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Points de vue - Page 115

  • Gagner la guerre contre l’Islam radical : une question de cohérence...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue du général Jean-Bernard Pinatel, cueilli sur Geopragma et consacré à la nécessaire mise en cohérence de l'action diplomatique de notre pays que devrait imposer une lutte sérieuse contre l'islamisme sur le territoire français... Officier général en retraite et docteur en sciences politiques, Jean-Bernard Pinatel a déjà publié plusieurs essais dont Russie, alliance vitale (Choiseul, 2011) et Carnet de guerres et de crises 2011-2013 (Lavauzelle, 2014).

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    Pour gagner la guerre contre l’Islam radical, une définition précise de la menace et une mise en cohérence de notre politique intérieure et étrangère constituent un impératif vital

    Depuis mars 2012, la France est confrontée à un nombre d’attentats islamistes sans précédent qui ont causé 267 morts et probablement plus de 700 blessés au sein de notre population. Le dernier en date étant la décapitation de Samuel Paty, professeur d’Histoire et de Géographie à Conflans-Sainte-Honorine le 16 octobre 2020 qui avait montré à ses élèves des caricatures du prophète Mahomet lors d’un cours sur la liberté d’expression. Il faut aussi prendre en compte nos pertes militaires dans des opérations extérieures contre les djihadistes de l’Islam radical :  90 morts et près de 1000 blessés en Afghanistan depuis 2003 et 46 morts et plus de 300 blessés au Sahel depuis le début de l’opération Serval. 

    Ce rappel des morts et des blessés sur notre territoire national et lors d’opérations extérieures démontre clairement que nous sommes en guerre. Après la prise de conscience du Président Macron et ses paroles fortes, se borner à prendre des mesures uniquement sur le territoire national ressemblerait à un coup d’épée dans l’eau. 

    Nos dirigeants doivent d’abord prendre conscience de la nature réelle de la menace. C’est pourquoi la France ne peut se désintéresser de la déstabilisation du pourtour méditerranéen et du Moyen-Orient. Non pas en y contribuant de façon irresponsable en voulant imposer comme en Syrie ou en Libye la démocratie par la force des armes mais en aidant les pays et les peuples de ces régions à conforter leurs structures étatiques et à se développer. La non-intervention militaire dans les affaires intérieures d’un Etat, sauf si les autorités légitimes nous en font expressément la demande, doit redevenir la règle dans les relations internationales. A contrario, l’intervention secrète ou armée dans un but préemptif comme les Etats-Unis de Bush junior l’ont fait en Irak au nom d’une menace potentielle inexistante ont abouti à la destruction des structures étatiques irakiennes et ont fait le lit de l’Islam radical. 

    De même, l’intervention dans un but humanitaire telle que la Grande-Bretagne et la France l’ont menée en Libye et en Syrie doit être bannie. Car ce type d’intervention est susceptible de générer le chaos et de coûter plus de vies qu’il n’en sauve. En conséquence, pour gagner cette guerre et assurer la sécurité des Français, la France doit comprendre la nature réelle de la menace et mettre en cohérence sa politique intérieure et sa politique étrangère : sur le territoire national, en Europe et hors d’Europe.

    Sur le territoire national

    Le préalable à la définition d’une stratégie efficace contre l’islamisme radical n’est pas rempli car l’unanimité est loin d’être totale parmi nos dirigeants sur la nature de la menace à laquelle nous sommes confrontés. Désigner clairement l’ennemi est un préalable pour le combattre. Nos responsables politiques et militaires déclarent à l’envie « nous sommes en guerre ». Mais, pour la plupart d’entre eux, ils n’ont pas compris ou ne veulent pas comprendre la nature du conflit dans lequel nous sommes engagés. Nous ne sommes pas confrontés à une guerre asymétrique, concept si cher aux américains. Nous faisons face à une guerre révolutionnaire mondiale à finalité religieuse, menée par les wahhabites de l’Etat islamique et d’Al-Qaida qui se voient comme des moudjahidines[1] et par les Frères Musulmans qui veulent, par la prédication et par une action coercitive de long terme, installer des Etats islamiques fondés sur le droit (la Charia) et les pratiques de l’Islam du temps de l’Hégire.

    Mais depuis 2012, tant à l’Elysée que sur les plateaux de télévision tout s’est passé comme si le tout Paris politique et médiatique s’était bouché les yeux et les oreilles : « Barbares, énergumènes, psychopathes, tous les qualificatifs étaient bons pour écarter la référence à la foi »[2]. Une grande partie de la classe politique de gauche et de ses maîtres penseurs qui monopolisent la parole dans les médias est responsable de la négation ou la minimisation du fait religieux. Les idéologues athées, matérialistes ou hédonistes qui sont actuellement au pouvoir ne peuvent pas comprendre que les djihadistes préfèrent « une belle mort à une belle vie » et que pour les djihadistes « la mort n’est pas un sacrifice nécessaire à la victoire, elle est la victoire même »[3]. La gauche, encore profondément marquée par Marx, la révolution libertaire de 1968 et Nietzsche, pense que Dieu est mort. Se bouchant les yeux et les oreilles pour ne pas accepter les faits, elle cherche des causes à cette « folie suicidaire » dans l’inadaptation sociale, la pauvreté économique ou une dérive à partir de la petite délinquance. Il est vrai que de nombreux dirigeants de la communauté musulmane préfèrent souvent ce discours simplificateur et erroné. Il leur évite de devoir admettre publiquement que, depuis l’Hégire, la guerre religieuse fait rage au sein même de l’Islam[4]

    Mais une partie de la droite ne fut pas de reste. Les liens particuliers qu’avait établis Nicolas Sarkozy avec l’émir du Qatar ainsi que la politique d’investissements que ce pays réalisait en France ont contribué à occulter l’importance du soutien que le Qatar apportait à l’Islam radical au travers des Frères Musulmans et de la chaine Al Jazeera international. 

    Cette évaluation erronée de la menace a conduit nos dirigeants politiques de gauche comme de droite à bâtir une stratégie d’action inefficace sur le long terme. Ils ont ainsi focalisé leurs actions sur tous les lieux de « radicalisation » : les banlieues sensibles, les prisons, Internet. Ils ont créé des centres de « dé radicalisation » qu’ils ont inondé de subventions d’Etat. Lorsqu’on en fera un vrai bilan honnête, on constatera qu’il est aussi affligeant[5] que le bilan qu’ont fait les américains de leurs centres d’entrainement des rebelles modérés en Turquie. En refusant de considérer les djihadistes comme des convertis à une déviance radicale de l’Islam, ils ont continué d’autoriser les imans salafistes et les Frères Musulmans à poursuivre leur endoctrinement, à condition toutefois qu’ils ne prononcent pas dans les médias des paroles de haine contre les Juifs ou contre l’égalité homme femme, etc. 

    Ainsi la France depuis 15 ans a conduit une stratégie qui a accru la menace au lieu de la réduire. Nicolas Sarkozy a renversé Kadhafi et François Hollande a mené une guerre en Syrie pour déstabiliser Assad. Ces actions militaires ont occasionné leur lot de dégâts collatéraux qui ont renforcé la haine de la France chez les Musulmans. 

    A l’intérieur du territoire national ils se sont contentés d’instaurer un Etat d’exception policier et judiciaire, d’organiser de grandes manifestations compassionnelles pour les victimes des attentats, de grands défilés pour rappeler les valeurs républicaines, et de créer des centres de dé radicalisation. Cette stratégie était condamnée à l’échec et je l’ai dénoncée dans mon dernier livre[6].

    Avec elle, nous ne pourrons pas venir à bout de cette menace. Tout au plus nous pourrons la rendre acceptable encore quelque temps. Ne voulant pas reconnaître que nous sommes confrontés à des convertis et non pas à des radicalisés, nos dirigeants sous-estiment le pouvoir religieux et laissent se propager cet Islam radical dans la communauté musulmane[7]

    Sans cette prise de conscience tardive du Président Macron, qui doit être suivie par des actes concernant les imams propagandistes et les lieux où ils exercent leur daw’a, tout porte à croire que nier le fait religieux déboucherait sur la fin décrite si brillamment par Michel Houellebecq dans son essai « Soumission »[8], ou alors sur une guerre civile.

    En Europe

    La question migratoire et le contrôle de ses flux doivent devenir le premier des sujets de préoccupation et d’action des instances et des chefs d’Etat européens. L’Europe-passoire qui accueille sans contrôle des flux de migrants non identifiés et dont on ne connait ni les intentions ni le niveau d’adhésion à cette déviance de l’Islam n’est plus acceptable.

    Cela passe par la renégociation des accords de Shengen et la création d’un corps de garde-frontières et de garde-côtes à la hauteur de cet enjeu afin d’être à même de résister au chantage d’Erdogan. Le rattachement et les moyens de cette organisation devront dépendre directement des chefs d’Etats européens qui en fixeront les règles. Durant le temps nécessaire à la mise en place de ces moyens nous devons fermer nos frontières, l’épidémie COVID nous en fournit le prétexte.

    Comment accepter en effet ce constat d’impuissance de Loïc Garnier, chef de l’unité de coordination de la lutte antiterroriste, estimant que 200 « revenants » de Syrie[9] sont déjà en janvier 2017 sur le territoire national parce qu’ils « sont sortis de nos radars en prenant des routes improbables » et qu’ils sont arrivés à tromper la vigilance de nos services de police.[10]

    Il s’avoue incapable d’évaluer dans cette population le nombre de ceux qui sont missionnés pour commettre des attentats ou encore de ceux qui restent à un niveau dangereux plus ou moins élevé. Evidemment cette action doit être menée aussi au niveau de la Cour européenne de justice pour signifier que la France refuse de se soumettra à ses condamnations. Et cela va arriver vite quand le gouvernement au lieu de libérer les terroristes qui arrivent en fin de peine les placera dans un centre de rétention de son propre chef ou sous la pression populaire.

    Hors d’Europe 

    Il n’est pas possible de gagner une guerre sans avoir créé le contexte international qui conditionne la victoire. Il doit être clair pour tous que le seul ennemi de la France est aujourd’hui l’Islam radical et la guerre qu’il nous mène. Sont donc également nos ennemis ceux qui n’ont pas condamné explicitement ses actes ou qui diffusent une idéologie qui les justifie. 

    Notre politique étrangère doit donc être définie en appliquant comme premier critère que nos ennemis sont aussi les Etats, les organisations publiques ou privées, terroristes ou non, les personnes qui aident de quelque façon que ce soit ces organisations ou ces cellules terroristes dont le discours et les actes permettent de les rattacher à la mouvance wahhabite, salafiste ou à celle des Frères Musulmans. Cela signifie à contrario que tous ceux qui les combattent directement ou indirectement sont « de facto » nos alliés. C’est vrai en premier lieu pour la Fédération de Russie qui est confrontée sur son sol à la même menace. Les Frères Musulmans sont interdits sur son territoire et considérés comme une organisation terroriste depuis 2003[11]. La France devra donc demander la suspension immédiate de toute sanction à son égard. C’est également vrai pour les régimes syrien et irakien, quelles que soient nos réserves sur leur fonctionnement interne.

    Il faudra aussi signifier clairement au Président Erdogan qui revendique son appartenance aux Frères Musulmans en faisant leur signe de ralliement (la Rabia) dans ses apparitions publiques que nous n’accepterons plus son double jeu. La politique néo-islamiste et pan-Ottomane qu’il déploie avec la complicité passive des Etats-Unis et de l’OTAN en Méditerranée orientale, menaçant deux pays de l’Union européenne (la Grèce et Chypre) intervenant directement en Libye et dans le Haut-Karabagh en y injectant des milliers de djihadistes et des forces spéciales, ne peut plus être tolérée. La France doit désormais durcir sa pression pour que l’Union européenne prenne des sanctions contre la Turquie et sur les Etats-Unis pour qu’elle l’exclue de l’OTAN. Nous avons un moyen de pression : c’est la menace de retrait de la France de l’organisation militaire comme l’avait fait en son temps le général de Gaulle.

    De même nous devons nous adresser fermement à l’Arabie Saoudite et au Qatar en leur demandant de prendre des mesures efficaces pour que tous leurs sujets, qu’ils appartiennent ou non à la famille princière, ainsi que les banques saoudiennes et qataries stoppent leur aide financière ou de tout autre nature à ces organisations, à leurs combattants, à leurs imans, et à la diffusion de leur daw’a. 

    Il faudra également signifier aux Etats-Unis et à nos alliés européens que nous considérerons désormais comme hostile toute action secrète qui, pour quelque raison que ce soit, apporterait une aide directe ou indirecte à ces organisations. En effet, comment un chef d’Etat ou un ministre pourrait-il à l’avenir prononcer des paroles de réconfort à des familles de victimes et les regarder dans les yeux en sachant que par son inaction ou par sa vassalisation à des intérêts qui ne sont pas ceux des français, il est co-responsable de leur malheur. L’indignité, le mensonge, le cynisme et l’indifférence affective au sommet de l’Etat ne sont plus acceptables et les Français l’ont enfin compris.

    Pour triompher de cette guerre révolutionnaire mondiale à finalité religieuse que mène l’Islam radical, il est essentiel et de mettre fin à l’évaluation erronée de la menace et des risques qu’elle fait courir à la France et à notre République et de réaliser la mise en cohérence totale de notre politique intérieure et étrangère.

    Général (2s) Jean-Bernard Pinatel (Geopragma, 26 octobre 2020)

     

    Notes :

    En arabe : combattant de la foi qui s’engage dans le Djihad

    [2]Un silence religieux, Jean Birnbaum, la gauche face au djihadisme, seuil janvier 2016

    [3]Un silence religieux, op.cit. page 2014

    [4]La division entre chiites et sunnites est apparue dès la mort du prophète et s’est encore accentuée au milieu de XVIIIème siècle avec l’apparition du wahhabisme. Comment, pour un croyant modéré, ne pas être tenté d’occulter les millions de morts musulmans que cette guerre religieuse et en particulier la daw’a mortifère, des wahhabites a entrainé parce que les islamistes radicaux considéraient ces musulmans comme des shirks, des takfirs ou des Kanaris.

    [5]http://www.marianne.net/deradicalisation-quand-amateurisme-tourne-arnaque-100245770.html

    [6]Histoire de l’Islam radical et de ceux qui s’en servent, Lavauzelle ; Mai 2017, 315 pages

    [7]En leur temps les vizirs ottomans avaient nié pendant près d’un demi-siècle tout caractère religieux aux «révoltés » du Nedj.  Ils considéraient le wahhabisme comme un discours justificatif de leurs razzias et de leurs conquêtes.

    [8]J’ai lu, 2015

    [9]Sans parler des terroristes dans nos prisons qui en fin de peine doivent être placés dans des centres de rétention et s’ils sont étrangers ou double-nationaux être expulsés de notre territoire

    [10]Le Figaro, 18/1/2017 page 2.

    [11]. C’est aussi le cas en Egypte, en Cisjordanie et en Syrie où les Frères Musulmans ont toujours eu une branche armée secrète et ont commis des centaines d’attentats notamment contre Israël

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  • La désintégration ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Maxime Tandonnet, cueilli sur son blog personnel et consacré à l'assassinat islamiste de Conflans vu comme un symptome de la désintégration accélérée de notre pays. Ancien haut-fonctionnaire, spécialiste des questions d'immigration, et désormais enseignant, Maxime Tandonnet a été conseiller à l’Élysée sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Il a donné un témoignage lucide et éclairant de cette expérience dans Au cœur du volcan (Flammarion, 2014).

     

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    La désintégration

    La décapitation d’un professeur d’histoire à Conflans n’est que dans la continuité d’une longue série d’attentats en cours depuis 2012. M. Paty est la 263e victime de l’islamisme. La vague se poursuit, inexorablement. Ceux qui n’ont pas la mémoire courte le savent. A chaque fois, les réactions de la société politico-médiatique française sont strictement identiques: hystérie de quelques jours, indignation furibonde, hommages solennels, marches blanches, bouquets de fleurs, grandiloquence, coups de menton, annonces spectaculaires, toujours les mêmes, expulsions, fermetures , interdictions, etc. Et toujours le même discours: « Cette fois, plus jamais pareil! » Mais rien n’y fait, la tragédie continue.

    Essayer de prendre de la hauteur, de resituer la vague sanguinaire dans son contexte historique. La France est sur la pente d’une désintégration accélérée. Les fanfaronnades de ses dirigeants, de gouvernement en gouvernement, ne doivent leurrer personne. L’Etat est débordé par la violence qui se déchaîne partout. Les flux migratoires en hausse fulgurante (asile, titres de séjour) échappent à son contrôle. Le territoire se morcelle en enclaves étrangères et se hérisse de frontières intérieures. L’école au centre de la tragédie, confrontée au chaos, n’assure plus correctement la transmission du savoir et de l’intelligence, produisant une génération en déshérence. La nature ayant horreur du vide, l’idéologie islamiste s’engouffre dans l’espace laissé vacant par la culture française. L’explosion de la dette publique (120% du PIB), est la mesure de l’impéritie et de l’incapacité des gestionnaires de la chose publique. Les principes et les repères de la nation achèvent de voler en éclat, tels que la solidarité nationale (avec 9 millions de pauvres). Amalgame? Non, tout ceci procède d’une même faillite de long terme.

    La France, au prise d’une vertigineuse poussée de l’inculture et de la bêtise, est privée de boussole, à l’image d’un bateau ivre: où est le bien, où est le mal? Les déclarations de ses plus hauts dirigeants prônent le haine de soi, la culpabilité et la repentance. La suppression emblématique de la figure paternelle à travers la « PMA sans père » n’est pas le moindre aspect de cette œuvre de destruction des repères. Les scandales, l’arrogance et le mépris du peuple sont au cœur de la décomposition. Bref, la France se désagrège, se dissout dans la médiocrité, prend l’eau de toute part et le meurtre horrible de M. Paty n’est qu’une étape supplémentaire dans ce désastre.  Aucune gesticulation, aucune pitrerie ne doit entretenir l’illusion. Remède miracle? Il n’en existe que pour les imbéciles. C’est au prix d’un changement radical de perspective et d’un effort de plusieurs décennies, peut-être de plusieurs générations, qu’un début de redressement est envisageable. Il passe à la base, par une prise de conscience, un retour à l’intelligence collective, mais nous en sommes bien loin et la pente tragique se poursuit.

    Maxime Tandonnet (Blog personnel de Maxime Tandonnet, 20 octobre 2020)

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  • Demain, la séparation ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une intervention de Julien Rochedy qui évoque la question du séparatisme. Publiciste et essayiste, Julien Rochedy est une figure montante de la mouvance conservatrice et identitaire. Il vient de publier un essai intitulé Nietzsche l'actuel.

     

                                           

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  • Vers une nouvelle géopolitique de l'énergie ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Philippe Duranthon, cueilli sur Geopragma et consacré aux conséquences géopolitiques de la transition énergétique. Jean-Philippe Duranthon est haut-fonctionnaire et membre fondateur de Geopragma.

     

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    La géopolitique de l’énergie va évoluer, il faut s’y préparer

    En Méditerranée la Turquie envoie des navires de prospection d’hydrocarbures dans des secteurs qu’elle revendique mais qui font aujourd’hui partie de la zone économique exclusive (ZEE) de la Grèce ou de celle de Chypre. Le Liban est incapable, malgré l’urgence que requiert sa déliquescence politique, économique et financière, de constituer un gouvernement mais il engage des négociations avec Israël pour fixer leur frontière maritime commune, c’est-à-dire pour se partager les champs d’hydrocarbures off-shore qui ont été récemment découverts. L’Azerbaïdjan veut récupérer le Haut-Karabakh et est à cette fin aidé par la Turquie (encore elle) qui, entre autres, cherche à accéder plus facilement par oléoduc aux riches champs pétrolifères de la mer Caspienne. En Libye, deux factions s’affrontent depuis de nombreux mois pour contrôler les champs pétrolifères du Fezzan, l’une d’elles étant puissamment aidée par la Turquie (toujours elle).

    Plus au Nord les Etats-Unis, aidés par la Pologne, font régner la loi du plus fort (au sens propre du terme : en imposant la législation du plus fort) pour empêcher, par des sanctions extraterritoriales, l’achèvement du gazoduc Nord Stream2, pourtant construit à 90 %, parce que celui-ci conforterait les liens économiques entre l’Europe occidentale et la Russie au lieu d’ouvrir de nouveaux marchés au gaz de schiste américain.

    L’Irak a constaté il y a quelques années, et l’Iran constate aujourd’hui, que le pétrole ou l’embargo sur ses livraisons est un instrument précieux si l’on veut déstabiliser un pays jugé malintentionné. Les débats au sein de l’OPEP ou entre l’OPEP et les pays consommateurs de pétrole ont des répercussions majeures sur la situation économique des pays occidentaux.

    Les hydrocarbures sont donc un enjeu géopolitique mondial et une source de tensions, voire de conflits. Ce n’est bien sûr pas nouveau, et ne pas prendre en compte les problématiques liées aux hydrocarbures revient à s’interdire de comprendre l’histoire du monde depuis plus d’un siècle. Et cela va durer puisqu’en 2018 les hydrocarbures représentaient 55 % de la consommation mondiale d’énergie primaire (33,2 % pour le pétrole et 21,8 % pour le gaz selon l’Agence Internationale de l’Energie). Les humains continueront donc pendant longtemps à s’invectiver et se battre pour maîtriser un peu d’or noir, M. Erdogan n’est pas le dernier à l’avoir compris.

    Mais les choses vont évoluer. Les pays développés voient dans les énergies renouvelables (ENR) le nouveau Graal permettant de sauver la planète et dans les moteurs électriques ou à hydrogène la solution permettant de continuer à vivre dans l’opulence et de faire partager cette opulence à un nombre illimité de terriens. Mais, pour fonctionner, les éoliennes ne nécessitent pas que du vent, elles ont besoin de béton pour leur socle, d’acier pour leur mat, de matériaux composites pour leurs pales. Elles ont surtout besoin, pour leur générateur, de matériaux rares. Tel est le cas de tous les moteurs électriques ou à hydrogène et, de manière générale, de toutes les batteries. Or les matériaux concernés sont répartis sur le globe de manière encore plus inégalitaire que les hydrocarbures. En effet :

    • le cobalt se trouve pour 60 % de sa production dans la République Démocratique du Congo, 
    • le lithium provient pour l’essentiel du « triangle du lithium » situé à cheval sur les territoires de l’Argentine, de la Bolivie et du Chili,
    • les plus grands gisements de nickel sont situés en Indonésie,
    • les autres « terres rares » sont particulièrement abondantes en Chine et en Afrique.

    L’énergie nucléaire, quant à elle, dépend de l’approvisionnement en uranium dont les gisements les plus importants sont situés en Australie, au Kazakhstan, au Canada, en Russie, en Namibie et au Niger.

    Verrons-nous demain les mêmes humains, ou plutôt leurs enfants, s’invectiver et se battre dans ces régions pour acquérir quelques tonnes de ces matériaux ?

    Certains s’y préparent et cherchent à bâtir dès aujourd’hui des positions de force. La Chine est particulièrement active en Afrique et investit fortement en Indonésie. Aux Etats-Unis, Elon Musk mène avec constance une politique visant à sécuriser, par des contrats de long terme, ses approvisionnements : en juin, il a conclu avec Glencore un contrat concernant le cobalt, en septembre il en a signé un avec Piedmont Lithium, et il a annoncé récemment être en discussion avec BHP pour faire de même pour le nickel.

    Le contraste est patent avec l’Europe. Alors qu’elle s’apprête, avec l’appui de la plupart des Etats membres, dont la France, à renforcer ses objectifs de décarbonation de l’économie, elle n’a inscrit qu’en 2020 le lithium dans sa liste des matières premières dites « critiques » et ne l’a pas encore fait pour le nickel.

    La France, quant à elle, s’est de fait interdit toute nouvelle exploitation minière sur son territoire mais l’Etat, les entreprises pétrolières et celles du cycle du nucléaire (Orano, ex-Areva) ont l’habitude d’agir en Afrique, pour le meilleur et pour le pire, et d’y sécuriser ses approvisionnements miniers. Elle bénéficie de liens pour le moins privilégiés avec la Nouvelle Calédonie, où l’exploitation du nickel est ancienne, et dispose, avec Eramet, d’une entreprise implantée en Nouvelle Calédonie et en Indonésie pour le nickel ainsi qu’en Argentine pour le lithium (où l’entreprise vient toutefois de suspendre son projet en raison de la situation financière du pays). 

    Mais l’instabilité chronique de certaines régions, l’Afrique par exemple, rend cette présence française fragile, et la France a historiquement peu de relations avec certaines zones géographiques à fort enjeu minier d’avenir, telles que l’Amérique du Sud ou l’Indonésie, si bien qu’aujourd’hui certains besoins futurs ne sont pas couverts.

    Qui, des entreprises ou de l’Etat, doit nouer des liens avec ces pays dont les gisements conditionneront l’accès aux énergies du futur ? Les entreprises sont les mieux à même de savoir quels liens sont souhaitables et quelles modalités retenir pour les forger. Le problème est que l’outil industriel français est en retard et peine à trouver les capacités financières nécessaires pour effectuer les mutations en cours. EDF doit déjà financer à la fois le « grand carénage » de ses installations nucléaires actuelles et, en France espérons-le ou à l’étranger, le développement de la nouvelle génération de centrales ; les possibilités d’investissements d’Eramet, dont les résultats fluctuent en fonction des prix mondiaux des métaux, sont limitées ; et si Tesla, chéri par la bourse américaine, peut nouer des liens avec les grandes entreprises minières et investir à leurs côtés, le secteur automobile français, qui finance difficilement le basculement vers la motorisation électrique et la conduite autonome, fait l’impasse sur le contrôle de ses approvisionnements miniers.

    Le pétrole et le gaz continueront d’animer les relations internationales pendant de nombreuses années encore. Mais la mutation énergétique souhaitée nécessite une maîtrise des approvisionnements miniers qui en conditionnent la réalisation, faute de quoi notre pays se trouvera en situation de dépendance vis-à-vis des pays qui recèlent les gisements, et des puissances qui contrôlent ces pays. Il faut s’en convaincre et agir en conséquence sans attendre la montée de tensions en Afrique mais peut-être demain aussi dans le sud-est asiatique et en Amérique du Sud.

    Jean-Philippe Duranthon (Geopragma, 19 octobre 2020)

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  • Débattre avec les féministes ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une intervention de Julien Rochedy qui évoque la vision biaisée des féministes et la difficulté de débattre avec elles . Publiciste et essayiste, Julien Rochedy est une figure prometteuse de la mouvance conservatrice et identitaire. Il vient de publier un essai intitulé Nietzsche l'actuel.

     

     

                                             

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  • La grande désorientation à gauche...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre-André Taguieff cueilli sur Figaro Vox et consacré à la question du progrès comme source de division pour la gauche. Philosophe, politologue et historien des idées, Pierre-André Taguieff est directeur de recherche au CNRS et est l’auteur d'essais importants qui ont contribué à mettre à mal la pensée unique comme  La Force du préjugé - Essai sur le racisme et ses doubles (La découverte, 1988), Résister au bougisme (Mille et une Nuits, 2001), Les Contre-réactionnaires : le progressisme entre illusion et imposture (Denoël, 2007), Julien Freund, au cœur du politique (La Table ronde, 2008) ou , récemment, Du diable en politique - Réflexions sur l'antilepénisme ordinaire (CNRS, 2014).

     

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    Feux et failles du progrès, la grande désorientation à gauche

    Le progrès ne va plus de soi, et l’idée de progrès s’est obscurcie à force d’être invoquée par des enthousiastes et instrumentalisée par des démagogues. Désormais, la référence au progrès divise plutôt qu’elle ne rassemble. Si le mot magique «progrès» reste mobilisateur, c’est paradoxalement parce qu’il produit du conflit entre les thuriféraires et les dénonciateurs du «progressisme» comme religion séculière.

    En France, ces divisions et ces affrontements traversent autant la droite que la gauche, extrêmes compris. Mais c’est surtout dans l’espace occupé par une gauche résiduelle et fragmentée, avant tout en raison de l’irruption fracassante de l’écologie politique, que se mène une guerre sans merci autour du progrès. Les évaluations positives et négatives du progrès jouent un rôle décisif dans les reclassements et les redéfinitions des courants de gauche. «Le progrès» a cessé d’être un marqueur idéologique de gauche. Il est devenu le plus puissant diviseur de la gauche.

    Ce serait s’aveugler toutefois que de s’en tenir au moment présent, et de conclure hâtivement à la fin du culte du Progrès. Les nombreuses éclipses du Progrès, cette idole des Modernes, n’ont pas empêché son triomphal retour dans des contextes fort différents.

    Une notion floue mais indispensable

    Le progrès est une notion floue mais indispensable, comme bien d’autres notions philosophiques descendues dans l’arène politique. Elle constitue la pièce maîtresse de l’autoreprésentation des Modernes. Dans la pensée sociale ordinaire, un progrès, c’est une nouveauté souhaitable, une innovation ou un changement qui répond à une attente ou un désir. Disons une amélioration reconnue comme telle. Il n’y a pas de débat sur une telle définition descriptive. Les controverses commencent et se multiplient dès lors qu’on veut formuler une définition du progrès en général.

    Rappelons sommairement que pour les premiers théoriciens du progrès à l’époque des Lumières, le genre humain avançait irrésistiblement sur la route du progrès, c’est-à-dire d’une transformation générale vers le mieux. Le processus d’amélioration était supposé nécessaire, linéaire, continu, irréversible et illimité. Les humains étaient donc embarqués, qu’ils le veuillent ou non, en direction de la perfection dans toutes les sphères de la pensée, de l’action et de la création.

    Telle est la vision nécessitariste du progrès, cette forme modernisée du fatalisme, qui a été soumise à la critique des philosophes comme à celles des faits historiques - rappelons que les massacres industriels du XXe siècle ont réveillé nombre de progressistes assoupis et que la dévastation de l’environnement a exhibé l’envers répulsif du progrès.

    Dans les échanges polémiques, la question de savoir ce qu’est «véritablement» le progrès est centrale. Face à ceux qui pensent classiquement le progrès comme croissance et développement sans fin, disons les «progressistes» au sens fort du terme (et qui sont tous des productivistes), on trouve ceux qui considèrent que le «vrai» progrès est dans la décroissance, dans l’acceptation d’une certaine austérité, de sacrifices et de privations pour «sauver la planète».

    Contre les partisans de l’optimisme technicien qui pensent que tous les problèmes politiques et sociaux peuvent être résolus par la science et la technique, s’insurgent ceux qui soulignent non seulement que le pouvoir de la techno-science a des limites, mais aussi qu’il engendre des effets pervers, qui peuvent être des catastrophes. Sans parler de ceux qui pensent, à juste titre, que les humains se posent souvent des problèmes qu’ils ne peuvent résoudre, ni par la science, ni par la technique.

    On peut définir sommairement la modernité à la fois comme l’âge des progrès techniques et scientifique, qui sont mesurables, et comme l’âge des rêves d’amélioration de la condition humaine, dont les traductions politiques sont multiples. Toutes supposent le culte du changement en tant que mouvement bon en lui-même, célébré comme une promesse de bonheur ou de justice, de liberté ou de solidarité, d’amour fraternel ou de paix universelle.

    C’est ce changement producteur de nouveautés supposées universellement désirables et chargé de réaliser les fins dernières qu’on rencontrait dans les théories classiques du progrès, chez Condorcet ou chez Saint-Simon. Ces fins ultimes dont l’accomplissement était supposé nécessaire dessinait les contours de l’insaisissable «monde meilleur» tant espéré, voire ceux, plus exaltants encore, d’une «humanité meilleure».

    Un nouveau pessimisme

    Lorsqu’on analyse les débats contemporains opposants les «progressistes» auto-déclarés à leurs adversaires, qu’ils nomment «conservateurs «ou «réactionnaires», on doit avoir à l’esprit la métamorphose contemporaine de la vision linéaire et nécessitariste, voire fataliste, du progrès comme évolution ou transformation inévitable, qui suffisait à remplir l’horizon d’attente des Occidentaux. Par l’effet de la diffusion croissante des croyances écologistes, cette vision longtemps dominante est en passe de changer de sens et de valeur: la marche fatale vers le mieux se renverse en marche fatale et finale vers le pire et l’anticipation enchanteresse devient anticipation anxiogène. Il y a là une grande inversion de sens et de valeur, qui bouleverse le champ des croyances politiques modernes.

    L’ébranlement de la foi dans le progrès annonce la fin de la modernité triomphante. Héritage de l’Aufklärung et du combat contre le mythe et la peur, l’esprit critique a fini par se retourner contre la foi dans le progrès, en la traitant comme une croyance relevant elle-même du mythe, réduit à un récit trompeur. Mais le mythe moderne du progrès nécessaire, ensemble d’illusions et de promesses intenables, est en outre dénoncé comme fondamentalement toxique.

    Porté par la magie de la prédication écologiste, l’anti-progressisme vertueux est devenu une vulgate, qui rend acceptables des perspectives catastrophistes inédites, lesquelles se traduisent soit par de nouvelles prophéties de fin du monde émises par les collapsologues, soit par des flambées d’utopisme révolutionnaire appelant à détruire la société marchande, voire l’Occident tout entier, supposé intrinsèquement coupable, accusé d’être la source de tous les malheurs du genre humain.

    Le vieux pessimisme historique et anthropologique a fait place à un pessimisme cosmologique, tandis que l’anticapitalisme gnostique s’est redéfini comme un anti-occidentalisme frénétique ou une hespérophobie radicale, incluant la haine de soi des Occidentaux hébétés par leur sentiment de culpabilité.

    On a de bonnes raisons de considérer que les écologistes, emportés par leurs récents succès électoraux et grisés par leurs projets d’une totale rupture avec l’ordre sociopolitique productiviste, occupent désormais le centre dynamique du camp anti-progrès. Mais la question n’est pas si simple. Tout dépend de ce qu’on entend par «progrès», mot plastique avec lequel il est facile de jouer, en l’employant soit comme repoussoir (chez les antimodernes et les écologistes radicaux), soit comme signe de ralliement (chez les partisans de l’optimisme historique, qui ne prennent plus la peine de le définir).

    À l’instar de la plupart des leaders politiques, qui pensent l’avenir à la lumière du progrès, le président Macron s’efforce de monopoliser les convictions et les passions dites «progressistes», en jetant dans l’enfer de la pensée réactionnaire ou conservatrice les positions de ses adversaires politiques, même lorsque ces derniers se réclament eux-mêmes du progrès. On plonge alors dans un océan de dialogues de sourds et d’arguments de mauvaise foi, chacun reprochant à l’autre de n’être pas vraiment ou pas suffisamment «progressiste».

    Quoi qu’il en soit, ces diatribes «progressistes» visant de présumés opposants au progrès présupposent que l’idée d’un «camp du progrès» est susceptible de rassembler la majorité des citoyens français. Or, désormais, l’étoile du Progrès est loin de jouer pour tous les citoyens le rôle de guide suprême pour la pensée et l’action. L’enthousiasme progressiste est en baisse, il paraît même être en voie d’extinction dans certains secteurs de la population.

    Cela dit, la référence positive au progrès ne se réduit pas chez le président Macron à une stratégie rhétorique, elle constitue un pilier de sa pensée philosophico-politique. Mais ce pilier s’avère fragile, ce dont il ne semble pas conscient. C’est pourquoi la grande tâche de ceux qui ne veulent pas en finir avec l’héritage des Lumières devrait être de repenser l’idée de progrès par-delà le progressisme, ce rejeton du culte productiviste et de la religion positiviste, qui postule l’existence d’une marche universelle et nécessaire vers le mieux.

    Cette vision nécessitariste du progrès oublie le hasard, la contingence et l’imprévu, elle néglige aussi le rôle de la volonté humaine. Elle est aujourd’hui fortement ébranlée. C’est pourquoi il paraît vain de l’ériger en méthode de salut en imaginant ainsi pouvoir déclencher de l’enthousiasme militant. Le résultat risque de se réduire à une profusion de discours incantatoires.

    «Progrès»: le grand diviseur de la gauche

    Quant à la gauche telle qu’elle est devenue, on constate qu’elle s’est divisée dans les positions prises face à plusieurs questions qui, dépassant le cadre stato-national, ont émergé depuis la fin du XXe siècle. En premier lieu, le surgissement des questions liées à la pollution de la planète, au réchauffement climatique et à la destruction de la biodiversité. Tous les militants de gauche, écologistes compris, sont tiraillés entre les promesses des «techno-prophètes» raisonnables et les prêches catastrophistes des collapsologues.

    Face à la gauche qui reste attachée à la religion du Progrès, on trouve une nouvelle gauche, qu’on peut appeler préservatrice ou «conservationniste», qui récuse tous les dogmes du progressisme. À cet égard, elle peut être traitée de «réactionnaire».

    En second lieu, l’irruption de l’islamisme comme nouvel ennemi mondial, abordé sous ses deux dimensions: l’islam politique avec ses stratégies de conquête (Frères musulmans, salafistes) et le terrorisme jihadiste. Face à la menace islamiste, la gauche s’est fragmentée, pour faire surgir deux camps antagonistes: d’un côté, ceux pour qui le combat contre l’islamisme doit se mener avec intransigeance au nom des Lumières, donc d’une certaine conception du progrès ; de l’autre, ceux qui placent au premier rang la «lutte contre l’islamophobie» au nom de l’idéal antiraciste.

    Face à une gauche engagée dans une lutte sans complaisance contre l’obscurantisme islamiste, on trouve une gauche qui, postulant que les musulmans sont désormais les principales victimes du racisme et des discriminations, prétend incarner un «antiracisme politique» dont l’un des postulats est qu’il existe en France un «racisme d’État» - alors même que la République française se caractérise par son antiracisme d’État sans équivalent. Cette gauche «islamismophile», dénoncée par les musulmans dits «modérés» ou «progressistes», peut être légitimement perçue comme «réactionnaire».

    Son antiracisme proclamé, qui trahit l’idéal des Lumières, peut être vu comme un pseudo-antiracisme au service de causes douteuses, oscillant entre une politique des identités ethno-raciales et une banalisation des normes islamistes de comportement et de pensée. Ayant tendance à voir de l’islamophobie partout, cette gauche pseudo-antiraciste s’emploie à limiter le champ de la liberté d’expression. Elle alimente l’esprit de censure, en criminalisant l’ironie et la satire.

    En troisième lieu, l’apparition de mouvements protestataires anti-élites, dits populistes, à l’extérieur du champ politique organisé. La gauche s’est divisée face aux Gilets jaunes: certains ont vu dans cette mobilisation populaire informelle la promesse d’une régénération de la démocratie, donc l’expression d’un progrès politique possible, alors que d’autres n’y ont vu qu’une régression de la contestation politique vers des formes impolitiques de violence s’accompagnant d’antisémitisme et de complotisme. Ici encore, la gauche s’est brisée en deux camps: les populistes-souverainistes et les sociaux-démocrates-pluralistes.

    En quatrième lieu, la montée des préoccupations et l’exacerbation des affrontements idéologiques concernant les questions de bioéthique, notamment à propos des pratiques biomédicales et des technologies de la reproduction humaine, qu’il s’agisse de la procréation médicalement assistée (PMA), du diagnostic pré-implantatoire (DPI), de l’avortement sélectif ou «thérapeutique» (interruption médicale de grossesse, IMG), de la Gestation pour autrui (GPA) ou de la thérapie génique germinale. Ces pratiques et ces techniques sont dénoncées par certains pour leurs «dérives eugénistes» ou pour leur caractère immoral et célébrées par d’autres comme des instruments d’émancipation.

    À gauche, on trouve des «progressistes» jouant la carte de l’extension sans fin des droits subjectifs (qu’illustrent les exigences de diverses minorités actives, dont les néo-féministes «radicales»), mais aussi d’autres «progressistes» qui appellent à fixer des limites au pouvoir des humains sur eux-mêmes. Ce que les premiers appellent «progrès», les seconds l’appellent «barbarie». Ils n’ont pas la même conception de ce qu’on appelle «civilisation», autre terme devenu problématique.

    En cinquième lieu, le surgissement d’un néo-féminisme misandre, d’affrontement, un lesbiano-communautarisme engagé dans une guerre permanente contre les mâles traités en ennemis, mais aussi contre les féministes universalistes accusées d’être complices du système patriarcal. La haine des mâles, de préférence les «mâles blancs», va de pair avec la haine de la République censée être une expression politique du patriarcat. Ces féministes ennemies se réclament du «progrès», terme auquel elles donnent un sens différent.

    En sixième lieu, le dynamisme idéologique des «politiques de l’identité», qu’elles prennent la forme douce du multiculturalisme (mieux nommé «multicommunautarisme») ou la forme dure du décolonialisme, laquelle implique de postuler l’existence d’un «racisme systémique» ou d’un «racisme d’État» dans les démocraties occidentales et de privilégier la dénonciation des discriminations censées dériver du fonctionnement même de la «société blanche». Face à cette nouvelle offre idéologico-politique qui, portée par une mode culturelle et légitimée par sa thématique «antiraciste», séduit une partie de la jeunesse, la gauche est fortement divisée.

    Au camp multiculturaliste-décolonial s’oppose le camp républicain-national, chaque camp ayant sa propre définition de l’antiracisme. Or, ces définitions sont mutuellement incompatibles et sources de conflictualité. La défense des minorités supposées discriminées dérive vers une tyrannie effective des minorités actives, incompatible avec le projet républicain d’une intégration des individus dans la communauté des citoyens sur des bases universalistes.

    Le conflit des antiracismes est aujourd’hui le miroir des conflits internes à la gauche. La gauche post-nationale accueille favorablement l’«antiracisme politique» des minorités extrémistes imitant le mouvement étatsunien Black Lives Matter, alors que la gauche nationale-républicaine y voit l’expression d’un «racialisme» militant, voire d’une forme déguisée de racisme anti-Blancs.

    Du Progrès aux progrès

    Les vieux débats sur les différents types de progrès ne sont nullement «dépassés», comme semblent le croire ou veulent le faire croire les «progressistes» déclarés. Il n’y a pas d’harmonie préétablie entre les progrès respectivement scientifiques, techniques, économiques, politiques et moraux. Et l’on ne voit pas poindre la possibilité d’une harmonie post-établie entre ces différents types de progrès.

    En outre, d’une façon générale, les progrès collectifs apparaissent beaucoup plus problématiques que les progrès individuels dans tel ou tel domaine, qui peuvent être mesurés. Peut-on par exemple parler d’un «progrès culturel» ou d’un «progrès intellectuel» du genre humain dans sa longue histoire? Et quels en seraient les critères non subjectifs? Ce n’est pas cependant une raison suffisante jeter aux orties la notion confuse de progrès, qui reste irremplaçable.

    Par exemple, la prise de conscience que tout ce qui est techniquement possible n’est pas désirable peut être considérée comme un progrès intellectuel et moral. Mais il faut reconnaître en même temps que certains progrès techniques ont eu et ont toujours d’heureuses conséquences sociales. Quant au progrès moral, quelle que soit la définition qu’on en donne, il n’a rien à voir avec le progrès technique, ni avec le progrès scientifique. Ici encore, les critères du progrès moral ne sont pas les mêmes lorsqu’on parle des entités collectives ou des personnes individuelles.

    Pour éviter de poser litaniquement de faux problèmes dus à l’équivocité du mot «progrès», il faut procéder à une analyse critique de cette notion floue pour en dissocier les composantes hétérogènes, dont on suppose abusivement qu’elles sont liées d’une façon vertueuse. Le conflit est déjà présent dans la notion: voilà ce qu’il faut avoir le courage de reconnaître. Ce qui a longtemps été l’opium des Modernes risque de devenir leur diable.

    Nous ne gagnerions rien à ce changement de statut symbolique d’un terme magique. Il est à espérer qu’on cessera un jour de traiter le Progrès comme une idole, que ce soit pour l’adorer, pour la maudire ou pour en diagnostiquer la disparition en cours. La grande tâche est de le repenser, après plus de trois siècles d’expérimentation historique.

    Pierre-André Taguieff (Figaro Vox, 2 septembre 2020)

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