d’une indéniable décadence en appelant à une renaissance insurrectionnelle.

    Vers une société du spectacle et de la surveillance généralisée

    Guy Debord avait bien, prophétiquement, analysé un tel processus. « Un financier va chanter, un avocat va se faire indicateur de police, un boulanger va exposer ses préférences littéraires, un acteur va gouverner » (Commentaires sur la société du spectacle). C’est bien cela qui conduit à se laisser emporter par les engouements du jour en oubliant la riche complexité de la vie quotidienne. La mascarade généralisée n’est que la suite logique d’un monde où le « divertissement » tel que l’a bien analysé Pascal fait florès !

    Dans son livre La bureaucratie céleste, l’historien de la Chine antique, Etienne Balazs, souligne la prédominance des eunuques dans l’organisation de l’Empire. Ne pouvant procréer ils élaborent une conception du monde dans laquelle un ordre abstrait et totalement désincarné prédomine. L’élément essentiel étant la surveillance généralisée. En utilisant, d’une manière métaphorique cet exemple historique, on peut souligner que la mascarade en cours est promue par la « bureaucratie céleste » contemporaine dont l’ambition est stricto sensu d’engendrer une société aseptisée dans laquelle tout serait, censément, sous contrôle. Et en reprenant la robuste expression de Joseph de Maistre, c’est toute « la canaille mondaine » qui sans coup férir s’emploie non pas à faire des enfants, mais à infantiliser la société : il faut en effet noter que pas un parti politique n’a osé s’élever contre le port du masque généralisé.

    Ce qui montre bien, endogamie oblige, que c’est la classe politique en son ensemble, aidée par des médias aux ordres et soutenue par des « experts » soumis, qui est génératrice d’un spectacle lisse et sans aspérités. Mais l’hystérie hygiéniste, le terrorisme sanitaire, ne sont pas sans danger. Car c’est lorsqu’on ne sait pas affronter le mal que celui-ci se venge en devenant en son sens strict pervers : per via, il prend les voies détournées s’offrant à lui.

    Inévitable réaction bestiale de la société

    C’est en niant notre animalité que l’on voit resurgir une bestialité immaîtrisée. J’avais en son temps rappelé cela en soulignant, avant que ce terme ne soit employé d’une manière lancinante et non pensée, que c’est l’aseptie qui aboutit à un « ensauvagement du monde »[1] dont on observe quotidiennement des exemples à foison. Et ce sont les gardiens de l’hygiénisme en cours qui doivent être tenus pour responsables des débordements plus ou moins violents appelés à se généraliser.

    Ce qui est certain, c’est que contre un totalitarisme, plus ou moins « doux », en train de se généraliser, on peut s’attendre à l’émergence d’une multiplicité de révoltes. Alors je « j’avance masqué » de Descartes retrouvera sa fonction originelle : favoriser la résistance contre des élites dont la faillite est maintenant reconnue par tous. Ainsi le masque prévu pour la soumission par la bureaucratie, en une curieuse hétérotélie, c’est à dire avec un but autre que celui qui était prévu, va devenir un moyen de subvertir l’hypocrisie poisseuse de cette bureaucratie. On peut dès lors se demander si le masque prenant le contre-pied de l’infantilisation voulue ne permettra pas l’émergence d’une nouvelle « ère des soulèvements ».

    Soulèvements contre l’économicisme, contre la Foi Progressiste, et contre l’adoration servile de l’argent et de la valeur travail. Paradoxe amusant, faisant du masque une arme efficace pour imposer le retour d’un étalon spirituel comme impérieux moyen de restaurer l’échange, le partage et la solidarité, comme éthique (ethos) de base de tout être-ensemble authentique.

    Michel Maffesoli (Le Courrier des stratèges, 27 août 2020)

    [1] Michel Maffesoli, Sarkologie, pourquoi tant de haine(s) ? , Albin Michel, 2011, p. 147

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  • Le nouveau monde ou l'abêtissement politique...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Maxime Tandonnet, cueilli sur son blog personnel et consacré aux tristes caractéristiques du "nouveau monde" politique. Ancien haut-fonctionnaire, spécialiste des questions d'immigration, et désormais enseignant, Maxime Tandonnet a été conseiller à l'Elysée sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Il a donné un témoignage lucide et éclairant de cette expérience dans Au cœur du volcan (Flammarion, 2014).

     

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    Le nouveau monde ou l'abêtissement politique

    « Nouveau monde » ou « monde d’après », il est utile de se pencher sur la réalité de la vie politique aujourd’hui en France. Elle est dominée par un abêtissement général, perceptible autour d’une dizaine de paramètres:

    • La fin de l’engagement  : les partis politiques supposés, selon la Constitution concourir « à l’exercice de la démocratie », sont en voie de disparition. La dernière enquête CEVIPOF d’avril 2020 sur l’état d’esprit des Français (vague 11bis), montre qu’ils sont devenus l’institution la plus impopulaire (11% de confiance). Les taux d’adhésion s’effondrent. Or, les partis politiques servaient classiquement à faire émerger les projets et à désigner les futurs responsables politiques. Par quoi ont-ils été remplacés?
    • La courtisanerie: elle se distingue de l’engagement par sa motivation: l’intérêt carriériste, la vanité ou simplement l’éblouissement puéril. Notre époque n’a rien à envier à celle de Saint-Simon. Courtisans et lèche-bottes prolifèrent autour du prince, obsédés, au mépris de toute dignité, par leur seule place au soleil.
    • L’incarnation : le sujet essentiel qui domine tout le reste est celui de l'incarnation. La formule est sur toutes les lèvres: « qui pour incarner? » La politique est avant tout affaire d’émotion et d’affect, se limitant au choix d’une idole, un gourou, une vedette médiatique dont la mission est « d’incarner ». Incarner quoi? La question ne se pose même pas, ou à peine. Le chef est une fin en soi, l’incarnation du rêve et de l’illusion à laquelle chaque citoyen est invité à se soumettre. Ce phénomène est le plus symptomatique du climat d’asservissement général.
    • Le grand spectacle: la vie politique a vocation à se muter en spectacle déconnecté de la réalité où s’ébattent des acteurs, des artistes de l’illusion. Faute d’agir sur le monde des réalités et de gouverner, ils se livrent à une surenchère d’annonces spectaculaires, de coups de communication, de slogans et de paroles creuses, de coups de menton, de provocations censées remplir le vide laissé par leur démission. Il n’est pas d’aveu plus évident de l’impuissance et du renoncement politique que les gesticulations d’un fanfaron.
    • La déconnexion: le triomphe du grand guignol  est le signe de l’affaiblissement des courroies de transmission entre le politique et la société. Sur la dette publique, l’évolution des prélèvements obligatoires, la désindustrialisation,  la maîtrise des frontières, la poussée de la violence et de la barbarie, l’effondrement scolaire, l’autorité publique a largement intériorisé le sentiment de l’impuissance publique et de la perte de ses leviers d’action.
    • La post démocratie: le qualificatif de démocratie appliqué à la nation moderne est au cœur de la duperie. Il est admis une fois pour toute que l’élection se résume à une sorte de fête des illusions. Ce que pense le peuple n’a pas la moindre esquisse d’importance. L’avenir se prépare sans lui et en dehors de lui. Il est conçu par des forces et des individus prétendument détenteurs de la vérité, sur l’ Europe, les frontières, la sécurité, la morale, les impôts et la dette publique, l’éducation nationale, c’est-à-dire les grands sujets de l’époque.
    • L’extrémisme ou démagogie:  le néant des idées et des projets n’est en rien synonyme de tolérance, de concorde et de sagesse. C’est le contraire qui se produit. La nature ayant horreur du vide, le nihilisme se traduit par une fuite en avant dans la radicalisation et le sectarisme. Dès lors que le réel n’a plus la moindre importance, la politique devient surenchère de promesses démagogiques nonobstant les conséquences (sortie du nucléaire, revenu universel) et d’affrontement hargneux et sectaires entre fauves hystériques.
    • Le triomphe de l’indifférence: ce grand cinéma ou numéro d’illusionnisme se déroule sur fond d’indifférence générale. L’abstentionnisme (54% aux dernières législatives) est un mouvement de fond qui ne cesse de s’amplifier. La métamorphose de la vie politique en grand spectacle nihiliste pourrait susciter l’indignation et la révolte. Or ce phénomène n’est que sporadique et marginal. Le sentiment dominant est au repli individuel. Le destin collectif s’efface au profit de la quête d’une survie et la chute vertigineuse de la France, comme un radeau en perdition que le torrent entraîne vers le précipice, n’est pas la préoccupation des Français dans leur majorité.
    • L’irresponsabilité: l’indifférence générale est la porte ouverte à toutes les dérives et tous les abus. Les dirigeants peuvent faire absolument n’importe quoi aujourd’hui –  clanisme, copinage, corruption avérée, mensonges, contradictions, fautes monstrueuses aux conséquences tragiques, insultes contre la nation, trahison – les mécanismes de mise en jeu de leur responsabilité (politique, judiciaires) et de sanction sont comme neutralisés. Tout est possible et rien ne semble devoir les arrêter.
    • La culture de médiocrité: dans ce monde nouveau disparaissent les références historiques et intellectuelles. Il en faudrait sans doute peu pour démontrer la vanité, l’absurdité et la dangerosité du grand cirque. Mais elles ont disparu. L’éclat de voix  d’un footballeur, d’un présentateur de télévision d’une actrice de cinéma ou de n’importe quel pitre n’ayant jamais lu un livre vaut plus que la parole d’un écrivain du XXe siècle et n’importe quel tweet méchant écrase d’un coup de talon la pensée de Péguy ou de  Bergson. Sur ce terreau de médiocrité s’enracine le nouveau monde décrit ci-dessus.

    Maxime Tandonnet (Blog personnel de Maxime Tandonnet, 26 août 2020)

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  • Qui ensauvage la France ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Philippe Bilger, cueilli sur son blog Justice au singulier et consacrés  aux responsables de l'ensauvagement de notre pays, ensauvagement désormais évoqué, sinon admis, par les médias. Ancien magistrat, Philippe Bilger est notamment l'auteur de récits ou d'essais comme 20 minutes pour la mort (Rocher, 2011) ou Contre la justice laxiste (L'Archipel, 2014).

     

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    Qui ensauvage la France ?

     
    What do you want to do ?
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    Je l'avoue : j'ai un peu peur de formuler cette interrogation. Je pressens les tombereaux d'insultes qui vont se déverser sur moi, notamment dans ce cloaque qu'est souvent Twitter, et dont la moindre sera l'accusation de penser et d'écrire comme le RN. Ce reproche sera grotesque mais il constituera, comme d'habitude, l'argumentation simpliste de ceux qui n'en ont pas d'autre.

    Mais qu'importe ! L'avantage décisif d'une vie intellectuelle libre et dénuée d'ambition officielle est qu'elle a le droit de tout se permettre et de ne pas récuser l'expression de la vérité au prétexte que celle-ci sera jugée indécente, provocatrice, scandaleuse.

    Laissons immédiatement de côté les débats périphériques qui n'ont généralement pour objectif que de vous détourner du questionnement central, de la problématique radicale.

    L'ensauvagement et le doute lexical s'attachant à ce terme ne seront pas mon sujet.

    Pas davantage que celui de l'existence débridée d'une délinquance et d'une criminalité qui augmentent, notamment dans leurs manifestations quotidiennes de plus en plus liées à une contestation de l'autorité, quelle que soit sa forme. Même les naïfs ou les humanistes en chambre n'auront plus le culot ou l'inconscience de discuter le fléau de cette réalité mais tout au plus celui de son ampleur.

    Le coeur de mon billet va concerner cette interrogation dominante mais toujours éludée : qui ensauvage la France ?

    Il me plaît de donner une interprétation élargie de cette dérive car elle ne se rapporte pas qu'à la matérialité d'infractions portant atteinte aux personnes et aux biens mais aussi à des comportements et à des propos qui participent d'une dégradation honteuse et, le pire, revendiquée de la politesse sociale et du respect humain.

    Qui a traité Eric Zemmour de sous-humain avant de retirer son tweet sous l'effet d'une réprobation générale mais de "pisser" sur lui et ses soutiens ?

    Qui a vanté la pratique de la polygamie et insulté la police en prétendant qu'elle massacrait des gens à cause de la couleur de leur peau ?

    Qui a agressé et tué Philippe Monguillot à Bayonne parce que conducteur d'autobus exemplaire, il avait voulu faire respecter l'ordre et la loi ?

    Qui, sans permis, sous l'emprise de la drogue, récidiviste, a été responsable de la mort de la gendarme Mélanie Lemée ?

    Qui à Seynod a insulté et agressé des chasseurs alpins faisant tranquillement leur footing ?

    Qui multiplie les refus d'obtempérer, se soustrait aux interpellations de la police avec des conséquences souvent dramatiques que leur mauvaise foi et le soutien médiatique imputeront systématiquement aux FDO ?

    Qui dans les cités et les quartiers sensibles se livre au trafic de stupéfiants, terrorise les résidents honnêtes, empêche les interventions de la police ou n'hésite pas à exercer des violences de toutes sortes contre elle ?

    Qui tend des guet-apens aux pompiers et à la police ?

    Qui s'en est pris à des citoyens rappelant l'obligation du masque dans une laverie ou ailleurs ? Qui est revenu, après s'être vu interdire l'accès à un bus à cause de ce manque, pour frapper le conducteur ?

    Qui a mis en branle une effrayante bataille de rue à Fleury-Mérogis où deux bandes armées se sont opposées pour une "embrouille" de drogue ?

    Qui sème la panique dans les centres de loisirs, comme à Etampes récemment ?

    Qui commet des cambriolages où on défèque sur le visage d'une victime de 85 ans, comme au Croisic ?

    Qui, en bande, se comporte dans l'espace public comme en terrain conquis, sans souci d'autrui mais avec l'arrogante certitude de l'impunité ?

    Qui vient, jour après jour, remplir la déplorable chronique des transgressions, des plus minimes aux plus graves ?

    Qui, pour tout et n'importe quoi, s'en prend aux maires au point que l'un d'eux, frappé, doit se satisfaire d'un rappel à la loi pour son agresseur campeur violent, l'anonymat systématique concédé aux transgresseurs laissant présumer leur origine ?

    Qui sont ces jeunes Français interdits de revenir à la piscine d'une commune suisse proche de la frontière française, parce qu'ils perturbaient la tranquillité du lieu ?

    Qui, majeurs ou mineurs, se livrent au pire au point que la majorité des citoyens prend acte avec accablement de ce qui se commet sur tout le territoire national et n'espère plus le moindre redressement politique et judiciaire ?

    On comprendra que ces interrogations sont de pure forme puisqu'à tout coup la responsabilité incombe à des fauteurs d'origine étrangère, maghrébine ou africaine, parés nominalement de la nationalité française grâce à un droit du sol qui n'a plus aucun sens puisqu'on l'offre mécaniquement à des générations qui haïssent ce cadeau et dévoient cet honneur.

    Sans oublier les clandestins qui se glissent dans ces bandes ou participent à ces exactions.

    L'infinie pudeur médiatique avec laquelle, dans neuf cas sur dix, on occulte les identités est la preuve la plus éclatante de l'écrasante domination de ces Français dans le tableau pénal national et dans les prisons, notamment en Île-de-France.

    Le refus entêté d'authentiques statistiques ethniques est également un indice capital qui explique la répugnance de la bienséance à prendre la mesure d'une réalité qui démolirait ses préjugés et sa bonne conscience.

    Est-ce à dire qu'il n'existe pas des voyous français de souche ? Assurément il y en a mais leur rareté est démontrée par le fait troublant que, si l'un d'eux est impliqué - une agression contre une mosquée à Bayonne par exemple -, on peut être sûr qu'on aura son identité complète, son âge, son passé judiciaire et sa structure familiale. Ces données sont si chichement communiquées dans les comptes rendus habituels qu'aucune hésitation n'est possible et l'appréciation quantitative vite opérée.

    Qui ensauvage la France ? S'accorder sur le constat que je propose ne permettra pas de résoudre magiquement le problème lancinant causé par ces jeunes Français d'origine africaine ou maghrébine et ces étrangers en situation irrégulière (il va de soi que tous ne sont pas à stigmatiser dans ces catégories) mais au moins ne nous voilons plus la face.

    On a trop longtemps refusé de répondre à cette interrogation, non pas à cause d'une quelconque incertitude mais parce que la vérité nous aurait encore plus confrontés à notre impuissance. Le désarroi d'une démocratie désarmée, répugnant à user de tout ce qu'elle aurait le droit d'accomplir, aspirant à l'ordre mais sans la force !

    Et terrorisée, depuis trop longtemps, à l'idée d'aller sur les brisées du FN-RN... Paradoxalement, et tristement, en refusant de lui donner raison sur ce plan, on ne lui donne pas tort assez vigoureusement pour le reste...

    L'ensauvagement que je dénonce et que j'impute n'est pas relié à la dégradation apparemment paisible mais insinuante, irrésistible, de notre vivre-ensemble à cause d'un séparatisme, caractérisé notamment par le voile et dont la finalité est plus politique que strictement religieuse. Ni à des modalités d'éducation ni à des politiques sans doute critiquables, comme le regroupement familial, qui ont favorisé la concentration de communautés en des lieux qui ont été rendus invivables et délabrés au fil du temps.

    C'est la perversion des attitudes individuelles que je mets en cause, au singulier mais le plus souvent au pluriel. La société n'est pas créatrice de ces malfaisances répétées de toutes sortes.

    L'immigration légale n'est pas coupable mais la clandestine contre laquelle jusqu'à aujourd'hui on lutte mal. Et, au sein de la première comme de la seconde, les délinquants déshonorant l'une et profitant de l'autre.

    Les solutions pour combattre cette réalité, après en avoir pris acte sans barguigner, imposeront, outre un courage politique de tous les instants et une politique du verbe sans complaisance, expulsions et éloignements à un rythme soutenu, une action équitable dans sa rigueur, une police et une gendarmerie accordées avec une justice sans faiblesse, une exécution des sanctions efficace et réactive et, surtout, le retour des peines plancher sans lesquelles la magistrature ne tirera jamais assez la conséquence de certains passés judiciaires.

    Rien de plus navrant, en effet, qu'un Etat sans autorité, une justice sans crédibilité et des FDO sans soutien.

    Il conviendra de remettre en discussion, dans un débat honnête, sans excommunication, le droit du sol. Envisager, aujourd'hui, dans une France éclatée, son effacement n'est ni inhumain ni contraire à une tradition dont les effets sont devenus dévastateurs. Ou alors continuons à révérer, contre vents et marées, celle-ci, et laissons l'ensauvagement de notre pays se poursuivre. Notre noblesse abstraite sera garantie mais non la sauvegarde de notre nation.

    On sait qui ensauvage la France. Ne fermons plus les yeux.

    Apeuré légèrement en commençant ce billet, je le termine en le jugeant nécessaire et, je l'espère, convaincant.

    Philippe Bilger (Justice au singulier, 11 août 2020)

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