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Points de vue - Page 118

  • La révolution virale aura-t-elle lieu ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Byung-Chul Han, cueilli sur le site du quotidien Libération et consacré au nouveau pas que va faire franchir à l'Occident un nouveau pas vers la mise en place d'une surveillance généralisée... Philosophe allemand d'origine coréenne, Byung-Chul Han a vu plusieurs de ses livres traduits en français , comme Dans la nuée - Réflexions sur le numérique (Acte sud, 2015), Le parfum du temps (Circé, 2016), Psychopolitique (Circé, 2016), Sauvons le Beau - L'esthétique à l'ère numérique.(Actes sud, 2016), La société de transparence (PUF, 2017) ou Topologie de la violence (R&N, 2019).

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    La révolution virale n’aura pas lieu

    Le coronavirus est un test système pour le logiciel étatique. Il semble que l’Asie parvient beaucoup mieux à juguler l’épidémie que ses voisins européens : à Hongkong, Taïwan et Singapour, on compte très peu de personnes contaminées et, pour la Corée du Sud et le Japon, le plus dur est passé. Même la Chine, premier foyer de l’épidémie, a largement réussi à endiguer sa progression. Depuis peu, on assiste à un exode des Asiatiques fuyant l’Europe et les Etats-Unis : Chinois et Coréens veulent regagner leur pays d’origine où ils se sentiront plus en sécurité. Le prix des vols explose, et trouver un billet d’avion pour la Chine ou la Corée est devenu mission impossible.

    Et l’Europe ? Elle perd pied. Elle chancelle sous le coup de la pandémie. On désintube des patients âgés pour pouvoir soulager les plus jeunes. Mais l’on constate aussi qu’un actionnisme dénué de sens est à l’œuvre. La fermeture des frontières apparaît comme l’expression désespérée de la souveraineté des Etats, alors que des coopérations intensives au sein de l’Union européenne auraient un effet bien plus grand que le retranchement aveugle de ses membres dans leur pré carré.

    Quels sont les avantages systémiques de l’Asie face à l’Europe dans la lutte contre la maladie ? Les Asiatiques ont massivement misé sur la surveillance numérique et l’exploitation des mégadonnées. Aujourd’hui, en Asie, ce ne sont pas les virologues ou les épidémiologistes qui luttent contre la pandémie, mais bien les informaticiens et les spécialistes du «big data» - un changement de paradigme dont l’Europe n’a pas encore pris toute la mesure. «Les données massives sauvent des vies humaines !» s’écrient les champions de la surveillance numérique.

    Il n’existe chez nos voisins asiatiques presque aucune forme de conscience critique envers cette surveillance des citoyens. Même dans les Etats libéraux que sont le Japon et la Corée, le contrôle des données est presque tombé aux oubliettes, et personne ne se rebelle contre la monstrueuse et frénétique collecte d’informations des autorités. La Chine est allée jusqu’à instaurer un système de «points sociaux» - perspective inimaginable pour tout Européen - qui permet d’établir un «classement» très exhaustif de ses citoyens, en vertu duquel l’attitude sociale de chaque personne doit pouvoir être systématiquement évaluée. Le moindre achat, la moindre activité sur les réseaux sociaux, le moindre clic est contrôlé. Quiconque brûle un feu rouge, fréquente des personnes hostiles au régime, poste des commentaires critiques sur Internet se voit attribuer des «mauvais points». C’est vivre dangereusement. A l’inverse, celui qui achète en ligne des aliments jugés sains ou lit des journaux proches du Parti sera récompensé par des «bons points». Et celui qui a engrangé assez de bons points pourra obtenir un visa de sortie ou des prêts à taux attractifs. Mais celui qui tombe en dessous d’un certain nombre de points pourrait bien perdre son boulot.

    200 millions de caméras

    En Chine, cette surveillance sociale exercée par l’Etat est rendue possible grâce à un échange de données illimité avec les fournisseurs de téléphonie mobile et d’accès à Internet. La notion de protection des données existe à peine, et l’idée de «sphère privée» est absente du vocabulaire des Chinois. La Chine a installé sur son territoire 200 millions de caméras, équipées pour la plupart d’un système de reconnaissance faciale extrêmement perfectionné qui peut déceler jusqu’aux grains de beauté. Personne n’y coupe. Partout, dans les magasins, dans les rues, dans les gares et les aéroports, ces caméras intelligentes scrutent et «évaluent» chaque citoyen.

    Et voici que cette immense infrastructure déployée afin de garantir la surveillance électronique du peuple se révèle d’une efficacité redoutable pour endiguer l’épidémie. Toute personne qui sort de la gare de Pékin est immédiatement identifiée par une caméra. L’appareil mesure sa température corporelle, et il suffit que celle-ci soit anormalement élevée pour que toute personne ayant voyagé dans le même compartiment en soit immédiatement informée par téléphone mobile - car le système sait exactement qui était assis à quelle place. Sur les réseaux sociaux, on parle même de drones utilisés pour surveiller la quarantaine. Dès que quelqu’un tente de rompre le confinement, un drone volant s’approche de lui et une voix automatique lui ordonne de regagner son domicile. Qui sait, peut-être même que ces engins impriment des amendes qui descendent doucement jusqu’aux fautifs. Un tableau dystopique pour les Européens, mais qui semble ne rencontrer aucun obstacle dans l’empire du Milieu.

    La Chine n’est pas la seule à avoir banni toute réflexion critique quant à la surveillance numérique ou au big data : il en est de même en Corée du Sud, à Hongkong, à Singapour, à Taïwan et au Japon, des Etats qui s’enivrent littéralement du tout numérique. Cette situation a une cause culturelle précise : en Asie, le collectivisme règne en maître, et l’individualisme n’est que faiblement développé. (L’individualisme et l’égoïsme sont deux choses différentes : il va de soi qu’en Asie aussi, l’égoïsme a de beaux jours devant lui.)

    Or, force est de constater qu’en matière de lutte contre le virus, les mégadonnées semblent être plus efficaces que la fermeture des frontières. Il est même possible qu’à l’avenir, la température corporelle, le poids et le taux de glycémie, entre autres données, soient contrôlés par l’Etat. Une biopolitique numérique qui viendrait renforcer la psychopolitique numérique déjà en place, dans le but d’influer directement sur les pensées et les émotions des citoyens.

    A Wuhan, des milliers d’équipes chargées de la surveillance électronique ont été formées, avec pour tâche de traquer les malades potentiels en utilisant uniquement leurs données spécifiques. L’analyse des mégadonnées leur permet à elle seule d’identifier les personnes susceptibles d’être contaminées, et ainsi de déterminer qui doit rester sous observation et être éventuellement placé en quarantaine.

    A Taïwan ou en Corée du Sud, l’Etat envoie simultanément un texto à tous ses citoyens afin de retrouver des personnes ayant été au contact de malades, ou d’indiquer aux gens les lieux et bâtiments par lesquels sont passées les personnes testées positives au coronavirus. Très tôt, Taïwan a fait coïncider différentes informations afin de retracer les déplacements de malades potentiels. En Corée, il suffit de s’approcher d’un immeuble où a séjourné une personne contaminée pour recevoir une alerte immédiate via l’application de lutte contre le Covid-19. La Corée a elle aussi fait installer des caméras de surveillance dans chaque bâtiment, chaque bureau, chaque boutique ; là aussi, impossible de se mouvoir dans l’espace public sans être visé par l’objectif. Grâce aux données provenant des téléphones mobiles, il est possible de vérifier en un instant les déplacements d’un malade, et les allées et venues de toutes les personnes contaminées sont d’ailleurs rendues publiques. Inutile de dire que les liaisons secrètes ne le restent pas longtemps.

    Pourquoi notre monde est-il pris d’un tel effroi face au virus ? La «guerre» est dans toutes les bouches, et cet «ennemi invisible» dont il faut venir à bout. Nous vivons depuis très longtemps sans ennemi. Il y a exactement dix ans, dans mon essai intitulé la Société de la fatigue (1), je défendais la thèse que nous vivons un temps où le paradigme immunologique reposant sur la négativité de l’ennemi n’a plus cours. La société organisée selon le principe d’immunité est cernée de frontières et de clôtures, comme à l’époque de la guerre froide. Des protections qui empêchent du même coup une circulation accélérée des biens et du capital. Or la mondialisation élimine ces défenses immunitaires pour paver la voie au capital. Il en va de même de la promiscuité et de la permissivité aujourd’hui omniprésentes dans tous les domaines de notre vie : elles annulent la négativité de l’étranger - ou de l’ennemi. Aujourd’hui, ce n’est pas de la négativité de l’ennemi que proviennent les dangers, mais bien de la surabondance positive qui s’exprime sous forme de surproduction, de surcommunication, de surperformance. La guerre, dans notre société de la performance, c’est avant tout contre soi-même qu’on la fait.

    Et voici que le virus s’abat brutalement sur des sociétés à l’immunité gravement affaiblie par le capitalisme mondialisé. En proie à la frayeur, ces sociétés tentent de rétablir leurs défenses immunitaires, elles ferment les frontières. Ce n’est alors plus contre nous-mêmes que nous menons la guerre, mais contre l’ennemi invisible venu du dehors. Et si cette réaction immunitaire face à ce nouvel assaillant est si violente, c’est justement parce que nous vivons depuis très longtemps au sein d’une société sans ennemis, une société du positif. Désormais, le virus est ressenti comme une terreur permanente.

    Mais cette panique sans précédent a une autre cause, qu’il faut, là aussi, chercher dans la numérisation. La numérisation supprime la réalité, et c’est en étant confronté à la résistance qu’on éprouve la réalité, souvent dans la douleur. La «digitalisation», toute cette culture du like, a pour conséquence d’éliminer la négativité de la révolte. C’est ainsi que s’est installée, en notre ère post-factuelle de la désinformation et du deep fake, de l’hypertrucage, une apathie de la réalité. Plongés que nous sommes dans cet état d’inertie, le virus, autrement plus réel qu’un virus informatique, nous assène un formidable choc. Et la réalité, la résistance du réel se rappelle à notre bon souvenir.

    Mais la peur exagérée du virus est avant tout le reflet de notre société de la survie, où toutes les forces vitales sont mises à profit pour prolonger l’existence. La quête de la vie bonne a cédé la place à l’hystérie de la survie. Et la société de la survie ne voit pas le plaisir d’un bon œil : ici, la santé est reine. Soucieux de notre survie menacée, nous sacrifions allègrement tout ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue. Ces jours-ci, la lutte acharnée pour la survie connaît une accélération virale : nous nous soumettons sans broncher à l’état d’urgence, nous acceptons sans mot dire la restriction de nos droits fondamentaux. Et c’est la société tout entière qui se mue en une vaste quarantaine. Livrée à l’épidémie, notre société montre un visage inhumain. L’autre est d’emblée considéré comme un porteur potentiel avec lequel il faut prendre ses distances. Contact égale contagion, le virus creuse la solitude et la dépression. «Corona blues», tel est le terme que les Coréens ont trouvé pour qualifier la dépression provoquée par l’actuelle société de la quarantaine.

    La survie forcenée

    Si nous n’opposons pas la quête de la vie bonne à la lutte pour la survie, l’existence post-épidémie sera encore plus marquée par la survie forcenée qu’avant cette crise. Alors, nous nous mettrons à ressembler au virus, ce mort-vivant qui se multiplie, se multiplie, et qui survit. Survit sans vivre.

    Le philosophe slovène Slavoj Žižek affirme que le virus va porter un coup mortel au capitalisme. Il invoque un communisme de mauvais augure, allant jusqu’à croire que le virus fera échouer le régime chinois. Žižek fait fausse route : il n’en sera rien. Forte de son succès face à l’épidémie, la Chine vendra l’efficacité de son modèle sécuritaire dans le monde entier. Après l’épidémie, le capitalisme reprendra et sera plus implacable encore. Les touristes continueront de piétiner et de raser la planète. Le virus n’a pas fait ralentir le capitalisme, non, il l’a mis un instant en sommeil. Le calme règne - un calme d’avant la tempête. Le virus ne saurait remplacer la raison ; et ce qui risque de nous arriver, à l’Ouest, c’est d’hériter par-dessus le marché d’Etats policiers à l’image de la Chine. Naomi Klein l’a dit : ce «choc» représente un moment propice qui pourrait nous permettre d’établir un nouveau modèle de pouvoir. Le développement du néolibéralisme a souvent été à l’origine de crises qui ont généré de tels chocs. Ce fut le cas en Corée, en Grèce. Mais une fois qu’elle aura encaissé ce choc du virus, on peut craindre que l’Europe adopte elle aussi un régime de surveillance numérique permanente, à la chinoise. Alors, comme le redoute le penseur italien Giorgio Agamben, l’état d’urgence sera devenu le temps normal. Et le virus aura réussi là où le terrorisme islamique semblait avoir échoué.

    La révolution virale n’aura pas eu lieu. Nul virus ne peut faire la révolution. Le virus nous esseule, il ne crée pas de grande cohésion - chacune, chacun ne se soucie plus que de sa propre survie. Au lendemain de l’épidémie, espérons que se lèvera une révolution à visage humain. C’est à nous, femmes et hommes de raison, c’est à nous de repenser et de limiter radicalement notre capitalisme destructeur, notre mobilité délétère, pour nous sauver nous-mêmes et préserver notre belle planète.

    Byung-Chul Han (Libération, 5 avril 2020)

     
    Notes :

    (1) La Société de la fatigue, traduit de l’allemand par Julie Stroz, éd. Circé, 120 pp.

     
     
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  • Maffesoli : « L’ère des soulèvements populaires arrive… »

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Maffesoli, cueilli sur Le Courrier des stratèges et consacré au changement d'ère que nous vivons. Penseur de la post-modernité, Michel Maffesoli a publié récemment  Les nouveaux bien-pensants (Editions du Moment, 2014) , Être postmoderne (Cerf, 2018), La force de l'imaginaire - Contre les bien-pensants (Liber, 2019) ou, dernièrement, La faillite des élites (Lexio, 2019).

     

     

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    Maffesoli : « L’ère des soulèvements populaires arrive… »

    Le familier des promenades en montagne ne manque pas de remarquer que les beaux lacs ponctuant les hautes vallées alpines sont on ne peut plus calmes en leur surface. Mais leurs bas-fonds sont animés par de constants grouillements. De temps à autre ces derniers apparaissent à l’extérieur sous formes de bulles géantes troublant la quiétude du lac. Bulles aussi soudaines qu’éphémères. Disparaissant, en effet, pour renaître plus tard quand le grouillement intérieur se fait à nouveau trop pressant !

    Voilà une image qui permet de comprendre les soulèvements qui, actuellement, troublent la vie de nos sociétés. Il s’agit bien, en effet, de bulles explosives, appelées à se renouveler, en ce qu’elles expriment le grouillement, à la fois profond et violent, animant une société officieuse ne se sentant plus du tout « représentée » par la société officielle ayant le pouvoir institutionnel. D’où l’ambiance insurrectionnelle caractéristique de toute fin d’époque.

    De l’ère des révolutions à l’ère des soulèvements populaires

    Dans notre progressisme natif nous avons du mal à accepter que les époques se suivent et ne se ressemblent pas. Des esprits aigus ont pu noter, à juste titre, la « fin de l’ère des révolutions » (E. Hobsbawm). Si nous savons voir, avec lucidité, l’architecture des sociétés contemporaines, nous pouvons dire, avec assurance, que nous assistons à la naissance de l’ère des soulèvements populaires.

    La multiplication de ces soulèvements, il y a un an le mouvement des gilets jaunes en fut une illustration emblématique, ne manque pas de mettre en exergue, au-delà d’un soi-disant individualisme, le développement d’un « nous communautaire ». « Nous » soulignant, par ses révoltes ou son abstention,  l’implosion d’une « société programmée » par une suradministration technocratique. Société programmée par un pouvoir surplombant de plus en plus factice et contesté.

    La secessio plebis, ou le peuple retiré sur l’Aventin

    D’antique mémoire, on voit, resurgir, régulièrement, ce qui fut à Rome la secessio plebis. Le peuple ne se reconnaissant plus dans le Sénat se retira sur l’Aventin. Il fit sécession. J’ai déjà indiqué que c’était ainsi que l’on pouvait comprendre le mouvement des « gilets jaunes » en France. Mais, afin d’élargir le problème, reconnaissons que c’est en de nombreux pays que l’on peut constater le désaccord profond existant entre les politiques et le peuple.

    Et ce, parce que ce peuple ne supporte plus le mensonge propre au discours officiel. Mensonge se masquant derrière les éternelles rabâchages de la bienpensance. Mensonge se revêtant de l’habit du moraliste propre à ce que Hegel nomme, justement, les « belles âmes ». Mensonge de ces « experts », journalistes et politiques, toutes tendances confondues, dont le dénominateur commun est le psittacisme. Ce sont, en effet, des perroquets, répétant à longueur de temps et d’antenne les mêmes lieux communs d’une affligeante et prétentieuse banalité ! Diafoirus est bien vivant.

    On se souvient de la formule de Platon, dans la République : « c’est donc à ceux qui gouvernent la cité, si vraiment on veut l’accorder à certains, que revient la possibilité de mentir ». Mais le philosophe, bon connaisseur de la politique, établit une distinction entre le « mensonge d’ignorance », acceptable parce qu’humain, et le « mensonge en parole », que le menteur professe consciemment.

    Les mensonges de l’oligarchie font la révolte populaire

    C’est ce dernier qui caractérise l’oligarchie actuelle ! Il suffit, à cet égard, de rappeler que pour celle-ci le « people » tend à remplacer le vrai peuple. C’est cela qui est la cause et l’effet du conformisme logique faisant qu’il existe une « pensée admissible », celle des pouvoirs établis, totalement étrangère à la réalité de la vie courante. Ce qui engendre un aveuglement dont on n’a pas encore mesuré tous les effets.

    C’est cet aveuglement qui est la cause et l’effet d’un entre-soi médiatiquement politique aux effets on ne peut plus pervers. Aveuglement qui suscite un mépris virulent vis-à-vis des peuples en révolte. Peuples dont les réactions sont qualifiées d’une manière on ne peut plus erronée de « populistes ». L’entre-soi,  caractéristique essentielle de cette élite est la négation même de l’idée de représentation sur laquelle, ne l’oublions pas, s’est fondé l’idéal démocratique moderne. 

    Mais de tout cela on peut sourire. En reprenant, cum grano salis la sentence de Bossuet, on peut même en rire, car « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ». Il est des mouvements inéluctables, la révolte des peuples est l’un d’eux. Faut-il le rappeler : rien n’arrête une idée dont le temps est venu !

    Pornographie de l’entre-soi élitaire

    N’est-ce pas l’automimétisme de l’entre-soi qui caractérise les diverses et (trop) nombreuses déclarations publiques que propose le pouvoir  politique ? Celles à propos de la crise sanitaire en cours sont, particulièrement, éclairantes ! Automimétisme que l’on retrouve, également, dans les ébats indécents, quasiment pornographiques dans lesquels ce pouvoir se donne en spectacle. Pour utiliser un terme de Platon, on est en pleine « théâtrocratie ». Spécificité des périodes de décadence. Moment où l’authentique démocratie, la puissance du peuple est totalement occultée.

    Automimétisme de l’entre-soi ou auto-représentation voilà ce qui est la négation ou la dénégation du processus de représentation. Voilà ce qui en appelle à une transfiguration du politique. On ne représente plus rien sinon, à courte vue, soi-même. Une Caste on ne peut plus isolée qui en ses diverses modulations, politique, journalistique, intellectuelle est surtout identique à elle-même et fidèle à son idéal « avant-gardiste » qui consiste, verticalité oblige, à penser et à agir pour un soi-disant bien du peuple.

    Cette orgueilleuse verticalité s’enracine dans un fantasme toujours et à nouveau actuel : « le peuple ignore ce qu’il veut, seul le Prince le sait » (Hegel). Le « Prince » peut revêtir bien des formes, de nos jours celle d’une intelligentsia qui, d’une manière prétentieuse, entend construire le bien commun en fonction d’une raison abstraite et quelque peu totalitaire, raison morbide on ne peut plus étrangère à la vie courante. C’est cela la « suradministration » technocratique.

    Musique profonde de la sagesse populaire

    À l’opposé de la prétention au savoir absolu de ce rationalisme morbide, rationalisme purement instrumental, les soulèvements contemporains ne font qu’exprimer, en majeur, la sagesse populaire, véritable conservatoire des « us et coutumes ». Sagesse de la tradition. Sagesse de la vertu, en son sens fort : « virtu », servant de ciment, c’est cela l’authentique éthique (ethos) à tout être-ensemble fondamental

    Ceux qui ont le pouvoir de faire ou de dire vitupèrent à loisir les violences ponctuant les soulèvements populaires, soulignant bien la saturation vis à vis du politique, de la politique, des politiques. Mais la vraie « violence totalitaire » n’est-elle pas celle de cette bureaucratie céleste qui d’une manière abstraite édicte mesures économiques, consignes sociales et autres incantations de la même eau en une série de « discours appris » n’étant plus en prise avec le réel propre à la socialité quotidienne ?

    Ceux-là même qui voyaient, en parlant des « gilets jaunes », une « vermine paradant chaque samedi », ceux-là peuvent-ils comprendre la musique profonde à l’œuvre dans la sagesse populaire ? Certainement pas. Ce sont, tout simplement, des pleureuses pressentant, confusément, qu’un monde s’achève. Ce sont des notables étant dans l’incapacité de comprendre la fin du monde qui est le leur. Et pourtant cette Caste s’éteint inexorablement. Extinction qui est fréquente dans les histoires humaines.

    Face à la faillite des élites déphasées

    Écoutons, à cet égard, la judicieuse remarque de Chateaubriand. « L’aristocratie a trois âge successifs : l’âge des supériorités, l’âge des privilèges, l’âge des vanités ;  sortie du premier, elle dégénère dans le second et s’éteint dans le dernier ».

    On ne saurait mieux dire la « faillite des élites » contemporaines : n’étant plus en phase avec la réalité sociale de base, car elles privilégient leurs droits au mépris de leurs devoirs. Le « tous pourris » de la conversation du Café du Commerce ne faisant que vitupérer la cupidité de cette élite en déshérence, préoccupée, essentiellement, de postes aguichants, de salaires confortables, de places acquises sur les fameux « plateaux » télévisuels. Toutes choses en appelant à ce que Vilfredo Pareto nommait, justement, la « circulation des élites » ayant fait leur temps.

    Le bienfait des soulèvements, des insurrections, des révoltes, c’est de rappeler, avec force, qu’à certains moments l’ubris, l’orgueil des sachants ne fait plus recette. Par là se manifeste l’importance de ce qui n’est pas apparent. Manifestation de l’indicible et de l’invisible. Le « Roi clandestin » (Georg Simmel) de l’époque retrouve alors une force et une vigueur que l’on ne peut plus nier.

    L’effervescence sociétale, bruyamment (manifestations) ou en silence (abstention) est une manière de dire qu’il est insupportable de continuer à entendre ces « étourdis-instruits », ayant le monopole légitime de la parole officielle, pousser des cris d’orfraie au moindre mot, à la moindre attitude qui dépasse leur savoir appris.

    Manière de rappeler, pour reprendre une formule de Joseph de Maistre, « les hommes qui ont le droit de parler en France ne sont point la Nation ».

    La Nation, le lieu, le lien

    Car qu’est-ce que la Nation ? En son sens étymologique, Natio, c’est ce qui fait que l’on nait (nascere) ensemble. Que l’on partage une âme commune, que l’on existe en fonction et grâce à un principe spirituel. Toutes choses échappant aux Jacobins dogmatiques, qui en fonction d’une conception abstraite du peuple ne comprennent en rien ce qu’est un peuple réel, un peuple vivant, un peuple concret. C’est-à-dire un peuple sachant que le lieu est un lien.

    Le lieu fait lien. C’est ce localisme qui est le cœur battant, animant en profondeur, les vrais débats, ceux faisant l’objet de rassemblements, ponctuant les manifestations ou les regroupements ayant eu lieu, en leur temps, sur les « ronds-points ». Mais que l’on retrouve, également, en période de confinement, dans les « balcons ». Lieux symboliques, par exemple en France où l’on frappe des mains ensemble pour célébrer le courage des « soignants » exposés en ce moment d’épidémie, parfois trop du fait de l’imprévoyance des gestionnaires de l’hôpital. En Italie, balcons où l’on chante des chants patriotiques ou populaires pour conforter le sentiment d’être-ensemble. Au Brésil où l’on s’emploie à conspuer un Président méprisé.

    Au-delà de l’obsession spécifique de la politique moderne, le projet lointain fondé sur une philosophie de l’Histoire assurée d’elle-même, ces rassemblements et ces « célébrations » collectives mettent l’accent sur le lieu que l’on partage, sur les us et coutumes  qui nous sont communs.

    C’est cela le localisme, une spatialisation du temps en espace. Ou encore, en laissant filer la métaphore scientifique, une « einsteinisation » du temps. Être – ensemble pour être-ensemble sans finalité ni emploi. D’où l’importance des affects, des émotions partagées, des vibrations communes. En bref, l’émotionnel.

    L’orgie émotionnelle du génie populaire

    Pour reprendre une figure mythologique, « l’Ombre de Dionysos » s’étend à nouveau sur nos sociétés. Chez les Grecs, l’orgie (Orgè) désignait le partage des passions, proche de ce que l’on nomme de nos jours, sans trop savoir ce que l’on met derrière ce mot : l’émotionnel. Sans le développer longuement puisque j’en ai déjà parlé dans « Courrier des stratèges », l’émotionnel rappelle une irréfragable énergie, d’essence un peu mystique, exprimant que la solidarité humaine prime toutes choses et en particulier l’économie qui est l’alpha et l’oméga de la bienpensance moderne.

    L’émotionnel et la solidarité de base sont là pour rappeler que le génie des peuples est avant tout spirituel. C’est cela que paradoxalement soulignent les révoltes ou soulèvements en cours. Et ce un peu partout de par le monde. Les uns et les autres actualisent (c’est à dire rendent présent) ce qui est substantiel (ou éternel) . Ce qui est caché au plus profond des consciences. Qu’il s’agisse de la conscience collective (Durkheim) ou de l’inconscient collectif (Jung). Voilà bien ce que le progressisme natif des élites ne veut pas voir. C’est par peur du « Nous » collectif qu’elles brandissent le spectre du populisme.

    Ce « spirituel » s’exprime bien dans cette remarque de Gustave Le Bon, grand connaisseur de la « psychologie des foules », on ne peut plus d’actualité. « Passer de la barbarie à la civilisation en poursuivant un rêve,  puis décliner et mourir dès que ce rêve a perdu sa force, tel est le cycle de la vie d’un peuple ». Je considère que les soulèvements actuels traduisent le désir, confus, diffus, certainement inconscient, la recherche, ou la régénération de ce rêve fondamental et structurel.

    Métapolitique de l’idéal communautaire

    On est, dès lors, dans la métapolitique. Une métapolitique faisant fond comme je l’ai indiqué sur les affects partagés, sur les instincts premiers, sur une puissance étant au-delà ou en-deçà du pouvoir et qui parfois refait surface. Et ce d’une manière irrésistible. Comme une impulsion quelque peu erratique, ce qui n’est pas sans inquiéter ceux qui parmi les observateurs sociaux restent obnubilés par la philosophie des Lumières (18e siècle) ou par les théories de l’émancipation, d’obédience socialisante ou marxisante propres au 19e siècle et largement répandues d’une manière plus ou moins consciente chez tous les « instruits » des pouvoirs et des savoirs établis.

    En son temps, contre la « violence totalitaire » des bureaucraties politiques, j’avais montré, en inversant les expressions de Durkheim que la solidarité mécanique était la caractéristique de la modernité et que la solidarité organique était le propre des sociétés primitives. C’est celle-ci qui renaît de nos jours dans les multiples insurrections populaires.

    Solidarités organiques qui, au-delà de l’individualisme, privilégient le « Nous » de l’organisme collectif. Celui de la « tribu », celui de l’idéal communautaire en gestation. Organicité traditionnelle, ne pouvant qu’offusquer le rationalisme du progressisme simplet dont se targuent tous les politiques contemporains.

    Dans le deuil du monde rationaliste : les instincts ancestraux

    La fin d’UN monde, celui de la modernité, permet d’accéder à un autre monde. Mais pour cela il convient de faire un « travail de deuil » conduisant à l’acceptation de ce qui émerge. En bref, la Renaissance induite par et dans les soulèvements populaires, soulèvements diffus, cette véritable « renaissance »  ne peut se comprendre  que si on se souvient de l’antique formule alchimique : « ordo ab chaos ». À quoi on peut rajouter : ordo ab origine ». Pas en amont vers la Tradition.

    Oui, contre ce progressisme tout à la fois benêt et destructeur, on voit renaître les « instincts ancestraux » tendant à privilégier la progressivité de la tradition. La philosophie progressive, c’est l’enracinement dynamique. La tradition ce sont les racines d’hier,  toujours porteuses de vitalité. L’authentique intelligence « progressive », spécificité de la sagesse populaire, c’est cela même comprenant que l’avenir est un présent offert par le passé.

    C’est cette conjonction propre à la triade temporelle (passé, présent, avenir) que pour reprendre les termes de Platon ces « montreurs de marionnettes » que sont les politiques obnubilés par la « théatrocratie » sont incapables de comprendre. La vanité creuse de leur savoir technocratique fait que les mots qu’ils emploient, les faux débats et les vrais spectacles dont ils sont les acteurs attitrés sont devenus de simples mécanismes langagiers, voire des incantations qui dissèquent et règlementent, mais qui n’apparaissent au plus grand nombre que comme de futiles divertissements. Les révoltes des peuples tentent de sortir de la grisaille des mots vides de sens, de ces coquilles creuses et inintelligibles. En rappelant les formes élémentaires de la solidarité, le phénomène multiforme des soulèvements est une tentative de réaménager le monde spirituel qu’est tout être-ensemble. Et ce à partir d’une souveraineté populaire n’entendant plus être dépossédée de ses droits.

    Le peuple, puissance maladroite mais instituante 

    Les révoltes des peuples rappellent que ne vaut que ce qui est raciné dans une tradition qui, sur la longue durée, sert de nappe phréatique à toute vie en société. Ces révoltes actualisent l’instinct ancestral de la puissance instituante, qui, de temps en temps, se rappelle au bon souvenir du pouvoir institué.

    Voilà ce qui en son sens fort constitue le génie du peuple, génie n’étant, ne l’oublions pas, que l’expression du gens, de la  gente, c’est-à-dire de ce qui assure l’éthos de toute vie collective. Cet être-ensemble que l’individualisme moderne avait cru dépassé et qui ressurgit de nos jours avec une force inégalée.

    Mais voilà, à l’encontre de l’a-priorisme des sachants, a-priorisme dogmatique étant le fourrier de tous les totalitarismes, ce génie s’exprime maladroitement, parfois même d’une manière incohérente en se laissant dominer par les passions violentes. L’effervescence fort souvent bégaie.

    Et comme le rappelle Ernest Renan : « Ce sont les bégaiements des gens du peuple qui sont devenus la deuxième bible du genre humain ». Remarque judicieuse, soulignant qu’à l’encontre du rationalisme morbide, à l’encontre de « l’esprit appris » des instruits, le bon sens prend toujours sa source dans l’intuition. Celle-ci est une vision de l’intérieur. L’intuition est une connaissance immédiate, n’ayant que faire des médias. C’est-à-dire n’ayant que faire de la médiation propre aux interprétations des divers observateurs ou commentateurs sociaux.

    C’est cette vision de l’intérieur qui permet de reconnaître ce qui est vrai, ce qui est bon dans ce qui est. Et qui du coup, n’accorde plus créance au moralisme reposant sur la rigide logique du « devoir-être ».

    C’est ainsi que le bon-sens intuitif saisit le réel à partir de l’expérience, à partir du corps social, qui dès lors, n’est plus une simple métaphore, mais une incontournable évidence. Et ce au-delà des lieux communs de la bienpensance, la sympathie ou l’empathie spirituelles redeviennent l’élément essentiel de toute vie en société.

    Incise sur la rudesse des soulèvements populaires

    Cette puissance sociétale ne va pas sans une certaine rudesse. Mais n’en est-il pas ainsi chaque fois qu’une mutation de fond se produit ? Et il est lassant d’entendre toutes les « belles âmes » tenant le haut du pavé médiatique, s’insurger en chœur, chœur des vierges effarouchées, contre la violence, injustifiable bien sûr, de ces soulèvements.

    Ont-ils oublié ce que ne manqua pas de souligner, à diverses reprises, Michel Bakounine : « la volupté de la destruction est en même temps une volupté créatrice ».

    Car, à l’encontre d’une réalité quelque peu rachitique, à l’opposé d’un « principe de réalité » essentiellement économiciste, dont le « pouvoir d’achat » est l’alpha et l’oméga, le point nodal des soulèvements populaires est, structurellement, une perpétuelle « quête du Graal », c’est-à-dire une recherche spirituelle.

    L’esprit du peuple a l’intelligence supérieure du cœur

    Voilà qui peut paraître quelque peu paradoxal. Faire référence à l’intelligence du cœur. Horresco referens ! Comment est-ce possible quand on ne conçoit l’intelligence que sous sa forme rationaliste. Ainsi que je l’avais nommé dans ma critique du « mythe du Progrès » dès 1979, la caste technocratique, sous ses modulations intellectuelles (on dit maintenant « experts »), politiques, journalistiques, cette Caste donc, est incapable de comprendre que le génie du peuple s’exprime mieux dans son souci spirituel que dans des préoccupations politiques.

    Tout simplement parce que cette caste, en son rationalisme morbide, tout en se disant démocratique, est rien moins que démophile. Les sempiternelles incantations à propos des valeurs républicaines et de leurs fondements démocratiques, cachent mal son « avant-gardisme » natif. Pour la Caste le peuple est sot, il faut l’éduquer et le conduire !

    Cette pseudo-intelligentsia, on ne peut plus déphasée, en son idéologie progressiste ne peut pas saisir l’atmosphère mentale de l’époque. Ce que le philosophe Ortega y Gasset, en son livre prémonitoire : La Révolte des masses, nommait « l’impératif atmosphérique » du moment. C’est parce qu’elle ne sait pas s’adapter au changement de climat spirituel en cours que la Caste subira le sort qui fut celui, en leur temps, des dinosaures : périr.

    La Modernité pourrissante est à l’agonie. Ses représentants caducs ne peuvent même pas envisager que toute mutation, car c’est bien de cela dont il s’agit, comporte une dose de mystère.

    Le droit divin du peuple reprend vigueur

    Dans cette mutation et, contre les divers « sachants » s’arrogeant le monopole de la parole publique, s’exprime ce que dans la tradition thomiste, Joseph de Maistre nommait le « droit divin du peuple ». Souveraineté de la puissance naturelle qui, régulièrement, se rappelle au bon souvenir des pouvoirs établis. Ceux-ci n’étant que délégués et devant rendre des comptes au peuple qui en est le légitime détenteur. Ainsi que le rappelle l’antique adage : Omnis autoritas a populo.

    C’est cette autorité qui reprend force et vigueur. Elle rappelle que, telle une vraie royauté, l’opinion est reine d’un monde. Le peuple reprend la parole contre ceux qui, avec l’arrogance, la suffisance et la jactance que l’on sait l’ont monopolisée. Les divers commentateurs parlent, avec componction, pour ne rien dire. Et de cela on commence à se rendre compte. Componction des discours technocratiques de la Caste au pouvoir. Elle a une conception purement oratoire de la politique. Elle tient ses discours pour des actes ! Pour elle le discours est action.

    Ce sont moins des réponses bien formatées qui sont attendues, que la capacité de savoir poser des questions. Ce que les soulèvements signifient c’est que n’est plus accepté un monde sans question et plein de réponses. Tout simplement parce que c’est à partir de l’insaisissable, ce qui est en devenir, ce qui est questionnant, que l’on peut saisir le saisissable. Celui de la vie Réelle.

    Ne l’oublions pas. C’est quand on ne sait pas dire, avec justesse, ce qui est, c’est quand le moralisme, ce qui « devrait être », prend le dessus, que le peuple fait sécession.

    L’enjeu n’est donc pas négligeable. Il faut trouver les mots, les moins faux possible, pour dire la « volupté créatrice » qui, plus ou moins maladroitement, est en gestation dans notre postmodernité naissante. Les lieux communs et diverses bien-pensances ne suffisent plus, il faut avoir l’audace et le courage  d’une pensée de haute mer. Là encore, entièreté de l’être, le courage n’est-il pas, tout à la fois, « le cœur et la rage » ?

    La technocratie désemparée face à l’ère du « Nous »

    La technocratie politiste est incapable de comprendre l’émergence d’une « ère du Nous ». « Nous » s’employant à créer un monde harmonieux, à partir du monde tel qu’il est, et non plus à partir de ce que des théories abstraites auraient aimé qu’il soit. Au-delà de ceux qui, avec une mentalité de maître d’école, continuent de faire la leçon, de ceux qui sont enfermés dans les étroites limites d’un savoir appris dans les grandes écoles, au-delà des lieux communs dogmatiques, la révolte gronde et elle continuera à gronder.

    C’est dans les plateformes libertaires qu’il faut chercher la reviviscence de la vie. C’est dans la hardiesse de vues qui est y est proposée que s’élabore en son sens fort une éthique nouvelle. « Ethos » étant tout simplement, le ciment confortant la vie de toute société.  Ce ciment consistant à conforter les cœurs et les esprits dans un être-ensemble où ce qui est primordial, c’est être-avec. Réalisation effective d’un centre de l’union, préoccupation essentielle d’une dynamique sociétale digne de ce nom.

    Voilà ce que l’on n’ose pas dire. Le climat est à l’effervescence. Les divers soulèvements, un peu partout de par le monde en sont l’ expression on ne peut plus éloquente. Il s’agit d’un « impératif atmosphérique » auquel personne ne peut échapper. L’air du temps est à la révolte des masses. Et rien ni personne n’en sera indemne. Tout au plus faut-il savoir l’accompagner, savoir la dire, le plus justement possible afin qu’elle ne s’aigrisse pas en une forme perverse, immaîtrisable et sanguinaire à souhait !

    Nous visons une crise civilisationnelle

    Une mutation de fond, une crise civilisationnelle est en train de s’opérer sur les réseaux sociaux, les forums de discussion, les sites et autres plateformes du Netactivisme. C’est là qu’il faut suivre l’émergence de la socialité en cours de gestation. C’est cette presse alternative qui rend mieux compte des échanges, partages, entraides ayant fait des ronds-points un véritable Aventin postmoderne.

    On est loin là de la componction du discours officiel celui de la Caste dont le locataire de l’Elysée est le parfait représentant. Componction à laquelle s’appliquerait bien cette remarque de Jean Jacques Rousseau : « Quel style ! Qu’il est guindé ! Que d’exclamations ! Que d’apprêts ! Quelle emphase pour ne dire que choses communes ! Quels grands mots pour des petits raisonnements ! Rarement du sens, de la justesse ; jamais ni finesse, ni force, ni profondeur. Une diction toujours dans les nues, et des pensées qui rampent toujours. »

    Tout est dit.

    Michel Maffesoli (Le Courrier des stratèges, 4 avril 2020)

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  • Les leçons de la crise : la mise sous respiration artificielle de l’Europe...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli sur le site de Geopragma et consacré aux conséquences de la crise du Coronavirus en Europe. Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et de Vers un nouveau Yalta (Sigest, 2019). Elle a créé en 2017, avec Hervé Juvin, entre autres, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

     

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    Les leçons de la crise : la mise sous respiration artificielle de l’Europe

    Il ne s’agit pas, comme pour l’OTAN, d’une prétendue “mort cérébrale” mais d’une très concrète mise sous respiration artificielle de l’Europe. Sans garantie de survie. Le Covid-19 agit comme un triste révélateur de la vérité de ce qu’est l’UE : une vieille dame qui a “de beaux restes” mais ne sait plus ce que veut dire “se tenir”, être digne de soi ou de ce que l’on prétend être. Telle une ancienne gloire de la scène mondiale, elle vit tellement dans ses souvenirs et ses illusions qu’elle ne s’est pas rendu compte que le monde avait complètement changé et qu’on ne l’écoutait plus.

    Les masques tombent

    Cette pandémie révèle les meilleurs et les pires des comportements humains : les trafics, les pillages dans nos hypermarchés dégoulinants de nourriture, le mépris des consignes de confinement d’une partie de notre jeunesse en sécession, l’abandon de notre partenaire italien en pleine tragédie, comme d’ailleurs celui de la Grèce plus seule que jamais face aux migrants à l’assaut de ses frontières, les coups de poignard dans le dos entre Européens (comme ces douaniers Tchèques qui récupèrent l’aide chinoise d’urgence destinée à l’Italie et la distribuent dans leurs hôpitaux). Il y a aussi le meilleur : la solidarité active de tant de nos concitoyens et de nos entreprises qui fourmillent d’initiatives et d’empathie, les policiers qui travaillent nuit et jour pour sauver de leurs bourreaux domestiques femmes et enfants plus en danger encore que d’ordinaire, les pompiers, les personnels dévoués de nos maisons de retraite et même simplement les “mercis” chantés chaque soir pour les “soignants” qui ne démissionnent pas alors même que l’impéritie gouvernementale les fait depuis des semaines monter au front presque sans masques ni gants… Ne nous trompons pas toutefois. Le dévoiement de la sémantique guerrière est à mon sens ridicule et même contreproductif. Cette rhétorique martiale dessert l’image de nos “chefs de guerre” manifestement mal armés et peu décisifs aux premiers temps de l’épidémie. Les “soignants” ne font que leur devoir. Ils vivent leur vocation, celle qui a inspiré leur choix professionnel. Ce ne sont pas des “héros”, ni des victimes. Même s’il est vrai que, comme nos gendarmes, nos policiers, nos croquemorts et tant d’autres, ils montent au front de la pandémie depuis des semaines souvent sans armes et prennent des risques personnels insensés dans un pays qui se targuait hier encore d’avoir le meilleur système de soins au monde…

    “Il est donc grand temps de redéfinir avec lucidité et ambition le périmètre du régalien”

    Les masques sont donc tombés de ce nouveau village Potemkine français, la politique préventive de santé publique. Dieu merci, Hippocrate est encore vivant. Il faudra néanmoins sérieusement s’occuper de lui dès la crise passée et le soigner à son tour sans mégoter. Cette incurie sanitaire aux conséquences désastreuses rappelle celle du budget de la défense, allègrement raboté durant des décennies au nom des “dividendes de la paix” sans réfléchir même à préserver les capacités essentielles indépendantes pour faire face à de collectives calamités. Nous sommes là au cœur de la résilience d’une nation et même de sa survie. Quand la tempête sera passée, ces domaines, comme ceux de la sécurité ou de la justice, devront une fois pour toutes échapper à nos petits hauts fonctionnaires comptables ratiocineurs, qui trouvent toujours de l’argent pour remplir les tonneaux des Danaïdes de l’assistanat à visée électoraliste, mais laissent nos soldats et nos médecins en haillons au nom de la rationalité budgétaire en misant sur leur sens du devoir pour faire le job malgré tout si besoin était. Besoin est.

    Le besoin d'état

    Il est donc grand temps de redéfinir avec lucidité et ambition le périmètre du régalien, qui dessine celui de notre souveraineté comme socle vital de la persistance dans l’être de la Nation. Temps aussi d’admettre que nous faisons face au grand retour des Etats dont il faut se réjouir au lieu de célébrer stupidement leur déliquescence comme un progrès.

    Car nos peuples, tous les peuples ont besoin d’un Etat, et d’un Etat fort qui sache les protéger et décider dans l’incertitude au mieux de leurs intérêts physiques, matériels, et même immatériels. Les utopies fluides de la globalisation, de la délocalisation vertueuse des productions indispensables (des masques et respirateurs aux catapultes de nos avions de chasse, aux turbines de nos sous-marins en passant par notre alimentation, nos médicaments, etc…), celles de la virtualisation accélérée du monde viennent de se fracasser lamentablement devant un petit virus mutant, né de nos propres expérimentations, qui décime cet humain prétendument si proche de la vie éternelle et de l’humanité “augmentée”. Le COVID 19 vous terrasse comme la peste noire ou la grippe espagnole emportèrent en leur temps des centaines de milliers de malheureux. Nous ne sommes donc rien ou plutôt pas grand-chose ! Vanitas vanitatis, omnia est vanitas ! Il était temps de s’en souvenir. Pas de masque, pas de gants, une accolade de trop et hop ! Au trou ! Cette crise est une crise de l’Ubris occidental, gavé d’utopie technicienne au point de se croire invulnérable. On n’y croyait pas. Un peu comme les Américains avant le 11 septembre 2001, qui ne pouvaient seulement imaginer, en dépit de bien des signaux d’alarme, que leur territoire allait être magistralement désanctuarisé en son cœur même. Notre civilisation “post-moderne”, pétrie d’économisme triomphant, saisie du vertige transhumaniste et nos sociétés si sophistiquées qui pratiquent le trading haute fréquence et installent des millions de Kilomètres de câbles sous-marins pour gagner plus encore, en quasi totale décorrélation d’avec l’économie réelle comme du sort des populations ordinaires, avaient juste oublié qu’elles étaient mortelles. Paul Valery n’aurait sans doute pas imaginé pareille postérité à son prophétique propos.

    “L’Etat tient” nous dit-on ! Encore heureux ! Mais pour combien de temps et surtout, saura-ton tirer profit de ce drame mondial pour prendre de la hauteur, revoir de fond en comble nos plans d’urgence, nos priorités, notre planification de crise, notre gouvernance et enfin définir ce que nous attendons de nous-mêmes en tant qu’Etat-nation digne de ce nom dans le monde tel qu’il est ? Cela nous permettrait de décider au passage ce que nous attendons de l’Europe et ce ne serait pas du luxe ! Quand on réalise le temps perdu à Bruxelles par nos eurocrates hors sol et pleins de certitudes à nous convaincre qu’il était urgent d’attendre, qu’il ne fallait surtout pas fermer les frontières nationales ni même celles de Schengen, encore moins contrôler systématiquement les entrants nationaux ou étrangers, car c’était là manquer à “l’esprit européen” de liberté et au sacro-saint dogme libre échangiste, on mesure la totale irresponsabilité de ceux qui prétendent savoir ce qu’il faut aux Européens pour vivre en paix et prospères. Il faut vivre tout court déjà !

    Saura-t-on faire que cette crise soit le catalyseur d’une prise de conscience urgentissime de ce que la souveraineté nationale n’est pas une option mais une nécessité vitale pour chaque peuple sur cette planète ? Va-t-on en finir avec le conformisme intellectuel qui nous affaiblit collectivement en nous faisant faire l’autruche et tout comprendre en permanence de travers ? Saura-t-on voir que le sujet n’est pas le populisme ou je ne sais quelle lubie rétrograde, mais bien l’urgence de protéger concrètement nos peuples et notre civilisation contre divers périls, lutte à laquelle il faut affecter les moyens suffisants au lieu de fuir dans le ronron du productivisme en roue libre et de la morale en toc qui fait au loin des tombereaux de morts ?

    Les conseilleurs n’étant pas les payeurs (quoiqu’en l’espèce un peu quand même), il serait évidemment malvenu de critiquer ceux qui dans la tempête, après l’avoir gravement sous-estimée, cherchent rames et écopes. Si cette pandémie rappelle le monde entier à son humaine condition et fait sonner à ses oreilles sidérées le même glas, on voit immédiatement que les pays sont tout sauf égaux devant elle, selon les « choix » de leurs gouvernants en matière de contrôle des frontières mais aussi de dépistage et de traitement. Le” pouvoir égalisateur ” du virus lui-même s’arrête à la décapitation de nos petites vanités dérisoires. Plus que jamais, les destinées collectives des peuples dépendent des forces morales, mentales comme de l’autorité de leurs dirigeants.

    L’état n'est plus stratège

    En France, la stratégie adoptée de limiter les tests au maximum et de confiner l’ensemble de la population en mettant à l’arrêt la vie économique du pays au lieu de dépister massivement puis d’isoler les contaminés pour les traiter, n’a d’ailleurs pas été un arbitrage scientifique. Nous n’avions juste pas (plus) les moyens de faire autrement. Ce choix nous a été imposé par notre système sous-dimensionné de prise en charge de l’urgence sanitaire. Pourtant, le risque pandémique est un risque sanitaire majeur bien connu. Et depuis 15 ans, nous avons déjà connu les tragédies de la grippe aviaire et du virus H1N1…Mais nous n’en avons pas tiré les enseignements. Nous sommes passés à autre chose. Nous délocalisons toujours les productions pharmaceutiques et médicales et nos arbitrages sont idéologiques et d’opportunisme politique, nourris d’une confiance ingénue dans la supériorité de la liberté de circulation des individus sur la contagiosité extrême d’un virus. Dont acte.

    Alors, on a différé, séquencé, délayé, et perdu un temps précieux au risque de bien des morts, et de devoir in fine, une fois le système saturé et les soignants éreintés, choisir ceux que l’on sauve et ceux que l’on sacrifie, écrémage pourtant politiquement suicidaire. Le gouvernement après quelques semaines d’atermoiements, parait désormais avoir pris la mesure du danger et de bonnes décisions. On peut tout de même remarquer que notre vaisseau prend l’eau de toutes parts, et qu’il faudrait voir à racheter une grand-voile au lieu de rapiécer sans cesse notre Tourmentin. Tout cette improvisation révèle une folle vanité et une désorientation plus vaste encore, qui font craindre pour la sécurité au sens le plus large que méritent nos compatriotes. Car, à moins que l’on ne cède au complotisme, ce virus n’a pas été intentionnellement lâché dans la nature. Le prochain le sera peut-être. La “guerre” bactériologique et chimique est aussi vieille que l’homme. Chinois comme Américains et Russes sont les meilleurs au monde en cette matière. Nous ne sommes pas mauvais non plus. C’est la massification de l’empoisonnement à l’ancienne, la strychnine à l’échelle industrielle. Alors l’économie mondiale s’enraye bien plus surement qu’avec un blackout venu du cyber-warfare ! Alors le pétrole plonge, les convoitises et les embuscades préparées de longue date contre des entreprises fragiles peuvent s’accélérer. Pékin est déjà en train de fondre sur des proies australiennes, et bien des entreprises européennes sont sur sa wish list… Cette crise est donc une répétition générale opportune pour une autre attaque probable lancée à des fins de déstabilisation offensive.

    Face à ce type d’occurrence, il faut à nos démocraties molles des “chefs” politiques ayant des vertus particulières. Des hommes ayant le sens de l’Etat et de l’intérêt général, dotés une grande humanité mais insensibles et même réfractaires à l’air du temps, sachant définir un cap et s’y tenir, donner des ordres et se faire obéir. Des hommes surtout, qui arrêtent de bêler avec les autres européistes qui ont tué l’Europe des Nations à force de l’émasculer. Or, on a cassé le moule. Les gouvernants européens sont presque tous d’une autre eau. Pour eux, la guerre est un objet historique. Ils ne savent plus ce qu’elle exige d’anticipation austère et de sacrifices impopulaires. Ils sont sans boussole intérieure, historique et morale. Ils ne savent que “gérer” l’urgence dans l’urgence, sans jamais prendre le temps de s’y préparer sérieusement, à l’instar d’ailleurs de leur pratique politique générale, qui consiste à vouloir plaire à tout le monde, donc à personne. Pourquoi cette systématique indifférence à l’anticipation ? Sans doute parce qu’elle ne rapporte rien politiquement… sauf en cas de “surprise stratégique”. C’est un pari. Qu’ils ne font pas. Celui du service de l’intérêt national dont on ne vous saura peut-être jamais gré. Un pari à rebours de l’air du temps, qui requiert des mesures de protectionnisme économique, des nationalisations, la constitution de stocks et de champions nationaux, le maintien de capacités de production indépendantes multiples. Bref, cela coûte cher et ne rapporte rien, sauf si… Cela demande de croire à la souveraineté nationale, à l’intérêt et à la raison d’Etat et d’accepter leur coût politique et financier toujours exorbitant. Or, nous parlons d’Etat stratège sans jamais en accepter l’austérité et les exigences. Gouverner n’est pas glamour.

    Dieu merci, le cadavre européen bouge encore. Ou plutôt, sous l’effet de la gravité de la crise sanitaire qui cible les populations – première richesse d’une nation-, certains de ses “organes” (les Etats-membres) sortent de leur torpeur et reprennent leur vie propre. La Hongrie, L’Allemagne, L’Italie, la Grèce, la Pologne. On appelle cela avec dégoût le populisme, le souverainisme, et même “l’i-libéralisme”, alors que ce sont les systèmes immunitaires des peuples et nations qui se réveillent, non pas contre l’Europe mais pour elle, pour la faire sortir enfin de son enveloppe abstraite mortifère !

    Caroline Galactéros (Geopragma, 4 avril 2020)

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  • Le flicage plutôt que le dépistage...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Geoffroy cueilli sur Polémia et consacré aux mesures liberticides prises tranquillement par le gouvernement sous couvert de la crise sanitaire largement provoquée par son inaction face à l'épidémie... Ancien haut-fonctionnaire, Michel Geoffroy a récemment publié La Superclasse mondiale contre les peuples (Via Romana, 2018).

     

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    « Français, vos papiers ! » Le flicage plutôt que le dépistage

    Le ministre de l’Intérieur en avait sans doute rêvé : voilà les Français assignés à résidence pour une durée indéterminée. Et les rassemblements interdits. Finis les Gilets jaunes ! Oubliée la claque reçue par le parti présidentiel lors du premier tour des municipales ! Puisque de toute façon le second tour n’est pas pour demain.
    Avec le coronavirus, on a enfin muselé ces Gaulois jamais contents. Ah, Dieu, que la pandémie est jolie !

    Les Français, coupables de l’épidémie

    Faute de masques, de dispositifs de dépistage, de respirateurs, et compte tenu de la saturation de notre système hospitalier, le gouvernement ne pouvait que prendre la voie du confinement durable des Français.

    Même si cela surprend les Chinois et suscite les critiques du corps médical. Mais le conseil scientifique, qui semble désormais diriger la France, en a, paraît-il, décidé ainsi. Don’t acte.

    Ah ! Ces cochons de Français rebelles au confinement, aux gestes barrière et à la distanciation sociale, on va les mâter !

    Les médias et les ministres ne cessent de les diaboliser : bientôt la pandémie sera de leur faute. Pas celle de la mondialisation débridée, du sans-frontiérisme, de la réduction des emplois et des dépenses publiques au nom du pacte de stabilité européen et de la bureaucratisation des professions de santé.

    Non, c’est la faute aux Français qui ne se confinent jamais assez bien !

    Curieusement on nous parle moins de ce qui se passe dans les banlieues ou les quartiers de l’immigration, manifestement à des années-lumière du confinement national. Mais il parait que «ce n’est pas une priorité que de faire respecter dans les quartiers les fermetures de commerces et de faire cesser les rassemblements», pour le Secrétaire d’État Laurent Nuñez. Il ne faut pas les stigmatiser comme dirait Sibeth Ndiyae, la porte-parole du gouvernement.

    De même on glisse sur les bobos, alliés du pouvoir, qui ont quitté les villes pour se réfugier à la campagne, emportant nonchalamment le virus avec eux.

    Non ce qui importe ce sont, encore et toujours, ces maudits français souchiens, ceux de la France périphérique, qui d’après nos médias ne comprendraient jamais rien.

    Avec le coronavirus, on va plus loin

    Le choix gouvernemental du confinement permet d’aller encore plus loin dans le flicage des Français.

    Le gouvernement a déjà rétabli les Ausweis : pour sortir il faut désormais exhiber le bon papier lors des contrôles. Sinon, Achtung ! On menace les Français d’amendes alourdies, voire de prison, au moment où le ministre de la Justice souhaite relaxer 5 000 détenus en fin de peine pour… lutter contre l’épidémie dans les maisons d’arrêt. Comprenne qui pourra.

    Peut-être demain rétablira-t-on les tickets de rationnement, comme au bon vieux temps, pour empêcher les autochtones de faire trop souvent leurs courses ? Le préfet de l’Aisne ne voulait-il pas interdire la vente d’alcool comme au temps de la prohibition ?

    Certains maires mettent déjà en place un couvre-feu avec l’accord des préfets, donc de l’État (mais pas en Seine-Saint-Denis, ce ne serait pas approprié, nous dit-on). D’autres rêvent de géolocalisation qui permettrait de mieux pister les malades et surtout les Français récalcitrants. On lâche les drones de surveillance.

    On en vient donc à adopter ce que l’on condamnait hier en Chine.

    Où va-t-on s’arrêter ?

    L’état d’urgence était-il urgent ?

    Emmanuel Macron a déjà fait entrer en 2017 les dispositions de l’état d’urgence contre le terrorisme dans le droit commun, ce qui signifie qu’il a réduit à due concurrence les libertés des Français. Mais cela ne suffisait pas, manifestement.

    Nous voilà donc maintenant sous le régime de l’état d’urgence sanitaire, qui autorise de nouvelles restrictions aux libertés et au droit de propriété, pour une durée de deux mois. Au-delà il faudra une loi pour le proroger, mais, comme LREM a encore la majorité des suffrages à l’Assemblée nationale, cela ne constitue pas vraiment une garantie !

    En outre, l’état d’urgence sanitaire concerne tous les Français sans restriction, alors que les mesures antiterroristes ne touchaient qu’un nombre limité de personnes.

    Mais cette urgence était-elle nécessaire ? Pour fabriquer des masques ? Pour construire des hôpitaux ? Ou pour continuer de déconstruire le droit social ?

    La peur, c’est bon pour l’audience, coco !

    Les mêmes qui, il y a quelques semaines encore, relayaient les messages lénifiants de Mme Buzyn alors ministre de la Santé, nous bombardent maintenant de nouvelles toujours plus effrayantes, appliquant une nouvelle fois une vieille recette de la désinformation : la méthode du fil de fer, consistant à tordre l’opinion dans un sens et dans un autre, pour la briser.

    On nous dit que, dans l’Est, les cadavres vont s’entasser dans les patinoires. Dans les EHPAD, nos anciens tomberaient comme des mouches. On s’attendrait à des centaines de milliers de morts. Nous ne sommes qu’au début de la crise, avertissent les experts médiatiques. Voyez ce qui se passe en Italie…

    La peur, c’est bon pour l’audience, donc pour la pub, coco ! Et le confinement c’est aussi bon pour l’audimat et la propagande !

    La peur, instrument de la stratégie du chaos

    La peur permet surtout la sidération de la population. Elle nous fait entrer dans l’émotionnel et abandonner le rationnel.

    Elle relève de la stratégie du chaos, qui sert à déconstruire les défenses immunitaires du corps social, pour lui imposer ce qu’il ne veut pas.

    Comme l’écrivait Jacques Attali, « l’histoire nous apprend que l’humanité n’évolue significativement que lorsqu’elle a vraiment peur [1] ». C’est pourquoi le mondialisme va de pair avec le catastrophisme : l’annonce par les experts (les sachants) de catastrophes à venir permet de justifier la marche vers un gouvernement mondial auprès de la population.

    Aujourd’hui, le coronavirus a nettement remplacé les vociférations de Greta Thunberg, dans le registre de la peur surmédiatisée en Occident.

    Un flicage disproportionné

    Nos concitoyens ont peur de l’épidémie et globalement, malgré ce que prétendent les médias, ils respectent les règles de confinement. Il suffit de voir nos villes vidées de leurs habitants pour s’en convaincre. Même s’ils se montrent critiques vis-à-vis de la façon dont on a géré jusqu’à présent l’épidémie et s’ils se méfient des mensonges du pouvoir [2].

    Dans ce contexte, le prurit répressif qui s’est emparé des autorités et des édiles, semble plus que disproportionné. Mais il est, avec la propagande et ses mensonges, une composante essentielle de la macronie.

    Il sert aussi à masquer la médiocre efficience de nos autorités dans la gestion, jusqu’à présent, de cette crise.

    Face au virus , le flicage ne remplacera pas le dépistage. Mais il risque de renforcer la dictature Macron.

     

    Michel Geoffroy (Polémia, 30 mars 2020)

     

    Notes :

    [1] L’Express du 3 mai 2009.

    [2] Selon un sondage Elabe pour BFMTV, publié le 25 mars 2020, trois Français sur quatre considèrent que la France n’est pas préparée pour lutter contre l’épidémie. La moitié n’approuve pas les actions du gouvernement. Enfin, près de neuf sondés sur dix sont préoccupés par la situation.

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  • Voir au-delà de l’épidémie...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une intervention de Slobodan Despot consacrée à l'épidémie de Coronavirus et à sa suite. Éditeur, directeur de la lettre hebdomadaire Antipresse, Slobodan Despot a, notamment, publié deux romans, Le miel (Gallimard, 2014) et Le rayon bleu (Gallimard, 2017).

     

                                         

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  • La liberté, malgré les urgences !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Eric Werner, cueilli sur le site d'Antipresse et consacré au recul progressif de la liberté en Europe, et en particulier en France.

    Penseur important et trop peu connu, Eric Werner est l'auteur de plusieurs essais marquants comme L'avant-guerre civile (L'Age d'Homme, 1998 puis Xénia, 2015), De l'extermination (Xénia, 2013), ou Un air de guerre (Xénia, 2017), et de recueils de courtes chroniques comme Ne vous approchez pas des fenêtres (Xénia, 2008) et Le début de la fin et autres causeries crépusculaires (Xénia, 2012). Il vient de publier dernièrement Légitimité de l'autodéfense (Xénia, 2019).

     

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    La liberté, malgré les urgences !

    Les sociétés européennes se trouvent aujourd’hui confrontées à de tels défis qu’il peut apparaître étrange, pour ne pas dire inactuel, de s’interroger sur ce que devient aujourd’hui la liberté en Europe. Ce n’est à coup sûr pas une priorité. Et pourtant c’est ce qu’on va essayer ici de faire malgré le couvre-feu matériel et mental imposé par la lutte contre le Coronavirus.

    Il est beaucoup aujourd’hui question de «dérive autoritaire» en Europe. C’est évidemment un euphémisme. La vraie question, en fait, qui se pose (au-delà même de celle consistant à se demander si nous sommes encore en démocratie) est celle de l’État de droit. Que subsiste-t-il aujourd’hui encore dans nos pays de l’État de droit?

    Je dis «nos pays», car la question ne se pose pas seulement dans certains d’entre eux à l’exclusion d’autres hypothétiquement mieux favorisés, mais peu ou prou partout. Un pays comme la France est évidemment en première ligne. Il serait fastidieux de dresser la liste de toutes les atteintes à l’État de droit survenues en France au cours de la période récente, en lien ou non avec l’épisode des Gilets jaunes. Ces atteintes sont graves et n’ont pas leur équivalent ailleurs. Mais il ne faut pas se faire d’illusions. On est certainement légitimé à insister sur la singularité française. Mais, d’une part, cette singularité n’est que relative, et d’autre part la France ne fait que précéder les autres pays dans une évolution d’ensemble n’épargnant, en fait, aucun pays. Elle a simplement une longueur d’avance.

    Le problème doit donc être abordé à l’échelle du continent dans son ensemble. On admettra sans peine par exemple que les violences policières constatées ces derniers mois en France n’ont pas leur équivalent en Suisse. Mais divers scandales survenus récemment à Genève, ville frontalière, montrent que la Suisse n’est pas a priori à l’abri de tels débordements (1). D’autres exemples pourraient être cités, notamment un, il y a deux ans, dans le canton de Berne. L’affaire avait débouché dans une interpellation au Grand Conseil bernois. Les violences policières sont encore en Suisse l’exception. Mais il ne faut pas dire qu’elles n’existent pas.

    Par ailleurs, les violences policières n’épuisent pas le problème. Ainsi, toujours en Suisse, le Parlement s’apprête à adopter un projet de loi sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme, projet de loi entérinant le principe selon lequel de telles mesures pourraient être prises en dehors de tout contrôle judiciaire. Il ne faut pas idéaliser la justice, ni bien sûr non plus surestimer son aptitude à protéger les libertés fondamentales (la violence judiciaire n’est pas un vain mot, elle n’a souvent rien à envier à la violence policière proprement dite), mais le contrôle judiciaire n’en est pas moins préférable à pas de contrôle du tout. Un tel contrôle ne garantit assurément pas en lui-même la survie des libertés fondamentales, mais peut en revanche, dans une certaine mesure au moins, la favoriser. Alors qu’avec sa suppression une telle survie devient hautement improbable, pour ne pas dire désespérée.

    Le modèle français

    La Suisse se borne ici à suivre l’exemple français, puisqu’en 2017 déjà le Parlement français avait décidé de transférer dans le droit ordinaire certaines dispositions de l’état d’urgence, au nombre desquelles, justement, l’abolition du contrôle judiciaire sur les actes des autorités en lien avec la lutte contre le «terrorisme». On met ici le mot «terrorisme» entre guillemets, car les autorités françaises ont tendance à user et abuser de cette notion en en donnant une interprétation très extensive. On est très vite aujourd’hui en France traité de «terroriste».

    On pourrait aussi parler des atteintes croissantes à la liberté de parole et de critique, qui font qu’il devient de plus en plus risqué aujourd’hui d’aborder certains sujets jugés sensibles. Il n’y a pas encore à l’heure actuelle en Suisse de loi Avia, mais il est évident qu’un jour ou l’autre il y en aura une, car on voit mal la Suisse ne pas s’aligner sur ce qui se fait ailleurs en ce domaine. Ce ne sera au reste pas très compliqué. Il suffira de compléter l’article 261 bis du Code pénal, par simple adjonction d’un ou deux alinéas, comme cela vient de se faire pour la pénalisation de l’homophobie. Il faut en tenir compte quand on dit que la liberté d’expression est aujourd’hui mieux garantie en Suisse qu’en France. C’est certainement vrai en soi, mais encore une fois, c’est le mouvement d’ensemble qui compte.

    Et ainsi de suite. En France toujours, un décret du 20 février dernier légalise le fichage généralisé des individus, au travers d’une nouvelle application numérique dénommée GendNotes. Les gendarmes sont encouragés désormais à collecter des données à caractère personnel (y compris celles relatives aux opinions philosophiques et politiques). Ils l’ont naturellement toujours fait dans le passé, mais c’est maintenant légalisé. On peut bien, si l’on y tient, parler ici de «dérive autoritaire», mais chacun admettra qu’il s’agit de tout autre chose. On assiste en fait à la mise en place d’un régime de type orwellien inaugurant une nouvelle espèce de totalitarisme. La généralisation à tous les coins de rue de la reconnaissance faciale s’inscrit également dans ce contexte.

    Insistons au passage sur le fait qu’avec l’avènement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), les choses se font en quelque sorte toutes seules. C’est une opportunité qui s’offre à l’État, et celui-ci, tout naturellement, en profite.

    L’humain rapetissé

    On est dès lors amené à se poser cette question: comment se fait-il que personne ne réagisse? En fait, ne se révolte? Car, effectivement, les gens ne révoltent pas. On pourrait dire que la non-révolte est chose normale: plus normale, en tout cas, que la révolte. On ne se révolte qu’exceptionnellement. Les gens ne se rendent pas non plus toujours compte à quels risques ils s’exposent en ne se révoltant pas. Ou quand ils s’en rendent compte, il est déjà trop tard. Ils cèdent également volontiers à la peur. Etc. Tout cela étant admis, on n’en reste pas moins surpris de la passivité et de l’absence de réaction des citoyens. Ils donnent l’impression d’être comme tétanisés. Il y a certes eu l’épisode des Gilets jaunes. Mais leurs revendications étaient d’ordre surtout économique.

    C’est un sujet complexe, on ne va bien sûr pas ici en faire le tour, juste développer une ou deux remarques. On s’inspirera ici du dernier livre d’Emmanuel Todd, Les Luttes de classes en France au XXIe siècle (2), qui aborde le problème sous l’angle anthropologique. Prenant le contre-pied d’une thématique aujourd’hui ressassée, celle de «l’homme augmenté», Todd dit que l’homme contemporain est au contraire extrêmement «diminué». L’individu n’est pas devenu aujourd’hui «plus grand», comme on le prétend parfois, mais au contraire «plus petit». Todd se réfère à certains travaux récents sur la dépression et la fatigue mentale des individus à notre époque. Il insiste également sur le fait que les dernières décennies ont été marquées par un double effondrement religieux et moral, double effondrement qui n’est évidemment pas resté sans effet sur la psyché individuelle. L’ancienne religion s’est effondrée, et avec elle l’ensemble des croyances et points de repère qui contribuaient jusqu’à une date encore récente à «encadrer» l’individu et par là même à le renforcer, à lui donner confiance en lui-même: on pense en particulier au cadre national. L’individu est aujourd’hui très largement abandonné à lui-même. Et donc, tout naturellement, tend à «s’affaisser», à se rapetisser.

    C’est un début de réponse. La fatigue, en elle-même, n’est pas nécessairement incompatible avec la révolte, il y a des gens fatigués qui pourtant se révoltent. Mais ce n’est pas le cas le plus fréquent. Ce que la fatigue nourrit plutôt, c’est le renoncement, la passivité. Mais on pourrait dire autre chose encore. Qu’ils soient ou non fatigués, les gens, en règle générale, se révoltent quand ils ont faim. Encore une fois, il faut citer les Gilets jaunes. Or être privé de liberté, ce n’est pas exactement mourir de faim. La liberté n’est pas un bien matériel, mais immatériel. On croise ici Dostoïevski et sa légende du Grand Inquisiteur. Le Christ dit au Grand inquisiteur: l’homme ne vit pas seulement de pain. Soit, mais la plupart de nos contemporains sont aujourd’hui sincèrement convaincus du contraire: l’homme ne vit que de pain. Pourquoi dès lors le fait d’être privé de liberté les conduiraient-il à se révolter?

    On retrouve ici l’effondrement religieux. Avec raison, Emmanuel Todd, met la fatigue en lien avec l’effondrement religieux. L’effondrement religieux conduit à la fatigue, qui elle-même conduit à la non-révolte. Sauf que ce passage par la fatigue n’est que facultatif. La non-révolte se laisse aussi penser comme un produit direct de l’effondrement religieux.

    Eric Werner (Antipresse n°226, 29 mars 2020)

     

    Notes :
    1. Voir Slobodan Despot: « L’affaire Simon Brandt, un “signal faible” — mais assourdissant! », Antipresse 219 | 09/02/2020.

    2. Seuil, 2020. Cf. en particulier le chapitre V (pp. 127-153).

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