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Points de vue - Page 106

  • Comment les têtes tombent...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une intervention de Julien Rochedy qui dresse un parallèle entre notre situation et celle de la noblesse française à la veille de la Révolution. Publiciste et essayiste, Julien Rochedy est une figure prometteuse de la mouvance conservatrice et identitaire. Il vient de publier un essai intitulé Nietzsche l'actuel.

     

                                           

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  • Insécurité: les chiffres ne disent pas tout !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre-Marie Sève, cueilli sur Figaro Vox et consacré à la question de l'insécurité. L'auteur est délégué général de l’Institut pour la Justice.

     

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    Insécurité: les chiffres ne disent pas tout

    Le 1er septembre dernier, au micro d’Europe 1, le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, a réfuté la notion «d’ensauvagement» en expliquant que celle-ci développait «le sentiment d’insécurité», qui est «pire que l’insécurité». «L’insécurité, il faut la combattre, le sentiment d’insécurité, c’est plus difficile car c’est de l’ordre du fantasme». Il a terminé en expliquant que ce «sentiment» était nourri par «les difficultés économiques», «certains médias» mais aussi «le discours populiste».

    Pour ne pas employer un terme polémique - l’ensauvagement - le garde des Sceaux a utilisé une expression tout aussi polémique - le sentiment d’insécurité - qui n’a d’ailleurs pas manqué de susciter des réactions passionnées.

    La passe d’armes autour de ces termes entre le ministre de l’Intérieur et celui de la Justice n’a rien d’anodine, et le choix des mots est devenu un marqueur politique.

    D’un côté, la notion de «sentiment d’insécurité» est utilisée pour minimiser, voire discréditer, les préoccupations du public au sujet de la montée de la délinquance. Les Français auraient le «sentiment» que leur sécurité se dégrade, mais ce «sentiment» ne serait pas corroboré par les statistiques de la délinquance, les sacro-saints chiffres! Ce sentiment serait donc de l’ordre du «fantasme», comme le dit Éric Dupond-Moretti, et le travail des pouvoirs publics serait alors d’expliquer aux Français en quoi cette peur est infondée.

    De l’autre côté, ceux qui pensent que l’insécurité augmente rejettent l’expression de «sentiment d’insécurité» et scrutent les statistiques, les contorsionnant parfois au passage, pour qu’ils confirment la réalité de l’ensauvagement.

    Dans les deux camps, tout le monde considère donc, implicitement ou explicitement, que les statistiques de la délinquance sont l’arbitre ultime en matière de sécurité. Or, et nous allons le démontrer, les chiffres ont des limites, qui, en matière d’insécurité peuvent réellement changer la donne. En effet, certains des aspects les plus importants du phénomène de l’insécurité ne se laissent pas appréhender par les chiffres.

    Nous ne devons ni négliger les statistiques ni nous arrêter à elles si nous voulons avoir une image fidèle de la réalité. Commençons donc par examiner très rapidement ce que nous disent les statistiques de la délinquance, avant d’expliquer en quoi elles sont insuffisantes.

    Il est incontestable que le nombre de crimes et délits, rapporté à la population, a très fortement augmenté entre la deuxième moitié des années 1960 et le milieu des années 1980. Entre 1964 et 1984, le taux de criminalité passe en effet de 13,54 pour mille à 67,14 pour mille. Depuis, ce taux fluctue tout en restant à un niveau très élevé, aux alentours de 60 à 70 pour mille. Si ces grands agrégats statistiques restent des ordres de grandeur, la hausse est néanmoins trop forte, trop longue et trop durable pour ne pas être considérée comme un changement majeur. Cette augmentation spectaculaire de la délinquance à partir des années 1960 a de plus été constatée dans un grand nombre de pays occidentaux, ce qui corrobore cette analyse.

    En constatant la stabilité relative des chiffres depuis 1980, on pourrait relativiser la notion d’ensauvagement récent. Mais le fait que le taux global de criminalité paraisse relativement stable depuis la fin des années 1980 signifie-t-il que la situation a cessé de se dégrader? Ce serait une grave erreur que de tirer une telle conclusion.

    Tout d’abord, il y a des évolutions structurelles de la délinquance. On constate notamment une diminution de la part des vols dans la criminalité globale, et une augmentation de la part des atteintes aux personnes, notamment chez les mineurs délinquants. Cette augmentation a été particulièrement marquée ces dernières années, tant en ce qui concerne les homicides et tentatives d’homicides que les coups et blessures volontaires. En considérant que l’ensauvagement concerne les actes les plus traumatisants, l’augmentation des violences par les mineurs y participerait certainement.

    D’autre part, il faut lire, dans la stagnation du nombre d’actes enregistrés, la baisse de la confiance de la population dans l’appareil judiciaire et ainsi subséquemment, les précautions prises par celle-ci dans sa vie quotidienne. Une hausse forte et durable de la délinquance, comme celle qui a eu lieu depuis les années 1960, a logiquement eu pour résultat une détérioration de cette confiance.

    Première conséquence: le taux de plainte a diminué, puisque de plus en plus de gens parviennent à la conclusion que «ça ne sert à rien». Les effectifs et les moyens de la police ne s’étant pas multipliés au même rythme que la délinquance (le ministère de l’Intérieur n’a pas multiplié par 5 la taille de ses bureaux en 20 ans), le nombre de plaintes pouvant être géré est resté lui aussi limité.

    Seconde conséquence: la population s’est adaptée à la nouvelle réalité. C’est cette conséquence qui explique que la culture ambiante des années 1960 voulait qu’on ne ferme pas sa voiture à clé, qu’on laisse les clés sur le contact en allant acheter du pain, que personne n’ait de système d’alarme chez soi, alors qu’aujourd’hui, les voitures sont des forteresses roulantes, chacun a intériorisé le fait de surveiller son sac à main, on se méfie des gens dans le métro qui ont les mains baladeuses, etc...

    Autrement dit, une hausse forte et durable de la délinquance est normalement suivie d’une phase en plateau, la cause de cette stabilité est l’adaptation de la population à une situation dégradée et non pas une stabilisation réelle.

    Enfin, Il faut admettre que le niveau absolu de la délinquance n’est pas le cœur du problème dans le débat sur l’insécurité. Le cœur du débat se situe sur le terrain moral.

    Plus précisément, la plainte au sujet de la montée de l’insécurité trouve sa source principale dans la perception que la délinquance est hors de contrôle ou est en train d’échapper à tout contrôle. Cette perception se fonde sur trois constats: la montée des incivilités, la croissance des «violences urbaines» et enfin, la justice, et plus largement les autorités publiques, ne traitent plus le crime comme elles le devraient.

    Chacun de ces points mériterait de longs développements. Penchons-nous simplement sur le dernier.

    En réalité, le grand public n’attend pas uniquement une réponse de diminution effective et réelle de la criminalité, mais également une réponse morale.

    Autrement dit, il attend que les autorités enlèvent les criminels des rues, mais aussi qu’elles donnent sa juste place au crime: au ban de la société. Qu’elles marquent nettement la différence qui existe entre le criminel et l’honnête homme, l’agresseur et la victime. Le crime doit valoir à son auteur un châtiment proportionné à sa gravité et le châtiment doit être prononcé et administré avec solennité. Le système doit également être prévisible: son fonctionnement doit être compréhensible par l’homme du commun, et ce que disent les autorités doit être fait.

    Or, le système pénal français ne répond plus à cette demande depuis des décennies. Aujourd’hui, dans la justice française, tout est fait pour envoyer les délinquants en prison le plus tard possible et le moins longtemps possible. Les peines exécutées n’ont plus qu’un lointain rapport avec les peines prononcées.

    Tous les Français constatent, année après année, que les magistrats font preuve de grande clémence à l’égard de délinquants endurcis. Ils constatent, année après année, qu’une partie des intellectuels, des universitaires, des hommes politiques tiennent un discours contestant la montée de la délinquance pourtant ressentie par tous, et discréditant même parfois ceux qui tentent de tirer la sonnette d’alarme - souvenons-nous du «mur des cons» sur lequel était notamment épinglé mon prédécesseur à l’IPJ, Xavier Bébin, aux côtés de parents de victimes ...

    Ils constatent que ceux qui ne manquent pas de verve pour critiquer les forces de l’ordre, la justice ou la prison, paraissent en revanche trouver beaucoup d’excuses aux délinquants forcément dominés, opprimés, victimes du racisme de l’État ou de la société française. Ils constatent, car il est impossible de ne pas le constater, que «la culture de l’excuse» est très présente non seulement dans les médias mais aussi au sein de l’État, parmi ceux dont la mission est de combattre le crime. Et inévitablement, ces constatations engendrent une inquiétude légitime.

    Éric Dupond-Moretti se trompe donc doublement: le sentiment d’insécurité n’est pas un fantasme, il est la conséquence d’une correcte perception de la réalité. Et ce qui alimente en priorité ce sentiment, ce n’est pas le «discours populiste» mais des déclarations comme les siennes.

    Pierre-Marie Sève (Figaro Vox, 15 septembre 2020)

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  • Une seule solution, la secession ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue décapant de Julien Dir, cueilli sur Breizh-Info et consacré à la sécession comme solution de survie face à des "valeurs de la Républiques" de plus en plus nocives...

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    Macron au Panthéon pour célébrer les cent cinquante ans de la République...

     

    Sécession. Et pourquoi pas ?

    Un récent sondage IFOP pour Charlie Hebdo montre qu’une fracture, de plus en plus large, se creuse entre Français et musulmans de France.

    Ainsi, peur sur la ville, une partie de ces derniers ne « serait pas Charlie », tout comme ils ne partageraient pas « les valeurs de la République », tandis qu’une petite minorité confesse carrément comprendre les islamistes qui ont massacré la rédaction de Charlie Hebdo.

    D’un côté, il y aurait donc « les bons Français républicains », de l’autre « les méchants islamistes ». Les choses sont-elles aussi simples ? Est-on obligé vraiment de choisir entre la République et l’islamisme ? Sûrement pas.

    Car nous sommes sans doute de nombreux individus à ne pas avoir une quelconque appétence pour la cause islamiste, à avoir en horreur ce qui a été commis avec une lâcheté sans nom au sein d’une rédaction n’ayant qu’une plume et des stylos pour se défendre, tout en rejetant profondément et radicalement la religion républicaine.

    N’était-ce pas le chanteur Renaud qui, dès les années 70, chantait « Votre République, moi j’la tringle, mais bordel, où c’est que j’ai mis mon flingue ? ».

    Vous conviendrez que ces paroles, à une époque où les militants bretons faisaient sauter quelques symboles de la République (perceptions, préfecture…) ont eu le don de parler à une génération qui n’était ni barbue, ni folle d’Allah.

    Vous conviendrez aussi qu’entendre toute la classe politique venir s’offusquer (s’indigner dit-on maintenant) en réclamant « l’expulsion de ceux qui ne respectent pas les valeurs de la République » a quelque chose de malsain.

    Car au juste, qu’est ce que c’est les valeurs de la République ? Ce sont celles qui font de Monsieur Camavinga, milieu de terrain du Stade Rennais, un membre de l’équipe de France à part entière quelques mois après sa naturalisation ? Ce sont celles qui permettent à Madame Obono de niquer la France (et de détester les Blancs), quelques années seulement après qu’on lui a transmis une carte d’identité, la même que la vôtre et que la mienne ?

    Les valeurs de la République, sont-ce encore ces nouvelles tables de loi que l’on enseigne à vos enfants dès le plus jeune âge sous le joli nom « d’éducation civique », cours qui a fait de la morale républicaine une alternative à la morale chrétienne que l’on enseignait jadis ?

    Exit les paraboles, place à la lutte contre le racisme, contre le sexisme, contre la « haine anti-LGBT », contre l’antisémitisme, pour l’égalité hommes/femmes. Voilà ce que sont les « valeurs de la République ». Des concepts totalement creux pour mieux remplacer ceux qui ont déterminé ce qu’est notre civilisation, depuis plusieurs millénaires.

    Les valeurs de la République, c’est de permettre à toute l’Afrique de débarquer sur notre terre en se proclamant réfugié homosexuel ou climatique, tout en stigmatisant nos frères et nos cousins hongrois ou polonais parce qu’ils votent mal.

    Les valeurs de la République, c’est la volonté de détruire par l’assimilation, par le métissage imposé, par le grand remplacement, nos identités, régionales, nationales, européennes, nos valeurs spirituelles, nos modes de vie.

    Les valeurs de la République, c’est par ailleurs l’incapacité constante de l’État à faire respecter le seul droit qui devrait pourtant sceller notre « vivre ensemble », c’est-à-dire notre droit, à tous, à la sécurité, partout sur notre territoire.

    Les valeurs de la République, ce sont celles qui vous imposent l’obligation de faire vacciner vos enfants avant l’âge de 2 ans, celles qui entendent vous dicter comme vous devez vous comporter y compris dans votre propre domicile.

    Ce sont des valeurs qui entendent pénétrer les cerveaux de vos enfants, au quotidien, via la mal nommée « Éducation nationale », pour en faire demain des robots, prêts à servir des intérêts n’ayant plus rien à voir avec ceux de la Nation.

    Les valeurs de la République, ce sont ces valeurs qui permettent à des flics de la pensée de vous dénoncer pour un écrit mettant en cause l’histoire officielle, ou pour d’autres décrivant de manière un peu trop réaliste la réalité de certains quartiers, de nos prisons, de notre quotidien à tous.

    Des valeurs qui conduisent des juges à vous mettre en prison pour vos idées, et à des contrôleurs fiscaux de vous faire rendre gorge dans la foulée, avant que « la société républicaine » ne décide de vous achever par une mise au ban et par une mort économique dont vous ne vous relèverez pas.

    Je vous passe les massacres commis au nom des valeurs républicaines, durant des siècles, mes ancêtres vendéens et chouans s’en souviennent encore, eux qui ont été massacrés par la Gueuse.

    Il serait peut-être temps de ne plus se laisser manipuler. Il est urgent de faire sécession d’avec la République française. Et pas besoin d’être un islamiste assoiffé de sang pour cela.

    Il suffit de penser à ces générations qui, durant des siècles et des siècles, ont bâti nos châteaux forts et cathédrales, n’ont eu de cesse d’innover, d’inventer, pour faire de notre civilisation européenne celle qui régna et inspira le monde entier jusqu’à ce que justement « les valeurs de la République » n’agissent en métastases dans toutes nos contrées et finissent par mettre notre Civilisation aujourd’hui presque à genoux.

    Alors qu’est-ce que vous préférez pour demain ? « Les valeurs de la République », la République des antiracistes, des LGBT, et des enfants devenus poneys, ou bien la Civilisation européenne, la sécurité pour tous, le bien, le beau, le vrai ?

    Je crois que la question elle est vite répondue…

    Julien Dir (Breizh-Info,  12 septembre 2020)

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  • Quand la pseudo-écologie veut faire table rase de la culture populaire française...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Eric Verhaeghe cueilli sur Figaro Vox dans lequel il analyse les raisons de la détestation qu'éprouvent les cadres d'Europe - Écologie - Les Verts à l'égard de la France populaire et de ses traditions.

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    Tour de France, sapins de Noël... «L’écologie radicale veut faire table rase de la culture populaire française»

    Le maire de Lyon n’a pas manqué sa rentrée médiatique. Coup sur coup, il vient de rompre avec la tradition du vœu des Échevins présenté à l’archevêque, qui remonte à 1643, sous prétexte de laïcité, puis il a taclé le Tour de France qu’il trouve «machiste et polluant». Ce sont deux éléments de la culture populaire française, et lyonnaise, qui sont soudain dans son viseur, et on n’en sera à dire vrai pas très étonné.

    On avait déjà entendu Benjamin Griveaux dénigrer la France qui fume des clopes et qui roule en diesel. Ce mépris bien senti d’un éminent élu marcheur avait fait grand bruit, car il révélait soudain la face à peine voilée du substrat macroniste: le rejet du «Français moyen» qualifié plus tard par le président de la République de «Gaulois réfractaire».

    Le maire de Lyon ne se tient pas très éloigné de ce mépris présidentiel, et il pousse le vice, ou l’audace, jusqu’à l’assumer politiquement. Les vieilles traditions lyonnaises de dédicace religieuse? On arrête. Le Tour de France dont l’adjudant Kronenbourg de Cabu ne manquait pas une étape? On arrête aussi.

    On comprend ce qui est visé ici: la France d’après, celle des écologistes puritains, doit faire table rase de tous ces vieux éléments de culture populaire qui ont fait l’identité d’avant. Un nouvel ordre, un nouvel homme, un nouveau Français, doit voir le jour sous les lumières de la nature et de son étrange cosmologie de rupture.

    Lionel Jospin avait parlé de droit d’inventaire à propos de l’héritage «mitterrandien». Le maire de Lyon se propose d’exercer un droit d’inventaire sur la culture française en la purgeant de ses éléments qu’il juge les moins désirables ou les moins acceptables. Et l’orientation de la purge est assez claire: le catholicisme (qui n’est pas rien, à Lyon) et le sport collectif, ces deux mamelles de l’identité populaire française qui, aux yeux des écologistes, sont autant de boulets inutiles à traîner.

    Et ce qu’il faut penser ici, c’est le phénomène en cours que constitue le déploiement de l’écologie et de sa radicalité dans l’esprit des bourgeoisies métropolitaines dominantes. Pourquoi aimer la nature suppose-t-il de ranimer une guerre avec l’église catholique (tout en lançant des constructions de mosquée, comme c’est le cas à Lyon)? ou de stigmatiser une fête populaire rituelle, au cours de laquelle la France se rassemble en un tour symbolique de ce qu’elle est et de ce qui constitue sa diversité? Pourquoi la construction politique de l’écologie se construit-elle dans la réaction contre cette France populaire, avec ses croyances sans doute naïves et chauvines, mais qui font la cohésion d’un peuple?

    Il n’existe peut-être pas. Sans doute pas de réponse univoque à cette question. Mais une chose est sûre: l’écologie ne se résume pas à l’amour de la nature (partagé, au demeurant, par les agriculteurs et les chasseurs, autres cibles des écologistes), elle s’accompagne, se nourrit, d’une réaction contre les petites gens et leurs croyances, dès lors qu’elles relèvent de notre identité structurelle.

    Si une réponse existe à la question du «pourquoi l’écologie est-elle une réaction contre la culture populaire?», elle se trouve probablement dans la sociologie du mouvement écologiste lui-même. On n’a peut-être pas assez dit que l’écologie était d’abord portée par une moyenne bourgeoisie de cadres du secteur public et, marginalement, du secteur privé. Certes, ces cadres irriguent tout le champ politique, mais l’originalité des écologistes est d’en rassembler une plus forte concentration, mue par des valeurs «de gauche» et par une vision économique relativement libérale ou, en tout cas, auto-gestionnaire et peu centralisatrice.

    Pour trouver des traces de cette composition particulière, on lira par exemple la monographie de Luc Rouban publiée dans un cahier du CEVIPOF de 2011, sur l’origine sociale des députés. Rouban montre que, sur l’ensemble de la période courant jusqu’à 2011, les députés écologistes sont ceux qui, le plus massivement, sont issus de la bourgeoisie moyenne, c’est-à-dire de cette population de cadres intermédiaires du public ou du privé qui font les «managers opérationnels» du capitalisme français. 2 députés écologistes sur 3 viennent de cette classe sociale, et un député sur dix seulement vient des classes supérieures. Dans aucun parti, on ne trouve une telle surreprésentation des milieux moyens, et une telle sous-représentation des classes supérieures, exception faite du parti communiste (étranger aux classes moyennes et aux classes supérieures).

    Ces chiffres font sens dans la mesure où ils illustrent la diffusion désormais majoritaire des idées et des valeurs de cette moyenne bourgeoisie issue des milieux enseignants, des chefs d’équipe dans les bureaux, de ces managers intermédiaires qui ne font plus partie de la masse, mais qui n’ont pas intégré les cercles de décideurs dans les entreprises ou les administrations. Et la première définition de cette bourgeoisie est de rejeter la culture de ceux qui sont immédiatement sous ses ordres. La fête sportive (le cyclisme, le football, et quelques autres) l’horripile. Les vieilles croyances religieuses aussi.

    On sent ici la difficulté pour cette classe intermédiaire d’exister, et son besoin de recourir à des exclusives et des bannissements pour cerner ses propres contours.

    De ce point de vue, la question de la «mobilité douce», le nouveau gimmick de l’écologiste ordinaire, est éclairante. Sous prétexte de sauver la planète, il faut interdire les automobiles dans nos rues (et bientôt «densifier» la ville en construisant en hauteur et en bannissant les pavillons individuels).

    On voit bien les avantages induits de ces mobilités douces: sans voiture, les banlieusards, c’est-à-dire cette masse de gens socialement infériorisés qui ne sont pas dans les centres villes, mais à leurs portes, viendront moins souvent troubler l’entre-soi d’une classe sociale émergente qui aspire à exercer sa suprématie sur un espace qu’elle considère désormais à sa main. Chaque classe sociale chez soi, et les vaches seront bien gardées.

    Bien entendu, cette logique d’apartheid est en conflit avec les valeurs généreuses affichées par les écologistes. Il devient donc stratégique de dissimuler cette conception réactionnaire derrière un éloge tout à fait artificiel du «vivre ensemble», qui consiste pour l’essentiel à promouvoir de façon assumée le remplacement des «Gaulois réfractaires» par une population de migrants sans conscience politique pour l’accueil de qui les pouvoirs publics ont l’injonction de construire des logements sociaux.

    La compréhension de la sociologie écologiste éclaire aussi cette étrange réaction, ce rejet de la culture populaire par les écologistes. La bourgeoisie moyenne qui porte cette doctrine politique se caractérise en effet par son faible patrimoine et par sa dépendance au salaire. Chez les écologistes, on trouve peu de professions libérales, de patrons ou de possédants qui disposent d’un patrimoine par héritage. On trouve surtout des gens qui, s’ils éprouvent le besoin de «sortir du lot», sont aussi en conflit avec les héritiers patrimoniaux qui contestent leur primat social.

    On comprend dans cet esprit pourquoi les écologistes (et, sur ce point, ils sont à l’unisson des Piketty et consorts) ont une perception négative du patrimoine et de l’héritage. Ils se pensent volontiers comme des gens nouveaux et n’ont aucun intérêt objectif à préserver l’acquis des siècles précédents. D’où ce rejet des traditions populaires et, dans une certaine mesure, ce rejet de tout ce qui peut rappeler la modestie de leurs origines.

    C’est dans la construction d’une culture nouvelle que la moyenne bourgeoisie écologiste pourra raboter les différences de niveaux qui l’infériorisent par rapport aux classes supérieures qui dominent la société… et les partis traditionnels de gouvernement.

    L’émergence de cette nouvelle bourgeoisie si hostile au patrimoine, qu’il soit populaire (et culturel), immobilier ou financier, est en construction depuis les années 70. Elle rassemble largement les enfants des soixante-huitards dont elle prolonge, en les radicalisant, les slogans bien connus.

    Désormais, l’héritage soixante-huitard est incrémenté dans une nouvelle classe sociale qui conteste en profondeur l’identité forgée dans ce pays avant son émergence. Il faut l’entendre comme une donnée brute et durable qui n’a pas fini de faire débat, voire polémique. L’élection, à la tête de nos grandes métropoles, de représentants militants de cette bourgeoisie plutôt désargentée nous réservera encore de nombreuses surprises.

    Eric Verhaeghe (Figaro Vox, 11 septembre)

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  • L’irrésistible ascension de « l’État-civilisation »...

    Nous reproduisons ci-dessous un article d'Aris Roussinos, cueilli sur Le Saker Francophone et consacré à la montée, face à l'Occident, du modèle de l'Etat-civilisation. Aris Roussinos est un journaliste gréco-britannique.

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    L’irrésistible ascension de « l’État-civilisation »

    Un spectre hante l’Occident libéral : la montée de « l’État- civilisation ». Alors que le pouvoir politique de l’Amérique s’effrite et que son autorité morale s’effondre, les nouveaux adversaires eurasiens ont adopté le modèle de l’État-civilisation pour se distinguer d’un ordre libéral paralysé, qui va de crise en crise sans vraiment mourir, ni donner naissance à un successeur viable. Résumant le modèle de l’État-civilisation, le théoricien politique Adrian Pabst observe qu’« en Chine et en Russie, les classes dominantes rejettent le libéralisme occidental et l’expansion d’une société de marché mondiale. Elles définissent leurs pays comme des civilisations distinctes, avec leurs propres valeurs culturelles et institutions politiques uniques ». De la Chine à l’Inde, de la Russie à la Turquie, les grandes et moyennes puissances d’Eurasie tirent un soutien idéologique des empires pré-libéraux dont elles se réclament, remodèlent leurs systèmes politiques non démocratiques et étatiques pour en faire une source de force plutôt que de faiblesse, et défient le triomphalisme libéral-démocrate de la fin du XXe siècle.

    Le déclin de l’Amérique est impossible à dissocier de l’ascension de la Chine, il est donc naturel que la rapide remontée de l’Empire du Milieu vers sa primauté mondiale historique domine les discussions sur l’État-civilisation. Bien que cette expression ait été popularisée par l’écrivain britannique Martin Jacques, le théoricien politique Christopher Coker a observé dans son récent, et excellent, livre sur les civilisations et les États que « le virage vers le confucianisme a commencé en 2005, lorsque le président Hu Jintao a applaudi le concept confucéen d’harmonie sociale et a demandé aux cadres du parti de construire une « société harmonieuse »« . Ce n’est pourtant que sous le règne de son successeur Xi que la Chine, en tant qu’État-civilisation rivale, a réellement pénétré la conscience occidentale. L’avènement de Xi Jinping comme président chinois en 2012 a propulsé l’idée d’ » État-civilisation » au premier plan du discours politique », remarque le spécialiste indien des relations internationales Ravi Dutt Bajpai, « car Xi croit qu’une civilisation porte sur son dos l’âme d’un pays ou d’une nation ».

    Cette éthique civilisationnelle émane de l’analyse chinoise de l’avenir du pays. Dans son influent livre de 2012, The China Wave : Rise of a Civilizational State, le théoricien politique chinois Zhang Weiwei observe avec fierté que « la Chine est désormais le seul pays au monde qui a fusionné la plus longue civilisation continue du monde avec un immense État moderne… Le fait d’être la plus longue civilisation continue du monde a permis aux traditions de la Chine d’évoluer, de se développer et de s’adapter dans pratiquement toutes les branches des connaissances et des pratiques humaines, telles que la gouvernance politique, l’économie, l’éducation, l’art, la musique, la littérature, l’architecture, l’armée, les sports, l’alimentation et la médecine. La nature originale, continue et endogène de ces traditions est en effet rare et unique au monde ». Contrairement à l’Occident en constante évolution, en quête de progrès et réorganisant ses sociétés en fonction des modes intellectuelles du moment, Weiwei observe que « la Chine s’inspire de ses traditions et de ses sagesses anciennes », et que son retour à la prééminence en est le résultat naturel.

    C’est à ces traditions sacrées, un État centralisé avec une histoire de 4 000 ans, une classe bureaucratique efficace adhérant aux valeurs confucéennes et un accent mis sur la stabilité et l’harmonie sociale plutôt que sur la liberté, que les théoriciens chinois attribuent l’essor de leur État-civilisation, désormais « apparemment imparable et irréversible ». Faisant le point sur un Occident en déclin et un Moyen-Orient enlisé dans un chaos sanglant, Weiwei remarque avec un détachement froid que « si l’ancien empire romain ne s’était pas désintégré et avait pu se transformer en un État moderne, alors l’Europe d’aujourd’hui pourrait aussi être un État civilisationnel de taille moyenne ; si le monde islamique actuel, composé de dizaines de pays, pouvait s’unifier sous un régime de gouvernement moderne, il pourrait aussi être un État civilisationnel de plus d’un milliard d’habitants, mais la possibilité de réaliser tous ces scénarios a disparu depuis longtemps et, dans le monde actuel, la Chine est le seul pays où la civilisation continue, la plus longue du monde, et un État moderne ont fusionnés en un seul. ”

    Pourtant, l’attrait du modèle État-civilisation ne se limite pas à la Chine. Sous Poutine, l’autre grand empire eurasien, la Russie, a publiquement abandonné les projets de libéralisation centrés sur l’Europe des années 1990 – une période d’effondrement économique et sociétal dramatique due à l’adhésion aux politiques des théoriciens libéraux occidentaux – pour son propre sonderweg culturel c’est à dire le chemin spécial d’une civilisation uniquement russe centrée sur un État tout-puissant. Dans un discours prononcé en 2013 devant le Club Valdai, Poutine a fait remarquer que la Russie « a toujours évolué comme une civilisation d’État, renforcée par le peuple russe, la langue russe, la culture russe, l’Église orthodoxe russe et les autres religions traditionnelles du pays. C’est précisément le modèle d’État-civilisation qui a façonné notre politique d’État ». Dans un discours prononcé en 2012 devant l’Assemblée fédérale russe, Poutine a également affirmé que « nous devons valoriser l’expérience unique que nous ont transmise nos ancêtres. Pendant des siècles, la Russie s’est développée comme une nation multiethnique (depuis le tout début), un État-civilisationnel lié par le peuple russe, la langue et la culture russes qui nous sont propres, nous unissant et nous empêchant de nous dissoudre dans ce monde diversifié ».

    Il convient de noter que si la Russie est souvent considérée par les commentateurs libéraux et les partisans de l’extrême droite, en particulier les Américains, comme un terreau fertile pour le nationalisme blanc soutenu par l’État, cette affirmation découle plus des obsessions raciales des États-Unis que de l’idéologie réelle de l’État russe. En effet, pour Poutine, c’est l’héritage de la Russie en tant qu’empire polyglotte qui fait que l’État qu’il dirige est un État-civilisation plutôt qu’une simple nation, soulignant explicitement que « l’autodéfinition du peuple russe est celle d’une civilisation multiethnique ».

    Dans un essai révélateur de 2018, le conseiller de Poutine, Vladislav Surkov, qui a été licencié en février dernier, a mis en avant cette hybridité, mi-européenne et mi-asiatique, comme la caractéristique centrale de l’âme russe. « Notre identité culturelle et géopolitique rappelle l’identité volatile de celui qui est né dans une famille métisse », écrit Surkov. « Un métis, un métissage, un type bizarre. La Russie est une nation métisse de l’Ouest et de l’Est. Avec son statut d’État bicéphale, sa mentalité hybride, son territoire intercontinental et son histoire bipolaire, elle est charismatique, talentueuse, belle et solitaire. Tout comme un métis l’est ». Pour Surkov, le destin de la Russie en tant que État-civilisation, comme celui de la Byzance à laquelle elle a succédé, est celui d’une « civilisation qui a absorbé l’Orient et l’Occident. Européenne et asiatique à la fois, et pour cette raison ni tout à fait asiatique ni tout à fait européenne ».

    Cette tension non résolue entre l’Est et l’Ouest, l’Europe et l’Asie définit la position politique de l’autre État successeur de Byzance et enfant à problèmes de l’Otan, la Turquie. Comme la Chine, un grand empire prémoderne éclipsé par la montée de l’Occident vers sa domination mondiale, la Turquie d’Erdogan dissimule désormais ses désirs revanchards sous le somptueux manteau du passé ottoman, insultant l’Occident alors même qu’Erdogan dépend de l’Amérique de Trump et de l’Allemagne de Merkel pour la survie de son régime. Lorsque le nouvel imam de la nouvelle mosquée Sainte-Sophie est monté en chaire le mois dernier, sabre en main, pour proclamer la renaissance de la Turquie et maudire la mémoire d’Ataturk, le modernisateur du pays qui l’a tourné vers l’Europe, c’était pour souligner que l’avenir glorieux de la Turquie dépend de la renaissance de son passé ottoman. La date de la cérémonie, le 97e anniversaire du traité de Sèvres qui a dissout l’Empire ottoman et l’a remplacé par la République turque, était tout aussi symbolique. Tout comme Justinien, en entrant dans sa nouvelle grande cathédrale, a fait remarquer qu’il avait dépassé Salomon, Erdogan a dépassé Atatürk. L’ère de la supplication pour rejoindre l’Europe, en tant que suppliant appauvri, est terminée ; l’ère de la conquête est revenue.

    Piégés dans les rêves post-historiques du libéralisme, de nombreux observateurs occidentaux de l’agression croissante d’Erdogan ont manqué ces indices symboliques, ou les ont rejetés comme une rhétorique vide, un luxe dont ne peuvent bénéficier les anciens peuples sujets de la Turquie dans les Balkans et au Moyen-Orient. Lorsqu’en mars, la Turquie a tenté de forcer l’ouverture des frontières grecques avec des milliers de migrants rassemblés depuis les bidonvilles d’Istanbul, le drone Bayraktar qui planait au-dessus de la clôture frontalière contestée portait l’indicatif 1453, date de la chute de Constantinople, tout comme les navires de forage qui menacent constamment de violer la souveraineté grecque et chypriote portent les noms des amiraux et des corsaires ottomans qui ont ravagé les côtes de la Grèce et de l’Europe.

    L’intention de la Turquie, dont le ministre de l’intérieur du pays, Suleyman Soylu, s’est vanté lors de la crise frontalière, est de détruire l’Union européenne. « L’Europe ne peut pas supporter cela, ne peut pas gérer cela », a-t-il affirmé. « Les gouvernements en Europe vont changer, leurs économies vont se détériorer, leurs marchés boursiers vont s’effondrer. » Dans un discours ce mois-ci, au moment même où la marine turque menaçait la Grèce de guerre, Soylu a exposé la vision civilisationnelle du nouvel ordre mondial de la Turquie : « Sur cette voie », a-t-il dit à l’assemblée des dignitaires militaires, « nous concevrons en embrassant le monde entier avec notre civilisation, en tenant l’Ouest et l’Est d’une main, le Nord et le Sud de l’autre, le Moyen-Orient et les Balkans d’une main, le Caucase et l’Europe de l’autre ».

    Dans les régions nouvellement annexées du nord de la Syrie, les milices rebelles proxy turques, dominées par l’ethnie turkmène, portent le nom de sultans ottomans, adoptent le sceau ottoman comme logo et donnent des interviews devant des cartes de l’Empire ottoman à son époque la plus étendue, tout en expulsant les Kurdes et les chrétiens de la région. En Syrie comme en Libye et en Irak, la vision expansionniste d’Erdogan cite explicitement l’Empire ottoman comme légitimation de son chemin de conquête, traçant les « frontières du cœur » d’Erdogan bien au-delà de la portée de la Turquie moderne, de Thessalonique à l’Ouest à Mossoul à l’Est. Saisissant la faiblesse partout où il la trouve, même le cœur de l’Europe libérale elle-même se trouve dans le viseur de l’homme fort turc.

    Lorsque ses ministres se sont vu interdire de s’adresser à des foules de Turcs ethniques aux Pays-Bas et que ses partisans se sont révoltés à La Haye, Erdogan a traité le gouvernement néerlandais de « nazi » avant de dire aux turcs d’Europe : « Ne faites pas trois, mais cinq enfants. Parce que vous êtes l’avenir de l’Europe. Ce sera la meilleure réponse aux injustices dont vous êtes victimes ». Alternant, avec toute l’incohérence passionnée d’un étudiant de la SOAS, entre l’expansionnisme islamique triomphaliste et les accusations de racisme et d’islamophobie partout où sa volonté est contrariée, l’homme fort turc chante son rôle de vedette dans le déclin du continent, se vantant que « l’Europe paiera pour ce qu’ils ont fait. Si Dieu le veut, la question de l’Union européenne sera à nouveau sur la table », et exultant que « alors qu’il y a un siècle, ils disaient que nous étions « l’homme malade », maintenant ils sont « l’homme malade » ». L’Europe est en train de s’effondrer ».

    Comme pour les Pays-Bas, où il a exhorté les Turcs d’Europe à surpasser démographiquement leurs hôtes indigènes, puis a traiter les dirigeants européens de nazis lorsqu’ils protestent, le discours civilisationnel d’Erdogan est en étrange symbiose avec l’extrême droite occidentale, comme en témoigne de façon particulièrement dramatique sa réaction à la fusillade de Christchurch l’année dernière. Lorsque le tueur Brandon Tarrant a abattu 51 fidèles musulmans dans la mosquée de Christchurch, c’était avec un fusil sur lequel il avait griffonné les noms de diverses batailles européennes contre les Ottomans. Dans son manifeste, Tarrant avait explicitement cité Erdogan comme « chef de l’un des plus anciens ennemis de notre peuple » et avait menacé les Turcs, qu’il décrivait comme des « soldats ethniques occupant actuellement l’Europe », que « nous tuerons et chasserons comme des cafards de nos terres. Nous venons pour Constantinople et nous allons détruire toutes les mosquées et tous les minarets de la ville. Sainte-Sophie sera libérée de ses minarets et Constantinople redeviendra une ville chrétienne à part entière ». En réponse directe, Erdogan a diffusé le massacre de Tarrant lors de ses rassemblements de campagne, à l’horreur du gouvernement néo-zélandais, déclarant quelques jours après les meurtres que « vous ne transformerez pas Istanbul en Constantinople » et jurant que « Sainte-Sophie ne sera plus un musée. Son statut va changer. Nous l’appellerons une mosquée », une promesse qu’il a tenu le mois dernier, en menant les fidèles à la prière lors de la deuxième conquête de la grande cathédrale.

    Au grand dam des politiciens européens libéraux, comme le Premier ministre néerlandais Mark Rutte, dont le ministre des affaires étrangères turc, Mevlut Çavuşoğlu, a averti qu’il « entraînait l’Europe dans l’abîme » et que « les guerres saintes commenceront bientôt en Europe », le parti AKP d’Erdogan se délecte de la rhétorique du conflit des civilisations. Intentionnellement ou non, Erdogan fait beaucoup pour entraîner les politiciens centristes du continent vers la droite. Par ses actions, il alimente la peur et la méfiance à l’égard de la minorité musulmane d’Europe, et récolte ensuite les fruits de la réponse que son discours guerrier apporte au niveau national. Mais comme pour beaucoup de ses fanfaronnades, les gains à court terme d’Erdogan peuvent avoir des conséquences involontaires qui se répercuteront loin dans le futur, à la fois pour la Turquie et pour l’Europe.

    Les provocations navales croissantes de la Turquie en Méditerranée suscitent une telle colère de la part des politiciens européens, colère dirigée par Emmanuel Macron, que le ministre des affaires étrangères de l’UE, Josep Borrell, a récemment déclaré avec exaspération au Parlement européen qu’en écoutant l’humeur des députés européens réunis, « j’ai cru voir dans l’hémicycle que le pape Pie V avait refait surface en appelant à la Sainte Alliance contre la Turquie et en mobilisant les troupes de la chrétienté pour faire face à l’invasion ottomane ». Il n’est pas difficile de prévoir que Macron, virant à droite alors qu’il se dirige vers la saison électorale, fusionnera sa campagne contre les Frères musulmans dans son pays avec une position européenne affirmée contre la Turquie en politique étrangère. Une civilisation, tout comme un groupe ethnique, se définit autant par son opposition à un autre rival que par son contenu culturel intrinsèque, et Erdogan et Macron ont peut-être trouvé en l’autre le parfait équilibre pour leurs projets civilisationnels.

    Il est en effet frappant que le soi-disant sauveur libéral de l’Europe soit l’occidental qui ait le plus adopté la nouvelle langue des États-civilisations : sans doute que cet ancien érudit de Hegel a discerné le Weltgeist. L’année dernière, lors d’un discours qui a peu attiré l’attention, prononcé devant une assemblée d’ambassadeurs de France, Macron a laissé entendre que la Chine, la Russie et l’Inde n’étaient pas seulement des rivaux économiques, mais « de véritables États-civilisation… qui ont non seulement perturbé notre ordre international, assumé un rôle clé dans l’ordre économique, mais ont également remodelé avec beaucoup de force l’ordre politique et la pensée politique qui l’accompagne, avec beaucoup plus d’inspiration que nous ». Macron a fait observer que « aujourd’hui ils ont beaucoup plus d’inspiration politique que nous les Européens. Ils ont une approche logique du monde, ils ont une véritable philosophie, une débrouillardise que nous avons, dans une certaine mesure, perdue ».

    Il a averti son auditoire que « nous savons que les civilisations disparaissent ; les pays aussi. L’Europe va disparaître », a salué les projets civilisationnels de la Russie et de la Hongrie, qui « ont une vitalité culturelle et civilisationnelle inspirante », et a déclaré que la mission de la France, son destin historique, était de guider l’Europe dans un renouveau civilisationnel, en forgeant un « récit et un imaginaire collectifs. C’est pourquoi je crois très profondément que c’est notre projet et qu’il doit être entrepris comme un projet de civilisation européenne ».

    Il y a beaucoup de choses ici qui plairaient aux conservateurs britanniques, certainement bien plus que les fantasmes de Grande Bretagne Global que les néoconservateurs et les penseurs néolibéraux s’obstinent à essayer de vendre au gouvernement Johnson. Écrivant pour un public britannique dans le Guardian, l’année dernière, Macron a fait remarquer que « les nationalistes sont malavisés lorsqu’ils prétendent défendre notre identité en se retirant de l’UE, parce que c’est la civilisation européenne qui nous unit, nous libère et nous protège ». Au contraire, il a insisté sur le fait que « nous sommes à un moment charnière pour notre continent, un moment où nous devons, ensemble, réinventer politiquement et culturellement la forme de notre civilisation dans un monde en mutation. Le temps est venu pour une renaissance européenne ». Pourtant, pour la Grande-Bretagne, comme pour le reste de l’Europe, définir la nature essentielle de cette civilisation est une question plus difficile que pour la Chine ou la Russie.

    Alors que les États civilisateurs émergents de l’Eurasie se définissent contre l’Occident libéral, l’Occident et l’Europe luttent pour définir leur propre nature et mettent davantage l’accent intellectuel sur sa déconstruction que sur sa défense : un besoin qui, comme l’impulsion à nier l’existence des civilisations en tant qu’entités ayant des frontières, est lui-même ironiquement un marqueur unique de notre propre civilisation. Peut-être qu’une civilisation n’est qu’un empire qui a survécu à l’ère des États-nations, et même au-delà, et pourtant ce sont les États-nations, taillés dans les décombres sanglants des empires passés, qui définissent l’Europe moderne. Peut-être Guy Verhofstadt, le risible Brexiter, avait-il raison après tout lorsqu’il observait que « l’ordre mondial de demain n’est pas un ordre mondial basé sur des États-nations ou des pays. C’est un ordre mondial qui repose sur des empires ».

    Mais alors, bien qu’il y ait de forts tabous politiques contre le fait de le dire, nous vivons déjà comme les sujets d’un empire américain, même si peu de gens voudraient prétendre que l’Amérique est une civilisation ; moins de gens, en effet, que ceux qui considèrent l’hegemon en difficulté comme une anti-civilisation, dissolvant les nombreuses cultures européennes et autres dans le dur solvant du capital mondial. L’Occident lui-même existe-t-il en tant qu’entité cohérente et limitée ? Comme le note Coker, « Ni les Grecs ni les Européens du XVIe siècle… ne se considéraient comme « occidentaux, un terme qui ne remonte qu’à la fin du XVIIIe siècle ». Macron nous exhorte à ancrer notre sentiment d’appartenance à une civilisation européenne spécifique dans le Siècle des Lumières, mais cette perspective est loin d’être convaincante. Après tout, ce sont les tendances universalistes contenues dans le libéralisme des Lumières qui nous ont conduits dans cette impasse. Comme l’a fait remarquer l’ancien ministre portugais des affaires étrangères, Bruno Macaes, dans un récent et perspicace essai, ce sont précisément les aspirations globales du libéralisme qui ont coupé l’Occident, et l’Europe en particulier, de ses propres racines culturelles.

    « Les sociétés occidentales ont sacrifié leurs cultures spécifiques au profit d’un projet universel », note Macaes. « On ne peut plus trouver dans ces sociétés la vieille tapisserie de traditions et de coutumes ou une vision de la belle vie ». Notre foi naïve dans le fait que le libéralisme, issu des traditions politiques et culturelles de l’Europe du Nord, allait conquérir le monde, a maintenant été brisée pour de bon. Au lieu de cela, ce sont les États-civilisation de l’Eurasie, non libéraux, qui menacent de nous engloutir. Où cela nous mène-t-il alors, et que devons-nous faire du libéralisme ? « Maintenant que nous avons sacrifié nos propres traditions culturelles pour créer un cadre universel pour toute la planète », demande Macaes, « sommes-nous censés être les seuls à l’adopter ? »

    En 1996, le théoricien politique Samuel P. Huntington observait que « dans le monde émergeant des conflits ethniques et du choc des civilisations, la croyance de l’Occident dans l’universalité de la culture occidentale souffre de trois problèmes : Elle est fausse, elle est immorale et elle est dangereuse. L’impérialisme est la conséquence logique nécessaire de l’universalisme ». Pourtant, Huntington, comme ses détracteurs, écrivait à une époque où la prééminence américaine était incontestée. Les critiques de la thèse civilisationnelle de Huntington, tout comme les critiques académiques modernes du concept d’États-civilisation, soutiennent une construction qui n’existe plus, celle d’un Occident tout-puissant qui rejette avec arrogance le reste du monde de toute sa supériorité politique. Mais aujourd’hui, c’est nous, en Occident, qui sommes en déclin et c’est dans les mythes universels du libéralisme que nos puissants rivaux civilisationnels trouvent les causes profondes de notre échec.

    En tout cas, même au sein de l’empire américain, l’effondrement de la puissance américaine à l’étranger et la défaveur croissante avec laquelle la civilisation européenne est tenue aux États-Unis mêmes ne sont pas de bon augure pour la survie à long terme d’une civilisation occidentale cohérente. Si l’Occident, comme le libéralisme, n’est à ce stade qu’une idéologie justifiant l’empire américain, nous serons alors contraints de le remplacer assez vite par autre chose. C’est précisément ce problème de détermination de ce que sera ce remplacement qui définira la politique de la Grande-Bretagne et de l’Europe pour le reste de notre vie. Les idéologues libéraux vieillissants de l’Europe, la génération de 1968 qui a dominé notre politique pendant si longtemps, ne semblent pas avoir de réponses à ces questions ; en fait, ils ne semblent même pas réaliser, encore maintenant, que ces questions existent.

    Ce n’est que lorsque nous voyons Macron lutter pour rallier la civilisation européenne à l’âge des empires à venir, ou que nous observons des hommes forts européens comme Viktor Orban, salué par de nombreux conservateurs anglo-saxons comme le sauveur de la civilisation occidentale, se dresser contre l’Occident avec toute la passion et la fureur d’un révolutionnaire anticolonialiste, que nous entrevoyons un futur plus étrange et plus complexe que ne le permet notre discours politique actuel. Lorsque nous voyons la Pologne imposer l’étude du latin à l’école afin d’inculquer aux élèves la compréhension des « racines latines de notre civilisation », ou la jeune étoile montante de la droite radicale néerlandaise, Thierry Baudet, affirmant que nous vivons un « printemps européen », « en contradiction avec le spectre politique qui domine l’Occident depuis la Révolution française », qui va  » changer la direction que tous nos pays vont prendre dans les deux générations à venir « , nous discernons, tout comme nous le faisons pour les manifestations Black Lives Matter ou la propagation de la foi américaine en la justice sociale dans nos rues et nos universités, les champs de bataille politiques de l’avenir européen.

    La critique la plus perspicace de la thèse civilisationnelle de Huntington a toujours été que les confrontations les plus sanglantes se déroulaient au sein des civilisations et non entre elles. Dans la nouvelle ère des États-civilisation, le plus grand défi à notre harmonie sociale vient peut-être non pas des adversaires au-delà de nos frontières culturelles, mais de la bataille qui se déroule dans nos frontières pour définir qui et quoi défendre.

    Aris Roussinos (Le Saker Francophone, 6 août 2020)

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  • Eloge de la radicalité...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une intervention de Julien Rochedy qui fait l'éloge de la radicalité. Publiciste et essayiste, Julien Rochedy est une figure prometteuse de la mouvance conservatrice et identitaire. Il vient de publier un essai intitulé Nietzsche l'actuel.

     

                                          

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