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Points de vue - Page 109

  • Pas de souveraineté européenne sans défense commune...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue du général Vincent Desportes, cueilli sur le site de l'Association de soutien à l'Armée française et consacré à la nécessité d'une défense européenne. Spécialiste de la stratégie, le général Desportes est notamment l'auteur de Comprendre la stratégie (Economica, 2001), de Décider dans l'incertitude (Economica, 2004) et, dernièrement, de Entrer en stratégie (Robert Laffont, 2019).

     

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    Pas de souveraineté européenne sans défense commune

    Mali, Méditerranée orientale, Niger et même cyberespace… Les situations de conflits apparaissent partout et l’Europe semble les bras ballants.  Elle doit assumer une stratégie de puissance.

    Dans la succession des crises qui secouent le monde, que fait l’Europe ? Rien, ou trop peu. Tension politique en Biélorussie, chantage turc aux réfugiés, coup d’Etat au Mali, chaos guerrier en Libye, autodestruction du Yémen : l’Europe, première puissance économique, regarde presque passive se régler des problèmes qui la concernent au premier chef ! Au plan international, elle paraît absente et compte sur d’autres pour garantir ses lendemains.

    Face à des Etats-Unis erratiques, une Russie agressive, une Chine conquérante, face à des menaces sécuritaires émergentes et de nouveaux défis stratégiques, l’Europe doit balayer ses illusions pour saisir le monde tel qu’il est, forgé de souverainetés et de puissances. Et si nous, Français, voulons rester ce que nous entendons être, notre discours et nos actes ne peuvent qu’être européens.

     

    Un nouvel environnement stratégique

    Premier constat : le démantèlement du monde créé à San Francisco en 1945, tué par ceux qui l’ont créé. Dès l’origine, le ver était dans le fruit. L’architecture multilatérale du 26 juin 1945 supposait l’égalité des membres et leur acceptation du principe de souveraineté limitée. Très vite, les Etats-Unis ont estimé que leur « destinée manifeste » leur demandait de dominer le monde : ils n’avaient donc pas à se plier à la règle qu’ils avaient eux-mêmes établie. Ils la rejettent aujourd’hui : le multilatéralisme serait la source de tous leurs maux.

    Second constat : la croissance des tensions militaires. En 2019, les dépenses militaires mondiales ont atteint leur apex depuis la fin de la Guerre Froide. Le budget militaire des Etats-Unis, avec 732 milliards de dollars en 2019, en augmentation de 5,3%, représente 38% du total. Celui de la Chine, en hausse constante, est avec 261 milliards de dollars le deuxième mondial, cinq fois ce qu’il était il y a quinze ans. L’Inde a accru son budget de 6,8% pour le porter à 71,1 milliards de dollars. En Europe, la Russie fait la course en tête, augmentant son budget de 4,5% : avec à 65,1 milliards de dollars, elle se situe dans le top 5 des puissances militaires.

    Troisième constat : la franche détérioration de la relation transatlantique. Son histoire a toujours été subordonnée à la vision des Etats-Unis : une Europe solide mais vassale, sans leadership, qui ne leur fasse pas d’ombre. Leur but ? Maintenir l’Europe en constant devenir ! Les Etats-Unis n’ont jamais aidé les Européens à s’affirmer et parler d’une seule voix, les en décourageant même. Depuis 2017, le phénomène s’est accéléré. Le président américain retire ses troupes de Syrie sans concertation avec ses alliés européens contre lesquels il mène sa guerre commerciale. Il fait l’apologie du BREXIT et critique l’OTAN. Au plus fort de la pandémie, la règle a été celle de l’égoïsme et de l’indifférence envers ses alliés traditionnels.

    Quatrième constat : la montée dominatrice de la puissance chinoise. La volonté de son président est claire : faire de son pays la première puissance économique et militaire en 2049. La Chine veut imposer son modèle dans un nouvel ordre mondial dont les Etats-Unis et l’Europe auraient perdu le leadership. Encore récemment, les dirigeants occidentaux balayaient ces réalités dérangeantes. Ce n’est plus possible : la dépendance est devenue criante dans les domaines industriels et ceux des ressources critiques.

     

    Peut-on croire au retour de l’Amérique ?

    Le découplage Europe-Etats-Unis peut-il être corrigé ? Non : nous appartenons déjà à deux planètes différentes. Ecoutons le président des Etats-Unis : « America first only » ou pire : « Je crois que l’Union Européenne est un ennemi pour les Etats Unis ». Inexorablement ceux-ci se tournent vers le Pacifique. De plus en plus asiatiques, de plus en plus hispaniques, de moins en moins « caucasiens », les Américains deviennent chaque jour un peu moins européens : dès 2040, la population d’origine européenne sera devenue minoritaire. Ce pivot vers l’Asie ne traduit d’ailleurs que la réalité stratégique. Les Etats-Unis, affranchis de leur dépendance énergétique à l’égard du Proche-Orient, connaîtront de brefs regains d’intérêt pour l’Europe, mais pas d’illusions : même avec Biden, la tendance ne s’inversera pas. Le président Obama se disait déjà le premier président du Pacifique

    Il est donc fort hasardeux pour l’Europe de lier son destin à celui des Etats-Unis. Pourtant, plus le parapluie américain est une chimère, plus les Européens s’y accrochent ; hélas, en leur donnant un faux sentiment de sécurité, l’OTAN est devenue un frein politique à l’unité européenne et un ferment de déresponsabilisation. Elle est, en ce sens, devenue une menace pour la sécurité de la France et de l’Europe.

     

    Le monde a besoin d’Europe.

    L’Europe est-elle nécessaire ? D’évidence oui, puisque l’Occident a perdu son leader, les Etats-Unis ayant trahi leurs pères fondateurs et leurs alliés comme d’ailleurs les principes philosophiques et moraux qui ont fait leur grandeur.

    Pour combler cette déliquescence, notre monde dérégulé a besoin de l’Europe, une Europe mature, née d’affrontements fraternels meurtriers, puis des « Lumières », puis de massacres encore, une Europe devenue raisonnable, pôle de sagesse et d’équilibre par le sang versé, porteuse des valeurs humanistes, dans un monde qui court au gouffre.

    L’Europe est aussi nécessaire à chacune de nos nations : isolément, elles sont toutes trop faibles pour survivre, protéger leur culture, leur art de vivre, leur liberté. Sans union, demain, nous serons livrés à des entreprises et technologies chinoises, des logiciels américains, nous nous abreuverons de sous-culture américaine et n’aurons plus le choix que de subir.

    Cependant, pour être utile, l’Europe doit parler au monde. Le peut-elle ? Ses rêves congénitaux l’ont mal préparée à affronter les défis futurs : elle est encore un acteur aphone parce que la puissance militaire est un facteur clef de l’indépendance et que la sienne est inexistante. Pour être entendue, l’Europe doit être militairement forte puisque la voix des nations ne porte qu’en fonction du calibre de leurs canons, vérité regrettable mais éternelle.

     

    Peut-on rêver encore d’une défense française ?

    C’est un rêve mortifère. La construction de l’Europe de la défense relève d’un impératif d’échelle : en termes de défense, celle des nations est dépassée. Une puissance moyenne ne peut plus se doter d’un système de défense cohérent, comme ce fut le cas jusqu’au milieu du XXème siècle.

    D’abord en raison de l’expansion continue des domaines de conflictualités, de la terre hier au cyberespace aujourd’hui, et demain dans tout nouvel espace conquis par l’homme. Or, à l’expansion des espaces de guerre ne correspond nullement celui des budgets militaires : aucun Etat européen n’est plus en mesure de constituer en solo une capacité d’action substantielle dans chacun des espaces d’affrontement.

    Ensuite en raison de l’explosion du coût des équipements. Chaque nouvelle génération multiplie leur prix par dix au moins. Tout Etat est donc contraint de réduire ses parcs à chaque saut générationnel ou d’accepter le décrochage technologique. La conséquence ? Sauf pour les superpuissances, le choix est simple : accepter un système de défense échantillonnaire affaibli de larges déficiences capacitaires, ou bien opter pour le rétablissement de la cohérence au niveau supranational. Pour les nations européennes, il est donc techniquement nécessaire de retrouver là l’exhaustivité qui leur manque.

    C’est ici qu’apparaît à nouveau la nécessité d’une défense européenne, car ce niveau supranational doit être fiable et ce n’est plus le cas de l’Alliance atlantique.

     

    Construire la défense de l’Europe … pour l’Europe et par l’Europe

    Aujourd’hui, les États-Unis fournissent, selon les secteurs, 70 à 100 % des capacités de l’Alliance: ce niveau de dépendance est dangereux. Pourtant, l’Union européenne, malgré les chocs que constituèrent entre 2015 et 2017, les attentats terroristes, les attaques cyber ou l’afflux incontrôlé de migrants, reste toujours aussi mal préparée à la gestion d’une crise de sécurité sur son sol ou à sa périphérie.

    Les pays européens auraient donc tout intérêt à affermir leur contribution à cette mission de sécurité collective. Il leur faut rationaliser des appareils militaires comportant aujourd’hui autant de redondances que de carences capacitaires. Faute de convergence des programmations nationales, les dépenses militaires des États européens ont un médiocre rendement, la recherche de défense est sous financée, la relève des grands équipements est problématique : il faut donc européaniser les processus d’acquisition des équipements militaires mais aussi consolider la base industrielle et technologique de défense de l’Union. C’est vital pour l’équipement de nos armées comme pour l’industrie européenne. En outre, que ce soit pour la gestion de crises civiles ou les opérations militaires, les outils de planification, de conduite et de commandement de la PSDC sont inadaptés : l’UE a besoin de sa propre « tour de pilotage » des crises.

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    La croissance économique européenne s’est faite dans une merveilleuse insouciance devenue mortifère. Hédonistes aveugles, les Européens sont tout simplement sortis de l’histoire ; il vaudrait mieux qu’ils y entrent à nouveau, mais non par une porte dérobée. Leur salut suppose que ce soit en puissance.

    La principale illusion européenne était le caractère facultatif de la force : les évolutions dangereuses du monde doivent nous ramener au réalisme. Voulons-nous que les Etats-Unis continuent à nous dicter ce que doit être notre position vis- à-vis de la Chine ? Voulons-nous conserver notre statut de vassal, ou souhaitons-nous compter dans le monde et influer sur son devenir ? Les questions sont simples : quelle volonté, quels moyens, quels buts ? Changeons de paradigme : l’Europe économique doit devenir politique et géopolitique.

    La souveraineté de nos États suppose la recherche parallèle de l’autonomie stratégique aux niveaux national et européen. Ils sont complémentaires : la souveraineté européenne n’est pas un substitut à la souveraineté nationale mais son indispensable complément, voire sa condition. Nos vieilles nations ne pourront exister que dans et par l’Europe. Il y a 60 ans, à l’Ecole Militaire, Charles de Gaulle le martelait : « Il faut que la défense de la France soit française ». Eh bien il faut aujourd’hui que la défense de l’Europe soit européenne.

     

    Général (2S) Vincent Desportes (ASAF, 1er septembre 2020)

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  • Médias de gauche : un pléonasme ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Philippe Bilger, cueilli sur son blog Justice au Singulier et consacré à la domination de la gauche politiquement correcte dans l'espace médiatique. Ancien magistrat, Philippe Bilger est notamment l'auteur de récits ou d'essais comme 20 minutes pour la mort (Rocher, 2011) ou Contre la justice laxiste (L'Archipel, 2014).

     

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    Médias de gauche : un pléonasme ?

    Quand j'ai lu que le patron de la BBC "recadrait les humoristes de gauche" (Le Figaro), j'ai fait un rêve. Que se passerait-il si l'audiovisuel public se piquait en France d'user de la même vigilance ? C'est très simple : il n'y aurait plus d'humoristes ou prétendus tels.

    J'ai pu, un temps, me laisser abuser en m'imaginant que le rapport de force était inversé et que le terreau médiatique avait changé de tonalité. Que la gauche "pour les nuls" n'était plus l'horizon indépassable au profit d'une pensée plus équilibrée et souvent plus intelligente. J'avais tort parce que tout m'a démontré, contre cette illusion, que je confondais le talent et l'aura de quelques voix libres et éclatantes avec une atmosphère générale.

    Je ne parle pas seulement de France Inter dont on se demande quelle est sa conception de l'esprit, du rire et de la drôlerie. Il ne s'agit même pas d'apprécier la qualité intrinsèque de chaque humoriste - je ne dénie à personne le droit de les trouver étincelants - mais de considérer comme leur approche du monde, de la vie, de la société, de la France et de la politique est toujours la même : une sorte de dérision vaguement progressiste, avec toujours les mêmes cibles, qui fait s'esclaffer, sur le plateau, les camarades et les invités.

    Pour s'en convaincre, il a suffi de constater les réactions qui ont suivi le départ de Jean-Pierre Pernaut. C'était une France chaleureuse, empathique, simple, dure au mal et silencieuse qui lui rendait hommage mais, pour d'autres plus rares, c'était bon débarras. Comme Eric Zemmour l'a très bien exprimé (CNews), l'émission "Quotidien" de Yann Barthès était l'exact opposé du journal rassembleur de Jean-Pierre Pernaut.

    Le navrant n'est pas qu'une dérision pas drôle, se prenant pour de l'intelligence, domine dans un certain espace médiatique mais que le conformisme de gauche irrigue profondément toutes les activités médiatiques en quelque sorte ordinaires. Il est par exemple très révélateur, quand on a le temps, d'écouter les questionnements sur plusieurs radios et chaînes de télévision pour relever, dans la banalité des interrogations, la subtile ou ostensible hémiplégie qui fait pencher à gauche faute de savoir ou de vouloir respecter un équilibre que l'honnêteté intellectuelle pourtant devrait imposer.

    On pourrait m'objecter l'audience croissante de quelques grandes voix - Eric Zemmour, Elisabeth Lévy, Michel Onfray ou Alain Finkielkraut (pas sur le même registre), les avancées indiscutables et jalousées d'une chaîne comme CNews, le pluralisme sans tabou de Sud Radio qui monte et, quoi qu'on en ait, l'influence de certaines publications comme Valeurs actuelles.

    La droitisation qu'on leur reproche à tort, une liberté qui n'exclut pas - comme si c'était un péché mortel - ne sont, le plus souvent, au moins pour partie, que la riposte à une atmosphère insinuante de progressisme mou et jamais questionné qui, répandu à peu près partout, peut laisser croire aux citoyens que la seule manière honorable de s'exprimer médiatiquement est de se parer d'une apparence de gauche. En gros, la récusation de tout ce qui soutient, renforce, protège une société au bénéfice de tout ce qui subvertit, moque et fragilise.

    Mais rien n'est simple car, pour l'observateur de bonne foi, le talent a eu le front de déserter l'humus de gauche pour donner toutes ses chances à la dissidence libre et brillante. Suscitant une haine moins à cause de ses idées que pour le style qu'elle a.

    Il est littéralement insupportable, pour les petits maîtres du dialogue, du verbe et de la culture, d'être obligés d'admettre qu'en face, il y a quelque chose qui les dépasse et qu'ils n'ont pas : cette étincelle de l'esprit et des mots qui fait qu'on écoute, qu'on regarde, qu'on lit et qu'on est séduit même si on n'est pas forcément convaincu.

    Tentons, grâce à une opération de salubrité intellectuelle et de déontologie exemplaire, d'enlever dans l'espace médiatique tout le confort des poncifs de gauche, cet infra langage qui colore, imprègne, gangrène et dénature. Le résultat serait catastrophique : on ferait trop de malheureux !

    Parce que médias de gauche est un pléonasme et qu'on ne change pas une équipe qui perd.

    Philippe Bilger (Justice au Singulier, 20 septembre 2020)

     

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  • Comment les têtes tombent...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une intervention de Julien Rochedy qui dresse un parallèle entre notre situation et celle de la noblesse française à la veille de la Révolution. Publiciste et essayiste, Julien Rochedy est une figure prometteuse de la mouvance conservatrice et identitaire. Il vient de publier un essai intitulé Nietzsche l'actuel.

     

                                           

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  • Insécurité: les chiffres ne disent pas tout !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre-Marie Sève, cueilli sur Figaro Vox et consacré à la question de l'insécurité. L'auteur est délégué général de l’Institut pour la Justice.

     

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    Insécurité: les chiffres ne disent pas tout

    Le 1er septembre dernier, au micro d’Europe 1, le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, a réfuté la notion «d’ensauvagement» en expliquant que celle-ci développait «le sentiment d’insécurité», qui est «pire que l’insécurité». «L’insécurité, il faut la combattre, le sentiment d’insécurité, c’est plus difficile car c’est de l’ordre du fantasme». Il a terminé en expliquant que ce «sentiment» était nourri par «les difficultés économiques», «certains médias» mais aussi «le discours populiste».

    Pour ne pas employer un terme polémique - l’ensauvagement - le garde des Sceaux a utilisé une expression tout aussi polémique - le sentiment d’insécurité - qui n’a d’ailleurs pas manqué de susciter des réactions passionnées.

    La passe d’armes autour de ces termes entre le ministre de l’Intérieur et celui de la Justice n’a rien d’anodine, et le choix des mots est devenu un marqueur politique.

    D’un côté, la notion de «sentiment d’insécurité» est utilisée pour minimiser, voire discréditer, les préoccupations du public au sujet de la montée de la délinquance. Les Français auraient le «sentiment» que leur sécurité se dégrade, mais ce «sentiment» ne serait pas corroboré par les statistiques de la délinquance, les sacro-saints chiffres! Ce sentiment serait donc de l’ordre du «fantasme», comme le dit Éric Dupond-Moretti, et le travail des pouvoirs publics serait alors d’expliquer aux Français en quoi cette peur est infondée.

    De l’autre côté, ceux qui pensent que l’insécurité augmente rejettent l’expression de «sentiment d’insécurité» et scrutent les statistiques, les contorsionnant parfois au passage, pour qu’ils confirment la réalité de l’ensauvagement.

    Dans les deux camps, tout le monde considère donc, implicitement ou explicitement, que les statistiques de la délinquance sont l’arbitre ultime en matière de sécurité. Or, et nous allons le démontrer, les chiffres ont des limites, qui, en matière d’insécurité peuvent réellement changer la donne. En effet, certains des aspects les plus importants du phénomène de l’insécurité ne se laissent pas appréhender par les chiffres.

    Nous ne devons ni négliger les statistiques ni nous arrêter à elles si nous voulons avoir une image fidèle de la réalité. Commençons donc par examiner très rapidement ce que nous disent les statistiques de la délinquance, avant d’expliquer en quoi elles sont insuffisantes.

    Il est incontestable que le nombre de crimes et délits, rapporté à la population, a très fortement augmenté entre la deuxième moitié des années 1960 et le milieu des années 1980. Entre 1964 et 1984, le taux de criminalité passe en effet de 13,54 pour mille à 67,14 pour mille. Depuis, ce taux fluctue tout en restant à un niveau très élevé, aux alentours de 60 à 70 pour mille. Si ces grands agrégats statistiques restent des ordres de grandeur, la hausse est néanmoins trop forte, trop longue et trop durable pour ne pas être considérée comme un changement majeur. Cette augmentation spectaculaire de la délinquance à partir des années 1960 a de plus été constatée dans un grand nombre de pays occidentaux, ce qui corrobore cette analyse.

    En constatant la stabilité relative des chiffres depuis 1980, on pourrait relativiser la notion d’ensauvagement récent. Mais le fait que le taux global de criminalité paraisse relativement stable depuis la fin des années 1980 signifie-t-il que la situation a cessé de se dégrader? Ce serait une grave erreur que de tirer une telle conclusion.

    Tout d’abord, il y a des évolutions structurelles de la délinquance. On constate notamment une diminution de la part des vols dans la criminalité globale, et une augmentation de la part des atteintes aux personnes, notamment chez les mineurs délinquants. Cette augmentation a été particulièrement marquée ces dernières années, tant en ce qui concerne les homicides et tentatives d’homicides que les coups et blessures volontaires. En considérant que l’ensauvagement concerne les actes les plus traumatisants, l’augmentation des violences par les mineurs y participerait certainement.

    D’autre part, il faut lire, dans la stagnation du nombre d’actes enregistrés, la baisse de la confiance de la population dans l’appareil judiciaire et ainsi subséquemment, les précautions prises par celle-ci dans sa vie quotidienne. Une hausse forte et durable de la délinquance, comme celle qui a eu lieu depuis les années 1960, a logiquement eu pour résultat une détérioration de cette confiance.

    Première conséquence: le taux de plainte a diminué, puisque de plus en plus de gens parviennent à la conclusion que «ça ne sert à rien». Les effectifs et les moyens de la police ne s’étant pas multipliés au même rythme que la délinquance (le ministère de l’Intérieur n’a pas multiplié par 5 la taille de ses bureaux en 20 ans), le nombre de plaintes pouvant être géré est resté lui aussi limité.

    Seconde conséquence: la population s’est adaptée à la nouvelle réalité. C’est cette conséquence qui explique que la culture ambiante des années 1960 voulait qu’on ne ferme pas sa voiture à clé, qu’on laisse les clés sur le contact en allant acheter du pain, que personne n’ait de système d’alarme chez soi, alors qu’aujourd’hui, les voitures sont des forteresses roulantes, chacun a intériorisé le fait de surveiller son sac à main, on se méfie des gens dans le métro qui ont les mains baladeuses, etc...

    Autrement dit, une hausse forte et durable de la délinquance est normalement suivie d’une phase en plateau, la cause de cette stabilité est l’adaptation de la population à une situation dégradée et non pas une stabilisation réelle.

    Enfin, Il faut admettre que le niveau absolu de la délinquance n’est pas le cœur du problème dans le débat sur l’insécurité. Le cœur du débat se situe sur le terrain moral.

    Plus précisément, la plainte au sujet de la montée de l’insécurité trouve sa source principale dans la perception que la délinquance est hors de contrôle ou est en train d’échapper à tout contrôle. Cette perception se fonde sur trois constats: la montée des incivilités, la croissance des «violences urbaines» et enfin, la justice, et plus largement les autorités publiques, ne traitent plus le crime comme elles le devraient.

    Chacun de ces points mériterait de longs développements. Penchons-nous simplement sur le dernier.

    En réalité, le grand public n’attend pas uniquement une réponse de diminution effective et réelle de la criminalité, mais également une réponse morale.

    Autrement dit, il attend que les autorités enlèvent les criminels des rues, mais aussi qu’elles donnent sa juste place au crime: au ban de la société. Qu’elles marquent nettement la différence qui existe entre le criminel et l’honnête homme, l’agresseur et la victime. Le crime doit valoir à son auteur un châtiment proportionné à sa gravité et le châtiment doit être prononcé et administré avec solennité. Le système doit également être prévisible: son fonctionnement doit être compréhensible par l’homme du commun, et ce que disent les autorités doit être fait.

    Or, le système pénal français ne répond plus à cette demande depuis des décennies. Aujourd’hui, dans la justice française, tout est fait pour envoyer les délinquants en prison le plus tard possible et le moins longtemps possible. Les peines exécutées n’ont plus qu’un lointain rapport avec les peines prononcées.

    Tous les Français constatent, année après année, que les magistrats font preuve de grande clémence à l’égard de délinquants endurcis. Ils constatent, année après année, qu’une partie des intellectuels, des universitaires, des hommes politiques tiennent un discours contestant la montée de la délinquance pourtant ressentie par tous, et discréditant même parfois ceux qui tentent de tirer la sonnette d’alarme - souvenons-nous du «mur des cons» sur lequel était notamment épinglé mon prédécesseur à l’IPJ, Xavier Bébin, aux côtés de parents de victimes ...

    Ils constatent que ceux qui ne manquent pas de verve pour critiquer les forces de l’ordre, la justice ou la prison, paraissent en revanche trouver beaucoup d’excuses aux délinquants forcément dominés, opprimés, victimes du racisme de l’État ou de la société française. Ils constatent, car il est impossible de ne pas le constater, que «la culture de l’excuse» est très présente non seulement dans les médias mais aussi au sein de l’État, parmi ceux dont la mission est de combattre le crime. Et inévitablement, ces constatations engendrent une inquiétude légitime.

    Éric Dupond-Moretti se trompe donc doublement: le sentiment d’insécurité n’est pas un fantasme, il est la conséquence d’une correcte perception de la réalité. Et ce qui alimente en priorité ce sentiment, ce n’est pas le «discours populiste» mais des déclarations comme les siennes.

    Pierre-Marie Sève (Figaro Vox, 15 septembre 2020)

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  • Une seule solution, la secession ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue décapant de Julien Dir, cueilli sur Breizh-Info et consacré à la sécession comme solution de survie face à des "valeurs de la Républiques" de plus en plus nocives...

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    Macron au Panthéon pour célébrer les cent cinquante ans de la République...

     

    Sécession. Et pourquoi pas ?

    Un récent sondage IFOP pour Charlie Hebdo montre qu’une fracture, de plus en plus large, se creuse entre Français et musulmans de France.

    Ainsi, peur sur la ville, une partie de ces derniers ne « serait pas Charlie », tout comme ils ne partageraient pas « les valeurs de la République », tandis qu’une petite minorité confesse carrément comprendre les islamistes qui ont massacré la rédaction de Charlie Hebdo.

    D’un côté, il y aurait donc « les bons Français républicains », de l’autre « les méchants islamistes ». Les choses sont-elles aussi simples ? Est-on obligé vraiment de choisir entre la République et l’islamisme ? Sûrement pas.

    Car nous sommes sans doute de nombreux individus à ne pas avoir une quelconque appétence pour la cause islamiste, à avoir en horreur ce qui a été commis avec une lâcheté sans nom au sein d’une rédaction n’ayant qu’une plume et des stylos pour se défendre, tout en rejetant profondément et radicalement la religion républicaine.

    N’était-ce pas le chanteur Renaud qui, dès les années 70, chantait « Votre République, moi j’la tringle, mais bordel, où c’est que j’ai mis mon flingue ? ».

    Vous conviendrez que ces paroles, à une époque où les militants bretons faisaient sauter quelques symboles de la République (perceptions, préfecture…) ont eu le don de parler à une génération qui n’était ni barbue, ni folle d’Allah.

    Vous conviendrez aussi qu’entendre toute la classe politique venir s’offusquer (s’indigner dit-on maintenant) en réclamant « l’expulsion de ceux qui ne respectent pas les valeurs de la République » a quelque chose de malsain.

    Car au juste, qu’est ce que c’est les valeurs de la République ? Ce sont celles qui font de Monsieur Camavinga, milieu de terrain du Stade Rennais, un membre de l’équipe de France à part entière quelques mois après sa naturalisation ? Ce sont celles qui permettent à Madame Obono de niquer la France (et de détester les Blancs), quelques années seulement après qu’on lui a transmis une carte d’identité, la même que la vôtre et que la mienne ?

    Les valeurs de la République, sont-ce encore ces nouvelles tables de loi que l’on enseigne à vos enfants dès le plus jeune âge sous le joli nom « d’éducation civique », cours qui a fait de la morale républicaine une alternative à la morale chrétienne que l’on enseignait jadis ?

    Exit les paraboles, place à la lutte contre le racisme, contre le sexisme, contre la « haine anti-LGBT », contre l’antisémitisme, pour l’égalité hommes/femmes. Voilà ce que sont les « valeurs de la République ». Des concepts totalement creux pour mieux remplacer ceux qui ont déterminé ce qu’est notre civilisation, depuis plusieurs millénaires.

    Les valeurs de la République, c’est de permettre à toute l’Afrique de débarquer sur notre terre en se proclamant réfugié homosexuel ou climatique, tout en stigmatisant nos frères et nos cousins hongrois ou polonais parce qu’ils votent mal.

    Les valeurs de la République, c’est la volonté de détruire par l’assimilation, par le métissage imposé, par le grand remplacement, nos identités, régionales, nationales, européennes, nos valeurs spirituelles, nos modes de vie.

    Les valeurs de la République, c’est par ailleurs l’incapacité constante de l’État à faire respecter le seul droit qui devrait pourtant sceller notre « vivre ensemble », c’est-à-dire notre droit, à tous, à la sécurité, partout sur notre territoire.

    Les valeurs de la République, ce sont celles qui vous imposent l’obligation de faire vacciner vos enfants avant l’âge de 2 ans, celles qui entendent vous dicter comme vous devez vous comporter y compris dans votre propre domicile.

    Ce sont des valeurs qui entendent pénétrer les cerveaux de vos enfants, au quotidien, via la mal nommée « Éducation nationale », pour en faire demain des robots, prêts à servir des intérêts n’ayant plus rien à voir avec ceux de la Nation.

    Les valeurs de la République, ce sont ces valeurs qui permettent à des flics de la pensée de vous dénoncer pour un écrit mettant en cause l’histoire officielle, ou pour d’autres décrivant de manière un peu trop réaliste la réalité de certains quartiers, de nos prisons, de notre quotidien à tous.

    Des valeurs qui conduisent des juges à vous mettre en prison pour vos idées, et à des contrôleurs fiscaux de vous faire rendre gorge dans la foulée, avant que « la société républicaine » ne décide de vous achever par une mise au ban et par une mort économique dont vous ne vous relèverez pas.

    Je vous passe les massacres commis au nom des valeurs républicaines, durant des siècles, mes ancêtres vendéens et chouans s’en souviennent encore, eux qui ont été massacrés par la Gueuse.

    Il serait peut-être temps de ne plus se laisser manipuler. Il est urgent de faire sécession d’avec la République française. Et pas besoin d’être un islamiste assoiffé de sang pour cela.

    Il suffit de penser à ces générations qui, durant des siècles et des siècles, ont bâti nos châteaux forts et cathédrales, n’ont eu de cesse d’innover, d’inventer, pour faire de notre civilisation européenne celle qui régna et inspira le monde entier jusqu’à ce que justement « les valeurs de la République » n’agissent en métastases dans toutes nos contrées et finissent par mettre notre Civilisation aujourd’hui presque à genoux.

    Alors qu’est-ce que vous préférez pour demain ? « Les valeurs de la République », la République des antiracistes, des LGBT, et des enfants devenus poneys, ou bien la Civilisation européenne, la sécurité pour tous, le bien, le beau, le vrai ?

    Je crois que la question elle est vite répondue…

    Julien Dir (Breizh-Info,  12 septembre 2020)

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  • Quand la pseudo-écologie veut faire table rase de la culture populaire française...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Eric Verhaeghe cueilli sur Figaro Vox dans lequel il analyse les raisons de la détestation qu'éprouvent les cadres d'Europe - Écologie - Les Verts à l'égard de la France populaire et de ses traditions.

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    Tour de France, sapins de Noël... «L’écologie radicale veut faire table rase de la culture populaire française»

    Le maire de Lyon n’a pas manqué sa rentrée médiatique. Coup sur coup, il vient de rompre avec la tradition du vœu des Échevins présenté à l’archevêque, qui remonte à 1643, sous prétexte de laïcité, puis il a taclé le Tour de France qu’il trouve «machiste et polluant». Ce sont deux éléments de la culture populaire française, et lyonnaise, qui sont soudain dans son viseur, et on n’en sera à dire vrai pas très étonné.

    On avait déjà entendu Benjamin Griveaux dénigrer la France qui fume des clopes et qui roule en diesel. Ce mépris bien senti d’un éminent élu marcheur avait fait grand bruit, car il révélait soudain la face à peine voilée du substrat macroniste: le rejet du «Français moyen» qualifié plus tard par le président de la République de «Gaulois réfractaire».

    Le maire de Lyon ne se tient pas très éloigné de ce mépris présidentiel, et il pousse le vice, ou l’audace, jusqu’à l’assumer politiquement. Les vieilles traditions lyonnaises de dédicace religieuse? On arrête. Le Tour de France dont l’adjudant Kronenbourg de Cabu ne manquait pas une étape? On arrête aussi.

    On comprend ce qui est visé ici: la France d’après, celle des écologistes puritains, doit faire table rase de tous ces vieux éléments de culture populaire qui ont fait l’identité d’avant. Un nouvel ordre, un nouvel homme, un nouveau Français, doit voir le jour sous les lumières de la nature et de son étrange cosmologie de rupture.

    Lionel Jospin avait parlé de droit d’inventaire à propos de l’héritage «mitterrandien». Le maire de Lyon se propose d’exercer un droit d’inventaire sur la culture française en la purgeant de ses éléments qu’il juge les moins désirables ou les moins acceptables. Et l’orientation de la purge est assez claire: le catholicisme (qui n’est pas rien, à Lyon) et le sport collectif, ces deux mamelles de l’identité populaire française qui, aux yeux des écologistes, sont autant de boulets inutiles à traîner.

    Et ce qu’il faut penser ici, c’est le phénomène en cours que constitue le déploiement de l’écologie et de sa radicalité dans l’esprit des bourgeoisies métropolitaines dominantes. Pourquoi aimer la nature suppose-t-il de ranimer une guerre avec l’église catholique (tout en lançant des constructions de mosquée, comme c’est le cas à Lyon)? ou de stigmatiser une fête populaire rituelle, au cours de laquelle la France se rassemble en un tour symbolique de ce qu’elle est et de ce qui constitue sa diversité? Pourquoi la construction politique de l’écologie se construit-elle dans la réaction contre cette France populaire, avec ses croyances sans doute naïves et chauvines, mais qui font la cohésion d’un peuple?

    Il n’existe peut-être pas. Sans doute pas de réponse univoque à cette question. Mais une chose est sûre: l’écologie ne se résume pas à l’amour de la nature (partagé, au demeurant, par les agriculteurs et les chasseurs, autres cibles des écologistes), elle s’accompagne, se nourrit, d’une réaction contre les petites gens et leurs croyances, dès lors qu’elles relèvent de notre identité structurelle.

    Si une réponse existe à la question du «pourquoi l’écologie est-elle une réaction contre la culture populaire?», elle se trouve probablement dans la sociologie du mouvement écologiste lui-même. On n’a peut-être pas assez dit que l’écologie était d’abord portée par une moyenne bourgeoisie de cadres du secteur public et, marginalement, du secteur privé. Certes, ces cadres irriguent tout le champ politique, mais l’originalité des écologistes est d’en rassembler une plus forte concentration, mue par des valeurs «de gauche» et par une vision économique relativement libérale ou, en tout cas, auto-gestionnaire et peu centralisatrice.

    Pour trouver des traces de cette composition particulière, on lira par exemple la monographie de Luc Rouban publiée dans un cahier du CEVIPOF de 2011, sur l’origine sociale des députés. Rouban montre que, sur l’ensemble de la période courant jusqu’à 2011, les députés écologistes sont ceux qui, le plus massivement, sont issus de la bourgeoisie moyenne, c’est-à-dire de cette population de cadres intermédiaires du public ou du privé qui font les «managers opérationnels» du capitalisme français. 2 députés écologistes sur 3 viennent de cette classe sociale, et un député sur dix seulement vient des classes supérieures. Dans aucun parti, on ne trouve une telle surreprésentation des milieux moyens, et une telle sous-représentation des classes supérieures, exception faite du parti communiste (étranger aux classes moyennes et aux classes supérieures).

    Ces chiffres font sens dans la mesure où ils illustrent la diffusion désormais majoritaire des idées et des valeurs de cette moyenne bourgeoisie issue des milieux enseignants, des chefs d’équipe dans les bureaux, de ces managers intermédiaires qui ne font plus partie de la masse, mais qui n’ont pas intégré les cercles de décideurs dans les entreprises ou les administrations. Et la première définition de cette bourgeoisie est de rejeter la culture de ceux qui sont immédiatement sous ses ordres. La fête sportive (le cyclisme, le football, et quelques autres) l’horripile. Les vieilles croyances religieuses aussi.

    On sent ici la difficulté pour cette classe intermédiaire d’exister, et son besoin de recourir à des exclusives et des bannissements pour cerner ses propres contours.

    De ce point de vue, la question de la «mobilité douce», le nouveau gimmick de l’écologiste ordinaire, est éclairante. Sous prétexte de sauver la planète, il faut interdire les automobiles dans nos rues (et bientôt «densifier» la ville en construisant en hauteur et en bannissant les pavillons individuels).

    On voit bien les avantages induits de ces mobilités douces: sans voiture, les banlieusards, c’est-à-dire cette masse de gens socialement infériorisés qui ne sont pas dans les centres villes, mais à leurs portes, viendront moins souvent troubler l’entre-soi d’une classe sociale émergente qui aspire à exercer sa suprématie sur un espace qu’elle considère désormais à sa main. Chaque classe sociale chez soi, et les vaches seront bien gardées.

    Bien entendu, cette logique d’apartheid est en conflit avec les valeurs généreuses affichées par les écologistes. Il devient donc stratégique de dissimuler cette conception réactionnaire derrière un éloge tout à fait artificiel du «vivre ensemble», qui consiste pour l’essentiel à promouvoir de façon assumée le remplacement des «Gaulois réfractaires» par une population de migrants sans conscience politique pour l’accueil de qui les pouvoirs publics ont l’injonction de construire des logements sociaux.

    La compréhension de la sociologie écologiste éclaire aussi cette étrange réaction, ce rejet de la culture populaire par les écologistes. La bourgeoisie moyenne qui porte cette doctrine politique se caractérise en effet par son faible patrimoine et par sa dépendance au salaire. Chez les écologistes, on trouve peu de professions libérales, de patrons ou de possédants qui disposent d’un patrimoine par héritage. On trouve surtout des gens qui, s’ils éprouvent le besoin de «sortir du lot», sont aussi en conflit avec les héritiers patrimoniaux qui contestent leur primat social.

    On comprend dans cet esprit pourquoi les écologistes (et, sur ce point, ils sont à l’unisson des Piketty et consorts) ont une perception négative du patrimoine et de l’héritage. Ils se pensent volontiers comme des gens nouveaux et n’ont aucun intérêt objectif à préserver l’acquis des siècles précédents. D’où ce rejet des traditions populaires et, dans une certaine mesure, ce rejet de tout ce qui peut rappeler la modestie de leurs origines.

    C’est dans la construction d’une culture nouvelle que la moyenne bourgeoisie écologiste pourra raboter les différences de niveaux qui l’infériorisent par rapport aux classes supérieures qui dominent la société… et les partis traditionnels de gouvernement.

    L’émergence de cette nouvelle bourgeoisie si hostile au patrimoine, qu’il soit populaire (et culturel), immobilier ou financier, est en construction depuis les années 70. Elle rassemble largement les enfants des soixante-huitards dont elle prolonge, en les radicalisant, les slogans bien connus.

    Désormais, l’héritage soixante-huitard est incrémenté dans une nouvelle classe sociale qui conteste en profondeur l’identité forgée dans ce pays avant son émergence. Il faut l’entendre comme une donnée brute et durable qui n’a pas fini de faire débat, voire polémique. L’élection, à la tête de nos grandes métropoles, de représentants militants de cette bourgeoisie plutôt désargentée nous réservera encore de nombreuses surprises.

    Eric Verhaeghe (Figaro Vox, 11 septembre)

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