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Points de vue - Page 112

  • Bas les masques ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Paul-Eric Blanrue, cueilli sur son site Le Clan des Vénitiens et consacré à la question du port du masque. Essayiste, historien de formation et ancien professeur, tenant d'un scepticisme rigoureux, Paul-Eric Blanrue a publié plusieurs ouvrages, dont certains ont suscité la polémique, comme Le monde contre soi (Blanche, 2007), Sarkozy, Israël et les juifs (Oser dire, 2009), le Livre noir des manipulations historiques (Fiat Lux, 2017) ou Sécession - L'art de désobéir (Fiat Lux, 2018).

     

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    Bas les masques !
     
    Ah, ces benêts qui juraient leurs grands dieux qu'une fois l'épidémie finie tout redeviendrait comme avant, "à la normale" ! Les voici dans les choux, dépassés, démentis par les faits. Ils sont d'autant moins excusables qu'il n'y a pas de secret : une fois qu'un État a mis la population au pas, il n'a nulle intention de lâcher la bride. Grâce à la Sainte Trouille l'esclavage est de plus en plus volontaire : ça aide. On incendie sur les réseaux ceux qui veulent sortir du rang. On les dénonce à la vindicte populaire comme au bon vieux temps du confinement. Le pli est pris. Pourquoi l'État se gênerait-il ? Qui va s'opposer à ses directives sanctifiées par l'Église de la Trouille et une partie du populo abusé ? Il ne faut point admettre que l'épidémie est derrière nous : songez à la deuxième vague, malheureux ! Angoissez-vous pour la troisième, méditez sur la quatrième, tremblez pour la quinzième !
    Masques obligatoires en lieux clos ? Oh, pas pour vous, bonnes gens, non, du tout, mais pour "les autres", bien sûr ! Les autres, les autres ! Point d'égoïsme : de l'altruisme pur sucre. 
    Ah oui ?
    Axel Kahn et autres professionnels de l'éthique d'État sont de dangereux farceurs. Protégez les autres, mes frères ! Tant que l'un de vos comportements sera jugé à risque par Kahn et les moralistes institués, abstenez-vous ! Telle est la thèse. Ils savent mieux que vous ce qui est bon pour vous. L'Éthique, c'est leur truc. Leur dada. Ils maîtrisent la chose (on ne sait pas comment mais c'est ainsi, ils ont la légitimité infuse), pas comme vous, bétail humain que vous êtes. Comme tout comportement, marcher, rouler, jouer, marcher, baiser et même parler, est potentiellement nuisible à autrui, ne faites plus rien ! Mettez tous des masques sous peine d'amendes. Et taisez-vous.
    Si vous voulez rire, demandez tout de même un peu à vos décideurs en vertu de quelle étude randomisée, l'État a pris cette décision. La norme obligée pour HCQ ne l'est soudainement plus pour les masques. Les masques sont tellement nécessaires à la santé publique que l'État a attendu la fin de l'épidémie pour les rendre obligatoires. Mystère la foi étatique.
    Le chantage affectif au nom de l'altruisme est vieux comme le clergé. Pour être qualifié de moral un acte ne peut être que volontaire. L'éthique coercitive d'État n'est d'aucune valeur en la circonstance. Exiger le sacrifice de votre liberté est l'ordre d'un maître pour son esclave. Rien de vertueux là-dedans, c'est un déploiement de force pure qui s'abat sur l'homme. Le communisme a fait 100 millions de morts au nom de la défense du prolétariat, les malheureux, les damnés, le sel de la terre. L'écologisme veut écraser vos vies au nom de la défense des vers de terre, des pistes cyclables, des éoliennes et d'un réchauffement dont il est interdit de douter. C'est le même impératif clérical, interdisant d'entretenir une pensée propre et d'exercer nos droits naturels fondamentaux, qui n'ont rien de théorèmes bassement égoïstes puisqu'ils sont au fondement de toute civilisation.
    Que celui qui veut porter un masque en porte un. C'est son choix. Il est impératif qu'ils soient disponibles. L'État, tout de suite, sans constituer de stock, aurait dû ouvrir le marché pour que la population puisse s'en procurer (les pharmaciens ont leurs réseaux). Il importe toutefois de se rappeler que ne pas porter de masque ne nuit en rien à la liberté de ceux qui veulent en porter un s'ils le désirent.
    On aura remarqué au cours de cette épidémie, et aujourd'hui encore, qu'aucun parti politique n'a réclamé plus de liberté pour le peuple. Tous ont demandé davantage de coercition. La liberté est le danger majeur pour ces brigands qui vivent de l'aliénation générale pour pérenniser leurs méfaits.
    Au lieu de faire tremper les gens dans un bain de terreur et les contraindre de sortir avec des masques comme si la peste noire régnait sur le monde au risque de décimer la moitié de la population, offrez-leur donc la liberté thérapeutique afin qu'ils se soignent avec les traitements qu'ils jugent efficaces !
    Quand l'État supprime votre liberté et vous confine, c'est vous qui êtes prisonnier. Pas lui. Quand l'État vous interdit de vous soigner avec un traitement efficace c'est vous qui mourrez. Pas lui. Quand l'État vous contraint de vous conduire en esclave, c'est lui le maître. Et si vous ne laissiez pas l'État contrôler vos vies ? On peut y songer, non ?
     
    Paul-Éric Blanrue (Le Clan des Vénitiens, 18 juillet 2020)
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  • Un regard écologique sur les virus...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Frédéric Malaval, cueilli sur Polémia et consacré aux virus vus sous un angle écologique. Frédéric Malaval est docteur en Sciences de l’environnement.

     

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    Un regard écologique sur le Covid-19 – Virologie et incertitude

    Les virus, organismes très fragiles, se perpétuent par le changement perpétuel.

    Les virus sont les virus

    “Les virus sont les virus”, voici la réponse des spécialistes de ce monde quand le béotien cherche à ranger les virus dans une catégorie connue. Les virus sont des êtres inéligibles au monde vivant. Ils forment une entité clanique en elle-même. Difficile alors de créer des catégories de virus. Hier, la classification reposait sur leur pouvoir pathogène ou leur taille; on a découvert récemment des virus géants, c’est-à-dire de la taille de…. bactéries. Aujourd’hui, cette classification est fondée sur la structure des virus selon la nature de l’acide nucléique du génome, DNA ou RNA, la conformation de la capside, tubulaire ou icosaédrique, et enfin la présence ou l’absence de péplos. Demain, on verra… (1: “Les virus, piliers de la vie marine”, Pour la Science n°104, juillet 2019).

    Ces éléments réunis permettent de déterminer les modes de transmission et d’action des virus, considérés unanimement comme des organismes très rudimentaires pratiquant le parasitisme. Leur identité est difficile à établir car leur fragilité leur impose une mutagenèse vitale pour surmonter l’hostilité des organismes qu’ils parasitent et tromper toutes les protections dont ils sont les victimes. Leur but est d’accéder au sein de cellules vivantes afin de se dupliquer en détournant la biochimie cellulaire à leur profit et assurer leur pérennité une fois la cellule infectée détruite. Quand beaucoup de cellules sont infectées, l’organisme parasité meurt. Mais entre temps, il aura été le vecteur du virus dont il aura garanti la survie.

    Le succès d’un virus dépend de sa capacité à se fixer à la surface des cellules d’un organisme. L’analogie d’un mécanisme clé-serrure, souvent évoqué, illustre cette exigence. Chaque organisme-hôte dispose d’une ‘serrure’ qui lui est propre à la surface de ses cellules. Si le virus dispose de la « bonne clé », il pourra entrer. Or, en permanence, les organismes-hôtes potentiels changent leurs ‘serrures’. Les virus doivent alors disposer de nouvelles clés. D’où la nécessité de muter en permanence, c’est-à-dire de créer de nouvelles clés avec l’espoir que l’une d’entre elles fonctionnera.

    Les virus, moteur de l’Évolution !

    Les virus constituent une merveille de l’évolution car ils consacrent un mode de ‘vie’ dont la pérennité repose sur le changement perpétuel. Constatant cette singularité, de nombreuses personnalités ont vu dans les virus une composante essentielle de la biosphère. Ainsi, Lewis Thomas (1913-1993) soulignait que leur mobilité génétique avait joué un rôle sans équivalent dans l’Évolution par leur capacité à déplacer du matériel génétique d’un individu ou d’une espèce à l’autre. Là est la difficulté des chercheurs pour élaborer le vaccin idoine, car une fois celui-ci au point, le virus ciblé aura muté, changé d’identité et de comportement. Ils sont confrontés à une relation ressource-consommateur / proie-prédateur de base en écologie. Les militaires vont traduire ce couplage par l’ancestral antagonisme entre l’épée et la cuirasse. Mais alors que cette relation proie-prédateur se déploie sur des millénaires d’évolution chez les mammifères, une à deux générations humaines dans l’art de la guerre, celle-ci évolue en quelques mois, voire semaines, pour l’interface virus-hôte.

    Ces mutations du matériel génétique fournissent alors de nouvelles ‘épées’. Pour d’innombrables impasses évolutives, il y a toutefois quelques succès adaptatifs. Une fois installé chez un hôte, le nouveau germe pathogène peut alors se propager chez les individus fragiles d’une population. Une maladie infectieuse est la conjonction de plusieurs évènements que le couple germe-hôte initie. Ensuite, les contacts répétés entre les membres de la population-hôte assurent sa diffusion chez les immuno-dépressifs, – là, ils triomphent -,… et l’immunisation des individus sains. Une nouvelle lignée doit alors vite émerger sous peine de mort définitive du type de virus ayant rencontré le succès initial.

    Il n’y a pas de papa et de maman virus

    Les virus ne peuvent pas se multiplier par eux-mêmes. Il n’y a pas de papa et de maman virus. La multiplication d’un virus consiste en l’introduction du génome viral dans une cellule. C’est elle qui va fabriquer de nouveaux virus selon un procédé de biosynthèse appelé réplication. C’est pourquoi cela est qualifié de parasitisme. C’est au moment de cette réplication que des ‘erreurs’ de transcription engendrent de nouvelles variétés.

    Les chercheurs identifient les différentes étapes du cycle de multiplication virale propre à chaque virus pour développer des molécules antivirales. Mais le virus mute, amplifiant ou non alors ses capacités de diffusion. La mutation modifie son éthologie et par conséquent les manifestations de sa présence. Les issues sont alors son éradication ou son amplification dans la population-hôte. On ne sait pas d’avance ce qui va se passer car il est impossible de connaître la nature et l’issue d’une mutation. Les certitudes sont rares dans le monde des virus, car l’aléa est au fondement de l’existence de ces organismes. D’où la grande prudence des virologues quand on attend d’eux des réponses concrètes. La réponse valable ce jour ne le sera plus demain.

    Coronavirus est une vedette de la virologie

    Concernant les évènements du printemps 2020, le non-spécialiste est obligé d’admettre que le flou le plus total règne. Pourtant, Coronavirus est une vedette de la virologie. Dans le numéro de janvier 2018 de Pour la Science était signalée une étude de l’Académie chinoise des sciences confirmant l’hypothèse que les chauve-souris du genre Rhinilophus étaient un réservoir du Coronavirus à l’origine du SRAS, syndrome respiratoire aigü sévère. Une épidémie en 2003 avait alerté les savants sur ce thème. Mais déjà ceux-ci avaient constaté être en présence de plusieurs souches. Ce polymorphisme participe au succès adaptatif des virus.

    C’est parce qu’il a besoin de récepteurs cellulaires spécifiques de la membrane cytoplasmique pour rentrer dans une cellule que chaque type de virus donné ne peut infecter qu’un nombre restreint d’espèces. Cela est qualifié de tropisme d’hôte. Une fois le processus réussi, jusqu’à un millier de virus sortent en faisant éclater la cellule, notre résistance aux virus dépendant alors de la performance de notre système immunitaire. Or, celui-ci varie selon les circonstances (horaires, saison, fatigue, alimentation, stress, âge, etc.), d’un individu à un autre, d’une race à une autre, d’une espèce à une autre, etc.

    Ainsi, il est maintenant prouvé que les Africains et les Européens répondent différemment aux infections. Cela est en grande partie sous contrôle génétique. La sélection naturelle est à l’origine de nos profils immunitaires. Les premiers vivent sous les tropiques, alors que les seconds ont prospéré à des latitudes septentrionales aux climats tempérés. Depuis longtemps les savants ont compris cela. Aujourd’hui, nous dirions que nous sommes le produit de déterminismes écosystémiques. La conséquence est qu’un Blanc est plus fragile en Afrique qu’un Noir, et réciproquement.

    Les virus à l’origine du Commerce triangulaire

    Pour l’anecdote, ces différences dans la performance immunologique sont à l’origine de l’esclavage des Noirs dans les Antilles. A l’origine des ouvriers blancs sous contrat s’affairaient dans les plantations. Mais l’inadaptation de leurs systèmes immunitaires sous les tropiques les faisait mourir bien vite. D’où la nécessité pour les planteurs de recourir à un prolétariat adapté à ces conditions très différentes de celles prévalant en Europe. Les Africains subsahariens répondaient à ces critères, mais il fallait les ‘acheter’ car le ‘contrat’ n’existait pas en Afrique. Il n’y avait pas de salariat, seulement des relations maîtres-esclaves. D’où la mise en œuvre du Commerce triangulaire. L’origine de tout cela est la défaillance de l’immunité des Européens en climat tropical.

    La perfection immunologique : le varan de Komodo

    Il est aussi prouvé que des espèces archaïques vivant dans des milieux riches en germes pathogènes comme les écosystèmes équatoriaux sont très résistantes aux infections. Ainsi, les savants espèrent trouver un antibiotique miracle dans le sang du dragon de Komodo ; un très gros varan asiatique tout droit sorti du temps de dinosaures. Son système immunitaire est si efficace qu’il utiliserait des bactéries pathogènes présentes dans sa salive pour tuer ses proies grâce à une immunité innée résultant de millions d’années d’évolution. D’autres reptiles attirent l’attention des chercheurs pour isoler des molécules au spectre antiviral large. Précisons qu’il existe aussi une immunité innée chez les humains, mais comme espèce apparue récemment, elle est beaucoup moins performante que celle d’autres espèces l’ayant précédée et diffère d’une race à une autre.

    Chez les humains, il est admis que les populations tropico-équatoriales sont plus anciennes que les populations septentrionales. Dans les milieux savants, l’idée se répand actuellement que les Africains subsahariens n’ont pas seulement un système immunitaire différent de celui des autres races humaines, mais que celui-ci est très performant, sous réserve qu’il s’exprime dans l’espace écologique ayant engendré leur lignée. Dit autrement les individus à la peau noire ont de meilleurs systèmes immunitaires que ceux à la peau claire. C’est tout à fait normal. Il en est ainsi pour toutes les populations humaines vivant sous les tropiques. Les Africains vivent dans des territoires à la nourriture abondante et à la température clémente; la contrepartie étant qu’ils évoluent dans un véritable bouillon de culture. Un système immunitaire performant est donc la garantie d’avoir une espérance raisonnable de survivre comme individu et comme lignée. En revanche, les populations septentrionales, c’est-à-dire essentiellement les Blancs, vivent dans des territoires où rien ne pousse pendant plusieurs mois et où le froid tue. La bonne nouvelle et qu’il y a ‘moins de microbes’. La sélection naturelle a favorisé, selon les déterminismes écologiques, des systèmes immunologiques différents à l’origine d’une immunité innée propre à chaque lignée à laquelle s’ajoute l’immunité acquise propre à chaque individu.

    Immunité innée et immunité acquise

    Cette immunité acquise est une des trois lignes de défense s’opposant successivement à une infection virale. A la frontière de l’organisme, il y a la peau, les muqueuses, la faune et la flore épidermiques. C’est la jungle sur notre peau. Difficile de la traverser. Ensuite interviennent l’immunité naturelle innée, puis l’immunité acquise forgée par le contact avec le virus pathogène. Le principe de la vaccination est que ce premier contact soit fait avec un germe inerte.

    En fin de compte ce n’est pas le virus qui déclenche la maladie, mais l’état plus ou moins immunodépressif du sujet infecté. Aussi, tous les états d’immunodépression contre-indiquent les vaccins vivants infectieux. Cela serait fatal pour une personne fragile alors qu’un sujet sain le supporterait sans dommage. Celui-ci serait toutefois à l’abri de l’infection, sans vaccin. Généralement, un individu en bonne santé dans son espace écologique est à l’abri des infections virales ordinaires. Pourtant, les tentatives sont innombrables, confrontant à chaque instant le système immunitaire de nos organismes à de nouveaux défis. Mais l’immense majorité n’a pas plus d’effet sur nous qu’un léger zéphyr.

    Aussi, les virus sont utiles car ils influent décisivement sur toutes les populations envisagées comme un ensemble d’individus semblables. Entre autres, une de leurs cibles privilégiées sont les autres germes, dont les bactéries elles aussi à l’origine de nombreuses pathologies fatales. Éliminer les virus renforcerait ces populations de bactéries avec les conséquences facilement envisageables pour les autres populations, humains compris. Les bactéries sont beaucoup plus résistantes aux agressions de toutes sortes que les virus. Avant l’arrivée des antibiotiques, il était courant d’introduire volontairement des virus dans les organismes infectés par des bactéries pour les détruire. Cette pratique médicale est qualifiée de phagothérapie. Confrontés à la baisse d’efficacité des antibiotiques, cette pratique retrouve grâce auprès de nombreux médecins.

    Pour l’anecdote, on signalera aussi l’utilisation de virus dans la technologie. À ce jour, il est envisagé d’utiliser des virus génétiquement modifiés pour améliorer les performances des batteries en augmentant la surface des cathodes grâce à eux. La discussion est ouverte !

    Pour l’écologue, toutefois, la fonction principale des virus est de contribuer à l’hygiène des populations en limitant leur taille et en éradiquant les individus ‘fragiles’, potentiellement vecteurs de virus, menaçant à terme les individus sains. Ce n’est pas un propos facile à assumer, mais c’est comme ça. Il faut le dire. Leur fonction écologique est fondamentale.

    Frédéric Malaval (Polémia, 19 juillet 2020)

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  • Les nouvelles inquisitions...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d' Alain de Benoist, cueilli sur le site de la revue Eléments et consacré aux nouvelles formes de censure. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

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    Les nouvelles inquisitions

    « Depuis que les journalistes policiers tendent à remplacer les intellectuels engagés, la chasse à l’hérétique, sur fond de consensus médiatique absolu, s’est substituée à la discussion critique et à l’argumentation polémique. La diffamation douce et diluée, la dénonciation vertueuse, la délation bien-pensante et mimétique, donnent son style à la chasse aux sorcières à la française. Le goût de la délation s’est propagé dans les rédactions : on y dresse des listes de suspects, on y inventorie les “ambigus” et les “équivoques” (les “pas clairs”), on s’y applique à surveiller de près tous les manquements au “correctivisme” idéologique […]. Le chasseur d’hérétiques n’enquête pas, il ne discute pas, il dénonce, il traque, il met hors d’état de nuire ceux qu’il désigne comme des criminels et des ennemis, voire des ennemis absolus. »

    Pierre-André Taguieff écrivait cela en septembre 1998, dans le Figaro. Les choses ont-elles changé depuis ? On n’en a pas tellement l’impression si l’on en juge par des mots ou des expressions qui reviennent sans cesse dans les médias comme des refrains : police de la pensée, cordon sanitaire, pensée hygiénique, diabolisation, stalinisme intellectuel, antifascisme anachronique, manichéisme, délationnisme, chasse aux sorcières, stigmatisation hystérique, manipulation du soupçon, dictature de la bien-pensance, exécution sommaire, marginalisation, dérapages, pensées dangereuses, amalgames, reductio ad hitlerum, décontextualisation, lecture militante, ligne rouge à ne pas franchir, anathèmes, chape de plomb, hypermoralisme, purification éthique, phobie lexicale, opinions sans valeur d’opinion, parias de la pensée, etc. Dans les années 1970, on parlait volontiers de « terrorisme intellectuel », dans les années 1980 de « police de la pensée », depuis les années 2000 de « pensée unique ». Mais c’est toujours du même phénomène qu’il s’agit : la proscription de fait des idées non conformes, la marginalisation de ceux qui se situent en dehors du cercle vertueux de la doxa dominante.

    Soyons clairs : il y a toujours eu des censures, des discours qui étaient plus facilement acceptés que les autres, et d’autres que l’on voulait voir disparaître. Aucun secteur d’opinion, aucune idéologie, aucune famille de pensée n’y a échappé au cours de l’Histoire, et bien souvent, ceux qui se plaignent le plus de la censure ne rêvent que de pouvoir en instaurer une à leur tour. Il n’en reste pas moins que les censures et les inquisitions ont pris depuis quelques décennies des formes nouvelles.

    Trois facteurs radicalement nouveaux sont à prendre en compte.

    Ordre moral et empire du Bien

    Le premier est que les censeurs veulent aujourd’hui avoir bonne conscience, ce qui n’était pas nécessairement le cas autrefois. Ceux qui s’emploient à marginaliser, à ostraciser, à réduire au silence ont le sentiment de se situer du côté du Bien. Le nouvel ordre moral se confond aujourd’hui avec ce que Philippe Muray appelait l’empire du Bien [1] évolution est indissociable de l’apparition d’une nouvelle forme de morale qui a fini par tout envahir.

    L’ancienne morale prescrivait des règles individuelles de comportement : la société était censée se porter mieux si les individus qui la composaient agissaient bien. La nouvelle morale veut moraliser la société elle-même, sans imposer de règles aux individus. L’ancienne morale disait aux gens ce qu’ils devaient faire, la nouvelle morale décrit ce que la société doit devenir. Ce ne sont plus les individus qui doivent bien se conduire, mais la société qui doit être rendue plus « juste ». C’est que l’ancienne morale était ordonnée au bien, tandis que la nouvelle est ordonnée au juste. Le bien relève de l’éthique des vertus, le juste d’une conception de la « justice » elle-même colorée d’une forte imprégnation morale. Fondée sur les droits subjectifs que les individus tiendraient de l’état de nature, l’idéologie des droits de l’homme, devenue la religion civile de notre temps, est avant tout elle aussi une doctrine morale. Les sociétés modernes sont à la fois ultrapermissives et hyper-morales.

    On connaît le vieux débat à propos de la loi et des mœurs : est-ce la loi qui fait évoluer les mœurs ou les mœurs qui font évoluer la loi ? Pour répondre à la question, il suffit de constater l’évolution du statut attribué à l’homosexualité dans l’espace public. S’il y a cinquante ans, l’« apologie de l’homosexualité » tombait sous le coup de la loi, aujourd’hui c’est l’« homophobie » qui peut faire l’objet d’une sanction pénale, à tel point que, dans les écoles, on organise désormais des campagnes visant à « sensibiliser les enfants à l’homophobie ». Quelle que soit l’opinion que l’on puisse avoir sur l’homosexualité, le rapprochement de ces deux faits a quelque chose de sidérant. Voici un demi-siècle, l’homosexualité était de façon assez ridicule présentée comme « honteuse » ou « anormale », aujourd’hui elle est devenue si admirable qu’il est interdit de dire qu’on ne l’apprécie pas.

    La furie du Bien n’épargne évidemment pas l’Histoire. Qu’elles créent ou non de nouveaux délits pénaux, qu’elles soient répressives ou purement proclamatoires, les « lois mémorielles » donnent à entendre que la loi est apte à décider de la vérité historique, ce qui est une aberration. Elles nourrissent des « repentances » publiques qui, en incitant à ne se remémorer le passé que comme crime, fonctionnent comme autant d’avertissements rétroactifs et de mythes incapacitants. Dans l’empire du Bien, on ne cherche plus à réfuter les pensées qui gênent, mais à les délégitimer – non comme fausses, mais comme mauvaises.

    Idéologie des droits et politiquement correct

    Deuxième facteur clé : le surgissement du « politiquement correct ». Cette lame de fond, venue d’outre-Atlantique, n’a rien d’anecdotique – bien au contraire. C’est indirectement un surgeon de l’idéologie des droits, à commencer par le droit d’avoir des droits. Au départ, ce sont des revendications portant sur le vocabulaire ou les formulations : ceux qui s’estiment choqués, humiliés, rabaissés par l’usage de certains termes, régulièrement posés comme des stéréotypes, s’affirment fondés à exiger qu’on les supprime. Les mouvements néoféministes et les tenants de la « théorie du genre » ont été en pointe dans cette revendication, qui pourrait être légitime si elle n’était pas poussée jusqu’à l’absurde.

    La cause profonde du politiquement correct réside en fait dans ce qu’on a pu appeler la métaphysique de la subjectivité, qui est l’une des clés de voûte de la modernité. Descartes en est le grand ancêtre : « Je pense, donc je suis. » Je, je. En termes plus actuels : moi, moi. La vérité n’est plus extérieure au moi, elle se confond avec lui. La société doit respecter mon moi, elle doit bannir tout ce qui pourrait m’offenser, m’humilier, choquer ou froisser mon ego. Les autres ne doivent pas décider à ma place de ce que je suis, faute de faire de moi une victime. Apparemment, je suis un homme blanc à la barbe épaisse, mais si j’ai décidé que je suis une lesbienne noire en transition, c’est ainsi que l’on doit me considérer. Je suis né il y a soixante ans, mais si je m’attribue les caractéristiques d’un homme de 40 ans, c’est comme tel que l’état-civil doit m’enregistrer. Au fond, je suis le seul qui a le droit de parler de moi. Ainsi s’alimente le narcissisme du ressentiment.

    La censure de nos jours se justifie ainsi par le « droit des minorités à ne pas être offensées ». Ces minorités ne sont en rien des communautés ou des corps constitués au sens traditionnel du terme, mais des groupes désarticulés d’individus qui, au nom d’une origine supposée ou d’une orientation sexuelle du moment, cherchent à désarmer toute critique sur la seule base de leur allergie à la « stigmatisation ». Leur stratégie se résume en trois mots : ahurir, culpabiliser, s’imposer. Et pour ce faire, se poser en victimes. Dans le climat compassionnel entretenu dans l’empire du Bien, tout le monde veut être une victime : le temps des victimes a remplacé celui des héros. Le statut de victime autorise tout, dès lors que l’on sait instrumentaliser le politiquement correct et l’idéologie des droits « humains ». Racisme structurel, sexisme inconscient, homophobie, c’est le triplé gagnant. Ce n’est plus l’essence, mais la doléance qui précède l’existence. Le mur des lamentations étendu à la société tout entière au nom du droit à faire disparaître les « discriminations ».

    On peut d’ailleurs s’arrêter sur ce terme de « discrimination », en raison du détournement sémantique dont il fait constamment l’objet. À l’origine, en effet, le mot n’avait aucun caractère péjoratif : il désignait seulement le fait de distinguer ou de discerner. Dans le langage actuel, il en est arrivé à désigner une différenciation injuste et arbitraire, éventuellement porteuse d’« incitation à la haine », à tel point que la « lutte contre les discriminations » est devenue l’une des priorités de l’action publique.

    Le problème est que cette exigence, en s’étendant de proche en proche, finit par aboutir à des situations qui, à défaut d’être cocasses, sont proprement terrorisantes. Un lycée américain décide la suppression d’une grande fresque murale datant de 1936 et dénonçant l’esclavage, au double motif que son auteur était blanc (un Blanc ne peut pas être antiraciste, c’est dans ses gènes) et que sa vue était « humiliante » pour les étudiants afro-américains. Elle sera remplacée par une fresque célébrant « l’héroïsme des personnes racisées en Amérique ». En France, une représentation des Suppliantes d’Eschyle à la Sorbonne fait « scandale » parce que certains acteurs portaient des masques noirs, preuve évidente de « racialisme ». En Espagne, un collectif demande que l’on réglemente d’urgence la « culture du viol » qui règne dans les basses-cours : les poules y sont victimes de la concupiscence des coqs. D’autres s’indignent qu’on veuille rendre hommage à une femme célèbre (il fallait lui rendre « femmage »), ou qu’un ministre mis en cause dans une affaire récente estime avoir été « blanchi », ce qui atteste du peu de cas qu’il fait des personnes de couleur ! On pourrait citer des centaines d’autres exemples.

    Notons au passage que la « racialisation » des rapports sociaux à laquelle on assiste actuellement n’a pas manqué d’aggraver les choses, sous l’influence des mouvances « indigénistes » et postcoloniales. Ce qui témoigne d’une certaine ironie : c’est depuis qu’on a officiellement déclaré que « les races n’existent pas » que l’on ne cesse d’en parler !

    Censure médiatique plutôt qu’étatique

    Le troisième fait nouveau, c’est que la censure n’est plus principalement le fait des pouvoirs publics, mais des grands médias. Autrefois, les demandes de censure émanaient principalement de l’État, la presse se flattant de jouer un rôle de contre-pouvoir. Tout cela a changé. Non seulement les médias ont quasiment abandonné toute velléité de résistance à l’idéologie dominante, mais ils en sont les principaux vecteurs.

    Journaux, télévisions, partis politiques : depuis trente ans, tous disent plus ou moins la même chose parce que tous raisonnent à l’intérieur du même cercle de pensée. La pensée unique est d’autant plus omniprésente dans les médias qu’elle s’exerce dans un micromilieu où tout le monde a les mêmes références (les valeurs économiques et les « droits de l’homme »), où tout le monde se tutoie et s’appelle par son prénom, où les mêmes relations incestueuses unissent journalistes, hommes politiques et show-business. La preuve en est que, sur un certain nombre de problèmes clés, 80 % d’entre eux pensent exactement le contraire de ce que pensent 80 % des Français. Le résultat est que le système médiatique est de plus en plus discrédité. Et que la plupart des débats auxquels on assiste ne méritent plus ce nom. « Le champ de ce qui ne fait plus débat ne cesse de s’étendre », disait encore Philippe Muray. « Le problème, confirme Frédéric Taddeï sur France Inter en septembre 2018, c’est que vous n’avez plus de vrai débat à la télévision française et que ça n’a l’air de gêner aucun journaliste. » Parallèlement, selon l’heureuse formule de Jean-Pierre Garnier et Louis Janover, l’intellectuel engagé a cédé la place à l’intellectuel à gage : « Aux “trois C” qui définissaient sa mission hier – critiquer, contester, combattre – ont succédé les “trois A” qui résument sa démission aujourd’hui : accepter, approuver, applaudir [2]. »

    On en est au point où l’on en revient même à la chasse aux confrères. Des journalistes demandent qu’on fasse taire d’autres journalistes, des écrivains demandent qu’on censure d’autres écrivains. On a vu cela dans le cas de Richard Millet, et plus récemment d’Éric Zemmour. Tel est explicitement le programme de deux petits inquisiteurs parmi d’autres, Geoffroy de Lagasnerie et Édouard Louis : « Refuser de constituer certains idéologues comme des interlocuteurs, certains thèmes comme discutables, certains thèmes comme pertinents » (sic) [3] Dialoguer avec l’« ennemi », ce serait en effet lui reconnaître un statut d’existence. Ce serait s’exposer soi-même à une souillure, à une contamination. On ne dialogue pas avec le Diable. Il faut donc diaboliser. Le politiquement correct est l’héritier direct de l’Inquisition, qui entendait lutter contre l’hérésie en dépistant les pensées mauvaises. L’idéologie dominante est elle aussi une orthodoxie, qui regarde comme hérétiques toutes les pensées dissidentes. Dans 1984, de George Orwell, Syme explique très bien que le but de la novlangue est de « restreindre les limites de la pensée » : « À la fin, nous rendrons impossible le crime par la pensée, car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer. » C’est l’objection ultime des nouvelles Inquisitions.

    Alain de Benoist (Eléments, 15 juillet 2020)

     

    Notes :

    [1]Philippe Murray, l’Empire du Bien, les Belles Lettres, 2010.

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  • Saturation de l’idéal démocratique, émergence d’un idéal communautaire...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Maffesoli, cueilli sur Le Courrier des stratèges et consacré à l'émergence de nouvelles formes politiques liées  à l'idéal communautaire. Penseur de la post-modernité, Michel Maffesoli a publié récemment  Les nouveaux bien-pensants (Editions du Moment, 2014) , Être postmoderne (Cerf, 2018), La force de l'imaginaire - Contre les bien-pensants (Liber, 2019) ou, dernièrement, La faillite des élites (Lexio, 2019).

     

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    Saturation de l’idéal démocratique, émergence d’un idéal communautaire

    Ce que l’on oublie, par trop souvent, dans la réflexion sur le politique, la gestion de la cité, c’est la distinction entre pouvoir et puissance. Pour le dire vite, le pouvoir est institué, c’est l’organisation du vivre ensemble, la puissance est instituante. Elle est ce qui donne corps et sens à la vie sociale, elle est ce qui fonde l’être ensemble.

    Selon les moments de l’histoire, le rapport entre le pouvoir et la puissance populaire qui le fonde et lui sert d’assise prend des formes différentes, liées à l’imaginaire de l’époque, à la manière dont les hommes se représentent leur destin commun.

    Qu’appelle-t-on la saturation des valeurs ?

    Ces conceptions différentes de la vie sociale se succèdent, non pas par ruptures brutales, mais par un processus progressif de lente saturation des valeurs d’une époque pendant qu’émergent de nouvelles valeurs.

    C’est ainsi qu’à partir du siècle des Lumières et de la Révolution française s’était mise en place une conception de la cohésion sociale fondée d’une part sur un principe individualiste, chaque individu est une entité autonome  (suivant sa propre loi, disposant de son « libre arbitre ») et d’autre part une forme de collaboration essentiellement juridique : le contrat social. Ma liberté individuelle s’arrête là où elle empêche l’expression de la liberté individuelle de l’autre.

    La démocratie étant la forme politique de cette conception du monde. C’est ce que cette grande dame de la pensée, Hannah Arendt appelle « l’idéal démocratique ». A un ensemble de « représentations » philosophique correspondait une « représentation » politique . Le pouvoir était délégué par les individus à des institutions élues ayant pour but d’organiser la gestion du territoire, la vie commune, la cité.

    Car l’organisation du pouvoir est étroitement lié à la conception du lien social, de ce qui lie les personnes entre elles, de ce qui fait cohésion sociale, je dirais même de ce qui fait socialité.

    Montée de l’hétéronomie post-moderne

    Dans la modernité, le lien entre individus autonomes se fait donc par le biais juridique du contrat social. Dans la postmodernité par contre, il n’y a pas d’autonomie individuelle, chaque personne se définit par rapport à diverses appartenances communautaires, ce que j’ai appelé, il y a plus de trente ans, le « tribalisme ». Il n’y a plus d’unité figée d’un individu, mais des identifications multiples selon les moments et les lieux à différentes communautés . En bref à l’autonomie (« autonomos » : je suis ma propre loi) succède l’hétéronomie (la loi c’est l’autre qui me la donne) . Tout un chacun étant dés lors tributaire de la communauté (ou des communautés) où il est inséré.

    Le fait que l’individu soit autonome ou au contraire dépendant de l’autre, l’autre de sa tribu ou des autres tribus va structurer des conceptions du pouvoir différentes. Dans un cas, la modernité, le pouvoir va être délégué par les individus à différentes instances élues, mandatées pour appliquer tel ou tel programme, pour exprimer telle ou telle conception de la société. Au contraire dans la postmodernité naissante, c’est à dire dans une société tribalisée, constituée de multiples communautés [1], cette forme de délégation du pouvoir ne fonctionne plus. Les masses fragmentées, éparpillées en diverses tribus ne se sentent plus représentées. Les individus ne s’identifient plus à un modèle unique, transcendant toute leur vie économique, sociale, spirituelle, mais sont eux-mêmes ceci et cela, celui-ci et celle-là, selon les occurrences quotidiennes.

    Dès lors le modèle politique de la démocratie représentative ne permet plus le lien entre la puissance et le pouvoir, entre l’instituant et l’institué. L’institué, le pouvoir, les élites (ceux qui ont le pouvoir de dire et de faire) de quelque nom qu’on les appelle ne sont plus pertinents. Ils sont des figures mortes, des représentants  d’institutions abstraites . Ce qui implique ce que Vilfredo Pareto nommait, justement, la fameuse « circulation des élites » !

    Puissance populaire et idéal communautaire

    Mais cette puissance populaire, cette volonté commune de faire corps, d’éprouver ensemble un destin commun et d’y faire face n’est pas morte, elle. Elle va chercher d’autres formes d’expression, d’autres formes de rassemblement. L’accent étant mis, dés lors, sur le partage de communions émotionnelles, de vibration communes. Ce que l’on appelle, en terme plus soutenu : la syntonie .

    Alors que dans la forme démocratique l’émotion commune est en quelque sorte projetée dans un objectif lointain, (un pro-jet), un avenir à construire, une société parfaite pour demain, dans la forme émergente de l’idéal communautaire [2] la communion est immédiate et présente. Les émotions communes, l’éprouver ensemble, l’esthétique (« aisthesis » en grec, c’est éprouver ensemble des émotions, des passions …) se vivent ici et maintenant. Non plus l’attente d’une « éternité » dans une société parfaite à venir, mais le désir de vivre dans ce que j’ai appelé « l’instant éternel ».

    Et c’est bien ainsi que l’on retrouve un autre rapport entre le politique, l’organisation de la cité et la proximité, le fait d’être-ensemble en un lieu. En témoigne la fin des oppositions partisanes, au profit de clivages plus subtils, entre les tenants d’une gestion bureaucratique des compétences croupions des petites communes et  ceux qui souhaitaient incarner au jour le jour une gestion de proximité, non pas pour les habitants, mais avec eux. Non pas un catalogue de promesses, mais l’ouverture sur une série d’expériences communes, ici et maintenant.

    En quoi consiste l’idéal communautaire

    Car si dans l’idéal démocratique, c’est le temps qui détermine l’être- ensemble, on dépasse ensemble le passé et on construit ensemble un avenir, dans l’idéal communautaire, on est ensemble, ici et maintenant, en intégrant le passé (la Tradition) et en vivant, au jour le jour un avenir qui est destin commun. Ce n’est plus la flèche de l’Histoire en marche, mais la spirale où le présent gros du passé assure de l’avenir. Ce n’est plus le « progressisme » qui va prédominer mais bien la « progressivité ». Et l’être ensemble ne se construit pas par la projection dans l’avenir, mais par le fait d’être ensemble dans un lieu donné . Le lieu fait lien. Internet aidant, ce lieu territoire géographique, pourra être démultiplié en plusieurs lieux, plusieurs sites, réels ou virtuels.

    La proximité n’est plus ce que Michel Foucault nommait « l’assignation à résidence », ce n’est plus non plus l’assignation à identité. Elle se démultiplie en de multiples moments de vie commune et en « identifications » multiples. Et c’est ce ballet entre diverses tribus qu’il revient à de nouvelles formes politiques de réguler sinon d’organiser.

    A chaque changement d’époque l’on voit un profond désarroi naître de la dichotomie existant entre l’institution et le peuple. Quand le peuple ne se reconnaît plus dans ses institutions, il fait sécession (secessio plebis).

    Les élections municipales et la sécession du peuple

    C’est exactement ce que nous montrent les résultats des élections municipales. Ce qui est frappant ce n’est pas tant la vague verte, vague sur laquelle surfent quelques tribus bobos en mal de pouvoir, mais l’énorme désintérêt populaire pour ces élections locales. Ni les partis traditionnels, ni les pseudo-nouvelles formes de représentation, les ni droite ni gauche de LREM ni même l’écologie politique ne peuvent prétendre à représenter et à plus forte raison à rassembler les diverses composantes d’une République Une et Indivisible. Ce qui est en gestation étant une autre conception de la « Res publica » : une république en mosaïque.

    Quand le pouvoir et la puissance sont entièrement déconnectés, quand les institutions ne sont plus innervées par une énergie commune, par la puissance populaire, quand les élites sont totalement distantes de la base, il faut trouver de nouvelles formes de gestion de la cité.

    Il faut noter d’ailleurs à cet effet, que dans quelques rares communes de moins de 1000 habitants, dans lesquelles l’équipe sortante n’a pas été reconduite au premier tour, s’étaient manifestées des équipes soucieuses de faire renaître leur village par des projets collaboratifs et des formes de participation innovantes. Las, les manœuvres de politiciens aguerris, usant des diverses ficelles de la vie démocratique moribonde ont empêché de telles expériences.

    Mais, qu’il s’agisse des villes à forte abstention ou des villages où les caciques du pouvoir se sont cramponnés à leurs privilèges, les formes d’être ensemble se détermineront progressivement dans de multiples expériences communes : dans des soulèvements populaires, sur le modèle des premiers gilets jaunes ou de diverses manifestations n’ayant d’autre objet que de se rassembler. Mais également, au jour le jour et dans différents territoires de proximité, des manifestations de solidarité, d’entraide, des rassemblements festifs, des initiatives de rencontres.

    N’est plus acceptée une politique imposée d’en haut, une politique ayant la vérité et menant le peuple vers un but défini par des élites en déshérence. Non pas une politique paranoïaque, mais une politique métanoïaque. Non pas au-dessus, mais avec. Non pas la loi du Père, mais la loi des frères.

    Ce sera cela la gestion de la maison commune, la sagesse commune, ce que j’ai appelé Ecosophie.

    D’un point de vue historique, on pourrait rappeler le modèle de l’empire romain. Pax romana c’était l’organisation sur un très grand territoire des fonctions de mobilité (routes et aqueducs), d’un culte commun dans une acceptation relativiste d’une diversité de croyances, de modes de vie etc.

    Nul ne peut prédire les formes que prendront les institutions qui naîtront de ces formes nouvelles et émergentes d’être ensemble. Sans doute y aura-t-il de nombreux soubresauts et d’affrontements entre pouvoirs moribonds. Ce que l’on peut dire par contre est que ces nouvelles formes politiques, ces formes d’une politique transfigurée, se lisent, au jour le jour, au plan local, dans la proxémie quotidienne.

    C’est cette esthétique quotidienne que doit peu à peu formaliser un politique en adéquation avec l’époque postmoderne. 

    Michel Maffesoli (Le Courrier des stratèges, 9 juillet 2020)

     

    Notes :

    [1] Nombre d’observateurs ont « découvert » récemment cette réalité d’une France (je dirais d’une société européenne, occidentale et asiatique) fractionnée, fragmentée, « archipellisée ». Des appartenances multiples, des croyances diversifiées en différents syncrétismes. Bref, ce que j’analysais, dés 1988, dans mon livre , Le temps des tribus, le déclin de l’individualisme dans les sociétés de masse. (1988, 4ème édition, La Table ronde, 2019). Analyse reprise, ad nauseam, par ces fameux « experts » médiatiques, tout simplement, des plagiaires. La sagesse populaire le sait bien : on a tort d’avoir raison trop tôt !

    [2] Cf. Michel Maffesoli et Hélène Strohl : La faillite des élites, éditions du Cerf, 2019

     
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  • A quand les excuses d’Alger pour la traite des esclaves européens ?...

    Alors que le président algérien Abdelmadjid Tebboune, profitant de l'épidémie de repentance et d'ethnomasochisme qui sévit dans tout l'occident, vient de demander à la France de s'excuser sur la colonisation de l'algérie, Bernard Lugan rappelle le passé esclavagiste de la régence d'Alger et la terreur imposée en Méditerranée par les pirates barbaresques. Historien et africaniste, auteur de nombreux ouvrages, comme  Osons dire la vérité à l'Afrique (Rocher, 2015), Heia Safari ! - Général von Lettow-Vorbeck (L'Afrique réelle, 2017), Atlas historique de l'Afrique (Rocher, 2018) et Les guerres du Sahel (L'Afrique réelle, 2019), mais aussi deux romans avec Arnaud de Lagrange, dont Les volontaires du Roi (Balland, 2020), Bernard Lugan vient de publier un récit satirique intitulé Le Banquet des Soudards (La Nouvelle Librairie, 2020).

    Marché aux esclaves.Jpeg

    A quand les excuses d’Alger pour la traite des esclaves européens ?

    En ces temps de repentance et d’ethno-masochisme, puisque ceux qu’il est difficile de désigner autrement que par le terme d’ennemis, vu leur comportement à l’égard de la France, s’amusent à jongler avec le contexte historique, alors, faisons de même. 
     
    L’Algérie aux abois économiquement, ruinée par les profiteurs du Système qui depuis 1962 se sont méthodiquement engraissés en pillant ses ressources, a donc l’outrecuidance de demander des excuses à la France. Pourquoi pas d’ailleurs, puisque, comme le disait Etienne de la Boétie : « Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux » ? 
     
    Des excuses donc pour avoir tracé en Algérie 54 000 kilomètres de routes et pistes (80 000 avec les pistes sahariennes), 31 routes nationales dont près de 9000 kilomètres goudronnés, construit 4300 km de voies ferrées, 4 ports équipés aux normes internationales, 23 ports aménagés (dont 10 accessibles aux grands cargos et dont 5 qui pouvaient être desservis par des paquebots), 34 phares maritimes, une douzaine d’aérodromes principaux, des centaines d’ouvrages d’art (ponts, tunnels, viaducs, barrages etc.), des milliers de bâtiments administratifs, de casernes, de bâtiments officiels, 31 centrales hydroélectriques ou thermiques, une centaine d’industries importantes dans les secteurs de la construction, de la métallurgie, de la cimenterie etc., des milliers d’écoles, d’instituts de formations, de lycées, d’universités avec 800 000 enfants scolarisés dans 17 000 classes (soit autant d’instituteurs, dont deux-tiers de Français), un hôpital universitaire de 2000 lits à Alger, trois grands hôpitaux de chefs-lieux à Alger, Oran et Constantine, 14 hôpitaux spécialisés et 112 hôpitaux polyvalents, soit le chiffre exceptionnel d’un lit pour 300 habitants. Sans parler d’une agriculture florissante laissée en jachère après l’indépendance, à telle enseigne qu’aujourd’hui l’Algérie doit importer du concentré de tomates, des pois chiches et jusqu’à la semoule pour le couscous… 
     
    Or, tout ce que la France légua à l’Algérie en 1962 fut construit à partir du néant, dans un pays qui n’avait jamais existé et dont même le nom lui fut donné par le colonisateur... Tout avait été payé par les impôts des Français. En 1959, toutes dépenses confondues, l’Algérie engloutissait ainsi 20% du budget de l’Etat français, soit davantage que les budgets additionnés de l’Education nationale, des Travaux publics, des Transports, de la Reconstruction et du Logement, de l’Industrie et du Commerce ! (Voir à ce sujet mon livre Algérie l’Histoire à l’endroit). 
     
    L’Algérie a exigé, et sur ce point comment ne pas être d’accord avec elle, que la France lui restitue les cranes de combattants vaincus par l’armée française lors de la conquête. Mais alors, quid des restes des dizaines de milliers d’esclaves européens dont des milliers de Français enlevés en mer ou par des razzia littorales, morts en Algérie et enterrés dans la banlieue d’Alger dans ce qui, avant la conquête était désigné comme le cimetière des chrétiens ? C’est en effet par dizaines de milliers que des hommes, des femmes et des enfants européens furent pris en mer ou enlevés à terre par les pirates barbaresques. De 1689 à 1697, Marseille perdit ainsi 260 navires ou barques de pêche et plusieurs milliers de marins et de passagers, tous ayant été réduits en esclavage. En 1718, la comtesse du Bourk, ses enfants et ses domestiques qui avaient embarqué à Sète pour rejoindre via Barcelone son mari ambassadeur en Espagne furent capturés en mer. La petite Marie-Anne du Bourk alors âgée de 9 ans, fut rachetée en 1720. 
     
    Grâce aux rapports des pères des Ordres religieux dits de « rédemption des captifs », qu’il s’agisse de l’Ordre des Trinitaires fondé par Jean de Matha et Félix de Valois, ou des Pères de la Merci, les Mercédaires, un ordre religieux fondé par Pierre Nolasque, nous connaissons les noms de milliers d’esclaves rachetés, ainsi que leurs villes ou villages d’origine, cependant que, faute de moyens, des dizaines de milliers d’autres ne le furent pas et moururent dans les chaînes.
     
    En 1643, le Père Lucien Héraut, prêtre de l’Ordre de la Trinité et Rédemption des Captifs, rentra en France avec 50 malheureux Français qu’il venait de racheter aux esclavagistes algérois. Faute de moyens, la mort dans l’âme, il avait laissé derrière lui plusieurs milliers d’autres Français, sans compter les milliers d’esclaves appartenant aux autres nations européennes enlevés en mer ou sur le littoral. 

    Dans une lettre d’une grande puissance de témoignage adressée à Anne d’Autriche, Reine-Régente du royaume de France, le père Héraut se fit l’interprète des captifs, s’adressant à la reine en leur nom, afin de lui demander une aide financière pour les racheter. Une lettre qui devrait clore les prétentions et les exigences d’excuses des descendants des esclavagistes algérois : « Larmes et clameurs des Chrestiens françois de nation, captifs en la ville d’Alger en Barbarie, adressées à la reine régente, par le R. P. Lucien Heraut, Religieux de l’Ordre de la Trinité et Rédemption des Captifs, 1643. 


    « (…) ainsi qu’il arrive ordinairement aux vassaux de vostre Majesté, qui croupissent miserablement dans l’horrible esclavage (…) cette mesme necessité addresse aux pieds de sa clemence et Royalle bonté, les larmes et soupirs de plus de deux milles François de nation Esclaves en la seule ville d’Alger en Barbarie, à l’endroit desquels s’exerce les plus grandes cruautés que l’esprit humain puisse excogiter, et les seuls esprits infernaux inventer. 


    Ce n’est pas, Madame, une simple exaggeration (…) de ceux, qui par malheur sont tombés dans les griffes de ces Monstres Affricains, et qui ont ressenty, comme nous, leur infernalle cruauté, pendant le long sejour d’une dure captivité, les rigueurs de laquelle nous experimentons de jour en jour par des nouveaux tourments: la faim, le soif, le froid, le fer, et les gibets (…) mais il est certain que les Turcs et Barbares encherissent aujourd’hui par-dessus tout cela, inventans journellement de nouveaux tourments, contre ceux qu’ils veulent miserablement prostituer, notamment à l’endroit de la jeunesse, captive de l’un et l’autre sexe, afin de la corrompre à porter à des pechés si horribles et infames, qu’ils n’ont point de nom, et qui ne se commettent que parmys ces monstres et furies infernales et ceux qui resistent à leurs brutales passions, sont écorchez et dechirez à coup de bastons, les pendants tous nuds à un plancher par les pieds, leur arrachant les ongles des doigts, brullant la plante des pieds avec des flambeaux ardents, en sorte que bien souvent ils meurent en ce tourment. Aux autres plus agés ils font porter des chaisne de plus de cent livres de poids, lesquelles ils traisnent miserablement partout où ils sont contrains d’aller, et apres tout cela si l’on vient à manquer au moindre coup de siflet ou au moindre signal qu’ils font, pour executer leurs commandements, nous sommes pour l’ordinaire bastonnez sur la plante des pieds, qui est une peine intollerable, et si grande, qu’il y en a bien souvent qui en meurent, et lors qu’ils ont condamné une personne à six cent coups de bastons, s’il vient à mourir auparavant que ce nombre soit achevé, ils ne laissent pas de continuer ce qui reste sur le corps mort. 


    Les empalements son ordinaires, et le crucifiment se pratique encore parmy ces maudits barbares, en cette sorte ils attachent le pauvre patient sur une manière d’echelle, et lui clouent les deux pieds, et les deux mains à icelle, puis après ils dressent ladite Eschelle contre une muraille en quelque place publique, où aux portes et entrées des villes (…) et demeurent aussi quelque fois trois ou quatre jours à languir sans qu’il soit permis à aucun de leur donner soulagement. 


    D’autres sont écorchez tous vifs, et quantitez de bruslez à petit feu, specialement ceux qui blasphement ou mesprisent leur faux Prophete Mahomet, et à la moindre accusation et sans autre forme de procez, sont trainez à ce rigoureux supplice, et là attachez tout nuds avec une chaine à un poteau, et un feu lent tout autour rangé en rond, de vingt-cinq pieds ou environ de diametre, afin de faire rostir à loisir, et cependant leur servir de passe-temps, d’autres sont accrochez aux tours ou portes des villes, à des pointes de fer, où bien souvent ils languissent fort long temps. 


    Nous voions souvent de nos compatriots mourir de faim entre quatre murailles, et dans des trous qu’ils font en terre, où ils les mettent tout vif, et perissent ainsi miserablement. Depuis peu s’est pratiqué un genre de tourment nouveau à l’endroit d’un jeune homme de l’Archevesché de Rouen pour le contraindre a quitter Dieu et nostre saincte Religion, pour laquelle il fut enchaisné avec un cheval dans la campagne, l’espace de vingt-cinq jours, à la merci du froid et du chaud et quantitez d’autres incommoditez, lesquelles ne pouvant plus supporter fit banqueroute à notre saincte loy. 


    Mille pareilles cruautez font apostasier bien souvent les plus courageux, et mesme les plus doctes et sçavants : ainsi qu’il arriva au commencement de cette presente année en la personne d’un Père Jacobin d’Espagne, lequel retenu Captif, et ne pouvant supporter tant de miseres, fit profession de la loy de Mahomet, en laquelle il demeura environ six mois, pendant lesquels (…) il avoit scandalisez plus de trente mille Chrestiens esclaves de toutes nations (…) il se resolu à estre brullé tout vif, qui est le supplice ordinaire de ceux qui renoncent à Mahomet (…)en suite deqoy il fut jetté en une prison obscure et infame (…) Le Bascha le fit conduire au supplice(…) il fut rosty à petit feu un peu hors de la ville près le Cimitiere des Chrestiens. 


    Nous n’aurions jamais fait, et nous serions trop importuns envers votre Majesté, de raconter icy toute les miseres et calamitez que nous souffrons : il suffit de dire que nous sommes icy traittez comme de pauvres bestes, vendus et revendus aux places publiques à la volonté de ces inhumains, lesquels puis apres nous traittent comme des chiens, prodiguans nostre vie, et nous l’ostans, lors que bon leur semble (…). 


    Tout cecy, Madame, est plus que suffisant pour émouvoir la tendresse de vos affections royales envers vos pauvres subjets captifs desquels les douleurs sont sans nombre, et la mort continuelle dans l’ennuy d’une si douleureuse vie (…), et perdre l’ame apres le corps, le salut apres la liberté, sous l’impatience de la charge si pesante de tant d’oppressions, qui s’exercent journellement en nos personnes, sans aucune consideration de sexe ny de condition, de vieil ou du jeune, du fort ou du foible : au contraire celuy qui paroist delicat, est reputé pour riche, et par consequent plus mal traitté, afin de l’obliger à une rançon excessive, par lui ou par les siens (…) nous implorons sans cesse, jettant continuellement des soupirs au Ciel afin d’impetrer les graces favorables pour la conservation de vostre Majesté, et de nostre Roy son cher fils, destiné de Dieu pour subjuguer cette nation autant perfide que cruelle, au grand souhait de tous les Catholiques, notamment de ceux qui languissent dans ce miserable enfer d’Alger, une partie desquels ont signé cette requeste en qualité, Madame, de vos tres humbles, tres obeyssants, tres fidels serviteurs et vassaux les plus miserables de la terre, desquels les noms suivent selon les Dioceses et Provinces de votre Royaume. » 
     
    Bernard Lugan (Blog de Bernard Lugan, 11 juillet 2020)
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  • Et si l’écologie était... de droite?

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Max-Erwann Gastineau, cueilli sur Figaro Vox et consacré à l'écologie de droite. Diplômé en histoire et en science politique, Max-Erwann Gastineau est membre de la rédaction de la revue Limite et a publié récemment Le Nouveau procès de l’Est (Éditions du Cerf, 2019).

     

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    Et si l’écologie était... de droite ?

    Les dernières élections municipales ont rappelé la place prépondérante de l’écologie dans notre vie politique et renvoyé la droite à ses insuffisances. «Nous devons porter une politique environnementale compatible avec nos valeurs», affirma en guise d’appel au sursaut le Secrétaire général des Républicains (LR), Aurélien Pradier, au lendemain d’un second tour cataclysmique pour son parti dans les grandes villes. Mais alors quelles valeurs, et pour quel projet?

    À droite, l’écologie divise, ou plutôt embarrasse. C’est qu’on ne sait l’appréhender, comment s’approprier un discours, une idée née de la critique des effets du marché et du progrès technique sur l’homme et son environnement. Ainsi se contente-elle, bien souvent, de dénoncer une écologie «punitive», attentatoire aux libertés individuelles. Un angle d’approche tout à fait recevable, sauf que la droite est, historiquement, plutôt convaincue du contraire ; que de la contrainte ou de la règle peut naître un ordre plus juste, une sécurité («première des libertés») plus grande. Ce qui est vrai pour la préservation de la société, la sécurité des biens et des personnes ne le serait-il pas pour la terre et la biodiversité? Quid, dans ce cadre, du «principe de précaution», inscrit dans notre constitution sous la présidence de Jacques Chirac? Ne constitue-t-il pas une entrave insupportable aux libertés individuelles, à l’initiative personnelle et à l’innovation scientifique, carburants du dynamisme économique? Même de son bilan (on a omis d’évoquer l’organisation du Grenelle de l’environnement par Nicolas Sarkozy), la droite ne sait que faire…

    Elle a oublié qu’elle fut pionnière. Au début des années 1970, l’écologie fait son entrée en politique. Signe des temps: la présidentielle de 1974 voit le premier candidat étiqueté «écologiste», le sociologue René Dumont, se soumettre aux suffrages des Français. Mais le tournant a lieu plus tôt. On le doit au président gaulliste de l’époque, Georges Pompidou. Dans une France chamboulée par l’ «ardente nécessité» de poursuivre la «modernisation» du pays, Pompidou créa le premier ministère de l’environnement. Comme un contrepoids au tourbillon du changement, l’ancien Premier ministre du Général de Gaulle offrit au pays un ministère de la continuité, contre la course à l’innovation une politique de la préservation. Un choix somme toute logique pour cet agrégé de lettres classiques, ancien professeur de latin et de grec, qui n’ignorait rien des questions que le développement des sociétés industrielles posait à la condition humaine. En témoigne ce discours sur «la crise de la civilisation occidentale», prononcé en 1970 dans la tentaculaire ville de Chicago: «La nature nous apparaît de moins en moins comme la puissance redoutable que l’homme du début de ce siècle s’acharnait encore à maîtriser mais comme un cadre précieux et fragile qu’il importe de protéger pour que la terre demeure habitable à l’homme.»

    L’écologie ne remet pas en cause le changement ou la possibilité d’un «progrès» (la capacité des hommes à mettre leur créativité au service d’une amélioration de leurs conditions d’existence). Elle questionne le «Progrès» (avec un grand «P») ; la croyance en un vaste mouvement qui ferait mécaniquement coïncider avenir et prospérité, transformation et amélioration. «Dans l’entassement des grandes agglomérations, poursuit Pompidou, l’homme se voit accablé de servitudes et de contraintes de tous ordres qui vont bien au-delà des avantages que lui apportent l’élévation du niveau de vie et les moyens individuels ou collectifs mis à sa disposition. Il est paradoxal de constater que le développement de l’automobile par exemple, dont chacun attend la liberté de ses mouvements, soit traduit en fin de compte par la paralysie de la circulation.» Un passage d’une étonnante actualité et qui révèle un des grands ressorts du vote écologiste à Lyon, Paris ou Bordeaux: non pas le désir de «revenir à la terre» (ce désir, nombre d’urbains le réalisent chaque année), mais un malaise plus profond, lié à la sensation d’étouffement éprouvée dans des transports bondés ; à la concentration, à la densité de population que la tertiarisation de l’économie et une politique d’aménagement du territoire centrée sur le développement des grandes métropoles ont accéléré dans des proportions jamais atteintes.

    Plaidant pour la sauvegarde de «la maison des hommes», Pompidou fit voter en 1973 une loi sur «les espaces boisés à conserver», déclinée sous la forme d’une fameuse lettre adressée aux arbres du bord de la route. «La vie moderne dans son cadre de béton, de bitume et de néon créera de plus en plus chez tous un besoin d’évasion, de nature et de beauté. L’autoroute sera utilisée pour les transports qui n’ont d’autre objet que la rapidité. La route, elle, doit redevenir pour l’automobiliste de la fin du XXe siècle ce qu’était le chemin pour le piéton ou le cavalier: un itinéraire que l’on emprunte sans se hâter, en en profitant pour voir la France. Que l’on se garde donc de détruire systématiquement ce qui en fait la beauté!»

    «Fragile», «précieux», «beauté», «nature»… le champ lexical de l’écologie pompidolienne ne remit pas pour autant en cause le colbertisme triomphant des débuts de la Vème République, qui devait donner à la France les industries stratégiques nécessaires à la préservation de son rang et à la consolidation de son indépendance. C’est sans doute ici, dans la conciliation - que d’aucuns jugeront «contre-nature» - de l’écologie et d’une certaine industrie, de l’impératif de sauvegarde de la beauté du monde et de souveraineté, de décarbonation (de l’économie) et de réindustrialisation (du pays), qu’une ligne de crête se dessine pour la droite. Et se livre sous le nom de «transition énergétique».

    Pensons à l’hydrogène. À terme, cette énergie doit contribuer à la décarbonation d’industries fortement consommatrices d’énergies (aciéries, raffineries…) et de nombreux transports, ferroviaires notamment, comme en région Grand Est ou en Occitanie, où la SNCF, Alstom Transport et l’agence environnementale d’Etat (l’Ademe) oeuvrent à la construction de trains à hydrogène pour revitaliser les petites lignes de la France périphérique. Sur l’ensemble de la chaîne de valeurs, la filière hydrogène française dispose de fleurons de premier plan (Air Liquide, Engie, EDF, Alstom, Michelin…). Mais une chose déterminante manque au déploiement des potentialités de cet ensemble: un investissement public massif. Car le marché, seul, ne suffit pas. Pour décoller, une filière industrielle a besoin de propulseurs publics. Vieux réflexe français? C’est peu connaître l’histoire de l’industrie et les pratiques contemporaines de nos voisins et concurrents internationaux.

    Soucieux d’inscrire ses pas dans ceux de son prédécesseur, Valéry Giscard d’Estaing entreprit une action réformatrice importante dans le domaine de l’environnement. Citons, à titre d’exemple, la loi sur la protection de la nature, qui instaura une liste nationale d’espèces protégées, un statut pour l’animal domestique et la création d’études d’impact avant la construction d’infrastructures. Ou celle de 1975 portant création du Conservatoire de l’Espace Littoral, en vue de sanctuariser les côtes françaises face aux menaces d’urbanisation. Interrogé par un journaliste jugeant cette politique ancrée «à gauche», le président Giscard d’Estaing eut cette réponse: «L’écologie, c’est avoir peur pour ce qui existe… c’est aussi ça, être de droite.» Une réponse qui mérite qu’on s’y attarde. Car elle résume à elle seule la disposition d’âme au fondement de la pensée conservatrice.

    Le conservatisme, explique le regretté Roger Scruton, auteur de Green philosophy en 2012, c’est «ce sentiment que toutes les personnes d’âge mûr partagent sans mal: le sentiment que les choses bonnes peuvent être aisément détruites, mais non aisément créées». La «peur» dont parle Giscard d’Estaing n’est donc pas cet épouvantail qui paralyse et pousse à céder aux sirènes du repli. Elle est ce sentiment que l’essentiel (la faune, la flore, tel paysage, tel art de vivre, telle langue, tel patrimoine… tout ce qui donne sens et substance à notre présence sur Terre) est sujet à caution, vulnérable, car dépendant de notre capacité à l’entourer d’une attention sans cesse renouvelée. Elle rappelle que l’écologie est une éthique de la responsabilité, alliant souci des conséquences et conscience des permanences sans lesquelles l’avenir aurait le goût insipide de la fatalité. Une éthique qui entrave une conception dévoyée de la liberté, synonyme d’adaptation effrénée à un sens de l’Histoire que l’absence de résistance intérieure de l’homme moderne pousse à épouser sans précaution. Cette éthique, il ne tient qu’à nous de l’ériger, comme nous y enjoignait Hans Jonas: «Le Prométhée définitivement déchaîné, auquel la science confère des forces jamais encore connues et l’économie son impulsion effrénée, réclame une éthique, qui par des entraves librement consenties, empêche le pouvoir de l’homme de devenir une malédiction pour lui.»

    Les «entraves» évoquées par le grand penseur de l’écologie doivent être - notons-le - «librement consenties». Elles ne sauraient donc être imposées du dehors, par un pouvoir tutélaire s’affirmant au mépris des aspirations populaires. Elles ne sauraient non plus être érigées sans souveraineté. Car ce n’est que dans le cadre d’une nation souveraine, maîtresse de ses destinés, qu’un peuple peut consentir à de telles entraves ; édifier des parcs naturels et des zones protégées du tourisme de masse, limiter l’exploitation de ses forêts, soutenir une agriculture raisonnée, taxer les importations de produits ne respectant pas les normes environnementales qu’il s’est à lui-même fixées…

    On ne saurait enfin être complet sans évoquer l’écologie humaine, qui n’est pas un gros mot, surtout à l’heure où le Parlement s’apprête à détricoter notre code bioéthique. Contrairement à ce qu’affirme le Premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, cette écologie ne met pas «la nature au-dessus de l’homme» mais l’humain au-dessus de la technique. L’homme n’est pas un matériau malléable, le cobaye des expérimentations sociétales du progressisme. Il réclame lui aussi une éthique, qui ne saurait simplement correspondre «aux évolutions de la science et de la société», comme le préconise le professeur Jean-François Delfraissy. La bioéthique est une boussole, un point d’ancrage. Elle existe pour fixer des «repères» aux citoyens, face aux «avancées parfois vertigineuses des sciences», et répondre aux demandes «des chercheurs et des praticiens qui se sentent souvent trop seuls face aux conséquences gigantesques de leurs réflexions et de leurs travaux», expliquait non pas La Manif pour Tous mais François Mitterrand, lors de la création du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) en 1983. Mais sans doute parce que lui aussi était, au fond, un homme de droite…

    Max-Erwann Gastineau (Figaro Vox, 8 juillet 2020)

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