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Points de vue - Page 107

  • Le courage face au mensonge...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une vidéo d'Ego Non qui présente l’œuvre d'Alexandre Solenitsyne au travers du thème du refus du mensonge, qu'il a développé notamment dans son texte Le déclin  du courage.

     

                                             

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  • Une société en pleine décadence

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Maffesoli, cueilli sur Le Courrier des stratèges et consacré à la décadence de notre société que provoquent des élites qui se sont détournées de flux du vivant. 

    Penseur de la post-modernité, Michel Maffesoli a publié récemment  Les nouveaux bien-pensants (Editions du Moment, 2014) , Être postmoderne (Cerf, 2018), La force de l'imaginaire - Contre les bien-pensants (Liber, 2019) ou, dernièrement, La faillite des élites (Lexio, 2019).

     

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    Une société en pleine décadence

    S’accorder au cycle même du monde, voilà ce qui est la profonde sagesse des sociétés équilibrées. Tout comme, d’ailleurs, de tout un chacun. C’est cela même qui fonde le sens de la mesure. Le « bon sens » qui, selon Descartes, est la chose du monde la mieux partagée. Bon sens qui semble perdu de nos jours. Tout simplement parce que l’opinion publiée est totalement déconnectée de l’opinion publique.Mais pour un temps, sera-t-il long ? cette déconnection est quelque peu masquée. C’est la conséquence d’une structure anthropologique fort ancienne : la stratégie de la peur.

    La stratégie de la peur pour se maintenir au pouvoir

    D’antique mémoire, c’est en menaçant des supplices éternels de l’enfer que le pouvoir clérical s’est imposé tout au long du Moyen-Âge. Le protestantisme a, par après, fait reposer « l’esprit du capitalisme » (Max Weber) sur la théologie de la « prédestination ». Vérifier le choix de dieu : être élu ou damné aboutit à consacrer la « valeur travail ». L’économie du salut aboutit ainsi à l’économie stricto sensu !Dans la décadence en cours des valeurs modernes, dont celle du travail et d’une conception simplement quantitativiste de la vie, c’est en surjouant la peur de la maladie que l’oligarchie médiatico-politique entend se maintenir au pouvoir. La peur de la pandémie aboutissant à une psycho-pandémie d’inquiétante allure.Comme ceux étant censés gérer l’Enfer ou le Salut, la mise en place d’un « Haut commissariat au Bonheur » n’a, de fait, pour seul but que l’asservissement du peuple. C’est cela la « violence totalitaire » du pouvoir : la protection demande la soumission ; la santé de l’âme ou du corps n’étant dès lors qu’un simple prétexte.Le spectre eugéniste, l’aseptie de la société, le risque zéro sont des bons moyens pour empêcher de risquer sa vie. C’est-à-dire tout simplement de vivre ! Mais vivre, n’est-ce pas accepter la finitude ? Voilà bien ce que ne veulent pas admettre ceux qui sont atteints par le « virus du bien ». Pour utiliser une judicieuse métaphore de Nietzsche, leur « moraline » est dès lors on ne peut plus dangereuse pour la vie sociale, pour la vie tout court !

    La morale comme instrument de domination

    Étant entendu, mais cela on le savait de longue date, que la morale est de pure forme. C’est un instrument de domination. Quelques faits divers contemporains, animant le Landernau germanopratin montrent, à loisir que tout comme le disait le vieux Marx, à propos de la bourgeoisie, l’oligarchie « n’a pas de morale, elle se sert de la morale ».Le moralisme fonctionne toujours selon une logique du « devoir-être », ce que doivent être le monde, la société, l’individu et non selon ce que ces entités sont en réalité, dans leur vie quotidienne. C’est cela même qui fait que dans les « nuées » qui sont les leurs, les élites déphasées ne savent pas, ne veulent pas voir l’aspect archétypal de la finitude humaine. Finitude que les sociétés équilibrées ont su gérer.C’est cela le « cycle du monde ». Mors et vita ! Le cycle même de la nature : si le grain ne meurt… Qu’est-ce à dire, sinon que la beauté du monde naît, justement, de l’humus ; du fumier sur lequel poussent les plus belles fleurs. Régle universelle faisant de la souffrance et de la mort des gages d’avenir.En bref, les pensées et les actions de la vie vivante sont celles sachant intégrer la finitude consubstantielle à l’humaine nature. À la nature tout court, mais cela nous oblige à admettre qu’à l’opposé d’une histoire « progressiste » dépassant, dialectiquement, le mal, la dysfonction et pourquoi pas la mort, il faut s’accommoder d’un destin autrement tragique, où l’aléa, l’aventure le risque occupent une place de choix.

    Pour une philosophie progressive

    Et au-delà du rationalisme progressiste, c’est bien de cette philosophie progressive dont est pétrie la sagesse populaire. Sagesse que la stratégie de la peur du microcosme ne cesse de s’employer à dénier. Et ce en mettant en œuvre ce que Bergson nommait « l’intelligence corrompue », c’est-à-dire purement et simplement rationaliste.Ainsi le funambulisme du microcosme s’emploie-t-il pour perdurer à créer une masse infimie de zombies. Des morts-vivants, perdant, peu à peu, le goût doux et âcre à la fois de l’existence . Par la mascarade généralisée, le fait de se percevoir comme un fantôme devient réel. Dès lors, c’est le réel qui, à son tour, devient fantomatique.Monde fantomatique que l’on va s’employer à analyser d’une manière non moins fantomatique. Ainsi, à défaut de savoir « déchiffrer » le sens profond d’une époque, la modernité, qui s’achève, et à défaut de comprendre la postmodernité en gestation, l’on compose des discours on ne peut plus frivoles. Frivolités farcies de chiffres anodins  et abstraits. Il est, à cet égard, frappant de voir fleurir une quantophrénie ayant l’indubitabilité de la Vérité ! Carl Schmitt ou Karl Löwith ont, chacun à leur manière, rappelé que les concepts dont se servent les analyses politiques ne sont que des concepts théologiques sécularisés.La dogmatique théologique propre à la gestion de l’Enfer ou la dogmatique progressiste théorisant la « valeur travail » s’inversent en « scientisme » prétendant dire ce qu’est la vérité d’une crise civilisationnelle réduite en crise sanitaire. « Scientisme » car le culte de la science est omniprésent dans les divers discours propres à la bien-pensance.

    Cet étrange culte de la science

    Il est frappant d’observer que les mots ou expressions, science, scientifique, comité scientifique, faire confiance à la Science et autres de la même eau sont comme autant de sésames ouvrant au savoir universel. La Science est la formule magique par laquelle les pouvoirs bureaucratiques et médiatiques sont garants de l’organisation positive de l’ordre social. Il n’est jusqu’aux réseaux sociaux, Facebook, Tweeter, Lindkedin, qui censurent les internautes qui « ne respectent pas les règles scientifiques », c’est-à-dire qui ont une interprétation différente de la réalité. Doute et originalité qui sont les racines de tout « progrès » scientifique !Oubliant, comme l’avait bien montré Gaston Bachelard que les paradoxes d’aujourd’hui deviennent les paradigmes de demain, ce qui est le propre d’une science authentique alliant l’intuition et l’argumentation, le sensible et la raison, le microcosme se contente d’un « décor » scientiste propre à l’affairement désordonné qui est le sien.

    Démocrates, peut-être, mais démophiles, certainement pas

    Politiques, journalistes, experts pérorant jusqu’à plus soif sont en effet, à leur « affaire » : instruire et diriger le peuple, fût-ce contre le peuple lui-même. Tant il est vrai que les démocrates auto-proclamés sont très peu démophiles. Au nom de ce qu’ils nomment la Science, ils vont taxer de populistes, rassuristes voire de complotistes tous ceux qui n’adhèrent pas à leurs lieux communs.On peut d’ailleurs leur retourner le compliment. Il suffit d’entendre, pour ceux qui en ont encore le courage, leur lancinante loggorhée, pour se demander si ce ne sont pas eux, les chasseurs de fake news, qui sont les protagonistes essentiels d’une authentique « complosphère »[1]. Très précisément parce qu’ils se contentent de mettre le monde en spectacle.Pour reprendre le mot de Platon, décrivant la dégénérescence de la démocratie, la « Théâtrocratie » est leur lot commun. Politique spectacle des divers politiciens, simulacre intellectuel des experts de pacotille et innombrables banalités des journalistes servant la soupe aux premiers, tels sont les éléments majeurs constituant le tintamarre propre à ce que l’on peut nommer la médiocrité de la médiacratie.

    Face à l’inquisition de l’infosphère

    J’ai qualifié ce tintamarre « d’infosphère ». Nouvelle inquisition, celle d’une élite déphasée regardant « de travers » tout à la fois le peuple malséant et tous ceux n’adhérant pas au catéchisme de la bienpensance. « Regarder de travers », c’est considérer ceux et ce que l’on regarde en coin comme étant particulièrement dangereux. Et, en effet, le peuple est dangereux. Ils ne sont pas moins dangereux tous ceux n’arrivant pas à prendre au sérieux la farce sanitaire mise en scène par les théâtrocrates au pouvoir.Il faudrait la plume d’un Molière pour décrire, avec finesse, leurs arrogantes tartufferies. Leur pharisianisme visant à conforter la peur, peut aller jusqu’à susciter la délation, la dénonciation de ceux ne respectant pas la mise à distance de l’autre, ou de ceux refusant de participer au bal masqué dominant. Leur jésuitisme peut également favoriser la conspiration du silence vis-à-vis du mécréant. (celui qui met en doute La Science). Et parfois même aller jusqu’à leur éviction pure et simple des réseaux sociaux.Dans tous ces cas, il s’agit bien de la reviviscence inquisitoriale. La mise à l’Index : Index librorum prohibitorum. Délation et interdiction selon l’habituelle manière de l’inquisition : au moyen de procédures secrètes. L’entre-soi est l’élément déterminant de la tartufferie médiatico-politique. L’omerta mafieuse : loi du silence, faux témoignages, informations tronquées, demi-vérités, sournoiseries etc. Voilà bien le modus operandi de la fourberie en cours. Et tout un chacun peut compléter la liste de ces parades théâtrales.Voilà les caractéristiques essentielles de « l’infosphère », véritable complosphère dominante. Mafia, selon la définition que j’ai proposée des élites, rassemblant « ceux qui ont le pouvoir de dire et de faire ». Puis-je ici rappeler,  à nouveau,  une rude expression de Joseph de Maistre pour décrire ceux qui sont abstraits de la vie réelle : « la canaille mondaine ». Peut-être faudrait-il même dire « demi-mondaine ». Ce qui désigne, selon Alexandre Dumas, une « cocotte » richement entretenue et se manifestant bruyamment dans la sphère médiatique, le théâtre et la vie publique ou politique. Demi-monde on ne peut plus nébuleux dont les principales actions sont de déformer la réalité afin de la faire rentrer en congruence avec leur propre discours. Demi-mondaines entretenues par l’État ou les puissances financières de la démocratie afin de faire perdurer un état de choses désuet et rétrograde.Mais cette déformation de la réalité a, peu à peu, contaminé l’espace public.C’est cela le cœur battant du complotisme de « l’infosphère » : entretenir « mondainement » la peur de l’enfer contemporain. Anxiété, restriction des libertés acceptée, couardise, angoisse diffuse et tout à l’avenant au nom du « tout sanitaire ». Forme contemporaine du « tout à l’égoût » !

    Une vraie psycho-pandémie

    Sans nier la réalité et l’importance du virus stricto sensu, sans négliger le fait qu’il ait pu provoquer un nombre non négligeable de décès, ce qui n’est pas de ma compétence, il faut noter que le « virus » s’est introduit de manière essentielle dans nos têtes. Ce qui devrait nous conduite à parler d’une « psycho-pandémie » suscitée et entretenue par l’oligarchie médiatico-politique. Psycho-pandémie comme étant la conséquence logique de ce que Heidegger nomme la « pensée calculante » qui, obnubilée par le chiffre et le quantitatif et fascinée par une  logique abstraite du « devoir être », oublie la longue rumination de la « pensée méditante » qui, elle, sait s’accorder, tant bien que mal à la nécessité de la finitude.Voilà ce qui, pour l’immédiat suscite une sorte d’auto-anéantissement ou d’auto-aliénation conduisant à ce que ce bel esprit qu’était La Boétie nommait la « servitude volontaire ». Ce qui est, sur la longue durée des histoires humaines, un phénomène récurrent. Cause et effet de la stratégie de la peur qui est l’instrument privilégié de tout pouvoir, quel qu’il soit.Stratégie de la peur qui, au-delà ou en-deçà de l’idéal communautaire sur lequel se fonde tout être ensemble, aboutit, immanquablement à une grégaire solitude aux conséquences on ne peut plus dramatique : violence perverse, décadence des valeurs culturelles, perte du sens commun et diverses dépressions collectives et individuelles. L’actualité n’est pas avare d’exemples illustrant une telle auto-aliénation !Il est deux expressions qui devraient nourrir la pensée méditante, ce que Durkheim nomme le « conformisme  logique », ou ce que Gabriel Tarde analyse dans « les lois de l’imitation ». Des insanités déversées d’une manière lancinante, dans la presse écrite, radiophonique ou télévisuelle par l’oligarchie, au spectacle du bal masqué que nous offre la réalité quotidienne, on voit comment la stratégie de la peur induite par l’inquisition contemporaine aboutit à un état d’esprit tout à fait délétère, et on ne peut plus dangereux pour toute vie sociale équilibrée.Cette grégaire solitude est particulièrement angoissante pour les jeunes générations auxquelles est déniée tout apprentissage vital. Et c’est pour protéger des générations en fin de vie que l’on sacrifie une jeunesse qui est, ne l’oublions pas, la garante de la société à venir.De diverses manières de bons esprits ont rappelé qu’une société prête à sacrifier la liberté, la joie de vivre, l’élan vital en échange de sécurité et de tranquillité ne mérite ni les uns, ni les autres. Et, in fine, elle perd le tout. N’est-ce point cela qui menace, actuellement, la vie sociale en son ensemble ?

    De la raison sensible

    Mais une fois le diagnostic fait, il est nécessaire de formuler un pronostic pertinent. Ainsi, en accord avec le réalisme que l’on doit à Aristote ou à Saint Thomas d’Aquin, il faut savoir mettre en oeuvre un chemin de pensée alliant les sens et l’esprit. Ce que j’ai nommé la « raison sensible ». Voilà qui peut mettre à bas les châteaux de cartes du rationalisme étroit dans lequel les concepts abstraits servent de pseudo-arguments. Le bon sens et la droite raison réunis peuvent permettre de mettre un terme au brouhaha des mots creux. C’est bien d’ailleurs ce qui est en train de se passer sur les réseaux sociaux dans lesquels grâce aux tweets, forums de discussion, échanges sur Facebook, sites et blogs de résistance divers et presse en ligne est en train de s’élaborer une manière de penser et d’agir différente. Il faut être attentif à la société officieuse en gestation, totalement étrangère à la société officielle propre à l’oligarchie médiatico-politique.Il est une heureuse expression que l’on doit à l’universitaire et homme politique Pierre-Paul Royer-Collard (1763 – 1845) qu’il est utile de rappeler de nos jours. C’est ainsi qu’il oppose « le pays légal au pays réel ». Par après cette opposition a été reprise, diversement, par Auguste Comte ou Charles Maurras. Mais elle a l’heur de nous rappeler que parfois, il existe un divorce flagrant qui oppose la puissance populaire, puissance instituante, au pouvoir officiel et institué. C’est ce qui permet de saisir la lumière intérieure du bon sens populaire. C’est ce qui permet de comprendre qu’au-delà de la décomposition d’une société peut exister une renaissance. C’est cette métamorphose qui est en cours. Et au-delà de la soumission induite par la protection, c’est dans le « pays réel » que se préparent les soulèvements fondateurs d’une autre manière d ‘être ensemble.Ainsi de la révolte des « gilets jaunes » à la résistance, multiforme, à la mascarade, à la distanciation, voire aux vaccins, c’est une métamorphose sociétale qui se prépare. Le « monde d’après » est déjà là. Métamorphose qui bien évidemment à ce que Vilfredo Pareto nommait, avec pertinence, la « circulation des élites ». 

    La faillite des élites est déjà là

    Une telle circulation est inéluctable. La faillite des élites est, maintenant, chose acquise. La forte abstention aux diverses élections, la désaffection vis-à-vis des organes de presse, émissions de télévision ou radio en portent témoignage. Ce que l’on peut appeler « des bulletins paroissiaux » n’intéresse que des affidés, des petites sectes médiatico-politiques se partageant le pouvoir.Or le propre des « sectaires » est, en général, d’être totalement aveugles vis-à-vis de ce qui échappe à leur dogmatique. C’est ainsi que tout en considérant cela comme dangereux, ils sont incapables de repérer et de comprendre ces indices hautement significatifs que sont les rassemblements festifs se multipliant un peu partout. Il en est de même des multiples transgressions aux divers « confinements » et autres « couvre-feu » promulgués par l’appareil technico-bureaucratique. Et l’on pourrait multiplier à loisir des exemples en ce sens.Lorsque dans les années 70, je soulignais que la vraie violence, la « violence totalitaire » était celle d’une « bureaucratie céleste » voulant aseptiser la vie sociale et ce en promulguant la nécessité du risque zéro, je rappelais qu’à côté d’une soumission apparente existaient une multiplicité de pratiques rusées. Expression d’une duplicité structurelle : être tout à la fois double et duple.Il s’agit là d’un quant à soi populaire assurant, sur la longue durée, la survie de l’espèce et le maintien de tout être ensemble. C’est bien un tel « quant à soi » auquel l’on rend attentif tout au long de ces pages. Il témoigne d’une insurrection larvée dont la tradition donne de nombreux exemples et qui ponctue régulièrement l’histoire humaine.Duplicité anthropologique de ce bon sens dont Descartes a bien montré l’importance. Duplicité qui à l’image de ce qu’il disait : « larvatus prodeo », l’on s’avance masqué dans le théâtre du monde. Mais il s’agit là d’un masque provisoire qui sera, plus ou moins brutalement, ôté lorsque le temps s’y prêtera. Et ce en fonction du vitalisme populaire qui sait, de savoir incorporé, quand il convient de se soulever. Et ce avant que le bal masqué ne s’achève en danse macabre !
     
    Michel Maffesoli (Le courrier des stratèges, 22 janvier 2021)
     
    [1] Je renvoie ici à la lucide et sereine analyse de Raphaël Josset, Complosphère. L’esprit conspirationniste à l’ère des réseaux, Lemieux éditeurs, 2015
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  • Végéter est-il l’impératif catégorique et sanitaire du troisième millénaire ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Marco Tarchi, cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré à l'idéal sanitaire promu par le système. Professeur de sciences politiques à l’Université de Florence et rédacteur en chef de Diorama Letterario, Marco Tarchi a été dès la fin des années 70 un des principaux promoteurs des idées de la Nouvelle Droite en Italie.

     

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    Végéter est-il l’impératif catégorique et sanitaire du troisième millénaire ?

    Il serait difficile de trouver quelque chose de plus emblématique de la condition psychologique et culturelle que notre époque expérimente, et en même temps de plus avilissant – si on ne veut pas aller jusqu’à l’adjectif « répugnant » – que les spots que le gouvernement allemand a diffusés pour convaincre ses citoyens de respecter de la manière la plus rigide les recommandations de limitations de la liberté de mouvement imposées afin de circonscrire la contagion au Covid-19. Dans le premier de ceux-ci, un garçon d’une vingtaine d’années, vautré à la maison sur son divan, canette de Coca-Cola en main et patates frites à portée de bouche, noie dans l’ennui une journée inutile. Dans le second, le même, hypothétique étudiant ingénieur à l’Université de Chemnitz, partage son aboulie avec sa petite amie ; du divan on est passé au lit, et pour réjouir l’inertie on est passé à de copieuses portions de poulet frit. Dans le troisième, le centre de l’attention, « Tobi le paresseux », autodéfinition qui va de soi, passe son temps devant son ordinateur mangeant des raviolis froids à même la boîte sans se soucier de les réchauffer. Ces scènes sont situées dans l’ambiance du « terrible » hiver 2020 ; et pour les accompagner, outre une musique de fond suggestive, on retrouve dans le futur les mêmes protagonistes vieillis, qui se vantent de l’« aventure » vécue un demi-siècle plus tôt qui les a contraint à se barricader dans leur maison et à ne rien faire, devenant ainsi – pour avoir scrupuleusement veillé à ne pas être des véhicules de la contagion – des héros. Ce dernier qualificatif plusieurs fois répété (on pourrait s’attendre à ce que Tobi reçoive une médaille pour son absence exemplaire de vie en société) est associé à d’autres mots non moins dissonants comme « destin », « devoir social », « destin de la nation », et le désormais omniprésent « ennemi invisible ».

    Idéal sanitaire, phase post-goebbelsienne de l’appareil de propagande

    On ne peut s’étonner que le produit de cette phase post-goebbelsienne de l’appareil de propagande de guerre allemand ait enchanté simultanément des médias comme Vanity Fair, Il Foglio [périodique néo-conservateur italien (NDT)], La Repubblica (quotidien italien libéral-libertaire), d’accord pour le trouver « génial », ni que son ironie peu subtile soit louée par les publicitaires italiens. En effet, que peut-on trouver de mieux pour décrire le type d’homme idéal (et de femme, cela va sans dire) de la Cosmopolis souhaitée par les partisans de l’idéologie des « droits humains » : un consommateur produit en série, se nourrissant de rebuts, prêt docilement à obéir à l’appel des autorités démocratiques et des mass médias et à se réfugier, sans plus réagir, dans l’individualisme le plus grégaire et le plus strict, se remontant le moral à coups de visioconférences, de chats en ligne, de séries sur quelque plateforme de multi-médias, et, pourquoi pas ? de signatures virtuelles de pétitions pour soutenir les causes du « genre » ou de l’« inclusivité » disponibles sur ces mêmes sites.

    Progresse également ainsi, sur les ailes de la peur instillée par une incessante communication anxiogène, cette mutation anthropologique graduelle qui, en quelques décennies, a trouvé dans les épisodes épidémiques un nouveau véhicule de grande efficacité. De fait, l’ablation des liens interpersonnels est recommandée, avec une emphase et une fréquence toujours s’accélérant, comme l’unique remède possible pour se mettre à l’abri de la contagion du virus ; et certains arrivent à y voir des aspects positifs. On ne s’étonnera pas qu’au nombre de ceux-ci, se trouve Bill Gates, prêt à décrire le monde futur avec des accents guère empreints de préoccupation sociale : pour un certain nombre d’années, nous confie-t-il, nous aurons au moins une atmosphère plus pure, car avec une baisse de 50 % des voyages, les émissions de gaz à effet de serre se réduiront considérablement, même si cela nous contraint à avoir peu d’amis. Le télétravail prospèrera – et avec lui, pourrait-on ajouter, l’utilisation ultérieure de produits Microsoft – et les rapports sociaux seront atrophiés. Cette perspective ne semble pas susciter d’inquiétudes excessives ni parmi les intellectuels médiatisés, ni parmi les politiques, ni parmi les scientifiques.

    La vie à tout prix

    Parmi les intellectuels médiatiques, nombreux ceux qui invoquent un « droit à la santé », concept purement insensé, que personne ne songerait à opposer à la survenue d’un infarctus, d’une hémorragie cérébrale ou d’une forme grave de tumeur, sachant bien qu’aucun sujet frappé de pathologies de ce type ne saurait être en mesure d’exercer ce droit, auquel serait substitué le réel et souhaitable droit au soin ; un « droit à la santé » plus fort que n’importe quelle peur de délitement du lien social.

    Presque tous les seconds [les politiques (NDT)] suivent comme un seul homme et ne songent qu’à calmer les protestations légitimes des catégories productives pénalisées par les fermetures imposées, à coup d’aides comme s’il en pleuvait et en bonne partie à fonds perdus qui seront payés ultérieurement moyennant de substantielles augmentations de charges fiscales, car le déficit de l’État ne pourra pas être maintenu éternellement. Les conséquences de l’obligatoire (et désirée) « distanciation » sur la capacité de résistance du tissu social les laisse tout à fait indifférents.

    Enfin, quant aux experts médiatiques, leur conviction unanime – que la vie compte plus par la dimension quantitative de sa durée que par sa qualité – s’exprime au quotidien dans les modalités les plus diverses sur toutes les scènes télévisées, radiophoniques ou imprimées…

    À elles trois, ces composantes fondamentales de la classe dirigeante des démocraties occidentales (ces régimes qui devraient incarner le meilleur des modèles possibles de gouvernement des « pays avancés ») en viennent à oublier un aspect incontournable de la réalité, en raison même de la cécité induite par le conformisme de fer du politiquement correct : l’impossibilité d’éliminer le risque de l’existence humaine, aussi bien individuelle que collective. Et encore plus la douloureuse nécessité de l’accepter.

    Le « végéter » se substitue au « vivre »

    Pendant des millénaires, la culture des peuples – de tous les peuples de la terre – s’est résignée à cet état de fait et l’a reliée à la volonté impénétrable du Destin et/ou de la divinité vénérée, et l’a incorporé dans le système de normes destiné à gouverner la vie des communautés. L’illusion prométhéenne typique de la modernité, alimentée par les préjugés du rationalisme comme les époques précédentes pouvaient l’être par ceux de la magie, a poussé certains, pas uniquement dans les milieux scientifiques, à croire qu’il était possible et même nécessaire de se rebeller contre cette loi de la nature. Et que l’existence individuelle puisse et doive être exemptée de l’aléa de l’imprévisible et de l’inattendu. Étanche, tenue sous contrôle – sécurisée, pour le dire dans la novlangue à la mode – et ce dans tous les cas. Avec pour conséquence de suivre et célébrer un horizon idéal dans lequel le végéter se substitue au vivre.

    À l’exhibition de corps à l’état végétatif, magnifiée par les spots allemands, vient un message qui associe le refus du risque à un acte d’héroïsme. Un contresens formidable, mais qui explique mieux que toute autre chose la substance profonde de l’esprit du temps dans lequel nous vivons.

    Qui refuse cette vision se voit automatiquement attribuer un caractère d’insensibilité, sinon de folie. La vieille figure du pestiféré à assigner à résidence revient sous forme de menace dans l’imaginaire collectif sur fond de débats qui remplissent les talk-shows, pendant que l’opinion publique se sépare verticalement dans tous les pays frappés par l’épidémie : entre les terrorisés qui se réjouissent du panorama spectral de cités désertes et qui voudraient les voir telles au moins jusqu’à l’épiphanie d’un miraculeux vaccin et ceux qui souffrent du confinement et attendent le moindre signe de retour à la normale pour replonger dans les rites de masse de l’apéritif.

    Réinsérer le risque dans l’horizon de la normalité

    À la stupidité du négationnisme – que quelqu’un exagérant et plaisantant un peu trop avec les données de la biologie (qui, dans le passé, a donné lieu à des utilisations politiques quelque peu problématiques), a pu définir comme le fruit d’un « processus mental non éloigné de celui qui survient dans certains types de démence » –, est opposée une autre forme de stupidité, à la fois identique et contraire, laquelle conduit à l’incompréhension et au refus des raisons de ceux qui, à un scénario de restrictions permanentes de la liberté de mouvement, d’obligation sine die d’endosser des masques chirurgicaux, de maintenir un mètre quatre-vingt de distance avec le prochain et d’éviter les « lieux de sociabilité » et les rencontres avec famille et amis, préfèreraient un autre scénario où, tout en respectant pourtant de manière temporaire les mesures adéquates de prudence, le risque serait accepté et graduellement réinséré dans l’horizon de la normalité.

    La diabolisation de ce choix et l’insistance anxiogène autour de présages funestes, sur le vaccin qui ne fonctionnera pas ou aura des effets limités dans le temps, sur les mortifères « troisièmes vagues » (et les suivantes en préparation), auront quasi certainement des effets opposés à ceux espérés, précipitant des strates croissantes de la population dans un état de prostration psychologique difficilement récupérable, dont on constate déjà les évidents symptômes. Mais apparemment, les dogmes idéologiques qui dominent la scène culturelle contemporaine empêchent d’accepter quelque attitude de confrontation à l’existence qui puisse paraître excessivement virile, et donc – dans l’expression banalisante de la vulgate progressiste – « machiste ».

    Végéter devient donc l’impératif catégorique du troisième millénaire. Il ne reste qu’à espérer qu’un jour, un sursaut d’orgueil collectif, face à une perspective aussi déprimante, puisse se transformer en  sérieuse et sacrosainte réaction ; et de faire, chacun à son niveau, tout son possible pour qu’une telle réaction advienne.

    Marco Tarchi, traduit de l’italien par Claude Chollet (Site de la revue Éléments, 15 janvier 2021)

     

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  • Ami - Ennemi, le fondement du politique...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une vidéo d'Ego Non qui présente l’œuvre de Carl Schmitt au travers de l'un de ses essais, La notion de politique (1932), essai dans lequel il identifie la distinction Ami - Ennemi comme fondement du politique.

                            

     

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  • Demain la sécession ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Julien Dir, cueilli sur Breizh Info et consacré à la signification profonde de la "prise" du Capitole par les manifestants trumpistes à Washington.

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    Sécession. La fracture civile, culturelle, politique et ethnique aux USA, demain dans toute l’Europe ?

    Les évènements qui se sont déroulés le 6 janvier 2021 dans le Capitole, à Washington, sont historiques. Non pas parce que les manifestants ayant répondu à l’appel de Donald Trump ont réussi un « coup d’État » – ils n’ont rien réussi du tout si ce n’est à être repoussés et à perdre la vie pour 4 d’entre eux sous les balles de la police américaine.

    Non, c’est historique parce qu’inédit (jamais par le passé des manifestants n’avaient pénétré dans le Capitole, jamais non plus le symbolique drapeau Confédéré n’y était rentré…). Parce que c’est le cri de rage de ce peuple sur qui la petite caste politico-médiatique et économique aux manettes, urine depuis depuis des années.

    Il fallait les lire, ce mercredi soir, en France, les Twittos affolés dans les rédactions mainstream, dans les cabinets ministériels. Ils n’avaient pas assez de mots pour décrire leur indignation, leur colère, face à ce coup médiatique réussi mais coup politique échoué (pour le moment). Il fallait les voir ces sénateurs américains, qui prétendent pourtant à faire la pluie et le beau temps d’une des plus grandes puissances mondiales, paniqués, planqués, terrés les uns contre les autres, de peur d’avoir à rendre directement des comptes aux manifestants dans l’enceinte de ce parlement.

    Au delà de ce symbole, ce sont les États-Unis qui sont tout simplement en train d’exploser. Géographiquement, politiquement, culturellement, ethniquement. L’American Way of Life, fantasme de notre petite élite qui multiplie les allers retours outre Atlantique, s’effondre. Le pays est bien trop divisé, les intérêts des uns et des autres bien trop divergents, pour que cela tienne.

    Les « minorités » ethniques sont en passe de ne plus l’être, tandis que la majorité blanche est elle aussi en passe de ne plus être une majorité. Si vous changez la structure ethnique progressive d’un pays, alors il est normal que le pays ne soit plus le même. Culturellement, politiquement, les USA sont divisés entre ceux qui ont fait de ce pays le berceau universitaire de toutes les idéologies les plus folles qui déferlent aujourd’hui sur l’Europe (Gender, LGBTisme, droits des minorités…) et ceux qui entendent bien ne pas céder le moindre centimètre aux fossoyeurs de la famille traditionnelle, de la vie, de l’identité qui a majoritairement contribué à forgé les USA.

    On pourrait dire que « cela ne nous regarde pas », nous les Européens, et nous aurions tort. Depuis qu’ils ont « libéré » le vieux continent à la fin de la Seconde guerre mondiale, les Yankees n’ont eu de cesse de vouloir coloniser l’Europe pour mieux la dominer. Une colonisation mentale, spirituelle, culturelle, commerciale, économique et politique. De Mac Donald's à Deliveroo, de la TV Realité à Netflix, les américains nous ont imposé leur façon de voir le monde. Et pour asservir cette domination, ils ont fondé et dominé durant des décennies les institutions mondiales, de l’OTAN à l’ONU, en passant par l’OMS et toutes les organisations dirigées par la petite caste, et jamais élues par les peuples du monde.

    Ce qui se produit aujourd’hui aux USA arrivera demain, en Europe, et nous commençons déjà à le voir germer. Au nom d’une mondialisation pour laquelle les peuples n’ont pas signé, il se trouve aujourd’hui en Europe beaucoup trop d’ethnies, de religions et de cultures différentes, qui, démographiquement nombreuses, ne pourront pas vivre ensemble à terme.

    Le poison gauchiste/progressiste américain à la sauce Evergreen a par ailleurs contaminé une partie de nos élites, mais aussi de nos universités. Ce qui fait qu’aujourd’hui, ceux qui sont formatés à ce modèle et ce qui y sont formellement opposés ne peuvent plus se parler, se comprendre, et demain, ne pourront plus vivre ensemble, c’est certain.

    Nos élites sont culottées. Cela fait des décennies que certains annoncent le péril en la demeure, que ce soit aux USA comme en Europe, et voici qu’ils accusent maintenant ici les Trumpistes, là les « populistes » ou encore les « factieux d’extrême droite » (et toute la ribambelle de sobriquets dont on affuble désormais les opposants au système, du complotiste au survivaliste….) de semer les germes de la discorde. Alors même que ce sont eux, ceux qui se repassent les postes importants depuis des décennies, comme on passe d’un ministère en France à un poste de diplomate à l’OMS encore en 2021 malgré un échec patent, qui ont tout cassé.

    Non messieurs. Un peu de sérieux. Si Sécession il y a un jour – et elle est bien partie pour exister, au moins demain aux USA – ce sera de votre faute. Vous avez voulu imposer un modèle multiculturel, multi confessionnel, et une mondialisation destructrice, à des peuples qui ne se sont jamais prononcés dans les urnes pour cela. Vous avez voulu mélanger sur des territoires restreints des peuples du monde entier qui pourtant, durant des siècles, ont fait en sorte de vivre tranquillement et plutôt paisiblement chacun sur leurs terres. Vous ne cessez de vouloir culpabiliser l’homme blanc, et ses millénaires d’histoire, tout en prônant la destruction de la cellule familiale et le règne à venir de la femme consommatrice et libérée n’ayant pratiquement plus besoin d’hommes pour se reproduire.

    Et vous vous plaignez ensuite que votre cible refuse de se laisser abattre ? Vous ne comprenez pas que des hommes et des femmes qui portent en eux des siècles d’histoire, de conquêtes, d’inventions, de génies, refusent de mourir ?

    Il serait grand temps d’ouvrir les yeux. Le monde occidental ne se résume pas à celui que l’institut de propagande Netflix voudrait nous décrire dans ses films et ses séries.

    Il y a dans tout l’Occident, des Européens et des descendants d’Européens qui ne se rendront jamais. Les évènements du 6 janvier en sont un petit aperçu.

    « Jouez pas aux cons avec nous ». Tyler Durden.

    Julien Dir (Breizh-info, 8 janvier 2021)

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  • Make America gentle again ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Philippe Duranthon, cueilli sur Geopragma et consacré au faible impact qu'aura l'élection de Joe Biden sur les constantes de la politique étrangère américaine. Jean-Philippe Duranthon est haut-fonctionnaire et membre fondateur de Geopragma.

     

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    Make America gentle again ?

    1/ La présidence de D.Trump se terminera donc comme certaines œuvres de Shakespeare, dans le bruit et la fureur, dans un mélange de tragique et de farce où l’on ne sait plus trop qui est le bouffon et qui est son maître. De quoi donc l’Amérique est-elle désormais le nom ? Jusqu’alors elle représentait la liberté, le dynamisme et la réussite ; aujourd’hui le déferlement de cancel culture et de philosophie woke, d’un côté, l’incapacité à reconnaître ses échecs, de l’autre, associent l’Amérique au déni de réalité.

    Mais les Etats-Unis ont désormais le visage de J.Biden dont la victoire a, certes dans des conditions ahurissantes, été « certifiée » par le Congrès le 6 janvier. Le 6 janvier, c’est le jour pendant lequel les Anciens fêtaient la renaissance de la lumière, source de toute vie, c’est aussi le jour pendant lequel les Chrétiens se réjouissent de la venue de Dieu au monde, venue reconnue et saluée (« certifiée », est-on tenté d’écrire) par les Rois Mages. Doit-on en conclure que J.Biden permettra, comme un autre dirigeant il y a quarante ans, de « passer de l’ombre à la lumière » et apportera l’amour à l’humanité ? Beaucoup, en Europe et particulièrement en France, l’espèrent, voire en sont persuadés.

    Bien sûr, disparaîtront les tweets rageurs, les foucades inattendues et intempestives, les propos vulgaires et les accusations simplistes. Très certainement, la diplomatie sera plus policée et plus courtoise. Sans doute, les Etats-Unis respecteront davantage les accords internationaux, joueront plus que ces dernières années le jeu des organisations internationales et recourront moins au protectionnisme. Mais peut-on espérer que J.Biden fera évoluer la politique étrangère américaine d’une façon favorable à nos espoirs et nos intérêts ?

    2/ Les Etats-Unis n’ont pas attendu D.Trump pour considérer que leur principale menace venait de Chine. B.Obama a cherché à manier à la fois le dialogue dans le domaine économique et l’affirmation de sa puissance aéronavale, puis D.Trump a joué la carte du protectionnisme : les deux ont largement échoué et ont même aidé la Chine à accélérer son autosuffisance et à légitimer sa montée en puissance. Quelle tactique J.Biden utilisera-t-il et celle-ci aura-t-elle davantage de succès ? Rien n’est moins certain et l’Union européenne l’a anticipé il y a quelques jours en signant avec la Chine un accord sur les investissements, montrant qu’elle avait compris qu’elle devait compter sur ses propres forces. Mais cet accord est plus de l’affichage qu’un acte engageant puisqu’il est muet sur les sujets qui handicapent le plus les entreprises européennes : la propriété industrielle, les transferts de technologie, les soutiens publics. La puissance militaire chinoise continuera de croître au moins aussi vite que le PIB du pays, la zone d’influence économique, donc politique, de la Chine continuera de s’étendre comme l’a montré en novembre la signature par quinze pays asiatiques du « Partenariat régional économique global » (RCEP) et les nouvelles routes de la soie continueront d’ouvrir les marchés européens aux entreprises chinoises ; gageons que J.Biden n’y changera pas grand-chose.

    3/ Au Moyen-Orient le mandat de D.Trump s’achève en même temps qu’est franchie une étape importante de la recomposition régionale initiée par la seconde guerre du Golfe et poursuivie par le « printemps » arabe, qui ont l’une et l’autre dynamité les équilibres antérieurs. D’une part, les Emirats Arabes Unis et Bahreïn ont engagé en août un processus de reconnaissance de l’Etat d’Israël auquel le Maroc et le Soudan se sont joints et que l’Arabie Saoudite rejoindra très probablement à brève échéance. D’autre part, les monarchies du Golfe ont fait taire leurs divergences et le Qatar a été réintégré dans le Conseil de coopération du Golfe Persique. Le résultat est clair : Israël et l’Arabie Saoudite, longtemps ennemis mais ayant peu à peu fait taire leur aversion mutuelle, sont à présent les deux piliers d’une alliance régionale contre l’Iran soutenue avec force et moyens par les Etats-Unis. Subsistent cependant deux ombres à ce beau tableau : la Syrie, où la Russie et la Turquie ont empêché l’achèvement du processus de dislocation, et le besoin qu’a R.Erdogan de faire oublier ses échecs économiques par des rodomontades militaires dans les zones à population kurde et dans le bassin méditerranéen oriental. Certains mauvais esprits remarqueront que la situation des Palestiniens n’est toujours pas réglée, mais les Palestiniens n’intéressent plus personne – sauf les Iraniens bien sûr, par Hezbollah interposé, mais par sollicitude réelle ou pour disposer d’une future monnaie d’échange ?

    Il est peu probable que J.Biden ait l’intention de remettre en cause cette belle construction dont les principes correspondent aux objectifs retenus par les Etats-Unis depuis au moins vingt-cinq ans, sous les mandatures démocrates comme républicaines. Il s’est certes dit, durant la campagne électorale, déterminé à réintégrer l’accord JCPOA sur le nucléaire signé en 2015 – donc lorsqu’il était Vice-président – par l’Iran, les Etats-Unis, la Chine, la Russie, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France et dénoncé par D.Trump en 2018. Mais il a ajouté souhaiter élargir le champ de l’accord, ce qui réduit singulièrement la portée de l’intention et permettra de justifier tout échec, y compris volontaire, des négociations.

    Les Français n’ont donc ici pas grand-chose à espérer de lui : bien qu’elle ait joué le rôle de supplétif américain en Syrie, la France est sortie du processus de paix en cours et l’on ne voit pas pourquoi les leçons données par E.Macron à la classe politique libanaise inciteraient J.Biden à l’y réintégrer. De même, J.Biden ne va pas reprocher au prince héritier saoudien l’accolade qu’il a donnée récemment à l’émir du Qatar bien qu’elle ait pour conséquence de permettre à ce dernier de continuer à favoriser les ambitions des Frères Musulmans en France et dans tout le pourtour méditerranéen. Enfin, il est peu probable que J.Biden accepte de lever l’embargo pesant sur l’Iran avant l’adoption d’un nouvel accord : un tel accord étant bien incertain, les entreprises françaises ne sont pas prêtes de retrouver les marchés qu’elles avaient, grâce à leurs compétences, conquis dans ce pays.

    4/ C’est l’administration démocrate de B.Obama qui a officiellement reconnu que l’Europe n’est plus la priorité des Etats-Unis : en 2011 H.Clinton, alors Secrétaire d’Etat, a revendiqué un basculement vers l’Asie, l’« Asian pivot ». D.Trump n’a fait que renchérir, notamment en faisant valoir que les Européens ne dépensaient pas suffisamment pour leur propre défense. Mais l’attitude américaine est en fait plus complexe puisque les Etats-Unis ne se privent pas d’utiliser l’OTAN pour influencer la politique étrangère des pays européens et pour faire pression pour qu’ils achètent du matériel militaire américain, freinant de ce fait le développement d’une industrie d’armement européenne. On aurait pu penser que la franchise de D.Trump et ses mauvaises relations avec la chancelière allemande auraient incité les Européens à prendre davantage en main leur propre destin mais ces derniers ont préféré concentrer leurs efforts sur les mesures économiques et sur l’attribution de nouveaux pouvoirs financiers à la Commission. Bien plus, la ministre de la Défense d’Allemagne, dont on pouvait attendre qu’elle favorise l’identité européenne, d’autant que les Etats-Unis sont en train de repositionner une partie de leurs troupes stationnées dans son pays, a préféré déclarer que « l’idée d’une autonomie stratégique de l’Europe va trop loin si elle nourrit l’illusion que nous pourrions assurer la sécurité, la stabilité et la prospérité de l’Europe sans l’OTAN ni les Etats-Unis ». Il est peu probable que J. Biden rompe avec la politique de ses prédécesseurs qui parvient à concilier un relatif désengagement militaire avec le maintien d’un contrôle des stratégies diplomatiques des Européens. Il continuera à pointer du doigt, comme les Démocrates le font avec constance depuis quatre ans, les accointances réelles ou supposées de D.Trump avec les responsables russes, ce qui l’aidera à présenter la Russie comme animée de la même volonté expansionniste que l’URSS : il pourra ainsi empêcher la constitution d’une Europe s’étendant de l’Atlantique à Oural, qui constituerait un troisième pôle mettant à mal le duopole sino-américain.

    A l’outil militaire s’ajoute d’ailleurs l’outil juridique. En faisant condamner par la justice américaine, en application de lois américaines, des entreprises et des banques étrangères qui ont commercé avec des pays frappés d’un embargo américain, les Etats-Unis ont mis en place de manière purement unilatérale un système d’extraterritorialité du droit américain. Or ceci est l’œuvre, non de D.Trump, mais de B.Obama et Technip, Alcatel-Lucent, Total, BNP-Paribas, Alstom et le Crédit Agricole ont versé 11,4 Md$ au fisc américain entre 2010 et 2015, donc sous une présidence démocrate. Est-il raisonnable d’imaginer que J.Biden remettra en cause ce dispositif institué lorsqu’il était Vice-Président, alors même que le Congrès, avec l’adhésion des Démocrates, vient de le renforcer et de l’étendre en adoptant l’Anti-Money Laundering Act qui, au nom bien sûr de la lutte contre la corruption, permet désormais au Department of the Treasury et au Department of Justice d’accéder aux comptes des banques étrangères et, en cas de refus, d’infliger une amende à l’établissement financier récalcitrant et de lui interdire toute relation avec ses homologues américains ?

    5/ Les présidents des Etats-Unis ont également fait preuve de leur capacité à promouvoir et défendre leurs grands champions économiques exerçant leur activité dans les domaines de souveraineté. Les GAFA sont devenus d’extraordinaires machines de captation des revenus publicitaires (Google et Facebook recueillent 50 % de la publicité en ligne mondiale) mais surtout des données individuelles et, comme l’actualité le montre, des instruments d’une censure collective ou privée extrajudiciaire ; incapable de faire émerger des concurrents, l’Europe n’a trouvé de solution que dans la voie fiscale mais le dernier épisode du feuilleton de la « taxe GAFA » n’est pas pour demain : les membres de l’équipe de J.Biden qui ont exercé des responsabilités dans un des GAFA ou chez Twitter seront attentifs à ce dossier, comme l’ont été leurs prédécesseurs des équipes de B.Clinton ou de B.Obama. Dans le domaine spatial, le contraste est grand entre, d’un côté Blue Origin et Space X qui, grâce aux financements apportés par la NASA, ont fait le pari des ruptures que sont la réutilisation des lanceurs et la miniaturisation des satellites, ce qui permet de réduire drastiquement les coûts, et de l’autre Arianespace qui a conçu Ariane 6 en fonction des conceptions traditionnelles ; de même, la Commission européenne a attendu décembre dernier pour annoncer la sélection de neuf entreprises chargées d’une étude de faisabilité d’un réseau de communication par satellites alors que Space X a commencé dès mai 2019 le déploiement de sa constellation Starlink dont 895 satellites avaient déjà été déployés fin octobre dernier. Dans le domaine médical enfin, il est frappant de constater que les deux premiers vaccins contre la Covid, ceux de Pfizer et de Moderna, sont américains et utilisent une technologie nouvelle, passant par l’ARN, permettant une mise sur le marché plus rapide. 

    Les Européens, clairement à la traîne des Etats-Unis dans ces domaines, sont toutefois en grande partie responsables de cette situation. Si les Américains ont une plus grande capacité à discerner les évolutions technologiques et à financer les initiatives disruptives, au nom de quoi pourrait-on le leur reprocher ? Les start-up françaises savent que pour se développer elles trouveront davantage de capitaux auprès d’investisseurs américains (ou chinois) qu’auprès de leurs homologues français, d’autant que, sauf dans l’aéronautique et l’énergie, les grands groupes français privés ont peu d’appétit pour les domaines de souveraineté (le luxe représente 33 % de la valorisation du CAC 40). 

    Si les Européens veulent corriger ce déséquilibre, ils doivent donc compter sur eux et non attendre de J. Biden une remise en cause d’un système dont les performances sont indubitables.

    6/ J.Biden gouvernera très probablement selon des méthodes et avec un style qui n’auront pas grand-chose à voir avec ceux de D.Trump. Mais ses grandes orientations de politique étrangère seront-elles différentes et favoriseront-elles davantage les intérêts de la France ? C’est peu probable. Comme ses prédécesseurs, J.Biden cherchera avant tout à défendre les intérêts des Etats-Unis et c’est bien normal : il a été élu pour cela. Dans certains domaines ces intérêts sont communs avec ceux de la France, dans d’autres pas, et la venue aux affaires de J.Biden ne changera pas grand-chose à ce constat. S’imaginer que le second président catholique des USA a pour seule ambition, tel le bodhisattva Avalokiteshvara, de faire régner la compassion et l’harmonie est une vue de l’esprit.

    Jean-Philippe Duranthon (Geopragma, 11 janvier 2021)

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